Le désaccord : la question de ses effets dans la controverse des OGM
p. 117-135
Texte intégral
1Dans le but d’éviter différentes mécompréhensions, quelques remarques introductives sont requises. D’une part, je vais me limiter à des cas de plantes GM, et non à tous les types possibles d’application des méthodes de transgénèse. D’autre part, la présente discussion est menée en partant du contexte québécois et canadien, non dans celui de la France et de l’Europe : cela change évidemment beaucoup de choses. Des questions seront forcément laissées de côté : interdiction française, juridiction européenne, avec les problèmes encore importants que cela soulève, suite au Grenelle de 2008. Il faudra traiter ailleurs les diverses autorisations et interdictions, les problèmes générés par les logiques de marché, de protection avec les règles de l’OMC, les travaux de la Cour européenne, etc.
2Vous lisez donc maintenant un citoyen du Canada, pays notoirement tolérant à l’égard de la production transgénique surtout pour les grandes cultures comme le soya, le maïs grain et le canola, bien qu’il y ait eu, en particulier dans les années 1990, de forts débats sur cette question tout particulièrement au Québec, lieu de résidence. Même dans ce pays nordique, cette question est moins débattue que par le passé, mais elle ne fait pas consensus, tant s’en faut. De plus il m’est requis au point de vue éthique de déclarer d’entrée de jeu que j’ai des liens de recherche établis avec un important centre subventionné par les fonds de recherche tant nationaux que provinciaux, impliquant quatre universités québécoises, regroupant des acteurs de la recherche en biologie végétale, parmi lesquels un certain nombre de personnes sont impliquées dans des recherches de type transgénèse. Il s’agit du centre Sève1. Toutefois les chercheurs regroupés là ne sont pas tous ou même majoritairement impliqués dans ce genre de production, et je n’ai jamais eu pour ma part à prendre position de manière globale sur cette question, en un sens ou l’autre. Le but du présent texte n’est d’ailleurs pas de changer le statut d’une discussion qui pour moi est loin d’être close.
3Le but de ma présentation est d’explorer l’hypothèse de la valeur des désaccords, en se demandant quelle valeur a pu avoir ou peut encore avoir cette importante controverse au sujet de la transgénèse, notamment dans la recherche elle-même. La controverse a-t-elle contribué à développer la recherche, et ce dans les deux sens, ou pas ? Les chercheurs ont semblé être les personnes les plus intéressantes à interroger sur ce point, dans une approche qualitative.
4Pour en traiter, j’ai utilisé un questionnaire modalisé sous forme d’entrevues semi-dirigées. Il s’agissait d’aller chercher l’opinion des opposants aux OGM ainsi que celle des gens pour qui ce type de culture peut exister et représente certains avantages ; j’ai réussi à obtenir la participation de quatre personnes, deux de chaque côté ; une chercheuse en agriculture biologique travaillant dans le cadre d’un important institut de recherches ; un praticien sénior de l’agriculture biologique au Québec ; et celle de deux collègues universitaires, l’un bien engagé dans la recherche en biologie moléculaire et qui utilise régulièrement les méthodes transgéniques, l’autre qui s’en tient à des méthodes d’amélioration traditionnelles et qui reconnaît certaines difficultés des productions GM sans pour autant s’y opposer en toute circonstance.
5Comme le savent les chercheurs en sciences humaines mieux que les philosophes dont je suis, le fait de recourir à un tel terrain n’est pas sans difficulté, d’agenda ou techniques. Mais ces échanges avec les acteurs permettent de dépasser le caractère apparemment formel de la discussion pour y découvrir des enjeux à la fois personnels et professionnels, liés à des pratiques.
Rappel de travaux antérieurs sur les désaccords et consensus
6Nous avons de nos jours de bonnes raisons de penser que l’expression du désaccord peut avoir des effets constructifs, au-delà d’une approche consensualiste qui voudrait en minimiser l’importance. Le problème du groupthink ou pensée groupale en fournit la meilleure preuve ; ce phénomène a été soulevé dans plusieurs travaux importants, notamment en psychosociologie, mais aussi en éthique des communications. Il y a déjà trente ans, Doise et Moscovici ont documenté ces phénomènes de consensualisme de type conformiste, qui joue par obligation tacite et interdiction de penser différemment, avec les phénomènes de polarisation qui sont une façon qu’ont parfois les groupes de surmonter les désaccords lorsqu’on le leur demande ; les nouvelles données obtenues ou discutées par Sunstein plus récemment ont fourni de nouveaux apports et approfondi ces résultats2.
7La question de l’intérêt et même de la nécessité du désaccord est maintenant bien défendue et illustrée3. Il reste toutefois utile et intéressant de considérer des situations et des cas particuliers, afin d’éviter les généralisations hâtives et de documenter des situations et problèmes divers en lesquels la question se pose. Ainsi il y a la question de savoir quels sont les effets du désaccord, une question vaste, comme les champs et les types de désaccords peuvent l’être, comme aussi les domaines d’effets que l’on voudrait explorer (économiques, sociaux, scientifiques, etc.). De plus, le désaccord peut être étudié à différents niveaux : les espaces interpersonnels, organisationnels ou plus ou moins publics ; il peut être le fait d’individus ou de groupes, être limité ou se poursuivre dans le temps. Certains désaccords peuvent s’avérer durables et ne pas pouvoir être résolus par une entente. La situation parfois se trouve au-delà du simple désaccord ; il peut dans certains cas s’agir d’un conflit, qui à la limite peut se qualifier comme intraitable ou comme dépourvu de solutions possibles4. Dans certains cas, et notamment pour le dossier de la transgénèse, peut-être bien que le désaccord serait mieux décrit par la notion de conflit à proprement parler. Nous sommes, en effet, confrontés ici à des visions du problème à première vue peu compatibles. Il est d’ailleurs intéressant de poser la question à des acteurs pour vérifier jusqu’où va ce désaccord.
