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    Plan détaillé Texte intégral Avantages potentiels Les Accords de l’OMC et les agricultures familiales Deux cas d’espèce divergents face à l’ouverture : le Chili et la Bolivie Conclusion Bibliographie Notes de bas de page Auteur

    Les paysans, l’état et le marché

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Effets de l’ouverture du commerce mondial sur la restructuration agraire : exemples de la Bolivie et du Chili

    Claude Auroi

    p. 97-110

    Texte intégral Bibliographie Bibliographie Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1Le 1er janvier 1995 sont entrés en vigueur les Accords portant création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) après sept années de négociations dans le cadre du Cycle de l’Uruguay (UR) du GATT. Cet événement majeur des relations économiques internationales a essentiellement entraîné l’intégration de presque tous les pays de la planète dans un vaste marché, et supprimé bon nombre de restrictions aux échanges, tarifaires et non tarifaires.

    2Cette étude envisage les conséquences que peuvent avoir l’ouverture du commerce mondial et la dérégulation interne pour les pays du Sud ayant un fort secteur de petite paysannerie, à l’image des deux pays pris ici comme exemples, la Bolivie et le Chili.

    Avantages potentiels

    3Les bénéfices que les pays en développement (PED) peuvent retirer des nouveaux accords seront minimes à court terme mais pourraient être appréciables à moyen terme. C’est pourquoi il faut plutôt parler d’avantages potentiels, dépendant surtout des efforts internes réalisés par ces pays, puisque le nouveau cadre international est une donnée peu susceptible d’être modifiée dans les vingt ans à venir.

    4La réduction des droits de douane à l’importation de la part des pays développés (PD) devrait profiter aux pays en développement, mais d’une manière différenciée, dépendant de la nature de leurs produits d’exportation1. Le démantèlement de l’Accord multifibres (dans un délai de dix ans) profitera aux producteurs de coton, de jute, etc. La réduction des subventions aux prix intérieurs peut entraîner de meilleures conditions pour les pays du Groupe de Cairns, gros exportateurs de produits de base comme le blé (Argentine), le riz (Thaïlande), le soja (Brésil).

    5Néanmoins, les études prospectives d’estimation des pertes et gains résultant de l’UR ne laissent augurer que peu d’avantages à la suite de la réduction de la protection des PD concernant les produits agricoles. Comme l’écrivent les auteurs d’une étude sur ce sujet :

    6"En ce qui concerne les produits agricoles, les résultats immédiats de l’UR sont minimes en termes d’accès aux marchés (...). D’une part, la tarification des barrières non tarifaires (BNT) s’est faite sur la base du niveau de protection effectif en 1986-88, période durant laquelle la protection était la plus élevée. D’autre part, les pays ont calculé des équivalents tarifaires plus élevés que ceux qui sont suggérés par une comparaison entre les prix internes et les prix à la frontière. (...) Il n’y aura que peu de réduction de la production de la part des PD à la suite de l’application des accords, la réduction étant surtout concentrée sur le Japon. De plus, dans bien des cas, la tarification proposée par les pays sera largement supérieure à la protection moyenne implicite des BNT durant la période 1986-1988. Par exemple, il est estimé que la protection du blé dans l’UE, mesurée comme la différence entre le prix intérieur et le prix mondial, était de 103 %, alors que la base à partir de laquelle se feront les réductions tarifaires est de 156 %" (Effets de l’Uruguay Round sur les pays en développement, Synthèse générale : 14).

    7La suppression des subventions aux exportations de produits agricoles des pays riches, particulièrement de l’Union européenne (UE) et des États-Unis, peut avoir des conséquences positives quant à la reprise de la production agricole locale suite à la hausse des prix des produits importés. On peut songer ici à la production de blé dans les pays andins, fortement déprimée depuis les années 1950-60 par la PL480 des États-Unis. À court terme, et même à long terme, cette hausse peut entraîner des conséquences négatives pour la sécurité alimentaire d’un certain nombre de pays dépendant fortement de l’aide alimentaire (Burkina Faso, Mali) et dont les potentialités agricoles sont restreintes.

