Faire politique ?
L’Union des syndicats ouvriers de la région parisienne (CGT) et la politique de présence (1936-1939)
p. 451-466
Texte intégral
1La Confédération générale du travail (CGT) a été l’initiatrice de la grève générale et de la manifestation du 12 février 1934. Elle est au nombre des signataires du programme du Rassemblement populaire, aux côtés de la Confédération générale du travail unitaire (CGTU) avec laquelle elle se réunifie en mars 1936 et joue un rôle de lien (parfois de liant) entre les composantes de ce Rassemblement qui n’est pas sans similitudes avec ce qui sera celui de la Fédération de l’Éducation nationale en Mai 1968. À ce titre comme à d’autres, elle peut être tenue pour « l’expression organique la meilleure1 » d’une expérience politique inédite qui, pourtant, n’en revendique aucune.
2En mai 1936, Léon Blum envisage de confier à son secrétaire général Léon Jouhaux un poste de commissaire à la lutte contre le chômage en associant, ainsi, plus étroitement le syndicalisme aux rouages gouvernementaux. La direction de la CGT s’y oppose quand le congrès de Toulouse a pourtant admis le principe d’une participation à des organismes tels la Société des nations, le bureau international du travail, le Conseil national économique. Du moins la CGT jouit-elle d’une représentativité et d’une légitimité sans précédent au regard du monde du travail, de la Confédération générale du patronat français (CGPF) qui doit la reconnaître, en juin, pour un interlocuteur incontournable et du Gouvernement qui s’entretient régulièrement avec Léon Jouhaux.
3L’extension du champ de compétences de l’État et la mise en place de structures nouvelles requérant une présence syndicale valent à la confédération de siéger au Conseil national économique, au Conseil supérieur du travail, dans les organismes d’assurances sociales, de placement, de la main-d’œuvre, au Conseil supérieur de l’enseignement technique, au Conseil national de surveillance des prix, à Office national du blé, à la Commission de fixation de l’indice du coût de la vie, aux comités de gérance des postes d’État de radiodiffusion2 en disposant, au reste, d’un temps de parole sur les ondes nationales. Qu’on pardonne cette longue énumération à la mesure des choses… Pénétrée d’une logique productiviste et consciente de ses responsabilités au regard de l’expérience gouvernementale et du monde du travail, elle s’affirme pour une force de proposition et de négociation mais également pour un entrepreneur culturel, participant, en sus de ses propres initiatives, au Comité national du sport et des loisirs et au Comité directeur de l’aviation populaire…
4Au sortir de la scission de 1921, des unitaires définissaient leurs structures territoriales comme « l’avant-garde positive de la transformation sociale3 », propre à « faire tomber les cloisons étanches du corporatisme [et] intéresser les travailleurs à la chose publique », « appelées à créer l’harmonie du mouvement ouvrier en effaçant les barrières corporatives qui empêchent le prolétariat de réaliser sa véritable unité morale »4. Lors du congrès de Toulouse, Robert Bothereau préfère évoquer « l’expression locale des intérêts sociaux des syndicats5 » en désignant une même montée en généralité, fût-ce en termes sensiblement distincts.
« Être partout où sont en cause les intérêts ouvriers6 »
5En 1935, un « projet de statut des UL », élaboré par les confédérés en vue des congrès de fusion des instances départementales ou régionales des deux confédérations, leur assigne de s’occuper des « questions d’ordre local : travaux en cours, chômage ou manque de main-d’œuvre, concession ou renouvellement des privilèges des compagnies de transport, éclairage dans la localité, mise en adjudication des travaux, impôts communaux sur les produits de consommation ou les matières premières servant à la fabrication d’objets manufactures ou travaux du bâtiment7 ». Que ces missions supposent des liens étroits avec les municipalités contribue sans doute à expliquer que le statut des UD, alors pareillement porté par les confédérés, exclut la présence de militants investis d’un mandat politique au sein de leurs CA et CE en exonérant toutefois les conseillers municipaux de la règle8. La politique de présence déployée à l’échelle nationale doit à la structure jacobine de l’État de devoir être relayée à l’échelle départementale et même locale en démultipliant les champs d’action circonscrits un an plus tôt.
6Ces dernières ont été de puissants soutiens logistiques lors des grèves de 1936 et des négociations qui leur ont été consécutives, s’agissant en particulier des nombreux établissements alors dépourvus de syndicat. En juillet, la confédération leur assigne d’intervenir au sein des commissions paritaires ayant à connaître des conflits du travail et de prendre contact auprès des préfets pour qu’ils usent de toute leur influence en vue d’amener les patrons des établissements, où des conflits sont encore en cours, à entrer en relation avec les délégués des syndicats ouvriers9. Elles s’impliquent dans les instances départementales des multiples associations culturelles et politiques dont les comités départementaux de Front populaire, le CLAJ, Tourisme et vacances pour tous, les comités des œuvres de vacances ou des loisirs, Radio-liberté, le Comité d’accueil aux enfants d’Espagne, la jeunesse syndicaliste, etc.10, mais doivent également « s’organiser pour répondre aux besoins administratifs nés de la création de nombreux syndicats nouveaux » et satisfaire aux exigences consécutives à l’extension de la législation sociale. Un document élaboré en vue du congrès de l’Union des syndicats ouvriers de la région parisienne (Usorp) d’avril 1938 énumère, ainsi, les offices de placement, le contrôle des fonds de chômage, les comités départementaux de l’enseignement technique11, les commissions locales professionnelles, les jurys d’examen aux CAP, la commission départementale du travail12, le comité des salaires, les caisses départementales d’assurances sociales, le comité des HBM, les pupilles de la nation, les comités de surveillance des prix. Des instances pérennes ou circonstancielles s’y ajoutent, au fil des besoins : commissions des farines et denrées, panifiables, du chômage, d’allocations familiales, comités départementaux de l’Office du blé13, des sports et loisirs, de propagande pour l’emprunt lancé par l’État14, comités du timbre antituberculeux, de coordination des services d’hygiène et de santé15, des offices départementaux des pupilles de la nation, mutilés et combattants, de placement, d’hygiène16, organismes de conciliation et d’arbitrage, prud’hommes… « Être partout où sont en cause les intérêts ouvriers » en « pratiqu[a]nt largement la politique de présence », résume Robert Bothereau lors du congrès de Nantes en novembre 1938.
