Chapitre 4. La carrière des officiers de finances
p. 127-180
Texte intégral
Uniforme conçu pour les officiers des finances de la Nouvelle-Espagne à la fin du xviiie siècle, Archivo General de Indias, Uniformes, México, 130.

1 Au-delà de la structure administrative du monde des finances de Nouvelle-Espagne des xviie et xviiie siècles et de son fonctionnement, ce sont bien les hommes les faisant vivre au jour le jour qui restent au cœur de notre préoccupation. Ce sont eux qui, à travers leurs choix, leurs décisions, leurs penchants personnels, transformaient un appareil bureaucratique en source d’enrichissement personnel et d’extorsion aux dépens de leurs administrés comme de leur souverain. Certes, les facilités que telle ou telle défaillance administrative accordait au développement général et banal de l’abus de pouvoir ne peuvent ni ne doivent être négligées. On ne saurait cependant en rester à une analyse se contentant de souligner un quelconque déterminisme exclusif entre les unes et les autres. Quels étaient donc ces hommes qui, forts d’un pouvoir qui leur était confié, s’ingéniaient à le détourner à leur profit ?
2Ces détenteurs d’une charge royale se révèlent tout particulièrement attentifs au bon déroulement de leurs carrières et aux possibilités de promotions qui leur sont offertes. Veillant jalousement sur leur prérogatives professionnelles, ils s’affichent toujours prompts à proclamer leur fidélité au service royal dans l’espoir d’en retirer un quelconque avantage, qu’il s’agisse d’une distinction, d’un titre ou d’une faveur... De tels comportements frappent par leur ambivalence. Ils sont sans aucun doute caractéristiques d’hommes appartenant à une société d’Ancien Régime dans laquelle la distinction honorifique, accompagnée de privilèges et préséances, prime sur tout ou presque. Mais le comportement social des officiers de finances de Nouvelle-Espagne se montre aussi étonnamment moderne. Il révèle de véritables professionnels de la chose administrative, conscients des responsabilités et des compétences acquises avec l’expérience. Ce constat ne peut qu’inciter à dessiner l’indispensable portrait des plus de trois cents individus qui, un siècle durant, personnifièrent l’administration des finances de la Nouvelle-Espagne en reconstituant les différentes étapes de la carrière d’un officier de finances en Nouvelle-Espagne entre 1660 et 1780. Au-delà, ce sont aussi les diverses motivations qui incitaient des individus à obtenir ces charges administratives qu’il deviendra possible d’identifier1.
Administration des finances et recrutement des officiers
3Dans le recrutement des individus auxquels serait confiée la gestion du « trésor américain », trois variables fondamentales en conditionnaient les choix : l’origine géographique, le niveau de compétences, la vénalité des charges. Malgré son risque de schématisme, le critère du lieu de naissance reste un premier filtre relativement aisé à identifier et à appliquer, permettant de distinguer essentiellement entre créoles et péninsulaires. Il n’en va pas de même pour ce qui concerne la vénalité des charges ou la compétence, toutes deux étant plus complexes à délimiter, en particulier dans le contexte colonial américain.
4La vénalité des offices recouvre ici deux pratiques fort différentes2. La vente par le roi de charges royales, selon un système proche de celui mis en place en France à partir du xvie siècle, s’appliquait aux offices qualifiés de vendibles y renunciables. Il s’agissait notamment d’offices de plumes tels que les escribanías ou charges notariales. L’acquéreur en possédait la pleine et entière propriété, ce qui lui donnait le droit de la transmettre contre le paiement d’une redevance équivalant au tiers de la valeur de la charge3. Cette première forme de vénalité voisine avec la concession restreinte de droits sur une charge baptisée bénéficia. Elle interdisait au bénéficiaire de se considérer pleinement propriétaire de son office. Il ne pouvait en particulier assurer la transmission de son bien à toute personne de son choix. Le bénéficia s’apparentait alors à l’origine à une vente viagère, le roi se réservant le droit, à la mort du titulaire, de récupérer l’office, de le remettre en vente, ou encore de désigner lui-même un nouvel officier. Cette pratique d’une vénalité tempérée s’appliquait tout particulièrement aux hautes charges de justice et de finances, spécialement celles occupées par les officiers royaux et les comptables des cours des comptes4.
5Cependant, malgré ces restrictions qui exprimaient les préventions du pouvoir royal à l’égard de ce qui apparaissait comme un abandon des prérogatives royales, les pressions constantes de la nécessité financière poussèrent régulièrement le monarque espagnol à négliger ces principes. Moyennant paiement, le bénéficiaire d’une charge beneficiada se voyait autorisé à désigner son successeur sans contrôle ni redevances d’aucune sorte. Cet élargissement de fait, sinon de droit, du bénéficia impose de donner à la vénalité un contenu plus large que celui du simple achat d’une charge auprès du roi. On se doit en effet de considérer comme une acquisition vénale toute nomination à un poste de titulaire acquise en dehors du Conseil des Indes. De fait, tel officier obtenant la confirmation de son office sans offrir le moindre « service gracieux » au roi, peut parfois être comptabilisé comme relevant du beneficio : derrière l’apparente normalité du recrutement, se cache en réalité une désignation provenant d’un droit de transmission acquis contre paiement par son prédécesseur. Parfois, cette transmission pouvait aller jusqu’à se transformer en une vente de type privé entre deux individus et sur laquelle la couronne n’exerçait plus aucun contrôle. C’est dire que pour déceler la réalité de la vénalité, on ne peut se contenter des seuls arrêtés de nominations, qui ne dévoilent que la seule présence de la vénalité royale. Ils doivent être complétés par les concessions de droit à nommer un successeur et par les attestations confirmant la réalité de leur mise en pratique.
6L’appréciation de la qualification des officiers recrutés nécessite, elle aussi, d’être explicitée. Nous ne disposons pas pour la période étudiée des rapports et appréciations réalisés par les officiers responsables sur les membres de leur service, pratique qui se généralise en Nouvelle-Espagne après 1780. Nous sommes donc contraints de recourir à des biais pour retrouver quelques indications indirectes. On se doit d’abord de souligner l’absence d’une réelle formation professionnelle autre que pratique pour les officiers de finances. Par ailleurs, il faut également considérer l’aspect exclusivement technique du savoir détenu par ces officiers. En d’autres termes, le seul réel moyen de mesurer un tant soit peu leur niveau de qualification repose sur l’appréciation de leur expérience. Celle-ci s’acquérait tout spécialement en passant au préalable dans des postes de responsabilité inférieure avant l’accès à la charge d’officier de finances. Elle s’obtenait accessoirement aussi par l’exercice d’une charge équivalente dans un service administratif voisin. La compétence, ainsi mesurée en termes de savoir-faire acquis avec le temps, allait donc le plus souvent de pair avec l’âge. Le portrait-robot d’un officier peu ou pas qualifié correspondra alors à un individu jeune entré directement dans sa charge d’officier. Sans aucune expérience administrative préalable, ou bien en provenance d’un secteur administratif sans aucun rapport avec sa nouvelle charge, il ne possédait que pas ou peu ces techniques si particulières de la comptabilité et notamment les règles fondamentales de la tenue des livres de comptes.
7A partir des variables ainsi définies, il est possible dans un premier temps d’établir la respiration du recrutement des officiers de finances entre 1660 et 1780. Pour ce qui est de la vénalité, les graphiques laissent clairement apparaître une coupure autour de l’année 1715 (Graphiques 1 et 2). Toutes catégories d’officiers de finances confondues, 85 % de la vénalité est antérieure à 1715. De même, durant les périodes où la vente des charges est la plus intense – soit entre 1680 et 1715 – le recrutement se fait presque exclusivement sous cette forme. Par la suite, hormis la brève reprise des années 1740-1745, la pratique de la vénalité est abandonnée dans le recrutement des officiers de finances de Nouvelle-Espagne.
8Ce rythme général s’applique cependant avec quelques nuances dans chacune des catégories d’officiers considérées. La vénalité s’exerça plus tôt, plus massivement et plus longtemps parmi les officiers royaux. Parmi eux, elle se généralisa dès les années 1650 puis, malgré une forte tendance au déclin après 1715 et indépendamment de la brève mais violente reprise durant les années 1740-45, elle resta un moyen ponctuellement utilisé dans leur recrutement. Par contre, chez les comptables de la cour des comptes de Mexico, 80 % des ventes de charges se situent entre 1680 et 1715.
9L’origine géographique des officiers de finances complète utilement cette première approche. Pour l’ensemble de la période, nous connaissons la provenance géographique de 226 individus : les officiers péninsulaires représentent 76 % de ce total. Parmi eux, se détachent trois régions métropolitaines qui fournissent les trois quarts des serviteurs de l’appareil administratif des finances (Tableau 1). L’ensemble castillan, cœur administratif et politique de la monarchie espagnole, fournit près du quart des officiers candidats à l’émigration. Son prolongement andalou, fort de son monopole des échanges avec l’empire, alimente aussi un fort courant migratoire au sein du personnel administratif. Enfin les provinces basques, traditionnelles pourvoyeuses dans la Péninsule elle-même de serviteurs de la bureaucratie castillane et par ailleurs d’actifs animateurs de la vie économique à l’échelle de l’empire, procurent un fort contingent d’officiers de finances à l’administration coloniale. Toutes les autres régions métropolitaines ne contribuent que très marginalement à l’émigration alimentée par les bureaucrates coloniaux. Une telle répartition géographique des flux laisse à penser que l’appareil administratif des finances coloniales était en quelque sorte abandonné entre les mains d’officiers dont les régions d’origine se trouvaient pour des raisons propres à chacune d’elle – position administrative dominante, maîtrise ou forte participation aux échanges commerciaux – en une situation privilégiée dans leurs relations politiques et économiques avec les territoires coloniaux. Quant aux officiers créoles, leur provenance largement dominante de la ville de Mexico et accessoirement de Guadalajara et La Havane confirme le modèle de recrutement observé à l’échelle de la Péninsule : les créoles se reculaient d’abord et surtout dans les « régions-capitales » fortes d’un appareil administratif capables de susciter et de produire des candidats à ces fonctions.
Graphique 1 RECRUTEMENT DES COMPTABLES DE LA COUR DES COMPTES DE MEXICO (1650-1780)

source : base de données Ministres sous Texto FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse.
Graphique 2 RECRUTEMENT DES OFFICIERS ROYAUX DE NOUVELLE- ESPAGNE (1650-1780)

Source : base de données Ministros sous Texto FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse.
Tableau 1 Lieux de naissance des officiers de finances de Nouvelle-Espagne (1660-1780)

Source : Base de données MINISTROS, sous Texto (FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse).
10Indépendamment des origines régionales des officiers de finances, il est également intéressant de considérer l’évolution du rapport entre créoles et péninsulaires entre 1660 et 1780 (Tableaux 2 à 5). Si le modèle valable pour les juges des audiences américaines s’appliquait ici, on devrait retrouver une répartition du recrutement des officiers de finances selon la césure de 17155. Qu’en est-il précisément ? Avant 1715, c’est-à-dire durant la phase de vénalité massive, les péninsulaires continuent à représenter plus de 77 % des personnels recrutés. En d’autres termes, pour cet aspect-là tout au moins, le recrutement des officiers de finances ne suit pas les règles observées pour la seule autre catégorie professionnelle précédemment étudiée et qui peut servir de point de référence.
Tableau 2 Nombre d’achats de postes d’officiers royaux de Nouvelle-Espagne selon les origines géographiques des titulaires (1660-1780)

M = métropolitain.
C – créole de Nouvelle-Espagne.
Américain – Espagnol d’Amérique.
Source : Base de données MINISTROS, sous Texto (FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse).
Tableau 3 Nombre d’officiers royaux de Nouvelle-Espagne recrutés hors vénalité selon les origines géographiques des titulaires (1660-1780)

M = métropolitain.
C = créole de Nouvelle-Espagne.
Américain – Espagnol d’Amérique.
Source : Base de données MINISTROS, sous Texto (FRAMESPA – UMR 559 ! du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse).
Tableau 4 Nombre d’achats de postes de la cour des comptes de Mexico selon les origines géographiques des titulaires (1660-1780)

M = métropolitain.
C = créole de Nouvelle-Espagne.
Américain = Espagnol d’Amérique.
Source : Base de données MINISTROS, sous Texto (FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse).
Tableau 5 Nombre de comptables de la cour des comptes de Mexico recrutés hors vénalité selon les origines géographiques des titulaires (1660-1780)

M = métropolitain.
C – créole de Nouvelle-Espagne.
Américain = Espagnol d’Amérique.
Source : Base de données MINISTROS, sous Texto (FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse).
Tableau 6 Niveaux de qualification des officiers royaux de Nouvelle-Espagne recrutés par la vénalité des offices (1660-1780)
PÉRIODES CHRONOLOGIQUES | OFFICIERS QUALIFIÉS | OFFICIERS NON QUALIFIÉS |
AVANT 1715 | 26 | 57 |
APRÈS 1715 | 4 | 10 |
1660-1780 | 30 | 67 |
Source : Base de données MINISTROS, sous Texto (FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse).
Tableau 7 Niveaux de qualification des officiers royaux de Nouvelle-Espagne recrutés hors vénalité des offices (1660-1780)
PÉRIODES CHRONOLOGIQUES | OFFICIERS QUALIFIÉS | OFFICIERS NON QUALIFIÉS |
AVANT 1715 | 5 | 10 |
APRÈS 1715 | 66 | 8 |
1660-1780 | 71 | 18 |
Source : Base de données MINISTROS, sous Texto (FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse).
11On peut enfin, dans un dernier temps, mesurer la relation de ces premières modalités du recrutement avec sa qualité, en évaluant le niveau de qualification des officiers (Tableaux 6 à 9). Pour les 289 officiers de finances, 55 % apparaissent comme ayant exercé une activité antérieure en rapport avec la nomination ultérieure. Si les officiers peu compétents représentent donc près de la moitié des recrutés entre 1660 et 1780, ils en constituent surtout les deux tiers parmi ceux en poste avant 1715. Bien plus enfin, les officiers inexpérimentés, recrutés avant 1715, représentent 85 % du total des officiers de ce groupe présents dans l’administration des finances entre 1660 et 1780. Cette relation manifeste entre inexpérience et recrutement antérieur à 1715 se vérifie également à l’intérieur de chacun des deux secteurs administratifs de l’administration des finances, confirmant que le poids des officiers peu ou pas compétents reste le plus fort avant 1715.
12Ainsi, la matrice du recrutement des officiers de finances s’établit-elle d’abord autour de cette charnière de 1715, notamment pour ce qui relève de la pratique de la vénalité et de la compétence des officiers. C’est en fonction de cette coupure chronologique qu’il faut continuer l’analyse du recrutement, tout particulièrement pour tenter de saisir l’impact réel du recours à la vénalité.
13Partant toujours du schéma élaboré pour les juges des audiences, il existerait une relation entre vénalité et origine géographique des officiers recrutés (Tableaux 10 à 13). Sur l’ensemble de la période, les 80 péninsulaires achetant leurs charges représentent 71 % des 112 acheteurs. Plus précisément encore, les 71 péninsulaires recrutés avant 1715 et ayant acheté leurs charges comptent 73 % des officiers de finances. Il devient donc clair que le mode de recrutement de ces officiers de finances ne se plie pas au modèle opératoire pour les audiences. A une forte domination péninsulaire durant toute la période, correspond une vénalité destinée, dans des proportions légèrement plus importantes encore, à ces mêmes péninsulaires. L’application de ce double paramètre au recrutement propre à chacune des composantes de l’administration des finances n’introduit pas de nuances significatives au tableau précédent. Dans les deux cas, le rapport entre créoles et péninsulaires recrutés selon le critère de l’achat de la charge est à peu de chose près équivalent à celui de l’ensemble du corps6. C’est dire que pour les offices de finances, à la grande différence des offices supérieurs de justice, la vente des charges n’entrouvrit que très faiblement la porte aux aspirants créoles.
Tableau 8 Niveaux de qualification des comptables de la cour des comptes de Mexico recrutés par la vénalité des offices (1660-1780)
PÉRIODES CHRONOLOGIQUES | OFFICIERS QUALIFIÉS | OFFICIERS NON QUALIFIÉS |
AVANT 1715 | 18 | 26 |
APRÈS 1715 | 2 | 5 |
1660-1780 | 20 | 31 |
Source : Base de données MINISTROS, sous Texto (FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche Université de Toulouse).
Tableau 9 Niveaux de qualification des comptables de la cour des comptes de Mexico recrutés hors vénalité des offices (1660-1780)
PÉRIODES CHRONOLOGIQUES | OFFICIERS QUALIFIÉS | OFFICIERS NON QUALIFIÉS |
AVANT 1715 | 9 | 7 |
APRÈS 1715 | 31 | 4 |
1660-1780 | 40 | 11 |
Source : Base de données MINISTROS, sous Texto (FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse).
Tableau 10 Niveaux de qualification des officiers royaux de Nouvelle-Espagne acheteurs de charges selon leurs origines géographiques (1660-1780)

