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    Plan détaillé Texte intégral Une difficile émergence du comité d’entente Unité d’action ou unité organique ? Le PCF force l’unité, la SFIO la repousse Notes de bas de page Auteur

    Le parti socialiste entre Résistance et République

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Le comité d’entente socialiste-communiste1

    Jean Vigreux

    p. 181-192

    Texte intégral Une difficile émergence du comité d’entente Des communistes récalcitrants qui acceptent la proposition socialiste Le poids des hommes et le fonctionnement du comité d’entente Unité d’action ou unité organique ? Les décisions communes Contradictions et conflits Quelle alliance : MRP ou PCF ? Le PCF force l’unité, la SFIO la repousse L’ultimatum communiste du 12 juin 1945 Sa réception par les socialistes : une démarche unilatérale inacceptable L’entrée en léthargie du comité d’entente, puis sa dissolution Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1Les rapports entre socialistes et communistes, comme ce fut évoqué auparavant par Philippe Buton, sont conflictuels au début de la guerre. Il y a les rancœurs de Munich et surtout les lourdes conséquences du Pacte germano soviétique. La liste des achoppements est très longue et retrace bien les relations entre les frères ennemis issus du Congrès de Tours. Retenons l’antisocialisme virulent teinté d’antisémitisme de Maurice Thorez qui attaque Léon Blum dans un pamphlet publié au début 19402 ; la proposition de François Billoux de déposer à Riom contre le Président du conseil du Front populaire ; la dénonciation, par le PCF, des sociaux-démocrates finlandais comme Tanner qui ont préféré voir entrer les troupes d’Hitler plutôt que celles de l’armée Rouge ; les propos de Léon Blum sur le PCF « un parti nationaliste étranger »3 ; etc.

    2Toutefois, la Résistance, l’unité dans les combats, conduisent à certains rapprochements, aussi bien en France qu’à Londres4. Pensons aux rencontres à Clermont-Ferrand entre Daniel Mayer et Georges Marrane ou Madeleine Braun5 ; à celles entre Waldeck Rochet et les socialistes du Groupe Jean Jaurès6 dans la capitale britannique. Ces entrevues sont favorisées par l’état d’esprit du PCF qui souhaite une large union de la Résistance, afin de faire oublier ses errements de 1939-1940, mais aussi par Léon Blum qui ne veut pas que ce soit Charles de Gaulle qui serve d’intermédiaire entre les communistes et les socialistes7. La dissolution du Komintern, le 15 mai 1943, contribue également à cette réconciliation8.

    3On sait alors taire les discordes. Dès l’automne 1943, les socialistes proposent de créer un comité d’entente, mais les communistes refusent arguant de l’unité générale de la Résistance. Ce n’est qu’après la Libération, le 10 septembre 1944, lors d’une réunion de la fédération de la Seine de la SFIO à la Mutualité, que Daniel Mayer réitère cette proposition de créer « un comité d’entente socialiste-communiste avant la fin de l’occupation »9. Il faut encore attendre : le comité ne naît qu’en décembre 1944.

    4Une vieille histoire revient ainsi à l’ordre du jour, d’aucuns parleraient d’un serpent de mer des relations SFIO-PCF, celle de la fusion organique10. L’expérience du Front populaire serait-elle à nouveau remise sur pied11 ?

    5Dès lors, se pose le problème d’un Congrès de Tours à l’envers. Est-ce le climat optimiste, l’euphorie de la Libération qui poussent à cette création ? Est-ce un intérêt stratégique bien calculé, est-ce le poids de la base ? Il semble ainsi utile de s’interroger sur les raisons de cette initiative, sur son fonctionnement, sa visibilité et ses contradictions : n’était-ce pas un projet impossible, puisque le Comité directeur de la SFIO met fin officiellement à cette entreprise le 3 septembre 1946 ?

