Un jansénisme provincial
|Annexes
Texte intégral
Annexe 1. Pierre du Cambout de Coislin, évêque d’Orléans, vu par Saint-Simon
1(Mémoires, éd. par Boislisle, Paris, Hachette, 1879-1930)
Sa nomination au cardinalat (1695). Son portrait (t. 2, p. 354-357).
2Monsieur de Paris [François de Harlay de Champvallon, archevêque de Paris] étoit mort à Conflans, au milieu du samedi 6 août ; le Roi ne le sut que le soir. Le lundi matin 8 août, le Roi étant entré dans son cabinet pour donner l’ordre de sa journée à l’ordinaire, alla droit à l’évêque d’Orléans, qui se rangea même, croyant que le Roi vouloit passer outre ; mais le Roi le prit par le bras, sans lui dire un mot, et le mena en laisse à l’autre bout du cabinet, aux cardinaux de Bouillon et de Fürstenberg, qui causoient ensemble, et tout de suite leur dit : « Messieurs, je crois que vous me remercierez de vous donner un confrère comme Monsieur d’Orléans, à qui je donne ma nomination au cardinalat. » À ce mot, l’évêque, qui ne s’attendoit à rien moins, et qui ne savoit ce que le Roi vouloit faire de le mener ainsi, se jeta à ses pieds et lui embrassa les genoux. Grands applaudissements des deux cardinaux, puis de tout ce qui se trouva dans le cabinet, ensuite de toute la cour et du public entier, où ce prélat étoit dans une vénération singulière.
3C’étoit un homme de moyenne taille, gros, court, entassé, le visage rouge et démêlé, un fort nez aquilin, de beaux yeux, avec un air de candeur, de bénignité, de vertu, qui captivoit en le voyant, et qui touchoit bien davantage en le connaissant. Il était frère du duc de Coislin, fils de la fille aînée du chancelier Séguier, qui, d’un second lit avec M. de Laval, avoit eu la maréchale de Rochefort. Le frère du chancelier étoit évêque de Meaux et premier aumônier de Louis XIII, puis de Louis XIV, dont il avoit eu la survivance pour son petit-neveu tout jeune, de manière qu’il avoit passé sa vie à la cour ; mais sa jeunesse y avoit été si pure, qu’elle étoit non seulement demeurée sans soupçon, mais que jeunes et vieux n’osoient dire devant lui une parole trop libre, et cependant le recherchoient tous, en sorte qu’il a toujours vécu dans la meilleure compagnie de la cour. Il étoit riche en abbayes et en prieurés, dont il faisoit de grandes aumônes et dont il vivoit. De son évêché, qu’il eut fort jeune, il n’en toucha jamais rien, et en mit le revenu entier tous les ans en bonnes œuvres. Il y passoit au moins six mois de l’année, le visitoit soigneusement, en faisoit toutes les fonctions épiscopales avec un grand soin, et un grand discernement à choisir d’excellents sujets pour le gouvernement et pour l’instruction de son diocèse. Son équipage, ses meubles, sa table sentoient la frugalité et la modestie épiscopales, et, quoiqu’il eût toujours grande compagnie à dîner et à souper, et de la plus distinguée, elle étoit servie de bons vivres, mais sans profusion et sans rien de recherche. Le Roi le traita toujours avec une amitié, une distinction, une considération fort marquée ; mais il avoit souvent des disputes, et quelquefois fortes, sur son départ et son retour d’Orléans ; il louoit son assiduité en son diocèse, mais il étoit peiné quand il le quittoit, et encore quand il demeuroit trop longtemps de suite à Orléans. La modestie et la simplicité avec laquelle Monsieur d’Orléans soutint sa nomination, et l’uniformité de sa vie, de sa conduite et de tout ce qu’il faisoit auparavant, qu’il continua également depuis, augmenta fort encore l’estime universelle.
Il reçoit la barrette (t. 4, p. 246-247)
4Le Cardinal de Janson arriva le 8 septembre à Versailles, et avec lui l’abbé de Barrière, camérier du Pape, avec la barrette du cardinal de Coislin, à qui le Roi la donna le lendemain, à sa messe. Quelques jours après, étant au lever du Roi, il lui demanda si on le verroit à cette heure avec des habits d’invention. « Moi, Sire, dit le nouveau cardinal, je me souviendrai toujours que je suis prêtre avant que d’être cardinal. » Il tint parole ; il ne changea rien à la simplicité de sa maison et de sa table, il ne porta jamais que des soutanelles de drap ou d’étoffe légère, sans soie, et n’eut de rouge sur lui que sa calotte et le ruban de son chapeau. Le Roi, qui s’en doutoit bien, loua fort sa réponse, et encore plus sa conduite, qui le mit de plus en plus en vénération.
L’affection du Roi pour lui (t. 4, p. 121-122)
5Mais pour ne plus revenir à cette tracasserie [un différend protocolaire sur une place à la chapelle royale avec le duc de La Rochefoucault], je dirai tout de suite comment elle finit. Le Roi, au fond, estimoit et aimoit Monsieur d’Orléans, et le montra bien par la façon si obligeante dont il lui donna sa nomination au cardinalat et par la considération qu’il lui avoit toujours constamment témoignée jusqu’à cette prétention de place au sermon. Il étoit donc peiné du cuisant déplaisir qu’il lui avoit fait, et il l’était encore de l’irréconciliable division que cela avoit mise entre deux hommes si principaux, si anciennement amis, et si continuellement autour de lui par leurs charges. La vacance du riche et magnifique siège de Metz parut au Roi un moyen d’apaiser Monsieur d’Orléans et de finir la discorde ; il y nomma l’abbé de Coislin [Henri-Charles du Cambout de Coislin, neveu de l’évêque d’Orléans] sans que ni lui ni aucun de sa famille eût songé à y penser. La surprise fut extrême : ils se croyoient tous bien éloignés des grâces, et l’abbé de Coislin encore plus éloigné d’aucun évêché […]. Dès qu’il [le futur évêque de Metz] fut prêtre, Monsieur d’Orléans, sans en dire un mot à son frère, pour lui éviter le chagrin du refus s’il en recevoit un, demanda au Roi la survivance de premier aumônier, et l’obtint sur-le-champ.
Sa mort. Portrait (t. 13, p. 250-258)
6Il se peut dire que l’affaire de Monsieur de Metz mit son oncle au tombeau. Elle l’avoit fait arriver d’Orléans, contre sa coutume, à Noël, et cette triste affaire s’étoit terminée avec toute sorte d’avantage pour Monsieur de Metz ; mais le cœur du cardinal de Coislin en avoit été flétri, et ne put reprendre son ressort : il ne dura que six semaines depuis. Tout à la fin de janvier, il fut arrêté au lit, et il mourut la nuit du 3 au 4 février [1706]. C’étoit un assez petit homme fort gros, qui ressembloit assez à un curé de village, et dont l’habit ne promettoit pas mieux, même depuis qu’il fut cardinal. On a vu en différents endroits la pureté de mœurs et de vertu qu’il avoit inviolablement conservée depuis son enfance, quoique élevé à la cour et ayant passé sa vie au milieu du plus grand monde, combien il en fut toujours aimé, honoré, recherché dans tous les âges, son amour pour la résidence, sa continuelle sollicitude pastorale, et ses grandes aumônes. Il fut heureux en choix pour lui aider à gouverner et à instruire son diocèse, dont il étoit sans cesse occupé. Il y fit, entre autres, deux actions qui méritent de n’être pas oubliées. Lorsqu’après la révocation de Nantes, on mit en tête au Roi de convertir les huguenots en force de dragons et de tourments, on en envoya un régiment à Orléans, pour y être répandu dans le diocèse. Monsieur d’Orléans, dès qu’il fut arrivé, en fit mettre tous les chevaux dans ses écuries, manda les officiers, et leur dit qu’il ne vouloit pas qu’ils eussent d’autre table que la sienne, qu’il les prioit qu’aucun dragon ne sortît de la ville, qu’aucun ne fît le moindre désordre, et que, s’ils n’avoient pas assez de subsistance, il se chargeoit de la leur fournir ; surtout qu’ils ne dissent pas un mot aux huguenots, et qu’ils ne logeassent chez pas un d’eux. Il vouloit être obéi, et il le fut. Le séjour dura un mois et lui coûta bon : au bout duquel il fit en sorte que ce régiment sortit de son diocèse, et qu’on n’y envoya plus de dragons. Cette conduite pleine de charité, si opposée à celle de presque tous les autres diocèses et des voisins de celui d’Orléans, gagna presque autant de huguenots que la barbarie qu’ils souffroient ailleurs. Ceux qui se convertirent le voulurent et l’exécutèrent de bonne foi, sans contrainte et sans espérance ; ils furent préalablement bien instruits, rien ne fut précipité, et aucun d’eux ne retourna à l’erreur. Outre la charité, la dépense, et le crédit sur cette troupe, il falloit aussi du courage pour blâmer, quoique en silence, tout ce qui se passoit alors, et que le Roi affectionnoit si fort, par une conduite si opposée. La même bénédiction qui la suivit s’étendit encore jusqu’à empêcher le mauvais gré, et pis, qui en devoit naturellement résulter.