M = métropolitain.
C = créole de Nouvelle-Espagne.
Américain = Espagnol d’Amérique.
Source : Base de données MINISTROS, sous Texto (FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse).
Tableau 11 Niveaux de qualification des officiers royaux de Nouvelle-Espagne non-acheteurs de charges selon leurs origines géographiques (1660-1780)

M = métropolitain.
C = créole de Nouvelle-Espagne.
Américain = Espagnol d’Amérique.
Source : Base de données MINISTROS, sous Texto (FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse).
Tableau 12 Niveaux de qualification des comptables de la cour des comptes de Mexico acheteurs de charges selon leurs origines géographiques (1660-1780)

M = métropolitain.
C = créole de Nouvelle-Espagne.
Américain – Espagnol d’Amérique.
Source : Base de données MINISTROS, sous Texto (FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse).
Tableau 13 Niveaux de qualification des comptables de la cour des comptes de Mexico non-acheteurs de charges selon leurs origines géographiques (1660-1780)

M = métropolitain.
C = créole de Nouvelle-Espagne.
Américain = Espagnol d’Amérique.
Source : Base de données MINISTROS, sous Texto (FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse).
14L’application marginale de la vénalité après 1715 modifia radicalement cette situation. Pour l’ensemble des recrutés selon ce procédé au-delà de cette date-charnière, les péninsulaires ne représentent plus que 60 %. Si ce changement ne se vérifie qu’incomplètement pour les officiers royaux7, il n’en est pas de même dans la cour des comptes de Mexico. Ici, les créoles acheteurs de charges dépassent légèrement – et c’est à cette seule occasion que cela se produit – les péninsulaires8. Dans un dernier temps, il est possible de cerner davantage encore l’impact de la vénalité sur le recrutement des officiers de finances en établissant la corrélation entre cette pratique et la qualification des officiers retenus. Pour les années 1660-1780, on comptabilise 66 % d’inexpérimentés – soit 98 officiers – parmi les 148 acheteurs de charges de finances. Dans le même temps, ces officiers ne représentent que 34 % du total des recrutés durant ces mêmes années. Enfin, les 83 recrutés peu ou non qualifiés et acheteurs de leur charge avant 1715 représentent 65 % parmi les 127 acheteurs de charges. C’est dire que la vénalité ouvrit largement la porte à des officiers peu préparés à affronter le travail qui les attendait. Ce constat s’applique, à quelques nuances près il est vrai, dans chacun des deux secteurs de l’administration des finances considéré séparément9. Parmi celles-ci, on se doit surtout de souligner la part sensiblement plus forte des officiers royaux acheteurs et incompétents par rapport au total des acheteurs. Il apparaît ainsi clairement que la vénalité, présente plus tôt et plus fortement dans le recrutement de cette catégorie d’officier, affecta plus profondément les caisses royales que la cour des comptes.
15Ces constats sont confirmés par l’étude de l’âge du recrutement des officiers de finances de Nouvelle-Espagne (Tableaux 14 à 17)10. La vénalité signifia en effet une diminution marquée de l’âge d’entrée en charge. Grâce à ce mode de recrutement, c’est autour de trente ans qu’un officier pouvait devenir titulaire de sa charge, quelle qu’elle fût11. A l’inverse, parmi les officiers recrutés sur leurs seuls mérites, l’âge moyen d’entrée en charge se situe autour de la quarantaine. Dans la pratique, la vénalité permit l’accès aux offices de finances à des candidats ne possédant même pas l’âge minimum requis12. Les exceptions faites à cette norme légale étaient loin d’être rares13. Elles représentent en effet, une fois retirés les officiers dont la légalité de la candidature se jouait à quelques mois près14, presque le quart des acheteurs de charge dont nous connaissons l’âge lors de leur titularisation15. Par contre, la disparition de la vénalité entraîne avec elle celle de ces titularisations illégales16.
16Il est possible d’affiner encore l’analyse en distinguant l’âge des recrutés selon leurs origines géographiques et en fonction de la date de leur recrutement. Pour ce qui est de la distinction entre créoles et péninsulaires, ces derniers sont globalement sensiblement plus âgés que leurs collègues américains. Cela est particulièrement sensible pour les officiers créoles acheteurs de leurs charges. L’âge moyen lors de leur intégration se situe à peine au-dessus du minimum légal. On ne se surprend pas alors de retrouver huit créoles acheteurs de charges ne possédant pas l’âge légal contre sept péninsulaires. Les premiers représentent en effet la moitié de tous les créoles acheteurs d’offices recrutés dans l’administration des finances entre 1660 et 1780, alors que les seconds n’en atteignent même pas le cinquième. Par la suite, l’abandon de la vénalité entraîne certes une augmentation significative de l’âge de titularisation des officiers créoles. Ils n’en restent cependant pas moins sensiblement plus jeunes que les péninsulaires.
Tableau 14 Age moyen d’entrée en charge des officiers de finances de Nouvelle-Espagne acheteurs de leur charge (1660-1780)

Sources : Base de données MINISTROS, sous Texto (FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse).
Tableau 15 Age moyen d’entrée en charge des officiers de finances de Nouvelle-Espagne non-acheteurs de leur charge (1660-1780)

Sources : Base de données MINISTROS, sous Texto (FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse).
Tableau 16 Age moyen d’entrée en charge des comptables de la cour des comptes de Mexico (1660-1780)

Sources : Base de données MINISTROS, sous Texto (FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse).
Tableau 17 Age moyen d’entrée en charge des officiers royaux des caisses de Nouvelle-Espagne (1660-1780)

