Les ressources de l’internationale
p. 193-194
Texte intégral
1Parmi les archives récupérées auprès de responsables carlistes par l’historien Antonio Pirala à la fin de la guerre, on trouve un document intitulé : « Compte et emploi des sommes reçues par Mr J. Dubrocq, en qualité de Trésorier de l’armée Carliste de la Navarre et des Provinces Basques1 », qui correspond à la période au cours de laquelle Joachim Dubrocq était le trésorier de la junte auxiliaire de la Frontière. Y sont consignées les recettes et les dépenses effectuées entre novembre 1872 et mai 1873, dans les premiers mois de la guerre.
2Le document fait apparaître toute l’importance de la question économique pour les carlistes et le rôle qu’ont joué à cet égard leurs alliés internationaux. En un semestre environ, Dubrocq réalise plus de deux cent cinquante opérations financières et notamment près de deux cents dépenses, surtout des achats de matériel. Parmi les bénéficiaires de ces dépenses, se trouve déjà Marguerite Cournet, qui réalise un bénéfice de plus de soixante mille francs pour des fournitures d’armes et de munitions. Son engagement n’est peut-être pas sans lien avec la manne financière qu’a représentée l’insurrection pour ses affaires.
3Ce document met en valeur un élément essentiel de l’internationale blanche : une de ses missions principales a consisté à financer et à équiper l’armée carliste. C’est sur ce point que cette solidarité s’est avérée vitale puisque les responsables carlistes se sont entièrement reposés sur cette manne pour supporter l’effort de guerre. Ils n’avaient guère le choix, au vu de l’insuffisance de leurs ressources. Les transformations liées à l’expansion du capitalisme depuis le début du siècle avaient durablement modifié les circuits économiques et financiers, ainsi que l’ampleur des sommes en circulation. De plus, la menée d’une guerre régulière, plus coûteuse que la traditionnelle guérilla, impliquait la mobilisation de ressources et d’un appareil productif que le petit territoire carliste dans les provinces basques ne pouvait assurer.
4Dès lors, la fourniture d’argent ou de matériel occupe une place particulière au sein de l’aide au carlisme. En outre, elle souligne deux traits saillants de cet internationalisme. D’abord, cette focalisation sur l’économie incarne les pratiques de solidarité et les inscrit dans un champ très concret. L’internationalisme dépasse le cadre des transferts culturels et des circulations idéologiques. Ensuite, et surtout, les circulations monétaires et matérielles au sein de l’internationale blanche sont autant de flux qui lient entre eux les différents espaces sociaux engagés. L’analyse de ces flux, de leur origine, de leur organisation, de leur parcours permet de connecter les différentes échelles auxquelles se déploie le soutien au carlisme. Suivre les flux révèle que l’argent du catholicisme belge a financé les passeurs catalans, que les souscriptions anglaises ont payé les canons acheminés par la mer, que les emprunts proposés par les carlistes aux légitimistes ont acheté les services des contrebandiers basques qui transportaient les fusils à dos de mulet d’un versant à l’autre des Pyrénées. L’analyse des circulations matérielles rend tangible l’internationale blanche en tant que mouvement.
5Un premier chapitre sera consacré à la question des flux monétaires. Les carlistes et leurs alliés s’avèrent en effet redoutablement efficaces pour financer la cause et l’effort de guerre, en multipliant les initiatives et les dispositifs, ce qui offre dans le même temps un observatoire des pratiques de politisation de l’économie ainsi que de l’insertion des contre-révolutionnaires dans les structures du capitalisme. Un second chapitre traitera de la contrebande d’armes en faveur des carlistes. Point de contact entre réseaux transnationaux et réseaux locaux transfrontaliers, elle est un observatoire privilégié de l’hybridation entre les deux secteurs socio-politiques qui forment le cœur de la solidarité pro-carliste.
Notes de bas de page
1 BRAH-Fondo Pirala, legajo 6870, « Compte et emploi des sommes reçues par Mr J. Dubrocq, en qualité de Trésorier de l’armée Carliste de la Navarre et des Provinces Basques ».
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