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Espace et pouvoir du quaternaire

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Màrio Tomelin

Postface. Perception et réalité

Texte intégral

1L’Histoire est une perception de la réalité a posteriori. Il est difficile de percevoir la réalité à l’instant des faits.

2Quand nous avons écrit Le Quaternaire : son espace et pouvoir, nous avons fait ce qui aurait pu s’apparenter à une projection utopique surtout par rapport à l’évolution des connaissances et des temps nouveaux que l’humanité allaient produire. Ces travaux furent développés pendant les années 70 et aujourd’hui, en l’an 2001, nous pouvons dire que la décennie passée a tout confirmé. Jusqu’à une période récente, l’Histoire n’était qu’un ajout de différents facteurs, aujourd’hui, elle est le produit de la simultanéité des communications. La conception de l’ordre du pouvoir qui donne naissance aux groupes de domination au pouvoir a défini les périodes historiques. Ce fait a été confirmé avec la fin de la période contemporaine et l’entrée dans l’ère mondialisée. Jusqu’au début des années 80, le pouvoir économique dominait le pouvoir de la science et déterminait le pouvoir politique.

3Aujourd’hui, et ce depuis le début des années 90 qui ont vu surgir le phénomène de la mondialisation, le pouvoir de la connaissance oriente le pouvoir économique qui, lui-même, détermine les actions du pouvoir politique. Il faut cependant être conscient que ce changement n’est pas encore véritablement effectif et qu’il est le moteur de la crise du monde actuel. Celle-ci est produite par le déséquilibre dû à la volatilité du capital.

4Les limites de ce Divortium aquarum, de cette division des eaux entre l’époque contemporaine et l’ère mondialisée, sont claires : la communication via satellites, les voyages dans l’espace, le génome humain, la transmission du savoir en simultané, les marchés communs, la monnaie unique ; le monde est en fait devenu « un village global », pour reprendre une expression d’Ivan Illich. La dernière décennie, qui a commencé en 1989, doit être considérée comme le point de départ de « l’ère mondialisée », car elle a permis que les peuples du bloc de l’Est soient réunis à ceux du bloc de l’Ouest. Elle a fait en sorte que la liberté ne puisse plus être confisquée et que le mur de Berlin ne soit plus qu’imaginaire.

5Quand Francis Fukuyama a pensé la fin de l’Histoire, il a clairement laissé entendre que la nouvelle période qui naîtrait après la chute du mur de Berlin, la fin du socialisme en Union Soviétique et en Europe de l’Est, serait d’une part le début d’une nouvelle réalité universelle, une histoire universelle cohérente et unidirectionnelle de l’humanité. D’autre part il reprend la thèse d’Hegel qui a défendu que tout prendrait fin avec la mise en place du libéralisme économique. Il est évident dans ce cas que c’est avec Hegel que nous avons les signes avant-coureurs de l’histoire universelle.

6Les idéologies ont commencé à se déliter comme par magie et tout ce qui était souterrain est apparu au grand jour. Ainsi en va-t-il des valeurs de centre gauche qui, elles aussi, sont en train de perdre leur caractéristique de point de référence. La référence, c’est l’être humain et celui-ci a pris conscience que le village mondial est unique et qu’il ne peut être détruit. Les mouvements qui prônent un développement durable sont si forts que nous pouvons être sûrs que le globe terrestre est sauf.

7L’idée d’État-Nation a des limites de plus en plus ténues puisque les relations pacifiques ont de moins en moins besoin des arsenaux militaires. Mais nous avons besoin, sans aucun doute, de l’universalisation des savoirs afin d’éliminer les différences régionales et de rechercher un équilibre pour un bien-être universel.

8Ce passage vers l’universalisation des actions et des faits devrait se voir accompagner d’un équilibre du bien-être universel qui passe nécessairement par une redistribution des revenus. L’accumulation exagérée est le germe de futures disputes et guerres. La violence urbaine n’étant dans ce contexte que le résultat d’une accumulation exagérée des individus. Personne n’a besoin de recevoir l’aumône, mais au contraire d’opportunités, pour pouvoir accéder à la production et par conséquent à la consommation. Le nouveau libéralisme que nous nous devons de mettre en place passe nécessairement par la liberté de produire et de consommer.

9Nous vivons une période de rupture et en subissons ses conséquences. Ne prenons qu’un seul exemple pour montrer les déséquilibres dans lesquels nous vivons aujourd’hui. L’arrivée de la femme sur le marché du travail est en train de produire un déséquilibre que même l’industrialisation n’a pas réussi à créer. Dans les années 60 et 70, la main d’œuvre a doublé sur le marché du travail et ce phénomène a été aggravé par l’introduction de hautes technologies lors de la décennie suivante. Tout cela a fortement réduit la création de nouveaux emplois. Si nous examinons ces faits que l’homme n’avait pas prévus, la concentration des revenus a été renforcée car les plus capables se sont unis : les hommes et les femmes qui ont formé des couples ont aussi joint leurs revenus alors que, dans le même temps, les moins capables se retrouvaient sans emploi. Ce déséquilibre s’est accentué de telle manière qu’il a produit l’effet similis, similibus congregantur, qui se ressemble s’assemble, les meilleurs avec les meilleurs, les plus mauvais avec les moins chanceux.

10Cet effet a à voir avec le déplacement de l’homme dans les différents secteurs de l’économie, du primaire vers le secondaire, du secondaire vers le tertiaire puis du tertiaire vers la quaternaire. Ce phénomène a déjà été décrit dans des chapitres précédents.