Sources : Base de données MINISTROS, sous Texto (FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse).
17La distinction des âges de titularisation des officiers de finances en fonction de la coupure de 1715 montre, quant à elle, une double situation. Dans les caisses royales, les âges des officiers recrutés se répartissent fidèlement en fonction du mode de recrutement. Avant 1715, période de domination de la vénalité, les officiers royaux recrutés pour leurs mérites sont significativement plus âgés que l’autre catégorie d’officiers. A l’inverse, après 1715, les officiers royaux acheteurs de charges sont sensiblement plus jeunes que ceux recrutés sur la foi de leur expérience. Cette situation, qui confirme les observations antérieures, est à nuancer à la cour des comptes. Ici, les moyennes d’âges des officiers recrutés durant chacune des deux phases varient indépendamment de leur mode de recrutement. La moyenne des âges des recrutés par le biais de la vénalité avant 1715 reste très proche de celle des officiers n’ayant pas acheté leur charge durant la même période. De la même manière, cette moyenne d’âge augmente significativement après 1715, de façon tout à fait équivalente dans les deux cas de figure, pour rester très proches l’une de l’autre. Ces divergences illustrent les capacités d’adaptation du pouvoir royal aux contraintes exercées sur le recrutement par les nécessités financières dans lesquelles il se trouvait. Dans le premier cas, la forte pénétration de la vénalité des charges n’empêcha nullement le pouvoir espagnol de maintenir un contrôle minimum sur le recrutement des officiers de ce secteur. Il se traduisit par l’entrée dans ces charges d’officiers plus âgés et plus expérimentés, garantissant une efficacité minimale du fonctionnement administratif. Dans le second cas, celui d’une administration sensiblement moins affectée par la pratique ailleurs généralisée de la vénalité, le recrutement d’officiers peu ou pas compétents s’opéra par le biais de l’intégration de jeunes gens inexpérimentés. Quoiqu’il en soit de ces nuances révélatrices du maintien d’une maîtrise sur le recrutement des officiers malgré l’extension de la vénalité, dans les deux situations l’augmentation générale de l’âge des recrutés au-delà de 1715 correspond à la recherche d’une plus grande efficacité dans le travail des officiers.
18Ces diverses données permettent maintenant de dresser le bilan de l’impact de la vénalité des charges sur le recrutement des officiers de finances et, au-delà, d’en établir les répercussions sur l’administration. D’une manière constante quoiqu’inégale, la vénalité des charges signifia la faiblesse du rôle dévolu à la qualification comme critère de sélection des candidats. Par ailleurs, elle demeura aussi synonyme d’une créolisation relativement faible du recrutement de l’administration des finances. Cependant au-delà de ces conclusions générales il est surtout nécessaire de nuancer l’impact négatif de la vénalité sur le recrutement des membres de cette administration.
19Pour les officiers des caisses royales, la vénalité des charges appliquée avant 1715 laissa une petite place à des officiers s’écartant de cette ligne générale. En effet, si près des trois-quarts d’entre eux relevaient de la catégorie d’officiers non préparés à l’exercice de leurs charges, les autres possédaient au contraire une réelle expérience. C’est dire que parmi les officiers recrutés par le biais de la vénalité, on retrouve une minorité de candidats expérimentés. La vénalité s’appliquait ici à la promotion d’officiers subalternes possédant une réelle expérience. Une telle situation se retrouve encore plus massivement à la cour des comptes de Mexico où les acheteurs de charges expérimentés d’avant 1715 représentent près de 40 %. Par contre, après cette date, ces officiers ne représentent plus que des quantités négligeables aussi bien dans les caisses royales qu’à la cour des comptes de Mexico17.
20Il apparaît alors que la vénalité contribua surtout, tout au long de la période considérée, à accroître les contradictions au sein d’un système de recrutement dont les flux restaient relativement restreints. Durant la première période, elle signifia la nomination aux rares postes de responsabilité d’individus extérieurs à l’administration des finances. Pour les nombreux officiers subalternes, cette pratique ne leur laissait que d’infimes possibilités de promotion. Leur seule alternative consistait alors à accepter d’entrer finalement dans le jeu de l’achat des charges. Cette vive pression sur le système des promotions internes exercée par la vénalité était d’ailleurs douloureusement ressentie par les candidats du sérail et explique leur agressivité lors de chaque vacance de poste.
21A l’inverse, après 1715, le maintien marginal de ce type de recrutement introduisit une certaine souplesse. Dans un système de recrutement rigidifié par la priorité absolue accordée à la compétence, traduite à travers le seul terme d’ancienneté et visant avant tout à assurer la promotion interne d’officiers subalternes18, la vénalité injectait une légère dose de flexibilité. Elle permettait la prise en compte des facteurs externes au seul système bureaucratique. Quitte sans doute à introduire aussi, de manière ponctuelle, quelques éléments au départ peu efficaces.
22Cette fonction contradictoire et finalement ambiguë de la vénalité sur le recrutement des officiers de finances en Nouvelle-Espagne explique l’hostilité qu’elle rencontrait autant chez les officiers que parmi les membres du Conseil des Indes. Pour les uns, elle représentait une remise en cause un de leurs privilèges : celui de contrôler le recrutement des officiers du roi. Pour les autres, elle annihilait ce qu’ils considéraient comme un droit : celui d’accéder aux catégories supérieures d’officiers de finances. C’est dans ce refus absolu d’une pratique gênante aux yeux des hommes en place qu’il faut voir sa condamnation et les arguments employés à cette fin. Créolisation lourde de menace d’un appareil bureaucratique difficilement contrôlable selon les conseillers des Indes ; montée de l’incompétence et facteur de paralysie selon les officiers subalternes : la pratique de la vénalité sous sa forme américaine du bénéficia devint pour chacun la responsable de tous les maux. Pourtant, la réalité de son impact apparaît somme toute moins systématiquement négative que l’on a bien voulu l’admettre, à la suite de tous ceux qui en étaient de fait les principales victimes. Dans la période de crise de la monarchie espagnole, puis face à l’urgence de la guerre de succession, elle assura de précieux moyens sans réellement hypothéquer, ni totalement ni systématiquement, l’avenir. Accessoirement, dans un système de recrutement fondé sur la seule promotion interne, tendant nécessairement à se refermer sur lui-même à cause de son application mécanique après 1720, elle introduisit un facteur d’ouverture et de renouvellement non négligeable.
23Ces dernières constatations nous amènent maintenant à considérer le recrutement des officiers de finances hors vénalité (Tableaux 2 à 5 supra). Avant 1715, 32 officiers de finances seulement furent recrutés par ce biais sur les 143 qui obtinrent de la sorte un poste entre 1660 et 1780. Parmi eux, on retrouve près de 82 % de métropolitains, valeur sensiblement supérieure au poids du groupe quel que soit le type de recrutement considéré19. Cette priorité accordée aux métropolitains devrait en bonne logique se traduire dans le niveau de qualification des officiers recrutés. Or, les résultats contredisent radicalement l’argument des contempteurs de la vénalité des charges : la moitié des officiers ainsi recrutés étaient encore inexpérimentés20. Un tel constat, qui opère finalement dans le même sens que l’âge d’une bonne partie des officiers de finances au moment de leur recrutement, vient relativiser davantage encore l’influence négative de la vénalité des charges. En fait, il apparaît clairement que, quelle que fût la forme de recrutement utilisée avant 1715, le niveau de compétence des officiers de finances n’était pas alors un critère absolu et déterminant dans leur sélection. En ce sens, la pratique de la vénalité des charges ne déterminait nullement une situation qu’elle se contentait bien plus d’accompagner.
24Si l’on dépasse maintenant le constat global pour considérer chacune des deux composantes de l’administration des finances de Nouvelle-Espagne, on y retrouve des situations analogues. Une particularité mérite cependant d’être soulignée pour les officiers royaux. A la faiblesse du recrutement hors vénalité avant 1715 – seulement seize des quatre-vingts recrutés par ce biais entre 1660 et 1780 – correspond une exclusivité de la présence des métropolitains – les cinq pour lesquels nous connaissons l’origine le sont – qui sont tous des officiers expérimentés. Si l’on ne peut tirer de conclusions trop générales d’un constat fondé sur des données bien maigres, il mérite cependant d’être pris en compte. En projetant ce constat à la totalité des seize individus compétents recrutés hors vénalité avant 1715, cela représenterait au mieux, deux officiers métropolitains compétents par caisse royale sur une cinquantaine d’années ! Autant dire que ce ne pouvait être sur ces seuls officiers – ceux qui auraient été a priori les mieux disposés à l’égard des intérêts de la couronne – que pouvait reposer le bon fonctionnement de ce secteur administratif. Malgré l’extension d’une vénalité dénoncée comme pernicieuse, un simple souci d’efficacité minimale imposait de recruter d’autres officiers compétents pour assurer un tant soit peu le fonctionnement de cette machine administrative. C’est sans doute pour répondre à cette nécessité-là que l’on s’attacha au recrutement d’une forte minorité d’officiers royaux compétents par le biais de la vente des charges avant 1715.
25Au-delà de cette date, la place et les caractéristiques du recrutement hors vénalité changent profondément. Cette dernière pratique devient d’abord la forme dominante de sélection des futurs officiers de l’administration des finances de Nouvelle-Espagne : 78 % des 143 officiers sont recrutés de la sorte. Cela s’accompagne ensuite d’une péninsularisation marquée du monde des finances : près de 80 % des 92 recrutés hors vénalité viennent de métropole contre seulement moins des deux tiers de la petite minorité encore recrutée durant cette même période à partir de la vente des charges. Il devient enfin synonyme d’une forte augmentation de compétence des officiers, plus âgés et issus de secteurs administratifs en étroite corrélation avec leur nouvelle charge (Tableaux 6 à 9 et 14 à 17 supra). 84 % d’entre eux21 relèvent en effet de cette catégorie contre moins de 30 % de ceux qui, durant cette période, furent encore recrutés à partir de la vénalité des charges.
26Pour l’administration des finances dans son ensemble, l’abandon de la vénalité des offices au-delà de 1715 représenta donc un tournant décisif caractérisé tout à la fois par un net renforcement des métropolitains et un relèvement sensible du niveau de qualification. Ce changement correspondit en fait à la mise en place de nouveaux mécanismes de sélection des candidats aux offices de finances. Il traduisit en priorité le rôle décisif octroyé au passage dans une fonction d’officier intérimaire. Sur les 97 officiers compétents recrutés après 1715, 71 passèrent en effet par ce statut avant leur titularisation. Or, la nomination à titre intérimaire relevait du seul vice-roi. En d’autres termes, à partir de 1715, sous couvert de distinguer des officiers expérimentés afin de promouvoir leur avenir professionnel, le rôle du vice-roi tendit à devenir prédominant dans l’accès à la carrière administrative des finances. Ainsi, la primauté accordée à la compétence et donc à l’expérience se traduisit-elle à terme par un effet secondaire pernicieux. Elle signifiait en effet, pour trois candidats sur quatre, d’être en relation étroite avec le pouvoir local. La renonciation de la vénalité signifia aux yeux des contemporains l’abandon du principal vecteur des désordres et abus dans le monde administratif. Dans la pratique, son remplacement par le passage presque obligé à l’intérim signifia en priorité l’activation de réseaux de relations en Nouvelle-Espagne, aux dépens de l’administration centrale métropolitaine et sans garantie d’efficacité ou de compétence.
27Pour le dernier quart restant, les nouvelles modalités de recrutement représentèrent avant tout une possibilité de promotion dans leur administration d’origine, en Nouvelle-Espagne même. Ponctuellement enfin, ce mode de recrutement bénéficia aussi à quelques candidats à des mutations depuis la Péninsule d’abord, mais parfois aussi à partir de postes occupés en Nouvelle-Espagne. Quant au résidu d’officiers incompétents réussissant à échapper au nouveau modèle de recrutement mis en place, on peut remarquer qu’il ne s’agit qu’exceptionnellement d’individus provenant d’un autre secteur administratif de Nouvelle-Espagne : pas de militaire à la recherche d’une stabilisation professionnelle, peu d’alcaldes mayores en mal de nouveaux profits. Il s’agit, pour la grande majorité, de métropolitains obtenant leurs postes depuis l’Espagne et dont le recrutement met manifestement en marche des mécanismes de recommandation proprement péninsulaires. Nous pressentons en effet pour ces individus des appuis que leurs réseaux relationnels laissent entrevoir sans nous les dévoiler totalement22.
28Ces importantes transformations dans le recrutement des officiers de finances à partir de 1715 se présentent cependant inégalement dans chacune des branches de l’administration des finances. Les nuances se manifestent en particulier pour ce qui est de la place accordée aux péninsulaires. A la cour des comptes de Mexico, la rupture semble manifeste si l’on rappelle que, pour les acheteurs de charges de la même période, les créoles étaient les plus nombreux. Or, pour ce qui est des non-acheteurs, ces mêmes créoles ne représentent plus que le tiers des recrutés. Cependant, si l’on ramène cette péninsularisation du recrutement à la politique traditionnelle de l’institution, le changement apparaît alors bien moins marqué. En fait ici, dans une administration moins affectée par la vénalité, la nouvelle politique de recrutement mise en place ne signifia pas de bouleversement profond. Elle se traduisit plutôt par le renforcement d’une situation maintenue bien avant la charnière de 1715. Il n’en va pas tout à fait de même dans les caisses royales de Nouvelle-Espagne dont le recrutement avait été plus fortement affecté par la vénalité. Son abandon se ressentit davantage du fait de la fermeture aux candidats créoles d’un secteur qui leur était resté en partie accessible. Leur présence au sein des caisses royales, en diminuant de moitié, devenait alors résiduelle, dépassant à peine 10 % du personnel dirigeant.
29Quoiqu’il en soit de ces nuances, la fermeture renforcée à l’égard des créoles apparaît comme un phénomène général du recrutement sans pour autant signifier une augmentation proportionnelle du niveau de compétence. Ce constat nous amène maintenant à analyser les relations existant entre niveau de compétence et origine géographique des officiers de finances. Sur les 226 officiers de finances dont nous connaissons la provenance géographique, près de la moitié des ministres expérimentés sont des métropolitains alors que ces derniers comptent pour moins du tiers des officiers non qualifiés (Tableaux 9 à 13 supra). Les créoles quant à eux ne représentent que 29 officiers compétents alors que l’on en trouve dans le même groupe 23 inexpérimentés. Globalement donc, le poids des créoles incompétents équilibre pratiquement celui des compétents de même origine. Au contraire, chez les métropolitains, deux officiers sur trois relèvent du groupe des officiers expérimentés. Cette première approche, bien que grossière, n’en est pas moins à prendre en considération. En effet, la vénalité des charges ayant affecté dans des proportions équivalentes les deux groupes avant 1715 et le nombre total d’officiers recrutés avant et après cette date étant de valeur comparable, son résultat apparaît révélateur du recrutement opéré. On pourrait donc en conclure que la probabilité de rencontrer des créoles incompétents dans l’administration des finances entre 1660 et 1780 était sensiblement supérieure à celle d’y retrouver des péninsulaires de cette même catégorie.
30Cependant, étant donné le poids plus important des péninsulaires dans l’administration étudiée, on se doit d’affiner la mesure du rapport de compétence en relation avec le lieu d’origine géographique. Cela devient possible notamment en ramenant le rapport de compétence établi selon le double critère de l’origine géographique et du niveau de compétence au poids respectif de chaque groupe dans l’administration des finances. On constate alors que l’écart entre chaque entité géographique n’est plus aussi important que l’on pouvait le penser dans un premier temps, même si la part des péninsulaires compétents reste toujours supérieure à celle qu’ils représentent au sein de l’administration23.
31Il est possible d’avancer encore dans l’analyse en prenant en compte l’importance de la charnière chronologique de 1715. On peut en effet légitimement s’interroger sur son impact dans le poids respectif des créoles et péninsulaires en fonction du rapport de compétence de chacun. Avant 1715, les métropolitains compétents ne représentent plus que 43 % du total des métropolitains recrutés durant cette période24. Et c’est aussi le même ordre de grandeur qui s’applique aux créoles compétents de cette période en regard du total des créoles recrutés avant 171525. En d’autres termes, avant 1715, l’équilibre entre les uns et les autres signifie qu’il n’y a pas encore de différence significative de traitement pour leur recrutement. Par contre, après 1715, l’écart entre les deux groupes se creuse très sensiblement. Si le rapport de compétence des créoles s’établit à deux pour un, il est alors devenu pour les péninsulaires de six pour un.
32A la suite de cette analyse combinant niveaux de qualification, modes de recrutement et origines géographiques, on comprend mieux comment fonctionna le recrutement des officiers de finances entre 1660 et 1780. Il apparaît en priorité qu’aucune variable, aussi importante fût-elle, ne détermina ni n’orienta à elle seule l’ensemble du système. Malgré la responsabilité attachée à la vénalité des charges en Amérique autant de la part des contemporains que chez nombre d’historiens, ce n’est pas en fonction d’elle – de sa pratique ou de son abandon – que, un siècle durant, se régla le recrutement des officiers de finances. S’il ne peut être question de nier son rôle, on doit admettre que ce recrutement fut avant tout le fruit de combinaisons diverses entre les différentes variables selon des règles qui changèrent avec le temps.
33Avant 1715, la pratique de la vénalité fut sans doute le facteur déterminant qui orienta durant un demi-siècle le recrutement des officiers de finances. Ce fut tout particulièrement l’extension de cette pratique et sa quasi généralisation qui expliquent l’importance durant cette période d’officiers peu ou pas compétents. Cependant, cette méthode de recrutement s’appliqua indifféremment à l’origine géographique des candidats à ces postes, ne réussissant pas à remettre en cause un recrutement très majoritairement métropolitain. Par ailleurs, par le seul fait des besoins, cette vénalité s’appliqua aussi à la sélection de candidats compétents munis souvent d’une expérience solide. Ces derniers constituèrent ainsi tout au long de cette période une minorité non négligeable parmi les officiers retenus. Il est d’ailleurs remarquable de souligner que parmi ces officiers compétents et acheteurs de leurs charges, la part des créoles resta relativement élevée, confirmant avec éclat que vénalité ne rima ni avec créolité ni avec inefficacité.
34Au-delà de la charnière de 1715, l’abandon de la vénalité ne signifia nullement le retour à une pratique de recrutement contrôlée naturellement et pleinement par la métropole. Certes, après cette date, compétence et origine métropolitaine s’associent pour donner naissance à un système en apparence satisfaisant pour Madrid. La première impression suggérerait en effet que l’on entrerait alors dans une ère nouvelle baptisée comme étant celle de « l’autorité ». Une analyse plus fine et nuancée montre qu’il en va bien autrement. Derrière cette illusoire remise en ordre qu’accompagne la disparition de la vénalité des offices, se cache un effet particulièrement pervers induit par le critère de compétence mis en avant. A la recherche de candidats expérimentés pour son administration américaine des finances, la métropole ne pouvait finalement choisir que des individus ayant auparavant exercé des responsabilités proches de celles que l’on souhaitait leur confier. Faute d’une hiérarchie cohérente entre les différents secteurs composant l’administration des finances, faute aussi d’une réelle et importante mobilité géographique chez les officiers de finances, et donc en l’absence d’un véritable cursus honorum, où pouvait-on trouver les individus recherchés ? On résolut la question en choisissant massivement parmi les officiers intérimaires. Certes les nouveaux recrutés, plus avancés en âge que leurs prédécesseurs, offraient l’illusion rassurante de la sagesse et de la compétence qu’accompagne la maturité. Mais en même temps, la couronne concédait en réalité le seul réel pouvoir de sélection des futurs officiers de finances aux réseaux locaux qui, depuis la Nouvelle-Espagne et autour du vice-roi, distribuaient ces prébendes recherchées. Ainsi, malgré l’importance des modifications apportées aux conditions de recrutement, malgré l’insistance mise sur la compétence, malgré un renforcement sensible de la présence métropolitaine, malgré enfin l’abandon de la vénalité des charges, ne saurait-on considérer que le recrutement des officiers de finances de Nouvelle-Espagne connut après 1715 une profonde et radicale amélioration. Celle-ci ne fut en fait que très relative, et surtout ne permit nullement un quelconque renforcement de l’autorité métropolitaine. Cette dernière se contentait le plus souvent – dans trois cas sur quatre – d’entériner des choix locaux, expressions de jeux et d’intérêts personnels en Amérique dont elle ignorait le plus souvent les contenus.
35Une fois les obstacles de la sélection franchis, l’officier de finances voyait s’ouvrir devant lui des espaces professionnels nouveaux. Les aléas liés à ses statuts antérieurs disparaissaient avec son recrutement, celui-ci étant théoriquement viager. Il n’existait pas ici de durée d’exercice de la charge fixée à l’avance, avec à son terme l’échéance de la residencia. Tout se conjuguait donc pour assurer une longue carrière à qui venait d’être accueilli. Qu’en fut-il exactement dans chacun des deux corps composant le groupe des officiers de finances de Nouvelle-Espagne ? C’est à cette question que nous répondrons maintenant en distinguant officiers royaux et comptables de la cour des comptes dont les obligations et les contraintes professionnelles étaient en fait bien différentes.
La carrière de l’officier royal : une absence de perspectives
36Le déroulement de la carrière d’un officier royal de Nouvelle-Espagne se définit en priorité par sa stabilité géographique. Nous connaissons 168 déroulements de carrières sur les 186 officiers recrutés dans les différentes caisses de Nouvelle-Espagne (Tableaux 18 à 20). Pour huit sur dix d’entre eux, leur carrière ne connut pas d’autre horizon que celui de leur première affectation26. Une telle immobilité établie comme règle de fonctionnement professionnel marqua profondément le déroulement des carrières des officiers royaux.
37Un officier royal titulaire de son poste, quel qu’il fût, n’acceptait qu’exceptionnellement une commission d’officier royal intérimaire dans une autre caisse, même voisine27. Or les besoins en intérimaires expérimentés et fiables étaient importants et réels. Les fréquentes suspensions auxquelles étaient exposés les officiers royaux dans l’exercice de leurs responsabilités, laissaient les caisses royales privées de responsables pendant de longues semaines quand il ne s’agissait pas de mois. Il fallait aussi pourvoir ponctuellement au remplacement temporaire d’un titulaire décédé avant que le processus de désignation du successeur ait pu faire son œuvre. Or, les officiers en poste ne se soumettaient que de très mauvaise grâce à ces obligations. Tel fut bien le cas en mars 1718 lorsque les officiers royaux de Veracruz protestèrent contre le principe de la mobilité que le vice-roi venait de leur appliquer. Leur argumentation se réduisait à la défense des intérêts de l’administration royale car, selon eux :
« Los oficiales reales de coda caxa están instruidos en lo conducente a sus ministerios ».
Tableau 18 Nombre d’officiers royaux de Nouvelle-Espagne n’ayant connu qu’une seule affectation répartis selon le nombre d’étapes précédant leur titularisation (1660-1780)

