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Nouveaux partis, nouveaux enjeux

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Françoise Dreyfus

Le pouvoir du parti politique

Piero Ignazi

Texte intégral

Introduction

1Le rôle des partis dans les démocraties contemporaines évolue : les partis concentrent de plus en plus leurs efforts sur les fonctions qui favorisent un lien « sélectif » entre le citoyen et l’État, alors que le lien « collectif » tend à s’affaiblir (Lawson 1976, 1994 b).

2Afin d’illustrer cette hypothèse la première partie de cette communication est consacrée à un résumé critique des théories contemporaines de l’organisation des partis. Un tel survol est indispensable à une définition plus précise de ce que sont les principaux objectifs des partis et leurs véritables enjeux internes. Les changements de structure intervenus à l’intérieur des partis ont pu être associés aux transformations de la société. Maurice Duverger (1951), Otto Kirchheimer (1966) et, plus récemment, Dick Katz et Peter Mair (1995), parmi d’autres ont suggéré un type (ou des types) de parti dont les caractéristiques sont strictement liées aux évolutions de la société. En particulier, le modèle du « cartel party » est défini à partir du changement de nature et de rôle de l’État vis-à-vis du parti. Dans ce processus évolutif, les relations de pouvoir à l’intérieur et à l’extérieur des partis ont également été modifiées. Les différentes ressources dont peuvent disposer les partis – principalement grâce à leur profonde interpénétration avec l’État – et l’importance relative accordée à leurs principaux objectifs influent sur les relations de leadership entretenues avec leurs membres et leur électorat.

3Les membres et les sympathisants ne sont plus contraints par une Weltanschauung hautement idéologique et par conséquent sont moins gratifiés de récompenses symboliques. Ils recherchent davantage des avantages précis et concrets. D’autre part, les partis ne sont plus producteurs d’une forte « identité » symbolique ; ils préfèrent offrir des « images » variables. Ils sont, en conséquence, davantage enclins à satisfaire les motivations matérielles ; ou, mieux encore, ils disposent plus que dans le passé de ce type de ressources en raison de l’interpénétration avec l’Etat mentionnée plus haut. C’est pourquoi nous pouvons dire que les partis évoluent de leur fonction classique et « mythique » de canalisation des aspirations populaires – un « lien collectif » – vers celle d’un lien plus particulièrement « sélectif ».

1) Les typologies des partis

4L’évolution des partis d’après-guerre a confirmé la prévision de Du verger concernant le parti de masse comme modèle dominant. Le parti de cadre traditionnel a subi diverses modifications « formelles » de structure afin de correspondre au modèle de parti de masse caractérisé par un processus de décision et de désignation de l’appareil basé sur le principe du centralisme démocratique, l’ouverture du recrutement, l’enracinement territorial dans des sections locales, le contrôle du leader par une organisation nationale et le développement des organisations satellites. Ces particularités affectèrent presque tous les partis : « la contagion par la gauche » (Duverger 1951, 25) semble avoir été à l’œuvre.

  • 1 Kirchheimer n’utilise jamais le terme leader dans ses essais : il préfère le terme leadership et su (...)
  • 2 Kirchheimer souligne l’attitude anti-système des partis socialistes de masse qui intègrent les cito (...)

5Dans un processus idéal d’évolution, du parti de cadre au parti de masse, succède le parti attrape-tout de Kirchheimer (1966). Kirchheimer construit son modèle de parti attrape-tout à partir des transformations que la société européenne a connues depuis l’après-guerre et qui se sont répercutées sur le parti politique. Il n’a pas adopté pour cela le procédé d’analyse de Duverger qui se fonde sur « l’unité de base » du parti à partir de laquelle toute l’organisation est articulée. Au contraire, le parti de Kirchheimer n’est pas défini par de simples caractéristiques organisationnelles. À la différence de Mair (1990) qui a récemment souligné les innovations organisationnelles introduites par le parti attrape-tout et fait remarquer que seul un trait du modèle ne concerne pas les aspects organisationnels, notre interprétation reprend le modèle de Kirchheimer en termes de fonctions plutôt qu’en termes de structures. Tout d’abord, en fait, seuls deux des cinq critères du parti attrape-tout ont trait à son organisation au sens strict (rôle décroissant des adhérents correspondant avec une plus grande liberté d’action et une plus grande visibilité des groupes leaders1 ; deuxièmement les modifications organisationnelles sont d’une certaine façon subordonnées aux trois autres traits : appel à l’électorat plutôt qu’à une clientèle spécifique (chasse gardée) ; recul de l’idéologie par abandon de la Weltanschauung et des principes universels au profit de préoccupations plus pragmatiques et plus spécifiques ; attention accordée davantage aux divers groupes d’intérêts. Ces trois critères constituent l’essence du modèle attrape-tout. Celle-ci suppose l’abandon de la fonction d’intégration-désintégration2 au profit d’objectifs de rationalité-efficacité. Le parti attrape-tout est une machine à briguer les postes qui ne se préoccupe plus d’identification. « La désignation des candidats en vue de la légitimation populaire des responsables est aujourd’hui la fonction la plus importante du parti attrape tout » (Kirchheimer 1966, 198). Ainsi le parti transforme sa fonction canalisatrice en une fonction électorale. Et pour atteindre cet objectif le militantisme et même l’adhésion sont moins importants. Un tel affaiblissement de la participation interne ne résulte pas d’une volonté délibérée du parti qui considérerait les militants comme des concurrents ou comme une gêne dans la compétition politique : les militants deviennent moins importants parce qu’ils abandonnent volontairement leurs prérogatives. A aucun moment Kirchheimer ne fait allusion à une stratégie délibérée de la part du leadership visant à démobiliser la participation interne. C’est pourquoi « il est juste d’affirmer que le pouvoir d’utiliser (et de garder) les partis comme des intermédiaires utiles et stables appartient aux citoyens. [...] Seule une citoyenneté éclairée et active peut obliger les partis [...] à adopter des structures et des pratiques permettant d’agréger leurs intérêts » (Lawson 1976, 23-24).