8Cette recherche ne vise pas l’étude des conflits, mais bien celle des désaccords. Une distinction terminologique, aussi nette que possible, entre conflit et désaccord permet de prendre en compte la différence entre ces types de « solution » ou d’issue, sans oublier qu’il peut y avoir recoupement, donc les cloisons ne sont pas toujours bien étanches. Le conflit est quelque chose de plus lourd qu’un simple désaccord, de plus profond et de plus lié à des intérêts contradictoires au point d’en venir à l’établissement de camps opposés et en lutte. Des groupes en conflit savent que leur situation est telle, et ce qui les caractérise c’est aussi de ne pas voir les choses de la même façon. Souvent ils vont « cadrer » ou conceptualiser différemment les problèmes et les situations, c’est-à-dire à la fois les définir et les qualifier au point de vue linguistique par tout un jeu de figures qui ont une force de connotation souvent élevée5. Si on veut le résoudre, le conflit peut avoir plusieurs issues possibles, entre l’échec (dans le sens où il perdure tout simplement) et la solution réussie. Il peut requérir des acteurs soit une négociation, une médiation, soit une « solution » imposée par un tiers (comme une autorité politique ou judiciaire, dans les cas où elle existe).
9En revanche la situation de désaccord, tel qu’on peut le rencontrer d’ordinaire, peut porter sur des points importants, mais elle n’est pas toujours grevée d’une telle opposition systématique d’intérêts et d’enjeux. Il n’est toutefois pas impossible qu’en cas de désaccord, la situation ne soit pas comprise de la même façon ni avec les mêmes concepts opératoires d’un côté comme de l’autre, sauf que le désaccord est une situation comprise par les acteurs comme éventuellement surmontable, et qui pourra l’être de fait, sans doute à certaines conditions. Donc les cadrages de problèmes peuvent être différents sans pour autant signer dans ces cas une opposition irréconciliable. On comprend en conséquence que les conflits impliquent des désaccords alors que le contraire n’est pas nécessairement vrai : un désaccord sans conflit n’est pas impossible alors que l’inverse est difficile à imaginer. Il va dès lors devenir intéressant de se demander jusqu’à quel point la controverse sur les OGM est plus qu’un simple désaccord en comportant peut-être une importante dimension conflictuelle. Mais qu’il s’agisse d’un conflit ou d’un désaccord, il est sûr qu’il y a controverse : ce mot permet de rendre compte du fait qu’il y a des positions différentes, en opposition, sans statuer encore de sa nature profonde.
10Le fait qu’il s’agisse ici de quelque chose de controversé n’est pas douteux. Toutefois, en menant la recherche j’ai pu m’apercevoir que tout n’est pas objet de désaccord à l’intérieur même de cette controverse, contrairement à ce qu’on peut croire à première vue. Il y a des points de recoupement autour de certains champs de préoccupations.
Une controverse sociotechnique spéciale
11Les controverses socioscientifiques ou sociotechniques sont de beaux exemples de lieux d’expressions de désaccords6. Elles impliquent souvent des éléments d’expertise scientifique ainsi qu’un ensemble de compréhensions variables chez les acteurs à propos des risques. Parmi ces controverses, pensons à l’acceptabilité ou non de l’usage de l’énergie nucléaire, même question pour l’utilisation des cellules souches, ou des ondes électromagnétiques pour relever les mesures de compteurs d’électricité.
12La controverse sociotechnique sur la transgénèse (les OGM) est sans doute l’une des plus significatives et des plus intéressantes de notre époque. Elle a lieu depuis plusieurs décennies et a forcément eu plusieurs types d’effets sur bien des types d’acteurs. On pourrait à cet égard élargir la recherche, puisque bien des regroupements, gouvernements, entreprises, commissions d’étude se sont penchés ou se sont situés dans la controverse. Il est évidemment impossible de faire tout cela dans le cadre d’une seule intervention. Plus modestement, il a semblé pertinent de prendre un petit nombre de personnes jugées typiques dans cette controverse, et qui auraient aussi la qualité d’en connaître suffisamment pour pouvoir en discuter, ce qui nous donnerait donc l’opportunité de regarder ce qui se produit chez des acteurs « durables » de la controverse, et non pas seulement dans l’opinion en général. L’approche étant ici qualitative, il n’y a pas la prétention de refléter un état de l’opinion de manière adéquate au point de vue de la quantité ou des proportions de positions prises.
13Trouver des scientifiques compétents dans le domaine d’objet, soit la génétique des plantes et la biologie végétale, pour représenter les deux côtés de la controverse n’a pas été facile ; je voulais aussi m’en tenir à des gens des disciplines concernées et qui soient physiquement joignables pour entrevues, donc situés sur le territoire québécois. De fait il a fallu élargir aux intérêts en agriculture biologique pour y arriver. J’ai pu trouver deux biologistes du végétal ayant une orientation légèrement différente, dont l’un a une franche implication dans ce type de technologie alors que l’autre a des réserves sans pour autant tout rejeter. Un agriculteur partisan de l’agriculture biologique et adversaire de la production de type OGM a bien voulu participer à la démarche, mais n’a pu être rencontré, notamment en raison des impératifs du temps doux qui requérait des interventions au champ ; sa contribution a été reçue sous forme du même questionnaire que pour les entrevues, mais avec réponses fournies par écrit7. Une seconde personne de type chercheur, impliquée dans l’agriculture biologique et opposée aux OGM en culture du végétal, a donné une entrevue détaillée sur la question. Les retranscriptions ont été validées avec les participants. Chaque entrevue a duré environ une heure. Nous avons assuré les participants de la confidentialité des données et de leur anonymat.
