1Quatre organismes sont à l’origine de ce travail : RSA, AFDI, réseau GAO et VSF1. Son objectif était de mieux appréhender la place des organisations d’éleveurs dans la région du Sahel, leurs contraintes et la perception qu’elles avaient de leur environnement économique et technique, de faciliter leur accès à l’information et encourager leur dynamique et d’apprécier les pistes de travail et d’appui auprès de ces groupements et de leurs unions.

2Après un premier travail de bibliographie et de rencontres d’experts en élevage en France, notre équipe, constituée de trois stagiaires2, a mené une recherche dans la région du Sahel pendant cinq mois, de septembre 1994 à janvier 1995. Nous avons, dans trois départements de chacune des trois provinces, réalisé des entretiens avec des responsables de 72 groupements (dont 22 féminins) et de 15 de leurs unions, ainsi qu’avec 40 membres des groupements. Cette enquête a été suivie sur le terrain par un comité de pilotage formé de représentants du ministère de l’Agriculture et des ressources animales, de projets et ONG, mais également de responsables d’organisations d’éleveurs. Lors de synthèses mensuelles, les membres de ce comité réagissaient à nos travaux, nous aiguillaient. Ensemble, a été décidée la programmation d’un forum de restitution de l’information collectée au profit des éleveurs, de leurs organisations et des multiples partenaires au Burkina Faso et en France.

Evolution de l’environnement et du marché et son impact sur l’élevage

31. Le Sahel, avec 482 000 bovins et 1 900 000 ovins et caprins, soit respectivement 13 % et 17 % du cheptel national, se classe parmi les toutes premières régions d’élevage du Burkina. Cette production contribue à l’amélioration du niveau de vie des populations sur les plans alimentaire, social et monétaire. De fait, les éleveurs de cette zone ont souffert de la chute de la part de l’élevage dans le PIB : 11 % en 1990 contre 30 % en 1970. Elle s’explique, pour une part, par la concurrence des viandes bovines extra-africaines (caparaçons ou CAPA), fortement subventionnées. Ces viandes, principalement européennes, sont importées par les pays côtiers (Côte d’Ivoire, Ghana, Togo, Bénin...), débouchés traditionnels des pays sahéliens.

42. Suite aux grandes sécheresses de 1973/74 et de 1983/84, les éleveurs transhumants traditionnels (Peuls et Tamachecks), déjà affectés par la forte mortalité du cheptel, ont cédé beaucoup de leurs animaux, pour se nourrir et donc acheter des céréales aux agriculteurs et aux citadins. Ceux-ci ont confié une part de leur nouveau cheptel aux anciens propriétaires, les réduisant au rang de simples bergers. Mais ils ont surtout développé l’engraissement des ruminants, également nommé embouche. Le bétail est utilisé à des fins commerciales, car vendu à l’occasion des diverses fêtes religieuses, lorsque la demande gonfle les prix. Aujourd’hui, ce sont les agriculteurs, devenus agro-pasteurs, qui s’organisent en groupements d’éleveurs ; les éleveurs traditionnels, conservateurs et très mobiles au cours de l’année, sont quant à eux, dans leur grande majorité, restés méfiants vis-à-vis de toute forme d’encadrement. Ce nouveau type de production est optimisé par l’utilisation d’intrants (alimentation à base de SPAF3, pour maximiser la croissance, et produits vétérinaires – vaccins et déparasitants – pour favoriser l’assimilation de ces aliments et protéger des animaux fragilisés par leur production intensive).

5Les sécheresses ont aussi entraîné l’arrivée de nombreux intervenants extérieurs venus aider la population locale. Ils interviennent auprès de toutes les formes de groupements (d’agriculteurs, maraîchers, éleveurs...) ; ces groupes sont plus ou moins solidaires, mais le fait de s’adresser à eux a notamment pour objectif de réduire le nombre d’interlocuteurs. On comptait trois projets et onze ONG dans notre zone d’étude.

63. En 1989, le Burkina Faso a négocié avec le Fonds monétaire international et la Banque mondiale la mise en place d’un plan d’ajustement structurel. Ce dernier impose en ce qui concerne l’élevage :

7• d’une part, un désengagement de l’État des filières d’approvisionnement en intrants :

8Ces produits sont devenus avec la privatisation un enjeu commercial. Les usines de fabrication de sous-produits agro-industriels cherchent dorénavant à vendre aux plus offrants. Les volumes destinés traditionnellement au circuit étatique, distribués par l’Onavet 4, ont été réduits par cinq entre 1990 et 1993 (de 7 600 tonnes/an à 1 590 tonnes) au profit de certains gros commerçants, capables de réaliser des commandes importantes, ou de l’exportation (ces produits étant toujours destinés à l’alimentation animale), soit vers le Mali pour les tourteaux de coton, soit vers la Côte d’Ivoire, l’Allemagne et l’Italie pour les graines de coton.

