• Contenu principal
  • Menu
OpenEdition Books
  • Accueil
  • Catalogue de 15907 livres
  • Éditeurs
  • Auteurs
  • Facebook
  • X
  • Partager
    • Facebook

    • X

    • Accueil
    • Catalogue de 15907 livres
    • Éditeurs
    • Auteurs
  • Ressources numériques en sciences humaines et sociales

    • OpenEdition
  • Nos plateformes

    • OpenEdition Books
    • OpenEdition Journals
    • Hypothèses
    • Calenda
  • Bibliothèques

    • OpenEdition Freemium
  • Suivez-nous

  • Lettre d’information
OpenEdition Search

Redirection vers OpenEdition Search.

À quel endroit ?
  • Éditions de la Sorbonne
  • ›
  • Science politique
  • ›
  • Le parti socialiste entre Résistance et ...
  • ›
  • La SFIO dans le champ politique et socia...
  • ›
  • La SFIO et les classes moyennes
  • Éditions de la Sorbonne
  • Éditions de la Sorbonne
    Éditions de la Sorbonne
    Informations sur la couverture
    Table des matières
    Liens vers le livre
    Informations sur la couverture
    Table des matières
    Formats de lecture

    Plan

    Plan détaillé Texte intégral La négation des classes moyennesUne reconnaissance catégorielleLa défense des classes moyennes : expression involontaire d’une modernité Notes de bas de page Auteur

    Le parti socialiste entre Résistance et République

    Ce livre est recensé par

    Précédent Suivant
    Table des matières

    La SFIO et les classes moyennes

    Sylvie Guillaume

    p. 283-292

    Texte intégral La négation des classes moyennesUne reconnaissance catégorielleLa défense des classes moyennes : expression involontaire d’une modernité Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1La SFIO n’est pas le parti politique qui a manifesté le plus grand intérêt pour les classes moyennes sous la IVe République. Les représentations des classes moyennes y sont le plus souvent négatives, que ce soient dans les proclamations de foi électorales, les rapports de congrès ou dans la documentation à usage propagandiste interne comme Arguments et Ripostes. Concurrencée à gauche par le parti communiste qui bénéficiait d’une image positive de grand parti de la résistance, la SFIO devait faire la preuve de son ancrage à gauche et donc surenchérir sur sa fidélité au marxisme. Elle se proclame le parti de la classe ouvrière, et comme le Parti communiste elle partage une conception classiste de la société qui lui fait nier l’existence autonome des classes moyennes. Celles-ci sont vouées à la prolétarisation et leurs intérêts se confondent avec ceux de la classe ouvrière ; quand elles s’embourgeoisent, elles partagent l’égoïsme de leur classe d’adoption et sont condamnées par les marxistes. Ce schéma général mérite d’être nuancé, tout particulièrement pour la période considérée entre 1944 et 1948. La reconstruction de la SFIO est marquée par un conflit entre deux tendances, les blumistes et une coalition qui élit Guy Mollet au secrétariat général en août 1946. La fidélité à un marxisme plus orthodoxe est affichée alors même que les conflits avec le Parti communiste se creusent. L’exercice du pouvoir, avec le PCF sur sa gauche et le MRP sur sa droite, oblige la SFIO à un centrisme gouvernemental. Enfin, ce parti n’est pas homogène que ce soit dans la composition sociologique de ses cadres, de ses élus, de ses militants et de ses adhérents ou dans celle de ses fédérations. Les classes moyennes sont alors repensées et surtout utilisées pour les besoins non pas de la doctrine mais de stratégies plus consensuelles, nécessaires à la cohésion sociale. Les classes moyennes sont également présentées d’une façon catégorielle lorsque la SFIO entre dans une logique d’affrontement avec d’autres forces politiques. La question est de savoir si les représentations plus positives des classes moyennes ne sont que le seul reflet de stratégies ou si elles sont manifestation d’une modernité. Des socialistes, certes minoritaires, auraient compris l’évolution de la société vers un gonflement des classes moyennes salariées et auraient proposé une définition et des solutions qui vont dans le sens de cette modernité.

    La négation des classes moyennes

    2Les classes moyennes n’ont pas d’existence autonome dans la rhétorique marxiste. Elles en ont d’autant moins que la reconstruction de la SFIO après la guerre est émaillée de divisions internes et menacée par un redoutable concurrent, le Parti communiste français.

