1L’histoire de l’aviation civile durant ces dernières années fut riche en évènements :

2l’augmentation spectaculaire du trafic dans les années 80 a donné une nouvelle impulsion au système aéronautique en même temps qu’elle l’a sans doute déstabilisé, créant de nouvelles tensions entre l’air et le sol. La construction européenne et la déréglementation du trafic aérien conduisent les compagnies aériennes à se repositionner de manière parfois douloureuse.

3Les progrès de l’électronique puis la diffusion des technologies informatiques ont favorisé l’émergence de nouveaux standards, le concept de glass-cockpit (cockpit de verre ou poste de pilotage à écrans cathodiques) permet aujourd’hui de désigner une nouvelle génération d’avions dotés de formes avancées d’automatisation (de la gestion des systèmes de bord et de navigation). L’évolution, même si elle a été progressive, ne peut manquer de susciter des questions importantes qui débordent souvent le cadre même de l’aéronautique, c’est pourquoi ce domaine nous paraît si riche d’enseignement. Cette évolution technique s’est déroulée sur fond de rivalité industrielle et économique notamment entre Boeing et Airbus Industrie, cette dernière prenant une position de challenger par rapport à la toute puissante firme américaine. Une partie de la rivalité s’est d’ailleurs jouée et se joue sans doute encore sur le terrain même de l’innovation technique.

4Les enjeux sont donc bien sûr économiques et industriels, mais n’oublions pas qu’ils sont aussi sécuritaires, et ce dernier point constitue une des grandes spécificités du milieu étudié : la pression sécuritaire imprègne le système dans ses moindres détails.

5Dans ce contexte, la démarche sociologique offre d’une part les moyens d’une description fine des pratiques et des représentations, et d’autre part des clés d’interprétation du sens que les acteurs donnent à leur conduite. Le regard sociologique est un regard global sur l’homme qu’il tente d’analyser sans le décontextualiser.

6Notre rapport de 1990 soulignait un certain nombre de point.

7L’automatisation, préoccupation présente dès les débuts de l’aviation civile, a connu des avancées et des pauses (plutôt qu’une progression linéaire) dans le cockpit ; et aujourd’hui, sur le chemin d’une éventuelle automatisation plus poussée, apparaît une question essentielle : celle du réaménagement du couple homme/machine "intelligente".

8Une appropriation individuelle et sociale par les usagers reste indispensable, même dans le cas des professions et techniques les plus pointues, et cette appropriation doit être pensée dès la conception des nouveaux outils.

9Les disparités d’évolution et de perception entre l’air et le sol provoquent parfois de vives tensions dans ce que nous appelons le macro-système technique de l’aviation civile, et la prospective d’ensemble doit tenir compte de ces tensions.

10Dans la perspective de ces premiers résultats, nous avons tenté, au travers des observations réalisées en cockpit, des entretiens libres effectués avec les pilotes et des réponses à l’enquête par questionnaire, d’éclairer un certain nombres de questions :

• mettre à jour la perception des automatismes par le milieu ;

• faire apparaître les réappropriations typiques de l’objet technique avion ;

• étudier les conséquences éventuelles de l’informatisation sur l’acquisition du savoir-faire ;

• comparer en fonction des types de machine, des compagnies et éventuellement des cultures nationales (différentes études ont été faites aux Etats-Unis par E. Wiener et d’autres en Grande-Bretagne par R. Green ; elles se sont faites sur des bases assez disparates mais restent des points de comparaison intéressants) ;

• analyser les rapports spécifiques que la population des pilotes de ligne entretient avec d’autres groupes du macro-système : les ingénieurs de conception, les contrôleurs aériens.

11Si nous avons pu constater, comme d’autres, que la nouvelle génération d’avions de lignes (dont l’A-320 est l’emblème mais il n’est pas seul) transforme, modifie en profondeur certains aspects du métier et du travail du pilote, la question qui se posait était de comprendre : qu’est-ce qui change, quel est le sens de ce changement et quelles en sont les conséquences ? Notre réflexion s’est donc orientée dans trois directions.

12La relation homme-machine : connaît des changements de forme (support du dialogue et présentation de l’information) et des changements de fond (nature de l’information échangée, idée de partage, fusion, de co-gestion avec la machine), les frontières semblent plus floues. Il apparaît de plus en plus pertinent, au regard du contexte actuel, d’entrer dans le détail de ces questions qui soulèvent des enjeux essentiels.

13Les conséquences sur l’équipage : les hommes entre eux et face à la machine. En quoi la coordination de l’équipage est-elle modifiée par l’introduction des automatismes à bord des avions ? Comment le collectif réagit-il face au système technique ?

14Le rapport au macro-système et aux autres acteurs du milieu : le contrôle, la régulation et le processus de conception.

