La voix au Moyen Âge
La voix et le pouvoir : entre ordre et désordre
Φωνή, γλῶττα, φϑέγμα… Entre parole et éloquence : la voix des basileis dans la Chronographie de Michel Psellos
Φωνή, γλῶττα, φϑέγμα… Between Speech and Eloquence: The voices of the Baseleis in the Chronographia of Michel Psellos
Résumé
La voix des empereurs byzantins reste difficile à cerner à partir des sources. La Chronographie de Michel Psellos constitue sans doute une exception, à la fois car elle couvre une période relativement longue (976-1078), mais aussi car ce dernier fut contemporain d’une majorité des basileis qu’il y décrit. Les références à la voix des souverains y sont multiples. Si elles renvoient à une forme d’autorité, elles s’inscrivent plus largement dans la description du corps des empereurs. Or celle-ci obéit souvent à des topoi qui puisent notamment à des interprétations physiognomoniques. Les inflexions ou modulations de voix permettent néanmoins de se rapprocher davantage de la véritable voix des basileis. Elles tranchent de ce fait avec la voix attendue de ces derniers, ou avec leur silence protocolaire. Elles invitent en outre à une relecture des moments de transmission de pouvoir, en révélant par les jeux vocaux qui s’y déroulent les enjeux politiques importants qui les sous-tendent.
Texte intégral
- 1 Constance Head, « Physical Descriptions of the Emperors in Byzantine Historical Writing », Byzantio (...)
1La voix des empereurs byzantins se laisse difficilement saisir au regard de la documentation dont dispose l’historien. Sur les quatre-vingt-huit empereurs qui se sont succédé entre la fondation officielle de Constantinople, le 11 mai 330, et sa chute en mai 1453, un seul se voit affublé d’un surnom renvoyant à sa voix et à ses perturbations d’élocution, Michel II le Bègue (820-829). Si l’on ne manque pas de descriptions personnelles des basileis – principalement grâce aux sources narratives –, peu de données filtrent pourtant sur cette caractéristique physique. Les chroniqueurs byzantins se concentrent davantage sur d’autres aspects, comme le visage, les cheveux ou la pilosité1. Il est vrai que tous ne sont pas contemporains des empereurs qu’ils décrivent, qu’ils ne les ont donc pas nécessairement côtoyés de près et que le but de leur propos est souvent ailleurs.
- 2 De multiples travaux modernes ont été consacrés à sa personne et à son œuvre ; certains seront ment (...)
- 3 Frederick Lauritzen, The Depiction of Character in the Chronographia of Michael Psellos, Turnhout, (...)
2À ce titre, comme pour d’autres raisons, le célèbre auteur du xie siècle Michel Psellos fait figure d’exception notable. Souvent présenté comme un philosophe, il fut plus largement un polygraphe de talent. Ses écrits couvrent un spectre large et, en raison des panégyriques et discours qu’il a rédigés, il est considéré comme l’un des plus grands rhéteurs byzantins2. Il fut en effet un homme de cour qui sut faire preuve d’opportunisme et conserver place et influence auprès de différents basileis en un temps, le second tiers du xie siècle, où nombreux furent ceux d’entre eux qui connurent des revers de fortune et perdirent la magistrature suprême. La Chronographie (Χρονογραφία), son principal récit de nature historique, couvre la période entre 976 et 1078. Psellos en est en grande partie contemporain, puisqu’il est né à Constantinople en 1018. De ce fait, sa description de la cour, de la vie politique et des empereurs est jugée précise et crédible, au moins à partir de la fin des années 1030 – même si elle n’est pas dénuée de conventions et de parti pris. Les médiévistes disposent, avec ce long texte, de descriptions physiques et psychologiques de plusieurs basileis auprès desquels Psellos a vécu3.
- 4 Michael Grünbart, « Euglottia – Sprechen als Statusindikator in der mittelbyzantinischen Zeit », Fr (...)
3Ces mentions méritent d’autant plus analyse que la voix des empereurs, mais aussi leur parole et leur niveau de langue ou d’expression, n’a pas été éludée par le chronographe. Ses propos nous invitent à les relever et à en donner une lecture critique afin de saisir les enjeux qu’implique leur mention, voire leur description. Sans esquiver le fait que la distinction entre la voix, donnée naturelle ou innée, et la langue, qui témoigne, elle, d’une certaine maîtrise intellectuelle donc d’un acquis, demeure souvent délicate, une attention spécifique pourra être portée jusqu’aux inflexions et modulations de certaines voix, mais aussi au(x) silence(s). Assurément, ces mentions invitent à quelques comparaisons avec d’autres basileis et d’autres chroniqueurs, antérieurs comme postérieurs. Elles rappellent combien la voix et l’éloquence ont souvent partie liée à Byzance, précisément dans le cas des élites4.
La voix impériale entre idéal et réalités
4La Chronographie de Michel Psellos propose une belle moisson de références à la voix des basileis, depuis celle de Basile II jusqu’à celle de Michel VII Doukas. Elle témoigne, on va le voir, d’une certaine culture grecque qui n’est pas sans poser des questions ni dresser quelques obstacles à leur interprétation par l’historien.
- 5 Michel Psellos, Chronographie ou histoire d’un siècle de Byzance (976-1077), éd. et trad. par Émile (...)
- 6 Ibid., t. 2, p. 175 (traduction légèrement modifiée).
- 7 Ibid., t. 2, p. 31.
- 8 Ibid., t. 1, p. 118-119 ; notons que ces différences sont, pour Psellos, le reflet inverse de l’âme (...)
5Psellos avance ainsi qu’un empereur comme Romain III déployait « une voix pleine de majesté » (τὸ φϑέγμα ὑπόσεμνος) associée à « une parole délicate » (ἁβρός τε τὴν γλῶτταν)5. Plus tard, Michel VII est lui gratifié d’un « ton de voix harmonieux et bien rythmé » (ὁ τε τῆς φωνῆς τόνος ἐμμελής τε καὶ εὔρυϑμος)6. Constantin IX Monomaque n’a sans doute rien à leur envier puisqu’un véritable « charme s’attachait à sa conversation7 ». Les deux princesses porphyrogénètes, Zoé et Théodora, avec qui s’achève le lignage macédonien au sommet du pouvoir impérial et dont le rôle politique fut indéniable – particulièrement pour la seconde qui régna seule en 1055-1056 – ne sont pas oubliées. Il assure que la seconde en particulier « bavardait d’une voix experte et vive » (δοκίμῳ καὶ διεγηγερμένῃ φωνῇ) alors que la première avait « une langue [γλῶττα] plus lente à l’exposition8 ».