    Une difficile émergence du comité d’entente

    Des communistes récalcitrants qui acceptent la proposition socialiste

    6La proposition de Daniel Mayer du 10 septembre 1944 qui « renouvelle solennellement au Parti communiste français, avec sa loyauté et sa traditionnelle bonne foi, l’offre d’unité déjà faite dans la lutte clandestine » reste sans réponse, comme si le PCF se laissait un moment de réflexion. Daniel Mayer avait d’ailleurs précisé que les socialistes s’opposaient « au désir de ceux qui voudraient ou laisseraient se créer un bloc anticommuniste ». Début novembre, Jules Moch et Vincent Auriol rédigent un texte sur « l’unité du monde du travail » lors du congrès de la SFIO (9 au 12 novembre 1944), et réitèrent la demande de la SFIO qui est reprise dans Le Populaire. Si le 14 novembre l’Humanité donne une réponse provocatrice, le Bureau politique du PCF discute de cette proposition en évoquant le problème de l’union. C’est Marcel Cachin, figure historique, voire emblématique du Parti qui préside les débats. Les conclusions des travaux de cette réunion restent contradictoires. Le PCF déclare « avoir toujours lutté pour l’unité ouvrière » et rappelle qu’il « a déploré Tours où une minorité indisciplinée » a refusé de suivre la voie tracée par la majorité du Parti. Le communiqué du bureau politique précise aussi que « le PS prétend avoir fait une proposition d’unité dans la Résistance », mais que ce n’est pas le cas. On retrouve ici l’écho des critiques violentes à l’égard de la SFIO qui ont eu lieu au cours de l’automne 44. Le PCF pense qu’il faut garder l’unité de la Résistance avant d’engager l’unité ouvrière. Toutefois, le même communiqué du bureau politique précise qu’il a été décidé d’envoyer auprès de la SFIO une délégation de six dirigeants du Parti sous la conduite de Jacques Duclos et qu’il accepte avec espoir le désir d’unification. Ce paradoxe relevé montre les motivations contradictoires qui ont lieu à la création du Comité d’entente. Le PCF entrerait-il à reculons dans cette proposition socialiste ?

    7En fait, il semble bien qu’il refuse que l’initiative vienne du seul fait des socialistes... Dès lors, s’engage un discours unitaire très fort qui rappelle celui de 1935-1937, où le PCF avait déjà tenté la fusion organique. C’est ainsi que naît le 4 décembre 1944 le comité d’Entente : les deux délégations qui se rencontrent au siège du PCF sous la présidence de Vincent Auriol décident :

    « d’établir entre les deux partis un climat de compréhension, de cordialité et d’amicale collaboration ; de créer un Comité permanent d’entente [afin de renforcer] l’unité de la Résistance, indispensable pour la victoire et la reconstruction du pays ; [et enfin] de proposer au Comité directeur du Parti socialiste et au comité central du PCF de désigner dans le moindre délai leur délégation à ce comité d’entente »

    8Dans chaque direction des deux Partis on prépare de prêt la première réunion du comité d’entente. Ainsi, le secrétariat du PCF, réuni le 18 décembre 1944, discute des tâches et but du comité, en particulier pour lutter contre « la cinquième colonne ». La direction communiste stipule qu’il faut :

    « accepter la fusion à la base mais en luttant contre les tendances à l’autonomie qui pourraient surgir de ces organisations fusionnées. Chacune des organisations pourrait par contre continuer à recevoir les documents de son organisme central d’origine qu’elles discuteraient en commun »

    9Cette fusion à la base n’est pas du goût des socialistes qui préfèrent discuter au sommet afin d’éviter tous les débordements possibles.

    10Ce comité se réunit pour la première fois le 19 décembre 1944 au siège du Populaire sous la présidence de Jacques Duclos ; c’est la réciprocité qui gouverne à ses réunions. Dès lors, Maurice Thorez peut proposer au Bureau politique du 21 décembre 1944, des listes communes avec les socialistes en vue des élections à venir. Cette question électorale est cruciale pour les rapports entre le PCF et la SFIO, nous le verrons plus tard. Ce comité d’entente est composé de grandes figures des deux Partis.

    Le poids des hommes et le fonctionnement du comité d’entente

    11Du côté socialiste, dix dirigeants de premier plan participent au comité d’entente : il s’agit de Daniel Mayer, Vincent Auriol, Robert Verdier, Andrée Marty-Capgras, Augustin Laurent, Jules Moch, Salomon Grumbach, André Le Troquer, Renée Blum, Gérard Jaquet. On remarque un équilibre des forces, des courants du PS qui se reconstitue après avoir épuré les éléments paul-fauristes. C’est essentiellement la direction du Parti issue de la clandestinité, confirmée à la Libération lors du congrès de novembre avec un Comité directeur de vingt-cinq membres qui a décidé du rapprochement avec les communistes. Tous font partie de cette direction.

    12Le PCF désigne – quant à lui – de fidèles serviteurs : Jacques Duclos, Arthur Ramette, Florimond Bonte, Léon Mauvais, Étienne Fajon et Raymond Guyot. Tous futurs membres du comité central du Xe Congrès du PCF en juin 1945, ce sont pour la plupart d’anciens députés communistes qui n’avaient pas montré de signes de faiblesse en 1939, lors de la signature du pacte germano-soviétique, (membres du Groupe ouvrier et paysan français). Comment fonctionne ce comité d’entente ?