9• d’autre part, une privatisation du métier de vétérinaire :

10Si, en 1996, une trentaine de vétérinaire privés sont installés au Burkina Faso, aucun ne s’est encore installé dans le Sahel. Cette situation s’explique par le fait que les éleveurs traditionnels soignent eux-mêmes leurs bêtes et que l’on dénombre peu de pathologies animales par rapport au Sud du pays, si bien que les distances à parcourir par un vétérinaire privé pour toucher un nombre suffisant d’éleveurs occasionneraient des frais de fonctionnement trop importants. A défaut de vétérinaires privés, les organisations d’éleveurs doivent aider à la formation d’élevage5, de même qu’elles doivent rechercher de nouvelles sources d’approvisionnement en intrants.

114. Le 11 janvier 1994, le franc CFA a été dévalué. Cette dévaluation a provoqué une hausse du prix des intrants (entre 46 et 82 % pour les produits vétérinaires et aux environs de 45 % pour les SPA16). Concernant les sous-produits, il faut noter que la dévaluation, ajoutée à la privatisation des usines de SPAI, a favorisé la progression des exportations. Mais l’augmentation du prix des intrants a été compensée par la progression des cours du bétail (entre 1993 et 1994, plus 100 % pour les bovins et entre 60 et 80 % pour les petits ruminants, sur le marché de Djibo, second marché de bétail du Burkina Faso). Elle s’est ajoutée à la baisse des restitutions européennes sur les CAPA (35 % en 1993). La viande sahélienne est ainsi redevenue concurrentielle sur les marchés côtiers d’Afrique de l’Ouest. L’offre en bétail (embouché ou non) a répondu immédiatement à la demande croissante, le nombre de ruminants présentés sur le marché de Djibo ayant augmenté de plus de 60 % pour les petits ruminants et de 100 % pour les bovins entre 1993 et 19947.

12En 1976, L. Herman notait sur le marché Djibo : "Les éleveurs n’ont pratiquement jamais dit avoir vendu un animal parce que les prix étaient élevés ou parce que l’animal était bon pour la vente". Mais depuis, à la suite du changement des propriétaires et du développement de l’embouche, le bétail a commencé à perdre sa valeur traditionnelle d’investissement social et devient l’objet d’une simple activité économique. Cela détermine le passage d’une société pastorale de subsistance à une société de production axée sur les marchés. Ce phénomène s’est encore accru depuis la dévaluation puisque, aujourd’hui, 40 % des membres des groupements rencontrés ont reconnu avoir commercialisé en fonction du marché. La vente de bovins ou d’ovins est utilisée en premier lieu pour l’achat de céréales. Pour couvrir les frais de soins médicaux, généralement urgents et d’un coût limité, l’éleveur préférera commercialiser un mouton. Les besoins en matière de santé et également d’éducation correspondent à l’émergence de nouveaux modèles culturels.

13Les organisations d’éleveurs sont censées stimuler les principes de solidarité, d’entraide et de prise en main par les intéressés de leur propre destinée. Dans un contexte où de nombreux changements ont été observés et où l’individualisme caractérise le milieu de l’élevage, comment se situent ces organisations ? Se trouvent-elles en mesure de maîtriser les filières d’approvisionnement en intrants et de commercialisation du bétail ? C’est-à-dire, sont-elles capables d’assurer un développement économique réel et durable pour les individus et la collectivité ?

L’approvisionnement en intrants

Les SPAI

14Parmi les organisations étudiées, 57 % des groupements et 50 % des unions ne s’approvisionnent pas en SPAI. C’est le cas de l’ensemble des groupements féminins, les femmes affirmant ne pas s’approvisionner en commun, pour la raison qu’elles embouchent leurs animaux individuellement. Pour les autres organisations, l’absence de fonds propres ou de financement par les structures d’appui explique leur non-implication.

15Les organisations distribuant des SPAI peuvent être classées en trois catégories, selon différents critères (cf. tableau page suivante).

16Dans la région du Sahel, les organisations d’éleveurs ont une place importante dans la distribution des SPAI, les volumes concernés étant de l’ordre de quatre fois ceux qui sont distribués par les services de l’élevage. Notons tout de même que les deux groupements "très performants", dont certains membres sont des commerçants, distribuent, à eux seuls, 80 % de ces volumes.