- 9 Les deux termes, φωνή et γλῶττα, sont interchangeables, car si φωνή a le plus souvent le sens de « (...)
- 10 Psellos, Chronographie, op. cit., t. 1, p. 56.
- 11 Ibid., t. 1, p. 125.
- 12 Ibid., t. 2, p. 53.
- 13 Ibid., p. 31.
- 14 Ibid., p. 33.
- 15 Michaelis Pselli Orationes panegyricae, éd. par George T. Dennis, Stuttgart/Leipzig, B. G. Teubner, (...)
- 16 Théophylacte d’Achrida, Discours, traités et poésies, éd. et trad. Paul Gautier, Thessalonique, Ass (...)
6On notera au passage combien, assez souvent sous la plume de Psellos, la voix est associée à la parole9, à son maniement, autrement dit à l’aisance vocale et oratoire de ces empereurs – passant ainsi de l’inné à l’acquis. La voix experte et vive de Théodora renvoie autant à un haut débit de paroles qu’à cette maîtrise du discours. De son côté, preuve de sa rapidité d’esprit soulignée par Psellos, Michel IV s’exprimait lui aussi avec vivacité10. Pour un autre empereur comme Constantin IX déjà évoqué, seules les capacités rhétoriques semblent importer, sans réelle précision sur sa voix en tant que telle par Psellos. Il est ainsi présenté comme « plein de grâce dans le discours » ou comme un souverain qui « parle avec une élégance supérieure à tous les autres »11. Il le démontre avec éclat, toujours d’après Psellos, face à ceux de sa cour qui provoquent sa colère par leurs propos maladroits : il en triomphe grâce à « une langue très exercée » et en déployant « un grand luxe de paroles » pour mieux les confondre12. Signe de l’intérêt porté par le polygraphe à cette question, ce dernier précise encore que « sa langue avait une parole pleine d’urbanité » (ἥ τε γὰρ γλῶσσα τούτῳ ἀστεῖον εἶχε τὸ φϑέγμα)13. Cette mention vient d’ailleurs juste avant la description détaillée des symptômes de la maladie de la goutte dont souffrait le basileus. Preuve manifeste de la proximité entre Constantin et Psellos, celui-ci va jusqu’à préciser que l’empereur en était réduit à limiter sa parole, lors de crises de goutte précisément, parce que même sa langue (γλῶττα, ici l’organe) lui causait des douleurs quand il parlait14. Ces hautes qualités rhétoriques du basileus l’emportent et il n’est guère étonnant qu’elles transparaissent dans l’un des panégyriques du même empereur écrit par Psellos15. Éminent lettré de Constantinople, on comprend aisément que ce dernier soit sensible à ces qualités, quoique, pour d’autres souverains, il n’omet nullement de parler de leur voix. C’est aussi cette dernière qui est mise en exergue sous la plume d’un autre célèbre rhéteur peu après. À la fin du xie siècle, en effet, un Théophylacte d’Achrida, lorsqu’il se fait le panégyriste de Constantin Doukas – porphyrogénète et co-empereur, fils de Michel VII et de Marie d’Alanie –, avance que sa voix se caractérisait au premier chef par la « régularité de [son] élocution16 ».
- 17 Psellos, Chronographie, op. cit., t. 2, p. 31 ; voir Kaldellis, The Argument, op. cit., p. 23-28, s (...)
- 18 Dans le cas de Constantin Doukas loué par Théophylacte d’Achrida, par exemple, la mention de l’éloc (...)
- 19 Corinne Jouanno, « Le corps du prince dans la Chronographie de Michel Psellos », Kentron, 19, 2003, (...)
- 20 Jérôme Wilgaux, « Physiognomonie », dans Lydie Bodiou, Véronique Mehl (dir.), Dictionnaire du corps (...)
- 21 Lauritzen, The Depiction, op. cit., p. 92-99, et ses références.
- 22 Voir ainsi les parallèles faits sur ce dernier point entre la fameuse lettre envoyée par Photius au (...)
7Plus important sans doute, la langue « pleine d’urbanité » de Constantin IX apparaît comme le gage d’un caractère harmonieux (ἐμμελὲς ἦθος) d’après Psellos17. Il nous montre qu’on aurait sans doute tort d’isoler ces différents passages sur la voix et/ou la maîtrise de la parole des basileis des descriptions plus larges qui sont données de leurs corps, de leurs attributs physiques et/ou moraux18. Dans une belle étude qu’elle a consacrée au corps des empereurs sous la plume de Psellos, Corinne Jouanno a ainsi démontré combien le corps du basileus est une image symbolique de l’État, lui-même conçu comme un « corps politique19 ». Une voix équilibrée et une élocution régulière apparaissent de ce fait comme le reflet d’un esprit et d’un corps aux justes proportions. Un tel équilibre et une telle harmonie, garants et reflets à la fois d’une personne de qualité, renvoient aussi à toute une tradition physiognomonique de la culture grecque classique20. Cette tradition est bien connue à Byzance, et par Psellos en particulier21. Les personnes bien proportionnées (οἱ σύμμετροι) ont de la sorte cette voix régulière, posée, tout comme leurs gestes sont mesurés et leurs mouvements – leur démarche en particulier – harmonieux22. Dans le cas des souverains comme des basileis, ils sont de ce fait aptes à régner.
- 23 Anne idéalise les capacités oratoires de son père, lui qui dispose d’une « éloquence de feu [qui] r (...)
- 24 Psellos, Chronographie, op. cit., t. 2, p. 97-98, entretien qui est l’occasion, pour Psellos, de dé (...)
- 25 Psellos, Chronographie, op. cit., t. 2, p. 152.
8Psellos, comme d’autres auteurs byzantins qui se piquent de culture grecque classique avant ou après lui, a donc beau jeu d’insister sur ces critères physiques de la belle voix et d’une élocution parfaitement maîtrisée, tant dans le rythme que la hauteur de voix. Quitte, assurément, à abuser de ces conventions et topoi, comme on le verra, plus tard, avec Anne Comnène au sujet de son père, l’empereur Alexis Ier23. Il n’empêche toutefois qu’au-delà de ces lieux communs, une voix ferme et/ou appuyée reste le gage d’une souveraineté assumée ou revendiquée. Psellos le dit bien lorsqu’il se rend en personne, au nom de Michel VI, auprès de l’usurpateur Isaac Comnène qui finira par s’emparer du pouvoir suprême peu après : ce dernier sait hausser la voix et adopter un ton plus ferme dès lors que les échanges avec l’émissaire de Michel se tendent24. Le constat vaut aussi pour les femmes qui peuvent être détentrices de pouvoir à Byzance, soit pendant des périodes de régence, soit lorsqu’elles sont véritablement seules à la tête de l’État. Lorsqu’à la mort de Constantin X Doukas, en 1067, sa femme Eudocie Makrembolotissa assure la réalité du pouvoir, Psellos avance qu’elle était expérimentée en tout, nommant dignitaires, contrôlant revenus et impôts, et qu’ainsi « elle prononçait avec autorité les paroles impériales [τὰς βασιλείους φωνὰς] tant était grande la supériorité de son intelligence25 ».