7Ce qu’il faut bien qualifier d’institutionnalisation grandissante contribue au développement des unions locales, au nombre de 185 en 1937, alors inexistantes dans bien des départements, devenues 660 dans la France entière, un an plus tard17. En décembre 1938, le CCN envisage de créer « 20 régions confédérales calquées sur les régions du Conseil national économique qui permettraient aux UD d’entretenir un rapport constant pour l’examen de « questions économiques particulières à la région, la création de conseils juridiques régionaux en charge d’examiner les problèmes se rapportant au travail et à la main-d’œuvre. Ce projet visant à une meilleure coordination avec certaines institutions jugées déterminantes doit toutefois à l’irruption de la tourmente de demeurer sans suite.
L’Usorp, « moteur et ciment18 » du Front populaire
8Ce qui vaut pour chacun des départements vaut a fortiori pour l’Usorp, « de loin, la plus grande collectivité organisée19 », créditée par les ex-unitaires d’avoir été « l’initiateur20 » du processus de gestation du Front populaire, son « pilier essentiel dans la région parisienne », son « moteur et son ciment »21.
9Issue de la réunification des structures départementales de la CGT et de la CGTU, advenue les 18 et 19 janvier 1936, elle compte alors quelque 250000 salariés regroupés en 243 syndicats, en constituant, de loin, la première des Unions départementales de la CGT réunifiée et présente deux particularités. La première tient à ce qu’elle est initialement dirigée sur une base paritaire, tant dans sa commission exécutive, constituée de 15 ex-unitaires et de 15 ex-confédérés, que dans son bureau dont Henri Raynaud et Eugène Hénaff pour les ex-unitaires et Victor Lefèvre et Gaston Guiraud pour les ex-confédérés deviennent les secrétaires. La seconde réside dans sa dimension interdépartementale. Cette structure destinée à pallier la faiblesse des effectifs syndiqués de la Seine-et-Oise (et dont il existe deux autres exemples)22 suscite quelques débats. En janvier 1937, l’Usorp propose que l’augmentation des allocations familiales, en vigueur dans la Seine depuis le 1er du mois, soit étendue à leurs bénéficiaires de Seine-et-Oise et préconise la suppression des zones qui constituent, de surcroît, un obstacle à l’élaboration d’une stratégie et à l’affirmation de revendications communes à toute sa région d’exercice23. Certains de ses membres estiment qu’il s’agit là d’un appui aux projets visant à intégrer la Seine-et-Oise dans un Grand Paris, projets dont l’Usorp serait, de la sorte, une manière de précurseur. D’aucuns s’en inquiètent. Des militants de la Seine-et-Oise dénoncent le péril de la « ceinture verte » où « de nombreux ouvriers agricoles rentrent dans les organisations fascistes tandis que les travailleurs syndiqués de la CGT ne peuvent plus travailler »24. Des syndiqués évoquent « l’ambiance des petites communes et la propagande forcenée de la bourgeoisie rurale et des gros fermiers de la région25 ». Le syndicat des métaux de Livry, qui partage ces réticences, se réclame à son tour d’une nécessaire adéquation entre structures syndicales et institutionnelles : « au moment où la CGT demande aux pouvoirs publics d’arbitrer les conflits, où les différends sur les lois sociales se règlent en premier lieu au département, il n’est pas possible […] de ne pas revenir à une situation normale vis-à-vis de la CGT et des pouvoirs publics, argue-t-il. Le fédéralisme fait la force de la CGT, le centralisme en ferait sa mort26 ». Mais le congrès rejette unanime ces appels à la partition.
10L’Usorp doit à sa puissance et à sa position stratégique d’avoir été cosignataire, avec la confédération, d’une déclaration soulignant la portée des accords Matignon27. La croissance des effectifs consécutive aux grèves conforte sa prééminence : 1200000 adhérents et 700 syndicats en 1937, 1250000, un an plus tard, soit près du quart des effectifs confédéraux. Elle contribue à un renversement du rapport des forces en son sein28 qui vaut à Henri Raynaud d’en devenir son unique secrétaire général, en mars 1937, Gaston Guiraud occupant désormais le poste de trésorier29.
11Ce qui s’impose pour le bastion s’il en est des ex-unitaires entend « coordonner tous les efforts, défendre et améliorer les lois sociales, assurer la solidarité » en menant une « action extra-syndicale avec le Front populaire ». Il s’assigne à tel effet pour objectif d’éduquer, d’instruire, d’organiser les loisirs, d’œuvrer à l’élévation des connaissances générales, d’organiser la solidarité, les œuvres sociales, de coordonner, stimuler les initiatives en matière de colonies de vacances, maisons de repos, caisses de solidarité mutuelles, sous du soldat, solidarité aux chômeurs, aux vieux, orientation et écoles professionnelles30… et s’engage activement dans la lutte antifasciste via le comité Thälmann, en lien avec le Secours populaire, le Comité d’accueil aux enfants d’Espagne créé par la CGT, la Ligue des droits de l’homme, la Ligue de l’enseignement, les fédérations des coopératives de production et consommation, le SNI, l’Enfance coopérative, le Comité d’hébergement d’Espagne31 ou les Brigades internationales en mettant à leur disposition cadres, locaux, et appui logistique. En se créditant de participer de ce fait à « des dizaines de comités d’action d’ordre régional, national et international32 », l’Usorp s’implique également, avec plus d’évidence, dans les instances institutionnelles déjà mentionnées auxquelles il convient d’ajouter la commission chargée d’assurer la défense passive dans la région parisienne33. Elle tente même d’en étendre le champ en réclamant, par exemple, un élargissement de la représentation syndicale dans la commission départementale chargée du calcul des indices du coût de la vie34 ou l’organisation d’élections aux caisses départementales d’assurances sociales et la gestion des caisses par les assurés eux-mêmes, selon les termes de la loi35.