    8On peut estimer, en faisant un bilan général en ce qui concerne l’agriculture, que les gains de l’UR pour les PED seront relativement faibles au bout de la période d’adaptation de dix ans. Les gains globaux résultant de l’UR peuvent être estimés annuellement entre 100 et 200 milliards de US$ au bout de 10 ans, avec un tiers seulement de ces gains allant aux pays en développement. Les gains provenant de l’agriculture sont difficiles à estimer, les effets de transfert de revenus provenant de la suppression des restrictions quantitatives étant aléatoires.

    9Certains pays du Sud exportateurs de produits de base seront légèrement gagnants dans ce processus, d’autres plutôt perdants, selon la part des produits agricoles dans leurs importations et exportations.

    10Plus d’un tiers des pays (27/71) participant au Cycle de l’Uruguay sont fortement dépendants de leurs exportations agricoles (dans une proportion de plus de 50 %), dont plus de la moitié des PMA. Pour ces pays, les gains qu’ils peuvent retirer du Cycle de l’Uruguay ainsi que de la demande de produits tropicaux est essentielle. Or, ces produits ne sont pas ceux dont les perspectives sont les plus brillantes. Mais, d’une manière plus générale, les gains et pertes vont dépendre de la capacité d’adaptation aux changements de leurs agricultures, et plus spécialement de leurs agricultures familiales.

    11Il faut remarquer que les études prospectives n’ont nullement pris en compte les effets internes de type structurel des accords de l’OMC, alors que cet aspect est fondamental en ce qui concerne non seulement l’adaptation des économies, mais aussi la redistribution interne des revenus entre les groupes sociaux.

    Les Accords de l’OMC et les agricultures familiales

    12La dérégulation internationale ne considère pas la situation particulière de certains secteurs agricoles par rapport à d’autres et encore moins la situation sociale des producteurs. Le credo néolibéral consistant à homogénéiser les marchés est contraire à la sectorialisation des problèmes agricoles, que ce soit pour les cultures de rente ou pour les cultures vivrières.

    13Des estimations ont cependant été faites de manière séparée pour les principales productions : blé, riz, céréales mineures, viande, oléagineux, laitages, mais aussi café, cacao, sucre, etc.2

    14Les deux modèles de Goldin et al. et de Brandao et Martin indiquent que les cours des produits agricoles en général vont augmenter, mais que pour certains produits ils vont baisser.

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    Tableau 2 : Cours des produits de base (1992-2002, aux prix 1992)

    Source : d’après Goldin et al. (1993)

    15Les pays, régions et types d’agriculture ayant une spécialisation à l’exportation dans les cultures à prix stagnants ou déprimés (colonne de droite) sont souvent des pays du Sud3, spécialement pour le riz en Asie, le cacao en Afrique et le café en Amérique du Sud. Les fruits tropicaux ne sont pas non plus promis à un futur brillant, et la laine des pays andins est également négativement affectée.

    16De l’autre côté, on trouve une forte demande future de sucre, ce qui concerne les pays tropicaux, ainsi que des huiles végétales, dont le soja. Les produits laitiers, la viande de boeuf et de mouton, les céréales fourragères verront leurs cours augmenter, mais cela ne concernera que quelques pays du Sud dont les économies d’exportation sont basées sur une agriculture extensive et d’agro-business, comme l’Argentine, ou encore le Brésil et le Mexique.