7L’autre action, toute de charité aussi, fut moins publique, et moins dangereuse, mais ne fut pas moins belle. Outre les aumônes publiques, qui, de règle, consumoient tout le revenu de l’évêché tous les ans, Monsieur d’Orléans en faisoit quantité d’autres, qu’il cachoit avec grand soin. Entre celles-là, il donnoit quatre cents francs de pension à un pauvre gentilhomme ruiné qui n’avoit ni femme et enfants, et ce gentilhomme étoit presque toujours à sa table tant qu’il étoit à Orléans. Un matin, les gens de Monsieur d’Orléans trouvèrent deux fortes pièces d’argenterie de sa chambre disparues, et un d’eux s’étoit aperçu que ce gentilhomme avoit beaucoup tourné là autour : ils dirent leur soupçon à leur maître, qui ne le put croire, mais qui s’en douta sur ce que le gentilhomme ne parut plus. Au bout de quelques jours il l’envoya quérir, et, tête à tête, il lui fit avouer qu’il étoit le coupable. Alors Monsieur d’Orléans lui dit qu’il falloit qu’il se fût trouvé étrangement pressé pour commettre une action de cette nature, et qu’avoit grand sujet de se plaindre de son peu de confiance de ne lui avoir pas découvert son besoin. Il tira vingt louis de sa poche, qu’il lui donna, le pria de venir manger lui à son ordinaire, et surtout d’oublier, comme il le faisoit, ce qu’il ne devoit jamais répéter. Il défendit bien à ses gens de parler de leur soupçon, et on n’a su ce trait que par le gentilhomme même, pénétré de confusion et de reconnaissance. Monsieur d’Orléans fut souvent et vivement pressé par ses amis de remettre son évêché, surtout depuis qu’il fut cardinal ; ils lui représentoient que, n’en ayant jamais rien touché, il ne s’apercevroit pas de cette perte du côté de l’intérêt ; que, de celui du travail, ce lui seroit un grand soulagement, et que cela le délivreroit des disputes continuelles qu’il avoit avec le Roi et qui le fâchoit quelquefois, sur la résidence. En effet, lorsque Mme la duchesse de Bourgogne approcha du terme d’accoucher du prince qui ne vécut qu’un an, et qui fut le premier enfant qu’elle eut, le Roi envoya un courrier à Monsieur d’Orléans avec une injonction très expresse de sa main de venir sur-le-champ, et de demeurer à la cour jusqu’après les couches : à quoi il fallut obéir. Le Roi, outre l’amitié, avoit pour lui un respect qui alloit à la dévotion. Il eut celle que l’enfant qui naîtroit ne fût pas ondoyé d’une autre main que de la sienne, et le pauvre homme, qui étoit fort gras et grand sueur, ruisseloit dans l’antichambre, en camail et en rochet, avec une telle abondance, que le parquet en étoit mouillé tout autour de lui. Jamais il ne voulut entendre à remettre son évêché. Il convenoit de toutes les raisons qui lui étoient alléguées : mais il y objectoit qu’après tant d’années de travail dont il voyoit les fruits, il ne vouloit s’exposer de son vivant à voit ruiner une moisson si précieuse, des écoles si utiles, des curés si pieux, si appliqués, si instruits, des ecclésiastiques excellents qui gouvernoient avec lui le diocèse, et d’autres qui le conduisoient par différentes parties, qu’on chasseroit et qu’on tourmenteroit ; et pour cela seul, il demeura fermement évêque. On verra bientôt que ce fut une prophétie. Toute la cour s’affligea de sa mort, le Roi plus que personne, qui fit son éloge. Il manda le curé de Versailles, lui ordonna d’accompagner le corps jusque dans Orléans, et voulut qu’à Versailles et sur la route, on lui rendît tous les honneurs possibles. Celui de l’accompagnement du curé n’avoit jamais été fait à personne. On sut de ses valets de chambre, après sa mort, qu’il se macéroit habituellement par des instruments de pénitence, et qu’il se relevoit toutes les nuits, et passoit à genoux une heure en oraison. Il reçut les sacrements avec une grande piété, et mourut comme il avoit vécu, la nuit suivante. Dès le lendemain, le Roi manda par un courrier au Cardinal de Janson qu’il lui donnoit sa charge [de grand aumônier]. Ce fut pour lui un nouveau sujet d’empressement de retour, et au cardinal de Bouillon, un nouveau coup de massue. Monsieur de Metz qui arriva pour l’extrémité de son oncle, à qui il devoit tout, en parut le moins touché, et scandalisa fort toute la cour. Orléans fut donné à l’évêque d’Angers, Peletier, son père, écrivit au Roi de sa retraite, pour le supplier de dispenser son fils de cette translation ; le Roi, excité par Mme de Maintenon et par Monsieur de Chartres [l’évêque Paul Godet des Marais], le voulut absolument, et Saint-Sulpice, qui, avec sa grossièreté ordinaire, regardoit ce diocèse comme fort infecté, mais qui n’osoit encore le dire, fit accepter Monsieur d’Angers, dont son père fut très affligé. Il parut que Dieu n’approuva pas ce choix, par la mort du translaté, qui ne dura pas deux ans. La persécution étoit réservée à l’évêque d’Aire, frère d’Armenonville [Louis-Gaston Fleuriau d’Armenonville, évêque d’Orléans de 1706 à 1733] qu’un coup de soleil avoit achevé d’hébéter, et qui n’en revint jamais bien dans le long temps qu’il vécut depuis.
Coislin et le jansénisme (t. 19, p. 123)
8Le Roi, après avoir fort aimé le cardinal de Coislin et eu pour lui jusqu’à sa mort une estime déclarée qui alloit et très justement jusqu’à la vénération, se laissa aller depuis au P. Le Tellier, qui, pour fourrager à son plaisir le diocèse d’Orléans, de concert en cela avec Saint-Sulpice, persuada au Roi que ce cardinal étoit janséniste, et qu’il avoit mis en place dans son diocèse tous gens qu’il en falloit chasser. C’étoient des hommes du premier mérite en tout genre, et connus et goûtés comme tels, et qui étoient fort attachés au cardinal. Ils furent chassés et quelques-uns exilés. Tout le diocèse cria. Cela aigrit les persécuteurs, qui avoient Fleuriau, évêque d’Orléans, à leur tête : ils firent ôter la tombe du cardinal qu’on s’étoit accoutumé à y aller prier, et on empêcha avec violence ce pieux usage qui avoit commencé dès sa mort, et qui n’étoit qu’une suite de la constante réputation de toute sa vie. Monsieur de Metz, qui avoit protégé tant qu’il avoit pu ces ecclésiastiques chassés et exilés, perdit toute patience à l’enlèvement de la tombe de son oncle, surtout après en avoir fortement et inutilement parlé au Roi : il s’échappa en propos qui furent rapportés, et envenimés par ceux qu’ils regardoient le plus, et qui mirent le Roi de part dans leur querelle et leur ressentiment.
Annexe 2. Épitaphe projetée et non exécutée en l’honneur du cardinal de Coislin
9(trad. en français dans Micheline Cuénin, Un familier de Louis XIV. Le cardinal de Coislin, Grand Aumônier de France. Évêque d’Orléans [1636-1706], Orléans, chez l’auteure, 2007, p. 240-241)
Ci-gît l’Éminentissime Seigneur Pierre du Cambout de Coislin
Cardinal-prêtre de la sainte Église romaine
Du titre de la Sainte-Trinité-des-Monts
Évêque d’Orléans
Grand Aumônier de France
Commandeur des ordres du Roi
D’une illustre et vieille noblesse bretonne
Bien connu pour sa probité, sa bonne foi,
Sa modestie, son affabilité,
Sa bonté, la pureté de ses mœurs.
Toujours il s’est adjoint, comme collaborateurs
Pour les Églises qui lui étaient confiées, des curés pieux et sages,
Prêchant une saine doctrine pour instruire le peuple
Et, pour former des clercs et les entretenir, même à ses frais,
Des intendants compétents et des vicaires
Attentifs à remplir leur charge pastorale.
Toujours désireux de sauver la paix de l’Église,
Il apaisa les troubles
Et favorisa la concorde,
Animé par un amour de père, il donna à profusion aux pauvres
Et fit élever en cette ville un vaste hôpital pour les y accueillir.
Par son humanité bienveillante,
Il les aida à ne plus éprouver cette honte
Que le dénuement donne naturellement
À ceux qui sont nés en bon lieu.
Enfin il s’appliqua à se rendre utile à tous
Et à ne causer de tort à personne.
À cause de ces mérites, il fut très aimé de Louis le Grand,
Dont, dès l’enfance, il s’attira les faveurs de bonnes grâces,
Il fut très bien accueilli par tous les nobles de France
Qu’il s’attacha par son urbanité naturelle.
Il attira sur lui l’amour de très grands papes,
L’affection et les vœux de tout le collège des cardinaux,
Des nobles romains et du peuple lui-même.
Ne laissant que des regrets à tous les gens de bien,
Il mourut le 5 février 1706
À l’âge de 70 ans, ayant été évêque pendant quarante ans
Et cardinal pendant neuf ans.
Qu’il repose en paix.
Annexe 3. Élégie sur la mort de Mgr le cardinal de Coislin
10(Méd. d’Orléans, ms. 1361, p. 70)
Du Cambout ne vit plus, quelle triste nouvelle !
Quoy ce grand Cardinal dont l’âme étoit si belle,
Le cœur si bienfaisant, si droit, si généreux
Est au nombre des morts ; ah Troupeau malheureux,
Troupeau son bien aimé, que ton sort est à plaindre,
En perdant ton Pasteur, que n’as-tu pas à craindre.
Il te garantissait de la fureur des loups.
Qui pourra désormais te sauver de leurs coups ?
Qui prendra ta défense ? ira trouver le Prince
Pour suspendre, adoucir les maux de la province ?
Qui parlera pour toi dans les jours malheureux
Où les plus en crédit n’osent parler pour eux ?
Il faut un saint Évêque, il faut un tendre père,
Pour élever sa voix dans les temps de misère.
Il faut un de Cambout. Mais ô cruelle mort
Tu viens de le ravir, ce père, ce support,
Ce zélé protecteur, et ange tutélaire,
Ce patron si puissant, patron si nécessaire.
Orléans ne l’a plus. Où sera ton secours ?
O ville infortunée, où sera ton secours ?
………………………………………
Connais donc, Orléans, combien ta perte est grande !
Mais de tous les malheurs que pour toi j’appréhende
Voici le plus affreux, le plus à redouter
Et ce n’est qu’en tremblant que tu dois l’écouter.
Du Cambout, tu le sais, ami de la justice
Ne s’en écartait point pour suivre son caprice.
Libre de préjugez, et tout à Jésus Christ,
N’avait d’aucun parti ni le feu ni l’esprit.
On ne le vit jamais animé d’un faux zèle
Faire à l’homme de bien une guerre cruelle
Et pour un vain phantosme, inflexible Prélat,
Interdire et traiter un prestre en scélérat !
Des Évêques du temps telle et la Tyrannie,
Qui ne pense comme eux est digne d’infamie,
Ignorants, entêtés, dévots, capricieux,
La science les choque, c’est monstre à leurs yeux.
La plus pure vertu leur paroît fanatisme,
La foy la plus exacte un réel jansénisme.
Attends un tel prélat, malheureuse cité,
Il est déjà choisi par la société [les jésuites].
Elle a depuis longtemps juré de te détruire,
Le moment est venu d’être sous son Empire.
Paix, douceur, charité, justice, amour du bien
Vertus qui distinguez, qui formez le chrétien
Vous avez jusqu’ici régné dans notre ville.
Mais hélas ! il vous faut chercher un autre asile.
Vous ne fûtes jamais compagnon de l’aigreur,
Des troubles, de l’envie, et de cette fureur
Qui flétrit le savoir, proscrit le vrai mérite
Et dont est possédé tout prélat jésuite.
C’est toi seul, ô grand Dieu, qui peut nous préserver
De ces divers malheurs, prêts à nous arriver.
Donne-nous un Pasteur, prudent, doux, équitable,
Amateur du mérite, à Du Cambout semblable
Qui garde comme lui le dépôt de la foi,
Plein de la même ardeur, pour défendre ta loi
Contre les Partisans de la fausse morale
Sans craindre leurs clameurs, ni leur noire cabale,
Qui soit enfin si bon, si cher à son troupeau
Qu’il en soit honoré même dans le tombeau.