14La controverse a eu une importance certaine sur le territoire québécois (elle fut beaucoup moins intense ailleurs au Canada) ; une étude préalable menée au début des années 2000 avait montré l’importance du foyer de résistance à ces nouvelles techniques de modification génétique, en particulier dans la filière de l’alimentation biologique, qui correspond à des pratiques agriculturales alternatives, en rupture avec un modèle de production à plus grande échelle, qui elles ont davantage tendance à embrasser les nouveautés technologiques mises en marché par les firmes expertes. En travaillant sur le dossier médiatique, en plus de voir le lien clair avec la filière alimentation, on s’aperçoit aussi qu’il est étroitement lié à la question des pesticides, du moins pour la plus grande partie du traitement qui en a été fait dans la presse populaire analysée8. Dans le cas de la sphère médiatique proprement québécoise en tout cas, ce débat a beaucoup diminué depuis quelques années, sans disparaître.
15Plus récemment, la « nouvelle » annonçant la publication du rapport de l’OMS sur le caractère sans doute « cancérogène » du glyphosate concerne d’une part l’herbicide Roundup, d’autre part la modification des plantes afin de les rendre résistantes au produit incriminé. Cette nouvelle a d’ailleurs été relayée au Canada9. Si le fait d’avoir une résistance contre un produit cancérogène peut sembler, à première vue, une bonne chose, ce n’est pas ce qui retient l’attention. Celle-ci se concentre plutôt sur le fait que le pesticide a lui-même été davantage utilisé du fait que les plantes pouvaient y être résistantes. Ici, un élément technique sert de cheval de Troie pour un autre élément technique, sans doute bien plus nocif. D’ailleurs le journal Le Monde rapportait récemment qu’en France, même si les plantes transgéniques sont sans doute bien peu présentes sur ce territoire, le glyphosate demeure le pesticide le plus utilisé10. Or c’est bien ce dernier qui tout récemment semble cancérogène. Autorité européenne et OMS ont ici pris des positions contradictoires, sur la base d’analyses menées différemment, sur le caractère cancérogène – du glyphosate : c’est dire que la controverse atteint aussi ce point central, et ce dans les plus hautes sphères, non sans donner lieu à des accusations de parti pris11.
16Certes si nous avions voulu couvrir l’ensemble des positions échangées sur la question, il aurait fallu faire intervenir bien des considérations notamment d’ordre économique et politique avec plus de détail. Qu’il suffise ici de rappeler un chiffre, datant de 2011 : il y aurait, selon l’ISAAA, 160 millions d’hectares de type biotechnologies sur terre, en hausse de 8 % par rapport à 201012. Dans cette polémique, les enjeux commerciaux semblent de grande importance, et ce d’un côté comme de l’autre, mais pour des raisons diamétralement opposées ; nous avons en fait deux visions contraires de l’agriculture comme domaine de production économique, ce qui se confirme aussi dans nos entrevues.
17La question de savoir jusqu’à quel point les communautés scientifiques sont consensuelles est évidemment d’intérêt, mais elle se complique dès qu’on fait intervenir une pluralité de disciplines qui se croisent sur des objets similaires ou qui se recoupent en partie. Les domaines de recherche définis par les disciplines possèdent-ils, plus qu’on le croit, des cloisons étanches ? Plusieurs disciplines aux préoccupations différentes se donnent des objets différents, ne « voyant » dès lors pas les mêmes risques. On sait notamment que sur la question de la transgénèse, les écologistes de la population ne prennent pas la question du même côté que les biologistes moléculaires13, pour qui cette question fait objet d’interrogations, mais pas d’un rejet massif. Parmi les gens compétents en biologie moléculaire, des réserves existent sur tel ou tel point, la conscience des risques environnementaux peut être, dans plusieurs cas, très élevée, mais il ne semble pas y avoir de divisions importantes dans ce groupe de chercheurs : il s’agit pour eux d’une technique qui permet de faire des choses, et les applications doivent être considérées au cas par cas. À l’inverse, pour les chercheurs de la filière agrobiologique, ce qu’on fait par la transgénèse, on peut le faire autrement, sans doute mieux et avec bien moins de risques.
18On ne peut considérer cette controverse uniquement au plan théorique, comme une simple bataille entre groupes de savants ; les positions sont liées à des groupes de pratiques donnés. Des chercheurs intéressés davantage par la lutte biologique, ou par l’agriculture biologique, ayant néanmoins une culture scientifique similaire à celle des précédents, sont beaucoup plus réservés. Certains des adversaires les plus décidés de la production agricole de type GM se trouvent chez les partisans d’une agriculture qu’on peut qualifier de « verte » et aussi d’agriculture biologique de manière générale. En effet, les GM sont clairement utilisables dans une perspective d’agriculture intensive, risquant d’être abusive pour les sols, mais évidemment l’agriculture intensive est possible sans culture transgénique, et nuisible dans tous les cas. La controverse des plantes OGM ne se comprend pas à l’extérieur du champ des pratiques agriculturales, même dans le cas d’applications biomédicales, car on va en fin de compte se reporter dans les champs pour développer les cultures, le cas échéant, ou bien interdire de les développer.