    13Il a un conseil permanent de six membres qui se réunit régulièrement, appelé également Bureau du comité d’entente. Il comprend Jacques Duclos, Léon Mauvais, Raymond Bossus pour le PCF et Daniel Mayer, Vincent Auriol, Robert Verdier pour la SFIO. Édouard Depreux et Gaston Defferre sont suppléants pour la SFIO et Auguste Lecœur et Robert Deloche pour le PCF. Le comité d’entente comporte également trois commissions :

    • la première pour discuter et régler toutes les questions relatives à l’unité d’action entre les deux partis. Elle comprend : André Marty, Raymond Bossus, Léon Mauvais, Andrée Marty-Capgras, Augustin Laurent et Jules Moch ;
    • la deuxième afin de préparer et poursuivre la discussion sur l’unité organique. Elle est composée de six membres : Etienne Fajon, Raymond Guyot, Florimond Bonte, Salomon Grumbach, André Le Troquer, Vincent Auriol ;
    • enfin, la troisième pour régler les conflits et litiges entre les deux partis. A cette commission d’arbitrage figurent Arthur Ramette, Auguste Gillot, Robert Ballanger, Renée Blum, Gérard Jaquet, Salomon Grumbach.

    14Chaque réunion des commissions est préparée dans les deux partis respectifs. Le secrétariat du PCF ou le Comité directeur de la SFIO discutent des textes à proposer ou des limites à ne pas dépasser. Ainsi, la direction du PCF demande à ses représentants de « régler dans un esprit unitaire les problèmes qui pourraient se poser à la réunion de la commission d’arbitrage ». Ces problèmes sont essentiellement liés au projet de société, mais aussi à l’influence respective des partis dans le pays, au regard des élections prévues.

    15Selon Robert Verdier, ces trois commissions ont une pratique différente : « la première fonctionne [...], la deuxième ne voit pas aboutir les textes [...] et la troisième aurait dû siéger en permanence ». Cette remarque souligne bien les contradictions qui existent au sein du comité d’entente. Quels sont les points d’entente et ceux de désaccords ?

    Unité d’action ou unité organique ?

    Les décisions communes

    16Les premières décisions de ce comité concernent l’épuration et les anniversaires de 1934. Début janvier 1945, la SFIO propose au PCF un texte sur l’épuration. La direction communiste, dès le 2 janvier, accepte le texte après quelques modifications et se mobilise pour qu’il soit publié rapidement. La réunion suivante du comité d’entente au siège du PCF sous la direction de Robert Verdier, le 8 janvier 1945, rend public le texte sur l’épuration. Celui-ci, adopté à l’unanimité, rappelle que pour libérer la France et battre Hitler il faut comme le mentionnait le CNR « châtier les traîtres », et « mettre hors d’état de nuire tous les complices de l’ennemi ». Le comité d’entente propose « que l’on frappe haut et vite » et définit dans le détail les différents crimes et les différentes catégories de collaborateurs.

    17A la même réunion, il est décidé de commémorer le souvenir de la réplique du 12 février 1934 aux émeutes du 6. Elle est prévue pour le dimanche Il février 1945. Cette manifestation a un franc succès puisque plus de « 250000 parisiens ont défilé en réclamant l’unité et l’écrasement du fascisme et de ses agents ». Elle réunit des militants de la SFIO, du PCF, de la CGT, du MLN et de la LDH, mais le MRP a refusé de participer car certains représentants de l’unité de 1934 étaient devenus collaborateurs. Le comité d’entente permet de célébrer en commun le 1er mai et le 27 mai en souvenir de la Commune devant le mur des Fédérés.

    18Dans le cadre de l’épuration et du châtiment des traîtres, le comité publie le 20 mai 1945 une résolution sur la traduction de Pétain en Haute Cour et sur l’inéligibilité « pour les capitulards de Vichy ».

    19En février 1945, le congrès du Front National conduit les communistes à beaucoup de prudence. La direction rappelle que pour l’unité avec le MLN « il faut s’en tenir au comité d’entente, et éviter le grignotage ce qui affaiblirait la minorité ». C’est en ce sens qu’il est demandé de faire jouer un « rôle aux membres du Parti socialiste adhérents au FN et explicitement demandé de pousser les non-communistes ». La délégation communiste à ce congrès correspond aux membres du comité d’entente avec, en plus, Paumier, Rochet, Langlois et Vogue.