12Ces champs d’action démultipliés contribuent, là comme ailleurs, au développement des unions locales, dénommées en région parisienne « comités locaux de propagande et d’action syndicale ». Au nombre de 13 à Paris, dans 16 de ses arrondissements, et de 55 dans la Seine, dans 68 communes au sortir des grèves36, elles sont respectivement 1937 et 58 dans 74 communes au début de 1938. Créditées d’avoir maintes fois « ramené le calme et l’union entre les organisations participant à l’activité des Front Populaire de base38 », elles en viennent à parfois se confondre avec elles, en incitant à des clarifications. En 1937, le secrétariat de l’Usorp décide ainsi que les organisations extérieures au mouvement syndical seront évacuées des locaux syndicaux39. Le congrès, tenu l’année suivante, suggère, quant à lui, d’abandonner la dénomination de « comités locaux », devenue source d’équivoques : « l’expérience a [montré] que les comités de chômeurs, de Front populaire, du RUP, étaient tous également appelés comités locaux », argumente Dupire qui propose de substituer à cet intitulé celui de « centre syndical », qui recentre les organisations avec plus d’évidence sur leur cœur de cible. Proposition adoptée à l’unanimité.
« Dans le centre essentiel de l’activité politique de notre pays40 »
13Les dirigeants ex-unitaires n’ont de cesse de rappeler que toute action de l’Usorp « a des répercussions immédiates sur tout le prolétariat parisien qui agit de même. Rien de ce que fait le prolétariat parisien n’échappe au regard des travailleurs français, tournés constamment vers Paris et son prolétariat41 ».
14Cette force d’attraction est d’abord attribuée à l’Histoire. « Ce n’est pas par hasard que [votre UD] reçoit le plus de coups, déclare, Benoît Frachon lors du congrès d’avril 1938. C’est que de tous temps, dans le pays, on a eu les yeux tournés vers Paris, ce Paris qui n’a jamais été conformiste, qui a toujours connu des remous révolutionnaires, [qui] ne s’est jamais courbé devant l’autorité établie, qui a fait tant de révolutions dans son histoire et naturellement, c’est humain et normal, des syndicats du pays regardent vers Paris et quand ça va mal à Paris, on n’est pas content dans la province et quand ça va bien, on est plein d’espoir […] parce que c’est le centre d’activité de tout le pays, la classe ouvrière est peut-être plus sensible aux événements qui s’y déroulent42 ». « Pour la classe ouvrière, pour les peuples du monde entier, Paris c’est la ville qui a été le théâtre des grands événements historiques ayant eu dans le monde de grands retentissements, ayant contribué […] à la marche vers le progrès social. C’est le Paris de 1789, 1848, 1871, c’est le Paris de 1920, c’est le Paris de 1934 s’opposant à la montée du fascisme », poursuit Henri Raynaud. Que « Paris Janus, berceau des grands musiciens, artistes, hommes de sciences, aux ouvriers professionnels à la conscience si élevée » soit également « le repaire des ennemis du peuple, pas seulement de notre pays mais aussi de tous les peuples, préparant la provocation pour la guerre », « pour les capitalistes, […] la ville où l’on s’amuse, où on fait la fête, ou l’on traite, ou l’on prépare les trahisons les plus grandes contre les peuples du monde entier… » confère au « prolétariat des descendants de la Commune » des responsabilités nationales43 autant qu’internationales44.
15Ces rappels quelque peu convenus s’accompagnent toutefois d’une approche économique, plus inédite, statistiques à l’appui, aux fins d’une meilleure maîtrise d’un territoire. L’Usorp se dote d’un service de documentation qui doit lui permettre « d’avoir une vue précise sur la situation industrielle, économique et politique de notre région45 » appuyée sur les données indispensables dont elle était jusqu’alors démunie. Cette attention pour la matérialité du territoire se retrouve dans l’allocution d’Eugène Hénaff devant le congrès d’avril 1938. Il invite cette instance, longtemps principalement focalisée sur les questions internes, à se baser « sur certains travaux réalisés à la Préfecture de la Seine » pour « ébaucher la géographie industrielle et commerciale de Paris et de sa banlieue ».
16Le film Les bâtisseurs, que Jean Epstein réalise en 1938 à la demande de la fédération CGT du bâtiment46, constitue une parfaite déclinaison de ce que sont les aspirations du Rassemblement populaire en matière de politique urbaine, d’hygiénisme et de grands travaux et met en valeur le rôle, complémentaire, des municipalités ouvrières de la Seine et des syndicats du bâtiment. Le discours d’Eugène Hénaff, peu ou prou contemporain, entre en résonance avec lui. Paris, rappelle-t-il, abrite la majorité des grands centres dirigeants politiques, économiques, actionnant le pays, des grandes sociétés anonymes, des banques capitalistes. Il constitue en quelque sorte, avec sa région le « cerveau du pays ». Il en décrit le centre, « lieu de négoce et de commerce abrit[ant] un tas d’industries de même que les services publics » puis s’attarde sur « l’industrie [qui] prend de plus en plus de place à mesure qu’on gagne la périphérie », évoquant Javel, Grenelle, les 18e, 19e et 20e arrondissements, « quartiers excentriques et industrialisés habités par une masse essentiellement ouvrière ». Les Ternes et Batignolles où se poursuit le tour de ville « ont attiré les petits-bourgeois tandis que la bourgeoisie proprement dite, qui peut se permettre une certaine aisance, peuple les quartiers d’Europe, Saint-Georges, Muette, porte Dauphine, d’Auteuil. Enfin les classes aristocratiques se sont groupées à l’Ouest dans le voisinage des Champs-Élysées, faubourg Saint-Honoré, Roule, Madeleine ». Il souligne les contrastes de cette ville « dans laquelle sont rassemblés les ouvriers à la conscience professionnelle si élevée » mais où l’on trouve aussi « le plus de misère cachée apparaissant la nuit aux Halles et aux bouches du métro », évoque les communes de banlieues, dans leur diversité, souvent sous-équipées47 et conclut en dénonçant violemment des ravages que la tuberculose fait courir aux plus démunis48.
Au service de « la population parisienne »
17Eugène Hénaff rappelle, dans cette même allocution, que l’Usorp a pour mission « de défendre l’ouvrier et l’ouvrière à toute heure de sa vie et quel que soit l’endroit où il se trouve », ce qui signifie « agir pour assurer à tous le droit au travail » mais également des « conditions de vie répondant à la dignité humaine ». Il introduit ainsi, en termes qui lui sont propres, la notion de « hors travail », ultérieurement qualifiée par la CGT, de « cadre de vie »49. Ce glissement de l’espace du travail à celui de la vie quotidienne s’accompagne d’une mutation des acteurs dont l’Usorp se veut l’expression, hier « travailleurs », « ouvriers et ouvrières », devenus au fil des discours les « usagers50 », « la population parisienne51 », « la collectivité parisienne » et même, en 1939, « l’opinion publique »52.