Annexe 4. Chanson nouvelle en l’honneur du chapitre de Sainte-Croix
11(Paul Ratouis, « Histoire intime d’un couvent d’ursulines. Les bourniquettes de Saint-Charles de la paroisse de Saint-Jean-le-Blanc-lez-Orléans [1562- 1770] », Mémoires de la Société archéologique et historique de l’Orléanais, 1892, t. 24, p. 589-591)
Air : Ton humeur est Catherine
Chantons aujourd’huy la gloire.
Du Chapitre orléanois
Et célébrons la victoire
Qui l’illustra pour jamais.
Momus, à nos vœux propice,
Lui donna son agrément
Pour exercer la police
Dans son fameux régiment.
Chacun aura sa province
Pour la régir à son gré,
Sans égard aux lois du Prince
Que méprise le clergé ;
Amis, cette troupe adroite
Va nous procurer la paix ;
Comme chats et chiens qu’on fouette
Nous vivrons tous désormais.
N’écoutons pas la critique
De ces esprits remuans
Qui traitent de fanatiques
Le refus des sacremens.
Il est clair, par l’entremise
De ces nouveaux magistrats,
Que des enfants de l’Église
Le lit fait des apostats.
De Cognou fut catholique,
Mais son corps, mal affecté,
Vient de le rendre hérétique
Sitot qu’il perd la santé.
Aux yeux de tout incrédule,
C’est un principe très vain ;
Pour les besoins de la Bulle,
C’est un oracle certain.
Aussy, suivant le Chapitre,
C’est aujourd’huy la santé
Qui forme le meilleur titre
De la catholicité.
Pour plaire aux enfants d’Ignace,
Dans son joyeux régiment,
Momus veut que l’on embrasse
Un sy sage sentiment.
Plus une Bulle est énorme,
Plus aussy notre clergé,
En voulant qu’on s’y conforme,
Montre son autorité ;
Avec raison, il fait rage ;
Sy l’on ne dit : « Je reçois »,
On éprouve le partage
Des mécréans d’autrefois.
Sans la croïance implicite
Des points indéterminés,
Il n’est point de vray mérite
Dans ces gens infortunés ;
Ce ne sont point des sornettes
Que produit un zèle amer ;
Amis, prenez vos lunettes
Si vous n’y voiez pas clair.
En vain l’Appelant s’explique
Conformément au bon sens ;
Pour les gens de notre clique,
Ses efforts sont impuissants ;
C’est en vain qu’il moralise
Pour prouver dévotement
Qu’il croit ce que croit l’Église ;
C’était bon anciennement.
Fust-il sage comme un ange,
Fust-il remply de vertus,
Sa foy sans aucun mélange
Ne luy sert pas d’un fêtu.
Vivant, il est catholique ;
Mais, s’il ne dit le franc mot,
La mort le rend hérétique
Et pire qu’un huguenot.
L’erreur de ces hérétiques
Est un poison très caché ;
Les plus habiles critiques
Sans le trouver l’ont cherché.
Mais, en vain, un Janséniste
Fait parade de sa foy,
Puisque son erreur consiste
Dans un certain Je ne sais quoy ?
On a garde, en notre clique,
Criant contre eux hardiment,
Que chacun est hérétique,
De dire en quoy ni comment ;
Car ces gens pleins de génie,
Accusés de quelque erreur,
Aussytost de calomnie
Convaincront l’accusateur.
À des refus salutaires
On a condamné tout net
De Cougnou les neuf confrères
Qui rejettoient le décret ;
Et tous ces vieux catholiques,
Suivant la foy d’Augustin,
Sont livrés dans nos rubriques
À leur malheureux destin.
Pourquoy, répond un critique,
Voyons-nous administrer
Icy le saint viatique
Qu’ailleurs on voit refuser ?
Lorsque, dans votre manie,
Vous donnez les sacremens
Au déiste, au vieil impie
Endurcy depuis vingt ans.
Chez nous, tel est hérétique
Qui, sans changer de foy,
Ailleurs seroit bon catholique
Et meme de bon alloy ;
L’un donne la sépulture,
L’autre en exclut hardiment ;
C’est une double mesure
Pour un mesme sentiment.
Mais, répond notre Chapitre
À cet impudent jaseur,
Vous n’etes qu’un vray bélitre
Aveuglez par votre erreur.
Il est clair, dans notre ville,
Que la catholicité
Se tire du domicile
Où le malade est gité.
C’est bien décidé, courage !
Chers amis capitulans,
Mais par la peur de l’orage
Ne faites pas les enfans.
Quoy ! tomber en défaillance
Ou s’enfuir honteusement,
Est-ce donc là la vaillance
Des héros du régiment ?
Par un excès de faiblesse
Pourquoy flétrir vos lauriers ?
Ne craignez pas la détresse,
Graves bénéficiers !
Sy l’aspect de l’indigence
A pu vous déconcerter,
Momus, par cette sentence,
Amis, veut vous rassurer.
Qu’on donne à chaque Chanoine,
Tous les jours, avec soin,
Ses deux picotins d’avoine,
Avec deux bottes de foin.
Sur d’abondantes litières
Qu’ils soient couchés mollement,
Attendant les étrivières
De Messieurs du Parlement.
Mais, quant aux six réfractaires
Aux décrets de nos Docteurs,
S’estant montrés de faux frères,
Ils n’auront pas nos faveurs.
Nous voulons que nos fourrages
Soient justement partagés
Aux quinze ou vingt personnages
Qui furent les plus zélés.
Annexe 5. Éloge du chapitre d’Orléans
12(Paul Ratouis, « Histoire intime d’un couvent d’ursulines. Les bourniquettes de Saint-Charles de la paroisse de Saint-Jean-le-Blanc-lez-Orléans [1562- 1770] », Mémoires de la Société archéologique et historique de l’Orléanais, 1892, t. 24, p. 591-593) et Arch. dép. du Loiret, 2 J 1882
(En pot-pourri)
Air : Les Pèlerins
Quand de Cougniou fut prêt à rendre
Son ame à Dieu,
Pour gaiment la route entreprendre
Vers le saint lieu :
Courrez, dit-il, mon cher neveu,
Chez mes confrères,
Et leur annoncer pour Adieu
Mes volontés dernières :
Air : Du Confiteor
Messieurs, je suis prest de ma fin.
Et je touche à ma dernière heure ;
A costé de St Augustin,
Je vas chercher une demeure ;
Mais, pour la plus grande sûreté,
Donnez-moi ce que vous savez.
Air : Je suis Madelon Friquet
Aussytost la poudre prend,
Voilà l’épouvante et l’alarme.
Aussytost la poudre prend,
Tout est en feu dans un instant !
L’autre est d’avis que l’on donne ;
On s’insulte, on se le rend ;
Enfin, après bien du temps,
Bien du bruit et bien du vacarme,
On fait silence un moment
Pour débiter le compliment.
Air : Sur un sopha
Messieurs, on va
Dans un moment vous suivre là !
Et l’on y verra ce que l’on fera
Sur cela là !
Air : Les Folies d’Espagne
Tel que la nuit autrefois les trois mages
Portèrent leurs pas au berceau du Seigneur,
Tel du Chapitre on voit les trois plus sages
S’acheminer vers le lit du Docteur ;
Air : Nous sommes précepteurs d’amour
Nous venons, dit le Président,
De la part de la Compagnie,
Bien fâché de votre accident,
Guérissez-vous, je vous en prie.
Air : Est-ce que cela se demande ?
Pour ce qui est du passeport
Que votre cœur désire,
Allez, mon cher, vous avez tort,
Ou bien vous voulez rire.
De vous faire un pareil refus,
Notre douleur est grande,
Mais sans Bulle Unigenitus
Est-ce que cela se demande ?
Air : Ah ! c’est une merveille
Taisez-vous, répond le mourant,
Car vous n’êtes qu’un ignorant
Et le Chapitre mesmement.
Ah ! c’est une merveille !
La raison
Du barbon
Icy se réveille.
Air : Monsieur le Prévost des marchands
Au surplus, sans tant de fracas,
Voulez-vous, ne voulez-vous pas ?
Ou donnez-moi sans anicroche
Mon sauf-conduit en paradis,
Ou je scauray bien, par le coche,
Le faire venir de Paris.
Air : Va-t-en voir s’ils viennent, Jean
Le compte fait et rendu
Du susdit message,
Tous encore ont répondu
Avec grand courage :
Va-t-en voir s’ils viennent, Jean !
Va-t-en voir s’ils viennent !
Air : Non, je ne feray pas
Cependant, de Soissons récemment arrivée,
Thémis, au premier bruit, s’arme de son épée,
L’étole sur le col, la mitre sur le front,
Nous allons voir beau jeu sy la corde ne ront !
Air : Du haut en bas
De par le Roy,
Suivant l’Ordonnance dernière,
De par le Roy,
Qui veut que l’on demeure quoy,
La Cour enjoint que le confrère
Reçoive au plutôt son affaire,
De par le Roy !
Air : Des Trembleurs
Mais quel horrible tapage !
Quel effroyable pillage !
On s’enfuit, on déménage !
Tous les huissiers sont icy ;
L’un grifonne, l’autre empoche,
L’un détend, l’autre décroche ;
On prend tout, jusqu’à la broche !
Hélas ! on a tout ravi !
Air : Reçois dans ton galetas
Redouble donc tes efforts ;
Prends, Thémis ; fais tout vendre ;
Mais nous avons des trésors
Que tu ne saurais surprendre ;
Et le vieux drille, en attendant,
N’en tâtera que d’une dent.
Air : Adieu, mon cher La Tulipe
Adieu donc, messieurs du Cloïtre,
Adieu, mon cher baton,
Adieu, ma chère maison,
Adieu, mon seigneur et maître ;
Je vais bientôt disparoitre
D’Orléans,
Pour courir les champs.
Air : Cousy cousa
On s’expose, on s’avance,
On s’acharne au combat,
Devisa,
Dans la douce espérance
Que le Roy surviendra :
Et cousy cousa cette heure-là,
Le bel espoir que voilà !
Air : Ton humeur, Catherine
Enfin, à la pauvre Bulle,
Désormais qui s’y fiera,
Baromètre ridicule,
Tantost haut et tantost bas,
Ton équivoque influence
N’a que trop agi sur nous ;
Va chercher loin de la France
D’autres sots et d’autres fous.