    20Le comité d’entente permet aussi d’élaborer en commun plusieurs textes visant à modifier la société. Ainsi, les nationalisations ou la constitution sont présentes dans les débats. Le 2 mars 1945, le comité d’entente adopte un manifeste sur les nationalisations. C’est celui présenté par Jules Moch qui est repris ; les socialistes y voient une grande victoire, même si les communistes dénoncent de façon interne cette conception des nationalisations :

    « Moch veut laisser croire que le socialisme peut se faire par réformes sans changer l’État. Non, les nationalisations sont d’ordre démocratique. L’État ne représente en ce moment que les classes dirigeantes »

    21Le 22 juin 1945, le comité d’entente se prononce en faveur de l’élection d’une constituante souveraine en insistant sur le scrutin de liste et la proportionnelle intégrale sans panachage.

    22Mais à côté des grands projets pour le pays, le comité d’entente prend des résolutions sur les élections. Si cela crée des problèmes, des rivalités, il y a quand même des tentatives de rapprochement. En février 1945, est mis sur pied le comité d’entente chargé de préparer les listes communes aux élections municipales – à la suite de la demande de Maurice Thorez en décembre 1944. Le 27 avril 1945, le comité d’entente appelle à la victoire des forces républicaines démocratiques et antifascistes pour les élections municipales et le 3 mai, il conseille aux organisations départementales des deux Partis de :

    « prendre d’un commun accord les mesures, soit par listes communes, soit par désistement, pour écraser au second tour le fascisme et la réaction sous toutes leurs formes et quelle que soit la dénomination sous laquelle ils ont pu tenter de se masquer »

    23Il proteste également contre l’élection de candidats inéligibles. Parallèlement, le comité directeur du PS décide de faire confiance à ses fédérations, ce qui veut dire qu’elles peuvent aussi bien s’allier avec le MRP qu’avec le PCF... On mesure par là les fissures au sein de l’entente.

    24Il semble bien, au regard de ces décisions du comité d’entente, que la volonté de maintenir l’unité d’action – qui s’explique par des raisons idéologiques, culturelles et conjoncturelles – prenne le pas sur l’unité organique. Les réunions de la commission d’unité organique ont été repoussées plusieurs fois, en particulier du fait des socialistes. C’est pourquoi le secrétariat du PCF propose de « poser la question dans l’Humanité afin de faire avancer les choses », dès février 1945.

    Contradictions et conflits

    25Les points de discordes restent trop nombreux pour aboutir à la fusion entre les deux Partis. Les divergences concernent la conception même de la démocratie, le marxisme et le rôle de l’État. Pour les socialistes, le PCF est trop attaché au modèle soviétique et la conception stalinienne du marxisme n’a rien à voir avec celle des héritiers de Jaurès. Au-delà des querelles idéologiques et programmatiques, il y a les rivalités déjà évoquées lors des élections, en particulier pour les municipales du printemps : les relations entre les deux Partis se dégradent dès la première campagne électorale, en avril 1945, il y a nombreux incidents entre socialistes et communistes, comme à Nice ou Limoges. Si le comité d’entente a publié des communiqués invitant au désistement, les réalités locales et les rivalités sur le terrain sont parfois trop criantes ainsi dans le Pas-de-Calais ou à Frontignan. Les résultats montrent que seules 247 municipalités ont des majorités socialistes-communistes, alors que les deux formations ont respectivement la majorité dans 1462 municipalités pour les communistes et 4133 pour les socialistes.

    26Ces élections municipales laissent des traces importantes qui se retrouvent lors des échéances électorales suivantes. « Les dissonances se multiplient [...] Le comité directeur de la SFIO entend Augustin Laurent se plaindre de campagnes calomnieuses qui lui rappellent celles dont fut victime Roger Salengro ». Le comité d’entente doit constamment pratiquer le grand écart. D’ailleurs, la SFIO – qui a des moyens matériels et militants plus faibles que le PCF et surtout qui se retrouve derrière le PCF aux élections – développe un complexe d’infériorité. Les militants socialistes face à leur puissant concurrent sont sur la défensive.

    27D’autres sujets de querelles existent comme par exemple le cas de militants qui ont rompu avec le PCF lors du pacte germano-soviétique et qui reviennent sur le devant de la scène politique. Tel est le cas du député de l’Ain du Front populaire, René Nicod qui s’opposa « publiquement par affiches signées de son nom et de ceux de ses principaux collaborateurs » et participa à l’Union populaire française. Même s’il fut l’un des quatre-vingts parlementaires à refuser les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, sa réintégration ne fut pas acceptée par le PCF. Mais jouant un rôle important dans l’Ain, le secrétariat du PCF demanda explicitement au comité d’entente de se prononcer sur le cas Nicod. Plus tard, il rejoignit le Parti socialiste en juillet 1945.