    3Les premiers succès des blumistes en 1944 pourraient valoriser le rôle des classes moyennes. La redéfinition humaniste du socialisme par Léon Blum dans A l’échelle humaine, écrit en décembre 1941, concilie démocratie et socialisme. Le propos a une portée politique et morale mais il ne remet pas en cause l’évolution d’une société. Si le terme « peuple » se substitue souvent à celui de « classe ouvrière », celui de « classes moyennes » n’est utilisé qu’une seule fois avec une connotation péjorative car il est associé à Guizot et au régime parlementaire :

    « Pour un historien comme Guizot, le régime parlementaire, incarnant la primauté des classes moyennes, est même conçu comme le terme et le but de la civilisation, qui subirait tout au long de l’histoire moderne l’attraction de cette cause finale. Mais il est parfaitement légitime de se refuser à ce consentement quasi universel »1

    4Léon Blum est fidèle en cela à sa proclamation au congrès de Tours en 1920 lorsqu’il avait dit que la SFIO était le parti de la classe ouvrière. Guy Mollet ne dit pas autre chose dans ses discours aux congrès depuis 1946.

    5Cependant, la menace communiste explique quelques inflexions. En août 1945, au congrès de Montrouge, Blum justifie le refus d’une unité organique proposé par le PCF en juin de la même année. Il est approuvé à une grande majorité. Il substitue à « la lutte des classes » le terme d’« action de classe » et propose « une synthèse entre la dialectique marxiste et l’idéalisme jauressien ».

    6Le secrétaire général Daniel Mayer propose l’intégration au parti de tous ceux qui ont œuvré dans la Résistance ; la SFIO est :

    « Le grand parti de la France de demain dont les traits essentiels se dessinent dans la résistance. L’ouvrier, le paysan, le commerçant comme le fonctionnaire, déjà confondus dans la bataille commune y ont leur place tout comme y ont la leur le militant laïque ou le catholique croyant épris l’un et l’autre d’un idéal large et humanitaire »2

    7Daniel Mayer préfère l’énumération catégorielle au terme général de classes moyennes même s’il en suggère l’intégration.

    8La déception des socialistes face aux résultats des élections de 1945 aux Constituantes met fin aux illusions d’unité et de rassemblement nées dans la résistance. Après le départ du général de Gaulle, le 20 janvier 1946, c’est un socialiste Félix Gouin qui est le président du Conseil du tripartisme. Il est dans l’obligation de pratiquer une politique d’austérité qui nourrit les contestations au sein de la SFIO. Celles-ci reprochent au gouvernement de ne pas prendre suffisamment en compte les intérêts de la classe ouvrière.

    9Guy Mollet est élu en août 1946 à la succession de Daniel Mayer grâce au soutien d’une coalition de gauche. Les événements intérieurs et extérieurs l’obligent cependant à recentrer le Parti et à refaire alliance avec les blumistes, au congrès de juillet 1948, contre les dangers du communisme mondial et du RPF. Ces évolutions ont aussi des conséquences sur la représentation des classes moyennes.

    10Quelques mois après la victoire de Guy Mollet sur Daniel Mayer, la SFIO se défend de ne pas se préoccuper des classes moyennes. Le texte d’octobre 1946 publié dans Arguments et Rispostes, qui sont – rappelons-le – des documents à l’intention des militants – donc des documents à usage interne – est tout à fait intéressant car il tente de concilier deux héritages du socialisme :

    « le parti socialiste, loin d’avoir voulu détruire les classes moyennes a toujours pris leur défense. Proudhon n’est-il pas l’ancêtre de l’artisanat ? Saint-Simon, Fourier, Louis Blanc n’ont-ils pas cherché à protéger les petits commerçants ? »

    11et l’auteur de se référer ensuite à Marx qui disait :

    « les classes moyennes, les petits industriels, les petits commerçants, les artisans, les paysans, tous combattent la bourgeoisie pour s’assurer contre la destruction de leur existence en tant que classes moyennes »3

    12Ce discours est l’illustration d’une logique de « l’entre-deux » pour reprendre l’expression de Marc Sadoun4.