Source : Base de données MINISTROS, sous Texto (FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse).
Tableau 19 Postes successifs d’officiers royaux de Nouvelle-Espagne ayant été mutés (1660-1780)
CAISSES | 1er poste | 2e poste | 3e poste |
Acapulco | 0 | 0 | 0 |
Bolaños | 0 | 2 | 0 |
Durango | 2 | 0 | 0 |
Guadalajara | 1 | 1 | 0 |
Guanajuato | 1 | 2 | 0 |
Mexico | 1 | 4 | 1 |
Pachuca | 2 | 0 | 0 |
S. Luis Potosí | 1 | 0 | 1 |
Sombrerete | 2 | 1 | 0 |
Veracruz | 1 | 1 | 1 |
Yucatán | 1 | 1 | 0 |
Zacatecas | 1 | 1 | 0 |
Zimapán | 0 | 0 | 0 |
Source : Base de données MINISTROS, sous Texto (FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse).
Tableau 20 Nombre d’officiers royaux de Nouvelle-Espagne ayant obtenu une promotion vers d’autres fonctions (1660-1780)
CAISSES D’ORIGINE | NOMBRE D’OFFICIERS PROMUS |
Acapulco | 2 |
Bolaños | 0 |
Durango | 0 |
Guadalajara | 1 |
Guanajuato | 1 |
Mexico | 8 |
Pachuca | 1 |
S. Luis Potosí | 2 |
Sombrerete | 1 |
Veracruz | 2 |
Yucatán | 2 |
Zimapán | 0 |
Nouvelle-Espagne | 24 |
Source : Base de données MINISTROS, sous Texto (FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse).
38La mobilité pouvait alors se traduire par la multiplication d’erreurs, même de la part d’officiers particulièrement compétents28. Cette réticence allait parfois jusqu’au refus catégorique essuyé par l’administration dans au moins deux des propositions faites à des officiers royaux titulaires. Pour Francisco de Tineo, comptable de la caisse de Sombrerete, son refus d’un remplacement sur la caisse voisine de San Luis Potosí, vers 1760, ne souffrit pas d’appel. Les justifications qu’il avançait procédaient toujours selon une argumentation que l’on retrouve dans des circonstances analogues. En premier lieu venait le coût excessif d’un déplacement pour toute une famille et pour une durée non établie à l’avance. Ensuite intervenaient l’âge de l’officier pressenti et sa santé bien trop fragile. Enfin surgissait le précédent créé par un refus antérieur que l’on se plaisait à rappeler à son administration de tutelle29. Quelques années plus tard, en novembre 1763, à nouveau sommé par le vice-roi de se déplacer temporairement à Guanajuato, Francisco de Tineo ne put se dérober. Il négocia cependant âprement son affaire et obtint une mutation à titre définitif et acheva sa carrière au cours des années 1780 dans cette dernière caisse royale30. Ces passes d’armes illustrent la difficulté pour le vice-roi à obtenir satisfaction sur un point pourtant non négligeable. Surtout, devant les refus catégoriques des officiers en poste et plus généralement afin d’éviter de les provoquer, les vides laissés par une sanction ou un décès étaient essentiellement comblés par des candidats à un recrutement futur, demandeurs d’expérience professionnelle.
39L’introduction de la mobilité représentait pourtant un moyen de couper les liens noués entre les officiers et leurs administrés. Il est d’ailleurs symptomatique que sur les treize mutations réalisées, trois seulement se placent avant 1720. La pratique de la mutation de poste apparaît alors comme un biais efficace mais très difficilement utilisé avant 1780, destiné à accroître l’indépendance des officiers des caisses royales par rapport à la société environnante. Pourtant, face à cette possibilité, les réticences des officiers royaux restaient vives. Leur refus des mutations de poste prolongeait le plus souvent celui des commissions d’officier intérimaire. En effet, ces attributions temporaires étaient dans plus d’un cas sur trois le prélude à une mutation sur le poste concerné. Pourtant et d’une manière plus générale, cette absence de mobilité géographique s’accompagnait pour les officiers royaux de l’inexistence des possibilités de promotions. Dès lors, on se doit d’admettre que les 24 individus ayant bénéficié de cette possibilité représentent de réelles exceptions.
40En réalité, sur ces 24 officiers, seuls 17 obtinrent de franches promotions, le reste ne décrochant au mieux, dans des cadres administratifs différents, que des postes à peine plus prestigieux que ceux qu’ils abandonnaient (Tableau 21). Pour les 17 autres, un clivage chronologique manifeste se dessine entre deux orientations administratives. La dernière promotion sur un poste de gouverneur provincial date de 1735. Au-delà de cette date, tous les individus concernés se virent affectés sur des postes supérieurs au leur dans l’administration des finances ou très proche d’elle : cour des comptes, surintendances de finances et enfin intendances de provinces. L’orientation des promotions affectées dans un premier temps aux officiers royaux confirme avant tout le caractère régional de ces offices. Au xviie siècle et encore au début du siècle suivant, lors de vacances d’un poste de gouverneur, il semblait naturel de penser à un officier royal pour lui succéder. En d’autres termes, avant d’être un homme de finances, l’officier royal apparut longtemps comme un homme de terrain31. Ultérieurement, c’est au contraire la compétence technique de l’officier que l’on mit en avant en lui proposant des promotions dans le cadre de son administration d’origine ou plus généralement de ses savoir-faire. Ces promotions illustrent la mise en place, au cours de la première moitié du xviiie siècle et plus précisément peut-être au cours de la décennie 1730, d’une ébauche de cursus honorum destiné aux officiers royaux distingués pour leurs capacités. Cependant, la lourdeur des pesanteurs administratives tout autant que les réticences des officiers eux-mêmes transformèrent cette tentative en exception avant les années 1780.
Tableau 21 Fonctions occupées par les officiers royaux promus hors de leur corps d’origine (1660-1780)
SECTEURS ADMINISTRATIFS | OFFICIERS CONCERNÉS |
1) Postes de même niveau | |
Administration municipale | 1 |
Administration générale | 1 |
Administration des finances | 5 |
2) Postes niveau supérieur | |
Administration régionale | 6 |
Fonctions de responsabilité dans les finances | 11 |
3) Total Promotions | 24 |
Source : Base de données MINISTROS, sous Texto (FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse).
Tableau 22 Nombre d’officiers royaux de Nouvelle-Espagne répartis selon profils et durées des carrières (1660-1780)

– Durées exprimées en mois.
– Profils de carrière :
n° 1 : Officiers royaux n’ayant connu qu’une affectation ;
n° 2 : Officiers royaux ayant connu plusieurs affectations :
*a : durée dans le premier poste,
*b : durée dans le second poste,
*c : durée dans le troisième poste ;
n° 3 : Officiers royaux ayant continué leurs carrières hors des caisses royales.
Source : Base de données MINISTROS, sous Texto (FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse).
41Fortement attaché à un poste souvent chèrement acquis, l’officier royal connaissait une carrière qui se déroulait sans surprise, troublée seulement par la menace des suspensions d’exercice. Pour l’ensemble des officiers royaux de Nouvelle-Espagne, la durée moyenne de leur carrière est inférieure à quinze ans (Tableaux 22 et 23). On retrouve cette durée parmi ceux – la très grande majorité – n’ayant connu qu’une seule affectation. De la même manière, les durées médiane et modale des carrières de ces mêmes officiers se situent aussi toutes deux dans ce même ordre de valeur et ne dépassent pas une quinzaine d’années de travail comme titulaires d’une caisse royale.
42Si l’on compare ces durées à celles d’autres secteurs administratifs, l’avantage des officiers royaux apparaît nettement. Face aux responsables municipaux élus chaque année32, face aux alcaldes mayores nommés pour des quinquennats, face à des gouverneurs provinciaux désignés sans précision de durée et relevables de leurs charges à tout moment, ils incarnaient la véritable continuité de l’autorité monarchique dans leurs provinces. Leur stabilité géographique et professionnelle les transformait en intermédiaires privilégiés que l’on se devait de se ménager. Il faut cependant restreindre la primauté des officiers royaux sur les autres représentants du roi aux seules situations provinciales. Dans les capitales administratives, les juges des audiences et les membres des cours des comptes éclipsaient ces officiers bien moins prestigieux.
Tableau 23 Durée des carrières d’officiers royaux de Nouvelle-Espagne selon les types de profils (1660-1780)
PROFILS | MÉDIANE | MODALE | MOYENNE |
n° 1 | > 120 et ≺ 180 | > 120 et ≺ 180 | 173,3 |
n° 2 | > 60 et ≺ 120 | ≺ 60 | 290,4 |
n° 3 | > 120 et ≺ 180 | > 60 et ≺ 120 | 165,2 |
Toutes carrières | > 120 et ≺ 180 | > 120 et ≺ 180 |
– Durées exprimées en mois.
– Profils de carrière :
n° 1 : Officiers royaux n’ayant connu qu’une affectation ;
n° 2 : Officiers royaux ayant connu plusieurs affectations ;
n° 3 : Officiers royaux ayant continué leurs carrières hors des caisses royales.
Source : Base de données MINISTROS, sous Texto (FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse).
43La durée de carrières des officiers royaux renvoie aussi à la longueur des étapes précédentes, à l’âge d’entrée dans la charge et donc à la vénalité des offices (Tableau 24). C’est en effet parmi les officiers obtenant leur titularisation encore jeunes ou très jeunes que l’on retrouve ceux – à quelques rares exceptions près – qui entrèrent directement dans un office d’une caisse royale sans connaître la moindre étape préparatoire, par la seule grâce de leur achat33. Pour tous les autres, soit 66 % de l’échantillon, il leur fallait passer par d’interminables préliminaires qui les faisaient atteindre leur but à un âge plus que respectable34. Pour eux, l’entrée dans un office de finances se réalisait après une attente moyenne de plus de treize années d’activité dans un autre secteur administratif. La vénalité demeurait certes encore un excellent moyen d’écourter cette attente de près de deux ans. Il n’en reste pas moins que, pour les deux-tiers des officiers royaux, l’arrivée dans un premier poste de responsabilité dans cette administration demeurait un aboutissement long à se dessiner. On comprend alors mieux l’agressivité des officiers face à tous ceux qui interféraient dans des étapes de promotions fort lentes tout autant que leur condamnation sans appel de la vénalité des offices.
Tableau 24 Délais d’entrée dans les charges d’officier royal des caisses de Nouvelle-Espagne (1660-1780)

Durées exprimées en mois.
Source : Base de données MINISTROS, sous Texto (FRAMESPA- UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse).
44Cependant les délais imposés aux officiers royaux avant leur titularisation dans la charge variaient fortement selon leur administration d’origine autant que selon la voie d’accès choisie. A partir des données recueillies, une relation de proximité s’établit entre le service d’accueil et le service de départ. Celle-ci pourrait se décliner selon l’axiome suivant : plus la proximité professionnelle entre les deux services est forte, moins long est le délai d’intégration. Cette règle de base est cependant fortement corrigée par le passage ou non du candidat par un poste d’officier intérimaire dans le nouveau service auquel il prétend être rattaché. Cet intérim permettait un raccourcissement sensible des délais et fonctionnait surtout comme une véritable présélection des candidats. Dans le même temps, les officiers se réorientant professionnellement par le biais de la vénalité des charges échappaient à cet intérim. Claire confirmation que l’abandon de la vénalité signifia une modification importante dans la sélection des candidats aux offices royaux. Indépendamment du fait que le vice-roi voyait son droit d’intervention renforcé, l’intérim opérait comme une étape de formation. Par sa durée moyenne importante, elle garantissait une initiation à des individus pour lesquels les aspects techniques de leur futur travail étaient le plus souvent méconnus. En d’autres termes, l’abandon de la vénalité et le passage presque systématique des futurs officiers par cette étape d’initiation35 d’une quinzaine d’années, garantirent dès les années 1720 une solide professionnalisation du corps des officiers royaux de Nouvelle-Espagne. Ces changements placèrent aussi sous un jour nouveau la carrière effective d’officier royal. Sa relative brièveté – une quinzaine d’années seulement – allait de pair avec une vie professionnelle qui, elle, ne l’était pas. Ils éclairent enfin les réticences des officiers royaux à la mobilité. Considérant un peu leur nomination comme le résultat d’un long et tortueux périple professionnel, ils l’assimilaient à un aboutissement et non à une nouvelle étape. Ainsi, la difficile mise en place d’une mobilité géographique des officiers royaux à la fin du xviiie siècle se révèle-t-elle être l’un des effets pervers de leur progressive professionnalisation depuis le début du siècle.
Tableau 25 Nombre d’officiers royaux ayant été suspendus dans les différentes caisses royales de Nouvelle-Espagne (1660-1780)
CAISSES ROYALES | OFFICIERS SUSPENDUS | OFFICIERS AYANT EXERCÉ |
Acapulco | 2 | 13 |
Durango | 3 | 17 |
Guadalajara | 5 | 15 |
Guanajuato | 2 | 12 |
Mexico | 6 | 44 |
Pachuca | 2 | 12 |
S. Luis Potosí | 2 | 9 |
Sombrerete | 2 | 5 |
Veracruz | 12 | 27 |
Zacatecas | 4 | 20 |
Yucatnn | 1 | 12 |
Total | 41 | 186 |
dont suspensions définitives | 22 |
Source : Base de données MINISTROS, sous Texto (FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse).
45Durant la quinzaine d’années d’exercice de leurs responsabilités, la présence effective des officiers royaux à la tête de leurs caisses était cependant souvent perturbée par de nombreuses interruptions de carrière, résultat des inspections auxquelles ils étaient soumis. Parmi 168 officiers royaux dont nous connaissons le déroulement de carrière, le quart fit face à cette mésaventure (Tableau 25)36. En ramenant le nombre des suspendus au personnel ayant effectivement exercé dans chacune des caisses, on obtient une meilleure idée de l’impact réel de telles mesures sur cette administration. Six caisses sur dix connurent un pourcentage d’officiers royaux suspendus égal ou supérieur à la moyenne d’officiers suspendus pour toutes les caisses royales. Parmi celles-ci, se distinguent tout particulièrement trois des principales caisses royales de Nouvelle-Espagne en dehors de Mexico : Zacatecas, Guadalajara et surtout Veracruz37. A elles seules, elles comptent en effet vingt suspensions sur les 56 imposées entre 1660 et 1780. Cette géographie des sanctions vient d’abord opportunément rappeler le souci de l’administration centrale de contrôler au mieux le fonctionnement effectif des principaux centres administratifs. Mais elle permet aussi d’en mesurer l’impact négatif sur la continuité du fonctionnement administratif.
Tableau 26 Répartition des durées de suspension des officiers royaux de Nouvelle-Espagne (1660-1780)