- 26 Ibid., t. 1, p. 118 : αἱ βασιλίδες ἠρεμαίᾳ φωνῇ προσέτατταν.
- 27 Ibid., t. 2, p. 72, où la φωνή est σοβαρά, ce qu’Émile Renauld traduit donc par un double terme. Le (...)
- 28 Je dois cette formulation à Annick Peters-Custot avec qui les échanges ont été féconds autour de ce (...)
- 29 Sur l’ordre, taxis, dans ce cadre : Hélène Ahrweiler, L’idéologie politique de l’Empire byzantin, P (...)
9L’exemple des deux sœurs et impératrices Zoé et Théodora est encore plus significatif sur ce point. Michel Psellos explique combien leur gouvernement conjoint en 1042 fut synonyme d’ordre et d’une administration maîtrisée. À ce titre, précise-t-il, si le besoin s’en faisait sentir, les impératrices « donnaient des ordres d’une voix tranquille26 ». C’est là un signe manifeste du contrôle réel qu’elles exerçaient, qui passe donc par cette caractéristique physique associée à la voix, en même temps que la démonstration d’un authentique contrôle de soi, gage ici d’une maîtrise effective de l’État. Psellos distingue toutefois bien les caractéristiques vocales des deux impératrices, on l’a vu. Il en dit néanmoins plus pour Théodora. Régnant et gouvernant seule par la suite, il la montre procéder au choix des dignitaires, rendre la justice du haut de son trône « avec une voix grave et fière27 ». On retombe sans doute là dans une description idéalisée tant du gouvernement que de la voix impériale. Que des femmes exercent ce gouvernement, plutôt que des hommes, et qu’elles donnent de la voix, ne change rien à l’affaire. Elles sont d’authentiques basileis et leur voix d’administration du pouvoir reflète l’incarnation asexuée de l’impérialité dans le corps du souverain28. Ainsi l’on se rend bien compte à quel point le métier de souverain et l’ordre politique assuré passent par cette voix maîtrisée29.
Écarts et modulations de la voix
- 30 Jouanno, « Le corps du prince », art. cité, p. 217. Sur la hauteur des voix et le sens qu’il faut l (...)
10Sous la plume de Psellos, la voix des basileis se laisse aussi appréhender dès lors que le chronographe rappelle ou souligne un écart par rapport à la voix idéale ou idéalisée comme cela vient d’être évoqué. Cet éloignement vocal peut renvoyer à la rupture d’une juste mesure. Il met à mal un équilibre, témoigne d’une maladresse et prête le flanc à la critique, voire à une forme de condamnation dans les propos du célèbre rhéteur. Or les enjeux d’une bonne tenue de la voix vont sans doute de pair avec ceux du corps plus largement : le déséquilibre ou la dégradation physique des empereurs seraient ainsi à l’image de la décadence de l’Empire30.
- 31 Psellos, Chronographie, op. cit., t. 2, p. 175. La γλῶττα dans cette phrase est polysémique car aut (...)
- 32 Ibid., t. 1, p. 19.
- 33 Ibid., p. 23.
11Si, par exemple, un Michel VII dispose d’une « parole [γλῶττα] [qui] ne s’épanche pas en un courant qui bouillonne avec bruit, et [qui] n’est ni obscure ni difficile à saisir31 », ce n’est pas le cas de Basile II, plus tôt dans le siècle. Le portrait qu’en dresse le philosophe n’est pas négatif, cependant il n’est pas totalement flatteur. Psellos avance ainsi que « l’art d’écrire ou de parler avec élégance et avec arrangement, Basile s’en abstenait absolument […] les mots qui lui arrivaient sur la langue, il les coordonnait tels quels et les dictait à ses secrétaires, et sa parole [λόγος] n’avait rien d’habile ni de superflu32 ». Convient-il de voir là un commentaire favorable qui renverrait à une forme de pragmatisme dans la gestion des affaires courantes par le célèbre basileus ou bien, pour un rhéteur de la trempe de Psellos, faut-il considérer ce passage comme une manière de critique ? Ce qui, à mon sens, fait pencher la balance de ce dernier côté est un autre commentaire, plus bas, toujours à l’endroit de Basile II : « il parlait non pas avec volubilité, […] mais en coupant [ses phrases] et en faisant des petites pauses, et plus à la façon d’un paysan qu’à celle d’un homme de bonne éducation33 ».
- 34 Éric Limousin, « Les émotions de l’empereur byzantin », dans Damien Boquet, Piroska Nagy (dir.), Po (...)
- 35 Psellos, Chronographie, op. cit., t. 1, p. 22-23 ; sa taille est, par exemple, « bien proportionnée (...)
- 36 Ibid., t. 2, p. 175. Il improvise des iambes, même s’il manque de rythme, dit Psellos.
- 37 Alexander Kazhdan, « Laughter », dans The Oxford Dictionary of Byzantium, New York/Oxford, Oxford U (...)
- 38 Psellos, Chronographie, op. cit., t. 1, p. 141 ; l’empereur ne cache pas son hilarité, mais ceux qu (...)
- 39 Ibid., t. 1, p. 49 ; voir aussi Limousin, « Les émotions », art. cité, p. 36.
- 40 Psellos, Chronographie, op. cit., t. 1, p. 52.
