Troisième partie. Le pouvoir économique
p. 125-144
Texte intégral
1« Le monde est un ensemble dans lequel s’appliquent les typologies insolites. Les individus et les groupes y créent des espaces d’activités qui, entre secteurs essentiellement inégaux, sont des espaces de pouvoir »1. François Perroux ajoute : « la nation est un espace économique. Il a une dimension mesurée économiquement par l’étendue et la productivité de la force de travail, par l’ampleur, la qualité et la productivité du capital, de l’appareil de production par les dimensions quantitatives et qualitatives des ressources naturelles ».
2La force du pouvoir économique correspond à des époques différentes du développement de notre civilisation. Ainsi en prenant comme repère Alvin Toffler dans The Third Wave, « Le pouvoir économique obéit à des civilisations différentes dans l’espace du temps »2. En ce moment nous sommes dans une civilisation quaternaire pour les pays postindustriels mais d’autres en sont encore au stade primaire avec domination de l’agriculture. Alors, si la nation est un espace économique, d’après Perroux, il confirme en disant encore : « La nation, d’abord, est un groupe de groupes orientés, coordonnés et arbitrés par l’État qui exerce le monopole de la contrainte publique : nous ne pouvons pas trouver d’issue en dehors du pouvoir économique ».
3Voilà le monde qui nous entoure et la réduction à un dénominateur commun par l’économie. Prenons le tableau de ce travail : « Stages de l’évolution sociale » déjà présenté, et nous voyons que ce type de pouvoir économique n’a été prépondérant qu’à l’âge moderne et à l’âge contemporain dans le type d’ensemble ou de combinaison : Entreprise-Université-État ou Entreprise-État-Université et que dans le prochain âge, universel ou sociétal, le pouvoir dominant sera le scientifique de la même manière que dans l’Antiquité et au Moyen Âge le type de pouvoir était le politique. Dans un autre passage, François Perroux cite Max Weber en disant : « Le pouvoir est défini par la probabilité qu’un agent à l’intérieur d’une relation sociale sera en situation de rendre effective sa propre volonté en dépit des résistances et quelle que soit la base sur laquelle cette probabilité se fonde »3.
4Quelles sont les relations sociales qui peuvent rendre cette volonté effective ?
5La structuration des activités demande une base, un espace géographique où peuvent être trouvés les espaces économiques engendrés par des auteurs qui luttent contre les contraintes de l’espace géographique et subissent les contraintes du temps. Dans ces conditions, on peut voir et trouver un monde fait de nations structurées et d’ensembles structurés d’activités. Mais, d’après Perroux, « ce sont les hommes qui ont le pouvoir de créer leurs espaces d’influence et d’action »4.
6Le développement des pays se fait exactement par la création des espaces inégaux, que ce soit des espaces financiers, des espaces monétaires ou des espaces de développement puisque les espaces d’influence et d’action se font à partir des pays organisateurs sur les organisés et les désorganisés. La domination et l’exercice du pouvoir suppose l’existence de pays qui subissent les contraintes et obéissent à leurs dispositions ; c’est ce qui fait la différence d’un supergouvernement pour un pays ou un groupe de pays. Le mécanisme de domination des espaces économiques se fait de nos jours par l’intermédiaire des firmes transnationales qui ont un grand pouvoir d’action. Les firmes transnationales créées à l’époque contemporaine tirent leur pouvoir des pays organisateurs et sont placées dans les pays organisés et désorganisés. « L’économie du monde ne se forme pas, à la manière d’un grand marché unitaire qui ferait tache d’huile. Elle se coagule en de vastes ensembles organisés dans lesquels les centres et les pays-foyers rassemblent des satellites sur lesquels ils exercent des effets durablement asymétriques. C’est dans ce trafic mixte, dans cette combinaison complexe d’échanges et de rapports de force, qu’opèrent les firmes transnationales »5.
7Les firmes multinationales commencèrent à s’implanter dans le monde à partir des années 60 et furent saluées avec espoir comme précurseurs d’une économie mondiale libre de frontières, de professions, de foi, et d’idéologies, mais elles générèrent également des appréhensions en raison de la domination qu’elles exerceraient venant des pays organisés ou désorganisés, respectivement, sur les pays en voie de développement et sous-développés.
8Jean-Jacques Servan-Schreiber avait prévu dans Le Défi Américain que la troisième puissance industrielle du monde, après les États-Unis et l’Union Soviétique, pourrait bien ne pas être l’Europe mais l’industrie américaine en Europe. Cette prévision se confirme, non seulement pour l’Europe, mais pour tous les pays du monde, organisés ou désorganisés, et dans ces derniers cette domination se confirme avec une telle véhémence que les entreprises orientent et commandent la substitution de pouvoir dans le secteur public.
9Le cadre ainsi décrit et une fois identifié serait facile à contrôler s’il demeurait dans cette action ; cependant le système prend d’autres formes d’action qui échappent au contrôle des nationaux.
10Les multinationales qui s’installèrent dans les pays récepteurs avec des activités industrielles n’investissent déjà plus dans ce secteur mais plutôt dans le secteur tertiaire-services, sans aucun doute d’une plus grande rentabilité et finalement dans le secteur quaternaire-science et technologie pour se rendre maîtres du commandement de toutes les forces productives de la Nation. L’appât de transformer les pays en voie de développement en pays industrialisés a fait passer sur les charges financières d’insupportables dettes ; telle est la nouvelle réalité des pays en développement, aux potentiels illimités mais prisonniers du commandement des organisateurs qui transfèrent des implantations industrielles quelquefois désuètes aux organisés.
11Le contrôle du marché par l’adoption de sociétés de consommation modelées sur les intérêts des multinationales conduit à des changements d’habitudes en introduisant de nouvelles technologies vendues à prix d’or aux pays récepteurs de multinationales. La non perception des nationaux ou principalement des gouvernants du secteur public, des manœuvres d’affaires et de ventes de quincailleries, rend ces récepteurs toujours dépendants des multinationales.