18Que Paris capitale soit régie par un statut d’exception et dirigée, depuis le tournant du siècle, par une majorité de droite, à contrechamp des orientations gouvernementales depuis 1936, rend là le terrain plus difficile qu’il ne l’est ailleurs. L’Usorp dénonce « l’activité néfaste des topazes écrasant d’impôts la population laborieuse », en voulant pour preuve les taxes sur le sucre, les boissons, les spiritueux. Elle dénonce leur attitude jugée bienveillante vis-à-vis des compagnies et sociétés concessionnaires de la ville et du département dont le métro, la TCRP53, les compagnies parisiennes de distribution du gaz et de l’électricité, qualifiées de « pillards de Paris du travail54 », et préconise une action à leur encontre.
19La critique des finances locales et départementales, jugées « inadaptées à la structure économique du pays », s’accompagne de propositions constructives appuyées sur les études du rapporteur général au budget de l’Hôtel de Ville et sur « le budget proposé par un groupe de conseillers municipaux faisant partie de la minorité de l’hôtel de ville » – par quoi il faut comprendre les communistes –, qu’elle entend soumettre au rapporteur55. L’Usorp en appelle, plus globalement, à une réforme de ces finances locales, liée à une réforme démocratique, et suggère notamment de réaménager le tarif de la taxe sur la valeur des propriétés bâties et non bâties, d’augmenter la taxe sur la valeur locative des locaux à usage industriels et commerciaux et – propre à surprendre aujourd’hui –, d’établir une taxe sur le cinéma « qui fait concurrence au théâtre en train de mourir ».
20Dans le droit-fil du programme du Rassemblement populaire, elle prône également de grands travaux à des fins indissociablement économiques et sociales. Le logement, les équipements collectifs et les transports retiennent plus spécifiquement son attention. Défendre les travailleurs « contre les vautours en lien avec l’association des locataires » mais également « les foyers ouvriers contre la maladie et la mort, susciter un courant d’opinion en reprenant une question soulevée depuis 1841 sur le taudis, le problème de l’urbanisme et de l’hygiène sociale », sont, écrit-elle, des questions qu’il convient de « ne pas considérer […] comme purement administrative mais sociale et par conséquent politique »56, terme souligné dans le texte pour mieux donner à voir et à entendre cette acception inusitée. Cela suppose un vaste plan de construction, poursuit-elle : démolition des îlots insalubres, construction de logements bon marché, exécution de travaux sur la zone, prolongement du métro en banlieue, construction de nouveaux hôpitaux, de maternité, de sanatoria et preventoria en province, assainissement de Paris et de la banlieue, aménagement des lotissements, travaux contre les inondations, construction d’écoles modernes, de parcs, de jardins, de garderies d’enfants, de piscines, de stages et de terrains de sport, d’une nouvelle Bourse du travail que l’explosion des effectifs rend nécessaire57.
Des pratiques en tension
21La pause, la chute du premier puis du second gouvernement Blum, la constitution du gouvernement Daladier suivie du recours aux décrets-lois complexifient ce rapport à la politique sans toutefois l’annihiler.
22En avril 1938, Henri Raynaud déclare que l’Usorp est « depuis [la victoire du Front populaire] restée trop intimement liée à son développement pour ne pas avoir compris toutes ses responsabilités58 ». Elle les exerce aussi longtemps qu’il lui est possible en combinant des pratiques empruntées à des registres d’action et des cultures hétérogènes.
23Les modifications du rapport des forces et l’effondrement même du Front populaire ne mettent pas un terme à sa politique de présence devenue structurelle à toutes échelles et dont la direction confédérale croit devoir réaffirmer la nécessité au début 1939. Le 17 janvier, elle infirme des décisions adoptées lors du précédent CCN qui invitaient les « représentants ouvriers » à s’abstenir de siéger dans « certains organismes de collaboration ou de défense » et appelle « chacun à reprendre ses fonctions au poste de combat que la confiance ouvrière, dans sa complète indépendance, lui avait assigné »59.
24Ce bastion des unitaires qu’est l’Usorp ne fait pas exception. Mais à l’égal du Parti communiste, il juge que le Rassemblement populaire résistera d’autant mieux aux compromis et abandons qui se dessinent face aux multiples contre-offensives engagées à son encontre qu’il demeurera, simultanément, porté par la mobilisation collective qui lui a valu d’exister et de l’emporter. Jusqu’à la fin 1936, le Comité régional de rassemblement populaire et l’Usorp en son sein n’ont eu recours à la mobilisation collective et populaire qu’à l’occasion de fêtes, de manifestations de souveraineté ou de cortèges funèbres (obsèques de Roger Salengro), en signifiant par là leurs liens consubstantiels avec cette expérience gouvernementale hors du commun. À partir de 1937, ce type de mobilisation se perpétue mais désormais coexiste avec d’autres, destinées à réagir contre tel aspect de la politique gouvernementale. Février est marqué par une manifestation des vieux travailleurs exigeant l’adoption de la loi sur les retraites, prévue dans le programme du Rassemblement populaire. Puis ce sont les manifestations consécutives à la fusillade de Clichy avec, pour la première fois depuis mai 1936, un appel à la grève que l’Usorp justifie par la nécessité de « coordonner les émotions de milliers de travailleurs » pour éviter des mouvements hors contrôle, mais que Léon Jouhaux désavoue devant la CA. Viennent ensuite une manifestation « pour une application sans entorse du programme commun », le 22 juin 1937, et, le 2 octobre, une autre « contre la vie chère », avec, cette fois, l’aval de la confédération qui « va certainement prendre la même initiative sur le plan du pays tout entier », présuppose l’Usorp. L’appel à manifester le 2 septembre 1938 contre les décrets-lois s’accompagne pareillement d’une démarche auprès la confédération aux fins d’un élargissement au pays tout entier « pour la défense des 40 heures et des lois sociales » et de la demande à sa CA de convoquer un CCN extraordinaire qui aurait à se prononcer sur la poursuite de l’action et à dénoncer le « refus de réajuster les salaires par voie d’arbitrage, la vie chère et les nouveaux sacrifices60 ». Le mouvement qui s’amorce va déboucher sur la grève générale du 30 novembre, son relatif échec et la répression qu’elle occasionne.