12Bien plus, ce basileus avait un « rire à éclats » (καγχασμὸν) marqué par « un bouillonnement de tout son corps » (συμβράζω)34. C’est là un autre aspect de la voix entendue et des modulations de voix du souverain qui mérite attention. Basile II, donc, rit aux éclats. Il s’agit d’une attitude plutôt dépréciée pour Psellos, alors que le portrait physique global de cet empereur est plutôt flatteur35. Le bouillonnement corporel de Basile II reste néanmoins aux antipodes de la parole mesurée et sage d’un Michel VII, marquée, elle, par l’absence de ce comportement désordonné précisément. En outre, ces mouvements mal contrôlés du corps n’ont pas la vertu des gestes mesurés et harmonieux évoqués plus haut. Sur ce point, les deux souverains offrent ainsi un portrait croisé, car, au contraire de Basile II, Michel VII rit « de la façon la plus agréable36 ». Cette précision n’est pas superflue car le rire n’a pas toujours bonne presse37. Se laisser aller aux rires et aux plaisirs est une des raisons qui poussèrent Constantin IX à un mauvais gouvernement, dit encore Psellos38. En ce sens, le rire peut être interprété comme une « dérive » de la voix impériale qui se doit de rester mesurée et équilibrée. On notera néanmoins que ce même rire renvoie à un empereur bien vivant, et sa disparition est, au contraire, un signe funeste, comme dans le cas de Romain III. Du fait de la maladie qui finit par l’emporter, cet empereur perd peu à peu tant la grâce de son âme, la douceur de son caractère que son rire39. Au moment de sa mort même, le souverain émet un gémissement lourd et profond : il ne peut alors plus prononcer de parole, assure Psellos, mais continue d’indiquer « par des signes et des mouvements de tête les désirs de son âme40 ».
- 41 Ibid., t. 1, p. 38, et voir la suite du récit de l’intérêt porté par le basileus à un courtisan don (...)
- 42 Voir les remarques de Limousin, « Les émotions », art. cité, p. 42-43.
- 43 Chronographiae quae Theophanis Continuati nomine fertur Libri I-IV, éd. et trad. par Michael Feathe (...)
- 44 Ioannis Scylitzae Synopsis historiarum, éd. par Hans Thurn, Berlin/New York, De Gruyter 1973, p. 18 (...)
- 45 Voir ainsi, de nouveau, avec Jean Skylitzès : Ioannis Scylitzae, op. cit., p. 7 et p. 26 ; Grünbart (...)
13Le polymathe évoque très peu les pratiques du chant. Il avance que si Constantin IX appréciait les plaisirs et les amusements, il goûtait peu la musique et le chant… tout en considérant d’ailleurs avec grand intérêt les désordres d’élocution de ceux qu’il entendait parler41. Cette absence peut paraître étonnante dans un récit comme la Chronographie qui donne à voir une cour très vivante où les émotions ne manquent pas42. Psellos aurait-il conservé un mauvais souvenir de la passion pour le chant de l’empereur Léon V, deux siècles plus tôt ? Si l’un des chroniqueurs byzantins, le Continuateur de Théophane, assure que ce souverain avait une belle voix43, au contraire, Jean Skylitzès, qui écrit peu après Psellos, souligne combien l’empereur était fier de sa voix, mais que « la nature n’était pas d’accord avec lui ». Il aurait même été « incapable de chanter harmonieusement », doté « d’une voix perçante et inculte »44. Des accusations nullement gratuites en vérité, car elles visent à disqualifier un basileus qui a relancé l’iconoclasme en 815 – et le lien entre ces deux aspects est explicite chez Skylitzès. On rappellera du reste que ce type d’accusation où la voix occupe une place centrale n’est que l’antichambre de ce que subira son successeur, l’Amorien Michel II, dans l’écriture négative qu’en donne l’historiographie macédonienne qui insiste sur son bégaiement45.
- 46 Léon le Diacre, Empereurs du xe siècle, présentation, trad. et notes par René-Claude Bondoux et Jea (...)
- 47 Psellos, Chronographie, op. cit., t. 1, p. 49 ; voir Limousin, « Les émotions », art. cité, p. 36.
- 48 Ibid., t. 2, p. 123.
- 49 Ibid., p. 128.
14Enfin, et pour en revenir à Psellos, une autre pratique de la voix poussée à l’excès mérite attention : le cri. Lui aussi est une modulation de voix qui est attestée pour certains des basileis du xie siècle, sans qu’elle soit évidemment propre à cette période. La voix forte ou puissante en est souvent le seuil ; elle est quelquefois révélatrice d’une situation de tension où l’empereur témoigne d’un manque de contrôle de soi. Vers 965, peu avant le début de la Chronographie, le cas de Nicéphore Phokas qui refuse de verser tribut à des émissaires bulgares venus le rencontrer au palais impérial est significatif : l’empereur se « gonfla hors de toute mesure et, d’une voix plus forte qu’à l’accoutumée », se mit à insulter ses hôtes, avant de les souffleter, puis de les congédier sans attendre46. Cette voix inhabituelle dans son intensité peut aussi devenir, dans cette logique, un cri impérial. Il semble rarement de bon augure. Chez Psellos, l’irritation et les cris de Romain III Argyre vont de pair avec sa colère et son esprit chagrin, qui sont autant de traits distinctifs de sa maladie à la fin de sa vie47. Un peu plus tard dans le siècle, Isaac Comnène « poussa un grand cri de douleur [ἀνωλόλυξεν], chose qu’il n’avait pas coutume de faire48 » à l’annonce de la mort du patriarche Michel Cérulaire. Mais le cri revêt aussi un autre sens, celui d’un plaisir non contenu : ce même Isaac « pousse des cris pressants et répétés » (ἐπικλάζων τε καὶ ἐπιϑωΰζων) lorsqu’il chevauche pour la chasse ; ses cris sont là pour « donner des ailes à son chien »49.
- 50 Ibid., t. 1, p. 39.
- 51 « Même poussé de loin, un cri [de Bardas Phokas] bouleversait toute l’armée », quant à Georges Mani (...)
- 52 Lauritzen, The Depiction, op. cit., p. 175-178.
15De la chasse à la guerre, la frontière est ténue. Psellos décrit globalement peu les champs de bataille de son temps, car une majorité des basileis qu’il décrit les ont peu arpentés. Un Basile II ou un Romain III font évidemment exception, et ce dernier, après une défaite mémorable face aux Arabes d’Alep en 1030, réussit à faire revenir des fuyards de son camp « criant [ἐκβοῶν] avec la force d’un jeune homme » et, ainsi, il « se faisait reconnaître [d’eux] par sa voix »50. Par ailleurs, Psellos ne dit rien d’éventuels cris de guerre lancés par tel ou tel basileus conduisant des troupes, mais il réserve la mention d’une voix forte ou semblable à un tonnerre à d’autres illustres chefs de guerre et usurpateurs, ainsi Bardas Phokas et Georges Maniakès51. Cette voix puissante en contexte militaire est du reste directement inspirée des célèbres guerriers de l’Iliade52.