12Une étude réalisée par la CEPAL (Commission Économique de l’Amérique Latine) sur les activités des multinationales au Brésil a démontré que 18 des plus grandes entreprises multinationales opérant sur le marché brésilien ont un résultat de commerce négatif.
13Ces mécanismes de commandement du pouvoir économique par les organisateurs, quand ils sont barrés comme c’est le cas principalement au Japon, font intervenir des organismes comme l’ITC (International Trade Commission) qui est l’organisme qui régularise l’entrée de produits étrangers susceptibles de faire une concurrence déloyale à l’industrie nord-américaine ; cependant cette déloyauté pour les Nord-Américains fait penser à la fable du loup et de l’agneau car ils considèrent toujours que les sous-développés troublent l’eau de leurs prétentions. Le mécanisme mis en pratique par les sous-développés, comme c’est le cas au Brésil, consiste à fournir des subsides aux exportations et à retirer en outre des impôts pour concourir avec les entreprises internationales pour exporter.
14Mais ces mécanismes d’exportation favorisent seulement les multinationales, et n’apportent rien de positif aux nationaux. Le pouvoir de domination est donc passé de la phase de production et de consommation, par les nationaux, à la phase d’exportation et de contrôle technologique.
15La production d’une technologie propre est rendue presque impossible par les mécanismes de contrôle des exécutifs nationaux ou par l’évasion des cerveaux vers les maisons mères des entreprises dans les pays où elles sont installées.
16Le mécanisme de domination ne s’arrête pas là : il passe rapidement au secteur quaternaire, secteur créatif et de commandement.
17Ces mécanismes de domination économique sont suivis dans le domaine politique par l’interférence du gouvernement qui fait des impositions dans les normes et les lois comme les lois de remises de bénéfices toujours modifiées au goût des entreprises multinationales. Les pays organisés et désorganisés, toujours commandés par l’extérieur, en accord avec les nationaux qui sont au pouvoir, subissent toutes sortes de restrictions bien que ce soient des pays aux énormes potentialités ; ceux qui demeurent au sommet du commandement étranger ne permettent même pas que soit créée une intelligence organisée car ils interfèrent jusque dans les systèmes d’enseignement, ne permettant pas la création de centres de formation de valeur.
I. Rapport entre les élites dominantes et les secteurs économiques
18L’ordre économique international est fondé sur le principe de la domination des organisateurs sur les organisés et désorganisés ; en d’autres termes, les sous-développés ou en voie de développement sont dominés par les développés. Mais la question est de savoir si les termes de l’alternative peuvent être définis comme ils viennent de l’être, c’est-à-dire indépendamment des objectifs finaux du choix : socialisme ou capitalisme. Le rapport entre les élites dominantes et la force d’origine d’un secteur économique aussi hégémonique dans un certain moment ne peut pas trouver de réponses parce que les dominations capitalistes se ressemblent beaucoup : l’une s’appelle capitalisme sauvage de par l’éparpillement du pouvoir, l’autre capitalisme d’État dominant par un système pyramidal concentré.
19Trouver les rapports de forces entre un système et l’autre revient à chercher des relations de forces entre une domination centralisée et l’autre décentralisée. Le capitalisme de l’État, ou socialisme communiste, tient sa force et sa source dans le centralisme étatique et pyramidal. Le capitalisme, dit aussi « capitalisme occidental de la libre initiative », est décentralisé par la naissance et les forces autonomes éparpillées dans les secteurs économiques qui passent du primaire au quaternaire dans l’espace et dans le temps ; il a sa force par l’intermédiaire des entreprises transnationales.
20La division internationale du travail dans ces deux systèmes continue à être inégale dans toutes les classes sociales sauf pour la classe dominante ; « à plus long terme, le centre développerait les nouvelles activités de contrôle d’ensemble du système – le quaternaire (self-ware, activités de recherche et développement), les industries motrices nouvelles, le secteur militaire – renouvelant et approfondissant de la sorte les conditions de l’hégémonie social-démocrate au centre »6. Dans ces conditions, la lutte du tiers-monde contre l’hégémonie impérialiste dominante est la réalité et le rapport de forces est chaque fois plus accentué par une accumulation démesurée. Le dirigisme se réalise à travers une très petite partie de la population soit entre un système soit entre l’autre.
I.1. Le dirigisme des élites économiques
21Le pouvoir économique a toujours été placé dans une structure économique. Le mouvement actuel des courants politiques, basés sur les secteurs économiques, consiste à s’appuyer de plus en plus sur les secteurs tertiaires et quaternaires. À cet égard, un système économique n’est qu’une subdivision particulière de l’ordre politique parce que la structure économique est la ressortissante d’un ordre établi de la société de production et que par rapport à la science, l’économie est une science des moyens et non une science des fins.
22Comme moyen, l’économie est subordonnée à la politique et à la morale dans l’organisation sociétale sans pour autant en être séparée, et tout en faisant même partie des mouvements endogènes des secteurs économiques, Lucien Sfez confirme en disant : « l’économique est une conséquence, ou un complément de la politique, et elle la double en quelque sorte »7.
23Le mouvement endogène de l’économie, à partir du centre vers la périphérie, confirme l’existence et l’origine du secteur quaternaire dans le commandement des activités économiques (voir figure 3).
Figure 3 : Schéma du mouvement endogène du pouvoir

24D’abord, dans la prépondérance du secteur primaire de jadis, il existait déjà un commandement ainsi qu’une structure qui appartenaient au quatrième secteur.
25Si la division était faible au début, au point de ne pas former un secteur distinct, certains éléments appartenaient cependant déjà à ce secteur.
26Le domaine du secteur primaire est millénaire. Le pouvoir résidait sur la force foncière et le seigneur féodal était le roi de son domaine. La réunion de ces seigneurs formait le royaume des réminiscences existent encore aujourd’hui.