    17En outre, dans ce panorama de l’évolution des prix mondiaux des produits, on n’a pas tenu compte de secteurs complémentaires de l’agriculture comme la pisciculture ou la pêche, la floriculture qui connaît un grand essor, etc. Il existe selon les régions considérées une série de créneaux de production qui sont encore et de nouveau porteurs, comme les plantes médicinales. Ces niches peuvent souvent faire la (relative) prospérité d’une région, sachant cependant que la demande pour ces nouveaux produits vient généralement de l’étranger et que la distribution est contrôlée par de grandes compagnies. Pour l’Amérique latine, Chonchol donne plusieurs exemples de ces nouvelles orientations qui touchent la petite paysannerie : "... les paysans sont disposés à adopter de nouvelles productions demandées par le marché, qui ne font pas partie de leurs cultures traditionnelles. Nous l’avons vu dans le cas des paysans de Guerrero avec l’adoption du melon, de l’arachide, de la Jamaïque (Hibiscus sinensis) et du sorgho en grain, et dans le cas des paysans de Boyaca, avec le tabac. Au Pérou, on a observé que des petits paysans de la Sierra adoptent des cultures agro-industrielles comme le lait pour les usines laitières ou l’orge pour les usines de bière. Au Brésil, où la culture du soja a augmenté de façon explosive ces dernières années, les exploitations familiales paysannes (au Brésil elles vont jusqu’à 50 hectares) y participèrent autant que les grandes entreprises capitalistes" (Chonchol, 1990 : 172).

    18Le commerce agro-alimentaire mondial est dominé par une cinquantaine de sociétés multinationales, dont certaines, mais pas toutes, ont aussi une activité productive. En outre, un partie de ces sociétés opèrent aussi comme fournisseurs d’intrants, notamment de semences (13 milliards de US$ par an). La brevétisation accrue de ces semences dans le cadre du Cycle de l’Uruguay va renforcer leur position dans les pays en développement.

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    Tableau 3 : Contrôle du commerce mondial des produits agricoles

    Source : Deep (FAO), septembre 1995, pp. 17-18.

    19Les grandes sociétés multinationales ne contrôlent que rarement la terre, à l’exception de quelques pays comme le Brésil. Leur contrôle au moyen de contrats d’achat des produits et souvent de vente de semences et de produits phytosanitaires peut très bien se concevoir avec de petits et moyens producteurs.

    20Dans bon nombre de pays, et dans les secteurs menacés par une stagnation des cours mondiaux, les structures agraires sont plutôt celles de petits et moyens planteurs et éleveurs, comme pour les caféiculteurs de Colombie, ou les riziculteurs du Sud-Est asiatique, les planteurs de palmiers et de cacao en Côte d’Ivoire (Assaba, 1995). Il est vrai que dans ces secteurs menacés, pour le café par exemple, il existe aussi de grandes propriétés, comme au Brésil. Le problème est alors de savoir qui sera le plus touché par la récession mondiale dans le secteur considéré, des grandes propriétés ou des petits producteurs. Une hypothèse plausible fait penser que les premiers ont des possibilités financières qui leur permettront soit de tenir, soit de modifier leurs productions. Il en ira plus difficilement pour les petits paysans dépendant d’une seule ressource, et liés par des contrats de vente à des filières nationales et internationales de l’agro-alimentaire. Leur marge de substitution de cultures est limitée.

    21Le courant général d’augmentation des prix des intrants et de réduction des aides touche tout d’abord les petits et moyens agriculteurs, et les oblige à modifier leurs stratégies de survie. L’élément principal de leur nouvelle stratégie familiale est la pluriactivité, la diversification de leurs sources de revenu, dont l’agriculture ne constitue dès lors qu’une des composantes parmi d’autres. Pour les paysans très proches du niveau de subsistance, la question se pose en termes de sécurité alimentaire. Celle-ci ne dépend pas prioritairement de leur propre lopin de terre. "En fait, la principale stratégie du ménage est la diversification des activités et des revenus. Les ménages sont passés d’une recherche de l’autosuffisance alimentaire familiale à des stratégies de sécurité alimentaire qui donnent un rôle plus grand aux activités génératrices de revenus assurant un accès à un approvisionnement complémentaire en aliments sur le marché" (Larivière et al., 1990 : 156).

    22Au niveau agricole, de nouvelles approches devront être trouvées en ce qui concerne les petits producteurs. Déjà fortement touchés par les PAS, ils seront encore affectés par l’ouverture au commerce mondial. Ils devront donc faire des efforts, s’ils veulent subsister dans le secteur, pour rationaliser leur production, diminuer leur coûts, diversifier leur produits et améliorer la qualité, chercher de nouveaux marchés. Tous ces efforts supposent des éléments d’organisation et de formation nouveaux. Il n’est guère pensable que les petits producteurs puissent s’en tirer de manière isolée, chacun pour soi. De nouvelles formes de collaboration devront être trouvées, soit horizontalement, soit par une intégration verticale dans une filière de commercialisation. C’est à ce prix que les petits producteurs pourront subsister jusqu’au moment hypothétique où les conditions générales de l’économie leur permettront d’envisager de changer de secteur.