19Toutefois, même si les positions de principe sur le fond (doit-on ou ne doit-on pas permettre ou accepter les cultures OGM sur nos territoires) n’ont sans doute pas changé, il n’est pas exclu que certains éléments aient pu se transformer. Pour ne donner que quelques exemples, les pratiques de recherche peuvent avoir développé de nouvelles mesures de prudence, et par ailleurs certains acteurs pourraient avoir développé des stratégies pour protéger leurs champs contre les substances indésirables, à caractère adaptatif. On se demandera en particulier jusqu’à quel point dans ce cas le désaccord a pu avoir pour visée une transformation, et ce des deux côtés du désaccord concerné, et laquelle.
20De fait, bien des questions posées par les milieux critiques aux productions de type GM sont considérées comme valides par les chercheurs qui connaissent bien la biologie moléculaire, contrairement à ce que l’on aurait pu croire d’entrée de jeu.
Posture de la recherche et cadre théorique
21La présente recherche est située en philosophie pratique, domaine qui, pour nous, implique plusieurs éléments. En plus des questions classiques qui concernent l’orientation de l’action, ce qu’on retrouve dans des secteurs comme la philosophie politique, la philosophie du droit, la morale, l’éthique et l’éthique appliquée notamment, donc tout domaine qui discute le recours aux règles et aux valeurs pour motiver l’action humaine et son encadrement, nous estimons que seule l’étude des chantiers de pratiques permet de vraiment saisir les questions normatives et axiologiques, car elles sont liées à des contextes et à des situations. On ne peut bien comprendre une question de ce genre qu’à partir d’un domaine de pratiques donné qu’il faut suffisamment connaître pour s’y retrouver. C’est un peu l’héritage que nous retenons d’une part du pragmatisme philosophique, et d’autre part d’une série de travaux dans ce qu’on a appelé l’éthique appliquée depuis une trentaine d’années en territoire québécois notamment14.
22Ensuite, certains éléments clés développés dans la tradition assez récente des STS ou « Science and Technology Studies » sont d’un grand intérêt pour structurer le point de vue pris ici. Ainsi, depuis les travaux de Michel Callon et de bien d’autres, dont Bruno Latour, la cloison étanche qui a longtemps été supposée exister entre sciences et intérêts sociaux et politiques est remise en question. Même si elles visent à rendre compte le plus adéquatement possible d’états de choses dans le monde, les sciences n’en demeurent pas moins construites de part en part, et c’est aussi un processus qui s’inscrit dans une certaine durée. Les sciences sont liées à des pratiques, elles ne sont pas détachées d’intérêts empiriques qui sont à la base des recherches. Certes, elles peuvent tenter de ne pas se laisser dicter leurs résultats par des préoccupations de recherches, conserver une saine indépendance, elles ne pourront le faire en dehors d’un certain champ de préoccupations donné. Ainsi, les controverses sociotechniques ne sont aucunement détachées des intérêts de leurs acteurs ; elles sont plutôt structurées et construites dans et par les actions et les discours des porteurs du dossier.
23De plus, le lieu privilégié au niveau duquel il semble requis de travailler pour bien saisir la manière dont les acteurs eux-mêmes construisent le sens des controverses dans lesquelles ils sont impliqués est l’analyse du discours lui-même. Désignant un niveau de communication qui dépasse le simple niveau phrastique pour inclure aussi le travail des conceptualités, le discours peut se livrer dans une pluralité de textes comme dans un seul, et aussi dans des prises de parole transcrites, ou écoutées sur bandes audio15.
24En étant attentifs aux dimensions argumentatives du propos, nous avons d’une part dégagé les positions soutenues et les arguments à l’appui, ce qui a permis ensuite de générer des concepts organisateurs afin de rassembler plusieurs arguments. Ce qui permet de dégager ce qui se distingue sur ces effets, et de repérer les thèmes de discussion partagés, quoique avec des tonalités quelque peu différentes.
25Pour les entrevues, il a semblé souhaitable de procéder avec des questions semi-ouvertes. Le nombre sélectionné étant petit, il n’était pas question d’arriver à saturation, mais de dégager certains éléments clés d’un débat qui perdure en moins vif qu’à la fin des années 1990. Nous avons produit des transcriptions des entrevues qui avaient été d’abord obtenues avec enregistrement numérique. Pour ce qui est du débat sur les plantes transgéniques comme tel, certains ouvrages servent de point de référence. Nous cherchons une documentation qui ne se laisse pas enfermer dans la logique du « pour » ou « contre16 ». Pour mémoire, rappelons que la première commercialisation de produits de la transgénèse date de 1994, alors que les premiers essais aux champs datent de 198717. Pour certaines organisations comme la FAO des Nations unies, le débat semble terminé.
26Nous avons une question principale, celle de savoir si et comment la controverse a pu avoir des effets sur la recherche. Pour rendre compte adéquatement de la pluralité des positions en présence, il est souhaitable de faire ressortir les positions prises (il est soutenu que p) sur la base de certains arguments (en raison de y) présentés par chaque sous-ensemble de participants. Puis on dégagera les éléments de recoupement de manière générale avec ce qui ressort sur notre question principale.
Synthèse des résultats obtenus
27Comme il n’est pas possible de traiter en détail ici, et encore moins de reproduire, les 41 pages de transcription et les 16 pages d’analyse des arguments, voici un tableau faisant état des résultats, que nous pourrons commenter par la suite. Lorsqu’une section située sur le plan des lignes couvre plus d’une colonne, c’est que l’élément discuté est partagé par deux répondants. Les caractères gras mettent en évidence des éléments qui sont partagés par trois des quatre répondants, signalant déjà un élément qui n’est le propre ni des partisans d’une agriculture biologique (répondants 1 et 2) ni des chercheurs situés plutôt dans l’agriculture traditionnelle (3 et 4), qui n’excluent pas par principe les résultats de la transgénèse. Quand une phrase est en partie en gras, c’est l’élément en gras qui est partagé par les trois personnes ; ce qui reste en traits ordinaires correspond seulement au répondant dans la colonne duquel l’élément en question est mentionné. J’utilise la lettre t et l’acronyme OGM comme des équivalents.