6Selon cette interprétation le parti n’est pas le principal responsable du déclin du militantisme. La raison première doit être cherchée dans les transformations sociales qui modifient les attitudes et les conduites des citoyens et par la suite la fonction des partis. Les regrets exprimés par Kirchheimer au sujet du déclin du parti de masse (Daalder 1983, 23) – et résumés dans des formules telles que « la relation entre le citoyen et le parti politique devient plus intermittente et plus limitée » (Kirchheimer 1966, 198) et « la relation individuelle (...) à la politique est à la fois tangentielle et discontinue » (ibidem, 193) – se réfèrent en réalité au déclin d’une certaine forme de société (la société industrielle). Les transformations liées à une nouvelle époque affectent aussi les partis politiques et Kirchheimer concentre son attention sur les rôles et les missions que devait remplir le parti attrape-tout plutôt que sur son adaptation organisationnelle aux nouvelles conditions. Le fonctionnement interne des partis est quelque peu négligé, à l’exception de la relation entre les militants et la direction du parti.

7Duverger et Kirchheimer ont tous les deux relié l’évolution du parti à la transformation de la société. Mais, alors que Maurice Duverger construit sa typologie à partir des différentes formes d’organisation – unité de base, articulation, centralisation, etc. –, Kirchheimer souligne seulement les conséquences des transformation sociales sur le parti.

8Le parti attrape-tout de Kirchheimer a constitué le modèle standard d’analyse des partis politiques contemporains dans les démocraties stables et avancées. Il n’a été remis en cause que très récemment par le cartel party de Katz et Mair (1995).

  • 3 Selon Katz et Mair (1995, 17) le cartel party sera d’autant plus puissant que « l’aide de l’État au (...)

9Le cartel party est caractérisé par « l’interpénétration du parti et de l’Etat et aussi par un modèle de collusion interpartisane » (Katz et Mair 1995, 17). Le développement du cartel party est lié aux modifications des relations entre la société et l’État intervenues depuis les années 1970. Les partis jouent de moins en moins un rôle de « courtier » : « les partis sont une association de professionnels, et non des associations de, ou au service de citoyens » (ibidem, 22). Ils ne se préoccupent des désirs des citoyens qu’autant que cela constitue le moyen le meilleur et le plus facile de conserver leurs suffrages et de se maintenir au pouvoir. Ce type de parti est né avec l’extension du party government, c’est-à-dire l’extension des sphères contrôlables par les partis3. En d’autres termes le cartel-party est l’enfant de la société post-moderne (von Beyme 1996). Les particularités organisationnelles qui dérivent de cette évolution impliquent un relâchement des liens entre les membres et les leaders, une plus grande autonomie et une moindre importance de la base du parti, une fonction symbolique et rituelle remplie par des meetings et des congrès du parti et un mode de prise de décision plus opaque.

10Comme le parti attrape-tout, le cartel-party n’est pas conçu seulement en termes d’organisation. Les deux modèles reflètent simultanément les changements de la société et de l’État dans leurs relations avec le parti. Ces analyses se sont appuyées sur les changements sociaux pour expliquer l’adaptation des partis, et les deux idéaux-types n’ont pas été construits sur la base d’une logique organisationnelle ni dans un strict cadre de référence aux conduites organisationnelles. Même si l’impact, si brillamment décrit par leurs adeptes, exercé sur l’organisation des partis par leur caractère « attrape-tout » et leur « cartelisation » correspond à la réalité empirique des partis européens actuels, leur caractéristiques ne se réfèrent pas ni ne dérivent d’une théorie de l’organisation.

2) Approche structurale de l’étude des partis politiques

11L’approche structurale, issue des travaux de Duverger, analysant les partis comme des types d’organisations, a été plutôt négligée pendant plus de trente ans ainsi que le déplore Hans Daalder (1983, 23) dans son remarquable tour d’horizon des partis et des systèmes de partis. Et, dix ans plus tard, Kenneth Janda (1993, 171), dans son récent résumé sur l’état des études sur les partis politiques, dénonce la même insuffisance.

12Quelques rares exceptions méritent d’être relevées. On peut les distinguer selon leurs différents niveaux d’analyse. Quelques unes se situent au niveau méta-empirique visant à la construction d’idéal-types. D’autres ont proposé des variables permettant de mesurer l’organisation des partis et ont été en mesure de les soumettre à une validation empirique.

13Le premier courant de recherche s’est attaché à identifier des modèles de partis neufs ou alternatifs, en négligeant quelque peu l’aspect empirique. Les principales typologies sont celles de Leon Epstein (1967) et de son parti électoral opposé au parti non-électoral ; de William Wright (1971) et de son modèle de parti rationnel – efficient opposé au traditionnel parti démocratique ; de Kay Lawson (1976) et de sa typologie en six classes de partis ; d’Angelo Panebianco (1982) et de son parti électoral-professionnel opposé au parti bureaucratique de masse ; de Richard Katz et Peter Mair (1995) et de leur cartel-party. Ces idéaux-types bien connus prennent en compte l’évolution actuelle des partis politiques mais sont, en un certain sens, loin de traduire la réalité empirique. Ils sont conçus comme des modèles de portée générale dans une vision de l’évolution des partis politiques, et négligent toute définition opérationnelle qui permettrait de contrôler leur véritable existence et leur importance.

