Universités
Universités médiévales, universités contemporaines
p. 207-210
Texte intégral
1Il est à peu près unanimement admis que l’université, aussi bien l’institution que le mot, est apparue peu après 1200 dans quelques villes d’Occident : Bologne, Paris, Oxford, Montpellier, Salamanque, Padoue, etc. Dès le départ, chacune de ces universités a eu ses caractéristiques propres. L’historien a donc pour les étudier le choix entre une démarche monographique qui s’attache à l’analyse aussi fine que possible, pour chacune, de toutes ses particularités, et une démarche comparative qui, prenant pour objet le phénomène universitaire à plus ou moins petite échelle – régionale, nationale ou européenne par exemple –, s’efforce de montrer comment, à une même époque, dans des contextes divers et cependant voisins, des solutions institutionnelles variables ont pu être mises en œuvre au service de finalités sociales comparables.
2À condition de s’appuyer sur des données monographiques solides et homogènes, la méthode comparative ne prête guère à discussion et sa fécondité est évidente. Les choses se compliquent si on veut l’étendre dans le temps. L’université est en effet une institution qui a la vie dure. Elle a survécu sans solution de continuité du Moyen Âge jusqu’à nos jours. Depuis son étroit berceau européen, elle s’est peu à peu répandue sur tous les continents. Les universités se comptent aujourd’hui par centaines, voire par milliers. Leur ancienneté est très variable, mais toutes peuvent être objet d’histoire. Dès lors, y a-t-il un sens à vouloir écrire l’histoire longue d’une telle institution, autrement dit à vouloir, au moins implicitement, comparer les universités non seulement entre elles à une date donnée, mais telles qu’elles ont existé aux divers moments de leur histoire, à la fois au Moyen Âge, sous l’Ancien Régime, au xixe siècle et de nos jours, à l’heure de la massification et de la mondialisation ? La chose a été plusieurs fois tentée, mais à quoi peut-elle aboutir ?
3Elle peut mettre en évidence des permanences frappantes, celle des localisations – Bologne, Paris, Oxford sont toujours de grandes villes universitaires, même si elles ne figurent guère en tête des classements mondiaux si à la mode de nos jours –, celle du vocabulaire, presque toujours d’origine latine, qu’il s’agisse des institutions, des acteurs de la vie universitaire ou des diplômes, celle enfin des symboles et des rituels, aussi factices soient-ils. Mais ces permanences, par-delà la profondeur historique réelle ou mythique qu’elles peuvent conférer à des institutions en quête d’identité, sont-elles vraiment significatives de la réalité même des universités aux divers stades de leur développement ? Vont-elles au-delà du constat anecdotique ?
4L’histoire comparée des universités peut également s’identifier à une quête de l’« idée d’université ». Ne pourrait-on pas en effet, en étudiant comparativement un certain nombre d’universités, diverses dans le temps et dans l’espace, les débarrasser de toutes leurs particularités contingentes et isoler une sorte de « noyau dur » conceptuel, commun à toutes, transhistorique et transnational, qui constituerait l’essence même du phénomène universitaire ? Certains réformateurs, comme Humboldt ou Newman au xixe siècle, ont ainsi cru pouvoir saisir, par une réflexion d’ailleurs plus philosophique qu’historique, une idée universelle et abstraite d’université, indépendante de toute considération de lieu, de temps, de milieu social ou de système politique, susceptible de fonctionner comme un principe architectonique pour donner naissance à une université idéale. On devine que les notions d’universalité du savoir, de liberté, d’excellence et de pure activité de l’esprit tiennent une place essentielle dans cette « idée d’université ». L’histoire n’en est pas totalement absente car elle emprunte généralement certains de ses traits à l’image, à dire vrai simplifiée voire mythifiée, de l’université des origines, c’est-à-dire de l’université médiévale telle qu’elle est née à Paris et à Bologne autour de 1200 et que l’ont révélée les premières grandes publications scientifiques du xixe siècle, mais, au total, cette conception s’inscrit surtout au registre de l’utopie et, par son indifférence même aux conditionnements historiques, elle ne saurait satisfaire l’historien actuel qui a peine à imaginer une vie de l’institution hors de tout contexte social, politique, culturel ou religieux.
5Cette nécessaire attention au contexte ne condamne cependant ni la démarche comparative, ni l’adoption d’une périodisation longue, assez naturelle pour une institution dont l’existence pluriséculaire et la continuité sont avérées. Elle nous indique au contraire la voie dans laquelle ces démarches doivent s’engager. Ce ne sont pas tant les universités qui doivent être étudiées et comparées pour elles-mêmes, que les relations qu’elles ont entretenues au cours de leur histoire, en tant qu’institutions, avec leur environnement social, politique et culturel.