27Les pays encore placés sous la force politique d’une structure agricole sont des pays sous-développés. L’instabilité politique de ces pays est plus poussée en raison des forces internes qui veulent rompre le cercle du secteur primaire pour aboutir au secteur secondaire. Les conséquences sociales de cette lutte interne, jointe à une main-d’œuvre sans occupation dans laquelle domine le sous-emploi, créent de grands troubles politiques et sociaux.
28La révolution industrielle est encore lointaine par rapport à l’utilisation d’une technologie de production mais très proche par rapport au système du gouvernement. Les effets de la prise de pouvoir au début du XXe siècle sont encore un phénomène récent. L’entre-deux-guerres 1918/1939 a apporté toute une influence industrielle au pouvoir politique. L’Allemagne d’Hitler est un exemple très caractéristique d’un pouvoir basé sur le secteur industriel. Les États-Unis représentent l’exemple le plus classique.
29« Dans la plupart des pays, le secteur des entreprises privées a été le principal acteur du processus d’innovation. Dans les domaines où la technologie joue un rôle prépondérant, ce sont les gouvernements qui ont fourni les débouchés »8.
30L’aspect économique de l’utilisation de l’industrie par ces gouvernements, ressortissant de la force industrielle, a été la guerre avec ses effets génocides qui se prolongent, à l’époque actuelle.
31Dans les pays en voie de développement, où la domination des puissances étrangères surveille la prise du pouvoir par une classe sociale ressortissant du secteur industriel, la force de ce dernier joue encore un rôle très fort.
32Les pays où la maîtrise du progrès technologique s’affirme, par excellence, comme la politique sociale de l’avenir, ont dépassé le secteur tertiaire et s’avancent vers le secteur quaternaire. Le nombre des pays qui ont maîtrisé le secteur secondaire est relativement important mais ils luttent encore pour arriver au quatrième secteur.
33Néanmoins, ceux qui sont dans le tertiaire ont dominé le secteur production et se trouvent dans le secteur services tout en cherchant une place, très vite, dans le secteur conception.
I.1.1. Composition du pouvoir par les élites économiques
34Les relations entre « le capital et le pouvoir » font appel à l’évolution de l’homme par rapport au milieu naturel. Quand la rareté de la race humaine et l’abondance des règnes animal, végétal et minéral ne mettaient pas en péril la perpétuation de l’homme, les rapports économiques n’existaient pas. L’offre était incommensurable ainsi que le continuum de perpétuation qui était naturel et ne posait pas de problèmes.
35Le passage de l’abondance à l’effort d’appropriation a donné naissance à l’organisation de la société. Au début, la loi du plus fort physiquement l’emportait mais peu à peu nous sommes arrivés à celle de l’intelligence organisée.
36En substituant les bonds aux pas dans l’évolution de l’humanité, nous abordons aujourd’hui l’ère du quaternaire et nous pouvons faire appel à la définition des rapports capital et pouvoir de Galbraith pour déterminer l’évolution : « Il s’agit de savoir qui, dans le nouveau système industrie, détient le pouvoir. Jusqu’à une époque récente, celui-ci appartenait au capital et, auparavant encore, il avait été le fait du possesseur de la terre. Désormais, c’est ’l’intelligence organisée’ qui le détient »9.
37Dans notre classification et notre division du monde en organisés, organisateurs et désorganisés, le possesseur de la terre n’a pas cessé de détenir le pouvoir. Le nombre des désorganisés est plus grand que celui des organisateurs et des organisés réunis, et en conséquence, le pouvoir de ceux-ci est originaire de la terre car, loin de dissocier la terre et le pouvoir, ils soumettent les deux tiers de l’humanité à la tyrannie de survivre.
38Le départ donné par l’intelligence organisée peut continuer à creuser le fossé entre le bien-être et la « mauvaise fortune » puisque « la superstition de notre époque consiste à croire que les diplômes ont une vertu en soi et que le profane est inapte du fait qu’il n’en a pas. C’est un nouveau genre de stratification sociale ; il y a maintenant les diplômés et les non diplômés comme il y avait, dans le temps, ceux qui possédaient des terres et ceux qui n’en avaient pas ; on arrive exactement au même point à partir d’une discrimination tout aussi injuste, tout aussi immorale et tout aussi arbitraire »10.
39Ici se confirme la thèse Cranston quand il dit : « Je ne suis pas un égalitariste mais un élitiste convaincu ».
40Il faut se demander où sont les élites économiques qui maîtrisent non seulement leur milieu mais le monde politique et qui transforment des royaumes en empires économiques sous le signe du progrès.
41Les désorganisés qui vivent encore sous le signe du secteur primaire ne veulent pas déplacer le pouvoir de la terre à la transformation de son produit, autrement dit au secteur industriel. L’esclavage de la jouissance de la terre ne demande pas de diplômés, faisant de la domination économique la domination politique.
42Les organisés vivent dans le cycle de transformation mais ils ont souffert des changements subis en perdant le pouvoir de décision du secteur secondaire pour un déplacement direct vers l’intelligence organisée.
43Ces transformations sont récentes, elles se sont produites depuis les années 50. Le phénomène ne cesse de se dégrader sous le signe de la compétitivité. Les entreprises familiales se sont transformées peu à peu en sociétés anonymes, puis en empires multinationaux. Le détenteur du pouvoir précédent que l’on pouvait localiser et déterminer est passé au stade de l’anonymat, où le commandement ne connaît plus de frontières et se transforme en État souverain.
44Malgré cet anonymat, on reste encore sous la domination du pouvoir économique et, en conséquence, les intérêts du pouvoir sont également sous la domination économique.
45Le problème qui se pose est la souveraineté des organisateurs qui utilisent ces entreprises multinationales et constituent le groupe de l’intelligence organisée dominant tous les secteurs économiques en aval par la production et en amont par l’utilisation de ces instruments pour se maintenir au pouvoir.
I.1.2. La pression économique sur le pouvoir politique
46La complexité du pouvoir politique et de la pression économique remonte aux origines de l’État souverain des capitaux périphériques. Le pouvoir industriel, déplacé par l’anonymat de l’intelligence organisée, ne connaît plus de frontières géographiques et se transforme en omniprésence organisée. La supranationalité de cette intelligence organisée fait la guerre et la paix dans le monde.