25Cette pratique en tension s’accompagne d’un constant souci de préserver l’unité du Rassemblement populaire, jugée d’autant plus nécessaire que les périls se font plus menaçants.
26L’Usorp qui est confrontée aux contradictions qui vont croissant et rejaillissent au sein même du comité régional du Rassemblement populaire s’essaie, en effet, à conserver et à exercer un rôle à la fois moteur et pacificateur. En novembre 1937, Henri Raynaud propose au comité d’organiser une grande conférence où seraient représentées toutes les organisations membres et qui s’appuierait sur des démonstrations imposantes pour l’application du programme qui leur est commun et suggère un plébiscite national sur la paix inspiré des ballots anglais61. Le rapport d’activité en vue du congrès de l’Usorp en 1938 rappelle que son dernier conseil général a décidé à l’unanimité de demander au comité de convoquer son congrès régional ou des assises régionales, ajoutant qu’en cas de nouveau retard et faute d’une action de sa part, l’Usorp pourrait être appelée « à prendre ses responsabilités » en jouant « comme elle le fit en 1934 et 1935 » un rôle de premier plan et en prenant l’initiative de convoquer elle-même les autres organisations du comité de rassemblement populaire62.
« Vous faites de la politique »…
27L’Usorp, dont on a vu qu’elle tente épisodiquement d’entraîner la confédération dans des actions qu’elle initie, n’hésite pas à lui donner également en exemple certaines de ses initiatives. Ainsi, l’organisme régional de la main-d’œuvre étrangère appuyé sur des comités de langue dont elle se dote, en 1938, ou, la même année, ses prises de position face à l’occupation de la Tchécoslovaquie63. Elle doit, en outre, à la centralité politique de son terrain d’exercice de déborder, occasionnellement, son assise territoriale en initiant certains projets de lois, tout en exprimant, alors, le regret d’avoir dû agir en lieu et place de la confédération. Elle est, ainsi, à l’initiative d’une réunion de toutes les organisations concernées par le travail à domicile aux fins d’une entrevue avec les membres des différents groupes parlementaires, au terme de laquelle « on demande à la CGT, [par quoi il faut comprendre ici l’Usorp], d’élaborer un projet de loi qui permettrait d’exprimer d’une manière concrète la volonté de notre mouvement syndical et les revendications des syndicats et travailleurs à domicile64 ». Le congrès du centre de liaison des comités pour le statut juridique des étrangers65, dans lequel elle est un acteur de premier plan, ayant adopté à l’unanimité les rapports qu’elle lui a présentés, ceux-ci sont relayés par le sous-secrétaire d’État à l’immigration, récemment constitué, qui envisage la création d’un comité interministériel et la mise en place d’une commission consultative où seraient représentés la CGT et les délégués des partis politiques s’occupant de l’immigration66. En mars 1939, un projet, élaboré en accord avec la CGT, est déposé au Parlement et mis en débat. Projet sans devenir eu égard à la conjoncture.
28Le rapport d’activité en vue du congrès d’avril 1938 se fait l’écho d’un indéniable agacement d’ex-confédérés devant cette propension de l’Usorp à se poser en avant-garde : « certains ont critiqué l’Union des syndicats d’avoir épaulé de toutes ses forces le syndicat des métaux […] sur le problème du rajustement des salaires ouvriers », en s’essayant à « mettre l’Usorp en opposition avec la CGT, l’une étant accusée de trop de sagesse ; l’autre de trop de turbulences ». Ce que le rapport récuse en ajoutant que les mêmes sont prompts à accuser l’Union « d’avoir freiné des mouvements, par exemple en septembre 1937 »67.
29La diversification des champs d’action et les alliances qu’elle autorise ou requiert suscitent des oppositions d’autres sortes. Raymond Froideval accuse l’Usorp d’avoir financé des affiches émanant de « certains groupements qui, tel le comité pour l’anticolonialisme, se forment, naissent et meurent assez rapidement68 » en invitant à réserver l’argent des syndicats à l’Union des syndicats. Le comité local du xxe siècle émet des réserves sur la participation au comité Thälmann en s’entendant aussitôt rappeler qu’en tant qu’« organisme de coordination et de liaison », il n’a pas à prendre position sur ce comité régulièrement reconnu par l’Union. Une UL ayant répondu à un courrier qui venait de lui être adressé qu’elle ne pouvait « à son grand regret y donner suite » dès lors que « l’organisation que nous avons mandat de représenter a voulu garder sa neutralité complète, n’étant affiliée à aucune étiquette politique, n’ayant pour but que l’idéal de nos justes revendications », se voit qualifiée par un responsable départemental de « corporatisme un peu étroit » quand « l’organisation patronale CGPF devrait faire comprendre la nécessité d’en sortir »69. La participation de l’Usorp à une journée de solidarité aux Asturies, organisée par le Secours populaire de Paris avec lequel l’Usorp dit entretenir « des liens étroits et presque structurels », à une journée d’amitié franco-soviétique puis à une fête communiste pour l’anniversaire de la mort de Pierre Degeyter, soulève des objections. Gaston Guiraud, ex-confédéré mais aussi bien trésorier, défend toutefois ces initiatives qu’il juge « indispensables pour les collectes et l’organisation de la solidarité avec l’Espagne70 ».