    13Cependant, Guy Mollet dans son rapport moral au Congrès de Lyon en 1947 rappelle la ligne officielle et directrice du Parti :

    « Ce sont les intérêts des classes laborieuses, leurs aspirations et leurs besoins qui doivent inspirer l’action quotidienne du socialisme »5

    14La SFIO réfute l’autonomie des classes moyennes et suggère la prolétarisation de certaines catégories comme le fait le Parti communiste ; par exemple, le sort des commerçants est lié à celui de la classe ouvrière dans un numéro d’octobre 1946 d’Arguments et Ripostes :

    « Les petits commerçants n’ont pas tous compris, il faut le reconnaître, où étaient leurs véritables intérêts, qui étaient leurs vrais défenseurs. Leur mécontentement, leurs hésitations pouvaient tout aussi bien les porter vers les partis réactionnaires que vers le prolétariat. Beaucoup ne considèrent que leurs intérêts momentanés et ne voient pas voter des réformes hardies sans une certaine crainte. Cependant, lorsque les salaires de la classe ouvrière sont bas, les commerçants savent qu’ils sont les premiers à supporter les conséquences de cet appauvrissement. Si le pouvoir d’achat du travailleur s’amoindrit, il ne peut acheter et le commerçant connaît alors la crise. Il est donc clair qu’il doit se tourner vers les partis politiques et les organisations syndicales qui se réclament de la classe ouvrière »6

    15Le Parti communiste utilise les mêmes arguments lorsqu’il s’adresse au petit commerce. Il en appelle à la solidarité avec le prolétariat.

    16La SFIO fait donc de la surenchère verbale sur la défense des intérêts de la classe ouvrière et elle donne l’impression de cultiver une mauvaise conscience lorsqu’elle évoque les classes moyennes. Le MRP n’agit pas autrement dans cette période marquée par un ouvriérisme affiché. S’y ajoute pour la SFIO, la crainte d’une quelconque assimilation avec les néo-socialistes qui avaient fait des classes moyennes la force vive de la nation dans les années trente. Les représentations du Parti relèvent d’une distanciation volontaire vis-à-vis de la bourgeoisie, même moyenne. Marc Sadoun a montré que les adhérents ou les militants sous-évaluent leurs professions pour ne pas être taxés de petits bourgeois7. L’enseignant – l’intellectuel – doit se mettre au service de l’ouvrier moins instruit, mais il ne doit pas lui en imposer par ses diplômes. La fédération du Nord-Pas de Calais affiche volontiers sa tradition ouvrière pendant qu’on lui oppose les fédérations du sud plus interclassistes ou celle de la région parisienne, dominée par les fonctionnaires du public. La fidélité à l’image sinon à la réalité ouvriériste permet à la SFIO de se distinguer du parti radical et de rétablir une égalité plus ou moins fictive avec le Parti communiste.

    17Les rapports entre les deux partis s’enveniment au fil des années de la reconstruction et les classes moyennes, comme les commerçants, peuvent devenir un enjeu entre les deux formations ; on aura alors un discours différencié.

    Une reconnaissance catégorielle

    18La SFIO est amenée dans l’exercice du pouvoir mais aussi dans ses rapports conflictuels avec le PCF à prendre la défense de catégories appartenant aux classes moyennes. Dans ce cas-là, on préfère utiliser le terme « petit » à celui de « moyen ». L’exemple du commerce et de l’artisanat est très représentatif de cette stratégie.

    19Le texte extrait d’Arguments et Ripostes de mars 1948 a pour titre : « La trahison permanente ». On y parle de politique démagogique, de tromperie des électeurs pour le PCF :

    « on ne peut pas à la fois augmenter les prix à la production et diminuer les prix à la consommation comme le demande le parti communiste, sans réaliser une réduction correspondante des frais de distribution, ce que se garde bien de préciser le parti communiste dans sa propagande destinée aux commerçants »8

    20La SFIO accuse également le PCF de réclamer le retour à la liberté commerciale, ce qui ne peut qu’entraîner la faillite des entreprises moyennes ; pour la SFIO, le PCF « se rencontre avec les partis les plus rétrogrades pour défendre la solution la plus favorable aux trusts, aux entreprises les plus fortes financièrement, à la grande industrie et au grand commerce ».

    21Au même moment, le PCF utilise des arguments semblables pour critiquer :

    « la politique que les Schuman-Mayer-Moch mènent selon les directives américaines... (Politique) qui est aussi une politique d’écrasement des classes moyennes dans les villes... il est inutile d’en analyser ici, dans le détail, les conséquences désastreuses pour nos commerçants, nos artisans, pour nos paysans, pour les professions libérales écrasées par une monstrueuse fiscalité »9

    22Déjà, Robert Lacoste, ministre socialiste de la production industrielle du gouvernement de Gaulle en 1944, avait soutenu la création, par Léon Gingembre, d’une confédération générale des PME par crainte de l’influence communiste dans les milieux des petits commerçants10. Le petit commerce, qui connaît ses premières difficultés après la guerre, est bien alors un enjeu entre les deux partis de gauche.