6Un premier élément comparatif porte sur la place de l’université par rapport à l’ensemble du système scolaire et éducatif auquel, sauf exceptions (on pense à l’« université impériale » napoléonienne qui regroupait sous une dénomination et une direction communes tous les ordres de l’instruction publique), l’université ne s’identifie pas et dont elle ne représente au contraire qu’un segment, parfois très important par son extension, sa solidité institutionnelle et son prestige, comme au Moyen Âge, parfois beaucoup plus réduit comme dans la France de l’Ancien Régime et du xixe siècle où le champ éducatif est prioritairement occupé par le collège et le lycée. On tend certes parfois à identifier université et « enseignement supérieur » mais, là encore, la coïncidence est très imparfaite car l’université qui se définit comme telle se heurte presque toujours à la concurrence d’établissements (studia des ordres religieux, « Grandes Écoles », écoles techniques supérieures, etc.) de nature très différente, prétendant au même niveau d’excellence mais renvoyant soit à des définitions disciplinaires, soit à des modes de recrutement et d’organisation et à des finalités sociales qui leur sont propres. L’observation de ces mouvements contrastés, dans le temps et dans l’espace, d’élargissement ou de rétrécissement du champ universitaire, semble une première approche, dans la longue durée, de la permanence et des mutations de l’institution.
7Une seconde pourrait être définie comme le rapport au pouvoir – entendu ici en un sens large et pluriel : pouvoirs politiques locaux et centraux, pouvoirs religieux, instances de contrôle social, voire, à l’intérieur même de l’université, organes de gestion administrative, d’organisation des enseignements et de validation des études. Naturellement, dans une société donnée, le contrôle de l’ensemble du processus éducatif, à tous les niveaux, est toujours un enjeu politique. Mais celui des universités, parce qu’il met en cause la formation des élites et l’expression des idéologies, a une importance particulière. Naturellement il adopte des formes multiples : fondation, protection, financement, contrôle, ingérence, répression, etc. Il y a là un indicateur commode, plus sans doute que des pesées sociologiques difficilement transposables d’un pays et d’une époque à l’autre, de la place faite à l’université et des attentes sociales dont celle-ci est investie.
8Enfin, une approche comparée de l’institution universitaire à travers les siècles ne peut faire l’impasse sur ce qui en est la raison d’être première, c’est-à-dire la conservation et la diffusion d’un certain nombre de savoirs légitimes. La délimitation des champs disciplinaires couverts par l’université ou exclus de celle-ci, l’organisation interne de ces champs, les procédures et les instruments d’exposition et de vérification des connaissances, la place respective de l’oral et de l’écrit, du théorique et du pratique, toutes ces données éminemment variables dans le temps et dans l’espace permettent de dessiner, à toutes les époques, une configuration intellectuelle de l’université. Ne parlons pas avant le xixe siècle, par peur de l’anachronisme, d’articulation de l’enseignement et de la recherche, mais plutôt de techniques de maniement des savoirs permettant à la fois l’actualisation permanente de ceux-ci, certes non sans retards et décalages, et leur adaptation aux attentes sociales et politiques. Dans cette perspective aussi, la démarche comparative peut s’étendre légitimement à des exemples multiples.
9On s’étonnera peut-être de ne pas trouver parmi les critères de comparaison la notion de (plus ou moins grande) liberté académique. Non que je nie l’importance de celle-ci, mais il me paraît s’agir d’une catégorie abstraite, difficile à saisir a priori et qu’il vaut mieux appréhender à travers ses déclinaisons politiques et intellectuelles successives. De même, le concept de demande sociale n’a pas été retenu, car non seulement c’est en définitive une notion assez vague, mais y recourir serait supposer qu’il s’agit d’une exigence préliminaire indispensable, ce qui n’est pas forcément le cas ; il faut ménager un espace aux transferts de modèles, à la logique des institutions, au volontarisme politique, à l’initiative des gens de savoir eux-mêmes. L’histoire comparée des universités est aussi une histoire comparée des universitaires.
Indications bibliographiques
Bibliographie
Christophe Charle, Jacques Verger, Histoire des universités, xiie-xxie siècle, Paris, PUF (Quadrige manuel), 2012.
Walter Rüegg (dir.), A History of the University in Europe, Cambridge, Cambridge Univ. Press, 1992-2011, 4 vol.
Auteur
Sorbonne Université, membre de l’Institut
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