30Ce rejet de la « politique » peut s’exprimer à partir d’un tout autre argumentaire renouant avec le syndicalisme-révolutionnaire. Ce dernier transparaît chez ceux qui estiment que l’Usorp, qui s’est affirmée comme acteur politique, pourrait et devrait se dispenser de déléguer à d’autres et « démontrer qu’elle est prête à gérer elle-même les affaires de la collectivité parisienne71 ». Une déléguée du syndicat des instituteurs intervient ainsi lors du congrès d’avril 1938 pour faire état des inégalités scolaires sévissant en Seine-et-Oise, promue, dit-elle, à bientôt faire partie du Grand Paris. Elle souhaite « que la section syndicale, s’appuyant sur l’Union des syndicats, établisse un plan de construction scolaire départemental, rationnel et méthodique ». Elle salue l’effort des municipalités ouvrières mais ajoute que « si nous abandonnons la construction des écoles aux initiatives politiques, nous voyons qu’en contrepartie, les municipalités réactionnaires et dans les arrondissements de Paris défavorisés, les constructions s’opèrent sans égard pour les besoins de la population. L’intrusion du politique dans ce domaine nous paraît être une arme à double tranchant. C’est pourquoi nous préférons que les organisations syndicales de l’enseignement s’appuient sur la véritable classe ouvrière [sic] que nous considérons représentée à l’Union des syndicats de la région parisienne72 ».
31Lors du congrès régional de mars 1937, Eugène Hénaff croit devoir contrer frontalement ceux qui se défient des rapports redéfinis au politique ou les rejettent. Il imagine un dialogue avec « un camarade à l’esprit inquiet [qui] dira [que] si vous engagez une telle action contre les topazes de l’hôtel de ville, vous faites de la politique ». « Cela est vrai, poursuit-il. Je ferai ainsi de la politique. Au fond vous savez, même ceux qui s’en défendent font de la politique, le désaccord ne vient pas de là, il vient tout simplement du fait que la politique proposée par nous n’est pas leur politique. Voilà la vérité […]. Je préfère, moi, voir accuser le mouvement syndical de faire de la politique lorsqu’il agit contre les mal-élus de la ville de Paris en défendant les intérêts ouvriers plutôt que de ne rien faire ou laisser les topazes dans leur triste besogne. Au fond, ces camarades qui prétendent ne pas faire de la politique sont un peu comme ces gens comparables à celui qui conseille la poule à laquelle il dit de prendre garde aux rats. Elle se tourne d’un côté et le renard de l’autre la mange73. »
32L’Usorp qui mobilise sur des fronts multiples prend de fait appui sur tous les concours institutionnels propres à permettre des avancées. En décembre 1937, alors que des grèves sont en cours dans les services publics, l’alimentation et les transports, à quelques jours du vote du budget de la ville de Paris et du département, Henri Raynaud définit les tâches immédiates de la CE : « téléphoner à la CGT [la confédération] pour qu’elle intervienne auprès de Max Dormoy afin que les engagements pris envers les services publics soient tenus », ajoutant qu’« en cas contraire l’Union prendra position »74. La question des transports, dans laquelle elle s’investit sans relâche, lui paraît requérir une mobilisation de masse. En août de cette même année, elle se fait le porte-parole de la « population parisienne frappée par l’application des tarifs de gaz, de l’électricité, de l’eau, des autobus, par une deuxième augmentation du métropolitain, par les hausses de chemin de fer à la semaine pour les travailleurs habitant la banlieue », exige, en la matière, la stricte application, regrettant qu’on « ait frappé l’usager » avant d’avoir apporté aux gestions déficitaires des transports de la RP « les remèdes qui s’imposent… »75. Que le rapport des forces se dégrade et elle joue de la complexité institutionnelle de la région parisienne et des contradictions entre la municipalité parisienne solidement ancrée à droite et le conseil général, doté d’une majorité de Front populaire et présidé par le communiste Georges Maranne76 pour tenter de peser. En 1937, elle combattait les « Topaze de l’hôtel de ville », au nom du programme du Rassemblement populaire. En 1939, Henri Raynaud dénonce « les décrets-lois [qui] ont, malgré l’opposition majoritaire du conseil général de la Seine, imposé au mois de novembre une augmentation du tarif des métros et des TCRP » alors que ces décrets « donnaient un délai d’un an à l’administration départementale pour réaliser une deuxième augmentation, le Préfet à l’intention de ne pas attendre ce délai » et d’augmenter les tarifs dès le mois d’avril. « Nous ne devons pas accepter. Nous avons effectué une démarche auprès de la préfecture de la Seine et à la Présidence du conseil municipal pour demander de surseoir jusqu’en novembre 1939, conclut-il. Nous nous sommes portés garants, d’ici là, de fournir la preuve que l’augmentation des transports était un remède inopérant pour réduire le déficit des transports dès lors qu’elle diminue le nombre des usagers. » Un travail qui, dit-il, a commencé par les syndicats intéressés77. Elle invite, en sus, les sénateurs, députés, conseillers municipaux et généraux, maires, organisations, comités et associations « quel que soit leur champ d’activité » à constituer des comités d’usagers. Il convient, commente Le travailleur parisien, de « convoquer plus large que le Rassemblement populaire » dès lors qu’« il s’agit là d’un problème plus vaste que celui de la défense des revendications corporatives et la convocation de TOUS les élus, même ennemis de notre mouvement syndical, sera d’abord la preuve devant toute la population que notre but est uniquement la défense effective des usagers et contribuables »78.
33Au lendemain du congrès de Nantes, Le travailleur parisien décline plus généralement les orientations du plan de la CGT dans le cadre régional. Il en appelle, encore, à une exploitation des grands services publics en régie par la ville de Paris, à « agir avec toute l’opinion publique contre les impôts plus lourds de la ville » et pour gagner ladite « opinion », – notion dont on a dit le caractère jusqu’alors inusité –, « au mot d’ordre : le droit au travail pour tous ». Cet objectif peut être atteint « par la réalisation de 4 milliards de travaux d’intérêts publics votés par les assemblées délibérantes de la ville et du département, la création d’un immense réseau d’écoles professionnelles, le développement d’écoles de rééducation professionnelles, la retraite des vieux79 ». Dans un autre champ, l’Usorp se porte partie civile dans le procès des cagoulards80. La conjoncture politique devenue au bas mot difficile n’exclut pas ; du reste, certaines avancées institutionnelles dont le décret Pomaret portant création de nouvelles écoles de rééducation professionnelle, la réciprocité interdépartementale du délai de résidence entre la Seine et la Seine-et-Oise, la mise en échec du décret du 30 novembre qui prévoyait de radier des listes d’allocations les ouvriers licenciés pour avoir refusé des heures supplémentaires.