17Cet approvisionnement par les groupements et leurs unions est d’autant plus apprécié par leurs membres que ces organisations affichent les tarifs les plus faibles du marché. Leurs marges bénéficiaires varient de 0 à 5 %. La seule exception à la règle concerne les deux groupements commerçants "très performants" de Dori, installés dans la plus grande ville du Sahel, idéalement desservie par la route. De fait, leur stratégie en matière de prix s’insère dans la logique du marché. Le tarif de leurs SPAI s’établit selon le cours sur le marché local, ces deux groupements minorant le prix de leurs intrants, par rapport à ce marché, de 100 à 200 FCFA par sac de 50 kg.

Les produits vétérinaires8

18Malgré le désengagement de l’Etat, l’Onavet reste le seul distributeur de produits vétérinaires dans la région du Sahel. Si le circuit I (CRPA) demeure la première source d’approvisionnement des éleveurs, de nombreux auxiliaires d’élevage, issus des groupements, ont été très rapidement formés par les SPRA. Mais seules 18 caisses vétérinaires, sur l’ensemble du Sahel, ont été dotées en produits de premiers soins par les projets et les ONG (circuit 111 et 112). Ces expériences, appréciées par les éleveurs, souffrent du même problème d’indisponibilité en produits vétérinaires que les services étatiques. Avant de développer plus encore ces formations d’auxiliaires, plusieurs points doivent être éclaircis :

• définir précisément leur mandat et leurs compétences ;
• approfondir leurs formations dans le domaine technique et dans celui de la gestion ;
• reconnaître leur statut, en envisageant une rémunération de leurs services.

19Notons que les deux groupements de Dori (Kandy et Djom-Naye) sont les seules organisations à satisfaire les besoins de leurs membres en produits vétérinaires. Ils s’appuient tous deux sur des pharmacies vétérinaires (circuit III). Celles-ci bénéficient d’un fonds de roulement important (supérieur à 500 000 FCFA) et sont régulièrement réapprovisionnées par les responsables de ces deux groupements, au retour de leurs déplacements à Ouagadougou.

Une commercialisation très partielle par les groupements du bétail de leurs membres

20Dix-huit groupements et deux unions commercialisent des animaux. Leurs stratégies diffèrent. Exceptés les deux groupements de Dori, les organisations d’éleveurs souffrent d’un manque d’information (sur les cours et la demande des marchés terminaux, les coûts de transports...).

21Les autres groupements et unions, au vu des prix du bétail observés sur les marchés sahéliens, ne s’intéressent pas à cette commercialisation. D’ailleurs, leurs membres ne la réclament pas : aucun ne nous a parlé de problèmes d’écoulement de ses animaux. Ils ne cherchent pas à savoir si l’"état de grâce" qui résulte de la dévaluation va se poursuivre ou non.

22Aujourd’hui, l’ensemble de ces organisations ne commercialise que 2,6 % des bovins écoulés dans la région du Sahel (et 0,5 %, si on écarte les deux "groupements-commerçants"). Il n’y a pas lieu de parler de concurrence entre ces organisations et les commerçants traditionnels. Par contre, certains clients exigent des animaux de très bonne qualité ou d’un type précis (vaches ou chèvres laitières) : sur de tels créneaux, la connaissance des animaux prime et les groupements et leurs unions seraient les plus aptes à répondre aux attentes de ces clients.

Des organisations qui préservent une fonction sociale

23Globalement, nous avons rencontré deux groupements très fonctionnels, pratiquant des activités exclusivement économiques. Ils représentent, par rapport à toutes les organisations rencontrées, 85 % des approvisionnements en intrants et 80 % du bétail commercialisé. Ils bénéficient de l’expérience des commerçants et de leur maîtrise des circuits (les camions loués ne circulent jamais à vide : ils quittent le Sahel avec du bétail et remontent avec des intrants), connaissent en temps réel, grâce à leurs informateurs et au téléphone, la demande et les cours sur les marchés de Ouagadougou ou Abidjan. Par contre, ces deux GV présentent une gestion plutôt obscure. En effet, quelques membres mêlent leurs activités personnelles à celles du groupement. Ce dernier ne redistribue plus les bénéfices de ses activités sur des bases sociales et culturelles, mais en fonction de l’investissement financier de chacun.