    23Les « Groupes socialistes d’entreprises » donnent un autre exemple des rivalités entre les deux partis de la gauche française. Le conseil national de la SFIO de décembre 1947 décide la création des groupes professionnels, pour lutter contre l’influence communiste dans les entreprises. Comme le rappelle le rapport du 48e congrès départemental de la fédération du Nord, le 25 janvier 1948, les GSE reprennent l’idée de Roger Salengro d’organiser la propagande du Parti à travers des Amicales sur le lieu de travail. Les « Amicales socialistes » furent fondées dans la région lilloise pour lutter contre la CGT. Les GSE relèvent du même objectif si l’on en croit le rapport de la Fédération du Nord, qui rappelons-le, est la plus représentative du monde ouvrier :

    « La mise en pratique des méthodes staliniennes avait assuré aux communistes la direction de la majorité des syndicats ouvriers dont ils utilisaient les puissants moyens matériels au service de leur propagande partisane. Par ailleurs la politisation de la CGT mettait en péril les intérêts majeurs du monde du travail et il était du devoir des socialistes de lutter avec énergie pour que le syndicalisme redevienne libre et démocratique. »11

    24La place des classes moyennes est insignifiante dans les rapports sur les GSE. On s’en tient en effet à la défense des travailleurs et le vocabulaire reste fidèle à la conception classiste de la société. L’énonciation est à la rigueur catégorielle pour désigner ces groupes de travail « GSE Artisans, Techniciens, Paysans etc. », qui sont également qualifiés non sans illusions de « grandes formations de masse »12. L’existence des GSE est éphémère car leur création est concurrencée par les activités du syndicat CGT-FO en avril 1948 et beaucoup de militants ne voient pas l’intérêt de la coexistence d’une structure syndicale et d’une organisation para-politique au sein de l’entreprise.

    25Un questionnaire envoyé aux sections en 1950 présente les classes moyennes selon des catégories qui sont significatives. Ainsi, on relève une catégorie intitulée « ouvriers des services publics » et « employés de l’administration ». Les artisans et les entrepreneurs font partie de la même catégorie13.

    26Une place particulière est réservée aux classes moyennes salariées, celles des fonctionnaires notamment. Comme pour la défense des petits commerçants, on a une reconnaissance catégorielle. Pourtant, il ne s’agit plus d’un rapport de force avec un autre parti mais d’une reconnaissance véritable, sincère et recouvrant plusieurs réalités. L’enquête de référence de Pierre Rimbert en 1951 ou celle de Marc Sadoun pour une période postérieure (1954 et 1963)14 soulignent une surreprésentation des fonctionnaires et tout particulièrement des enseignants. L’importance croissante des fonctionnaires parmi les cadres (37 % des 2595 recensés par Pierre Rimbert) permet de différencier la SFIO du parti radical, également représentatif des classes moyennes mais davantage des classes moyennes indépendantes. La structure socio-professionnelle des adhérents en 1951, si elle fait apparaître l’importance des ouvriers (35,1 %), montre aussi que la catégorie des employés vient en second avec 22,9 % et parmi eux dominent ceux du secteur public. Encore faut-il tenir compte dans tous ces chiffres de la volontaire sous-évaluation de leur propre statut par les sondés par fidélité à l’image d’un parti ouvrier. Malgré tout, la SFIO ne peut totalement ignorer le poids des classes moyennes parmi ses cadres.

    27Un numéro entier d’Arguments et Ripostes de janvier 1949 est consacré aux « questions intéressant les fonctionnaires » ; il résume tous les acquis de la fonction publique, valorise le rôle des socialistes dans l’élaboration et le vote de la loi sur la fonction publique du 19 octobre 1946 et il présente tous les décrets d’application sur le minimum vital, sur les problèmes de reclassements et de titularisation. C’est encore un moyen de contrecarrer l’influence des communistes. La SFIO fait ici un travail pédagogique sur l’amélioration de la formation, l’unification des concours, la démocratisation du recrutement. Elle est favorable au droit syndical des fonctionnaires inscrit dans la constitution de 1946. La SFIO s’était alors opposée aux arguments des partis plus à droite, qui estimaient que le nombre des fonctionnaires était pléthorique et le gouvernement Gouin s’était engagé à prendre en compte leurs intérêts :