    28Mais les divergences viennent aussi des alliances politiques, si le PCF privilégie l’unité avec la SFIO, cette dernière est à la recherche d’autres alliés.

    Quelle alliance : MRP ou PCF ?

    29Le 10 janvier 1945, à Rodez, Vincent Auriol pose le problème essentiel :

    « faut-il s’allier aux catholiques représentés par le MRP ou aux communistes ? »

    30Seul le comité national d’entente peut trancher sur la fusion organique, mais il est clair que la SFIO est à la recherche d’alliés pour contrer l’hégémonie communiste : le complexe d’infériorité socialiste la conduit à regarder sur sa droite. La peur d’être pieds et poings liés au PCF est certaine. Daniel Mayer évoque également cette question du rapprochement avec les chrétiens du MLN. Il précise que c’est pour cela que :

    « le Parti socialiste noue des relations qui permettront, chaque organisation conservant son visage propre, chaque individu étant maître de son choix définitif, de créer autour de lui le grand bloc démocratique et révolutionnaire qui reconstruira la France dans la plus féconde des unions, celle qui se révèle dans la clarté de la pensée et la discipline de l’action »

    31Ces rapprochements provoquent des réactions de suspicion de la part des communistes qui dénoncent les reniements socialistes, voire la trahison. Dès lors, les attaques du PCF sont de plus en plus radicales à l’encontre du MRP, jugé comme un parti réactionnaire, voire fasciste. C’est ainsi qu’après plusieurs remarques rendues publiques dans l’Humanité que les communistes décident de la création du Parti ouvrier français (POF). Mais il faut noter que le discours unitaire marque les esprits et les militants des deux Partis : un discours, même s’il s’apparente à une « certaine langue de bois », produit des effets et conduit à des comportements nouveaux, sincères. Les militants ne sont pas schizophrènes...

    Le PCF force l’unité, la SFIO la repousse

    L’ultimatum communiste du 12 juin 1945

    32Au mois de juin, la Commission d’unité organique qui devait recevoir les memoranda des deux Partis constate l’échec de la fusion. Vincent Auriol, chargé de rédiger le mémorandum socialiste, fait savoir aux communistes que l’unité organique ne peut se faire pour le moment12. C’est alors que Jacques Duclos, chargé par la direction du PCF de rédiger le mémoire de son Parti, lance l’idée de la création du POF : c’est la charte d’unité de la classe ouvrière en France. L’auteur développe dans un préambule les racines du passé révolutionnaire français en évoquant Babeuf, Blanqui, Lafargue, Guesde et Jaurès... mais aussi les apports de Lénine et Staline au marxisme. Les bases du Parti rappellent celles de celui né à Tours en 1920, puisqu’il est fondé sur le centralisme démocratique et que l’unité idéologique nie toute tendance. Ce texte rendu public le 12 juin 1945 dans la presse communiste provoque de forts remous. Au sein du Parti communiste, certains militants font savoir qu’ils considèrent le titre comme équivoque – quel sens donner au mot ouvrier ? – et qu’ils regrettent la disparition du mot communiste, etc. Toutefois, le PCF crée Les amis du POF dans tout le pays. D’ailleurs, plusieurs militants socialistes adhèrent à ces comités, en particulier Jean Zyromski dans le Lot-et-Garonne qui, après avoir reçu par courrier le projet de Jacques Duclos, le félicite et considère que ce texte :

    « marquera un réel effort de la part du PC dans la voie de l’unité. Il tient compte des objections faites du côté socialiste concernant l’indépendance absolue du Parti vis-à-vis des gouvernements et le caractère original de chaque mouvement révolutionnaire pour chaque pays »

    33Le but recherché est de faire réagir les militants et dirigeants socialistes avant leur congrès.