Robbé de Beauveset
Annexe 6. Consultation calottine au chapitre d’Orléans. Au sujet de l’arrêt du Parlement du 29 août 1755
13(Arch. dép. du Loiret, 2 J 1882)
Nous railleurs Dieu de la Calotte
Dont le sceptre est une marotte,
SALUT à vous Hommes sçavans,
Gens du Chapitre d’Orléans,
Dont les noms, l’honneur & la gloire
Seront au Temple de Memoire
Gravés, & chers à nos Sujets,
Qui tous admireront vos Faits,
Ce ferme & généreux Délire
Si célébré dans notre Empire,
Par lequel avez constamment
Fait nargue au premier Parlement,
En vous exposant à la berne
Pour l’amour d’une Baliverne.
Bien est-il vrai qu’il a son tour,
Dont il vous cuira plus d’un jour.
Il fait vuider votre Escarcelle,
Vous réduit tous à la Gamelle,
Et louant ce qu’avez proscrit,
Il flétrit ce qu’avez écrit.
Colbert, supportez la disgrâce ;
Er regardez comme une grace
De n’être pas plus maltraité.
Heureux vraiment d’avoir chanté
Bien à temps la Palinodie !
Sans quoi plus grande ignominie
N’auroit que trop tombé sur vous ;
Mais vous avez paré les coups.
Se dédire est chose legere
Pour sortir de mauvaise affaire.
Hüard bien aimé Calottin,
Conservez cet esprit mutin
Qui tant fit au Chapitre rage,
Et qui gêna plus d’un suffrage.
A ce coup faut agir de cœur,
Et supporter avec vigueur
La rude & pesante escourgée
Qui contre vous est infligée.
D’Imbercourt, d’Hillerin, Vallet,
Vous voilà donc à tapis net,
Sans pain, sans titre, sans demeure ?
Chacun de vous lamente & pleure.
Rappellez votre fermeté.
Quoi donc ? auriez-vous regretté
Une conduite aussi sensée,
Aux poids de la raison pesée ?
Galamment cachez vos douleurs ;
Que les ris succedent aux pleurs.
Fameux Pavard, grasse victime,
Vous qu’un beau zèle inspire, anime
Ainsi que tous les Décrétés,
Non moins aveugles qu’entêtés,
On voit aisément à vos mines
Qu’on a renversé vos cuisines
En vous ôtant vos revenus :
Ça vous rend tout-à-fait camus.
De necessité faites gloire.
Jeûner est œuvre méritoire :
Mais jeûnant ayez l’air joyeux.
Tout Calottin est orgueilleux,
Inflexible dans le malheur,
Et se roidit avec hauteur.
Or donc Chapitre si prudent,
Sans fléchir montrez-vous constant.
Plus d’un gauffreur en rit dans l’ame,
Et tout haut vous donne le blâme,
Disant : « Il va baisser le ton
« Ce Chapitre si rodomont.
« En vain par de belles requêtes,
« Des faux-fuyans & des courbettes
« Il tentoit d’obtenir pardon :
« C’étoit trop tard. S’agit-il donc
« De parler avec arrogance,
« Scandaliser toute la France
« En persécutant les mourans
« Pour maintenir ses sentiments :
« Puis pour désarmer la Justice
« User d’un nouvel artifice,
« En se jetant à ses genoux,
« Usant de termes humbles, doux,
« Et disant : hélas ! j’ai mal fait.
« Oh ! il faut punir le forfait.
« En usant par trop d’indulgence
« On favorise l’insolence. »
Ces discours sont suivis de ris
Qui ne sont que trop applaudis :
Cependant, loin de vous abattre,
Loin de gémir, faut vous ébattre.
Cessez de paroître étonnés,
Egayer vos airs consternés,
Imitez le fameux Cynique ;
Aux faux rieurs faites la nique :
Il vous faut toujours les braver,
Dussiez-vous de dépit crever.
Mais vous avez certains Confreres
Confesseurs zélés, peu sevères,
Grands prêcheurs de rebellion,
De qui la saine opinion
Dite brusquement et sans crainte
Vous a mis dans le labyrinthe :
Vous trouverez dans leurs discours
À vos maux d’assurés secours.
Et vous Sinson, Seurrat, d’Autroche,
Cher Trio, dont la raison cloche,
Qui ne cessez de déclamer
Contre un jugement si amer,
Assemblez vos jeunes Dévotes,
Ces cervelles frêles & falottes,
Dans la commune affliction
Cherchez la consolation
Amusez les de l’espérance
De voir bien-tôt tourner la chance ;
Et si vous vous plaignez du sort,
Jamais n’avouez votre tort.
À votre tour gentes fillettes,
Vous qu’ont bercé de leurs sornettes
Ces Directeurs trop peu discrets,
De vos Soins qu’ils soient les objets.
Calmez leurs Ames affligées ;
Et que leurs douleurs partagées
Entre eux & vous, cessent enfin.
Quand bien même l’Amour malin
Se mêleroit de la Partie,
Bon, ce seroit plaisanterie !
Voit-on pas jeunes Confesseurs
Et maints jeunes & tendres cœurs
Lier entre eux si forte chaine
Qu’on ne peut la rompre sans peine ?
Donné le jour que le Sénat,
En foudroyant avec éclat
Le Schisme naissant dans la France,
Mit un frein à la Pétulence
De ceux qui méprisent les Loix
Et désobéissent aux Rois.
Annexe 7. Nécrologe de Saint-Loup. Religieuses mortes sans sacrement
14(Arch. dép. du Loiret, 1 Mi 312)
15Jeanne-Edmée Chopin du Saint-Esprit, 30 ans, 17 de religion, décédée le 14 septembre 1728.
16Olympe de Châtillon, abbesse, 45 ans, 24 de religion, décédée le 2 avril 1731.
17Louise Guérin de Sainte-Dorothée, 82 ans, 58 de religion, décédée le 1er octobre 1731.
18Anne de Chantemesle de Saint-Maur, 63 ans, 45 de religion, décédée le 23 septembre 1734.
19Françoise Rivière de Sainte-Madeleine, 65 ans, 19 de religion, décédée le 5 avril 1735.
20Marie-Espérance de La Gueule de Saint-Joseph, 53 ans, 33 de religion, décédée le 13 juin 1736.
21Marguerite Jumeau de Sainte-Angélique, 74 ans, 53 de religion, décédée le 26 avril 1739.
22Louise Le Tellier de Jésus, 54 ans, 46 de religion, décédée le 25 mai 1741.
23Espérance Huguet de Saint-Alain, 65 ans, 46 de religion, décédée le 26 mai 1741.
24Marie Coquart de Saint-Albéric, 49 ans, 26 de religion, décédée le 22 novembre 1741.
25Claude-Élisabeth de Saint-Augustin, 46 ans, 30 de religion, décédée le 26 décembre 1741.
26Catherine Marin de Saint-François, 82 ans, 64 de religion, décédée le 11 février 1742.
27Antoinette-Louise Bullai de Sainte-Geneviève, 69 ans, 50 de religion, décédée le 9 juin 1744.
28Charlotte-Suzanne Le Normand de Sainte-Agathe, 75 ans, 55 de religion, décédée le 20 mai 1745.
29Marie-Charlotte Guimont de Saint-Louis, 86 ans, 64 de religion, décédée le 21 juin 1747.
30Françoise de La Barre de Sainte-Thérèse, 68 ans, 33 de religion, décédée le 30 novembre 1747.
31Suzanne Deshaut de Sainte-Félicité, 54 ans, 34 de religion, décédée le 8 mars 1748.
32Marie de Chantemesle de la Présentation, 85 ans, 68 de religion, décédée le 7 décembre 1748.
33Marguerite Margat des Anges, 92 ans, 60 de religion, décédée le 19 septembre 1752.
34Henriette Colleau de Sainte-Marie, 80 ans, 51 de religion, décédée le 22 janvier 1753.
35Marguerite Bastard de Saint-Basile, 63 ans, 39 de religion, décédée le 8 mars 1753.
36Claude Chollet de Sainte-Yolande, 64 ans, 42 de religion, décédée le 3 mars 1754.
37Denise Dorge de Saint-Laurent, converse, 61 ans, 34 de religion, décédée le 16 mars 1754.
38Marie-Françoise Moret de Sainte-Pulchérie, 71 ans, 42 de religion, décédée le 14 juin 1755.
Annexe 8. Éloge funèbre de Georges Vandebergue de Villebouré
39(Méd. d’Orléans, ms. 976, pièce 74)
- 1 Le 12 avril 1777 mourut le lieutenant général du bailliage Henri-Gabriel Curault, écuyer, seigneur (...)
- 2 Le 30 juillet 1777. Sépulture à Saint-Paul.
- 3 Charles Cuissard, qui insère ce nécrologe dans sa Bio-biographie du Loiret, à la suite de ceux de F (...)
40La ville d’Orléans qui depuis quelques mois a eu la douleur de se voir enlever par la mort un grand nombre de citoyens du premier ordre1, vient d’en perdre un des plus respectables dans la Personne de M. Vandebergue de Villebouré, Conseiller Secrétaire du Roi, ci-devant Échevin et Président actuel du Tribunal Consulaire, décédé le 30 du mois dernier2. De grandes vertus ennemies de toutes espèces d’éclat et de prétention ; des talens utiles, que sa modestie, portée jusqu’à l’humilité la plus profonde, n’ont pu dérober à la connaissance et à l’estime du public ; de grandes œuvres de charité qui font bénir sa mémoire, et rendent sa perte irréparable ; une piété solide et tendre qui fait, jusqu’au dernier moment de sa vie, sa gloire et son bonheur ; une simplicité de mœurs et une candeur, égales à la bonté de son âme : tels étaient le vrai caractère et les qualités éminentes de cet homme rare, que nous appellerons un Grand’homme, parce qu’aux yeux de la Religion et de la Raison, il n’y en a pas d’autre que l’homme juste et bienfaisant. Terminons ce faible éloge d’un Citoyen précieux qu’on ne peut trop regretter, parce qu’il a toujours été parmi nous, l’image de la vertu, et qu’il n’a fait que du bien sur la terre. La vénération et le respect de tous les Ordres de Citoyens, les larmes de tant de familles indigentes dont il était le soutien ; les cris de tant de pauvres, inconsolables d’avoir perdu leur père. Voilà l’Oraison funèbre la plus sublime, la plus touchante et la seule qui soit digne de M. de Villebouré. Ainsi peut-on lui donner cet épitaphe : Cy gist l’exemple des riches, le père des pauvres3.