Du silence au jeu vocalisé de la transmission du pouvoir
16Assurément le silence mérite quelques considérations. Elles permettront de clore ce rapide tour d’horizon, en soulignant combien le silence et son caractère performatif font contraste avec un véritable jeu de voix qui peut apparaître lors des passations de pouvoir.
- 53 Nicolas Oikonomidès, Les listes de préséance byzantines des ixe et xe siècles, Paris, CNRS Éditions (...)
17Si le silence constitue l’absence de voix entendue et prononcée, par définition, il n’est donc pas une modulation de voix, mais il témoigne en creux de l’importance conférée à la parole et, partant, à la voix de l’empereur. En outre, à Byzance, il est pleinement institué dans le cérémonial de cour. Les historiens modernes l’ont souvent noté, ce qui me permettra d’être bref. Dès la haute époque, on trouve mention dans les sources des silentiaires, hommes chargés de faire respecter le silence, et plus largement l’ordre, dans le palais et en présence de l’empereur, fonction qui devient progressivement une dignité encore attestée à l’époque méso-byzantine53. Certes, le silence ici ne concerne pas directement l’empereur, mais bien l’ensemble de ses hôtes qui y sont astreints.
- 54 Sur cette translatio toute idéologique, mais aux ressorts pratiques et vocaux, de souveraineté du p (...)
- 55 Alexander Kazhdan, « Body Language », dans The Oxford Dictionary of Byzantium, op. cit., t. 1, p. 2 (...)
- 56 Nicolas Drocourt, Les ambassadeurs étrangers dans l’Empire byzantin des années 640 à 1204, Louvain, (...)
- 57 Albrecht Berger, « Die Akustische Dimension des Kaiserzeremoniells. Gesang, Orgelspiel und Automate (...)
18Le mutisme du basileus est toutefois attesté en plusieurs circonstances qui mettent en exergue, en un apparent paradoxe, la dimension performative de ce silence. En premier lieu, lors d’un moment essentiel de l’avènement d’un basileus, moment empli de puissance vocale : les acclamations (εὐφημία). Certes, l’empereur ne bronche théoriquement pas à cette occasion, mais les phrases ritualisées qui s’expriment alors donnent force aux voix autour du souverain et, on le sait, légitiment ce dernier54. Elles nous permettent d’insister sur le constat d’une présence récurrente des voix dans la proximité directe et acoustique de l’empereur, lors d’un moment fondamental de la vie politique. Le silence impérial n’en est dès lors que plus éloquent dans le cadre d’un rituel politique qui trouve sa pleine puissance par sa performativité. L’absence de voix (et de parole) à cette occasion va de pair avec l’immobilité du souverain, répondant à un véritable « idéal statuesque » du basileus55. Mais le silence du basileus est aussi particulièrement prégnant lors de l’accueil des délégations étrangères dans le palais de la Magnaure, au Grand Palais. Il apparaît ainsi tant dans le fameux Livre des cérémonies du milieu du xe siècle que dans des témoignages d’émissaires officiels, arabes et latins, parvenus jusqu’à nous56. En outre, un tel silence fait volontairement contraste avec un univers sonore marqué par le son des orgues et le chant des chantres (psaltai)57. À ce titre, il constitue une pause dans la musique des sons du pouvoir. Mais si l’empereur se tait du haut de son trône, le logothète du drome ainsi que des interprètes discutent avec les visiteurs. Aussi, ce silence n’est-il limité qu’au seul premier contact solennel entre les basileis et ces hôtes de marque ; les uns comme les autres seront amenés, par la suite, à discuter ensemble de vive voix – échanges qui échappent, pour beaucoup, aux sources dont nous disposons.
- 58 Psellos, Chronographie, op. cit., t. 2, p. 112 et 113.
- 59 Ibid., t. 2, p. 114, qui ne précise cependant pas si c’était bien le cas dès la toute première entr (...)
19Michel Psellos ne confirme qu’à moitié ces dispositions auliques et protocolaires, mais il est vrai que les audiences officielles n’ont pas prioritairement retenu son attention. Il avance certes qu’un empereur comme Isaac Comnène se terrait volontairement dans le plus profond silence, en particulier dès le tout début de son règne. Il sut de la sorte inspirer de la crainte aux sénateurs qui l’entouraient, sans même proférer une seule parole lors de ces séances. Il abandonna même « le culte du discours » et sut se contenter d’un « simple signe, d’un geste de la main ou d’une inclinaison de tête dans un sens ou dans un autre » pour indiquer sa volonté58. Néanmoins, à l’opposé de ce silence confondant face aux sénateurs, en présence des ambassadeurs étrangers, « il se répandait en paroles avec plus d’abondance que le Nil montant chez les Égyptiens ou que l’Euphrate déferlant chez les Assyriens59 ».
20Plus largement, la Chronographie de Psellos est riche d’enseignement sur la question délicate de la transmission de la magistrature suprême sur le Bosphore. Or, les passations de pouvoir constituent un moment singulier dans le monde byzantin, en particulier au cœur de la période méso-byzantine lorsque émergent des pratiques dynastiques qui ne ferment nullement la porte aux usurpateurs. De fait, les jeux et modulations de voix des différents acteurs autour des basileis – à commencer par eux-mêmes – à ce moment précis méritent attention, car ils témoignent à leur manière des enjeux politiques en question. Un seul exemple, bien documenté par Michel Psellos, peut nous permettre de le comprendre.
- 60 Outre Psellos, il s’agit de Jean Skylitzès et de Michel Attaleiatès : voir Anthony Kaldellis, The B (...)
- 61 Psellos, Chronographie, op. cit., t. 1, p. 110.
- 62 Ibid., t. 1, p. 112. L’acolyte est l’oncle de Michel V, le nobélissime Constantin.
21Il concerne la chute de Michel V dit le Calfat, fils adoptif de l’impératrice Zoé, en avril 1042. Arrivé au pouvoir en décembre de l’année précédente, cet empereur a régné peu de temps, perdant sa légitimité et son pouvoir après avoir exilé Zoé, suscitant contre lui une forte opposition populaire. Celle-ci se matérialise à Constantinople par l’unité du peuple derrière des déclarations et contestations orales qui apparaissent chez plusieurs chroniqueurs60. Elles témoignent du fort sentiment de légitimité dynastique qui prévaut alors, à l’avantage donc des deux sœurs d’ascendance macédonienne, Zoé et Théodora. Chez Psellos, c’est toute une foule (πλῆθος) qui vocifère « contre le scélérat » (τοῦ ἀλιτηρίου καταβοῶντες) et lance contre lui « toute sorte de vocables injurieux »61. Par la suite, face au basileus fuyard, c’est un des hauts officiers de Théodora qui « d’une voix impérieuse » (ἰταμωτέρᾳ φωνῇ) s’adresse à lui et son acolyte pour les faire sortir du refuge qu’ils ont trouvé62. Très clairement ici, Michel V perd alors le pouvoir et n’est plus en mesure de s’imposer par la voix. Elle lui est, d’une certaine manière, confisquée, tout du moins dans sa dimension d’autorité, et c’est une autre personne qui s’en empare sans qu’elle dispose du statut de basileus.
