2. S’appuyer sur l’autre : le cas de l’histoire
p. 167
Texte intégral
1En s’ouvrant aux autres vivants – les animaux mais aussi les plantes frappent à la porte –, l’histoire a besoin de s’appuyer sur les sciences de la nature, comme elle l’a fait autrefois avec les sciences humaines, et de le faire d’une manière programmée, pour des questions et par des travaux de longue haleine, permettant de renouveler en profondeur ses approches, ses méthodes et ses lectures. Ce qui n’empêche pas, bien au contraire, de fournir, en retour, des indications et des questions aux sciences enrôlées, voire des remises en cause.
2Fabrice Guizard, historien, a donc embarqué sur sa nef Fabienne Delfour, éthologue, afin de l’aider à regarder les dauphins médiévaux jaillir hors de l’eau parce qu’elle sait observer leurs descendants. Dans cette expédition au long cours, elle l’aide à retourner du côté des animaux dans les documents qu’il rassemble, confronte, critique, soulignant leurs modes de construction, leurs pièges, leurs limites, leur intérêt, afin, d’abord, de distinguer les dauphins des autres cétacés évoqués, de démêler le vrai du faux, puis de chercher les attitudes. Déjà, ils soulignent à quel point l’histoire peut progressivement déranger les convictions éthologiques actuelles, notamment à propos de répartitions géographiques ou de comportements, pointant du doigt leur variation ou remettant en cause leur explication.
3Engagé dans une longue recherche sur les animaux charognards urbains du xviiie siècle, Emmanuel Porte, historien, convoque régulièrement l’écologie afin de l’aider à les pister, en particulier les chiens errants. Pour retourner des documents qui évoquent surtout les réactions humaines, voire des interactions avec ces chiens, mais très peu l’implantation et la vie de ces derniers, il utilise les concepts et les approches de l’écologie à propos des communautés de vivants. Cela lui permet de poser des questions de biais, de repérer puis déceler des indices qui seraient restés dans l’ombre, de passer ingénieusement par l’étude préalable de la communauté anthropozoologique pour arriver ensuite aux chiens eux-mêmes et de produire ainsi des résultats inattendus, que beaucoup de chercheurs jureraient impossibles, comme cette carte de la répartition canine à Madrid.
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