14Le second courant de recherche est plus soucieux d’une analyse empirique et vérifiable des structures et de la vie interne des partis. Malheureusement, la plupart des auteurs ont adopté indépendamment les uns des autres leur propre système d’indicateurs pour examiner les propriétés organisationnelles des partis. Il semble qu’aucun paradigme commun ne se soit imposé à eux. Quelques exemples permettront d’illustrer ce état de fait.

15Spencer Wellhofer (1979 a, 1979 b) dans son analyse comparative des partis socialistes à travers le monde (Argentine, Norvège, Grande Bretagne et Suède) identifie la pertinence de la caractéristique organisationnelle des partis à partir de trois critères : ampleur de l’appartenance au parti et de l’appartenance aux syndicats et coopératives et distribution des structures locales du parti (1979 a : 181).

16Dans la même veine Kris Deschouwer (1994) a concentré son attention sur « l’efficacité externe » (définie en termes de succès électoraux et contrôle des institutions locales) des sections locales partisanes en Belgique. Deschouver adopte cinq critères (formalisme, cohérence, centralisation, participation et idéologie) rendus opérationnels par une série d’indicateurs rappelant quelque peu le travail de Janda (voir infra).

17Jan-Erik Lane et Svante Ersson (1994, 123-128) suggèrent trois éléments différents propres à analyser l’organisation des partis : l’appartenance au parti, l’intégration et la segmentation. L’appartenance au parti est caractérisée par le degré d’ouverture ou de fermeture, c’est-à-dire, l’adoption ou non par le parti d’une stratégie visant à accroître le nombre de ses adhérents. L’intégration se réfère à la structure, la centralisation et l’unité « [...] La structure des partis d’intégration est plus rigide ; ils sont plus centralisés et leur unité est plus grande » (ibidem, 123). Quant à la segmentation, elle est identifiable par trois aspects : l’étendue (combien d’organisations sont liées au parti ?), l’orientation (quelle est la nature des organisations externes liées au parti ?) et la connexion (quel est le degré de proximité dans les relations ?).

18L’imposant effort de Katz et Mair (1992) pour collecter des données sur l’organisation des partis est basé sur toute une série de critères : appartenance (individuelle ou de corporation) ; branches locales et organisations parallèles ; bureaucratie, organismes centraux (appartenance, nomination, procédures, réciprocité des relations), ressources financières. Toutefois, les divers critères organisationnels retenus dans les contextes strictement nationaux n’ont pu être généralisés (ni soumis à une validation empirique). Aucun cadre général, permettant la comparaison variable par variable, n’a encore été proposé. De plus, répétons-le, même le modèle de cartel-party de Katz et Mair ne fonctionne pas sur la base de variables organisationnelles.

19Kay Lawson dans son travail plus récent suggère quatre variables utilisables dans l’étude de l’organisation des partis : motivations, moyens, degré de fermeture, et contexte externe (1994 b, 287). Les motivations comprennent les rétributions personnelles, le dévouement à l’égard d’un leader, à l’égard de l’organisation et l’engagement dans la politique ; les moyens d’atteindre les buts du parti sont mesurés par la capacité à établir de bonnes relations, par l’efficacité dans l’accomplissement des fonctions habituelles et le degré d’adaptation aux changements extérieurs ; le degré de fermeture se mesure à la netteté et l’importance des frontières du parti ; le contexte externe concerne les liens du parti avec le système et analyse les répercussions entraînées sur la vie interne du parti par la stabilité de ce système et le pouvoir du parti au sein du gouvernement. Ces variables mettent en relief les conflits internes, la disponibilité des ressources, la relation entre le leader et les militants mais ne créent pas un idéal-type spécifique. Les quatre variables concernant la vie interne des partis offrent une grille d’analyse (ibidem, 299) mais pas encore un idéal-type.

20En définitive, on doit à Kenneth Janda la tentative la plus ambitieuse pour construire un cadre théorique qui soit vérifiable empiriquement. Le cadre conceptuel dessiné dans son projet ICPP (Janda 1980 a ; voir aussi Janda 1983) inspiré de la théorie des organisations, nous livre douze concepts élémentaires ; huit concernent les relations extérieures avec la société et quatre ont trait à « l’organisation interne du parti ». Le premier groupe de concepts relatif aux relations externes est constitué par : l’institutionnalisation, la participation ou non au gouvernement, l’attirance sociale, la concentration sociale, la réflexion sociale, l’orientation des enjeux, l’orientation des buts et l’autonomie. Le second groupe de concepts, concernant l’organisation interne comprend la complexité, la centralisation du pouvoir, la cohérence et le degré de participation. En outre, chaque concept est rendu opératoire par une série de variables. Ce schéma a été utilisé dans des analyses comparatives (par exemple Janda 1980 b ; Janda et Harmel 1982) pour valider une série d’hypothèses. En particulier, Janda et King (1985) ont testé certaines assertions de Duverger pour redéfinir un certain nombre de ses concepts. Toutefois, malgré la complexité de leur schéma et la surabondance des données, Janda et ses divers coauteurs n’ont jamais essayé de créer un idéal-type à partir de leurs prémisses théoriques et de leurs découvertes empiriques.