- 63 Ibid., t. 1, p. 113.
- 64 Ibid., t. 1, p. 114-115.
- 65 Ibid., t. 1, p. 109. Même suite logique et lecture vocale de la sanglante transmission de pouvoir e (...)
- 66 L’opposition entre la désapprobation populaire et son expression par des injures, δυσφημία en grec, (...)
- 67 Psellos, Chronographie, op. cit., t. 1, p. 118, et voir plus haut n. 27.
22Mais l’inversion des rôles ne s’arrête pas là. Contraints par la force de quitter leur cachette, le basileus déchu et son compagnon d’infortune réagissent par des cris que Psellos juge « lamentables », signes patents de leur échec63. La déchéance va plus loin. À l’annonce de la crevaison de leurs yeux, c’est bien leur voix qui vient à manquer. Le silence s’impose, et ce silence ne peut plus être impérial, et encore moins solennel, comme il peut l’avoir été en temps régulier pour le lieutenant de Dieu sur terre. Il est ici contraint, imposé et non plus le choix d’une posture hiératique et protocolaire. Bien plus, avant son propre aveuglement qui l’écarte de toute lumière divine – donc de toute prétention impériale – et au moment de l’aveuglement de son acolyte, Michel V « hurle lamentablement64 ». Dernière expression vocale qui en dit long sur sa chute politique irrémédiable. Ce jeu de voix n’est sans doute définitivement clos qu’avec les acclamations, quoique celles relatives à Théodora interviennent auparavant dans le récit de Psellos65. À la désunion initiale, à la violence effective de la prise du pouvoir marquée par les cris et désordres vocaux, succèdent l’unité retrouvée et la mise en ordre politique que constituent les acclamations qui légitiment le nouveau souverain66. Page inédite de l’histoire de Byzance, ce sont ici deux femmes qui règnent de concert quelques mois, assurant ce nouvel ordre, vocalement illustré par leurs « voix tranquille[s] » d’administration du pouvoir67.
Conclusion
23Au total, la Chronographie de Michel Psellos offre des informations multiples et assez précises sur la voix des basileis, en lien souvent étroit avec leur parole et leurs capacités oratoires. Ce constat confirme combien ce texte fait contraste avec bien d’autres sources narratives méso-byzantines, quoique sur ce point une plus large étude comparative serait souhaitable. Par sa proximité physique avec les empereurs, Psellos laisse un témoignage important, et même incontournable, pour toute étude sur la personne même des souverains de ce temps. Ce que je serais tenté de désigner comme sa « lecture vocale » n’est toutefois pas dénué de parti pris.
- 68 Amy Papalexandrou, « Perceptions of Sound and Sonic Environments across the Byzantine Acoustic Hori (...)
24Elle rappelle, en premier lieu, la grande richesse linguistique de la langue grecque pour désigner tout ce qui concerne la voix – au point que distinguer avec rigueur « voix » (φωνή) et « parole » (γλῶττα) semble illusoire dans bien des cas, alors qu’est là une différence cruciale entre, d’un côté, ce qui relève de l’inné et, de l’autre, de l’acquis. Elle confirme, en outre, l’intérêt des élites intellectuelles pour les phénomènes acoustiques et le paysage sonore à Byzance68, bien que le poids des traditions littéraires ou intellectuelles, en particulier celle rattachée à la physiognomonie, reste prégnant. La voix, dans cette logique, relève souvent d’une grille de lecture qui se veut le reflet des qualités morales des basileis. Or celles-ci ont partie liée avec la bonne tenue de l’État et de son administration. En outre, la voix mentionnée, ou décrite quelquefois, s’inscrit souvent dans des portraits physiques plus larges qui prennent en compte d’autres caractéristiques du corps des empereurs. Ce dernier entre dans une correspondance troublante avec l’image que l’on se fait, ou que l’on donne, de l’Empire. À ce titre, la « voix tranquille » d’administration de Zoé et Théodora est riche d’enseignement.
25Modulations, inflexions ou écarts vocaux par rapport à des caractéristiques vocales attendues permettent d’en apprendre un peu plus, mais aussi de sortir l’empereur de sa posture hiératique et silencieuse, rattachée au cérémonial de cour. Bien plus, l’écriture « psellienne » des jeux de voix lors du moment sensible de la transmission de pouvoir, permet à l’historien une nouvelle lecture des aléas politiques au sommet de l’État. Elle invite enfin à des comparaisons avec d’autres auteurs méso-byzantins sur ce point de la voix des empereurs, dans une étude plus complète qui reste à écrire.
Notes
1 Constance Head, « Physical Descriptions of the Emperors in Byzantine Historical Writing », Byzantion, 50, 1980, p. 226-240. L’auteur remercie les relecteurs anonymes pour leurs remarques et suggestions.
2 De multiples travaux modernes ont été consacrés à sa personne et à son œuvre ; certains seront mentionnés ici, sans prétention à l’exhaustivité dans un format aussi court que cet article : Anthony Kaldellis, The Argument of Psellos’ Chronographia, Leyde, Brill, 1999 ; Paul Moore, Iter Psellianum : A Detailed Listing of Manuscript Sources for All works Attributed to Michael Psellos, Including a Comprehensive Bibliography, Toronto, Pontifical Institute of Medieval Studies, 2005.
3 Frederick Lauritzen, The Depiction of Character in the Chronographia of Michael Psellos, Turnhout, Brepols, 2013.
4 Michael Grünbart, « Euglottia – Sprechen als Statusindikator in der mittelbyzantinischen Zeit », Frühmittelalterliche Studien, 45, 2011, p. 211-231.
5 Michel Psellos, Chronographie ou histoire d’un siècle de Byzance (976-1077), éd. et trad. par Émile Renauld, 2 vol., Paris, Les Belles Lettres, 1967, t. 1, p. 33, dont je suis la traduction.