47Pour illustrer cette période avec un cas concret, prenons comme exemple la guerre du Kippour de 1973. Les origines de cette guerre sont les menaces économiques à la suprématie de l’organisateur.
48La concurrence internationale dans ce domaine se faisait sentir par l’arrivée du Japon et de l’Europe communautaire sur la scène internationale des échanges. La crise du système monétaire ainsi que l’affaiblissement du dollar étaient des symptômes ; c’est alors, dans ce décor ainsi présenté, que fut préparée la guerre du Proche-Orient... Ici un double procédé se présenta comme cause et effet. La guerre comme cause et comme effet aux yeux des spectateurs du monde qui, eux, fixèrent leur attention sur celle-ci sans pour autant remarquer quoi que ce soit.
49La guerre a été l’effet de la crise monétaire internationale. Elle a été la cause de la crise du pétrole.
50Pour déplacer la crise monétaire du tableau des échanges, il fallait affaiblir l’économie japonaise qui ne cessait de croître ainsi que le Marché Commun européen.
51Le point faible de l’économie européenne n’était pas dû à l’embargo de vente du soja nord-américain mais les États-Unis avaient des motivations plus profondes et étaient capables de soumettre l’Europe pendant 15 à 20 ans aux mains des organisateurs ; nous disons « l’Europe » parce que, pris séparément, les pays européens ne représentent pas une force, dépendant à raison de 80 % de l’énergie du pétrole. Par contre, on sait très bien que si les organisateurs dépendent seulement de 10 % du pétrole de l’extérieur, ils peuvent combler ce besoin d’ici quelques années en exploitant leurs ressources considérées jusqu’à présent comme non rentables.
52Il fallait alors faire la guerre pour déclencher la crise du pétrole et ensuite il fallait faire la paix pour soumettre les affaiblis aux mains des organisateurs, en convoquant à Washington une réunion des plus grands consommateurs de pétrole.
53Mais les organisés, c’est-à-dire l’Europe au premier rang, s’aperçurent qu’ils étaient tenus à l’écart des décisions internationales et en plus que leur économie s’affaiblissait en progression géométrique. L’Europe a vu, mais trop tard, qu’elle avait été dominée par les organisateurs et qu’il fallait dire non pour s’imposer. Malheureusement, sans regarder plus loin et s’enfermant dans l’égoïsme national, en réalisant quelques accords bilatéraux, elle a jugé qu’elle était capable de sortir de la crise du pétrole et qu’elle pouvait dire non aux organisateurs sans pour autant se soucier du fait que ces derniers n’avaient qu’un but : affaiblir l’Europe. La communauté est restée en désaccord et a fait ainsi le jeu des organisateurs.
54La première erreur grave a été de se rendre vulnérable mais la deuxième in res adversa, qui consiste à détruire la force de l’Union, sera une erreur impardonnable et replacera l’Europe dans une position de marche arrière. Refaire le chemin perdu exigera plus d’efforts parce que la méfiance des uns vis-à-vis des autres suscitera des sentiments nationalistes qui sont des facteurs belligènes.
55D’autre part, les producteurs de pétrole se sont présentés sur la scène internationale comme les vainqueurs, imposant leur pétrole à des prix très élevés. Il y a toutes les raisons de croire que le tiers-monde se réveillera mais le plus grave c’est que les pays arabes ont conscience qu’ils ont été les meneurs du jeu sans pour autant s’inquiéter de savoir qui a été l’intelligence organisée.
56Après avoir reçu ce coup de force en milliers de dollars, ces pays producteurs n’ont pas été préparés pour en tirer profit. Le résultat se fait déjà sentir car des pays organisés habitués à la rapinerie se sont présentés sur le marché pour vendre. Mais vendre quoi ? Ce dont ils ont besoin ? Non, mais plutôt des produits de haute technologie et de luxe comme la télévision en couleur, des Mirage et des Phantom, etc.
57Alors on se demande ce que feront ces pays, quand les ressources pétrolières seront épuisées et que le désert de sable blanc qui a été transformé en oasis noire ne reprendra pas sa couleur d’origine.
58Voilà le tableau noir du monde sous-développé qui, à cause d’une intelligence organisée sur place, continuera à être le tiers-monde regardant la télévision en couleur dans les sables noirs du désert lorsque même le mirage, c’est-à-dire la réflexion du soleil sur le sable, aura été détruit parce que le désert aura été sali.
I.2. Le dirigisme par les conceptuels
59Les théories de développement préconisent, en règle générale, le passage des pays sous-développés aux pays développés avec une cadence dans le temps, pas à pas, en progression arithmétique. Mais avec l’intercommunicabilité du monde et avec l’universalisation des connaissances, on peut avancer en progression géométrique.
60L’instrument du développement pour aboutir à un pas de progrès, à un rythme de progression géométrique, c’est le quatrième secteur.
61« Lorsque la stabilité de l’équilibre social est compromise, on peut parfois avoir l’impression que toute l’innovation désirable n’apparaît pas spontanément quand on en a besoin : l’aspect aléatoire du technique semble menacer tout le milieu social et naturel de l’homme »11.
62Les instruments du développement sont à coordonner par un pouvoir dont la mission est de déterminer le pouvoir de conception ; ils doivent enfin être traduits par une planification à long terme. Ainsi, il est de plus en plus patent que le domaine de la politique est de se superposer à l’organisation de la société et de prévoir son avenir.
63Les adaptations de la société ne sont pas faites par des lois techniques ou économiques mais doivent être subordonnées au pouvoir politique.
64Arnold Toynbee a fort bien dit : « s’il faut diviser le monde en époques, nous avons déjà passé l’époque d’avant la technique et l’époque de la technique et maintenant nous sommes dans le monde de l’organisation »12 et on peut ajouter que l’organisation commande le développement.