    Sa réception par les socialistes : une démarche unilatérale inacceptable

    34Cette annonce unilatérale fait l’effet d’une « bombe ». La réponse du comité directeur de la SFIO publiée dans Le Populaire du 15 juin fait preuve de fermeté, en rappelant sa « surprise », mais se refuse de discuter le texte afin d’éviter de « nouveaux dissentiments ». Les militants se prononceront lors du Congrès. On retrouve là les angoisses de l’avant-guerre lorsque le PCF déclarait qu’il « fallait plumer la volaille socialiste ». Le Comité directeur rappelle aux fédérations socialistes que « toutes discussions sur l’unité organique restent interdites » Dans un premier temps, c’est Léon Blum qui répond point par point dans une série d’articles sur l’unité. Les socialistes publient juste avant leur congrès d’août un appel commun avec l’UDSR, au titre évocateur « pas de démocratie sans socialisme, pas de socialisme sans démocratie ». Dès lors, il apparaît clairement que les socialistes privilégient l’unité d’action, mais refusent la fusion forcée. Le discours de Daniel Mayer au 37e congrès, le 13 août 1945, ironise sur la frénésie d’unité des communistes, rappelle les points de divergences du passé en particulier le pacte germano-soviétique et proclame que « les adhérents du PC réfléchissent moins que ceux de la SFIO. Ils acceptent tout ce qui leur vient de leur Comité central ». Une motion présentée par Jules Moch rejette l’unité organique à une quasi-unanimité (10 112 voix contre 274 et 212 abstentions). A ce congrès, on a pu mesurer les différentes appréciations socialistes : si Augustin Laurent s’emploie à dénoncer l’inféodation du PCF à Moscou, Métayer, de la Seine-et-Oise, présente une motion fédérale qui demande l’unification des deux Partis13. Certes, cela reste lettre-morte avec l’adoption de la motion de Jules Moch, mais les divergences à la base sont ainsi soulignées.

    35Proposé unilatéralement par le PC, le projet de création du POF est rejeté et le comité d’entente entre également dans un sommeil durable. Toutefois les communistes, qui apparaissent comme les plus unitaires, et qui publient les nombreuses adhésions aux amis du POF, voire au PCF de militants socialistes, bénéficient aux élections législatives d’octobre 1945 de bons résultats. Ce discours unitaire a fonctionné dans plusieurs fédérations et l’étude sur le POF ou les Amis du POF reste à faire...

    L’entrée en léthargie du comité d’entente, puis sa dissolution

    36A la lecture des Carnets de Marcel Cachin on voit bien que les rapports sont de plus en plus tendus au sein du comité :

    « Florimond a attaqué vigoureusement hier à la réunion communistes socialistes. Mayer : mal répondu, visqueux ; ils nous haïssent. Hier, pas d’ordre du jour commun, on s’est engueulé. On a dit : les Juifs ont attendu le messie et quand il est arrivé, ils l’ont désavoué ; [ill.] les socialistes attendent le socialisme, quand il est arrivé en Russie, ils l’ont repoussé. »

    37et plus loin d’ajouter :

    « Mayer et Moch ont réuni toutes les critiques les plus infamantes contre le communisme. Ils nous ont proposé de garder le silence sur leurs accusations et de ne pas répondre »

    38Les communistes de leur côté s’emploient à démontrer la trahison des socialistes. Le discours que tient Alain Signor en juillet 1946 est très dur à l’égard de la SFIO :

    « la politique et la tactique du Parti socialiste correspond aux intérêts non de la classe ouvrière, mais de la bourgeoisie »

    39Quant aux socialistes, ils dénoncent dans Le Populaire ce qui se passe à l’Est : l’influence soviétique et l’émergence des démocraties populaires qui sont incompatibles avec le socialisme démocratique.

    40Toutefois, le 19 janvier 1946, le comité d’entente publie un accord de point de vue des deux formations sur la constitution. Ce projet – qui est voté le 19 avril 1946 par 309 voix contre 249 – est soumis au référendum pour le début mai 1946. Le PCF propose à la SFIO l’organisation d’une campagne commune qui est refusée. Le projet est rejeté par le peuple français et comme l’écrit Emmanuel Ranc si

    « les socialistes [ont poussé] le plus loin le projet constitutionnel vers le modèle de 1793, ils [n’ont pas été] paradoxalement les plus actifs au cours de la campagne. Le rapport de force entre la SFIO et le PCF est en effet en train de se modifier en faveur des communistes »

    41Le projet constitutionnel est alors perçu comme un projet communiste plus que socialiste

    « de sorte qu’il y a un renversement : ceux-là même qui dans l’Assemblée constituante ont multiplié les références à 93 ne sont pas les plus fervents partisans pour la faire approuver dans la campagne »

    42C’est la première défaite communiste face au MRP, qui incarne le chant du cygne du comité d’entente...

    43C’est le 38e Congrès de la SFIO qui met un terme au comité. Si les hésitations stratégiques de Daniel Mayer participent entre autres à son éviction au profit de Guy Mollet, ce dernier qui reste favorable à l’unité d’action avec le PC, entérine le rejet de l’unité organique. Dans une lettre adressée à Jacques Duclos, il stipule que dorénavant les relations entre la SFIO et le PCF ne dépendent plus que des directions respectives des Partis : c’est la fin du comité d’entente.