6 Ibid., t. 2, p. 175 (traduction légèrement modifiée).
7 Ibid., t. 2, p. 31.
8 Ibid., t. 1, p. 118-119 ; notons que ces différences sont, pour Psellos, le reflet inverse de l’âme de chacune des deux princesses : Zoé dispose d’une âme « plus prompte à la conception », alors que Théodora ne « montre pas vite la pensée de son âme ». Psellos répète, plus bas, que Théodora était « plus prompte que sa sœur à la parole [φωνή] et au mouvement ». Sur la « souplesse de langue » de Théodora : ibid., t. 2, p. 73.
9 Les deux termes, φωνή et γλῶττα, sont interchangeables, car si φωνή a le plus souvent le sens de « voix », il peut prendre le sens de langue (parlée), et, inversement γλῶττα peut lui aussi avoir ces deux mêmes sens, entre autres. Plus largement, sur la richesse du vocabulaire grec classique pour qualifier la voix : Guy Lachenaud, Les routes de la voix. L’Antiquité grecque et le mystère de la voix, Paris, Les Belles Lettres, 2013, p. 105-111 notamment.
10 Psellos, Chronographie, op. cit., t. 1, p. 56.
11 Ibid., t. 1, p. 125.
12 Ibid., t. 2, p. 53.
13 Ibid., p. 31.
14 Ibid., p. 33.
15 Michaelis Pselli Orationes panegyricae, éd. par George T. Dennis, Stuttgart/Leipzig, B. G. Teubner, 1994, Or. Pan. 1, l. 151-155, p. 8, où il avance : « Quand je t’entends discourir, je perçois la langue [γλῶττα] de Demosthène, celle de Périclès, celle de Polémon, celle de Platon, l’élocution grâcieuse de Lysias […], la langue d’or de Dion », passage cité par Corinne Jouanno, « Les Byzantins et la seconde sophistique. Études sur M. Psellos », Revue des études grecques, 122, 2009, p. 122, n. 45.
16 Théophylacte d’Achrida, Discours, traités et poésies, éd. et trad. Paul Gautier, Thessalonique, Association de recherches byzantines, 1980, Discours 4, p. 182, l. 12, p. 183 pour la traduction. Plus largement, sur les liens entre éloquence et élites sociales, Grünbart, « Euglottia », art. cité, p. 224-230.
17 Psellos, Chronographie, op. cit., t. 2, p. 31 ; voir Kaldellis, The Argument, op. cit., p. 23-28, sur les interactions entre caractères impériaux et actions des souverains.
18 Dans le cas de Constantin Doukas loué par Théophylacte d’Achrida, par exemple, la mention de l’élocution régulière apparaît juste après celle relative à « l’élégance de [la] démarche » de Constantin.
19 Corinne Jouanno, « Le corps du prince dans la Chronographie de Michel Psellos », Kentron, 19, 2003, p. 205-221, ici p. 217.
20 Jérôme Wilgaux, « Physiognomonie », dans Lydie Bodiou, Véronique Mehl (dir.), Dictionnaire du corps dans l’Antiquité, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2019, p. 493-496, qui souligne que pour cette authentique technè, « l’apparence exprime la “vérité” d’un individu ». Je remercie J. Wilgaux de m’avoir fait part de cette notice peu avant sa parution.
21 Lauritzen, The Depiction, op. cit., p. 92-99, et ses références.
22 Voir ainsi les parallèles faits sur ce dernier point entre la fameuse lettre envoyée par Photius au khan bulgare et les interprétations physiognomoniques : Jouanno, « Le corps du prince », art. cité, p. 207.
23 Anne idéalise les capacités oratoires de son père, lui qui dispose d’une « éloquence de feu [qui] résid[e] sur ses lèvres » : Anne Comnène, Alexiade, éd. et trad. par Bernard Leib, Paris, Les Belles Lettres, 1967, III, III, 2, t. 1, p. 111, mais des propos qu’il conviendra de nuancer, en rappelant que ce même Alexis était bègue, ou, du moins, souffrait d’un problème d’élocution : ibid., I, VIII, 1, p. 31, et voir Nicéphore Bryennios, Histoire, éd. et trad. par Paul Gautier, Bruxelles, Byzantion, 1975, IV, 22, p. 288-291 ; voir Grünbart, « Euglottia », art. cité, p. 219-221.
24 Psellos, Chronographie, op. cit., t. 2, p. 97-98, entretien qui est l’occasion, pour Psellos, de démontrer son éloquence face à laquelle le futur basileus reste « bouche close » (ibid., p. 101) ; sur cette manière de se mettre en avant : Stratis Papaioannou, Michael Psellos. Rhetoric and Authorship in Byzantium, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, p. 219.
25 Psellos, Chronographie, op. cit., t. 2, p. 152.
26 Ibid., t. 1, p. 118 : αἱ βασιλίδες ἠρεμαίᾳ φωνῇ προσέτατταν.
27 Ibid., t. 2, p. 72, où la φωνή est σοβαρά, ce qu’Émile Renauld traduit donc par un double terme. Le concept de « grave » a ici le sens de « sérieux », et ne renvoie pas à une hypothétique dimension de masculinité – quoique Psellos assure, deux lignes plus haut, que Théodora « faisait […] figure d’homme ». Au reste, poursuit le chronographe, elle sait alterner des décisions données avec douceur, et des ordres « d’une façon plus tranchante ».
28 Je dois cette formulation à Annick Peters-Custot avec qui les échanges ont été féconds autour de cette question. Il va de soi que j’assume l’entière responsabilité des présents propos.
29 Sur l’ordre, taxis, dans ce cadre : Hélène Ahrweiler, L’idéologie politique de l’Empire byzantin, Paris, Puf, 1975, p. 128 et suiv.
30 Jouanno, « Le corps du prince », art. cité, p. 217. Sur la hauteur des voix et le sens qu’il faut lui donner, Lachenaud, Les routes de la voix, op. cit., p. 119-120 (notamment à partir d’Aristote).
31 Psellos, Chronographie, op. cit., t. 2, p. 175. La γλῶττα dans cette phrase est polysémique car autant elle renvoie d’abord à la voix par les sons et le bruit évoqués (καχλάζω), autant la seconde partie de la phrase fait davantage référence à la langue du basileus dans la capacité à discourir de ce dernier.
32 Ibid., t. 1, p. 19.
33 Ibid., p. 23.
34 Éric Limousin, « Les émotions de l’empereur byzantin », dans Damien Boquet, Piroska Nagy (dir.), Politiques des émotions au Moyen Âge, Florence, Sismel, 2010, p. 33-48, ici p. 36, traduit συμβράζω par « désordre du corps ».
35 Psellos, Chronographie, op. cit., t. 1, p. 22-23 ; sa taille est, par exemple, « bien proportionnée ». Doit-on y voir une correspondance avec la bonne santé de l’Empire sous son règne ? Possible, quoique Psellos n’en dise rien d’aussi explicite.