Annexe 9. Éloge de M. Vandebergue de Villebouré par Étienne-Pierre Brasseux
41(Mémorial à ses enfants, p. 84-85)
42La ville qui depuis quelques mois, avait la douleur de se voir enlever par la mort un grand nombre de très excellents citoyens, en a perdu l’un des plus respectables le 30 de ce mois en la personne de M. Vandeberghe de Villebouré, conseiller secrétaire du roi, ci-devant échevin et président actuel du tribunal consulaire De grandes vertus ennemies de toutes espèces d’éclat et de prétention ; des talens utiles, que sa modestie, portée jusqu’à l’humilité la plus profonde, n’ont pu dérober à la connaissance et à l’estime du public ; de grandes œuvres de charité qui font bénir sa mémoire, et rendent sa perte irréparable ; une piété solide et tendre qui fait, jusqu’au dernier moment de sa vie, sa gloire et son bonheur ; une simplicité de mœurs et une candeur, égales à la bonté de son âme : tels étaient le vrai caractère et les qualités éminentes de cet homme rare, que nous appellerons un Grand homme, parce qu’aux yeux de la religion et de la raison, il n’y en a pas d’autre que l’homme juste et bienfaisant. Il faut terminer ce faible éloge d’un citoyen précieux qu’on ne peut trop regretter, parce qu’il a toujours été parmi nous, l’image de la vertu, et qu’il n’a fait que du bien sur la terre. La vénération et les respects de tous les ordres de citoyens, les larmes de tant de familles indigentes dont il était le soutien, les cris de tant de pauvres, inconsolables d’avoir perdu leur père, font un éloge funèbre le plus sublime et le plus touchant et le seul qui soit digne du mérite de Mr de Villebouré. J’avais l’honneur d’en être connu. Nous avions été ensemble au Bureau des marchands fréquentant pendant quatre ou cinq ans, pendant que ce Bureau subsistait, et je puis me glorifier de sa confiance dont il m’a donné des preuves non équivoques dans quelques occasions, surtout à l’occasion d’une famille désolée poursuivie vivement par des créanciers et dont, sur ma sollicitation, il soutint le crédit et empêcha la ruine totale par sa bienfaisance.
43Cette perte est d’autant plus grande qu’il faut des siècles entiers, pour former, pour le bien de l’humanité, un homme si rare ; il peut se trouver d’aussi belles âmes, mais bien peu qui puissent joindre à la haute fortune de Mr de Villebouré un désir et un moyen si pressant de faire de si prodigieuses libéralités.
44Bonum virum facile crederes, magnum libenter (Tacite, dans Vita Agricola)
45[On le prenait aisément pour un homme de bien, et volontiers pour un grand homme]
46Épitaphe : Ci-gît l’Exemple des Riches, le Père des Pauvres.
47Le consulat assista à son convoi, précédé du garde-Bureau, avec l’uniforme de la cinquantaine, son mousqueton bas et passé sous le bras gauche ; les consuls en petit manteau et rabat, étaient suivis des conseillers, aussi en manteau et rabat, le procureur syndic suivait, en manteau et rabat. Quatre anciens présidents et qui avaient été échevins portaient les cordons du poêle.
Annexe 10. Mémoire sur les vertus et la vie de Mr Vandebergue de Vilbouré
48(Bibliothèque de la Société de Port-Royal, CP 27 ms.)
49Heureux le riche qui a été trouvé sans tache, qui n’a point couru après l’or, et n’a pas mis son espérance dans l’argent ni dans les trésors ! Qui est celui-là ? Nous ferons son éloge, et toute l’assemblée des Saints publiera les aumônes qu’il a faites (Eccl 31, 8).
50Le 30 juillet 1777, la ville d’Orléans perdit un de ses plus précieux citoyens, qui a été pendant toute sa vie un modèle de vertu pour tous les âges et tous les états, le soutien des pauvres, la consolation des affligés, la joie des personnes de piété, les délices de sa famille, et l’admiration de tous ceux qui le connaissaient.
- 4 Georges Vandebergue de Villebouré (1696-1767), petit-fils de Georges, le fondateur.
51Monsieur Georges Vandebergue de Villebouré4, secrétaire du Roi, ancien Échevin et Président actuel de la jurisd. consulaire.
- 5 Il hérita de la raffinerie de Saint-Paul, de la charge de contrôleur des guerres, de la propriété d (...)
52Il eut pour père Mr de Villebouré, riche négociant, encore plus recommandable par ses vertus chrétiennes que par ses grandes richesses, dont il sut faire un si saint usage qu’il a mérité le nom de père des pauvres. Mr son fils eut le bonheur, ce qui n’est pas ordinaire, d’hériter des vertus en même temps que des biens de son respectable père5.
53Instruit dès ses premières années dans les solides principes de la Religion, formé par les mains et les exemples d’un père chrétien, et d’une famille dont plusieurs ont édifié et édifient encore Orléans par leur piété et leurs bonnes œuvres, il marcha toujours d’un pas ferme dans la voie des commandements de Dieu, sans donner dans ces écarts auxquels la jeunesse est souvent emportée par son peu d’expérience et par la violence des passions que semble autoriser le torrent des usages du monde. Aussi ceux qui l’ont connu dès ses plus tendres années, sont persuadés qu’il a toujours conservé l’innocence de son Baptème. C’est le témoignage que lui rendait il y a plus de trente ans le pieux Maitre qui avait été chargé de son éducation.
- 6 L’aversion des jansénistes pour les spectacles est un trait caractéristique.
54La lecture des Livres Saints, des prières réglées aux différentes heures du jour, des conversations sages et intéressantes, et surtout qui avaient rapport à la Religion, commencèrent dès lors à faire ses délices dans les heures de liberté que lui laissait le travail de son négoce, auquel il s’est toujours fait un devoir comme un plaisir de s’occuper, instruit par le Saint Esprit que l’homme est né pour le travail, que celui qui ne veut pas travailler ne doit pas manger. Il a avoué plusieurs fois que c’était à cet amour du travail, qu’il était redevable du bonheur qu’il avait d’avoir été préservé des dangers des divertissements profanes, des compagnies et des spectacles auxquels on ne le vit jamais6 ; il les avait en horreur ainsi que les chansons et les livres contre les mœurs et la Religion. Sa récréation était quelquefois de chanter les louanges de Dieu sur un petit orgue, ou de se promener dans son jardin avec quelqu’un de ses amis. Ses conversations étaient utiles et édifiantes, et il ne pouvait souffrir aucun discours contre la Religion, contre l’État et la réputation du prochain.
- 7 Paroisse Saint-Paul.
- 8 Cette insistance sur l’assiduité aux offices publics n’est pas une règle générale chez les jansénis (...)
55Sa paroisse7 était pour lui un lieu de plaisance ; il y était assidu aux divins Offices ; il aimait, suivant l’esprit de l’Église dont il connaissait les anciennes et saintes pratiques, à unir sa voix au chant du Clergé, et à suivre les prières communes préférablement à des dévotions particulières qui détournent des offices publics, plus propres à amuser qu’à nourrir la piété. Il croyait que Dieu a attaché des grâces spéciales aux prières communes récitées en esprit d’union et de charité8. Pénétré de respect pour les lieux Saints et anéanti devant la Majesté du Dieu qui y réside, il édifiait tous ceux qui le voyaient prier, chanter, écouter la parole de Dieu, et recevoir la victime Sainte avec toute la dévotion que peut inspirer une vive foi de la présence réelle ; ce qu’il faisait souvent les Dimanches, aux fêtes des Mystères, et à celles en l’honneur de la sainte Vierge pour laquelle il avait une tendre et solide dévotion, la faisant consister non dans des pratiques purement extérieures, mais dans la fidélité à observer les commandements de son divin Fils, se souvenant des paroles de cette sainte Mère des Chrétiens : Faites tout ce qu’il vous dira.
- 9 Sa première épouse, Marie-Thérèse Miron (27 novembre 1724-30 juillet 1762), lui apporta 33000 livre (...)
56S’il fut un si beau modèle pour les jeunes gens qui vivent dans le célibat, il n’en fut pas moins admirable pour ceux que Dieu appelle à l’état de mariage. Sa foi qui présidait à toutes ses démarches lui fit rechercher dans une épouse, non les richesses9, les agrémens et les avantages temporels, mais un bon caractère et une solide piété qui puissent lui être un puissant secours pour se sanctifier dans un engagement où l’on a la douleur de voir faire naufrage à la piété de plusieurs.
- 10 Marie-Thérèse Miron fut enterrée à Saint-Paul le 30 juillet 1762.
- 11 Le 8 mars 1765, par-devant Jullien, notaire à Orléans, eut lieu la liquidation successorale avec le (...)
57Dieu qui éprouve toujours ceux qui sont sincèrement à lui, permit que Mr de Villebouré vécut saintement avec sa pieuse épouse pendant près de vingt ans sans avoir d’enfans. Il eût alors la douleur de la perdre10, et donna en cette occasion des preuves de son désintéressement et de sa générosité dans la manière dont il fit avec les héritiers de la défunte le partage des biens de la communauté, quoiqu’il n’eût reçu que peu de biens11.
- 12 Georges Vandebergue épousa le 21 novembre 1763, à Ascoux, Anne-Élisabeth Prouvansal de Saint-Hilair (...)
- 13 Georges Vandebergue de Villebouré, baptisé à Saint-Paul le 2 février 1765, enterré à Notre-Dame-de- (...)
58Il contracta dans la suite une seconde alliance qui ne fut pas moins affligeante pour un mari si chrétien, la mort l’en ayant encore séparé au bout de deux ans12, lui donnant cependant la consolation d’avoir un fils qu’il put élever dans la crainte de Dieu13. Aussi y a-t-il employé tous ses soins et ses prières avec ses bonnes œuvres, que Dieu paraît avoir béni par les heureuses dispositions qu’on remarque dès l’âge de 12 ans dans ce précieux rejetton d’une famille si édifiante et si précieuse à l’État.
- 14 Outre la raffinerie, ce fils hérita de son père d’une maison à Orléans, rue des Charretiers, appelé (...)
- 15 Marie-Madeleine (1724-1795) et Claude-Charité (née en 1726), épouse d’Augustin-Clément de La Borde.
59Cet enfant étant tombé dangereusement malade il y a deux ou trois ans. Le père plein de foi était tout disposé à faire le sacrifice de ce cher Isaac. Toute son inquiétude était sur le sort de son fils dans un âge où on est capable d’offenser Dieu mortellement, non seulement par des actions visiblement mauvaises dont il avait confiance que sa bonne éducation l’avait préservé, mais par l’omission des devoirs essentiels de la créature envers son Créateur. C’est ainsi que pensait un homme plein de foi. On ne sera pas surpris après cela qu’un sujet de crainte pour ce père si digne d’être proposé pour modèle à toutes les personnes riches, était de laisser de trop grands biens à son fils14 qu’il travaillait tous les jours à enfanter à J. C. par d’humbles et ferventes prières. Il a déclaré quelques jours avant sa mort à ses pieuses sœurs15, que voyant un Dimanche son fils à l’Église devant lui à la Ste messe, il avait demandé à Dieu de tout son cœur de donner une solide piété à son fils.
- 16 Augustin-Clément de La Borde.
- 17 Voir n. 773.