    « Notre parti reste le premier à vouloir une revalorisation de la fonction publique et notamment, un reclassement des traitements de la magistrature et du corps enseignant... Le nouveau gouvernement mesure la valeur et les sacrifices des agents de la fonction publique. Il ne les traitera pas en parents pauvres. »15

    28Il n’existe pas, comme pour les commerçants, d’appel à la solidarité avec la classe ouvrière. La SFIO, en parlant des fonctionnaires a perdu toute mauvaise conscience. Cette attitude serait-elle le reflet de la composition sociologique de la SFIO, le résultat de l’exercice du pouvoir ou, plus simplement, la prise de conscience de la montée en puissance d’une catégorie des classes moyennes, celles des salariées – principalement du secteur public ? On aurait alors la preuve de la modernité du Parti socialiste, mais qui est loin d’être affirmée comme telle.

    La défense des classes moyennes : expression involontaire d’une modernité

    29Le discours sur les classes moyennes s’inscrit dans une logique consensuelle de la SFIO qui participe au pouvoir aux côtés de forces centristes surtout après 1947. Il est aussi prise de conscience d’une évolution de la société ce qui expliquerait alors les propositions de réformes qui s’inscrivent dans cette modernité. Par contre, il ne semble pas que cette prise de conscience relève d’une volonté de rénovation idéologique.

    30La défense des classes moyennes appartient surtout aux socialistes qui ont des responsabilités ministérielles. Ils n’hésitent pas à utiliser le terme « classes moyennes », même entouré de précautions oratoires, et après les références marxistes d’usage. La reconnaissance des classes moyennes s’inscrit alors dans une logique consensuelle et elle est une justification de la politique réformiste des gouvernements socialistes de l’après-guerre. Le discours que prononce Félix Gouin le 30 mars 1946 alors qu’il était président du Conseil est un exemple. Il en appelle aux sacrifices nécessaires par un rappel du passé récent :

    « est-il bien utile ici, dans ce milieu où l’on sait analyser les phénomènes économiques à la lueur des idées marxistes de légitimer longuement la position que nous avons prise dans ce sens. Un pays vous le savez, a vécu cela, il y a 25 ans : ses artisans, ses fonctionnaires, ses classes moyennes ont sombré dans le chaos et la misère, tandis que sa classe ouvrière connaissait les pures détresses... »

    31et il conclut que la lutte contre l’inflation :

    « est au premier chef la défense de la classe ouvrière, la défense aussi de nos classes moyennes et des milliers de petites gens à revenus fixes dont le socialisme doit être le défenseur endurci. »16

    32André Philip, ministre des Finances des gouvernements socialistes de Félix Gouin et de Léon Blum, prononce un discours au Conseil national du Pré Saint-Gervais, le 17 novembre 1946, où il dénonce la fidélité à un marxisme périmé qui nie la « reconstitution de classes moyennes nouvelles » grâce au progrès technique17. De même, il constate que l’enseignement, très élitiste, se démocratise permettant ainsi la promotion de couches défavorisées. Enfin, il note que l’augmentation des services de l’Etat crée également une nouvelle classe moyenne. André Philip reconnaît ainsi l’autonomisation des classes moyennes, réfute la paupérisation absolue et au contraire annonce l’amélioration du niveau de vie.

    33Jules Moch a tenté également une adaptation des thèses de Marx au regard de l’évolution de la société des années cinquante dans son ouvrage Confrontations publié en 1952. Comme André Philip, il note la faillite de la thèse de la paupérisation mais constate le développement des classes moyennes.

    34Ces thèses, on le sait, n’ont pas été intériorisées par la SFIO de Guy Mollet, qui globalement affiche son ouvriérisme. Par contre, elles se sont traduites dans l’exercice du pouvoir par l’adoption de réformes. Les références aux classes moyennes sont liées aux propositions que font les socialistes en faveur d’une économie mixte ou de solutions coopératives. Les représentants de la SFIO ont joué un rôle de premier plan pour faire apparaître les nationalisations dans le programme du CNR. L’économie mixte est cette quête de la troisième voie entre capitalisme et étatisation à la soviétique dénoncée par André Philip :

    « Tandis que les socialistes veulent socialiser les biens pour garder libres les âmes, les communistes veulent socialiser à la fois les biens et les âmes. »18

    35Devant la Bourse du travail à Lyon, il justifie l’économie dirigée par la pénurie et préconise la solution des coopératives pour le petit commerce en difficulté.