    44Des logiques différentes, contradictoires, ont participé à l’élaboration du comité d’entente. Elles apparaissent très vite et le comité d’entente devient un enjeu tactique pour la recomposition politique attendue et voulue : le PCF voit la possibilité d’absorber la SFIO... Cette dernière préfère en fin de compte l’unité d’action, comme le rappelle Guy Mollet qui dans sa lettre à Jacques Duclos fait explicitement référence à la lutte antifasciste de défense des institutions républicaines. Il se développe de part et d’autres des courants d’opposition virulente : à l’anticommunisme de Raymond Gernez, répond l’antisocialisme d’Alain Signor, teinté d’antisémitisme :

    « en France la même pénétration de l’idéologie et de l’action de la grande bourgeoisie s’est effectuée dans le PS, dont la base est de moins en moins ouvrière (aveu de Bloch au dernier congrès) par les éléments exclusivement bourgeois qui constituent sa direction (les avocats Léon Blum, Le Trocquer, Depreux, etc., le négociant Daniel Meyer [sic], le professeur de droit André Philipp [sic] (...) »

    45Mais le comité d’entente laisse des traces dans la culture unitaire des deux Partis : on ne peut pas omettre d’évoquer le dialogue doctrinal des années 60 initié par Guy Mollet et Waldeck Rochet.

    Notes de bas de page

    1 Cette étude repose sur un dépouillement de sources variées : Archives Nationales et Archives du chevs Fonds Vincent Auriol (3 AU 13 552 AP 36) ; Archives de l’ours (CD) ; Archives du Musée de l’Histoire vivante Montreuil, Fonds Jacques Duclos ; Archives du PCF conservées au CN du parti Place du Colonel Fabien (Secrétariat et bureau politique) ; Archives de la Bibliothèque marxiste de Paris. Ces archives sont complétées par la lecture de la presse : Le Monde, l’Humanité, Le Populaire, Les Cahiers du communisme, Revue Socialiste et de L’année politique 1944-1945,1946. [Les brochures ou témoignages sont cités en note].

    2 « Léon Blum tel qu’il est », L’Internationale communiste, n° 2, 1940 et Die Welt, 16 février 1940.

    3 Léon Blum, A l’échelle humaine, Paris, Gallimard, 1945.

    4 François Grenier s’était rendu le 8 mai 1943, au siège du groupe socialiste. Archives de l’ours, C 677 BD, Groupe Jean-Jaurès. 8 mai 1943. Voir aussi Marc Sadoun, Les socialistes sous l’occupation, Paris, Presses de la FNSP, 1989, p. 199.

    5 Daniel Mayer, Les socialistes dans la Résistance, Paris, PUF, 1969.

    6 Il s’agit du Comité de liaison des socialistes français en Grande-Bretagne. Archives de l’ours, C 677 BD, Cercle Jaurès. Pour cet aspect voir Jean Vigreux, Waldeck Rochet, du militant paysan au dirigeant ouvrier, Doctorat d’Histoire sous la direction de Serge Berstein, IEP Paris, 1997, p. 270-284.

    7 Lettre du 21 octobre 1942 à Félix Gouin. [cf. Marc Sadoun, op. cit., p. 197].

    8 Cette dissolution qui entérine l’emprise de la diplomatie stalinienne sur l’IC, permet à la fois d’avoir de bonnes relations entre l’URSS et les Alliés, mais aussi de faciliter les liens entre les PC occidentaux et les autres partis. C’est « l’épanouissement de l’Union nationale » selon les mots d’Annie Kriegel, « La dissolution du Komintern », Revue d’Histoire de la Deuxième Guerre mondiale, n° 68, octobre 1967, p. 43.

    9 L’Année Politique, 1944, p. 35

    10 Voir en particulier, Jean Duma, « L’unité organique (1944-1947) », Cahiers d’Histoire de l’institut Maurice Thorez, n° 7, 1974, p. 68.

    11 Pensons aux rapprochements du Front populaire où par exemple Paul Delanoue était, en 1938, membre d’un Comité d’entente socialiste-communiste de Bléré et adhérait à la Libre Pensée et aux Amis de l’URSS.

    12 Publié dans le Bulletin Intérieur PS-SFIO, n° 5, juin 1945, p. 4 à 8 et sous forme de brochure Vincent Auriol, Projet de mémorandum de la SFIO sur l’unité organique, Limoges, 1945.

    13 Le Populaire 15 août 1945. Cette motion de Métayer représente 322 mandats sur 361 pour la fédération de Seine-et-Oise.