Des éléments partagés, pas toujours aux lieux prévisibles
28Certes, les opposants de ces technologies ont des points visibles de recoupement, tout comme d’ailleurs les spécialistes de la biologie végétale ; nous avons fusionné les cellules de tableau pour indiquer clairement ces éléments.
29Ce qui est plus intéressant est bien sûr de découvrir des préoccupations partagées entre les chercheurs situés en biologie moléculaire, dont l’un est actif depuis des années dans des recherches impliquant les OGM, et les opposants : notamment le développement de la résistance chez des espèces tierces comme les plantes et aussi les insectes, et d’autres effets secondaires indésirables, sur les pollinisateurs, notamment. Le problème posé par les pratiques entrepreneuriales de certaines grandes firmes est également reconnu d’un côté ou de l’autre, quoique les alternatives considérées puissent diverger. Le besoin des recherches indépendantes est affirmé de bien des façons, sous des degrés divers, et ce des deux côtés de notre échantillonnage d’expressions.
30Quant aux effets qu’a pu avoir la controverse, ils sont vus différemment par les partisans de l’agriculture biologique et par les chercheurs connaissant bien la biologie moléculaire. Les premiers y ont vu au mieux l’opportunité de poursuivre dans ce qu’ils faisaient déjà, sans retombée très évidente pour la recherche. Alors que pour les seconds, dans un cas en particulier la polémique a donné lieu au développement de travaux spécialisés pour répondre à des interrogations portées dans la presse, ou dans l’opinion publique. Dans l’autre cas, l’un des développements a été de conduire le chercheur à devenir favorable à l’étiquetage des produits GM, dans tout ce qui n’est pas produits transformés, alors qu’au départ sa position était plutôt le refus de ce type d’option.
Opposition entre appellation scientifique et appellation populaire : un recadrage
31Pour les chercheurs en biologie moléculaire, le terme mis de l’avant est non pas les OGM, mais bien la technologie transgénique. Ce qui donne lieu à un contraste entre expression populaire et expression savante. Certes, c’est une stratégie de recadrage : l’appellation OGM a été associée à bien des images défavorables, ce ne semble pas être le cas pour l’appellation plus technique de transgénèse. Dans le présent texte, nous utilisons les deux termes alternativement comme des équivalents.
Valeur du désaccord : volume de recherche augmenté
32Le volume de recherche a été nourri et développé par l’existence même de la controverse, comme l’un des chercheurs, directement impliqué dans le dossier de la transgénèse, l’a admis : plusieurs des projets sur lesquels il a travaillé et pour lesquels il a obtenu des subventions n’auraient tout simplement pas existé sans la controverse. Ceci s’est présenté sous la forme notamment de commandes gouvernementales, en interrogeant des modalités concrètes comme l’étiquetage, le repérage des produits GM dans les aliments sur les tablettes d’épiceries, mais aussi les modalités de culture permettant d’isoler au champ des lignées transgéniques. Un épisode célèbre de cette controverse le montre bien, comme nous le rappelait un interviewé plutôt favorable. On se souviendra du maïs BT qui était jugé susceptible de menacer les populations du papillon Monarque. La polémique, amorcée par un article de deux pages publié dans la revue Nature18, est vue comme ayant donné lieu à d’innombrables recherches, publications, mais encore subventions dans les années qui ont suivi, en plus évidemment de soulever d’importants débats dans la sphère médiatique, dans la sphère publique plus largement – y compris la sphère politique.
33En revanche, du côté de la chercheuse en agriculture biologique, un tel développement de la recherche n’est aucunement lié ou posé comme lié à l’existence de cette controverse. Ce lien de développement de la recherche n’est pas non plus vu par le producteur de type agriculture biologique. Autrement dit, si le désaccord a eu des retombées, celles-ci ne les auraient pas directement atteints, selon eux-mêmes.
34Les retombées en recherche sont donc beaucoup plus visibles d’un côté que de l’autre de la controverse. Certes nous avons un certain nombre d’acteurs financiers, des fonds d’investissement, des entreprises qui produisent et diffusent des produits de la transgénèse, avec des clients qui achètent ces produits. Au Canada et ailleurs, ce volume de flux d’échanges est mis en question par la controverse, alors le gouvernement commande des études, qui publieront certains résultats. Évidemment, les premiers chercheurs à en bénéficier sont les gens qui connaissent le secteur de l’intérieur, qui ont l’expertise requise pour y mener des recherches. La conséquence est certes qu’un flot supplémentaire des recherches est produit, mais ce flux monétaire n’est pas dirigé vers des alternatives. Les investissements consentis ont plutôt conduit à renforcer le secteur d’expertise concerné plutôt qu’à favoriser un désinvestissement.