60On a lieu de croire qu’une prière si chrétienne soutenue par tant d’aumônes et de bonnes œuvres a été favorablement écoutée par quelques traits d’heureux présages qu’on remarque dans le jeune homme depuis la mort de son père, un grand respect pour lui, regardant même ses habits comme des reliques, et se trouvant heureux de porter un habit qui avait été à l’usage de son père, beaucoup de confiance et de docilité pour un précepteur qui peut lui être très utile par sa prudence, ses lumières et sa piété, ainsi que Mr son oncle16 et Melles ses tantes17 avec qui il vit comme du vivant de son père, le commerce se faisant en son nom.
- 18 Nous retrouvons ici l’éthique du travail et de sa récompense, l’argent gagné par l’effort et non le (...)
- 19 Une monnaie d’or. On le voit, comme dans l’exemple qui suit, on a ici « un bon pauvre » qui mérite (...)
61Voici un fait qui fit beaucoup de plaisir au respectable défunt, et qui donne lieu de bien espérer du fils. – Quelque temps avant sa mort, la famille étant à la campagne, le fils rencontra dans sa promenade un pauvre presque nud qui lui demanda l’aumône. Le jeune homme tira de sa bourse et lui donna un louis qui était la récompense d’un exercice qu’il avait fait dans la maison paternelle, à la grande satisfaction de tous les assistants18. Le pauvre, touché par un trait aussi édifiant, surpris qu’un enfant lui eût donné si abondamment, vient à la maison exposer au père l’appréhension où il était que Mr son fils ne se fût trompé dans l’aumône qu’il lui avait faite en lui montrant la pièce19. Le père bien content de l’un et de l’autre, fait venir son fils, lui demande ce qu’il a fait de son louis. – Mon père, je l’ai donné à un pauvre. – Pourquoi lui tant donner, mon fils ? Il était presque nud, et quand je lui aurais donné 24 sous, à quoi cela lui aurait-il servi ?
62Une autre fois, en donnant à un pauvre, le jeune homme lui dit : – Mon ami, priez pour moi, car je suis un grand pécheur… – Monsieur, répondit le pauvre, si vous êtes pécheur, mettez votre confiance en J. C. qui est venu sauver les pécheurs et a promis de regarder comme fait à lui-même ce qu’on donne au pauvre. – Le jeune homme touché de cette édifiante réponse, tira sa bourse et lui donna tout ce qu’il avait.
- 20 Ce fils mourut à vingt-cinq ans le 14 mars 1790, suivi dans la tombe le 31 par son fils Augustin-Ai (...)
63On prie ceux qui liront ce trait d’unir leurs prières à celles de la pieuse famille de Mr de Villebouré pour obtenir de Dieu les heureux fruits qu’on a lieu d’attendre de ces semences de bénédiction par l’intercession de ce saint père20.
64Le propre caractère de Mr de Villebouré et la vertu qui a le plus éclaté en lui, et qui peut lui mériter le glorieux titre d’aumônier dont plusieurs l’ont qualifié, est une charité singulière envers les pauvres fondée sur un désintéressement admirable et une tendre compassion que le grand nombre des misérables, ni la grandeur de leurs besoins n’ont jamais effrayé. – Il n’est pas possible de faire le détail des libéralités presqu’incroyables de ce pieux négociant. La pauvreté était un titre pour avoir entrée chez lui et mériter son attention. Il descendait dans le détail des besoins de ceux qui avaient la confiance de recourir à lui. Il donnait aux hôpitaux, aux dames de charité, aux curés des paroisses de la ville et de la campagne, souvent plus qu’on osait lui demander ; fournissait à des marchands ruinés de quoi rétablir leurs affaires, relevait des familles que des infortunes ou la misère des temps avait réduit à la mendicité, prêtait à une infinité de gens souvent des sommes considérables pour les mettre à couvert des poursuites de leurs créanciers ; il prenait des lettres de change, il en avançait les fonds, ou il en endossait pour faciliter le commerce.
65Qui pourrait compter le nombre des veuves et des orphelins qu’il nourrissait ; tous ceux qu’il a vêtus, dont il payait les loyers, qu’il assistait et faisait panser dans leurs maladies, qu’il envoyait même aux eaux de Bourbon où il entretenait six ou sept lits. Ceux qui en ont eu connaissance sont étonnés qu’un seul homme ait pu faire tant de bien, et ne peuvent s’empêcher de reconnaître la vérité de cette parole d’un Père de l’Église, que quand la charité règne dans un cœur, elle lui fait faire des choses qui paraissent incroyables.
66Ce qui relève encore ce tableau de la vie de notre saint négociant, ce sont les sentiments de bonté, de générosité et d’humilité qui accompagnaient les secours qu’il procurait. Sensible à la misère de tous ses frères, il croyait leur avoir obligation du bien qu’il faisait.
67Instruit qu’un de ses parents retranchait à un particulier dont il connaissait le besoin et la probité, pour l’engager à continuer cette bonne œuvre, il offre de donner cinquante écus si l’autre en veut faire autant. Ce dernier après quelques remerciemens accepte cinquante écus à titre de don et cinquante autres à titre de prêt sous son cautionnement, demandant 6 ans de temps. – Oh ! que vous me faites plaisir, Mr de me procurer une occasion de vous obliger, s’écrie Mr de Villebouré. – Le parent vivement attendri par un trait de charité si héroïque, ne peut retenir ses larmes.
68Une pauvre veuve de campagne lui paraissant triste et affligée, son cœur en fut pénétré. – Il lui demanda le sujet de sa peine. Hélas ! Monsieur, répondit-elle en pleurant, des créanciers me poursuivent et me forcent de vendre un petit bien que me fait vivre. – Combien vous faut-il ma bonne ? – 60 francs répondit-elle, me tireraient d’embarras. – Il lui donne sur le champ. La bonne veuve se trouvant ensuite en état de rapporter les 60 francs à son bienfaiteur. Il les refuse dans la crainte de la gêner ; mais sur ses instances il prend 30 francs en lui disant : Gardez le reste pour vous mettre plus à votre aise.
69Une autre veuve exposant à son Procureur la difficulté qu’elle avait de trouver 300# [livres] pour compléter un payement dont le défaut allait la ruiner, lui dit qu’elle pensait à recourir à la charité de Mr de Villebouré. – Vous ferez bien, lui dit le Procureur ; mais ne dites point que je vous y envoye. – Il écoute avec bonté l’exposé de ses affaires, s’informe du Procureur qui était le sien, et de la vérité des faits. Sur le bon témoignage qu’il lui donne, il mande la veuve et lui donne les 300# qu’elle promet de lui rendre dans un an. Fidèle à sa parole, elle retourna dix mois après chez Mr de Villebouré lui rendre ces 300#. – Je ne vous remets pas Mme. Mr vous m’avez prêté il y a dix mois 300# sur le témoignage de Mr K. – Je ne vous ai point prêté. – Contrainte de remporter son argent, elle va trouver le Procureur pour lui conter la chose. – Que vous a dit Mr de Villebouré, lui demanda le Procureur ? – Mr, il m’a dit qu’il ne m’avait rien prêté. Eh bien, reprit-il, c’est qu’il vous l’a donné.
70Une marchande de drap à qui il avait prêté 1200 francs lui avait mis en gage pour 6000# de galons. Les affaires de cette dame ayant manqué entièrement, il n’a pu retirer que très peu de chose ; mais ayant appris qu’elle était dans Paris fort à l’étroit, il lui a envoyé les galons pour l’aider à vivre.
71Mr de Villebouré a éprouvé qu’en faisant le bien on est exposé à être trompé. Une personne ayant contrefait une lettre de change de 12 000# sous le nom d’un marchand, on la lui présenta, et la fausseté ayant été reconnue, le faussaire allait être poursuivi criminellement, mais le pieux négociant ne cherchant qu’à s’enrichir pour le Ciel, arrêta l’affaire en payant les 12000#.
72Sa charité qui prévenait les besoins des pauvres honteux, pour leur diminuer la peine qu’on sent naturellement d’exposer ses besoins, n’était pas moins attentive à dérober aux yeux des autres la connaissance du bien qu’il faisait, ne cherchant à plaire qu’à celui qui voit ce qui se passe dans le secret, il n’appréhendait rien tant que de recevoir sa récompense en ce monde, et c’était lui faire de la peine que de lui faire des louanges et des complimens.
73Quelqu’intime que fut l’union que formait le sang et la vertu entre lui et Melles ses sœurs, elles ignoraient cependant une grande partie des bonnes œuvres de Mr leur frère, si ce n’est celles qu’il faisait par leurs mains, ou à leur recommandation. Il avait des personnes de confiance à qui il remettait des sommes pour les appliquer avec prudence aux besoins des indigents.
74Reconnaissant qu’un chef de famille en est en quelque façon l’Évêque, et qu’il n’est pas moins obligé à faire servir Dieu par ceux qui lui sont soumis qu’à le servir lui-même, il n’admettait au nombre de ses domestiques et ouvriers de sa raffinerie, dont le nombre allait à plus de cinquante, que des personnes instruites de la Religion, et dont les mœurs et la conduite fusent réglées. Il n’y souffrait ni ivrognes, ni jureurs, ni mal parlant. Lorsque quelqu’un manquait à un devoir essentiel, il le reprenait une ou deux fois, et s’il ne se corrigeait pas, il le congédiait. On peut dire qu’ils le respectaient et l’aimaient comme leur père ; aussi les traitait-il comme ses enfans, en santé comme en maladie, étendant ses soins paternels jusques sur les familles de ceux qu’il savait en avoir besoin. Le grand âge ou l’infirmité ne l’empêchaient point de les garder toujours au nombre de ses ouvriers, recommandant qu’on n’exigeât d’eux que ce que leurs forces leur permettraient de faire. S’il les voyait se reposer, il ne leur disait rien ; mais seulement dans la crainte qu’il n’y eût de leur part quelque paresse qu’il ne voulait point autoriser par son silence, il mettait la main à l’ouvrage devant eux pour les y animer par son exemple. Il était infatigable, et il n’y avait que l’infirmité qui pût l’empêcher de se trouver à la tête de ses travaux ou au cabinet. La maison de Mr de Villebouré était donc non un monastère, mais une maison religieuse qui pourrait servir aujourd’hui de modèle à bien des monastères. L’ordre y était fidèlement observé par le maitre qui en montrait l’exemple. On faisait tous les jours la prière commune à tous les ouvriers dans la rafinerie. Tous les Dimanches et fêtes tous les ouvriers se rassemblaient le matin sur les huit heures pour y entendre la lecture de l’Épitre et de l’Évangile de la bouche de leur maitre, ou à son défaut d’une autre personne qui tâchait de leur en faire comprendre les vérités par des applications familières. On peut dire que le zèle et la charité avec lesquels il le faisait, ne contribuait pas peu à les faire aimer et pratiquer.