***
34Les effets conjugués de la législation nouvelle, des œuvres sociales créées dans la foulée de 1936 et des acquisitions de résidences ou de biens immobiliers ont contribué sinon à redéfinir, du moins à complexifier en profondeur la pratique syndicale. Elles créent de nouveaux espaces de négociation, ou, parfois, de gestion et autorisent le développement d’un syndicalisme de service. Des militants se muent en gestionnaires. D’autres acquièrent une formation de juristes. Arbitres ouvriers, négociateurs de conventions collectives, administrateurs ouvriers doivent maîtriser leurs dossiers. Les espaces de participation ouverts par la politique du gouvernement Blum valent donc à ces acteurs non institutionnels de la politique de faire politique sur divers modes. Le syndicalisme révolutionnaire a vécu. Une nouvelle culture syndicale a pris corps qui trouve à s’épanouir après guerre, au sein de l’État social.
35En 1939, Henri Raynaud évoque un article paru dans La République sous la signature d’Émile Roche dont il rappelle qu’il nourrit une profonde sympathie pour Georges Dumoulin, secrétaire général de l’UD du Nord : « la Région parisienne, écrit Émile Roche, a perdu tellement d’effectifs que c’est maintenant l’UD du Nord qui est devenue la première UD de la CGT ». « Nouvelle aussi fausse que stupide, commente Henri Raynaud, traduisant le désarroi de nos adversaires [face à la résistance des effectifs de l’Usorp]81. » Mais la contre-offensive qui se précipite après la grève de novembre 1938 et se renforce après la signature du pacte germano-soviétique et, bien sûr, au-delà vaut à cet indéniable bastion, animé par les cultures de mobilisation et de régulation née du Front populaire, de devenir une cible prioritaire et d’en payer le prix.
36Cette inscription dans deux types de cultures alors liées intrinsèquement contribue toutefois à une précoce implication des cadres et syndiqués de la région parisienne dans la politique de refus puis dans la Résistance. La mutation structurelle qu’ont subie leurs pratiques leur permet de combiner luttes revendicatives, lutte armée et lutte politique. Elle répond du rôle majeur d’André Tollet dans ce qui devient le Comité parisien de Libération et du rôle tant administratif que politique que va jouer ce dernier dans les premiers mois qui suivent la Libération82.
Notes de bas de page
1 Danielle Tartakowsky, Michel Margairaz, « L’avenir nous appartient ». Une histoire du front populaire, Paris, Larousse, 2006.
2 La voix du peuple (VdP), février 1937, circulaire H 83, 30 janvier 1937 : « Les UD devront s’employer au sein des comités départementaux du Rassemblement populaire à la recherche des meilleurs moyens de propagande en faveur des listes qui devront être vigoureusement soutenues par les organisations appartenant au Rassemblement populaire. »
3 AN F7 13618, avril 1922, rapport sur l’activité et la gestion des comités intersyndicaux présenté par Christen.
4 IHS CGT 97. CFD 2, sd. (1923 ?).
5 Robert Bothereau, CGT, Congrès confédéral d’unité à Toulouse du 2 au 5 mars 1936, Paris, CGT, 1936.
6 Robert Bothereau, IHS CGT, Compte rendu sténographié des débats du XXXIe Congrès national corporatif (XXVe de la CGT) tenu à Nantes du 14 au 17 novembre 1938.
7 IHS CGT 97 CFD 1
8 Ibid. Sans date.
9 VdP, 189-190, juillet-août 1936, p. 480, circulaire H 51, 8 juillet 1936, R. Bothereau.
10 VdP, 21 février 1938, circulaire H 152.
11 VdP, 195, janvier 1937, p. 52, circulaire H 80. IHS CGT, 39 CFD 9, février 1937 : « les UD doivent soumettre aux préfets des candidatures pour les fonctions d’inspecteurs régionaux et départementaux de l’enseignement technique ».
12 VdP, 219, janvier 1939, circulaire I 20, 4 janvier 1939 : les UD signalent que les commissions du travail sont appelées à examiner quel est le salaire départemental masculin moyen pour la détermination du taux des allocations familiales.
13 VdP, 191, septembre 1936, circulaire H 59, 31 août 1936.
14 VdP, mars 1937, circulaire H 92, 14 mars 1937.
15 VdP, 194, décembre 1936, circulaire H 74, 22 décembre 1936.
16 VdP, 218, décembre 1938, circulaire I 16, 16 décembre 1938.
17 VdP, 218, juillet 1938, rapports pour le congrès de Nantes, Bothereau.
18 AD 93, 49 J 3, congrès d’avril 1938, dactylographié, intervention de Hog.
19 AD 93, 49 J 4, congrès des 10 et 11 mars 1939, dactylographié, intervention de Benoît Frachon.
20 AD 93, 49 J 5, comité général, 21 novembre 1937, rapport d’Henri Raynaud.
21 AD 93, 49, J 7, Le travailleur parisien, 169, numéro spécial, congrès de mars 1938.
22 Article 21 des statuts confédéraux : « Les UD à très faibles effectifs pourront être rattachés aux unions voisines. » Ainsi, le Puy-de-Dôme et la Haute-Loire, la Savoie, la Haute-Savoie, la Seine et la Seine-et-Oise.