15Les 80 questions du questionnaire s’attachent à creuser ces trois grandes têtes de chapitre.

1 -2 – Méthodologie

1-2-1 – Les étapes de la construction du questionnaire

16Une analyse de contenu de ces données a permis de dégager, de mettre en évidence les thèmes à creuser ; il y a donc eu une élaboration des mots clés, des concepts qui allaient constituer des indicateurs pertinents.

17La rédaction des questions était la phase suivante : souci de clarté de la formulation, de précision dans le choix des mots utilisés... ; organisation de l’ordre dans lequel les questions ont été posées.

18L’étape du test était importante, car elle a permis de vérifier la validité des questions du point de vue de leur formulation. Le test conduisait également à se faire une idée de la façon dont la population pouvait réagir globalement au questionnement (intérêt, rejet à propos de certaines questions) :

• analyse de 20 tests retournés (sur 30 distribués) ;

• toutes les compagnies concernées ont participé au test ;

• toutes les divisions/secteurs, c’est-à-dire les différents types d’avions retenus dans la typologie ont été testés.

19La population du test est plutôt masculine, entre 45 et 55 ans, plutôt expérimentée (souvent plus de 10 000 heures de vol), tous commandants de bord (sauf un) ayant reçu pour moitié une formation militaire et pour l’autre moitié une formation civile, ayant largement plus de 15 ans d’ancienneté dans la même compagnie, faisant plutôt partie de l’encadrement et de l’instruction.

20Les résultats de l’analyse des questionnaires tests ont montré :

• une bonne perception du questionnement qui semble cohérent pour tous les types d’avions retenus pour l’enquête ;

• une bonne qualité de variation des réponses : la plupart du temps tous les items proposés sont cités au moins une fois.

21La passation : questionnaire auto-administré, anonyme et confidentiel, placé dans les casiers des pilotes. Le dépôt des questionnaires dans les casiers des pilotes s’est effectué entre fin février et fin juin 1993 selon les compagnies. Dans la très grande majorité des cas, les chefs de division ou de secteur ont manifesté leur intérêt, soutenu l’organisation matérielle et engagé, dans une petite lettre, les pilotes de leur division de vol à répondre au questionnaire.

22Le retour des questionnaires, sous enveloppe confidentielle, a débuté courant mars. Le mode de retour des enveloppes s’est effectué de deux manières : directement à l’IRIS-CNRS et par dépôt dans une "boîte aux lettres" prévue à cet effet près des casiers des pilotes, cette boîte étant relevée régulièrement par nos soins.

23Codage et saisie ont été effectué principalement dans le courant du mois de juillet 1993 ; l’exploitation informatique a pu démarrer en octobre.

24L’analyse des résultats se poursuit au -delà de la publication du présent rapport.

1 -2-2 – Caractère comparatif du questionnaire

25* avec le futur questionnaire contrôleur élaboré dans la même problématique,

26* avec d’autres enquêtes :

• Le questionnaire sur l’imaginaire et les représentations de l’évolution technologique chez les pilotes de ligne. Etude comparative France Brésil Suède Allemagne réalisée en 1989 par Alain GRAS1.

• Le questionnaire de l’IAM (Institute of Aviation Medicine de la Royal Air Force) réalisé en Grande-Bretagne courant 1990 par R. Green et son équipe portant sur les attitudes des pilotes de l’aviation commerciale face à l’automatisation des cockpits. Ce questionnaire britannique s’inspire lui- même largement des travaux de Wiener aux Etats-Unis2.

• Les enquêtes réalisées par E. Wiener et son équipe dans le cadre du LOFT (Line Oriented Flight Training)3.

27Un certain nombre de questions sont communes ou symétriques.

28* Comparaison interculturelle (à envisager dans le futur).

1 -2-3 – Quelques remarques générales

29La formulation des questions et des items de réponse émane directement de l’analyse des entretiens et reprend le plus souvent possible le vocabulaire et les formulations utilisés par les pilotes eux-mêmes.

30Les indicateurs ont été retenus par rapport à une double préoccupation : d’une part vérifier nos propres hypothèses (élaborées à partir des observations et entretiens et sur la base d’analyses documentaires et de lectures), et d’autre part, restituer les discours et représentations des pilotes recueillis par les entretiens.

31Un même thème se décline souvent en plusieurs questions qui se complètent et dont on peut recouper les réponses pour l’analyse.

32Pour un certain nombre de questions, les pilotes avaient la possibilité de répondre en choisissant trois réponses parmi celles proposées, ce qui leur a permis de nuancer leur position. Nous ne leur avons cependant pas demandé de classer ces trois réponses par ordre d’importance : cela avait été initialement prévu mais nous sommes rendus compte lors d’un pré-test que trop de questionnaires nous revenaient mal remplis.