75Pour sa vie particulière, elle était simple et réglée, marchant toujours en la présence de Dieu que sa foi lui faisait voir en tout, et auquel on peut dire qu’il rapportait toutes ses actions sans peine ni contrainte, parce que l’amour en était le principe. Sa table ne ressentait ni le faste, ni la somptuosité. Son habillement, ses meubles, sa voiture étaient honnêtes, mais sans superfluité. Il savait garder les règles d’une exacte sobriété dans les repas de famille ou assemblées de ville auxquelles il ne pouvait se dispenser de se trouver. Si l’infirmité l’empêchait d’observer les abstinences et les jeûnes prescrits par l’Église, il ne manquait pas d’y suppléer par des prières et de plus abondantes aumônes. Sa foi lui faisait connaître tout le prix de sa qualité de chrétien, qu’il soutenait si bien par sa vie, il était exact à en remercier Dieu le jour anniversaire de son Baptême, y entendant la Sainte Messe et s’occupant de lectures analogues à ce grand bienfait et y ajoutant des aumônes.
76Mr de Villebouré avait deux sœurs, dont l’une est mariée. Comme ils avaient tous les mêmes sentimens, et, pour me servir de la parole de l’Écriture qui était leur règle, un cœur et une ame, ils vivaient ensemble dans la même maison, et mangeaient à la même table. Sa mort n’a apporté aucun changement dans cette société.
- 21 Les raffineurs possédaient tous des vignes aux environs d’Orléans et les ouvriers étaient employés (...)
77S’il se plaisait à faire bâtir, c’était pour occuper et faire gagner la vie à des ouvriers et les mettre en état de soutenir leur famille, avançant souvent de l’argent à ceux qui n’étaient pas en état d’attendre que l’ouvrage fût fait. Il les payait si généreusement que c’était à qui travaillerait pour lui. Il en usait de même envers les ouvriers qu’il employait, ainsi que ses jardiniers, vignerons21. Aussi est-il amèrement regretté de tous.
78Comme la décoration et l’ornement des Églises peut servir dans l’état de faiblesse où nous sommes qui nous rend dépendant des sens, Mr de Villebouré se faisait un plaisir d’y contribuer, surtout à celle de sa paroisse.
79Mais il avait une dévotion encore plus utile à la Religion, on peut même dire à l’État qui a intérêt d’avoir de bons citoyens qui puissent par leur industrie et leur bonne conduite contribuer au bien de la communauté ; c’était de faire élever un assez grand nombre de pauvres enfans de l’un et de l’autre sexe, et leur faire apprendre ensuite des métiers. La foi qui était le flambeau qui éclairait tous ses pas, le rendait attentif à faire choix des Maitres et Maitresses dont la vertu et la piété ainsi que les instructions donnaient lieu d’espérer qu’en formant de bons citoyens, ils en feraient en même temps de vrais chrétiens. Car il était vivement affligé du peu de soin qu’on a d’élever la jeunesse, ce qu’il regardait comme la source des dérèglemens, de la mauvaise foi qu’on voit malheureusement inonder tous les états.
80Pour y remédier autant qu’il pouvait, et en empêcher le progrès, il aimait à établir des Écoles chrétiennes, surtout dans les lieux où il avait du bien, et y placer de bons maitres et de bonnes maitresses. Il était occupé d’un de ces établissements dans une paroisse considérable, gémissant sur l’ignorance des enfans qui n’avaient aucune connaissance de la Religion. Mais la mort l’a enlevé malheureusement trop tôt pour cette bonne œuvre, ainsi que pour beaucoup d’autres. Il avait aussi un grand soin de répandre en différents endroits des Nouveaux Testaments et autres bons livres de piété, ne cherchant qu’à étendre la connaissance de J. C. dont il connaissait tout le prix.
81Il chérissait ses élèves comme ses enfans. Il aimait à en recevoir de temps en temps des lettres, et y répondait avec une bonté et une tendresse vraiment paternelle, toujours pour les porter à la piété et à l’amour de la vertu. Il se plaisait à entendre ce qu’ils avaient appris de mémoire et à voir leurs petits travaux qu’il louait et récompensait volontiers ; mais il était obligé de se faire violence quand il était obligé de faire des réprimandes.
82Mr de Villebouré est une preuve incontestable, que la piété est utile à tout. Modèle de tous ceux qui l’ont connu, dans la jeunesse, l’état de mariage, dans la viduité, dans le négoce, il ne l’a pas moins été de ceux qui sont chargés de rendre la justice, il a possédé plusieurs charges considérables, et on peut dire qu’il en a été moins honoré, qu’il ne les a honorées, il en a toujours rempli les devoirs avec un zèle, une intégrité et des lumières qui faisaient l’admiration de ses respectables collègues.
- 22 Jacques du Coudray, chevalier de Saint-Louis, maire de 1771 à 1773. Il avait succédé à Raymond Mass (...)
83Après la mort du dernier Maire de Ville [Mr Du Coudray22], le vœu des citoyens était que l’on put lui donner pour successeur Mr de Villebouré. Cet homme si juste et si équitable était l’arbitre des différents, la terreur des processifs et de tous les gens de mauvaise foi. Assis sur les fleurs de lis pour y rendre la justice selon les lois, on l’a souvent entendu employer les paroles de l’Évangile pour arrêter la passion des créanciers impitoyables et déconcerter la mauvaise foi des débiteurs infidèles, toujours zélé pour la gloire de son Dieu, le service de son Roi et l’intérêt de sa patrie.
- 23 Giovanni Vincenzo Antonio Ganganelli (3 octobre 1705-22 septembre 1774), élu pape le 19 mai 1769. L (...)
84Un cœur aussi chrétien que celui de Mr de Villebouré ne pouvait manquer d’être sensible aux intérêts de l’Église, puisque selon St Augustin, on n’a l’esprit de J. C. qu’autant qu’on aime l’Église. Il sentait la grandeur des maux qui l’affligent depuis si longtemps sans qu’on puisse en voir le remède. Il en gémissait en mêlant ses larmes et ses prières à celles de l’Épouse agitée d’une si furieuse tempête. Il travaillait à éveiller J. C. qui paraît endormi, lui disant souvent avec les disciples : Seigneur, sauvez-nous, nous périssons. Qui pourrait exprimer la douleur que lui ont causé les scandales dont la ville d’Orléans a été d’une manière particulière le théâtre, les Sacremens refusés aux plus édifiants membres de J. C., pendant qu’on les prodigue à des indignes, la vérité combattue par ceux qui en devraient être les défenseurs, les enseignemens abominables dont on infecte ceux qui se destinent à être la lumière des fidèles. Qu’est-ce que l’amour pour la paix et l’union de ses frères ne lui a pas fait faire, soit en parlant, soit en écrivant, pour étouffer un nouvel orage qui fait à Orléans le sujet actuel de la douleur des vrais enfans de l’Église. Il semble que Dieu en le retirant sitôt ait voulu lui épargner la douleur d’en voir les suites vraiment affligeantes. La lecture de la vie et des admirables lettres de Clément XIV23 de sainte mémoire a pénétré son âme vraiment chrétienne de la plus grande amertume, en voyant la perte irréparable que cause à l’Église la mort de ce Saint Pontife, que Dieu n’a fait que montrer au monde. Il était lié de cœur avec ceux que Dieu s’est réservé pour la défense de sa vérité opprimée. Il tenait à grand honneur de les avoir à sa table, de leur donner l’hospitalité et de leur donner tous les secours qui dépendaient de lui. Il se faisait un devoir de lire les Nouvelles ecclésiastiques afin de s’instruire des maux de l’Église, et d’y admirer avec reconnaissance les marques visibles de la protection de Dieu toujours subsistante.
- 24 La paroisse Saint-Paul.
85Son attachement à la vérité ne lui faisait rien perdre du respect qui est dû aux ministres qui ont eu le malheur de l’abandonner, ou même de la persécuter, distinguant toujours le caractère dont ils sont revêtus, du personnage qu’ils font. C’était l’affliger que d’en parler devant lui sans retenue. Il aimait mieux en parler à Dieu par les ferventes prières qu’il lui adressait pour eux, comme pour tous les supérieurs spirituels et temporels. Aussi sa douceur et sa modération lui ont elles mérité le respect de ceux mêmes qui lui étaient le plus opposés de sentimens, et tous n’ont pu s’empêcher de publier ses louanges, comme on le voit par l’éloge de Mr le Curé de sa paroisse en annonçant sa mort, et un service solennel pour le bienfaiteur de sa paroisse24, ce qui lui a été commun avec beaucoup d’autres.
86On ne peut rien dire de plus honorable pour Mr de Villebouré, que ce que nous lisons d’une sainte veuve : Il était estimé de tout le monde parce qu’il avait une grande crainte du Seigneur, et jamais aucun discours n’a terni sa gloire ; et si quelqu’un avait été assez téméraire pour le faire, de qui aurait-il été écouté ? Sa réputation répandait tellement la bonne odeur de J. C. par la modestie, la douceur et la bonté qui étaient peintes sur son visage, qu’on se trouvait heureux de le rencontrer et de pouvoir le saluer. C’est ce qu’on sait en particulier d’un père de famille, qui sans jamais lui avoir parlé, ni en avoir reçu aucun bienfait, éprouvait en lui ces sentimens sur la haute idée que lui en avait donné tout le bien qu’il en avait entendu dire.
87Le bruit de la maladie de cet honorable citoyen jeta toute la ville dans la consternation à la vue de la perte qu’elle allait faire. Cette courte maladie était une goutte remontée à la tête, qui en le frappant, lui ôta toute connaissance. Au bout de deux jours elle fut suivie d’une mort qu’on peut appeler subite, mais non imprévue, mais précieuse aux yeux du Seigneur. Elle fait le sujet des larmes de tous les bons citoyens, dont on peut assurer qu’il n’y ait eu aucun qui ne l’ait regretté.
88Un homme de bien disait à un parent du défunt qui le regrettait : – Oh ! quelle gloire votre respectable cousin s’est acquise par ses vertus. Tout le monde le regrette et fait son éloge. Sa mémoire est en bénédiction. Elle est gravée dans les cœurs par l’amour et la reconnaissance ; elle y vivra longtemps. C’est le plus beau modèle qu’on puisse proposer aux amateurs d’une gloire immortelle, et en particulier à un fils bien aimé d’un si tendre père. On espère le voir revivre en lui, ce qui fait la consolation des bons citoyens, et de tant de familles indigentes dont il était le soutien.
89Le convoi a été très nombreux. Mrs. du Consulat accompagnèrent le corps de leur Président. Quatre anciens Échevins et Consuls portaient les coins du poële, suivis d’une multitude de parens, amis et citoyens de tous les ordres. Une grande affluence de peuple bordait le passage, tous s’entretenaient des vertus du défunt et de ses aumônes. L’Église se trouva remplie comme un jour de grande fête. Mais rien n’était plus attendrissant et ne parlait plus éloquemment à la louange du défunt, que les gémissements et les larmes des ouvriers et des pauvres qui étaient inconsolables d’avoir perdu le meilleur des maîtres et le plus tendre des pères.