Le désaccord, source de différenciation
35Selon les biologistes plus classiques, l’existence des méthodes transgéniques, dans la mesure où elles furent l’objet de controverses, a aussi renouvelé l’intérêt pour d’autres types de méthodes d’amélioration végétale, sans requérir une agriculture tout à fait différente. Plus l’approche GM était connue et définie, plus il devenait également possible de faire autre chose, par exemple, s’en tenir aux méthodes d’hybridation ne faisant pas appel aux techniques de la transgénèse – techniques qui ont été développées depuis des décennies, des siècles, voire des millénaires. Quitte d’ailleurs à noter que certains risques liés à la production transgénique, comme le transfert non recherché de résistance, par exemple concernant un herbicide, sont présents aussi pour d’autres techniques de modification. Des risques d’une importance moindre qu’on ne le croit en raison du fait que les pollens ne peuvent féconder que certains types de plantes, et ont une portée de diffusion variable, alors il faut y regarder au cas par cas. La continuité foncière de la transgénèse avec d’autres types de modifications n’enlève donc pas des éléments de distinction.
Effet de frein pour une partie de la production
36La polémique a probablement aussi eu comme effet de ralentir et même d’arrêter le développement de certaines applications de type GM, vues comme trop radicales et trop susceptibles de soulever à leur tour de nouvelles polémiques. Les idées de tomates OGM et autres produits destinés à l’alimentation humaine ont été délaissées. On parle encore du fameux riz doré renforcé en vitamine A, mais on ne le voit pas sur les tablettes. La controverse développée à ce sujet n’a pas eu des effets bénéfiques pour l’utilisation de ces techniques dans ce type de cas. La planète est à peu près divisée en deux sur ce point.
Les problèmes posés par les multinationales et leur propriété sur les brevets
37Les discussions et toute l’importante polémique autour des pratiques de l’entreprise Monsanto ne sont pas passées inaperçues dans la communauté scientifique – on parle assez peu des autres entreprises du même genre. Voir les 34 milliards de dollars US offerts par une entreprise chinoise pour l’achat de l’entreprise Syngenta, offre soutenue par la direction notamment comme une façon d’entrer dans le marché chinois19. Voir bien sûr aussi l’achat/fusion de Bayer avec Monsanto. Les biologistes sont motivés pour conserver et cultiver une indépendance la plus grande possible face aux entreprises de grande taille… Alors que, dans le même temps, les chercheurs reconnaissent qu’ils ne peuvent le plus souvent pas eux-mêmes se rendre à la phase de développement commercial, incluant mise en marché, production et distribution, et à cet égard doivent souvent passer le relais aux industriels.
38Clairement, à notre époque de culte de la croissance économique, il n’est pas étonnant que bien des gouvernements ou institutions veuillent canaliser les flux monétaires concernés par toutes ces usines, laboratoires, etc. Chez les opposants à ces techniques, l’argument fondé sur le fait qu’il y a propriété sur les semences dans le cadre d’entreprises multinationales hyperpuissantes est de la plus grande importance. D’autres soulignent les lourds investissements consentis par les grandes entreprises et donc le besoin de retour sur leur mise. D’ailleurs le fait même d’entrer dans une logique de coûts et avantages est mis en question par certains, alors que pour d’autres c’est le cœur de la discussion. La question des protectionnismes et des enjeux réciproques d’accès aux différents marchés n’est pas réellement traitée par les participants consultés.
Résistance et marqueurs du changement génétique
39Pour les uns, l’usage global de pesticides serait en diminution, malgré qu’on sache que la résistance se développe aussi et que les éléments de l’écosystème s’adaptent, tout comme ils le font ailleurs, par exemple avec les antibiotiques, cas auquel on se réfère explicitement.
40Il est clair que beaucoup de recherches ont aussi été faites pour apprendre à déceler les marqueurs de changement génétique dans les plantes. Ceux-ci sont encore très difficiles à déceler. Les critiques et les questions sur les effets des produits de la transgénèse au niveau écologique sont admises par tous, mais pour des gens qui voient les avantages sur le terrain de la production agricole, ce ne sont pas des éléments suffisants pour interdire ou bannir ce genre de pratique. Les problèmes de flux géniques sont admis comme étant sérieux par les chercheurs impliqués de près ou de loin dans la question. C’est un vaste chantier pour des recherches existantes ou à venir. Pour ce qui est du problème, qu’on reconnaît intéressant et important, des flux géniques, c’est-à-dire des transferts de résistances, on fera valoir qu’ils sont parfois possibles, entre certaines espèces compatibles au point de vue de la reproduction, mais pas toujours. Les hybrides au champ ne sont pas toujours viables, et les retombées d’éléments GM ne passeraient que très peu le seuil de deux mètres, ce qui permettrait d’ériger des zones tampons efficaces pour l’essentiel, ce qu’un chercheur appelait des trappes. Pour ce scientifique, certes les praticiens de l’agriculture agricole ont sans doute leur droit de produire, mais pas au prix d’une interdiction aux autres types de production ; la voie qui reste serait alors celle de la coexistence. Il y a des études sur les flux géniques, mais elles semblent encore disparates, il n’y a pas d’unité des protocoles de recherche. Ce ne sont toutefois pas les chercheurs en agriculture biologique qui se disent intéressés par les recherches sur la cohabitation des cultures. Les liens conceptuels sont reconnus par les chercheurs entre transgénèse et caractéristiques d’une agriculture industrielle n’hésitant pas à faire appel à la monoculture sur de grandes surfaces.
La coexistence
41Le chercheur principalement impliqué dans la production de plantes transgéniques fait positivement état de subventions obtenues dans la perspective de la coexistence entre les cultures admettant ou n’admettant pas la transgénèse, chose qui intéresse beaucoup le gouvernement du Québec, tout comme l’Europe d’ailleurs. Pour certains chercheurs universitaires, c’est toute leur recherche qui tourne autour de cela et, comme universitaires, ils ont l’avantage de travailler sur plusieurs plans : le développement conceptuel et parfois expérimental de certains produits, ET l’étude des risques possibles, avec les mesures de protection qui peuvent être élaborées. Ils sont donc en assez bonne posture eu égard à cette controverse, du moins au Québec – pas sûr qu’il en soit tout à fait de même en France, dans la mesure où la partie de la population qui exprime de fortes réserves face à ce type de culture y semble beaucoup plus importante. C’est peut-être le pays développé au monde où le consensus contre ce type de technique est le plus grand.