21Un paradoxe semble donc se dessiner dans la littérature consacrée à l’organisation des partis. D’une part, le premier courant de recherche a concentré son travail sur l’élaboration d’idéaux-types sans se soucier véritablement de vérification empirique : la seule manière de contrôler la validité des divers types se limitant, par conséquent, à des comparaisons méta-empiriques. D’autre part, le deuxième courant offre une combinaison de variables pour l’analyse de l’organisation partisane mais aucun idéal-type de parti n’en découle. Il y a encore un fossé entre les réflexions théoriques et les concepts opérationnels.

3) Le double aspect du pouvoir partisan

22La plupart des études auxquelles nous avons fait référence ci-dessus, et dont le mode d’approche est structural, trouvent leur fondement théorique dans la recherche traditionnelle sur les organisations.

23La contribution des études organisationnelles à l’analyse des partis politiques a permis de préciser la conceptualisation du « pouvoir partisan », quelque peu négligée il est vrai (Haider 1984). Une distinction utile à l’analyse consiste à concevoir le pouvoir partisan comme double : le pouvoir à l’intérieur de l’organisation du parti (pour s’en assurer le contrôle), et le pouvoir à l’extérieur (pour contrôler la société et l’État).

24L’approche behavioriste dans l’étude des partis politiques a tenté de fournir un cadre d’interprétation. Assimilant le parti à des organisations agissant sur le marché, cette approche met l’accent sur les buts – ou « buts primaires » – du parti. Trois modèles sont issus de ce schéma : le parti dont le but est de rechercher les voix (vote-seeking), celui qui recherche les postes (office-seeking) et celui qui vise à déterminer les politiques publiques (policy-seeking). Récemment, Kaare Strøm (1990, 1994) a critiqué la distinction établie entre ces trois modèles. Strøm fait remarquer que ces modèles se confondent si l’on concentre son attention sur le rôle d’entrepreneurs assumé par les leaders. Les organisations partisanes sont mises en place par les leaders qui peuvent être considérés comme des entrepreneurs qui « développent leurs organisations tant que les coûts marginaux ne dépassent pas le bénéfice marginal attendu » (Strøm 1994, 109) Ils sont toutefois liés par quelques « contraintes d’organisation ». Ainsi que nous en discuterons plus loin, les leaders doivent récompenser les militants pour leur engagement, et leur offrir un « certain contrôle sur la politique ou les postes » : par exemple, « en décentralisant les décisions concernant le parti, en donnant la préférence aux militants et aux membres de l’appareil pour l’octroi des postes, en affirmant la responsabilité du leader à l’égard des militants et des adhérents » (ibidem, 111). La combinaison de ces multiples aspects permet d’émettre un certain nombre d’hypothèses concernant le comportement du leadership. Selon Strøm, « plus le mode de décision est centralisé, et plus imperméables sont les modes de recrutement, plus le parti devra être « pur » dans la conduite de sa politique. Et plus les leaders sont responsables, plus la conduite du parti est myope, et moins il est concerné par ses résultats électoraux » (ibidem, 113). Même si ces propositions ont été validées empiriquement dans le cas des partis norvégiens, l’auteur reconnaît qu’« un travail considérablement plus analytique et empirique (ibidem, 127) reste à faire ».

  • 4 Ceci n’est pas contradictoire avec la thèse de Downs (les partis se servent de la politique pour ob (...)

25Cette assertion suppose un réexamen du modèle behavioriste. D’abord, la poursuite d’une politique (the policy-seeking aim) est inhérente au parti politique et n’est pas une caractéristique qui peut ou ne peut pas exister. Tout parti avance un projet politique ou un « prétexte idéologique » (Harmel et Janda 1994, 265) ; il est fort difficile de concevoir un parti qui se bornerait à rechercher les succès électoraux sans se référer à quelques plate-forme, idées, messages, etc. (ibidem, 272). Mais la poursuite d’une politique n’est pas indépendante des votes et des postes : au contraire, la politique est dépendante des deux autres objectifs. Sinon il ne s’agit que de simples discours sans aucun effet sur le processus politique. Budge et Keman (1990) reconnaissent qu’en fait les partis recherchent les postes parce qu’ils leur fournissent les moyens de mener à bien leur politique4.

26Selon ce raisonnement les leaders tireraient un bénéfice (à l’évidence) des succès électoraux, de leur accès aux postes et de la faculté de promouvoir leur politique. Les contraintes et impératifs organisationnels (les facteurs internes) et les relations avec l’environnement (les facteurs externes) peuvent être à l’origine de conflits internes à l’organisation à propos de la politique à suivre, d’une alliance à conclure, d’un mouvement sur l’échiquier politique : mais ces décisions n’impliquent pas de conflits sur les objectifs. Le seul conflit plausible peut survenir en cas de changement d’orientation politique pour entrer dans une coalition ou, au contraire quand les partis politiques extrémistes préfèrent poursuivre une politique puriste, même si cela implique un renoncement aux postes. A ces deux exceptions près, les leaders qui réussissent tiennent compte et intègrent les objectifs fondamentaux du parti parce qu’ils sont tous rigoureusement (et logiquement) liés. Aucune politique et aucun moyen d’accès aux postes ne sont possibles « sans » succès électoraux et aucune politique n’est possible « sans » postes. Ainsi donc les conflits de stratégies sur le comportement des partis sont plus théoriques que réels. C’est le choix des différents moyens et ressources propres à atteindre ces buts qui peut provoquer des conflits « au sein » de l’organisation, et non celui des objectifs eux-mêmes. « Le processus décentralisé de décision à l’intérieur du parti, la perméabilité du recrutement, et la responsabilité du leadership » (Strøm 1994, 126) peuvent affecter le comportement du parti. Selon cette interprétation les actions des leaders visent davantage à accomplir les objectifs principaux du parti qu’à s’assurer le contrôle sur l’organisation elle-même. Une telle approche met l’accent sur l’action des leaders au vu des buts « externes » (votes, politique, postes) en négligeant l’importance des buts « internes », c’est-à-dire les actions destinées à acquérir ou à maintenir le pouvoir dans l’organisation.