    36Le propos n’est pas neuf car déjà le rapport de mai 1944 expliquait ces choix :

    « vers une économie libérée... Une telle socialisation respectueuse de la liberté individuelle dans la coopération disciplinée ne doit aboutir ni au capitalisme d’état, ni à cette bureaucratie dont d’actuels monopoles nous fournissent l’exemple. »19

    37L’adhésion sans réserve de la SFIO à l’économie mixte, à la planification et aux nationalisations ainsi qu’à l’État-providence est bien la manifestation de son anti-communisme. Elle rejoint alors toutes les forces politiques des démocraties libérales qui ont trouvé dans l’Etat-providence le moyen d’éviter la paupérisation et donc le basculement vers le modèle communiste. C’est également une preuve des capacités de la SFIO à conduire la modernisation de la société française.

    38On ne peut plus dire alors que les classes moyennes sont ignorées de la SFIO, ni qu’elles soient absentes de ses préoccupations même si le terme est peu utilisé ou utilisé avec toutes les précautions oratoires. Elles sont un enjeu important de sa lutte anticommuniste par-delà la fidélité à un marxisme qui demeure la référence obligée à un héritage commun mais qui relève du passé. On comprend mieux aussi les affinités que la SFIO a pu entretenir avec le MRP. Après 1948, la défense des classes moyennes salariées devient un facteur de différenciation avec les partis de droites qui, eux, soutiennent les classes moyennes indépendantes. Plus tard, mais c’est une autre histoire, la défense des classes moyennes est aussi la manifestation d’un ancrage à gauche.

    Dessin extrait du fascicule de propagande (1945) « Français ! Vous allez voter... SOCIALISTE parce que... ». Archives de l’ours.

    Image 10000000000002DE000003D8B6780D4F7C6A5328.jpg

    Notes de bas de page

    1 Léon Blum, A l’échelle humaine, Paris, Gallimard NRF, 1945, p. 61, Coll. « Idées ».

    2 Rapports, 37e Congrès national du Parti socialiste SFIO, Paris, 11-15 août 1945.

    3 Arguments et Rispostes, octobre 1946.

    4 Marc Sadoun, De la démocratie française, Essai sur le socialisme, Paris, Gallimard, NRF, 1993, p. 97.

    5 Rapports, 39e congrès national, Parti socialiste SFIO, Lyon, 14-17 août 1947.

    6 Arguments et Ripostes, octobre 1946.

    7 Marc Sadoun, « Sociologie de la SFIO sous Guy Mollet », Revue française de sciences politiques, juin 1988, p. 348-369.

    8 Arguments et Ripostes, mars 1948.

    9 Rapport du Comité fédéral pour la VIIe conférence annuelle des 26 et 27 juin 1948, fédération de la Gironde du PCF, La Gironde populaire, p. 8.

    10 Sylvie Guillaume, La Confédération générale des petites et moyennes entreprises, Son histoire, son combat, un autre syndicalisme patronal, 1944-1978, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 1987, p. 19.

    11 48e Congrès départemental de la Fédération du nord, 25 janvier 1948.

    12 Rapports, 40e Congrès national du Parti socialiste SFIO, Paris, 1-4 juillet 1948.

    13 Bulletin intérieur du Parti socialiste SFIO, février 1950.

    14 Pierre Rimbert, « Le parti socialiste SFIO », in Maurice Duverger (dir.), Partis politiques et réalités sociales en France, Paris, Armand Colin, 1955. – Marc Sadoun, « Sociologie de la SFIO sous Guy Mollet », op. cit.

    15 Arguments et Rispostes, 12 mars 1946.

    16 Félix Gouin, discours du 30 mars 1946.

    17 André Philip, extrait du discours prononcé au Conseil national du Pré Saint-Gervais le 17 novembre 1946, ours, Fonds Jacques Piette.

    18 André Philip, extrait du discours prononcé au Conseil national de Pré Saint-Gervais le 17 novembre 1946, op. cit.

    19 Rapports, Congrès national extraordinaire, Paris, 9-12 novembre 1944.

    Auteur

    • Sylvie Guillaume

      Professeur d’histoire contemporaine, Université Michel de Montaigne-Bordeaux III.

    Précédent Suivant
    Table des matières

    Cette publication numérique est issue d’un traitement automatique par reconnaissance optique de caractères.

    Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

    Voir plus de livres
    Maurice Halbwachs

    Maurice Halbwachs

    Espaces, mémoire et psychologie collective

    Yves Déloye et Claudine Haroche (dir.)