Annexe 11. Éloge funèbre de M. Claude Vandebergue de Villiers
90(Méd. d’Orléans, ms. 976, pièce 85, no 1445)
91Le 14 du présent mois de novembre 1783 Mr de Vandebergue, négociant & Échevin de cette ville, a été ravi dans la fleur de son âge à ses parents inconsolables & à des concitoyens auxquels ses vertus rendront à jamais sa mémoire chère et précieuse. Un esprit cultivé par d’excellentes études, une conversation ornée et intéressante, une connaissance étendue des lettres et des arts le faisaient aimer de quiconque le fréquentait ; mais quel lustre n’ajoutait pas à ces aimables qualités, une belle âme et un heureux naturel.
92Issu d’une famille qui jouit de l’estime universelle, parce que chacun de ses membres [un mot illisible] avec surtout une vive inclination à obliger, une bienfaisance généreuse ; une tendre commisération pour les pauvres ; la réunion de ces heureux dons du ciel semblait faire le caractère distinctif du citoyen heureux dont nous déplorons la mort subite et imprévue.
- 25 Outre Robert Vandebergue de Villiers (1756-1794) et Claude Vandebergue de Champguérin (1769-1815), (...)
93Tendre époux, excellent père, amy sur, qui pourrait rendre les charmes que goutait dans sa compagnie une épouse qu’un rare mérite, rehaussé par une rare modestie, rend supérieure à tout éloge ; des enfants qu’il aimait d’un amour vraiment paternel, et dont il était singulièrement chéry25 ; des amis dans le sein desquels son âme ouverte et ingénue aimait à s’épancher avec cette émouvante gaîté qui est le fruit de la paix de l’âme et du calme de la conscience.
94Admis dans le corps municipal par le suffrage unanime de ses concitoyens, suffrage vraiment flatteur parce qu’il est le fruit de leur estime, tout ce qui le flatte dans cette honorable fonction fut de pouvoir coopérer au bien public avec ce même zèle qui anime ses dignes collègues. Tant d’heureuses qualités étaient marquées au sceau du respect sincère pour la religion, dont il observait les devoirs avec cette humble mais noble simplicité qui annonce une âme pénétrée des vertus qu’elle enseigne. Heureuse sa respectable famille, si le témoignage de la vive douleur de tous les ordres de citoyens et l’intérêt universel qu’ils prennent à son affliction, peuvent sinon fermer du moins adoucir celle plaie qui saignera longtemps dans le cœur de ses parents et dans toute âme honnête et sensible qui aura été honorée de son amitié.
Annexe 12. Généalogies des familles Vandebergue et Sarrebourse
Notes
1 Le 12 avril 1777 mourut le lieutenant général du bailliage Henri-Gabriel Curault, écuyer, seigneur de Malmusse, conservateur des privilèges de l’université, en poste depuis 1728 ; il avait succédé à son père. Le 17 juillet disparut Jacques du Coudray, chevalier de Saint-Louis, maire de 1771 à 1773 et réélu en mars 1777.
2 Le 30 juillet 1777. Sépulture à Saint-Paul.
3 Charles Cuissard, qui insère ce nécrologe dans sa Bio-biographie du Loiret, à la suite de ceux de Foncemagne, l’académicien, mort le 27 septembre 1779, de Guillaume-François Le Trosne, le physiocrate, mort le 26 mai 1780, de l’abbé de Condillac, mort le 3 août 1780, de Jérôme-Jean Égrot du Lude, trésorier de France, de Mme de La Giraudière, de Mangot, curé de Saint-Paterne, remplace la dernière phrase par « Bonum virum facile crederes, magnum libenter. Tacit in vita Agricola ».
4 Georges Vandebergue de Villebouré (1696-1767), petit-fils de Georges, le fondateur.
5 Il hérita de la raffinerie de Saint-Paul, de la charge de contrôleur des guerres, de la propriété de L’Archette à Olivet, d’un grand jardin à Orléans.
6 L’aversion des jansénistes pour les spectacles est un trait caractéristique.
7 Paroisse Saint-Paul.
8 Cette insistance sur l’assiduité aux offices publics n’est pas une règle générale chez les jansénistes. Elle ne va pas dans le sens du développement des dévotions domestiques, pratiquées aussi bien par certains « amis de la vérité » que par leurs adversaires proches des jésuites ou de Saint-Sulpice, qui font l’objet du dernier chapitre de l’ouvrage de Gaël Rideau, De la religion de tous à la religion de chacun…, op. cit., p. 279-339.
9 Sa première épouse, Marie-Thérèse Miron (27 novembre 1724-30 juillet 1762), lui apporta 33000 livres de dot, ce qui n’est pas excessif. Contrat de mariage du 18 octobre 1745 par-devant Poullin, notaire à Orléans (Arch. dép. du Loiret, 3 E 10545).
10 Marie-Thérèse Miron fut enterrée à Saint-Paul le 30 juillet 1762.
11 Le 8 mars 1765, par-devant Jullien, notaire à Orléans, eut lieu la liquidation successorale avec les héritiers de Marie-Thérèse Miron. Georges Vandebergue leur céda la métairie du Grand-Villiers, près d’Angerville, qu’il avait acquise le 13 décembre 1760.
12 Georges Vandebergue épousa le 21 novembre 1763, à Ascoux, Anne-Élisabeth Prouvansal de Saint-Hilaire, baptisée à Saint-Pierre-Empont le 31 octobre 1741. Morte des suites de ses couches, elle fut enterrée à Saint-Paul le 15 février 1765.
13 Georges Vandebergue de Villebouré, baptisé à Saint-Paul le 2 février 1765, enterré à Notre-Dame-de-Recouvrance le 14 mars 1790. Il fut raffineur comme son père, et propriétaire en Beauce. Il épousa sa cousine Flore Vandebergue.
14 Outre la raffinerie, ce fils hérita de son père d’une maison à Orléans, rue des Charretiers, appelée Le Besnard, achetée le 14 août 1767 à François Le Trosne, d’une autre maison à Orléans rue Saint-Laurent, La Salmon, achetée le 3 février 1772, d’une maison à Saint-Jean-le-Blanc, la Petite-Motte acquise le 28 novembre 1775, de la terre des Quatre-Vents à Olivet acquise de Claude-Élisabeth Vandebergue (1713-1793), tante de l’acheteur, le 21 décembre 1762. En novembre 1781, il fit construire une maison sur le pont, à côté de celle des commis, au coin de la rue de Recouvrance.
15 Marie-Madeleine (1724-1795) et Claude-Charité (née en 1726), épouse d’Augustin-Clément de La Borde.
16 Augustin-Clément de La Borde.
17 Voir n. 773.
18 Nous retrouvons ici l’éthique du travail et de sa récompense, l’argent gagné par l’effort et non le superflu du gosse de riche.
19 Une monnaie d’or. On le voit, comme dans l’exemple qui suit, on a ici « un bon pauvre » qui mérite l’aumône du jeune Georges/saint Martin, par son sens moral.
20 Ce fils mourut à vingt-cinq ans le 14 mars 1790, suivi dans la tombe le 31 par son fils Augustin-Aignan (né le 6 septembre 1786). Un autre fils, Georges-Augustin, était mort quelques jours après sa naissance (6-19 novembre 1785). Les prénoms laissent à penser que le jansénisme continuait à inspirer la religion de la famille. Par son testament du 13 mars 1790, Georges fils laissait une rente de 60 livres au supérieur des dominicains d’Orléans et 6000 livres en legs pieux : 3000 livres aux pauvres de Saint-Paul, sa paroisse de naissance, 1200 à ceux de Notre-Dame-de Recouvrance, sa paroisse de sépulture, 1200 à ceux de Saint-Laurent, paroisse voisine, 100 à ceux d’Olivet où il était possessionné, 50 à ceux des paroisses de Teillay-Saint-Benoît (il y avait acheté en 1787 la métairie, terre et fief de Mauregard), Saint-Germain-le-Grand, Boisville-le-Saint-Père (il y possédait depuis 1790 la métairie de Mainville, échangée contre la terre des Quatre-Vents à Olivet), Yèvre-le-Châtel, Guillonville (il y avait acquis en 1783 la métairie de Gaubert) et Bazoches-en-Dunois (il y possédait la métairie de La Melonnière). Ces dons doivent être mis en regard du total de la succession, en actif 1045543 livres, dont 516543 pour l’immobilier, et 564207 livres de passif. Voir Gérard Héau, Généalogie et histoire…, op. cit.
21 Les raffineurs possédaient tous des vignes aux environs d’Orléans et les ouvriers étaient employés aux vendanges. L’article 3 du Reglement pour notre rafinerie… (Arch. dép. du Loiret, 11 J 206) est ainsi rédigé : « Le jour des vendanges on payera à chaque engagé [c’est le terme qui désigne les ouvriers], 20 sols 9 den[iers] qui avec les 19 sols 3 den[iers] qu’il recevra à l’ordinaire font les 40 sols qu’on donne d’usage. Les journaliers recevront moitié.
Nota. Nous nous réservons de donner plus, suivant la satisfaction que nous aurons des ouvriers. »
22 Jacques du Coudray, chevalier de Saint-Louis, maire de 1771 à 1773. Il avait succédé à Raymond Massuau. Il redevint maire en 1777 mais mourut en charge la même année.
23 Giovanni Vincenzo Antonio Ganganelli (3 octobre 1705-22 septembre 1774), élu pape le 19 mai 1769. L’événement essentiel de ce court pontificat fut la suppression de la Compagnie de Jésus par le bref Dominus ac Redemptor du 21 juillet 1773. Georges Vandebergue a pu lire La vie du pape Clément XIV (Ganganelli) publiée en français en 1776 par Louis-Antoine de Caraccioli, avec de prétendues lettres du pontife. La véritable correspondance de Clément XIV n’a été publiée qu’en 1837. Clément XIV, ancien franciscain, conserva l’esprit de son ordre, simplicité, recueillement, mépris des pompes attachées à la fonction, tous traits qui ne pouvaient que plaire aux jansénistes.
24 La paroisse Saint-Paul.
25 Outre Robert Vandebergue de Villiers (1756-1794) et Claude Vandebergue de Champguérin (1769-1815), Claude Vandebergue de Villiers laissait trois autres enfants, Suzanne (1758-1832), épouse en 1776 de Crignon d’Ouzouer (1755-1826), Isaac (1763-1835) et Flore (née en 1766), épouse de son cousin Georges Vandebergue de Villebouré (1765- 1790).
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