Usages et mésusages de l’informatique dans l’enseignement et la recherche en sciences sociales
|Postface. Dix commandements pour réussir une coopération franco-québécoise
Allocution de clôture – mai 1987 –
Résumé
Dix commandements pour réussir et maintenir une coopération inter universitaire franco-québécoise :
1. Susciter des opportunités
2. Chercher les complémentarités scientifiques
3. Constituter une cellule d’initiateurs
4. Ne pas tout attendre des organismes officiels
5. Apprendre à solliciter les subventions
6. Renouveler les thèmes de recherche
7. Renouveler les personnes
8. Chercher les divergences
9. Publier les résultats
10. Ne pas bouder les plaisirs de la coopération.
Texte intégral
1 Ce colloque de mai 1987 marque un anniversaire : c’est, en effet, en mai 1977, voici dix ans, que se sont rencontrés à l’Univesité Paris VII cinq des protagonistes de notre groupe de recherche en Didactique des sciences humaines : Michel Allard et André Lefebvre de Montréal, Josée De Felice, Henri Moniot et moi-même, de Paris. Voici dix années que nous travaillons ensemble, dix années où nous avons associé à notre groupe, épisodiquement ou durablement, près de cinquante chercheurs français et québécois, et publié six ou sept volumes.
2On nous a souvent demandé le secret de notre longévité et si nous détenions des recettes obscures pour parvenir à un tel résultat. Il y aurait beaucoup à dire sur ce chapitre, mais je me limiterai à dix commandements (utiles, peut-être, à d’autres chercheurs) pour réussir une coopération interuniversitaire franco-québécoise :
Ier Commandement : Susciter les occasions et forcer le hasard.
3Lorsque nos pères fondateurs et notre mère fondatrice se sont rencontrés un après-midi de mai 77, nous n’avions ni projet ni obligation d’initier une entreprise commune. Nous avons choisi peu à peu de faire de cette rencontre un début sans bien savoir si nous pouvions réussir. Sans doute en doit-il être toujours ainsi. On ne peut attendre d’une Université ou d’un Ministère qu’ils nous fixent nos objectifs. Il nous faut chercher les idées et les occasions, utiliser une rencontre ou la lecture d’une publication, prendre contact avec un chercheur ou un laboratoire, susciter des projets, et, bien souvent, transformer les hasards en opportunités.
IIème : Chercher les complémentarités créatrices.
4En de multiples domaines (et peut-être en tous...), les Universités québécoises et françaises, les recherches qui se font au Québc et en France, les programmes d’enseignement, ont de subtiles convergences et différences. Tantôt ces complémentarités prennent la forme d’avancée théorique relative, tantôt d’applications plus poussées ici ou là, tantôt de développements liés à des investissements différents, etc.. Plutôt que de chercher des thèmes rigoureusement communs et identiques, recherchons en quoi nous pouvons nous apporter des éclairages différents (dans les mêmes disciplines, bien entendu), des éléments bibliographiques nouveaux, des terrains d’expérimentation inexplorés. Les rencontres des différences peuvent être indéfiniment fécondes.
IIIème : Constituer une cellule de quelques chercheurs résolus
5L’expérience nous montre que, pour commencer une recherche commune, il faut qu’un petit nombre de québécois et qu’un petit nombre de français se rencontrent et s’acharnent. Inutile de compter, au début, sur une légion de volontaires. Il peut se faire que deux personnes suffisent à démarrer une coopération, un français et un québécois, pourvu qu’ils s’entendent parfaitement sur les premiers objectifs et soient l’un et l’autre obstinés à les promouvoir. Et, par delà les premiers pas, il faudra que, de part et d’autre, tous puissent compter sur un petit groupe, un noyau dur, résolu à travailler ensemble et à poursuivre.
IVème : Ne pas tout attendre des organismes subventionnaires.
6Notre groupe de recherche en didactique des sciences humaines a eu, certes, la chance d’obtenir un "Projet intégré" de 1978 à 1980. Mais, dès avant l’obtention de ce soutien, nous avions décidé d’engager nos échanges sans être certains d’en avoir les moyens. Et surtout, à partir du 1er janvier 1981, nous avons décidé (en particulier sous l’impulsion de Michel Allard) de poursuivre nos recherches en cours, nos rencontres et nos publications, sans soutien, sans garantie financière, sans le moindre centime, avec la ferme intention de rechercher de nouvelles sources de financement.