27En résumé, l’approche behavioriste montre comment le leadership partisan agit pour maximiser les objectifs externes du parti, mais elle n’éclaire pas aussi bien les dynamiques internes où le pouvoir partisan se manifeste.

a) Les relations de pouvoir à l’extérieur du parti

28Une autre méthode, plus traditionnelle, pour traiter le sujet en question consiste à analyser la manière dont se transforment les fonctions qu’assument aujourd’hui les partis.

29Comme Katz et Mair (1995) l’ont souligné, les partis ont abandonné la fonction « de médiation » assumée précédemment par les partis de masses. Les partis n’agissent plus simplement comme des brokers c’est-à-dire comme des médiateurs entre les citoyens et l’État (voir aussi Lawson and Merkl 1988). Depuis peu les partis ont commencé à agir davantage en « négociants » comme le feraient des agences qui, tout en remplissant leurs fonctions d’intermédiaires, obtiennent quelques avantages. Mair (1993) souligne avec justesse que les partis perdent en partie leur fonction « démocratique » classique de canalisation et d’expression mais qu’ils ne perdent pas leur emprise sur la société et l’État. D’un côté, les partis ont gagné la partie sur les « nouveaux mouvement sociaux » qui ont presque disparus sans conséquence notable, si ce n’est le développement de petits partis écologistes ou libertariens de gauche, tous en dessous de 10 % des suffrages. D’un autre côté, ils ont réagi de manière positive au néo-corporatisme qui pouvait les menacer, en raison de leur aptitude à s’insérer dans le circuit néo-corporatiste et surtout grâce à l’avancée du credo néo-libéral qui affaiblit le système corporatiste. Les partis sont toutefois dépeints de manière contrastée. « A la fois plus forts et plus lointains ; contrôlant plus en étant moins puissants ; et plus privilégiés et moins légitimes » (Mair 1994, 19).

30En fait, il est plutôt contradictoire d’affirmer que les partis maintiennent leur contrôle sur la société et qu’ils sont moins puissants. Les partis sont plus puissants ; cela parce que, selon la propre analyse de Mair, grâce à l’extension et à l’approfondissement de leur contrôle, ils obtiennent davantage de ressources de l’État. Ces moyens – plus de financement public, plus de personnel payé par l’État, plus de postes dans l’administration – peuvent être considérés comme « légitimes » dans la mesure où ils sont conçus comme des moyens permettant aux partis d’accomplir leur fonction démocratique, liaison entre les citoyens et l’État, « nécessaire », par conséquent, au processus démocratique. Mais le champ d’action des partis s’étend encore plus loin : ils ne se limitent pas à pénétrer l’État mais visent aussi à pénétrer la société civile ; dans ce cas ils brouillent quelque peu les règles formelles et les limites habituelles. Les partis semblent en effet agir de plus en plus comme des raiders : ils essayent d’occuper le plus rapidement possible le plus grand nombre de positions dans les sphères économico-socio-culturelles très au delà de ce qui est institutionnellement prévu. Cette pénétration de la société par les partis a été tour à tour désignée par les termes de partitocrazia, Parteinstaat ou particratie (De Winter et al. 1996). L’aptitude des partis à « coloniser l’État » est déterminée par leur présence dans les centres de décisions (en d’autres termes par le degré d’allégeance au partyness of govemment) : cette présence est liée à l’expansion du secteur public tant au niveau national qu’au niveau local, et au nombre de postes accordés aux partis dans les organismes dépendant du gouvernement et dans l’administration (Pasquino 1995). Toutes ces activités supposent l’exercice d’une pratique clientéliste et de patronage.