Conclusion
42La discipline de la biologie végétale a pour l’un de ses objectifs principaux de rendre les plantes plus résistantes à différentes menaces regroupées sous le nom de ravageurs, qu’il s’agisse de champignons, d’insectes, de mauvaises herbes envahissantes ou de maladies diverses. À cet égard, elle rencontre bien sûr les pesticides, herbicides, insecticides et fongicides qui sont forcément et par définition des éléments toxiques – sans quoi ils ne pourraient servir à la lutte aux mauvaises herbes, insectes et autres mycètes et fongiques. Dans la mesure où il s’agit dans tous les cas de poisons, qu’il n’y ait absolument aucun aspect nocif ni effet secondaire indésirable dans leur utilisation, sous une forme ou sous une autre, semblerait douteux. Comme le principal usage de la transgénèse aujourd’hui est encore le développement d’une résistance aux éléments toxiques utilisés dans les champs pour protéger les cultures, en ayant surtout en vue l’équilibre entre les dépenses et revenus liés à cette production, pas étonnant qu’on ne puisse les détacher tout à fait du caractère problématique des pesticides.
43On peut sans doute dire aussi que ce type de développement plutôt technique est venu radicaliser les méthodes d’une agriculture de type révolution verte, à grande échelle. Cette radicalisation a peut-être aussi joué un rôle, par effet de contraste, sur le développement d’un contre-discours et d’un ensemble de pratiques divergentes au niveau agricole : agriculture biologique, du terroir. Cette hypothèse n’a pas été invalidée par les porteurs de l’agriculture biologique. Les OGM sont devenus une sorte de symbole et l’occasion d’un cri de ralliement en donnant un ennemi bien identifiable et parfois effrayant ; rappelons-nous les images de FrankenFoods que nous avons connues. Des effets de peur ont ainsi indéniablement concouru à les rendre impopulaires auprès d’une bonne partie du public.
44Finalement, il y a désaccord plus que conflit, comme le fait des convergences de certains avis semble le montrer. L’un des camps prépare des solutions adaptatives, qui ne sont pas poursuivies dans l’autre camp, mais celui-ci pourrait bien sûr y trouver son compte, si elles s’avéraient valides et porteuses.
Annexe : questions pour les entrevues
Annexe
• Depuis combien de temps êtes-vous impliqué par rapport à la transgénèse ?
• Comment exprimez-vous votre position sur les OGM ?
• Quels sont les éléments qui vous semblent les plus importants en faveur de votre position ?
• De quelle façon votre pratique est-elle concernée en regard de cette question particulière ?
• Quelles ont été vos principales réactions face aux arguments des tenants de la position contraire ?
• Quels sont pour vous les points les plus litigieux ou les moins solides de la position qui n’est pas la vôtre ?
• Vous répondez quoi à ces arguments ?
• Il se peut que vous ayez eu plusieurs phases de positionnement dans ce débat. Si oui, quelles furent-elles ?
• Pouvez-vous dire que votre pratique (scientifique ou agriculturale) a été modifiée par le fait qu’il n’y ait pas de consensus social sur cette question ?
• Si c’est le cas, de quelles manières ?
• Pouvez-vous dire que votre pratique s’est transformée en raison des positions de la partie adverse, soit de ceux qui sont en désaccord avec vous ?
• De quelles manières ?
• Pouvez-vous caractériser l’évolution qui a été produite chez vous par le fait que ce désaccord existe depuis un certain temps ?
• Vous avez pu changer ou non, sur certains points ou plus largement, ou pas du tout, etc.
Notes de bas de page
1 Voir www.centreseve.org.
2 Willem Doise, Serge Moscovici, Dissensions et consensus. Une théorie générale des décisions collectives, Paris, PUF, 1992 ; Cass Sunstein, Going to Extremes. How Like Minds Unite and Divide, Oxford, Oxford University Press, 2009.
3 Alain Létourneau, Bruno Leclerc (dir.), Validité et limites du consensus en éthique, Paris, L’Harmattan, 2007.
4 C’est la notion de intractable conflicts, qui est traitée notamment dans le secteur de la communication organisationnelle, spécialement dans le monde anglo-saxon. Voir surtout Barbara Grey, Roy J. Lewicki, Michael Elliott, Making Sense of Intractable Environmental Conflicts, New York, Island Press, 2003.
5 Théorie du cadrage : on la fait remonter à Erving Goffman (La mise en scène de la vie quotidienne, 1, La présentation de soi, trad. Alain Accardo, Paris, Éditions de Minuit [Le sens commun], 1996), bien qu’on trouve des éléments explicites à ce sujet chez John Dewey dès 1925.
6 Pierre Lascoumes, « De l’utilité des controverses sociotechniques », Journal international de bioéthique, 13/2, 2002, p. 68-79.
7 Voir le questionnaire annexé à la fin de cet article. Nous avons produit des transcriptions pour chaque entrevue donnée verbalement.