65Le dirigisme par les conceptuels conduit encore aux règles de la technonature appelée « manipulation des forces naturelles » sous l’horizon des décisions politiques qui définit désormais la situation des scientifiques dans la société. Mais pour éviter la subordination des intérêts au pouvoir sociétal, il faut faire coïncider l’espace des conceptuels avec l’espace politique. Définie également par Salomon : « La technonature est l’espace dans lequel les intérêts et les attitudes des scientifiques sont inéluctablement liés au pouvoir, à la fois responsables de ses besoins et tributaires de ses objectifs »13.
66La dichotomie entre les scientifiques et le pouvoir politique réside dans le fait que ceux-ci informent la décision politique et ne la forment pas. En conséquence, ce qui nous intéresse dans cette analyse du pouvoir est de savoir comment on va au pouvoir et non comment va le pouvoir. Le processus pour arriver au pouvoir n’est établi par aucune règle scientifique parce qu’il est toujours le résultat d’une action et non l’origine. Comme résultat, le processus est une addition du passé produit au présent, sans transfert dans le futur mais « les besoins de la science provoquent l’intervention du pouvoir et les conséquences de la science l’institutionnalisent »14.
67L’insertion du scientifique dans la vie politique de l’État doit se produire au moment où les besoins de la science provoquent l’intervention du pouvoir.
68Dans les sociétés anciennes, le pouvoir reposait sur la force des hommes plus que sur la force des armes où les philosophes n’avaient pas leur place. Aujourd’hui que le pouvoir repose sur la force des armes, les scientifiques qui les produisent y sont admis. Le défi lancé aux scientifiques est de savoir profiter des occasions qui se présentent pour participer aux décisions sans pour autant faire acte de propriété.
69L’intelligence organisée n’est pas visible dans le théâtre des opérations, parce qu’elle se produit dans les coulisses du pouvoir engagé. Alors, le seuil à franchir par les scientifiques dans le processus de décision doit transposer le niveau d’information pour aller au point d’inflexion de la prise de décision.
I.2.1. L’intervention étatique
70La présence de l’État dissimule un ordre que personne n’a voulu mais qui s’impose comme la garantie de tous dans le respect de l’individualité. Les phases de l’interventionnisme étatique demeurent encore une complexité dans le monde à l’aube du XXIe siècle. Le passage de l’État libéral et primitif à l’étatisation, sans faire acte de propriétaire, pose des problèmes idéologiques de partage du monde. Ainsi les organisateurs dominants, venant au premier rang, auront sous leurs ordres les organisés et les désorganisés et ne cesseront pas d’être présents au partage des miettes du pouvoir que les organisés préservent jalousement des désorganisés.
71Les phases de l’interventionnisme étatique sont ainsi présentées :
- maintien de l’ordre et régularisation normative ;
- production de services et de biens ;
- macro-planification.
a. Le maintien de l’ordre et la régularisation normative
72Ils constituent le premier pas de l’organisation étatique. Cette étape varie dans le temps, c’est-à-dire dans l’échelle des zones d’organisation, elle constitue la zone des désorganisés. Le maintien de l’ordre interne est le premier pas vers la construction d’une Nation.
73La régularisation normative qui est la suite de l’organisation interne comporte des règles minimums à observer non pas dans la prise du pouvoir mais dans les moyens de la conserver. Ainsi, les premiers pas vers la prise du pouvoir et les moyens de le conserver forment le binôme capable d’exiger de la communauté internationale la reconnaissance de l’indépendance politique sans pour autant avoir l’indépendance économique.
74Dans cette perspective, la hiérarchie entre la lutte pour le pouvoir et la gestion se trouve inversée. « L’important n’est plus de prendre le pouvoir, c’est de l’exercer. À quoi bon se battre pour s’en emparer puisque, quel que soit le vainqueur de la compétition, il lui faudra, s’il entend remplir correctement sa fonction, se plier aux exigences rationnelles incluses dans l’être social. En revanche, la gestion est promue au niveau supérieur car c’est d’elle que dépend finalement la prospérité du groupe. La politique doit en assumer la responsabilité car l’ordre social nouveau est si complexe, les activités y sont tellement imbriquées que seules peuvent garantir son évolution favorable des décisions fondées sur une considération globale des intérêts de la communauté »15.
b. La production des services et des biens
75L’inauguration du véritable interventionnisme au sens propre du terme se produit au moment où l’État commença à produire des biens et des services, le plus important étant la production de services. L’époque des années trente est un exemple classique de l’interventionnisme étatique. L’incapacité financière, et même administrative, dans l’investissement à long terme du secteur privé fait appel au pouvoir public comme agent financier et gestionnaire.
76Ce comportement du secteur privé dans l’investissement est normal puisqu’il n’est pas possible d’étaler le revenu du capital investi sur deux ou même trois générations, étant donné la durée de vie de l’être humain. Par contre, la pérennité de l’État demande que soient faites non seulement des prévisions à long terme, mais encore des investissements qui pourront se compléter dans l’espace, sur deux ou trois générations.
77Même si l’interventionnisme étatique du type de celui du XXe siècle est un phénomène récent, il peut nous aider à montrer le passage du monde des dimensions familiales des royaumes au monde de la science et de la technologie d’aujourd’hui, de la civilisation de l’universel où le ciel et la mer font partie de la terre,
78Au début de l’interventionnisme étatique, il était normal que le monde ne soit pas encore arrivé à atteindre le sommet de « l’organisateur » et qu’il existât seulement des organisés.
79Organisés parce qu’ils ne dominaient que le monde limité de l’espace territorial de la nation. Les incursions économiques, militaires ne se faisaient qu’au cours d’événements historiques. La continuité de la domination était absente dans ce monde du XXe siècle, faute non seulement de moyens de communication, mais aussi d’une intelligence organisée qui est le produit du monde à l’aube du XXIe siècle.
c. La macro-planification est dans notre étude
80Dans la zone de l’organisateur, où l’espace est vaste, le temps illimité, le rythme des activités est accéléré. Dans ce continuum illimité de la nature, le discontinuum de l’interventionnisme étatisant prend sa place et « dans la mesure où les connaissances seront devenues le véritable ‘étalon’ du statut social, la fusion entre la connaissance et la compétence tendra à être quasi totale »16. Alors le rythme rapide auquel les connaissances tomberont en désuétude remettra sans cesse en question tout le savoir de l’individu et continuera à creuser le gap entre l’élite des sociétés avancées et celles dont le développement est en retard.
