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Histoire de l’art

Histoire et histoire de l’art

p. 233-235


Texte intégral

1Il est difficile de comparer histoire et histoire de l’art, sauf si on les inscrit dans une perspective de sciences humaines et sociales, et qu’une démarche historiographique place la question du temps au cœur de la problématique. Les méthodes critiques et réflexives dont elles relèvent établissent entre elles la possibilité d’un dialogue constructif et enrichissant sans qu’elles perdent de leur spécificité. Cette approche comparatiste a elle-même une histoire que l’on ne pourra qu’esquisser ici.

2Les transformations de la conception du temps ont affecté également histoire et histoire de l’art et il faut se demander si le temps de l’art et de son histoire est celui de l’histoire. La Révolution française a en effet profondément modifié la conception historique du temps et de la modernité et nombre d’artistes sont alors confrontés à une nouvelle problématique du temps à construire : tournés vers l’avenir, il leur faut réinventer la conception de la modernité en art et définir leurs choix esthétiques. Pendant que les historiens forgent les outils de l’histoire en rassemblant les sources disponibles et en mettant au point les méthodes critiques pour produire un discours positiviste et rationnel, les artistes citoyens, quel que soit l’art envisagé, se voient comme les acteurs d’une histoire présente, se contentant de puiser dans l’art du passé les formes utiles à leurs créations alors que la nationalisation des biens de l’Église, de la monarchie et des aristocrates émigrés a favorisé le développement des musées (notamment celui du Louvre), rendant nécessaire une histoire des œuvres d’art qui y sont conservées. Le temps de l’histoire s’écrit alors à deux vitesses : celle du présent pour les historiens, quelle que soit l’époque traitée, celle du passé pour les historiens d’art qui laissent aux artistes, aux critiques, aux collectionneurs et aux marchands la liberté de l’écriture sur l’art vivant, instaurant en France une division radicale entre deux marchés de l’art, celui de l’art du passé et celui de la production artistique contemporaine, division qui en France est au fondement du système des Beaux-Arts institutionnalisé au xixe siècle.

3Fondamentale en histoire, l’historiographie est peu prisée en histoire de l’art en France et certains s’en émeuvent, comme Roland Recht qui en fait la condition nécessaire de la prise de distance critique à l’égard de l’objet d’étude. Recht est en cela redevable de la tradition allemande comme jadis Henri Focillon qui dans La vie des formes transposait le concept anthropologique de la vie des formes emprunté à Aloïs Riegl pour théoriser le développement des arts à travers les époques et les civilisations, permettant ainsi de relativiser les principes absolus de style et de genre. L’apport des sciences humaines a en effet profondément modifié les données de la recherche en iconographie et en histoire des formes symboliques, cet univers où se crée « le partage du sensible » et où s’écrit « l’histoire du sensible ». À partir de l’analyse des représentations et de leur théorisation sémiologique, se sont édifiés à la marge des disciplines académiques des espaces ouverts aux problématiques pluridisciplinaires, où s’élaborent les transferts de sens et de valeur entre les textes, les signes et les formes qui représentent les objets et l’usage qui en est fait dans la réalité. Essentielle en histoire de l’art, la notion de valeur s’applique aussi à l’histoire dès lors qu’on s’intéresse au discours sur les valeurs de l’art en tant que valeur d’échange ou valeur d’usage : cette histoire comparée traite des images, des signes et des symboles analysés dans une théorisation iconographique et iconologique.

4Un exemple intéressant, difficile à développer ici, est celui de l’historiographie du traitement de l’iconographie politique par les deux disciplines lors des commémorations de la Révolution française en 1889 et en 1989. Si, pour les historiens, l’art est la métaphore de l’histoire comme forme d’expression de la conscience historique, comme institution et comme mode de production et de création, il est pour les historiens d’art une incarnation de l’idée du beau et l’expression de l’essence de l’art. Un colloque récent auquel nous renvoyons le lecteur a retracé cet affrontement académique.

5La recherche en histoire de l’art semble s’orienter en France dans une perspective résolument ouverte inaugurée par les Anglo-Saxons sous le nom d’Art History pour la distinguer de l’approche universitaire classique de l’History of Art. L’autre angle d’ouverture est l’histoire culturelle des arts et du patrimoine, développée depuis une trentaine d’années dans une perspective comparatiste. La Direction des musées de France a pour sa part organisé depuis 1992 des colloques et des expositions sur les fondateurs (David, Vivant Denon, Chaptal) de cette politique de l’art et du patrimoine historique, et ainsi apporté une contribution essentielle à la connaissance historique de l’institutionnalisation de l’art et de la professionnalisation des artistes et des métiers de la culture et du patrimoine, dont l’histoire de l’art – au même titre que l’histoire – en tant que discipline universitaire est issue : naissance commune qui rapproche historiens et historiens d’art, comme le soulignait André Chastel. Historiens comme historiens de l’art, leur responsabilité est engagée au titre de la valeur d’art et d’histoire qui légitime juridiquement la politique de protection, de conservation et de restauration des monuments historiques et archéologiques et des collections de biens mobiliers appartenant à la nation depuis 1789. Cette synergie continue à se manifester au xxe siècle dans le développement d’un nouveau secteur de création et de production irriguant autant les politiques de l’art contemporain que les secteurs de l’activité culturelle, même si une divergence théorique s’est reformée, sous l’effet de l’évolution technologique de la production visuelle des médias, entre les historiens du temps présent et les autres historiens.

6L’autonomisation de la recherche en histoire de l’art contemporain (avant-gardes comprises) a accéléré la séparation entre l’œuvre et l’artiste et leur contextualisation historique. Une remise en cause de cette division et de cette rupture entre art, histoire et politique est à l’œuvre depuis la fin du xxe siècle sous l’effet de l’influence éditoriale des historiens d’art principalement américains. Penser l’histoire de l’art autrement permet notamment de nouvelles articulations autour des questions sur la sexualité soulevées par le féminisme. Devenus fédérateurs par leurs apports méthodologiques pour l’ensemble des sciences humaines, ces nouveaux points de vue théoriques ont donné naissance, après des allers et retours entre les deux rives de l’Atlantique, à une nouvelle configuration désignée sous le nom générique de cultural studies.

Indications bibliographiques

Bibliographie

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Agnès Callu, Roland Recht, L’historien de l’art : conversation dans l’atelier, Paris, L’Atelier contemporain, 2018.

Linda Nochlin, Les politiques de la vision. Art, société et politique au xixe siècle, Nîmes, Jacqueline Chambon, 1989.

Michela Passini, L’œil et l’archive : une histoire de l’histoire de l’art, Paris, La Découverte, 2017.

10.3917/dec.passin.2017.01 :

Roland Recht, Philippe Sénéchal, Claire Barbillon, François-René Martin, Histoire de l’histoire de l’art en France au xixe siècle, Paris, La Documentation française, 2008.

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