Durées exprimées en mois.
Source : Base de données MINISTROS, sous Texto (FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse).
46La durée de ces interruptions est un autre aspect à considérer (Tableau 26). La suspension étant le plus souvent – malgré parfois son caractère d’illégalité – décidée dès le début de l’enquête sur la foi des dénonciations ou des rumeurs, la durée de l’inspection conditionnait celle de l’interruption. Une fois l’instruction close, le rapport était adressé au tribunal chargé de juger. Quand il s’agissait du Conseil des Indes, il n’était pas exceptionnel que l’officier suspendu fasse lui-même le voyage pour plaider sa cause, provoquant généralement un allongement du procès. Dans de telles conditions, ce n’était que bien des mois plus tard, que la sanction revenait en Nouvelle-Espagne pour application. Quelle qu’ait pu être la décision prise, elle signifiait une moyenne de trois années d’interruption38, avec un maximum ayant atteint, à une occasion, près de treize ans39.
47De telles durées et leur fréquence dans les principaux centres de l’administration fiscale de Nouvelle-Espagne incitent à réfléchir sur l’impact de ces mesures. Si elles confirment que la préoccupation royale de contrôle n’était pas vaine bien avant la seconde moitié du xviiie siècle, elles se traduisaient toujours, pour les caisses les plus affectées et quelles qu’en fussent les raisons, par une profonde et durable désorganisation : situation que tous les officiers royaux se plaisent à rappeler dans toutes les occasions40. Il est vrai que, dans une caisse comme Veracruz, près de la moitié des officiers recrutés subirent ainsi ce genre d’interruption, diminuant d’autant la durée effective d’exercice de leur charge. Ainsi, en tenant compte de ces constats relevés là où les sanctions furent les plus régulièrement appliquées, devient-il possible de mesurer l’impact réel des suspensions sur le fonctionnement des principales caisses royales. Ces dernières ayant vu passer le plus grand nombre d’officiers royaux, on peut estimer qu’entre le tiers et la moitié des officiers virent la durée effective de leur carrière diminuée des trois années correspondant à la moyenne des suspensions. Elles ramènent donc, pour ces officiers-là, la durée effective de leurs carrières à une douzaine d’années seulement, indépendamment des désordres qu’elles signifièrent.
48La seule exception notable à cette règle quasi applicable aux principales caisses de la Nouvelle-Espagne n’est autre que Mexico. Malgré des inspections nombreuses, le taux de suspension est étonnamment faible. Cela tient avant tout au long procès qui, presque trente ans durant, bloqua littéralement le recrutement de nouveaux officiers titulaires dans cette caisse et dont les rebondissements successifs nous sont connus. Cela tient aussi à l’éclatement des responsabilités de la caisse entre diverses contadurías autonomes bien moins régulièrement soumises à enquêtes. Cela tient enfin à ce que les responsables de ces secteurs financiers distincts de la caisse de Mexico ne relevaient pas systématiquement du corps des officiers de finances, diminuant d’autant dans l’échantillon la fraction des officiers royaux de la ville de Mexico susceptibles d’être suspendus41.
49Ces suspensions temporaires ne privaient pas systématiquement les officiers de leur poste comme le montre l’analyse des fins de carrières. Sur la totalité du groupe, seule la moitié ne retrouva pas son poste après la suspension, soit 22 individus. Les autres, s’ils ne furent pas toujours blanchis, n’en obtinrent pas moins auprès du Conseil des Indes une atténuation sensible des sanctions initialement prévues. Il ne nous intéresse pas d’analyser ici les raisons profondes de cette clémence qui ne peut que surprendre, et qui pourtant répond à une logique particulière des rapports existants entre officiers et pouvoir métropolitain42. Par contre, un tel constat, ramené à la totalité du groupe des officiers ayant exercé en Nouvelle-Espagne, laisse apparaître que pour la très grande majorité d’entre eux, seule la mort signifiait l’interruption de leur vie professionnelle. Pour 113 officiers royaux ayant exercé exclusivement dans des caisses royales et dont nous connaissons la fin de carrière, ils sont 65 à être décédés en poste contre dix obtenant une retraite – parfois imposée d’ailleurs pour cause d’incapacité physique à l’exercice de la charge – et seize démissionnaires soucieux d’en contrôler la transmission43. On ne se privait donc de sa charge que contraint et forcé par les aléas de la vie ou les exigences d’une inspection trop tatillonne. L’obtention de la retraite restait quant à elle encore rare et celle d’une retraite avec indemnité exceptionnelle44. Si l’on considère que tous ceux qui abandonnèrent d’eux-mêmes leur poste le firent presque toujours en recourant au droit de cession acquis généralement simultanément avec l’achat de leur office, on peut donc admettre que sa disparition signifia pour les officiers royaux la fin d’un privilège important : celui de décider du moment et des conditions de leur retrait de la vie active. Ainsi, et avant la mise en place tardive à la fin du xviiie siècle des montepíos de ministros, la mort devint-elle bien le seul juge de paix décidant de l’arrêt de leurs carrières45.
50C’est bien l’image d’un horizon bouché qui définit le mieux la perspective professionnelle de l’officier royal. Rivé à sa charge au point de refuser de lui-même toute mobilité, disposant alors de temps pour s’enraciner dans le milieu local où il était le plus souvent arrivé en étranger, se privant ainsi de possibles promotions professionnelles, seule la mort avait raison de sa présence. Encore faut-il préciser combien cette disparition de l’officier dans l’exercice de sa charge ne signifiait pas automatiquement celle de son groupe familial au sein de l’appareil administratif local46. On comprend alors aisément l’acceptation de la part des officiers royaux d’une situation somme toute bien terne. L’administration coloniale des caisses royales n’était pas encore devenue, avant 1780, un lieu où l’on « faisait carrière », ne serait-ce d’abord que parce qu’il n’existait pas effectivement de carrière pour ces officiers, ce dont ils ne se plaignaient pas réellement. L’exercice d’une charge administrative de ce type était donc perçu avant tout comme une participation, au niveau local ou régional, à la souveraineté royale qui honorait son bénéficiaire et avantageait son lignage. Les honneurs qu’en recevait l’officier suffisaient alors à le satisfaire et à rendre attrayants ces offices. Et si d’aventure on contestait telle décision de carrière prise à son encontre, si l’on refusait parfois telle éventuelle promotion, c’est à la lumière des handicaps prévisibles induits, dépassant largement les avantages espérés, que l’on se décidait.
51La volonté réformatrice d’introduction d’une dose de mobilité, synonyme d’émergence d’une « carrière » dont on voit affleurer ici les premières manifestations dès les années 1730, se heurta systématiquement à une résistance têtue que la métropole ne réussit pas à contrer. Quant aux mesures répressives utilisées pour maintenir un semblant de pression sur des officiers royaux trop autonomes, elles contribuèrent plus à déstabiliser les services affectés que les officiers eux-mêmes souvent bénéficiaires, dans des délais plus ou moins longs, de la clémence royale. La résistance obstinée, passive, souvent silencieuse mais efficace des officiers royaux ne pouvait qu’annihiler des projets métropolitains trop ponctuels pour se révéler capables de remettre en cause les fondements mêmes d’un système qui fonctionnait au mieux des intérêts de ses agents et de leurs familles.
La carrière de ministre à la cour des comptes de Mexico : les mirages d’un titre
52A la différence des officiers des caisses royales, les comptables de la cour des comptes de Mexico trouvaient dans leur institution des possibilités de promotion liées à l’existence de trois catégories de ministres. Cependant, purent-ils réellement en profiter ? Sur les 104 carrières de comptables, seuls vingt-quatre passèrent par au moins deux des trois grades. C’est donc dans les mêmes proportions que pour les officiers royaux que l’on retrouve des ministres de la cour des comptes n’ayant pu obtenir de promotion. Comment expliquer une telle situation dans un service qui offrait pourtant a priori d’autres possibilités ?
53L’observation de la répartition des officiers selon les grades offre d’emblée un début de réponse. Alors que la distribution des postes par catégorie établissait de réelles disparités, elle ne se traduisait pas significativement dans le nombre des comptables de chaque corps47. Par contre, elle se répercutait nécessairement sur les perspectives de carrières des comptables, créant un véritable blocage au sein de la cour des comptes. C’est ce que révèle l’analyse de la fréquence des entrées au tribunal des comptables, tous grades confondus (Graphique 3). Celle-ci s’organise selon trois phases clairement identifiables autour des dates-charnières de 1670 et 1760. Avant 1670, la fréquence des recrutements n’atteint pas une entrée tous les deux ans. Au-delà de cette première coupure, son rythme triple, avec plus d’un recrutement par an. Cette vive et longue poussée ne s’atténue qu’après 1760, la fréquence revenant alors à ce qu’elle était avant 167 048. En appliquant le rythme des recrutements constatés pour l’ensemble des comptables à chacune des catégories de la cour des comptes, on saisit les raisons du blocage des carrières de ces ministres (Graphiques 4, 5 et 6). Durant la première période considérée, les recrutements les plus nombreux correspondent aux comptables supérieurs et ordenadores, alors que le rang intermédiaire est très faiblement représenté. Cette dernière catégorie jouait alors le rôle de goulot d’étranglement, résultat de sa faiblesse en termes de postes et ce d’autant plus qu’un nombre important de comptables supérieurs furent recrutés directement sur ce même grade.
Graphique 3 RECRUTEMENT PAR CORPS A LA COUR DES COMPTES DE MEXICO (1650-1780)

Source : base de données Ministres sous texto FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse.
54Une situation semblable fonctionna durant la phase suivante. Si la pyramide se régularisa – le nombre des comptables de resultas dépasse sensiblement celui des supérieurs – une observation attentive montre que l’essentiel du problème se perpétuait. La dizaine de comptables ordenadores recrutés entre 1675 et 1695 firent face à six comptables de resultas incorporés sur ce grade entre 1695 et 1703. Quant à ces derniers, ils retrouvaient sur leur route sept comptables supérieurs recrutés entre 1707 et 1711. Cette même situation se reproduisait invariablement lors de chaque flambée de recrutement durant cette période, qu’il s’agisse des années 1720-1727 ou 1739-1745. Résultant de l’augmentation de la vénalité – années 1695-1711 et 1739-1745 – ou de la création de postes supplémentaires destinés à éliminer le retard dans la vérification des comptes – années 1720-1727 – l’impact sur les carrières des comptables déjà en poste ne variait guère. Pour eux, depuis 1660 et jusqu’en 1760, tout concourait à transformer chacun des trois grades en carrières parallèles bien plus qu’en étapes d’une seule et même profession au sein d’une institution commune. La faiblesse des ministres intermédiaires, le nombre élevé des deux autres rangs et surtout le recrutement direct sur le grade supérieur, rendaient illusoires toutes possibilités de promotion49. Au-delà de 1760, le recrutement de la cour des comptes gagna en cohérence. L’espacement des entrées directes sur les postes supérieurs, associé à une légère augmentation des postes de comptables intermédiaires, ouvrit plus largement l’éventail de la promotion interne. Le grand nombre de comptables ordenadores recrutés à la fin des années 1750 trouva alors devant lui un chemin bien moins encombré, leur laissant espérer des possibilités de promotion. En d’autres termes, dès le début de la seconde moitié du xviiie siècle, la promotion à l’ancienneté commençait à devenir une réalité vécue.
Graphique 4 RECRUTEMENT DES COMPABLES ORDENADORES A LA COUR DES COMPTES DE MEXICO (1650-1780)

Source : base de données Ministres sous Texto FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse.
Graphique 5 RECRUTEMENT DES COMPTABLES SUPERIEURS A LA COUR DES COMPTES DE MEXICO (1650-1780)

Source : base de données Ministres sous Texto FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse.
Graphique 6 RECRUTEMENT DES COMPTABLES DE RESULTAS A LA COUR DES COMPTES DE MEXICO (1650-1780)

Source : base de données Ministros sous Texto FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse.
55Dans un tel contexte professionnel, selon quels critères se décidaient les rares promotions obtenues ? Comme pour les officiers des caisses royales, on peut constater l’absence de tout rôle décisif joué par les commissions, d’ailleurs relativement rares à l’échelle du groupe50. Ces responsabilités annexes, toujours dotées d’indemnités spécifiques non négligeables, restaient le monopole des comptables supérieurs qui obtinrent la moitié de celles distribuées entre 1660 et 1780. Ce n’est que rarement qu’un ordenador pouvait espérer en bénéficier, en général grâce à ses relations avec l’administration vice-royale. Si les commissions restèrent à l’écart dans l’obtention des promotions, tel n’est pas le cas des nominations en tant qu’intérimaires. Ces responsabilités temporaires, le plus souvent affectées dans une caisse royale de la vice-royauté, contribuèrent pour moitié aux promotions de comptables. Bien plus, on ne retrouve qu’un seul comptable supérieur parmi tous ceux qui exercèrent ce type de responsabilité. Quant à ceux qui ne purent obtenir satisfaction, la cause se situe dans l’étranglement provoqué par la structure administrative aggravé par le recrutement, entre 1719 et 1732, d’une dizaine de titulaires supplémentaires pour résorber le retard accumulé51. C’est dire combien les ministres de rang inférieur attendaient, en retour des contraintes qu’ils s’imposaient, des bénéfices en termes de carrière. Tous ces remplacements ayant débouché sur une promotion se situent d’ailleurs au-delà des années 1730, coupure précédemment rencontrée dans le cadre d’une volonté de mise en place d’une « carrière » pour les officiers royaux. Cette simultanéité confirme l’existence d’une stratégie administrative destinée à distinguer des ministres promouvables du fait de leurs compétences, de leur expérience et de leur dévouement. Cependant, comme dans le cas des officiers royaux de Nouvelle-Espagne, cette politique n’atteignit que très incomplètement son objectif. Combinée avec la prise en compte de la stricte ancienneté comme principal critère de promotion depuis les années 1720, elle assura avant tout le renforcement et la légitimation des aspirations des plus anciens dans les grades inférieurs sans permettre la mise en place d’un véritable cursus honorum. Certes la répercussion des dernières ventes de charges, particulièrement nombreuses, contribua avant 1750 au blocage des promotions. Surtout, l’application d’une stricte règle d’ancienneté, combinée au refus de toute augmentation de postes jusqu’aux réformes de la fin du siècle, bloqua définitivement la situation. Finalement, c’est sans doute là qu’il faut rechercher l’une des raisons profondes de ce malaise exprimé par les comptables. Privés de perspectives réelles, condamnés à des tâches ingrates, peu profitables et médiocrement considérées dans une ville où des ministres plus prestigieux occupaient le devant de la scène, ils ne trouvaient pas de raison pour s’investir réellement dans leur activité. Aussi se révélèrent-ils surtout attentifs à défendre, face à leurs rivaux de l’audience, leurs privilèges et à affirmer leur prestige. L’absentéisme systématique, le retard abyssal dans les vérifications de comptes, l’inefficacité maximale du travail doivent alors être analysés comme les effets, inévitables mais coûteux pour la monarchie espagnole, de son incompréhension à l’égard de la situation prévalant dans la cour des comptes de Mexico.
Tableau 27 Durée moyenne des carrières dans les corps de la cour des comptes de Mexico selon les grades d’entrée (1660-1780)
CATÉGORIES DE COMPTABLES | DURÉES DANS LE GRADE (en mois) |
Comptable ordenador | 190,2 mois |
Comptable resultas | 209,1 mois |
Comptable cuentas | 217,6 mois |
Source : Base de données MIN1STR0S, sous Texto (FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS – Maison de la Recherche, Toulouse).
Tableau 28 Fréquence des durées de carrière dans les corps de la cour des comptes de Mexico selon les grades d’entrées (1660-1780)

Durées exprimées en mois.
Source : Base de données MINISTROS, sous Texto (FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS – Maison de la Recherche, Toulouse).
56Condamnés pour les quatre cinquièmes d’entre eux à n’exercer que dans un seul des trois grades de la cour des comptes, les comptables présentent des durées moyennes de carrière oscillant entre quinze et vingt ans selon leur catégorie (Tableaux 27 et 28)52. Ces durées moyennes, qui augmentent régulièrement avec le rang occupé, se retrouvent dans les répartitions modales et médianes de présence dans chacun des grades (Tableaux 29 et 30). Cette cohérence des données n’en appelle cependant pas moins quelques observations. Pour les ordenadores, l’homogénéité des diverses moyennes est à souligner. C’est en effet dans le groupe des dix-vingt ans de carrière que Ton retrouve le plus grand nombre d’individus, représentant à eux seuls près de la moitié du corps. Et c’est dans celui des dix-quinze ans de carrière que se situe la médiane de ces durées. Pour ces officiers n’ayant connu que ce seul grade subalterne, la durée des carrières s’apparente alors très clairement à celle des officiers royaux n’ayant exercé que sur un seul poste. Comme précédemment, ces carrières renvoient à des attentes comparables avant la titularisation à la cour des comptes et fonctionnent selon les mêmes règles. On y retrouve le même pourcentage de ministres ayant eu une carrière précédant leur entrée au tribunal des comptes53. On y observe aussi des délais du même ordre pour les deux-tiers n’entrant pas directement54. On y note encore le rôle joué par l’intérim en substitution de la vénalité. On y constate enfin la relation de proximité qui contribue à atténuer sensiblement les délais en fonction de la proximité professionnelle avec l’administration de provenance. A l’image des officiers royaux, c’est bien une professionnalisation du corps des comptables de la cour des comptes qui se met en place avec la disparition de la vénalité à l’aube des années 1720. Cette mutation n’en reste pas moins incomplète, puisqu’elle ne s’accompagne pas réellement de possibilités de promotions internes. Les durées de carrières sensiblement supérieures des autres comptables de la cour des comptes confirment les observations antérieures. Elles sont surtout le fruit de la vénalité des charges. L’achat d’office se portait en effet de préférence sur les plus prestigieuses de l’institution. Aussi, se combinant avec la jeunesse des recrutés, permettait-il de réaliser des carrières bien plus longues que celles des ordenadores dont la majorité entra dans la cour des comptes sur le seul critère de l’expérience acquise par le biais de l’intérim.
tableau 29 Fréquence des durées des carrières dans les corps de la cour des comptes de Mexico selon les grades d’entrées pour les comptables ayant obtenu une promotion (1660-1780)

Durées exprimées en mois.
N° 1 : Comptables accédant à la cour des comptes par ce grade.
N° 2 : Comptables étant issus des comptables ordenadores de la cour des comptes.
N° 3 : Ensemble des comptables de cuentas obtenant une promotion.
N° 4 : Comptables étant issus d’au moins un grade inférieur de la cour des comptes.
Source : Base de données MINISTROS, sous Texto (FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse).
Tableau 30 Durée moyenne des carrières dans les corps de la cour des comptes de Mexico selon les grades d’entrées pour les comptables ayant obtenu une promotion (1660-1780)
CATÉGORIES DE COMPTABLES | DURÉES DANS LE GRADE (en mois) |
Comptable ordenador | 180,1 mois |
Comptable resultas | 87 mois |
Comptable cuentas | 137,4 mois |
Source : Base de données MINISTROS, sous Texto (FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse).
57De telles durées de carrières ne se retrouvent pas exactement pour les rares comptables ayant obtenu des promotions au sein de la cour des comptes (Tableaux 29 et 30 supra et 31). Seules les durées de passage parmi les ordenadores correspondent à celle de ces mêmes comptables n’ayant connu que cet unique grade55. Ce constat confirme la lenteur du déroulement des carrières et la difficulté d’obtention des promotions au sein de l’institution. De longs passages dans le premier des grades se répercutaient automatiquement sur la permanence, sensiblement plus brève, dans les grades supérieurs. Un ordenador promu à resultas ne passait en moyenne que 7,2 ans dans ce grade56 et la promotion au dernier grade ne pouvait être qu’exceptionnelle et particulièrement rapide. De fait, ils ne furent que quatre à connaître cet aboutissement professionnel pour des durées effectivement fort brèves57.
Tableau 31 Délais d’entrée dans les charges de comptable de la cour des comptes de Mexico (1660-1780)