36 Ibid., t. 2, p. 175. Il improvise des iambes, même s’il manque de rythme, dit Psellos.
37 Alexander Kazhdan, « Laughter », dans The Oxford Dictionary of Byzantium, New York/Oxford, Oxford University Press, 1991, t. 2, p. 1189.
38 Psellos, Chronographie, op. cit., t. 1, p. 141 ; l’empereur ne cache pas son hilarité, mais ceux qui l’y poussent sont des personnes intéressées : ibid., p. 132.
39 Ibid., t. 1, p. 49 ; voir aussi Limousin, « Les émotions », art. cité, p. 36.
40 Psellos, Chronographie, op. cit., t. 1, p. 52.
41 Ibid., t. 1, p. 38, et voir la suite du récit de l’intérêt porté par le basileus à un courtisan dont « la langue s’embarrassait du tout au tout quand il parlait et fourchait à chaque effort ».
42 Voir les remarques de Limousin, « Les émotions », art. cité, p. 42-43.
43 Chronographiae quae Theophanis Continuati nomine fertur Libri I-IV, éd. et trad. par Michael Featherstone et Juan Signes Codoñer, Boston/Berlin, De Gruyter, 2015, § 25, p. 60-61.
44 Ioannis Scylitzae Synopsis historiarum, éd. par Hans Thurn, Berlin/New York, De Gruyter 1973, p. 18 ; Jean Skylitzès. Empereurs de Constantinople, trad. par Bernard Flusin et annoté par Jean-Claude Cheynet, Paris, P. Lethielleux, 2003, p. 19-20, dont je reprends la traduction.
45 Voir ainsi, de nouveau, avec Jean Skylitzès : Ioannis Scylitzae, op. cit., p. 7 et p. 26 ; Grünbart, « Euglottia », art. cité, p. 221. On sait que son petit-fils et successeur indirect, Michel III, est lui taxé d’ivrogne par cette même historiographie qui souhaitait disqualifier les basileis de la dynastie précédente.
46 Léon le Diacre, Empereurs du xe siècle, présentation, trad. et notes par René-Claude Bondoux et Jean-Pierre Grélois, Paris, ACHCByz, 2014, IV, 5, p. 98.
47 Psellos, Chronographie, op. cit., t. 1, p. 49 ; voir Limousin, « Les émotions », art. cité, p. 36.
48 Ibid., t. 2, p. 123.
49 Ibid., p. 128.
50 Ibid., t. 1, p. 39.
51 « Même poussé de loin, un cri [de Bardas Phokas] bouleversait toute l’armée », quant à Georges Maniakès, « sa voix était un tonnerre » : ibid., t. 1, p. 6, et t. 2, p. 2 respectivement. Ce dernier point peut s’apparenter à un topos relatif aux chefs d’armée, voir Anne Comnène, Alexiade, op. cit., I, VII, 2, t. 1, p. 29, par exemple.
52 Lauritzen, The Depiction, op. cit., p. 175-178.
53 Nicolas Oikonomidès, Les listes de préséance byzantines des ixe et xe siècles, Paris, CNRS Éditions, 1972, p. 296, avec les références.
54 Sur cette translatio toute idéologique, mais aux ressorts pratiques et vocaux, de souveraineté du peuple au souverain, voir : Gilbert Dagron, Empereur et prêtre. Recherches sur le « césaropapisme » byzantin, Paris, Gallimard, 1995, index sub verbo ; Otto Treitinger, Die Oströmische Kaiser- und Reichsidee nach ihrer Gestaltung im höfischen Zeremoniell, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1956, p. 76-84.
55 Alexander Kazhdan, « Body Language », dans The Oxford Dictionary of Byzantium, op. cit., t. 1, p. 299-300 ; voir les commentaires de Jouanno, « Le corps du prince », art. cité, p. 208.
56 Nicolas Drocourt, Les ambassadeurs étrangers dans l’Empire byzantin des années 640 à 1204, Louvain, Peeters, 2015, p. 532-534, avec les références aux sources.
57 Albrecht Berger, « Die Akustische Dimension des Kaiserzeremoniells. Gesang, Orgelspiel und Automaten », dans Franz Alto Bauer (dir.), Visualisierungen von Herrschaft, Frühmittelalterliche Residenzen : Gestalt und Zeremoniell, Istanbul, Ege Yayinlari, 2006, p. 63-77.
58 Psellos, Chronographie, op. cit., t. 2, p. 112 et 113.
59 Ibid., t. 2, p. 114, qui ne précise cependant pas si c’était bien le cas dès la toute première entrevue, la plus solennelle, entre ces envoyés officiels et ledit empereur – lequel était toutefois, lors de ces échanges, « dans l’appareil le plus auguste ».
60 Outre Psellos, il s’agit de Jean Skylitzès et de Michel Attaleiatès : voir Anthony Kaldellis, The Byzantine Republic : People and Power in New Rome, Cambridge (Ma.), Harvard University Press, 2015, p. 90-94 et 126-127 notamment.
61 Psellos, Chronographie, op. cit., t. 1, p. 110.
62 Ibid., t. 1, p. 112. L’acolyte est l’oncle de Michel V, le nobélissime Constantin.
63 Ibid., t. 1, p. 113.
64 Ibid., t. 1, p. 114-115.
65 Ibid., t. 1, p. 109. Même suite logique et lecture vocale de la sanglante transmission de pouvoir entre Nicéphore Phokas et Jean Tzimiskès, en décembre 969, dans Léon le Diacre, Empereurs, op. cit., p. 123-24.
66 L’opposition entre la désapprobation populaire et son expression par des injures, δυσφημία en grec, et l’acclamation (εὐφημία), qui implique un minimum de concorde, est aussi notée par Kaldellis, The Byzantine Republic, op. cit. n. 61, p. 93.
67 Psellos, Chronographie, op. cit., t. 1, p. 118, et voir plus haut n. 27.
68 Amy Papalexandrou, « Perceptions of Sound and Sonic Environments across the Byzantine Acoustic Horizon », dans Susan A. Harvey, Margaret Mullett (dir.), Knowing Bodies, Passionate Souls. Sens Perceptions in Byzantium, Washington DC, Dumbarton Oaks Research Library and Collection, 2017, p. 67-85, qui souligne d’ailleurs que Psellos a composé un texte d’interprétation et compréhension d’un phénomène acoustique à Nicomédie ; Grünbart, « Euglottia », art. cité, p. 215-218.
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