81Ce binôme science et pouvoir définit l’organisateur à partir de l’élitisme conquis par la symbiose des détenteurs du pouvoir et des scientifiques. Cette identité n’est pas le résultat mais le long cheminement voulu et parcouru d’une façon rationnelle grâce à une volonté déterminée de l’organisateur.
82En ce qui concerne les pays sous-développés ou en voie de développement, les étapes du développement dans lesquelles Rostow conditionne les nations à suivre à égalité le chemin du développement, peuvent être bouleversées selon les facteurs de l’information, l’enseignement, la science et la technologie et les expériences déjà acquises par d’autres nations.
83Pour moduler l’innovation selon les besoins, il faut une pléiade de chercheurs et surtout de scientifiques sociaux pour analyser les applications suivies dans le monde et corriger les effets indésirables. L’application de toute une nouvelle technologie, déjà testée par des nations avancées avec des dépenses énormes faites pour les essais, peut faire économiser ces essais au pays qui adopte cette technologie. Même en payant des droits d’utilisation le coût sera toujours moindre que les essais d’une nouvelle technologie à appliquer.
84Ces adaptations nécessaires de la science et de la technologie sont placées sous la responsabilité d’une élite appartenant déjà au quatrième secteur. Comment déplacer les décisions du pouvoir économique pour les transmettre aux mains des conceptuels fera l’objet du chapitre suivant.
II. Déplacement du centre des décisions du pouvoir économique au pouvoir scientifique
85Le déplacement du centre des décisions est une phase naturelle et nécessaire puisque le passage d’une civilisation de consommation à une civilisation de création doit être le comportement naturel du secteur quaternaire.
86« Les sociétés postindustrielles auront une main-d’œuvre quaternaire de 20 % à 26 % où les activités scientifiques et techniques constitueront le secteur pilote et exerceront par conséquent une influence décisive sur tous les autres secteurs »17.
87La maîtrise du pouvoir politique qui est passée du primaire au secondaire, détenue maintenant par le tertiaire, se déplace très rapidement vers le quaternaire, formant l’intelligence organisée. Nous remarquons qu’il existe dans le monde des niveaux différents du maintien du pouvoir. Les désorganisés sont encore au niveau du primaire mais, par contre, les développés ou en voie de développement qui constituent les organisés, appartiennent au secteur secondaire. Par contre, les organisateurs, au nombre réduit puisqu’ils ne comprennent que les États-Unis, l’Union Européenne et partiellement la Russie aujourd’hui, sont au stade du quaternaire.
88Du fait que « la conscience du savoir s’identifie à la conscience du pouvoir, en conséquence le pouvoir doit rendre son espace illimité devant l’impossibilité de prolonger son temps »18.
89C’est ainsi que l’espace de la science qui, grâce aux moyens de communication, rend le temps simultané dans l’action des prises de décisions avec des répercussions et des rebondissements prolongés dans l’espace et actualisés dans le temps, devient alors illimité : « la science est par nature universelle : les vérités que poursuivent les scientifiques ne sont pas des vérités nationales ; elles sont les mêmes partout, ce qui leur permet d’être unanimement reconnues »19
90L’universalisation des connaissances adaptées aux réalités locales par la civilisation quaternaire pourra être le seul instrument capable de combler les gaps existants déjà entre les organisateurs, les organisés et les désorganisés.
91La confirmation de cette utilisation est donnée par la science, source du pouvoir, puisque « Le progrès de la connaissance, envisagé comme un bien en soi, n’est pas séparable des conséquences qu’elle entraîne ni de l’utilisation à laquelle donnent lieu ses résultats »20.
92Le prodigieux développement des activités quaternaires n’entraîne pas lui-même la prise du pouvoir mais il en résulte, de plus en plus, que l’activité économique a des objectifs de puissance non plus privés mais publics. Alors ces objectifs commandés par l’intelligence organisée avec la prédominance du public sur le privé fournira aux pays désorganisés et même aux organisés des possibilités leur permettant d’atteindre le sommet de la hiérarchie du bien-être.
93La primauté du quaternaire, transposée au domaine social et intellectuel, sera sans doute accusée d’élitisme mais, en passant du domaine économique pur au domaine étatisant, l’accès à ce stade sera seulement plus démocratique car « l’égalitarisme trahit en fait l’égalité puisque, du moment qu’il traite ceux qui sont différents comme égaux, il agit inégalement »21.
94Inégalité entre les secteurs, inégalité de participation avec l’effort perpétuel de combler les différences, le quaternaire, à travers l’État, devrait être l’élément de déséquilibre dans la recherche de l’équilibre du bien-être.
II.1. Le pouvoir scientifique
95Les stades de l’évolution sociale de l’âge contemporain avec le type de pouvoir de domination économique et du type de production dominante secondaire et tertiaire commencent à présenter des signes avant-coureurs de leur réussite dans les pays organisateurs, c’est-à-dire les pays développés .
96Parler d’une troisième révolution industrielle est méconnaître la réalité actuelle puisqu’aujourd’hui nous sommes prisonniers d’une élite scientifico-technologique, ce qui nous conduit à décrire un peu la révolution scientifique d’un nouvel Âge universel – ou sociétal – avec un type de pouvoir scientifique.
97D’une part, il faut constater que la science fait table rase des connaissances et conduit la révolution scientifique à rapprocher les secteurs publics et privés, récemment encore cloîtrés chacun dans leur monde.
98Le rapprochement secteur public et privé montre l’anonymat de la science et la science de l’organisation du monde construit en systèmes et sous-systèmes.