Durées exprimées en mois.
Source : Base de données MINISTROS, sous Texto (FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse).
58Malgré l’existence d’une structure hiérarchisée, la cour des comptes de Mexico n’offrait donc pas à ses membres de réelles possibilités de carrière en son sein. Avant 1715, la pratique de la vénalité bloqua et conditionna tout à la fois les quelques promotions possibles. De fait, les dix bénéficiaires d’une promotion avant cette date l’achetèrent tous sans aucune exception. Dans un deuxième temps, après 1715, la priorité absolue accordée à l’ancienneté finit par enrayer un mécanisme de promotions déjà chaotique. Ils ne furent que 23 à pouvoir bénéficier d’un système qui excluait dorénavant le recours à la vénalité. Une telle faiblesse illustre combien l’offre des promotions possibles tendit à se restreindre, faute de créations de postes supplémentaires alors que les dernières années de la vénalité avaient augmenté le volant des surnuméraires en attente d’une titularisation définitive. Par ailleurs, la structure en « col de bouteille » de la cour ne facilitait pas davantage l’ascension des subalternes. Enfin, le blocage du système se traduisait par une élévation sensible de l’âge moyen à l’entrée dans chacun des grades de la cour des comptes, répercussion directe de l’élévation de l’âge moyen lors du recrutement.
59Devant des barrières si nombreuses et si difficiles à franchir, l’issue d’une carrière de comptable laisse peu de surprises. La norme resta tout au long de la période considérée, pour 80 % d’entre eux, de finir sa carrière à son point de départ. Un tel blocage explique en partie la fuite des comptables vers d’autres activités ne signifiant pas nécessairement de réelles promotions. Une dizaine quittèrent ainsi la cour des comptes après avoir obtenu leur titularisation et un nombre équivalent abandonnèrent tout espoir de titularisation après plusieurs années d’auxiliariat. Les démissionnaires préférèrent abandonner l’institution plutôt que d’attendre avec peu d’espoir une hypothétique promotion. Parmi les titulaires se percevant comme des victimes de la rigidité du système, trois seulement obtinrent effectivement des postes de niveau supérieur à ceux auxquels ils pouvaient prétendre en se maintenant dans la cour des comptes. Parmi les autres, cinq devinrent officiers royaux et deux préférèrent rester officiers dans des secrétariats, l’un auprès du Consejo de Indias et l’autre dans celui du vice-roi. Quant aux auxiliaires en mal de titularisation, nous ignorons souvent le devenir précis des uns et des autres. Nous savons cependant que pour nombre d’entre eux ces départs signifièrent des reclassements ultérieurs dans des postes d’alcaldes mayores58. Pour d’autres, leur démission signifia un retour en métropole, coïncidant avec l’achèvement des responsabilités confiées à leur protecteur59. Pour tous cependant, titulaires ou auxiliaires, la cause profonde de leur démission est à rechercher dans le désordre des carrières imposé par le recrutement massif des années 1720 qui lui-même suivait les années de ventes massives de postes. De fait, sur les 22 renonciations recensées, quinze se situent entre 1715 et 1733. Ne parvenant pas à obtenir une augmentation du nombre des postes de titulaires, les auxiliaires des années 1715-1735 ne pouvaient espérer obtenir une promotion malgré un niveau de compétence réel et reconnu par les instances administratives supérieures60.
60Ainsi, malgré l’insistance nouvelle apportée au critère de compétence dans le recrutement et plus généralement dans le déroulement des carrières des officiers de la cour des comptes, les blocages internes à l’institution en rendirent-ils l’application plus que difficile. Faute de réelles possibilités de promotions dans leur institution, il ne restait aux ministres de la cour des comptes ne se résolvant pas à l’abandonner qu’à attendre l’octroi de distinctions et de titres honorifiques. Sur les 29 dignités octroyées, quatorze concernent des concessions d’habits d’ordres militaires61, et douze s’appliquent à des distinctions honorifiques purement administratives62. Au-delà de ce comptage déjà significatif, la répartition chronologique des concessions apparaît révélatrice de l’évolution de la conception de leur office pour la monarchie espagnole.
61Avant 1720, la majorité des faveurs concerne, généralement après demande des bénéficiaires, la concession d’un habit d’un ordre militaire. Au-delà de cette date, les distinctions se font plus professionnelles, visant avant tout l’octroi à titre purement honorifique d’un grade administratif supérieur. Ce clivage, révélateur du professionnalisme croissant d’une carrière administrative, reflète aussi l’évolution sociologique du recrutement de la cour des comptes. Les onze concessions d’habits d’ordres militaires effectuées avant 1720 concernent toutes des individus appartenant à des familles prestigieuses, profondément intégrées à l’appareil d’État espagnol. Bien plus, les individus distingués à cette occasion représentent l’élite sociale de la cour des comptes. De fait, c’est comme héritiers de lignages au service du roi depuis plusieurs générations et toujours à des postes élevés que ces distinctions leur furent octroyées, indépendamment de leurs compétences personnelles ou professionnelles. Par contre la raréfaction de ces concessions au-delà de 1720 accompagne les transformations de la sociologie du recrutement de la cour des comptes, qui devient de moins en moins huppé. Aussi les derniers bénéficiaires de ces distinctions militaires durant cette seconde période appartiennent-ils ainsi aux rares familles de l’élite administrative encore présentes dans la cour des comptes.
62Le nouveau professionnalisme attaché, après 1720, à des charges jusqu’alors assimilées bien souvent à des sinécures et accompagné de la disparition de la vénalité modifia donc profondément la composition sociale de la cour. Les familles, enracinées dans l’appareil étatique, qui pensaient pouvoir y prétendre de droit au profit de leurs rejetons, se firent plus rares. Elles abandonnèrent le terrain à des groupes familiaux moins prestigieux, toujours liés à l’appareil d’État mais à des niveaux subalternes. A partir de ce moment-là, les distinctions octroyées aux comptables se fondèrent plus sur leurs mérites professionnels que sur le prestige reconnu de leurs lignages. Il apparaît donc que la nouvelle ambition de la métropole à l’égard de ses officiers de la cour des comptes contribua de manière significative à l’évolution de son recrutement social. Par ailleurs, l’octroi restreint de distinctions honrifiques ne put suffire à compenser la frustration d’officiers à l’avenir professionnel plus que terne. Pour eux, aucune distinction n’était réellement prévue qui aurait pu les encourager à un travail plus efficace.
63Faute d’une mobilité interne réelle et avec bien peu d’espoir d’obtenir des distinctions honorifiques, la majorité des ministres de la cour des comptes ne pouvait compter que sur les interventions extérieures et occasionnelles du pouvoir royal pour voir leur sort s’améliorer. Face à l’immobilisme d’un système rigide et intangible, il ne restait en effet que le recours, savamment dosé, à des mises à la retraite anticipées pour faire bouger l’ensemble d’une machine bureaucratique largement figée. Une douzaine de ces mesures furent appliquées au sein de la cour des comptes entre 1688 et 1756 dont dix au-delà de 1701. Ces mesures ne s’apparentaient pas systématiquement à des sanctions à l’égard de l’officier concerné, la pratique la plus courante étant de lui octroyer au moins un demi-salaire jusqu’à sa mort. Elles permettaient surtout, appliquées prioritairement aux ministres de grades supérieurs – dix sur les douze recensées – de dégager quelque peu le parcours fort encombré des officiers subalternes que l’on souhaitait voir promus. Deux vagues successives de départs permirent ainsi, dans un système bloqué, un renouvellement partiel de son personnel.
64Entre 1698 et 1703, quatre mises à la retraite furent décidées à l’encontre des comptables Ventura de Paz, Manuel Gerónimo de Tovar y Arévalo, Miguel de Ubilla y Estrada et Francisco de Salas y Prizuelo. Tous avaient acheté leur charge de comptable de resultas ou supérieur entre 1684 et 1689 au titre de futura ou comme surnuméraire avec droit à l’exercice immédiat de leurs responsabilités. C’est dire que tous les quatre incarnaient parfaitement ce type de recrutement responsable du blocage du système des promotions internes. Indépendamment des aléas de carrière des uns ou des autres63, tous quatre furent mis sur le même plan sans être réellement sanctionnés, chacun se voyant garantir le maintien de son salaire. Pourquoi alors de telles mesures à cette période-là ? La réponse est à chercher dans d’autres événements ayant affecté le personnel de la cour des comptes durant cette même période. Au cours de l’année 1698 moururent Juan Daza Tamayo et Juan Francisco de Zabalza y Prizuelo. Un peu plus tard, en décembre 1701, Mateo Fernández de Santa Cruz décédait à son tour. Enfin, Andrés Pardo del Lago mourait en octobre 1702. Ainsi, par l’habile cumul des décès et des retraites, assurait-on en quelques mois un renouvellement de la moitié du personnel en exercice. Les mises à la retraite et les promotions induites par les décès créèrent un véritable phénomène d’aspiration qui assura dans un premier temps leur titularisation aux divers futurarios64. Exceptionnellement, il signifia aussi la promotion du seul comptable issu des postes subalternes de l’institution avant l’abandon de la vénalité65. Car, dans un contexte encore surdéterminé par les besoins d’une monarchie guidée par une recherche éperdue de liquidités, la presque totalité des offices libérés fut remis sur le marché66.
65Ainsi, l’habile conjonction des décès de titulaires et des mises à la retraite forcée assura-t-elle une importante rotation de personnel dans une institution où la pratique de la vente de postes surnuméraires rendait toute promotion difficilement réalisable. Mais il y a bien plus. Alors que la vénalité des charges battait son plein, ce renouvellement permit malgré tout l’accès au rang de ministres de la cour des comptes à des officiers expérimentés issus du sérail. Confirmation éclatante de ce que, dès ces années-là, le recours effréné à la vénalité des charges n’empêchait pas la monarchie espagnole de se soucier de la qualité du recrutement des ministres destinés à cette institution. Quant aux officiers eux-mêmes, le contexte général dans lequel ils obtenaient leurs promotions les rendait d’autant plus soucieux de s’y perpétuer, les encourageant à la stabilité professionnelle en les attachant à l’institution. Cependant, l’effet bénéfique de telles mesures ne put se perpétuer bien longtemps. Le contexte de vénalité massive signifia très vite la réapparition de futurarios en souffrance toujours plus nombreux, situation aggravée après 1715 par la valse hésitation sur la question de l’augmentation des postes de titulaires à la cour des comptes. Il fallut alors attendre le milieu du siècle pour voir, dans une conjoncture tout autre il est vrai, ces mêmes mesures opérer une transformation plus profonde dans le fonctionnement de l’institution.
66La même politique fut en effet appliquée par le vice-roi Francisco Guemes y Horcasitas en 1755-56. Cinq décès de comptables67 combinés avec cinq départs imposés de comptables ordenadores reproduisirent le même effet qu’au début du siècle68. Une nouvelle fois, le renouvellement de plus de la moitié de ses titulaires bouleversait la physionomie d’une institution ankylosée. Cependant, et à la différence des années 1700, cette régénération signifia d’abord une accélération de la promotion interne. Pour tous ceux qui exerçaient déjà au tribunal, le raccourcissement des délais pour l’obtention des promotions fut sensible69. Mais il y a bien plus. Ce renouvellement marqua aussi l’arrivée, autant aux postes de responsabilités que dans le grade d’entrée au tribunal, d’une nouvelle génération de comptables. Tous ces nouveaux venus sans exception, entrèrent à la cour des comptes par la même porte : celle des intérimaires désignés par les vice-rois. Ce nouveau recrutement impliquait autant une formation précédant une titularisation à venir qu’un renforcement des relations des aspirants comptables avec l’autorité vice-royale. Il manifestait aussi le professionnalisme croissant des individus retenus et destinés à faire carrière ainsi que leur plus grande soumission à l’autorité vice-royale. De fait, tous ceux qui mirent pour la première fois les pieds à la cour des comptes à cette occasion y firent carrière, obtenant une titularisation dans les années suivantes. Et à la différence des auxiliaires des années 1720, aucun ne démissionna faute d’intégration.
67Une transformation aussi profonde du personnel de la cour des comptes amena ses responsables à rédiger un rapport au Conseil des Indes où ils approuvaient les choix du vice-roi et justifiaient la nouvelle situation au nom de l’efficacité retrouvée70. Cette nouvelle mainmise du vice-roi sur le pré-recrutement des futurs ministres de la cour des comptes fut peu après officialisée par la création d’une nouvelle catégorie de ministres nommés ordenadores de providencia 71. Leur statut officialisait la pratique établie au début des années 1750 par le vice-roi Francisco Guemes y Horcasitas. Non rétribués, ces nouveaux comptables se voyaient garantir leur titularisation après un délai qui, lui, n’était pas fixé. Initiés à la vérification des comptes auprès des titulaires, ils offraient à l’administration une garantie de compétence minimale. Quant à eux, l’acceptation d’une période sans rémunération était contrebalancée par la garantie d’une intégration à venir.
68Sans introduire dans la pratique administrative d’innovations radicales toujours promptes à soulever l’hostilité au nom de la coutume, une habile gestion du personnel de la cour des comptes en renouvela pourtant profondément le visage. Facilitées sans aucun doute par l’abandon de la vénalité, ces transformations ne lui étaient cependant pas fondamentalement liées. Ces habiles mesures relativisent l’impact négatif de cette pratique sur le fonctionnement administratif tout autant que l’importance de son abandon. Bien plus, elles illustrent surtout qu’indépendamment de tout bouleversement structurel, la volonté d’imposer de nouveaux critères de fonctionnement plus respectueux des intérêts métropolitains se manifesta très tôt. Elles confirment enfin le choix d’une réelle spécialisation de l’administration des finances poursuivie avec opiniâtreté depuis le début du xviiie siècle. L’importance attachée aux hommes pour assurer le renouvellement depuis l’intérieur de ce secteur administratif essentiel apparaît alors manifeste. Dans cette perspective, peu importaient finalement les origines, familiale ou géographique, des candidats. Ce que l’on attendait, c’était l’adéquation d’un profil professionnel à la spécificité d’une fonction.
69Ce choix contribua à transformer dès la première moitié du xviiie siècle une institution originellement prestigieuse et recherchée parmi les lignages huppés. N’offrant aucune promotion sociale réelle à qui y aspirait elle devint, vénalité aidant, le refuge de ceux que l’honneur du titre de ministre royal comblait car disposant par ailleurs de références familiales complémentaires. Pour eux, arc-boutés sur les honneurs attachés à leurs charges, à leurs privilèges, au prestige social dont bénéficiait « l’audience des affaires financières », la pratique professionnelle n’entrait que peu ou pas en ligne de compte. Cette situation, favorisée par la vénalité, présentait cependant une réelle cohérence sociale : aux familles à même de s’offrir les postes les plus prestigieux de l’institution allaient les honneurs sans réelles obligations ; aux lignages plus modestes, les véritables charges de travail avec de maigres possibilités d’y échapper.