    Auteur

    • Jean Vigreux

      Maître de conférences, Université de Bourgogne, UMR-CNRS 5605.

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    2 « Léon Blum tel qu’il est », L’Internationale communiste, n° 2, 1940 et Die Welt, 16 février 1940.

    3 Léon Blum, A l’échelle humaine, Paris, Gallimard, 1945.

    4 François Grenier s’était rendu le 8 mai 1943, au siège du groupe socialiste. Archives de l’ours, C 677 BD, Groupe Jean-Jaurès. 8 mai 1943. Voir aussi Marc Sadoun, Les socialistes sous l’occupation, Paris, Presses de la FNSP, 1989, p. 199.

    5 Daniel Mayer, Les socialistes dans la Résistance, Paris, PUF, 1969.

    6 Il s’agit du Comité de liaison des socialistes français en Grande-Bretagne. Archives de l’ours, C 677 BD, Cercle Jaurès. Pour cet aspect voir Jean Vigreux, Waldeck Rochet, du militant paysan au dirigeant ouvrier, Doctorat d’Histoire sous la direction de Serge Berstein, IEP Paris, 1997, p. 270-284.

    7 Lettre du 21 octobre 1942 à Félix Gouin. [cf. Marc Sadoun, op. cit., p. 197].

    8 Cette dissolution qui entérine l’emprise de la diplomatie stalinienne sur l’IC, permet à la fois d’avoir de bonnes relations entre l’URSS et les Alliés, mais aussi de faciliter les liens entre les PC occidentaux et les autres partis. C’est « l’épanouissement de l’Union nationale » selon les mots d’Annie Kriegel, « La dissolution du Komintern », Revue d’Histoire de la Deuxième Guerre mondiale, n° 68, octobre 1967, p. 43.

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    10 Voir en particulier, Jean Duma, « L’unité organique (1944-1947) », Cahiers d’Histoire de l’institut Maurice Thorez, n° 7, 1974, p. 68.

    11 Pensons aux rapprochements du Front populaire où par exemple Paul Delanoue était, en 1938, membre d’un Comité d’entente socialiste-communiste de Bléré et adhérait à la Libre Pensée et aux Amis de l’URSS.

    12 Publié dans le Bulletin Intérieur PS-SFIO, n° 5, juin 1945, p. 4 à 8 et sous forme de brochure Vincent Auriol, Projet de mémorandum de la SFIO sur l’unité organique, Limoges, 1945.

    13 Le Populaire 15 août 1945. Cette motion de Métayer représente 322 mandats sur 361 pour la fédération de Seine-et-Oise.

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    Ce livre est cité par

    • Riondet, Charles. (2017) Le Comité parisien de la Libération. DOI: 10.4000/books.pur.153530
    • (2001) Librairie. Vingtième Siècle. Revue d'histoire, n o 71. DOI: 10.3917/ving.071.0128
    • Cirefice, Virgile. (2022) « L’espoir quotidien ». DOI: 10.4000/books.efr.44450

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    • (2020) Le Parti rouge. DOI: 10.3917/arco.marte.2020.01.0339
    • Cirefice, Virgile. (2022) « L’espoir quotidien ». DOI: 10.4000/books.efr.44450

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    Vigreux, J. (2001). Le comité d’entente socialiste-communiste. In S. Berstein, F. Cépède, G. Morin, & A. Prost (éds.), Le parti socialiste entre Résistance et République. Paris: Éditions de la Sorbonne. https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.80937
    Vigreux, Jean. « Le comité d’entente socialiste-communiste ». In Le parti socialiste entre Résistance et République, édité par Serge Berstein, Frédéric Cépède, Gilles Morin, et Antoine Prost. Paris: Éditions de la Sorbonne, 2001. doi:10.4000/books.psorbonne.80937.
    Vigreux, Jean. « Le comité d’entente socialiste-communiste ». Le parti socialiste entre Résistance et République, édité par Serge Berstein et al., Éditions de la Sorbonne, 2001, https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.80937.

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    Berstein, S., Cépède, F., Morin, G., & Prost, A. (éds.). (2001). Le parti socialiste entre Résistance et République. Paris: Éditions de la Sorbonne. https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.80767
    Berstein, Serge, Frédéric Cépède, Gilles Morin, et Antoine Prost, éd. Le parti socialiste entre Résistance et République. Paris: Éditions de la Sorbonne, 2001. doi:10.4000/books.psorbonne.80767.
    Berstein, Serge, et al., éditeurs. Le parti socialiste entre Résistance et République. Éditions de la Sorbonne, 2001, https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.80767.
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