Conférences de l’École doctorale de Science politique (2001-2003)
|Préface
Texte intégral
1À la lecture de ces conférences, on ne peut manquer d’être frappé par l’hétérogénéité des sous-disciplines de la science politique. S’il y a incontestablement des passerelles, elles sont rares : on salue la naissance de la sociologie des Institutions, chère à Bastien François, et on souhaite son développement. Il y a aussi des exemples de pont entre la sociologie politique et la communication, même si, comme je le crains dans ce cas, il y a une tonne de sociologie politique et un gramme de communication (exemples nombreux de sociologie du journalisme).
2Mais les paradigmes communs à la sociologie politique et aux relations internationales, aux mêmes sous-disciplines et à la communication restent absents. Un exemple parmi d’autres : la notion d’opinion publique internationale existe, mais n’a pas trouvé ses chercheurs interdisciplinaires (même du point de vue des sous-disciplines internes à la science politique).
3Voilà qui éclaire le tableau des diverses contributions ici présentes. Claudine Haroche ne rejoint pas Françoise Dreyfus, et Heinrich Best ne rejoint pas Dominique Schnapper, tandis que William Schonfeld ne rejoint pas Magali Gravier, pour ne citer que les contributions les plus politologiques de ce recueil.
4La perplexité s’accroît lorsqu’on songe aux autres contributions qui sont pourtant fort utiles à la science politique : ni les contributions de Henri Atlan, ni celles de Pascal Durand, d’Alain Supiot ou de Nathan Wachtel ne rejoignent les conférences plus politologiques. Et la science politique paraît plus consister dans une quête, celle du Graal, plutôt que comme une science constituée, fondée sur des méthodes, des objets, des paradigmes communs, ou même seulement voisins. La seule science politique qui existe est celle que font les politologues. « L’être apparaît », disait déjà Hegel. C’est-à-dire que l’existence de l’être est seulement dans son apparaître et non dans une essence réifiée et naturalisée, posée a priori.
5Tout autre discours est un discours de l’essence qui dit : « Il y a une science politique, celle que j’affirme être telle. » Discours de l’essence qui cache un discours instrumental réservé à certains membres des commissions de spécialistes ou du CNU qui sert à inclure ou à exclure. Mais ne confondons pas gestion des carrières, pouvoir dans l’institution et la science politique elle-même. Gestion et pouvoir sur la chose, ne sont pas la chose. Sans quoi il y a vingt ans les politiques publiques ou la communication ne seraient pas devenues sous-disciplines de la science politique. Si les institutions évoluent, elles le font moins vite que la science et pas nécessairement selon les exigences de celle-ci. Banalités sans doute, mais qu’on souhaite rappeler, tant le poids des bureaucraties s’accentue.
6Face à cette situation éclatée et faussement recentrée sur d’anciennes formes, la politique du Directeur de l’École doctorale de Science politique de la Sorbonne se doit d’être pragmatique, ouverte, souple. D’abord n’exclure aucune sous-discipline, ni aucune école à l’intérieur de celles-ci. Ensuite rechercher les thèmes transversaux, en partant toujours d’une sous-discipline particulière mais dont telle ou telle recherche pourrait « parler » à d’autres sous-disciplines. Par exemple, telle conférence sur l’opinion ou sur la violence a été souhaitée comme conférence intéressant l’ensemble des politologues et pas seulement les internationalistes, ou les sociologues politiques.
7Toutes les manifestations de l’École doctorale (colloques et conférences) sont pensées en ce sens et excluent le splendide isolement sous-disciplinaire. Tandis que la présence d’anthropologues, d’historiens, de sociologues, de communicologues, de philosophes va aussi dans ce sens.
- 1 C. Geertz, Savoir local, Savoir global, Paris, PUF, 1998, p. 28.
- 2 Ibidem.
8En somme, contre les classifications bureaucratiques stériles, on invoquera volontiers Clifford Geertz que cite Claudine Haroche. Après avoir observé que les classifications préétablies sont peu pertinentes pour le travail scientifique, il ajoute qu’« il devient difficile aussi bien de cataloguer les auteurs (qu’est-ce qu’est Foucault, historien, philosophe, sociologue, théoricien politique ? qu’en est-il de Thomas Kuhn, historien, philosophe, sociologue du savoir ?) que de classer les œuvres »1. Ce qui innove est difficile à classer, mais plus encore il s’agit ici d’une transformation dans « la façon dont nous pensons la façon de penser »2.
9Et si nous entendions le message de Geertz ? Même à dose homéopathique ? Cela nous demandera quelques efforts, sans doute, de passer de préoccupations administratives et de rivalités de pouvoir aux exigences de la pensée...
© Éditions de la Sorbonne, 2004