70Un tel clivage se retrouve d’ailleurs dans le climat souvent détestable entre les différentes catégories de ministres. Plaintes, dénonciations, injures, menaces et mêmes bagarres n’étaient pas rares, illustrant à leur manière la profondeur des clivages qui distinguaient le « haut » et le « bas » tribunal72. L’abandon de la vénalité détermina sans doute l’atténuation de ces relations hiérarchiques peu propices à un esprit de corps. Elle ne fit cependant que déplacer les problèmes sans les résoudre réellement. La primauté donnée aux compétences écarta progressivement ces familles attirées par le seul prestige social de la charge. Pour les autres, cela aurait pu signifier des possibilités de promotions nouvelles si le système avait réellement fonctionné. Cependant, la priorité accordée à la seule ancienneté ne laissait que des possibilités fort étroites. De plus, des réformes peu cohérentes contribuaient à aggraver davantage encore une situation déjà bien compromise. Ce n’est que lorsque l’on se décida à systématiser des mesures jusqu’alors ponctuellement appliquées au coup par coup – retraites et mutations d’office – en y associant une augmentation des postes de titulaires que la situation se débloqua. Cependant, il était alors bien tard pour restaurer le prestige d’une institution déconsidérée que les réformateurs les plus radicaux de la seconde moitié du siècle pensèrent avant tout à supprimer73. La carrière des comptables offre alors ce paradoxe surprenant d’une institution dont le prestige originel ne rejaillissait plus sur ses membres et ne leur assurait pas de promotion sociale. Cette administration qui représentait pourtant l’instance suprême en Nouvelle-Espagne dans le domaine des finances devint alors, pour 80 % des comptables, une médiocratie professionnelle dont le prestige et les responsabilités étaient devenus plus factices que réels.
71La carrière des officiers de finances de Nouvelle-Espagne apparaît alors comme un ensemble de virtualités rarement concrétisées. Malgré les quelques avantages personnels que l’exercice d’une charge pouvait ponctuellement offrir, ce n’est sans doute pas dans cette voie-là qu’il nous faut rechercher la motivation des candidats au recrutement. Dans un univers où le signe comptait autant sinon plus que le fait, la participation au pouvoir royal, matérialisée par un document produit par l’administration centrale – le título – , par un titre – officier royal ou ministro –, par des privilèges – celui en particulier de siéger aux cotés des juges de l’audience pour tout ce qui avait trait aux questions de finances –, suffisait le plus souvent à satisfaire ces officiers. L’absence de réelles perspectives de carrière doit alors être interprétée à l’aune de ce contexte. On n’attendait pas de sa participation à l’administration des finances coloniale de promotions professionnelles personnelles tangibles que le système se révélait d’ailleurs incapable de proposer. L’étude des carrières de ces officiers montre plutôt que ce qu’ils en obtenaient se traduisait surtout en termes d’avantages et d’honneurs pour leurs groupes familiaux.
72Tel n’était pas le regard du pouvoir espagnol soucieux très tôt d’imposer une conception plus professionnelle dans l’exercice de ce type de charge. C’est autour de principes tels que centralisation, professionnalisme ou encore rationalisation que se structurait le projet administratif métropolitain. Une telle vision de l’officier et de sa charge doit-elle alors nous surprendre par sa modernité ? De tels choix n’étaient en fait que l’application et l’adaptation à l’administration des finances de Nouvelle-Espagne des principes étendus dès la fin de la guerre de succession à l’administration métropolitaine. Cependant, c’est dans ce fossé, creusé jour après jour tout au long du siècle et éloignant inexorablement les officiers de finances de Nouvelle-Espagne du pouvoir métropolitain, qu’il faut rechercher la raison profonde de la difficile application des adaptations souhaitées. La mise en place d’un recrutement nouveau, reposant sur des critères de sélection et de promotion répondant aux objectifs établis, n’y pouvait rien. Une fois en poste, le nouvel officier de finances revêtait les oripeaux de ses prédécesseurs et retrouvait presque inexorablement leurs pratiques, leurs comportements, leurs intérêts. Mais il y a plus grave. Les effets de la nouvelle politique administrative se retournèrent finalement moins contre ses agents que contre l’institution elle-même, qu’elle contribua à désorganiser et à discréditer. A terme, ces officiers de finances, rebelles aux nouvelles conceptions administratives des Bourbons, se verraient supplantés par l’élaboration de projets de réorganisation administrative bien plus profonds dont l’intendance devint le fer de lance. En attendant, le groupe constitué des officiers de finances, de leurs parents, de leurs amis, de leurs protégés et de leurs protecteurs s’arrangeait pour tirer au mieux parti du pouvoir détenu par l’un des leurs.
Notes de bas de page
1 Afin d’éviter dans ce chapitre la répétition de notes et de références, nous fournissons ici les références des liasses de l’AGI ayant permis la reconstitution des carrières des officiers de finances : aud. de Mexico, legs. 454, 1120 à 1122, 1151, 1162 à 1165, 1962, 1970 à 1972, 1986, 1243 et 2911 ; aud. de Guadalajara, legs. 152 et 424 ; contaduría, leg. 235. Dans la section indiferente general il est possible de retrouver les relaciones de méritos à partir de l’interrogation du fichier informatisé. Nous ne préciserons par la suite que les références de liasses autres que celles qui précèdent. L’ensemble des données sont stockées sur la base de donnée MINISTROS, sous TEXTO, auprès de FRAMESPA – UMR 5591 du CNRS, à la Maison de la Recherche de l’Université de Toulouse et à la Maison des Pays Ibériques (CNRS) de Bordeaux.
2 La bibliographie sur ce sujet est abondante. On peut se reporter sur cette question à la brève synthèse réalisée dans notre travail « L’État espagnol et ses officiers aux Indes », Mélanges de la Casa de Velázquez, t. 25, Paris, 1989. Les principaux travaux sur le sujet restent : F. Tomás y Valiente, La venta de oficios en Indias (1492-1606), Madrid, 1972 et « Notas sobre las ventas de oficios públicos en Indias », Actas del tercer congreso del Instituto International de Historia del Derecho Indiano (1972), Madrid, 1973 ; F. Muro Romero, « El beneficio de oficios públicos con jurisdicción en Indias. Notas sobre sus orígenes », Anuario de Estudios Americanos, t. 35, Séville, 1978 ; J.H. Parry, The Sale of Public Office in Spanish Indies under Habsburg, Berkeley et Los Angeles, 1953 ; A. Domínguez Ortiz, « La venta de cargos y oficios públicos en Castilla y sus consecuencias económicas y sociales », Anuario de Historia éconómica y social, t. 3 n° 3, pp. 105-137, Madrid, 1970 ; J.M. Garcia Marin, El oficio público en Castilla durante la baja Edad Media, Séville, 1974 et La burocracia castellana bajo los Aústrias, Séville, 1976 ; A. Moreno Cebrinn, « Venta y beneficios de los corregimientos peruanos », Revista de Indias, n° 143-144, Madrid, 1976 ; Estructuras, Gobierno y Agentes de Administration en la América Española (S. XVI-XVIII), Actas del sexto congreso del Instituto International de Historia del Derecho Indiano (1980), Valladolid, 1984.
3 F. Tomás y Valiente, La venta de oficios en Indias.... op. cit.
4 La législation dans ce domaine rappelle régulièrement que toutes ces charges ne sauraient être vendues, puisqu’elles détiennent toutes une fonction judiciaire et que le roi ne pouvait impunément vendre ce pouvoir sur lequel se fondait la royauté. Le Conseil des Indes reprend régulièrement ce discours pour s’opposer à la pratique de la vénalité des charges des audiences et des cours des comptes. A partir de 1737, à la veille de la brève flambée de vénalité, un débat bref mais intense s’établit au sein du Conseil des Indes sur l’opportunité du retour à cette pratique. L’argument central des conseillers hostiles à son retour resta celui de l’inadmissibilité de la vente du droit de rendre justice. Tout au long de la période durant laquelle le bénéficia resta intensément pratiqué, le Conseil des Indes n’eut de cesse de rappeler combien ce recours imposé par l’urgence restait en soi contraire à l’essence même de la monarchie, indépendamment des risques d’affaiblissement qu’il recelait. AGI, aud. de Mexico, leg. 1970.
5 M.A. Burkholder et D. Chandler, De la impotencia a la autoridad, FCE, Mexico, 1984. Selon leur modèle élaboré pour les oidores des audiences américaines, la disparition de la vénalité des charges dans ces instances judiciaires alla aussitôt de pair avec un total renversement du rapport mesurant le nombre d’oidores selon leurs origines géographiques. A la période durant laquelle domine la vénalité des charges correspond une très forte pénétration des ministres créoles. A l’inverse, la disparition de cette vénalité, que ces auteurs situent pour les audiences américaines vers 1750, favorisa un retour en force des magistrats d’origine péninsulaire.
6 Les comptables péninsulaires de la cour des comptes représentent en effet 71 % de la totalité des officiers de cette institution acheteurs de leurs charges entre 1660 et 1780. Ils constituent surtout 78 % des recrutés avant 1715 et 76 % des achats de charges pour la même période. Pour les officiers royaux, la proportion des péninsulaires s’établit selon les résultats suivants : 72 % des acheteurs de charges entre 1660 et 1780, 74 % des recrutés avant 1715 et 72 % des acheteurs de charges de cette même période.
7 Les péninsulaires de ce secteur administratif sont toujours largement dominants à bénéficier de ce type de nomination après 1715 puisqu’ils représentent encore 75 % d’entre eux, soit six cas sur huit.
8 Ils sont en effet trois péninsulaires à acheter leurs charges contre quatre créoles entre 1715 et 1780.
9 Pour la cour des comptes, les incompétents représentent 61 % des ministres acheteurs et 41 % des recrutés entre 1660 et 1780. Pour les caisses royales, les valeurs se situent respectivement à 70 % et 44 %.
10 Cet âge correspond à celui de l’officier de finances à la date de l’octroi d’un título l’affectant comme titulaire d’une charge de finances de Nouvelle-Espagne. Dans le cas de concessions successives à un même individu, pour cause de mutation en particulier, est retenue la date de la première titularisation.
11 Dans les caisses royales, le critère de l’ancienneté introduisait une certaine hiérarchie entre des officiers de niveau strictement égal. Par contre, à la cour des comptes, un jeune homme sans expérience pouvait se retrouver du jour au lendemain, grâce à la vénalité, parmi les comptables responsables de l’institution.
12 I. Sánchez-Bella, La organización Jïnanciera de las Indias. Siglo XVI., Séville, 1968.
13 Parmi les officiers royaux, ils sont treize sur les 85 dont nous connaissons l’âge d’entrée en charge à se situer en dessous du minimum légal, dont onze acheteurs de leur charge. Le record revient à Francisco Antonio Cuervo y Valdés obtenant son título de factor-veedor de la caisse de Zacatecas en juillet 1711, à l’âge de... six ans ! (AGI, aud. de Mexico, leg. 1972). La famille Ubilla y Segura eut quant à elle le mérite de la continuité dans l’illégalité. Le père, Miguel, acheta en 1667, aux enchères à l’âge de vingt-cinq ans, sa charge de trésorier de la caisse de Pachuca qu’il n’occupa cependant pas avant 1674. Il la transmit à son fils Miguel de Ubilla y Estrada en 1683 alors que ce dernier n’avait pas vingt ans. (AGI, aud. de Mexico, legs. 55 R. 1 et 1972 pour la carrière du père et leg. 321 pour celle de son fils). A la cour des comptes, on compte 18 ministres, dont onze acheteurs de leur charge, sur 55 des titulaires dont nous connaissons l’âge d’entrée, à être dans une situation illégale. Cinq d’entre eux se trouvaient cependant dans cette situation à quelques mois près seulement. Le benjamin fut Francisco Tomás de Zabalza, muni en septembre 1684 d’un titre de comptable de resultas surnuméraire : il avait alors moins de six ans. (AGI, indiferente general, leg. 1847).
14 Nous avons décidé – afin de ne pas déformer les résultats de l’échantillon, pour tenir compte aussi parfois de l’imprécision des dates à notre disposition et enfin pour respecter la pratique administrative qui voyait concéder régulièrement une dispense au candidat justifiant d’un écart d’âge limité à moins d’un an – d’écarter systématiquement de nos calculs les officiers titularisés à 25 ans. Il ne reste donc que des situations pour lesquelles l’infraction à la règle ne peut faire de doute.
15 On en compte seize sur 69 acheteurs de charges dont nous connaissons l’âge.
16 Ils ne sont plus que trois à se trouver dans cette situation parmi les 75 recrutés sur leurs seuls mérites.
17 On n’en compte que deux pour sept ventes de charges de comptables et quatre pour 14 ventes dans les caisses royales, soit à peine plus du quart des recrutés de cette sorte dans l’administration des finances.
18 Comme le précise la cédule royale du 20 mai 1724 et rappelée le 18 juin 1750 pour la cour des comptes tout particulièrement : AGI, aud. de Mexico, leg. 735. Elle décida de manière formelle que, dans les promotions de ses ministres, le seul critère à prendre en charge devrait être celui de l’ancienneté dans le poste immédiatement subalterne au poste vacant. Elle fut aussitôt appliquée par ordre royal pour combler les vacances de places en 1724 : AGI, aud. de Mexico, leg. 454.
19 Sur les 32 recrutés avant 1715 hors de la vénalité, on trouve 18 métropolitains sur les 22 identifiables.
20 17 des 32 recrutés se trouvent dans ce cas-là.
21 97 sur 116 officiers.
22 Plusieurs officiers métropolitains entrent dans ce cas de figure, même si nos recherches à ce jour ne permettent pas toujours d’approfondir cette question dans les cas de Enrique de Faveau y Quesada, Francisco Xavier de Ibarrola, Nicolas Montoya, Ventura de Orinaga, Juan Fernando Navarro et Augustin Rodriguez de la Rosa. Seuls les relais de Juan de Urdánegui y Luján et de Francisco Ramírez y Arellano fils on put être partiellement reconstitués. Le premier était apparenté au vice-roi Juan de Acuña Manrique, Marquis de Casafuerte. Dans un premier temps militaire au Pérou entre 1716 et 1724, il arriva en Nouvelle-Espagne en 1724 où son parent lui permit d’obtenir, dix années durant, force commissions en tous genres. Revenu en Espagne avec son parent en vue de demander un poste de titulaire dans l’administration coloniale, il obtint finalement celui d’officier royal en 1736 à Mexico. Par la suite, il resta toujours proche des vice-rois, et tout particulièrement de l’archevêque Juan Antonio de Vizarrón y Eguiarreta puis de Francisco de Guemes y Horcasitas, comte de Revillagigedo. Il abandonna son poste en 1741 et disparaît alors de notre vue (AGI, aud. de Mexico, leg. 1971 ; contratacíon, 5483, N I R 10 ; contaduría, leg. 831). Le second fut comptable ordenador d’avril 1728 jusqu’à sa mort en 1755. Il hérita de son père de vastes appuis tissés au cours de sa carrière militaire dans la Péninsule entre 1689 et 1702, probablement au service de Fernando de Alencastre Noroña y Silva. Reformado à cette date, il obtint, grâce à son protecteur, le titre d’écuyer de la reine-mère avant de passer aux Indes sur les pas de son tuteur, entre temps devenu vice-roi de Nouvelle-Espagne. Recruté parmi les comptables intérimaires pour être affecté aux postes supplémentaires destinés à éliminer le retard, il mourut en 1727. (AGI, indiferente general, leg. 147 et aud. de Mexico, leg. 737 et 739). Il légua à son fils Francisco, devenu à son tour ministre de la cour des comptes de Mexico, des soutiens qui intervinrent utilement en 1726 pour favoriser son recrutement (AGI, indiferente general, legs. 146 et 147, aud. de Mexico, legs. 735, 739 et 1 121). Parmi eux, se trouvaient Faustino de Irigoyén, officier en second dans la contaduría du Conseil des Ordres Militaires et de José de Palacios, ministre de la contaduría mayor de cuentas puis surintendant des correos (AGI, aud. de Mexico, leg. 737).
23 Les péninsulaires compétents représentent en effet presque 80 % des officiers de cette catégorie alors que leur groupe ne compte que 76 % des officiers recrutés. Inversement, les incompétents de ce groupe représentent 73 % de la catégorie.
24 On compte 38 métropolitains compétents pour un total de 89 métropolitains recrutés.