31Dans ce contexte la fonction de liaison mise en lumière par Lawson prend un sens tout particulier ; dans sa formulation originelle elle relie les désirs des citoyens et les décideurs (partisans). Cela constitue l’essence même du processus démocratique : « les partis revendiquent cette fonction de liaison parce que c’est le seul moyen de conserver leur légitimité, et de conquérir les voix qui représentent la monnaie sur le marché du pouvoir » (Lawson 1976, 23). Mais depuis, parmi les quatre types de liens (participatif, sensibilité politique, directive et octroi de récompenses) seul le dernier s’est développé au détriment des deux premiers. Cette sorte d’incitation constitue probablement le trait le plus distinctif des partis contemporains. Pourquoi ? Principalement parce que l’implication des partis dans l’État leur a donné d’énormes ressources qu’ils peuvent distribuer à leur gré. Le patronage a pu être considéré comme une composante archaïque des sociétés, un mode pré-moderne de conduite politico-sociale mais il fait maintenant partie des relations sociales dans toutes les sociétés contemporaines avancées (Theobald 1992, 191). L’extension des quangos en Grande-Bretagne, par exemple, qui offrent des emplois en fonction d’un critère partisan (Wilson 1995), illustre ce phénomène de la manière la plus éclatante. Le patronage est donc le mode d’incitation par excellence alors que les autres moyens symboliques et collectifs sont en déclin. Les principaux liens (participatif et sensibilité politique) ont une portée générale ; en principe, ils doivent englober l’ensemble des citoyens parce que le résultat d’un tel engagement est collectif. Mais la dimension collective du lien se relâche avec le déclin de l’identification et de l’engagement. Les adhérents et les citoyens sont davantage motivés par la distribution de récompenses individuelles ou de « gains personnels » (Lawson 1994 b, 288 s.). L’aspiration à une identité collective se manifeste hors des partis ; elle s’est tournée vers les nouveaux mouvements sociaux ou les leaders de type charismatique ou encore vers les partis fortement marqués par l’idéologie et l’organisation (les partis d’extrême-droite par exemple). A partir du moment où l’adhésion à un parti est limitée à l’envoi d’un chèque, les récompenses ne sont plus collectives ou symboliques (Lawson 1994 b, 288) et l’on peut voir que les moyens d’attraction dont disposent les partis sont limités. Au cours de cette phase le phénomène d’identité se brouille et le lien de type instrumental l’emporte ; c’est pourquoi les partis ont besoin de plus en plus de ressources matérielles à distribuer, ont besoin de l’État, et ont besoin d’obtenir le maximum possible, quelles que soient les circonstances : par conséquent ils doivent finalement se comporter comme des raiders en Bourse.

  • 5 Les partis peuvent « détenir le pouvoir » même au delà ou à l’extérieur de la sphère gouvernemental (...)

32C’est pourquoi la récente thèse selon laquelle « bien que le clientélisme existe encore, ses bénéfices ne sont pas toujours dispensés par les partis et semblent de moins en moins bénéficier aux électeurs ordinaires » (Lawson 1994 a, 2) n’est pas pleinement convaincante ; selon cette interprétation les citoyens n’attendraient pas d’avantages matériels des partis. En fait, avec l’accroissement de l’influence (et du pouvoir) des partis et la généralisation du patronage, les incitations sélectives et les récompenses passent bien par les partis. Quand les partis dominent le gouvernement5 dans tous ses aspects, une « fusion » entre les partis et le gouvernement s’opère au profit du parti (Blondel 1995, 135). Plus l’État et les sphères de la société sont contrôlés par les partis, plus les « clients » des partis bénéficient d’avantages « sélectifs ». Et il appartient au parti de collecter suffisamment de ressources pour satisfaire ces attentes.

33Tous les partis, même ceux qui fonctionnent de la manière la plus démocratique – comme Pogunkte (1993) l’a démontré pour les Verts allemands – doivent affronter la réalité du déclin des motivations symboliques et identitaires. La rationalité entre-preneuriale des leaders les conduit à doter le parti des ressources/bénéfices exigés par la loi du marché électoral. Plus un parti « obtient » de pouvoir, plus (et de manière plus diversifiée) il bénéficie de ressources.

34Mais, finalement, comment peut-on déceler de telles ressources ? On peut tenter de mesurer le pouvoir des partis dans les démocraties confirmées à partir de quatre variables : a) le degré de contrôle du parti sur le secteur public de l’économie (industrie, banque, assurance, etc.) ; b) le taux de nominations directes dans les emplois ; c) l’ampleur de l’emprise du parti sur l’administration centrale et locale ; d) l’ampleur du contrôle du parti sur les moyens de communication publics et privés. Autrement dit, le pouvoir partisan peut s’échelonner à partir d’un niveau très bas d’emprise du parti sur le gouvernement jusqu’à un niveau de contrôle très élevé sur presque toutes les sphères de la société.

b) Les relations de pouvoir à l’intérieur du parti

35Alors que tous ces aspects concernent l’environnement extérieur du parti, et sa capacité à le contrôler et à le gérer dans son intérêt, l’autre face de la médaille concerne les relations de pouvoir internes.

36Panebianco (1982) a offert l’interprétation la plus articulée de la manière dont les partis sont structurés par leurs relations internes de pouvoir. Pour la résumer nous dirons que, fondée principalement sur l’étude des organisations, sa théorie considère l’organisation du parti comme l’arène où se développent des échanges. Ces échanges visent à conquérir le contrôle de l’organisation. Le pouvoir ne pouvant être détenu par un seul leader (à l’exception d’un leader de type charismatique) le parti est géré par une coalition d’acteurs – « la coalition dominante ». La coalition dominante se forme quand des « entrepreneurs politiques » prennent le contrôle des « zones d’incertitude » décisives ou, en d’autres termes, des ressources stratégiques. Parallèlement aux conflits de pouvoir horizontaux entre des coalitions en compétition pour être dominantes, il est possible d’observer une relation de pouvoir verticale, entre les leaders et la base du parti. Dans ce dernier cas, le conflit a trait à la différence des ressources dont les leaders et les partisans peuvent se prévaloir. La balance penche en faveur des leaders qui ont (ou sont crédités avoir) davantage de compétence, de savoir-faire, et aussi d’attrait : toutes ressources que la base partisane est convaincue de ne pas posséder.

37Ce déséquilibre des relations de pouvoir à l’intérieur du parti est remarqué par Offerlé (1987, 60) qui souligne « l’inégale distribution des ressources sociales (origine et positions sociales, niveau d’instruction, sexe, âge), politiques (ancienneté de la professionnalisation attestée par une réussite sur le marché politique et sur le marché interne à l’organisation) et symboliques (autorité que confèrent ces croyances en l’existence du pouvoir de celui qui le détient) ».