8 Voir Alain Létourneau, Richard Lair, « Les communications journalistiques sur la santé des écosystèmes agricoles et les OGM dans la presse québécoise : un enjeu pour l’éthique », Ethica, 16/1, 2006, p. 107-146. Certes les techniques de transgénèse peuvent en principe avoir de multiples applications, comme le développement de médicaments par le biais des plantes, le développement de plantes résistantes à la salinité des eaux, etc. Ce genre d’application fait très rarement l’objet de polémiques. Là, toutefois, où la polémique a été la plus vive, ce fut sur les questions qui touchaient de près ou de loin à l’alimentation, et le principal champ de bataille a été un mixte de deux questions : Monsanto et les droits de propriété de type brevet sur certaines plantes modifiées d’une part, et la dissémination de la résistance aux pesticides d’autre part. D’ailleurs, on n’a pas manqué de souligner, dans certaines interventions faisant partie de la controverse, les liens étroits entre Monsanto (et les autres compagnies similaires, comme Syngenta) et l’industrie chimique et l’industrie des pesticides. Cette question des droits d’auteur est évidemment liée aux investissements qui sont consentis par des entreprises qui cherchent une rentabilité, donc au-delà du simple remboursement de prêts.
9 Voir http://foodsecurecanada.org/fr/ressources-et-nouvelles/nouvelles-et-medias/loms-qualifie-le-glyphosate-dagent-probablement.
10 À la base de l’article du Monde (http://www.lemonde.fr/planete/article/2015/03/25/le-desherbant-roundup-classe-cancerogene_4600906_3244.html) sur le classement du Roundup comme cancérogène, il y a un texte du Lancet publié dans la série IARCMonographs : http://www.thelancet.com/pdfs/journals/lanonc/PIIS1470-2045(15)70134-8.pdf. Le glyphosate est l’une des quatre substances examinées parmi les organophosphates. Par ailleurs, le glyphosate serait en France le principal responsable de la déclassification des eaux, selon le même article qui se réfère à un rapport français de l’ANSES (2010) sur l’exposition de la population aux résidus de pesticides : http://www.observatoire-pesticides.gouv.fr/upload/bibliotheque/171959218396043870616875052847/exposition_population_generale_pesticides_2010_vdef.pdf.
11 Un texte très positionné fait état de cette problématique : https://mrmondialisation.org/le-glyphosate-pas-cancerigene-leurope-soppose-a-loms.
12 http://www.isaaa.org/resources/publications/briefs/43/executivesummary/default.asp: L’International Service for the Acquisition of Agri-Biotech Applications n’est sans doute pas neutre sur la question, mais il reste exact que les États-Unis, au premier chef, mais aussi la Chine, l’Inde, le Canada, le Brésil et l’Argentine sont de très grands producteurs. Parmi les pays européens, seule l’Espagne compte parmi les dix-sept plus importants producteurs, mais d’autres pays comme le Portugal, la République tchèque et la Pologne se signalent également.
13 Jean-Paul Oury, La querelle des OGM, Paris, PUF, 2006.
14 Alain Létourneau, « Le dialogue comme espace de traitement des questions éthiques », dans Edwige Rude-Antoine, Marc Piévic (dir.), Un état des lieux de la recherche et de l’enseignement en éthique, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 69-87 ; Alain Létourneau, Karine Saint-Denis, « Le traitement médiatique de la crise des cyanobactéries au Québec lors de la période estivale 2007 », dans Olivier Thomas, François Petit (dir.), Management de l’eau et santé, Rennes, Presses de l’EHESP, 2009, p. 204-214 ; Georges A. Legault, Professionnalisme et délibération éthique, Québec, Presses de l’université du Québec, 1999 ; John Dewey, La formation des valeurs, trad. Alexandra Bidet, Louis Quéré et Gérôme Truc, Paris, La Découverte (Les empêcheurs de penser en rond), 2011.
15 Pierre Paillé, Alex Mucchielli, L’analyse qualitative en sciences humaines et sociales, Paris, Armand Colin, 2012.
16 Catherine Baudouin, Plantes transgéniques. Quelle évaluation éthique ?, Paris, Hermann (Bioéthique critique), 2014. Voir aussi Jean-Paul Oury, La querelle des OGM, op. cit.
17 Voir Catherine Baudouin, Plantes transgéniques…, op. cit., p. 1.
18 Voir l’abstract pour l’article de John E. Losey et al. (« Transgenic Pollen harms Monarch Larvae », Nature, 399, 1999, p. 214-216 : http://www.nature.com/nature/journal/v399/n6733/abs/399214a0.html) auquel la recherche s’est beaucoup référée depuis. Voir aussi http://www.pnas.org/content/97/15/8198.full, article qui présente le point de vue des spécialistes des lépidoptères ; afin de disposer d’un point de vue plus critique, regarder http://stopogm.net/sites/stopogm.net/files/webfm/plataforma/saxenafloresetal2002.pdf. On consultera enfin http://agbiosafety.unl.edu/synopses/monarchupts.htm afin de disposer d’une revue de la recherche. Le nombre d’articles ayant traité simplement de la question du maïs avec des parties du Bacillus Thuringiensis est très difficile à évaluer précisément. Dans ce cas, les entomologistes ont bien sûr joué un rôle important dans la discussion. Il sort des limites de cet article de revenir avec assez de détails sur cette discussion.
19 http://www.executiveinterviews.com/delivery/v1/mini/default.asp?CI=N&order=EU07190a#.
Auteur
Professeur titulaire au département de philosophie et d’éthique appliquée de l’université de Sherbrooke (Québec, Canada). Il est régulièrement invité en Allemagne comme professeur, notamment à la Goethe Universität ou encore à la Johannes Gutenberg Universität Mainz. Il est également directeur de l’équipe de recherche sur la gouvernance et l’éthique appliquée (ERGEA) et membre de la chaire d’éthique appliquée de l’université de Sherbrooke.
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