1. Croisements chez les observateurs

1Si nous avons conclu le volume précédent1 en montrant qu’un témoignage doit être lu en recourant à de nombreuses disciplines, des deux bords, nous ouvrons celui-ci en prouvant qu’une observation, devenant aussi témoignage, peut être construite en croisant. Flora Souchard, littéraire, présente un cas qu’on qualifierait d’extrême parce que surprenant au regard de nos répartitions schématiques. En effet, il associe l’entomologie, perçue comme science froide du microscope, du scalpel, de la classification, à la littérature, l’approche jugée la moins scientifique, la plus chargée d’humain, portant le plus à la fable. Il est pourtant montré ici que cette littérature peut aider un naturaliste à voir, à dire, à transmettre une réalité complexe. D’aucuns diront qu’il ne s’agit que de Jean-Henri Fabre, honoré en son temps mais décrié aujourd’hui parce qu’il n’a pas intégré ses travaux dans l’optique évolutionniste qu’il rejetait. Cependant, il est encore lié aux successeurs actuels par sa pratique du terrain, tandis qu’une analyse semblable pourrait être tenue à propos de témoignages récents et célèbres, tels ceux des primatologues Jane Goodall et Dian Fossey2. Et le croisement fonctionne aussi en sens inverse, l’entomologie pouvant nourrir la littérature, comme il est montré avec Jacques Lacarrière, preuve d’un enrichissement mutuel, à l’opposé des craintes d’appauvrissement et de mise en péril des approches.