24Les 70 autres groupements et leurs unions mènent majoritairement des activités à caractère social. Les membres interrogés retiennent, pour expliquer leur adhésion, la nécessaire fonction sociale de leur groupement ; ils l’expriment par ce vieil adage : "l’union fait la force" De fait, les organisations d’éleveurs ont pour fonction essentielle de venir en aide à la collectivité et de cimenter l’unité sociale : elles ont un caractère plurifonctionnel et leurs leaders s’efforcent de chercher des solutions aux problèmes qui se posent à la population dans tous les domaines.

25Cependant, les membres attendent à présent plus de leurs organisations... Leurs préoccupations s’orientent principalement vers deux activités économiques liées à l’élevage : ils estiment que leurs groupements et unions, compte tenu de l’indisponibilité croissante en intrants et des prix rémunérateurs sur les marchés du bétail, doivent respectivement pratiquer l’approvisionnement en SPAI et en produits vétérinaires et les aider à mener l’embouche animale. Par contre, l’activité de commercialisation du bétail ne suscite que peu d’intérêt de la part de leurs membres : ils ne commercialisent par l’intermédiaire de leurs organisations qu’un nombre restreint d’animaux, sur un marché qui pourtant est actuellement porteur.

Conclusion

26La grande majorité des organisations d’éleveurs dans la région du Sahel ne semblent pas en mesure de répondre aux espoirs qu’elles ont suscités. Elles ne sont pas capables aujourd’hui d’assurer le développement économique de l’élevage. Leur organisation interne souffre de nombreuses difficultés :

• la forte implication des services étatiques, qui sont à l’origine de la majorité des créations de groupements et qui leur imposent des règlements intérieurs fort contraignants et inadaptés à la forme actuelle de ces organisations ;
• la nécessité de s’organiser pour profiter de l’appui des ONG et projets ;
• l’absence de jeunes aux postes de responsabilité : par tradition, ils s’effacent devant les anciens ;
• les avantages très relatifs dont bénéficient les membres par rapport aux autres villageois, du fait de la prédominance de la fonction sociale des groupements ;
• les difficultés en termes d’alphabétisation et de gestion (recouvrement des crédits).

27Tous ces dysfonctionnements ralentissent la vie associative (non-renouvellement des bureaux, absence de réunions régulières pour discuter des activités à mener, des plannings de travail à adopter...) et démobilisent les membres. Mais résoudre ces difficultés n’est peut-être pas la première des priorités. Cet avis est partagé par le secrétaire du GVE de Kourézéna, Allassane Boukari : "Nous parlons de toutes les difficultés de nos organisations. Pour moi, il s’agit d’un faux problème. Il faut s’attaquer à la source. Proposons à nos adhérents des activités qui les intéressent et nous verrons alors si l’organisation interne de nos groupements ne s’améliore pas". En effet, les éleveurs sont conscients des contraintes et atouts de leur environnement économique. Les organisations et leurs membres désirent s’impliquer davantage dans les activités liées à l’amont de la production (approvisionnements en intrants zootechniques) et semblent délaisser celles placées en aval, la commercialisation. C’est autour de cette problématique que s’est déroulé le forum de Djibo.

28L’organisation d’un forum de restitution à Djibo a clôturé notre travail d’enquête. Il a regroupé 63 personnes (composées pour moitié de responsables de groupements d’éleveurs du Burkina Faso et de trois éleveurs français et pour l’autre de représentants de l’administration, des ONG et des projets). Des points de débat sont restés ouverts, sur les conditions de l’engagement des éleveurs dans les circuits de commercialisation du bétail et sur le fonctionnement interne des groupements. Cependant, cette rencontre a abouti à des conclusions plus précises, telles que la revendication d’une formation pour les auxiliaires d’élevage et la demande d’un meilleur accès à l’information des éleveurs : essentiellement une information pratique pour s’approvisionner en produits vétérinaires et en SPAI.

29À la suite de ce travail, VSF a décidé de lancer un programme d’information et de formation des éleveurs, nommé "Kibaru", dans le cadre de l’appui à la privatisation des services de santé animale. Il est suivi par un des deux étudiants du Burkina ayant réalisé l’étude. Ce programme intègre des sessions de formation d’auxiliaires d’élevage et la diffusion d’informations (circuits d’approvisionnements et prix des intrants, cours du bétail, vulgarisation technique et sanitaire...) via les circuits de diffusion classiques :

• support écrit : organe de presse à vocation nationale (pour l’alphabétisation et lapost-alphabétisation) ou locale ;
• support radiophonique : radios nationale et locales.