99D’autre part, la révolution scientifique apporte un nouvel ordre de complexité dans l’administration des affaires publiques où l’écosystème terrestre est presque à la dérive et auquel il faut donner une nouvelle orientation.
100L’effacement des frontières entre les sciences et entre gouvernement et institutions privées conduit à la progression de l’universalisation des connaissances et exige plus d’esprit scientifique dans la conduite des intérêts collectifs.
101Le processus de socialisation, sans faire acte de propriétaire, est rendu possible par l’usage de la science qui est anonyme.
102Les formes de gouvernement sont ainsi déjà vues par Price : « le monde intellectuel, en général, est tenté de croire que l’homme moderne fait face à un dilemme politique et qu’il est obligé de choisir entre deux formes de gouvernement autoritaires qui ont pris la direction de nombreux pays. La première est dirigée par des chefs militaires ou religieux qui affirment des valeurs traditionnelles, la seconde est le type de dictature fondée sur la dialectique matérialiste, professant la science comme foi fondamentale »22.
103Le problème qui se pose est d’ajuster le système constitutionnel de chaque État-Nation à la technologie moderne sans perdre la liberté de pouvoir et de traduire directement en décisions politiques un savoir intellectuel. « La science ne peut contribuer à l’élaboration d’une décision que si l’on a d’abord spécifié un ensemble logique de valeurs et d’objectifs que l’on cherche à atteindre avec le maximum d’efficacité »23.
104L’incidence politique de la science et de la technique est profondément contradictoire puisque « dans la mesure où la puissance de la science et de la technique est non seulement puissance de l’homme mais puissance sur l’homme, la science est médiatrice de domination de l’homme par l’homme »24.
105La science, pour être médiatrice de domination, doit connaître la possibilité d’action de l’ensemble qui est différente de la somme des propriétés de chacun de ses éléments.
106Alors, le pouvoir scientifique, pour pouvoir conduire les sociétés, doit faire acte de connaissance des ensembles des systèmes vivants de l’écosystème terrestre et de leurs rapports mutuels avec les systèmes sociaux. Les relations entre les éléments d’un système ne sont pas causales, elles se font par les rétroactions des éléments entre eux ; la connaissance de tous leurs éléments est donc fondamentale pour comprendre ces réactions.
107La définition du système nous reporte à la décomposition de chaque partie pour essayer de comprendre le tout. Jacques Robin dit25 : « On peut définir un système comme un ensemble d’éléments et les relations existantes entre ces éléments ou encore comme un ensemble d’objets et les relations entre ces objets et entre leurs attributs ». Robin ajoute encore : « Un système ne se comporte pas comme un simple agrégat d’éléments interdépendants, il constitue un ensemble indivisible et cohérent, ce qui fait dire que la totalité représente une des caractéristiques des systèmes ». Considérant que le système constitue un ensemble indivisible et cohérent et que les relations de forces constituent la résultante des actions et interactions des systèmes, nous pouvons seulement imaginer les dimensions du pouvoir sans pour autant lui donner de dimensions dans toutes ses lignes d’action et de répercussion car l’homme n’est pas encore capable d’avoir cette vision globale de l’écosystème terrestre et de ses relations.
108Ce manque de vision globale par l’homme et, d’un autre côté, la vision partielle de certains États-Nations, produit des déséquilibres dans l’écosystème terrestre dont certains profitent et d’autres souffrent et c’est là que s’établit la différence entre pays organisateurs, organisés et désorganisés. L’utilisation de la science et de la technologie par certains peuples a donné et continue à donner la différence de développement et de croissance entre les peuples et les nations.
109Le grand problème est que les plus faibles et désorganisés, n’ayant pas une vision plus large du système ou sous-système, sont dominés par ceux qui ont réussi à mieux s’adapter à l’application de la science et de la technologie. Selon la définition de croissance de Robin26, « la croissance est le résultat de l’effet réciproque entre le fond humain, essentiellement intransformable mais riche de ressources inexploitées et l’environnement total qui évolue continuellement grâce à l’intégration des forces naturelles avec les activités humaines ». Ceci confirme l’existence d’un milieu qui évolue grâce à l’intégration de forces naturelles avec les activités humaines.
110Cette intégration est la capacité d’utilisation de la science et de la technologie dans une vision systématique et c’est ce qui produit les différences entre peuples et nations.
111Un autre élément doit être considéré : c’est la domination des uns par les autres et la conduite à l’erreur sans que cela soit perçu par eux. La propre différence entre croissance et développement montre comment nous pouvons être conduits par l’appât de la croissance sans qu’il y ait développement.
112« La croissance est un processus quantitatif impliquant principalement l’expansion d’une structure de production déjà établie tandis que le développement suggère des changements qualitatifs, de procédures économiques et non économiques »27.
113Les changements qualitatifs sont seulement possibles à travers l’application de la science et de la technologie car le développement prend de l’importance quand nous développons les systèmes vivants, les systèmes écologiques et tout ce qui est créé par l’homme.
114Le pouvoir scientifique, dans ces conditions, a les moyens d’orienter, de créer et de conduire la société au bien-être grâce à l’utilisation de la science et de la technologie.
115De là, la naissance et la prédominance du pouvoir scientifique aux commandes de la société qui entrera dans ce que nous appelons « l’ère universelle » ou « sociétale », c’est-à-dire l’ère où les connaissances scientifiques et techniques seront du domaine public et où les peuples, grâce à leur préparation par l’éducation, auront la capacité de bien les utiliser pour le bénéfice de tous et de chacun.
II.2. La décision quaternaire
116Le secteur quaternaire, caractérisé par l’action de concevoir, de diriger, de contrôler et de transmettre à l’aide de l’environnement scientifique et technique, donne à ces actes une valeur économique ; son activité dominante est la création. L’acte linéaire du processus de décision passe par la conception ; c’est-à-dire qu’il faut d’abord concevoir, délibérer, décider, faire exécuter et communiquer les décisions prises.