    2004

    Malaise dans la temporalité

    Malaise dans la temporalité

    Paul Zawadzki (dir.)

    2002

    Conférences de l’École doctorale de Science politique (2001-2003)

    Conférences de l’École doctorale de Science politique (2001-2003)

    Lucien Sfez (dir.)

    2004

    L’administration dans les processus de transition démocratique

    L’administration dans les processus de transition démocratique

    Françoise Dreyfus (dir.)

    2004

    Espace et pouvoir du quaternaire

    Espace et pouvoir du quaternaire

    Màrio Tomelin

    2002

    Science politique et interdisciplinarité

    Science politique et interdisciplinarité

    Conférences (1998-2000)

    Lucien Sfez (dir.)

    2002

    Gouvernement des juges et démocratie

    Gouvernement des juges et démocratie

    Séverine Brondel, Norbert Foulquier et Luc Heuschling (dir.)

    2001

    Le parti socialiste entre Résistance et République

    Le parti socialiste entre Résistance et République

    Serge Berstein, Frédéric Cépède, Gilles Morin et al. (dir.)

    2001

    Nouveaux partis, nouveaux enjeux

    Nouveaux partis, nouveaux enjeux

    Françoise Dreyfus (dir.)

    2000

    Voir plus de livres
    1 / 9
    Maurice Halbwachs

    Maurice Halbwachs

    Espaces, mémoire et psychologie collective

    Yves Déloye et Claudine Haroche (dir.)

    2004

    Malaise dans la temporalité

    Malaise dans la temporalité

    Paul Zawadzki (dir.)

    2002

    Conférences de l’École doctorale de Science politique (2001-2003)

    Conférences de l’École doctorale de Science politique (2001-2003)

    Lucien Sfez (dir.)

    2004

    L’administration dans les processus de transition démocratique

    L’administration dans les processus de transition démocratique

    Françoise Dreyfus (dir.)

    2004

    Espace et pouvoir du quaternaire

    Espace et pouvoir du quaternaire

    Màrio Tomelin

    2002

    Science politique et interdisciplinarité

    Science politique et interdisciplinarité

    Conférences (1998-2000)

    Lucien Sfez (dir.)

    2002

    Gouvernement des juges et démocratie

    Gouvernement des juges et démocratie

    Séverine Brondel, Norbert Foulquier et Luc Heuschling (dir.)

    2001

    Le parti socialiste entre Résistance et République

    Le parti socialiste entre Résistance et République

    Serge Berstein, Frédéric Cépède, Gilles Morin et al. (dir.)

    2001

    Nouveaux partis, nouveaux enjeux

    Nouveaux partis, nouveaux enjeux

    Françoise Dreyfus (dir.)

    2000

    Accès ouvert

    Accès ouvert freemium

    ePub

    PDF

    PDF du chapitre

    Suggérer l’acquisition à votre bibliothèque

    Acheter

    Édition imprimée

    Éditions de la Sorbonne
    • amazon.fr
    • leslibraires.fr
    • placedeslibraires.fr
    • lcdpu.fr
    ePub / PDF

    1 Léon Blum, A l’échelle humaine, Paris, Gallimard NRF, 1945, p. 61, Coll. « Idées ».

    2 Rapports, 37e Congrès national du Parti socialiste SFIO, Paris, 11-15 août 1945.

    3 Arguments et Rispostes, octobre 1946.

    4 Marc Sadoun, De la démocratie française, Essai sur le socialisme, Paris, Gallimard, NRF, 1993, p. 97.

    5 Rapports, 39e congrès national, Parti socialiste SFIO, Lyon, 14-17 août 1947.

    6 Arguments et Ripostes, octobre 1946.

    7 Marc Sadoun, « Sociologie de la SFIO sous Guy Mollet », Revue française de sciences politiques, juin 1988, p. 348-369.

    8 Arguments et Ripostes, mars 1948.

    9 Rapport du Comité fédéral pour la VIIe conférence annuelle des 26 et 27 juin 1948, fédération de la Gironde du PCF, La Gironde populaire, p. 8.

    10 Sylvie Guillaume, La Confédération générale des petites et moyennes entreprises, Son histoire, son combat, un autre syndicalisme patronal, 1944-1978, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 1987, p. 19.

    11 48e Congrès départemental de la Fédération du nord, 25 janvier 1948.