38Cet aspect conduit à enquêter sur les avantages que le leader doit distribuer aux adhérents pour s’assurer de leur loyauté au parti et à la direction (Scarrow 1996). En fait, « les adhérents ont encore de l’importance » (Mair 1994). Ils sont précieux parce qu’ils apportent de l’argent, une force de travail bénévole pour les campagnes, parce qu’ils diffusent le programme du parti, qu’ils témoignent de la force de l’organisation vis-à-vis des autres, et parce qu’ils remplissent les mythiques fonctions de liaison avec la société au sein de la démocratie interne du parti à travers le choix des leaders et l’approbation du programme.

39L’importance des adhérents tient aussi au fait que les partis sont des organisations caractérisées par un haut degré de contacts directs, face à face : même si les médias électroniques et d’autres transformations de la société affaiblissent les relations face-à-face, il n’en reste pas moins qu’aucune autre organisation n’utilise, ne magnifie, et parfois stimule, comme ils le font, les réunions et manifestations de masses, les meetings et les conférences publiques dans lesquelles il est demandé à l’assistance de participer (bien que passivement) personnellement et directement. Seuls les syndicats et les groupes et associations d’intérêts partagent le même style d’action, mais aucune autre organisation complexe n’est structurée pour cette forme d’activité ni ne requiert un tel engagement. Contrairement à ce qui ce passe dans les organisations à but lucratif ou les agences gouvernementales bureaucratiques, tous les membres du parti sont en principe impliqués dans le processus décisionnel et le parti lui-même leur donne de nombreuses occasions d’interventions directes et personnelles (Schlesinger 1984). Les relations personnelles, bien que rituelles et sans répercussions sur la prise de décisions, jouent un rôle essentiel dans la formation des impératifs de l’organisation. Pourquoi ?

40La réponse se trouve dans les caractères originaux propres aux partis. Les organisations, nous le savons, sont façonnées par des « mythes rationnels » (Meyer et Scott 1992, 14) qui leur fournissent une légitimité interne. Alors que « l’isomorphisme avec les institutions environnantes influe de manière décisive sur la structure des organisations » (Meyer et Rowan 1977, 348), l’incorporation des partis contemporains dans le système libéral et démocratique les conduit à adopter les règles démocratiques propres à leur procurer une légitimité. Le besoin d’un principe de légitimité façonne les organisations. Les partis politiques partagent le mythe de la démocratie participative (Kitschelt 1993, 21 s., Rohrschneider 1994). Tous les partis sont fondés sur le postulat que les adhérents sont les bienvenus et qu’ils ont – comme les électeurs dans l’arène électorale – le droit de donner leur consentement aussi bien sur le choix des leaders que sur la définition de la politique. D’un autre côté nous savons depuis les travaux de Michels qu’il s’agit d’un mythe. Toutefois, à l’exception des partis d’extrême-droite – ceux du passé ou ceux de la nouvelle vague des années 80 – qui ont suivi le Führerprinzip et, pour cette raison, méprisé la démocratie interne, tous les autres partis rendent hommage aux principes démocratiques.

41C’est la raison pour laquelle les leaders des partis, pour gagner et maintenir le consensus, doivent adopter certains rituels démocratiques prescrits par des règles formelles. L’« histoire officielle » du parti (Katz et Mair 1992) représente un frein à la liberté d’action des leaders. Et, en fait, ainsi que l’a très précisément démontré Appleton (1994) dans son récent essai sur les partis politiques en France, d’autre règles « informelles » et d’autres modes de prise de décisions ont été adoptés afin de gérer efficacement l’organisation. Le parti est en réalité un Janus (Charlot 1989) dont la face extérieure est consacrée à la sanctification des principes démocratiques, l’affirmation de programmes politiques et l’entière responsabilité des leaders et une face interne dominée par la logique nécessaire à la survie de l’organisation, pouvant s’affranchir des règles formelles.

42Ainsi que nous l’avons déjà affirmé, les adhérents ont toujours de l’importance (voir également Seyd et Whithely 1992) et la direction du parti doit pour cette raison maintenir des liens de fidélité avec eux et s’assurer d’un engagement sans faille de leur part. Les leaders doivent offrir un mélange savamment dosé de solidarité, d’incitations collectives symboliques et de récompenses matérielles sélectives. A chaque coalition dominante correspond une combinaison propre, en partie déterminée par les pressions extérieures, en partie découlant des ressources dont elle dispose, en partie liée à l’idéologie du manifeste du parti.

43Il est possible d’avancer l’hypothèse selon laquelle les incitations sont dosées selon les phases de l’évolution du parti. A son stade initial le parti est engagé dans un « système de solidarité » dans lequel les incitations collectives et la mise en œuvre de l’idéologie prévalent ; après la phase d’institutionnalisation l’idéologie du parti devient « latente » et les incitations deviennent sélectives (Panebianco 1982, 53 ff). Cette combinaison est aussi liée à la disponibilité des ressources dans l’environnement. Quand les incitations sélectives sont abondantes en raison de la pénétration du parti dans l’État et la société, l’accent mis sur les incitations collectives et symboliques décroîtra et vice-versa. Dans les partis non gouvernementaux, les seules incitations sélectives disponibles sont fournies par la hiérarchie interne.