23 AD 93, 49 J 2, congrès de février 1937, dactylographié.
24 AD 93, 49 J 5, comité général, 21 novembre 1937 : interventions de Dietlin et de Dollet.
25 AD 93, 49 J 7, Le travailleur parisien, 71, janvier-mars 1939.
26 AD 93, 49 J 2, AD 93, 49 J, 165, octobre-décembre 1936, rapport d’activité pour le congrès du 5 au 7 février.
27 VdP, 188, 8 juin 1936.
28 Antoine Prost, Autour du Front populaire, Paris, Seuil, 2006, « Les effectifs syndicaux, 1918-1938 », p. 147-178.
29 Il donne sa démission le 20 octobre 1938, Victor Lefèvre l’ayant précédé dans cette voie.
30 AD 93, 49 J 7, Le travailleur parisien, 169, numéro spécial, congrès de mars 1938.
31 VdP, 193, novembre 1936, circulaire H 69, 19 novembre 1936.
32 AD 93, 49 J 7, Le travailleur parisien, 169, numéro spécial, congrès de mars 1938.
33 AD 93, 49 J 3, rapport sur les comités locaux.
34 AD 93, 49 J 3, congrès d’avril 1938, dactylographié.
35 AD 93, 49 J 2 congrès de février 1937, dactylographié.
36 AD 93, 49 J 9, rapport sur les comités locaux.
37 Les 1er et 2e arrondissements sont regroupés.
38 AD 93, 49 J 3, congrès d’avril 1938, dactylographié. Intervention de Hog.
39 AD 93, 49 J 5, bureau USRP, septembre 1937.
40 AD 93, 49 J 4, congrès du 9 au 11 mars 1939, dactylographié. Intervention de Benoît Frachon.
41 AD 93, 49 J 7, Le travailleur parisien, 169, numéro spécial, congrès de mars 1938, rapport d’activité.
42 AD 93, 49 J 4, congrès du 9 au 11 mars 1939, dactylographié. Intervention de Benoît Frachon.
43 « Nous devons entreprendre haut et ferme la bataille sociale dans tout le pays. »
44 AD 93, 49 J 3, congrès du 7 au 9 avril 1938, texte dactylographié. Intervention d’Henri Raynaud.
45 AD 93, 49 J 2, Le travailleur parisien, 165, octobre-décembre 1936, rapport d’activité pour le congrès du 5 au 7 février 1937.
46 http://www.cinearchives.org/videos_diaz/CineA-1938-Batisseurs VdP, 2010, avril 1938 : la circulaire H 160 mentionne le film et précise que la fédération, désireuse qu’il soit connu dans tout le pays, voudrait pour ce faire que les UD et UL aident à organiser des séances qui contribueraient à retenir l’attention du public sur le problème des grands travaux.
47 AD 93, 49 J 2, congrès, 5 février 1937 : un intervenant signale que les enfants de chômeurs vivant en banlieue n’ont pas pu se déplacer à Paris pour assister au Noël organisé à l’intention de tous les enfants. Il demande qu’on en organise un autre.
48 AD 93, 49 J 3, congrès du 7 au 9 avril 1938, texte dactylographié. Intervention d’Eugène Hénaff.
49 Danielle Tartakowsky, « La CGT, du hors travail au cadre de vie », dans Joel Hedde (dir.), La CGT de 1966 à 1984. L’empreinte de Mai 1968, Paris, Institut CGT d’histoire sociale, 2009.
50 AD 93, 49 J 7, Le travailleur parisien, 172, juin-juillet 1939. Lors d’une conférence à la bourse du travail, le 14 avril, Pierre Sémard déclare qu’on ne peut séparer les problèmes de la défense des usagers, des contribuables et des travailleurs des transports de la réorganisation des transports et se réclame d’une défense de la population parisienne.
51 AD 93, 49 J 6, Commission exécutive, 3 août 1937.
52 AD 93, 49 J 7, Le travailleur parisien, janvier-mars 1939.
53 Michel Margairaz, Histoire de la RATP, Paris, Albin Michel, 1989.
54 AD 93, 49 J 3, congrès du 7 au 9 avril 1938, texte dactylographié. Intervention d’Eugène Hénaff.
55 Ibid.
56 Ibid.
57 Danielle Tartakowsky, Joël Biard, La Grange-aux-Belles. Maison des syndicats, 1906-1989, Paris, Créaphis, 2012.
58 AD 93, 49 J 5, comité général, 21 novembre 1937, rapport d’Henri Raynaud.
59 VdP, 219, 19 janvier 1939.
60 AD 93, 49 J 6, commission exécutive, 31 août 1938.
61 AD 93, 49 J 5, résolution publiée dans La Voix du peuple, 205 : « [le CG] considère que la population de la région parisienne qui fut dans son immense majorité à l’avant garde de la création du front populaire est aussi résolue aujourd’hui à rester à l’avant-garde dans l’action nécessaire pour son application ».
62 AD 93, 49 J 7, Le travailleur parisien, 169, numéro spécial, congrès de mars 1938, rapport d’activité.
63 AD 93, 49 J 6, commission exécutive, 19 septembre 1938.
64 AD 93, 49 J 3, congrès du 7 au 9 avril 1938, texte dactylographié. Intervention de Brisot. VdP, novembre 1938, circulaire H 199, 10 novembre 1938 : création d’un « cartel de défense des travailleurs et travailleuses à domicile ».
65 Rhama Harouni, Les deux figures de l’étranger, 1936-1939, mémoire de maîtrise sous la direction de Michel Margairaz, université Paris 8, 1997.
66 AD 93, 49 J 3, congrès du 7 au 9 avril 1938, texte dactylographié.
67 AD 93, 49 J 7, Le travailleur parisien, 169, numéro spécial du congrès ordinaire, avril 1968.
68 AD 93, 49 J 3, 1938.
69 AD 93, 49 J 3, congrès du 7 au 9 avril 1938, texte dactylographié. Intervention de Varloteau.
70 AD 93, 49 J 6, commission exécutive, 8 octobre 1937.
71 AD 93, 49 J 7, Le travailleur parisien, 169, numéro spécial, congrès de mars 1938.
72 AD 93, 49 J 3, congrès du 7 au 9 avril 1938, texte dactylographié. Intervention de Juliette Hazelec.
73 Ibid. Intervention d’Eugène Hénaff.
74 AD 93, 49 J 6, commission exécutive, 30 décembre 1937.
75 49 J 6, commission exécutive, 3 août 1937. Lors du congrès d’avril 1938, Duisabou invite l’UR à s’inspirer de l’UD des Bouches-du-Rhône qui a mis en échec une augmentation de 50 % des transports à Marseille.
76 Emmanuel Bellanger, Ivry, banlieue rouge. Capitale du communisme français, xxe siècle, Paris, Créaphis, 2017.
77 AD 93, 49 J 4, congrès du 9 au 11 mars 1939.
78 AD 93, 49 J 7, Le travailleur parisien, 172, juin-juillet 1939.
79 49 J 7, Le travailleur parisien, 170, janvier-mars 1939.
80 AD 93, 49 J 3, congrès du 7 au 9 avril 1938, texte dactylographié. Intervention de Carasso.
81 AD 93, 49 J 4, congrès du 9 au 11 mars 1939, dactylographié.
82 Charles Riondet, Le Comité parisien de la Libération, 1943-1945, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017.
Auteur
Professeure émérite d’histoire contemporaine, université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis.
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