    12 Rapports, 40e Congrès national du Parti socialiste SFIO, Paris, 1-4 juillet 1948.

    13 Bulletin intérieur du Parti socialiste SFIO, février 1950.

    14 Pierre Rimbert, « Le parti socialiste SFIO », in Maurice Duverger (dir.), Partis politiques et réalités sociales en France, Paris, Armand Colin, 1955. – Marc Sadoun, « Sociologie de la SFIO sous Guy Mollet », op. cit.

    15 Arguments et Rispostes, 12 mars 1946.

    16 Félix Gouin, discours du 30 mars 1946.

    17 André Philip, extrait du discours prononcé au Conseil national du Pré Saint-Gervais le 17 novembre 1946, ours, Fonds Jacques Piette.

    18 André Philip, extrait du discours prononcé au Conseil national de Pré Saint-Gervais le 17 novembre 1946, op. cit.

    19 Rapports, Congrès national extraordinaire, Paris, 9-12 novembre 1944.

    Le parti socialiste entre Résistance et République

    X Facebook Email

    Le parti socialiste entre Résistance et République

    Ce livre est diffusé en accès ouvert freemium. L’accès à la lecture en ligne est disponible. L’accès aux versions PDF et ePub est réservé aux bibliothèques l’ayant acquis. Vous pouvez vous connecter à votre bibliothèque à l’adresse suivante : https://freemium.openedition.org/oebooks

    Suggérer l’acquisition à votre bibliothèque Acheter ce livre aux formats PDF et ePub

    Si vous avez des questions, vous pouvez nous écrire à access[at]openedition.org

    Le parti socialiste entre Résistance et République

    Vérifiez si votre bibliothèque a déjà acquis ce livre : authentifiez-vous à OpenEdition Freemium for Books.

    Vous pouvez suggérer à votre bibliothèque d’acquérir un ou plusieurs livres publiés sur OpenEdition Books. N’hésitez pas à lui indiquer nos coordonnées : access[at]openedition.org

    Vous pouvez également nous indiquer, à l’aide du formulaire suivant, les coordonnées de votre bibliothèque afin que nous la contactions pour lui suggérer l’achat de ce livre. Les champs suivis de (*) sont obligatoires.

    Veuillez, s’il vous plaît, remplir tous les champs.

    La syntaxe de l’email est incorrecte.

    Référence numérique du chapitre

    Format

    Guillaume, S. (2001). La SFIO et les classes moyennes. In S. Berstein, F. Cépède, G. Morin, & A. Prost (éds.), Le parti socialiste entre Résistance et République. Paris: Éditions de la Sorbonne. https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.81012
    Guillaume, Sylvie. « La SFIO et les classes moyennes ». In Le parti socialiste entre Résistance et République, édité par Serge Berstein, Frédéric Cépède, Gilles Morin, et Antoine Prost. Paris: Éditions de la Sorbonne, 2001. doi:10.4000/books.psorbonne.81012.
    Guillaume, Sylvie. « La SFIO et les classes moyennes ». Le parti socialiste entre Résistance et République, édité par Serge Berstein et al., Éditions de la Sorbonne, 2001, https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.81012.

    Référence numérique du livre

    Format

    Berstein, S., Cépède, F., Morin, G., & Prost, A. (éds.). (2001). Le parti socialiste entre Résistance et République. Paris: Éditions de la Sorbonne. https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.80767
    Berstein, Serge, Frédéric Cépède, Gilles Morin, et Antoine Prost, éd. Le parti socialiste entre Résistance et République. Paris: Éditions de la Sorbonne, 2001. doi:10.4000/books.psorbonne.80767.
    Berstein, Serge, et al., éditeurs. Le parti socialiste entre Résistance et République. Éditions de la Sorbonne, 2001, https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.80767.
    Compatible avec Zotero Zotero

    1 / 3

    Éditions de la Sorbonne

    Éditions de la Sorbonne

    • Mentions légales
    • Plan du site
    • Se connecter

    Suivez-nous

    • Facebook
    • Flux RSS

    URL : http://editionsdelasorbonne.fr/

    Email : edsorb@univ-paris1.fr

    Adresse :

    212, rue Saint-Jacques

    75005

    Paris

    France

    OpenEdition
    • Candidater à OpenEdition Books
    • Connaître le programme OpenEdition Freemium
    • Commander des livres
    • S’abonner à la lettre d’OpenEdition
    • CGU d’OpenEdition Books
    • Accessibilité : partiellement conforme
    • Données personnelles
    • Gestion des cookies
    • Système de signalement