Conclusion

44En résumant les analyses fournies par la littérature, il est possible d’affirmer que l’organisation partisane est une arène où se déroulent des conflits dont l’enjeu principal est le pouvoir, c’est-à-dire le contrôle des ressources indispensables pour permettre à un groupe – une coalition dominante – de prendre les décisions légitimes faisant autorité pour tous et concernant tous et chacun. En reformulant ces analyses nous pouvons faire l’hypothèse que les « rênes du pouvoir » au sein du parti sont dans les mains de ceux qui contrôlent :

  1. le choix des candidats pour les postes publics et dans le parti ;
  2. l’accès aux mass média et aux politiques de marketing et leur redistribution ;
  3. l’accès aux ressources financières publiques/privées et leur redistribution ;
  4. l’accès à des positions de patronage et leur redistribution ;
  5. les relations avec le groupe parlementaire ;
  6. les relations avec la hiérarchie locale du parti ;
  7. les relations avec les groupes de pression et d’intérêts ;
  8. la définition de l’agenda et la formulation de la politique.

45A l’exception des leaders charismatiques, aucun leader ne peut avoir le contrôle de toutes ces « zones d’incertitude » et ne prendre tout seul les décisions. L’acteur « réduit à l’unité » qui détient le pouvoir vis-à-vis des autres leaders et des autres coalitions éventuelles est en réalité une « coalition dominante ».

46Même l’acteur collectif qui détient le pouvoir au sein du parti a besoin d’être légitimé par le consentement des adhérents. Les partis incorporés dans les sociétés démocratiques et libérales doivent être démocratiques et doivent se soucier des mécanismes formels de la démocratie interne (Harmel et Janda 1994, 273). Toutefois, même si elles rendent hommage à ce mythe, les coalitions dominantes de partis sont de plus en plus affranchies du contrôle de la base. En raison de cette participation déclinante et de cette incapacité à exercer un contrôle sur les dirigeants, les partis dont la « raison d’être » est basée sur les symboles identitaires et sur une vision générale et à long terme de la politique se transforment en partis essentiellement confiants dans leur capacité à distribuer des récompenses ; en d’autres termes ils détournent les atouts et les compétences précédemment consacrées à des fonctions représentatives et politiques pour acquérir et distribuer des ressources : ils deviennent des raiders au lieu d’être des intermédiaires.

47Paradoxalement le processus d’élargissement et de diversification des clientèles, considéré par Kirchheimer comme le tournant décisif dans la transformation du parti de masse en parti attrape-tout, semble s’inverser dans le régime de la partitocratie : même si les partis font appel à tous les citoyens, en réalité ils s’adressent à une clientèle plus spécifique parce que les ressources qu’ils peuvent obtenir et utiliser, ne peuvent, en dépit de leur considérable extension, être distribuées à tout le monde.

48Le lien qui unit les citoyens et l’Etat est toujours tissé par les partis (les partis ne disparaissent pas), mais ceux-ci n’ont plus besoin d’une « réelle » participation parce que, ne disposant plus de récompenses collectives et les avantages sélectifs n’étant pas destinés à tout le monde, ils ne seraient pas en mesure de récompenser les militants revenus vers eux en masse. D’un autre côté, les adhérents ne sont plus aussi désireux de participer – comme ce fut le cas dans les années 70 lorsque naquirent des partis orientés vers une nouvelle conception de la politique. Pour ces raisons, deux courants ont fusionné pour créer les conditions idéal-typiques dans lesquelles les partis, quels qu’ils soient, se préoccupent uniquement de groupes spécifiques (tout en se déclarant soucieux de l’intérêt général) et leur fournissent des récompenses individuelles, et dans lesquelles les groupes d’intérêts particuliers sont les seuls à exiger une aide sélective et particulière. Avec la réunion de ces deux courants le lien de type collectif s’affaiblit et disparaît, alors qu’un lien de type sélectif ad hoc tend à le remplacer.

49La tentative des partis de contrôler plus de sphères dans la société (étendant le caractère partisan du gouvernement) est fonctionnelle par rapport aux besoins de la coalition dominante qui, pour maintenir son pouvoir interne doit pouvoir fournir aux adhérents et à l’élite de rang moyen des récompenses (sélectives et matérielles) différentes de celles des partis.

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Notes

1 Kirchheimer n’utilise jamais le terme leader dans ses essais : il préfère le terme leadership et surtout leadership groups.

2 Kirchheimer souligne l’attitude anti-système des partis socialistes de masse qui intègrent les citoyens ou bien les mobilisent en vue la destruction du système.

3 Selon Katz et Mair (1995, 17) le cartel party sera d’autant plus puissant que « l’aide de l’État aux partis est plus grande et que les occasions de patronage, lottizzazione et contrôle sont plus nombreuses ».

4 Ceci n’est pas contradictoire avec la thèse de Downs (les partis se servent de la politique pour obtenir des postes) parce que les partis ne peuvent mettre en œuvre leur politique sans disposer de postes.

5 Les partis peuvent « détenir le pouvoir » même au delà ou à l’extérieur de la sphère gouvernementale : pouvoir au niveau local (en cas d’opposition au gouvernement central) ; chantage exercé au sein du parlement (en particulier dans les commissions) ; pouvoir grâce au contrôle de groupes institutionnels (rarement) ou de groupes de pression (en particulier groupes organisés comme ceux des industriels ou des travailleurs ou groupes de défense d’intérêts particuliers) ; pouvoir grâce à la capacité de mobilisation ; pouvoir par le contrôle des médias.

Auteur

Professeur à l’Université de Calabre

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