11La réalité est en fait perçue par très peu de personnes et vécue par un grand nombre. Elle heurte quand elle est analysée mais, à y regarder de plus près, les murs construits pour séparer les pauvres des riches ont tout l’air de prendre la dimension d’une ségrégation. Pendant la Préhistoire, les hommes se protégeaient des animaux sauvages dans des cavernes. Dans l’Antiquité et au Moyen Âge, ils se protégeaient des envahisseurs et des barbares grâce à des murailles. À l’époque moderne, l’homme à la recherche de nouvelles terres a mis des hommes en esclavage pour leur couleur et a réactualisé le système esclavagiste. Avec l’époque contemporaine, l’esclavage du sous-développement s’est installé et a été traduit, non plus par des murailles de pierre ou de couleur mais par des murailles de passeport.

12 Il semble que les faits se répètent depuis l’Antiquité, en passant par le Moyen Âge, l’époque moderne, contemporaine, et aujourd’hui l’ère mondialisée. Cette rupture vers une ère mondialisée ne pourra se faire que par la connaissance. Le savoir sera le seul passeport qui permettra de franchir les régions, les pays, les continents.

L’intégration par la connaissance

13La rationalisation de la connaissance scientifique évite des dépenses et abrège les actions que l’homme produit pour se développer. L’expérimentation et l’erreur ne sont plus l’alternative dans ce monde qui évolue de plus en plus vite et se transforme continuellement. Par ailleurs, l’époque mondialisée permet une universalisation du savoir qui ne laisse plus de vides ou de lacunes. Celle-ci peut fort bien nous amener une capacité employée par la connaissance pour que nous puissions produire l’intégration des peuples et des races.

14L’intégration par la connaissance veut dire que nous devons chercher dans la science et la technologie une amélioration de la qualité de vie des peuples et des nations. À l’heure actuelle, l’Amérique latine est en train de vivre un processus d’intégration sans précédent dans son histoire. Dans un premier temps, il y a eu intégration politique qui n’a pas eu de grandes conséquences ; l’intégration économique, elle, défie notre intelligence et aujourd’hui, nous sommes à la recherche d’une intégration des connaissances.

Les mégas tendances

15Les chemins suivis par les civilisations qui nous ont précédés doivent être revus, même si ceux qui s’engagent sur le chemin ardu de l’histoire, cette maîtresse de vie, sont peu nombreux. Ainsi pour faire une étude prospective nous faut-il d’abord bien connaître le passé. En possession de cette connaissance du passé qui va venir s’ajouter à un présent bien compris, c’est-à-dire observé avec un regard scrutateur qui évalue les faits de tous les jours, nous pourrons travailler dans la perspective d’un futur désiré et encore inexistant.

16Nos capacités doivent être aiguisées pour que nous puissions modifier le cours de l’Histoire, en particulier lorsque celle-ci s’engage sur des chemins tortueux. C’est ici qu’il nous faut chercher le savoir scientifique afin qu’il nous guide en toute sécurité.

17L’étude des mégas tendances doit travailler cette perception de la réalité basée sur l’histoire.

18Le chemin du futur n’est pas encore tracé, il doit être construit par chacun d’entre nous.

19Les changements sont produits par le pouvoir et les différents pouvoirs sont altérés par la prédominance de l’un d’entre eux sur les autres. Ces alternances définissent les périodes de l’Histoire. Les années 90 ont donné naissance à l’ère mondialisée qui s’établit de la manière suivante : le pouvoir du savoir, la domination du pouvoir économique qui détermine le pouvoir politique. Aujourd’hui, ce dernier est beaucoup plus un pouvoir d’homologation. Quant au pouvoir économique, il est diffus et entre les mains de ceux qui détiennent les actions des entreprises qui ont une valeur comptable, donc une valeur spéculative et non productive.

20Le passage de l’époque contemporaine vers l’âge mondialisé est lent, cela peut produire des crises économiques comme celle que nous vivons aujourd’hui et qui pourrait se prolonger plusieurs années. Cette transformation, qui est faite sur le temps long, produit des crises séquentielles qui affectent les secteurs d’activité productive avec des répercussions très diverses. Ces crises ne sont parfois pas identifiées par les personnes et les institutions ce qui cause des déséquilibres dans les processus de production.

21Le pouvoir du savoir, défini comme étant le secteur quaternaire de l’économie, est en train d’initier ce processus de prépondérance sur les autres pouvoirs définis ci-dessus. Les indices sont des plus clairs et nous ne citerons comme exemple que l’informatique, en particulier l’Internet, qui révolutionne les communications et le projet du génome humain qui va bientôt déterminer toutes les actions dans le secteur de la santé. L’annonce sur le génome, faite par Bill Clinton et Tony Blair, montre l’importance qu’il aura dans l’économie du futur. Quand nous classons les pays en organisateurs, organisés et désorganisés, nous mettons en évidence les divers blocs économiques historiquement habilités par les diverses formes d’exercice du pouvoir. Nous construisons la nouvelle carte du monde, dessinée aujourd’hui par Jeffrey Sachs et qui montre les innovateurs technologiques, les récepteurs en technologie et les exclus de la technologie. Pour Galbraith, la droite a appris que l’initiative privée ne peut pas s’occuper de tous les secteurs de l’activité humaine. Dans le même temps, la gauche a appris qu’une grande partie de l’activité économique, pour ne pas dire la plus grande partie, doit rester entre les mains du secteur privé.

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