117Ces éléments font partie de la définition du secteur quaternaire, ce qui confirme l’activité de décision appartenant au secteur quaternaire, notre proposition initiale. Les extrêmes dans ces conceptions se touchent puisque l’action de concevoir est alimentée par l’action de communiquer et dans ce cas le cercle est fermé par l’intersection de C1 et C2 et la communication prend l’effet d’alimentation. La décision est quaternaire quand la logique du scientifique peut correspondre et se complète par la définition du quaternaire, ajoutant l’élément de la communication comme la transmission des connaissances scientifiques et techniques. D’après Sfez28 « Les théories de la décision présentent deux faces : l’une archaïque qui renvoie à la magie du décideur libre, rationnel et inspiré, capable de changer les parties du monde. L’autre, systémiste, avancée qui insiste sur l’interconnection des sous-systèmes et des problèmes, sur la faible marge de liberté des décideurs, sur la rationalité relative et la multirationalité des comportements ».
118La décision est alors de caractère quaternaire par l’utilisation des connaissances scientifiques et techniques où la rationalité relative et la multirationalité des comportements font partie du caractère et de la caractérisation du quaternaire.
119Au moment où les décisions, pour devenir efficaces, doivent être légitimées en terme de pouvoir et prenant comme référence le déplacement du centre de décisions du pouvoir économique au pouvoir scientifique, on arrive à une nouvelle forme de commandement rationnel et quaternaire qui va établir un nouvel âge déjà appelé « l’Âge universel ».
120D’après Sfez encore, il est prouvé que « le système de décision est devenu de plus en plus planétaire, sans frontière, anonyme, et les décisions sans enracinement culturel, populaire, national, doivent, pour prendre corps, passer par une localisation précise ». Cette localisation n’est plus dans l’État-Union mais dans les organisations transnationales à caractère planétaire qui, par le biais de la science et de la technologie, restent anonymes dans l’espace et dans le temps.
121Les décisions quaternaires sont de caractère universel quand elles peuvent être prises par les organisateurs ou par un groupe d’organisés mais isolées quand elles sont prises par un organisé ou un désorganisé et ne peuvent pas avoir de répercussion planétaire sans être interconnectées dans un plus grand système.
122Les organismes internationaux font partie de ces mécanismes de décisions à niveau planétaire puisque, même avec toute leur bonne foi, les hommes qui composent ces organismes sont, en règle générale, ressortissants des pays développés ou organisateurs.
123S’il reste difficile à un acteur de mesurer son pouvoir, il reste plus difficile encore de mesurer le pouvoir de la décision prise par des acteurs non identifiés des organismes à décision collective où l’anonymat cache la responsabilité.
124« Une décision libre renvoie à une complexité ouverte où les systèmes échangent de l’information »29.
125Dans ces conditions, le pouvoir réside dans la marge de liberté dont dispose chacun des partenaires engagés dans une relation de pouvoir à niveau d’État-Nation ou à niveau d’organisateur, organisé ou désorganisé participant des organismes internationaux.
126La zone d’incertitude des décisions prises par le décideur isolé s’oppose aux décisions prises par la forme collective ou des groupes organisés.
127La décision quaternaire donc, avec les éléments science et technologie présents, conduit à la manipulation de la prévisibilité, donnant à ces actes une valeur de rationalité des connaissances scientifiques et techniques.
Notes de bas de page
1 F. Perroux, Dialogue des monopoles et des nations, Paris, PUF, 1982, p. 328.
2 A. Toffler, A Terceira onda, Rio de Janeiro, Editora Record. 1980.
3 M. Weber. The Theory of social and economic Organisation, New York, The Free Press, 1966, in F. Perroux. Pouvoir et Économie, Paris, Bordas, 1973.
4 F. Perroux, op. cit., p. 36.
5 F. Perroux, op. cit., p. 151.
6 S. Amin. « Développement autocentré », in L’Occident en désarroi, Paris, Dunod, 1978, p. 178.
7 L. Sfez, L’Enfer et le Paradis, Paris, PUF, 1978, p. 103.
8 Science, croissance et société, OCDE, op. cit., p. 82.
9 J.K. Galbraith, Le Nouvel État industriel, in L. Porcher, Paris, Hatier, 1972, p. 9.
10 E. Shils, « Le contrôle social de la technologie », in Survivre au futur, Paris, Mercure de France, 1973, p. 161.
11 Science, croissance et société, OCDE, op. cit., p. 86,
12 J. Ellul, A técnica e o desafîo do século, Rio de Janeiro, Paz e Terra, 1968, p. 10.
13 J.-J. Salomon, Science et Politique, Paris, Le Seuil, 1970, p. 268.
14 Ibid., p. 325.
15 G. Burdeau, l’État, Paris, Le Seuil, 1970, p. 152.
16 F. Hetman, La Maîtrise du futur, op. cit., p. 156.
17 M.S. Adiseshiah, Il est temps de passer à l’action, Paris, UNESCO, 1972, p. 60.
18 E. Rothe, La Conquête de l’espace dans le temps du pouvoir, op. cit., p. 22.
19 J.-J. Salomon, op. cit., p. 315.
20 Ibid., p. 305
21 S. de Madariaga, « Planifier pour être libre », in Prospective et Politique, OCDE. 1959, p. 40.
22 D.K. Price, Science et Pouvoir, Paris, Fayard, 1972, p. 58.
23 Ph. Roqueplo, « Huit thèses sur la signification de la science », in Autocritique de la science, Paris, Le Seuil, 1973, p. 34.
24 D.K. Price, Science et Pouvoir, Paris, Fayard. 1972. p. 128.
25 J. Robin. De la croissance économique au développement humain, Paris, Le Seuil, 1975, p. 74.
26 Ibid., p. 81.
27 Ibid., p. 82.
28 L. Sfez, Décision et Pouvoir dans la société française, Paris, 10/18, 1979, p. 27.
29 L. Sfez, Critique de la décision, Paris, Armand Colin, 1973, p. 272.
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