Vème : Savoir sollliciter les subventions.
7Avouons que nos amis du Québec nous devancent bien souvent dans l’art de rechercher les subventions, dans l’acharnement à préparer les dossiers et à découvrir les mannes de financement. Beaucoup d’Universitaires français ont à apprendre en ce domaine. Nous sommes trop souvent sceptiques sur les chances de succès. Or, il y a, au moins actuellement, plus de possibilités qu’on ne le pense généralement. Il faut apprendre à préparer les dossiers, les déposer à la date annoncée, et, mieux, les tenir prêts avant la date limite ; il faut apprendre à patienter, ne pas attendre de réponse rapide... Il faut construire à long terme. Songeons que pour réunir un colloque franco-québécois, par exemple, il faut bien en avoir dessiné les grandes lignes, constitué le comité scientfique, dix huit mois à l’avance.
VIème : Renouveler les sous-thèmes.
8Pour qu’une coopération soit vivante et puisse se poursuivre, il importe que les principaux animateurs en aient une vue prospective en permanence. 1) faut fixer des échéances (que ferons-nous l’année prochaine et dans deux ans ?). Et, au moment même où l’arrête une date, il faut rêver à ce qui s’en suivra. La recherche ne cesse de changer ; dès qu’une étape promet d’être franchie (une publication terminée), il est nécessaire de savoir ce qui sera, ensuite, engagé. Quelles nouvelles questions, quels nouveaux thèmes sont à proposer, à discuter, à choisir ? Une coopération vivante ne cesse de s’imaginer.
VIIème : Renouveler les personnes.
9C’est un reproche parfois fait aux coopérations franco-québécoises que l’on y retrouve trop souvent "les mêmes têtes". Mais il est vrai aussi qu’un renouvellement excessif peut entraîner discontinuité et inefficacité. Problème difficile et qui exige réflexion. Mais on peut fixer comme règle impérative qu’il faut incessamment attirer, dans un groupe de recherche, de nouvelles participations, de jeunes apports provisoires ou durables. C’est la garantie des renouvellements utiles, des rebonds positifs. La coopération ne doit, en aucun cas, devenir une chasse gardée.
VIIIème : Exploiter nos différences.
10Nous avons, entre chercheurs français et québécois, tant d’accords et d’affinités que nous pouvons aller jusqu’au bout de nos différences. Et ce sont précisément ces différences, ces divergences, qui sont sources de nos échanges et de nos heureuses disputes. Nous avons la chance exceptionnelle de pouvoir créer des espaces de rencontre entre le vieux Continent originaire et le jeune Continent, et ceux qui ont approfondi ces relations savent quelles originalités incessantes s’y révèlent. Nous avons là une chance exceptionnele : celle d’être suffisamment cousins pour exploiter amicalement toutes nos originalités réciproques.
IXème : Publie
11Cet impératif est sans doute évident ; il a néanmoins été parfois négligé. Or nos publications communes sont des buts incitatifs, des stimulants à nos échanges, des étapes aussi à partir desquelles nous sommes incités à poursuivre. En même temps, ces publications scientifiques sont le témoignage objectif du travail accompli, la preuve que les moyens attribués ne l’ont pas été en vain. De plus ces publications nous donnent l’occasion de créer des lieux de diffusion différents et de toucher des lecteurs inattendus. Ce type de publications à caractère international a une fécondité particulière dont les conséquences positives sont multiples (internationalisation, défense de la francophonie scientifique...).
Xème Commandement : Apprécier les plaisirs de la coopération.
12Est-il besoin d’ajouter qu’il y a, dans ces coopérations entre universitaires québécois et français, un "climat", un intérêt, une amitié incomparable et bien compréhensible. La France est, pour nos amis du Québec, la terre des racines et, pour nous, le Québec est l’image d’un grand départ merveilleusement réussi. Toute cette histoire longue accompagne nos dialogues. Il nous suffit, en quelque sorte, de nous laisser porter par cette histoire pour vivre les joies des amitiés et des retrouvailles. Mais rien ne nous interdit d’y ajouter de notre cru, de mettre en commun nos talents pour organiser nos festivités collectives. Et c’est ce que nous tentons de faire ce soir, en ce beau jour de mai qui clôt notre colloque.
13Nous nous disons donc : à demain, pour de nouvelles entreprises.
© Éditions de la Sorbonne, 1998