25 Ils sont dix créoles compétents pour 18 incompétents.
26 131 officiers royaux ne changèrent pas de poste tout au long de leurs carrières. Et ils ne sont que treize à accepter une mutation géographique dans le même corps des officiers royaux, constituant à ce titre un groupe totalement marginal parmi leurs pairs.
27 Ils ne furent qu’une quinzaine à les accepter pour l’ensemble du corps des officiers royaux entre 1660 et 1780, dont deux seulement avant 1720.
28 AGI, escribanía de cámara, leg. 298c, cah. 35, fol. 400-408.
29 Pour Francisco de Tineo il s’agissait de Cosme Damián Ugarte, officier royal d’Acapulco qui avait, quelques années auparavant, refusé sa mutation à Zacatecas. AGI, aud. de Mexico, legs. 454, 1972 et 1165.
30 AGI, aud. de Mexico, leg. 1971 et AGN-AHH, 205-10 et 205-22.
31 Six obtinrent ce type de poste entre 1670 et 1735.
32 Ces élections se déroulaient parmi un groupe réduit, composé des propriétaires de regimientos favorisant un retour régulier des mêmes individus ou tout au moins des mêmes familles à la tête des cabildos municipaux. Sur le recrutement dans les cabildos, voir T. Calvo, Poder, religión y sociedad en la Guadalajara del siglo XVII, tout particulièrement le chapitre 2, Mexico, 1992 ; V. González Muñoz et A.I. Martinez Ortega, Cabildos y élites capitulares en Yucatán, pp. 47-55 et 150-173, Séville, 1989. A titre de comparaison on peut consulter les travaux de S. Webre, G. Palma Murga, E. Sanchez et M. Wortman pour la Capitainerie Générale du Guatemala des xviie et xviiie siècles.
33 Cette situation correspond à celle de 64 officiers royaux sur 186 officiers dont les conditions de recrutement sont suffisamment connues. C’est dire que le tiers des officiers royaux, représentant les plus jeunes des recrutés – la moyenne d’âge à l’entrée en charge se situe autour de 28 ans pour les officiers royaux – écourtait très sensiblement les préalables professionnels précédant leur titularisation. Pour près de 80 % d’entre eux, le moyen utilisé n’était autre que la vénalité des charges.
34 L’âge moyen des comptables passant par ces étapes préalables se situe en effet à 37,7 ans et celui des officiers royaux à 36,7 ans.
35 Parmi les officiers royaux non-acheteurs de leurs charges, ils sont 85 % à connaître une étape professionnelle préalable à leur entrée comme titulaires dans une caisse royale.
36 22 furent suspendus de l’exercice de leur charge à litre définitif et 19 temporairement, le temps que leur cas soit tranché par le Conseil des Indes.
37 Dans le cas de caisses moins importantes, telle Sombrerete, les taux élevés d’officiers suspendus sont avant tout liés au petit nombre d’officiers titulaires y ayant exercé. Aussi, dans de telles situations, une seule visite ayant donné lieu à suspension des officiers en poste fait-elle brutalement monter notre indice de référence.
38 La durée moyenne des 31 suspensions que nous connaissons se situe à 42,5 mois. Par contre la durée modale de ces mêmes suspensions oscille entre douze et 24 mois et la médiane se situe entre 24 et 36 mois. C’est dire que la durée moyenne est sensiblement augmentée par des suspensions très longues mais peu nombreuses : sept suspensions de sept ans et plus. On peut donc admettre que la durée moyenne des suspensions à retenir ne doit en réalité pas dépasser trois années.
39 Le record de durée de suspension de charge reste détenu par José Ignacio de Miranda, officier royal de la caisse de Mexico. Poursuivi à trois reprises pour divers abus durant une carrière particulièrement longue et bien remplie – il resta officiellement titulaire durant 46 ans – ses suspensions de charge représentent une durée cumulée de treize années. Cela ne l’empêcha pourtant pas de mourir à son poste en 1758... AGI, aud. de Mexico, legs. 454, 632 ; escribanía de cámara, legs. 267a et 270a ; contratacion, 5484 n° 3, r. 29.
40 Les officiers de Veracruz et la cour des comptes, pourtant bien moins concernée, n’hésitent pas à recourir à cet argument, en particulier contre la visite de P.D. de Contreras entre 1730 et 1732. AGI. aud. de Mexico, legs. 733 à 737.
41 Ces contadurías furent, durant une bonne partie de la période considérée, dirigées par des membres de l’audience auxquels on donnait généralement le titre de surintendant de tel ou tel revenu royal. Sur ces juristes affectés à des tâches de finances voir M. Bertrand : « Los cargos de los oidores dentro de la Real Hacienda indiana. Siglos XV11-XV111 », Estudios de historia social y económica de América, n° 9, pp. 37-51, 1992 et l’étude des réformes tentées à partir de la fin du xviie siècle dans le cadre des surintendances au chap. 8. Plusieurs de ces juristes eurent d’ailleurs ponctuellement maille à partir avec la justice royale à cause de leur gestion contestable. Leurs successeurs, appartenant de plus en plus souvent au monde des finances, n’échappèrent pas pour autant aux foudres de la justice comme en témoigne le malheureux Manuel Gerónimo de Tovar y Arévalo pour sa catastrophique administration du revenu des naipes entre 1693 et 1696 où il laissa un trou de 68 000 ps. AGI, aud. de Mexico, leg. 738, escribanía de cámara, leg. 185a, et AGNM, not. 6, t. 24, fols. 1 à 8.
42 Voir infra chapitre 7.
43 Les 22 restant furent chassés de l’administration des finances.
44 Cette indemnité pouvait représenter au mieux le maintien du salaire ou d’une partie seulement juqu’au décès. Quatre l’obtinrent parmi notre corpus, les autres abandonnant leur poste sans aucune compensation.
45 Sur la mise en place des systèmes de financement de retraite pour les officiers les plus prestigieux de l’administration coloniale, voir D. Chandler, « The Montepíos de ministros and regulation of mariage in the mexican bureaucracy (1770-1821) », The Americas, vol. 43. n° 1, pp. 47-68, Washington, 1986.
46 Voir infra chapitres 5 et 6.
47 Entre 1660 et 1780 exercèrent 28 comptables ordenadores, vingt comptables de resultat et 26 comptables supérieurs dont aucun ne changea de grade ou d’affectation.
48 Seule l’application de la réforme de 1792 signifia une nouvelle poussée des recrutements à la fin du xviiie siècle.
49 Il ne s’en trouve qu’un seul, sur les 19 ordenadores promus à un poste supérieur à passer directement à la catégorie des comptables de cuema, promotion qu’il obtint en 1782 après 23 années d’exercice comme ordenador. C’est dire que, si l’institution fut moins affectée par la vénalité des charges, en comparaison avec les caisses royales, son impact n’en fut pas moins désastreux sur son fonctionnement interne.
50 Nous n’avons retrouvé dans les carrières des comptables de la cour que vingt commissions effectivement mentionnées pour la centaine d’individus concernés, cela en contradiction formelle avec tous les rapports rédigés par la cour des comptes elle-même (cf. supra). Cette relative rareté appelle au moins trois observations. Ces comptables n’étaient que rarement bénéficiaires de ces responsabilités, la législation rappelant régulièrement que leur nomination était déconseillée, risquant de dégarnir une institution au fonctionnement peu exemplaire (AGI, aud. de Mexico, leg 733). Par ailleurs, certains comptables ayant été nommés sur des commissions peu prestigieuses à leurs yeux ou peu profitables – inspections ponctuelles, contrôles limités sur des alcaldes mayores – ne prenaient même pas le souci de les mentionner dans leurs relaciones de méritos quand ils ne parvenaient pas à s’y soustraire. Enfin, le recours à cet argument chez les comptables ressemble trop à la recherche d’excuses destinées à justifier les retards considérables accumulés dans l’avancement de leur travail.
51 Une fois leur tâche accomplie, ces titulaires en surnombre furent placés hors cadre, attendant d’être appelés pour pourvoir au renouvellement à venir. Entre-temps, plusieurs acceptèrent des remplacements, mais certains décédèrent avant d’obtenir un poste fixe à la cour des comptes.
52 Les comptables ordenadores ont des durées moyennes de carrières de 15,4 ans, ceux de resultas de 17,7 ans et les comptables supérieurs de 19 ans.
53 Ils sont 33 comptables sur 103 à échapper à cette contrainte. Quant à leur âge d’entrée au tribunal, il se situe autour de 26,7 ans.
54 Cette carrière antérieure à celle menée par la suite à la cour des comptes représente en effet 147,6 mois et le recours à la vénalité la fait passer à 130,5 mois.
55 La moyenne se situe en effet à quinze ans d’exercice. La fréquence dominante ainsi que la médiane se situent toutes deux dans le groupe des dix-quinze ans de durée de carrière.
56 Cette moyenne est confirmée par la fréquence dominante des durées ainsi que par la médiane qui se situent toutes deux entre cinq et dix ans.
57 Cette lenteur des promotions concédées pouvaient parfois arriver trop tard pour le bénéficiaire comme il advint à Santiago Abad. Il obtint son avancement au dernier grade de la cour des comptes, décidé par le Conseil des Indes, en juillet 1761 alors qu’il était décédé 6 mois plus tôt... AGI, aud. de Mexico, legs. 1121, 1122, 1165, 1986 et 1992. AGN, Casa de Moneda, vol. 87, exp. 24, fol. 375. Baletín del Archiva General de la Nación, tome 8, n° 3-4, p. 491. Dans les trois autres cas, la durée est inférieure à quatre ans sauf pour Pedro Maria de Monterde y Antillón qui connut un passage très bref – six mois seulement – au grade antérieur. AGI, indiferente general, leg. 177, Boletín del Archiva General de la Nación, tome 8, n° 3-4, p. 838.
58 Il s’agit des comptables suivants : Rodriguez de Vargas Nicolás, Urquía y Arraurena Lorenzo, Carballido y Zurita Diego Manuel, Bustos Diego José, Cartagena y Torre Manuel, Fernández del Barco Pedro, Ramírez y Arellano Francisco, Terreros Ochoa José Benito, Ubilla y Estrada Miguel et Zabalza Francisco Thomás.
59 C’est la solution choisie par Phelipe de Muelas, qui repartit en Espagne au début de l’année 1722 avec le marquis de Valero.
60 Durant cette période, plusieurs candidats à des promotions ou des titularisations joignaient à leur relacíon de méritos des recommandations établies par la cour des comptes ou le vice-roi vantant leur expérience. Certains établissaient même des inventaires exhaustifs des comptes dont ils avaient eu la charge depuis leur accès à l’institution. AGI, aud. de Mexico, legs. 733 à 739.
61 Si l’on ajoute les concessions faites à des enfants de comptables de la cour, qui tiennent toujours compte dans leurs attendus des services rendus à la monarchie par le père du récipiendaire, on arrive à un total de 17 comptables distingués. Parmi ces concessions, treize furent des habits de l’ordre de Saint-Jacques, un de l’ordre d’Alcántara et trois de l’ordre de Calatrava. AHN, Caballeros de órdenes militares.
62 Le reste concerne l’octroi d’un titre de familier de l’Inquisition et celui de deux titres de noblesse.
63 Miguel de Ubilla y Estrada ne servit effectivement jamais sa place tout en l’occupant, empêchant cependant par sa présence la montée d’un comptable de resultas sur son poste qui resta de fait vacant. AGI, aud. de Mexico, leg. 738 et AGS, 173-4.3. Quant à Manuel Gerónimo de Tovar y Arévalo, éternel futurario, malgré son incompétence notoire et son handicap rédhibitoire, il fut encore désigné en juillet 1695 à la mesa mayor de la cour des comptes pour occuper à titre de remplaçant la place laissée vacante par Juan José de Veytia Linage affecté sur une commission de finances à Puebla. AGI, aud. de Mexico, leg. 163, escribanía de cámara, leg. 185a, et AGS, 174-357.
64 La veille de ce grand mouvement de renouvellement, il y avait six surnuméraires pour deux postes de contador de resultas et trois pour les trois postes de comptable supérieur. AGI, aud. de Mexico, legs. 17 et 277. Tous en profitèrent pour accéder à des postes de titulaires, le plus souvent pour des périodes brèves après des attentes bien longues. Dans un premier temps, il se trouva deux acheteurs extérieurs à la cour des comptes qui acceptèrent d’acheter les postes vacants. Ultérieurement, il ne resta plus que Roque de Vargas en 1699 pour prendre effectivement son poste. AGI, aud. de Mexico, legs. 1986 et 738 ; AGS, 173-172. Le second, Diego de Bustos, candidat à l’achat en 1699 préféra peu après se diriger vers une charge d’alcalde mayor. AGI, aud. de Mexico, legs. 64 (R.2 n° 49), 162, 736, 745 ; indiferente general, legs. 130 n° 73 et 135 n° 87. Les postes libérés furent promptement mis à disposition des comptables acceptant d’acheter leur promotion. José Jaime Lanterri Ferrer fut ainsi promu au poste de comptable de resultas surnuméraire en 1696. AGS 172-236, AGI, aud. de Mexico, legs. 17, 277 et 1986. Luis Ibañez Ozerín, intérimaire depuis quatre ans, s’offrit en mars 1699 un poste de comptable de resultas surnuméraire (AGI, aud. de Mexico, legs. 454 et 1986 ; contratacíon, leg. 235 ; indiferente general, leg. 1847). Sebastián de Imar y Arbilaga fit de même en avril 1700 (AGI, aud. de Mexico, legs. 738 et 1986 ; indiferente general, leg. 1847).
65 Il s’agit de José de Contreras y Torre, officier responsable du livre qui effectua quelques remplacements entre 1696 et 1702. Il fut promu conlador ordenador en mai 1702. AGI, aud. de Mexico, leg. 738.
66 La proclamation de la Nueva Planta par une cédule royale du 6 juin 1701 supprimait la vente des charges de ce type, les postes de surnuméraires ainsi que les futuras. Cependant, dans la pratique, aussitôt proclamée la Nueva Planta fut abandonnée et la vente reprit de plus belle. Dès la réception de la cédule royale établissant la réforme, le vice-roi Albuquerque ordonnait un audit de la cour des comptes. Au vu d’une situation qu’il jugea catastrophique, il décida immédiatement la suspension de l’exécution de la réforme en avril 1702, selon un rapport de la cour des comptes établi à cette même date. AGI, aud. de Mexico, legs. 1986 et 738.
67 Entre 1753 et 1757, décédèrent successivement Manuel de Avendaño, comptable supérieur en 1753 (AGNM, not. 570, vol. 3936), les comptables de resultas Cayetano de Vian Rodríguez en avril 1754 (AGI, aud. de Mexico, leg. 1165) Juan Fernando Navarro en février 1756 (AGI, aud. de Mexico, leg. 739), Manuel Esteban Rodriguez de Santa Cruz en février 1757 (AGI, aud. de Mexico, leg. 735 et J.M. Castro Santa Ana, Diario de succesos notables (1752- 1758), in M. Orozco y Berra, Documentas para la historia de México, p. 97, 1rc série, vol. 4 à 6, Mexico, 1854) et enfin le comptable ordenador Francisco Ramírez de Arellano en août 1755 (AGI, aud. de Mexico, leg. 735).
68 En 1756, le vice-roi imposa la retraite à Francisco de Presilla, comptable ordenador (AGI, aud. de Mexico, leg. 1165) ainsi qu’à Fernando Ruano de Arista, comptable de resultas (AGI, aud. de Mexico, leg. 1986). Peu avant cette date, en décembre 1754, Juan José de Ortiz, fut muté comme oficial mayor de la secretaría de la cámara du vice-roi (AGI, aud. de Mexico, leg. 1164) et Alonso de Mella, simple intérimaire il est vrai, fut affecté sur une nouvelle contaduría, probablement celle des alcabalas en cours de constitution (AGI, aud. de Mexico, leg. 1 164). Enfin, au début de 1756 Martin de Azpiroz fut à son tour muté comme oficial mayor au secrétariat du vice-roi (L. Arnold, Bureaucracy and Bureaucrats in Mexico city, 1742-1835. p. 27, Tucson, 1988.). Dans un courrier adressé au Conseil des Indes en 1763, Antonio de Mier y Terán parle lui de cinq mises à la retraite en 1754 avec maintien du salaire sans cependant en fournir les noms, AGI, aud. de Mexico, leg. 1165.
69 Le renouvellement permit en effet aux deux titulaires les plus récents de gagner près de quatre ans de carrière. Cette mobilité nouvelle se traduisit aussi par l’intégration de quatre auxiliaires ou subalternes du tribunal.
70 AGN, correspondencia de virreyes. vol. 1, exp. 43, fols. 96 et svts.
71 Une cédule royale d’août 1755 établissait ces nouveaux comptables comme une nouvelle catégorie de ministres en décidant que leur nomination ne dépendrait plus des seuls vice-rois comme pour les intérimaires mais directement du roi, AGI, aud. de Mexico, legs. 735 et 1122.
72 AGI, aud. de Mexico, legs. 321, 733 à 739 et 1990 à 1992.
73 L. Arnold, Bureaucracy and Bureaucrats..., op. cit., Tucson, 1988.
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