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La voix au Moyen Âge

Avant-propos

Dominique Valérian

Texte intégral

1En 1970 se tenait à Nice le premier congrès de la toute jeune Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, fondée l’année précédente sous l’impulsion de Michel de Boüard, Édouard Perroy, Jean Schneider et Philippe Wolff. Il était consacré à la démographie médiévale, et sa publication en 1972 regroupait sept communications. D’année en année, ces congrès sont devenus non seulement des rendez-vous importants pour la communauté des médiévistes français mais aussi, par leur publication régulière, des jalons souvent marquants dans le paysage historiographique. Ils ont pris progressivement de l’ampleur, accompagnant le développement des études médiévales dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche, encourageant l’émergence de nouvelles générations, porteuses d’approches innovantes. Si aujourd’hui les occasions de rencontres scientifiques se sont multipliées par rapport à 1970, le congrès des médiévistes reste chaque année le lieu d’un échange fructueux entre spécialistes de périodes et d’espaces différents (même si on pourrait les souhaiter plus ouverts sur les mondes lointains d’Asie et d’Afrique), entre historiens, historiens d’art et archéologues, mais aussi entre les différents champs de l’histoire médiévale, toujours ouverts sur le renouvellement des questionnements et des méthodes. À mi-chemin entre les colloques très spécialisés et les gigantesques congrès internationaux, il occupe une place à part dans la sociabilité universitaire et la recherche en histoire médiévale. Les plus jeunes, parfois en cours de thèse, viennent y présenter leurs travaux et se faire connaître, alors que les moins jeunes y retrouvent des collègues et amis que la frénésie croissante de la vie universitaire a pu faire perdre de vue. C’est aussi là que peuvent se nouer ou se concrétiser des collaborations scientifiques et des programmes de recherche. C’est dire combien ces moments de rencontres sont importants, et ne pourront jamais être totalement remplacés par les échanges de courriers électroniques ou les visioconférences.

2De cela, les actes des congrès ne rendent pas entièrement compte, même s’ils sont bien le résultat de ces discussions fécondes au cours ou en marge des sessions. Les cinquante volumes publiés à ce jour par la SHMESP sont en effet l’œuvre d’une communauté de chercheurs et enseignants-chercheurs, dont il est de bon ton parfois de railler, dans les rapports ministériels, le « décrochage » dans la recherche internationale – pour ne pas dire la ringardise. Il est vrai que les congrès de la SHMESP, malgré leur mise en ligne désormais très rapide, ne sont pas comptabilisés dans les savants calculs du classement de Shanghai. Et pourtant, si nous sommes nombreux à en conseiller la lecture aux étudiants, notamment de master, c’est bien qu’ils représentent aujourd’hui une référence et qu’ils font le point, à un moment donné, sur nos réflexions d’historiens, sur nos objets et nos méthodes. À ce titre, ils constituent un témoignage éclairant des évolutions de la médiévistique française depuis un demi-siècle.

3Ce 50e congrès, tenu à Francfort du 30 mai au 2 juin 2019, est à bien des égards exemplaire. Par le thème d’abord, la voix au Moyen Âge, proposé par Pierre Monnet qui nous a accueillis à l’Institut franco-allemand de sciences historiques et sociales. Certains y verront, à juste titre, l’influence de l’anthropologie historique, et plus largement des sciences humaines et sociales, qui imprègnent désormais profondément les études médiévales. Mais les contributions réunies dans ce volume soulignent surtout la grande diversité des regards portés sur cet objet singulier et si important, celle aussi des méthodes mobilisées pour approcher ces voix à jamais disparues. Elles montrent également la fécondité du dialogue entre disciplines – ici notamment avec la musicologie, mais aussi la linguistique.

4Ce congrès de Francfort témoigne également de l’ouverture internationale des médiévistes français, qui ont plusieurs fois tenu leur congrès hors des frontières, depuis celui de Rome en 1996, et il faut rappeler ici le rôle essentiel des Écoles françaises à l’étranger et des UMIFRE : la cartographie des espaces couverts dans le monde par la recherche française en sciences humaines et sociales, et notamment en histoire, recoupe très exactement leur réseau, car elles seules rendent possibles les longues et indispensables enquêtes dans les bibliothèques et les archives. Pierre Monnet nous avait déjà reçus en 1999 à Göttingen, dans ce qui était alors la Mission historique française en Allemagne et le Max-Planck Institut für Geschichte, et il faut ici souligner ce que la remarquable organisation de ce second congrès en Allemagne lui doit, tant sur le plan scientifique que matériel. Il a été secondé pour cela par une équipe efficace et toujours très disponible : Constanze Buyken, Antonin Dubois, Solène Gullin, Cara Illiert, Tristan Martine, Delphine Nguyen, Dominique Petre, Aurore Peyroles et Philipp Siegert. C’est aussi grâce à lui que nous avons pu échanger avec les collègues allemands aux côtés desquels il travaille depuis de longues années, et dont plusieurs ont donné des contributions à ce volume. L’ouverture du congrès par Eva Schlotheuber, présidente du Historikerverband, et Wolfram Drews, président du Mediävistenverband, témoigne en particulier des liens forts qui unissent historiens allemands et français.

5Ces journées ont aussi été l’occasion de découvrir Francfort ainsi que, lors de l’excursion du dimanche, Lorsch et Spire, où Amelie Sagasser nous a fait partager sa connaissance du quartier juif et du Musée d’histoire juive. Le banquet final, organisé dans le réfectoire du couvent des Carmes, a bénéficié du soutien de l’Institut pour l’histoire de la ville de Francfort-sur-le-Main et de sa directrice, Evelyn Brockhoff. Il a été ouvert par un concert a capella de la Choralschola du Dom de Francfort, menée par son directeur Andreas Boltz, et a permis de découvrir le trésor des archives, et notamment la bulle d’or, que nous a présenté Michael Matthäus, responsable de la section ancienne des archives de la ville de Francfort.

6Nous avons bénéficié de nombreux soutiens institutionnels, qu’il me plaît de remercier ici : l’ambassade de France à Berlin (Institut français d’Allemagne), l’EHESS (service des relations internationales, dirigé par Antonella Romano), le Centre de recherches historiques de l’EHESS, la Fondation des soutiens et amis de l’université Goethe de Francfort-sur-le-Main, la présidence de l’université Goethe de Francfort-sur-le-Main (représentée par Matthias Lutz-Bachmann) et le séminaire d’histoire du Fachbereich 08.

7Enfin, au sein de la Société des médiévistes, et en particulier de son bureau, nombreux sont ceux qui ont contribué, souvent invisibles, au succès du congrès : le comité scientifique, qui a préparé l’argumentaire avec Pierre Monnet, sélectionné les contributions et expertisé les textes, les secrétaires généraux Antoine Destemberg (qui a en particulier tenu un fil twitter très suivi tout au long des sessions) et Joël Chandelier, les trésoriers Stéphane Péquignot et Alexis Grélois, et enfin les responsables des publications. Commencée par Didier Panfili et Esther Dehoux, la préparation de ce livre a été menée à bien par Élisabeth Lusset et Lucie Malbos. Qu’ils en soient tous chaleureusement remerciés.

8La diffusion du savoir historique passe souvent aujourd’hui, et de plus en plus, par des formes nouvelles qui accordent une place majeure à l’image et au son, cherchant à reconstituer ce qu’a pu être la voix des femmes et des hommes du passé. Les films et séries, les jeux et vidéos en ligne, les sites internet, les spectacles historiques contribuent à donner le goût du Moyen Âge à un public toujours plus demandeur. Il faut s’en réjouir et accompagner ce mouvement en lui apportant l’expertise des chercheurs. Mais gageons qu’à l’heure des youtubers, ce volume de textes savants et passionnants saura aussi, à sa manière, faire entendre ces voix du Moyen Âge.

9Dominique Valérian
Paris, le 22 février 2020

© Éditions de la Sorbonne, 2020

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