    Deux cas d’espèce divergents face à l’ouverture : le Chili et la Bolivie

    231. Le choix de ces deux pays tient à l’étude que nous avons réalisée dans le cadre de la recherche "Effets de l’Uruguay Round sur les pays en développement" (IUED, 1995). Les cas du Chili et de la Bolivie ont été retenus en Amérique latine (Morales, 1995 ; Auroi, 1995). Au-delà de cet intérêt formel, il apparaît qu’une comparaison entre les deux pays présente, par rapport aux accords du GATT, des aspects intéressants. Les deux pays ont en effet des points communs au départ, comme celui d’appartenir à une même aire historique et culturelle, mais ont des attitudes relativement différenciées quant à leur intégration dans le commerce mondial. Il s’ensuit également des différences par rapport à l’évolution de leurs petites paysanneries, qui nous intéresse plus particulièrement dans cet article.

    24La question de départ est celle de savoir si les deux pays sont vraiment comparables quant à leurs possibilités agricoles. Ils présentent certes des différences écosystémiques, la Bolivie ayant une façade amazonienne tropicale qui fait défaut au Chili, et celui-ci disposant de zones plus tempérées et aux différences saisonnières plus contrastées, en plus d’avoir accès à l’Océan Pacifique. Ces éléments ne constituent cependant ni des avantages ni des handicaps décisifs, et chaque pays possède en fait une grande gamme ou variété de potentialités agricoles. De même, la dotation en produits miniers est sensiblement pareille, avec un certain avantage actuel pour le cuivre chilien, métal encore recherché au niveau international, tandis que l’étain de la Bolivie est en chute libre. Mais cette différence est également sujette à évolution. Déjà le zinc prend de plus en plus d’importance en Bolivie depuis 1990, passant de 4 % à 16 % des exportations entre 1980 et 1993. Les produits miniers représentent dans les deux cas entre 40 % et 50 % des exportations, et plus certaines années. Les deux pays ont une structure des exportations relativement diversifiée, dans laquelle l’agriculture n’est pas prépondérante, bien que sa part soit deux fois plus importante au Chili (30 % contre 15 %). L’agriculture ne représente aussi qu’une part restreinte du PNB, 8 % au Chili et 20 % en Bolivie en 1992, avec cependant respectivement 17 % et 38 % des emplois (Morales, Chili I et Bolivie I).

    25Les deux pays présentent aussi beaucoup de caractéristiques communes par rapport aux processus d’ajustement, à la libéralisation et au Cycle de l’Uruguay.

    26Le Chili a certes commencé plus tôt à libéraliser et privatiser son économie, sous le régime dictatorial du général Pinochet, à partir de 1973, tandis que la Bolivie n’a entrepris un programme d’ajustement structurel qu’à partir de 1985, sous le gouvernement de Victor Paz Estenssoro. Mais ce qui compte, c’est de voir jusqu’à quel degré de libéralisation et de dérégulation chaque pays est allé. Dans les deux cas, le contrôle des grands indicateurs a été réalisé : taux de change flottants, tarifs douaniers multiples ramenés à un taux unique de 11 % pour la Chili, 10 % pour la Bolivie4, maîtrise de l’inflation, réduction du déficit public.

    27Les deux différences essentielles entre les deux pays ont trait :

    • d’une part à la faible privatisation des entreprises publiques réalisée en Bolivie, et donc à une prépondérance encore très forte du secteur d’État sur les décisions économiques, entraînant aussi une lourdeur bureaucratique manifeste ; le corollaire de cette situation est une faible et mauvaise collaboration entre le secteur public et le secteur privé ;
    • d’autre part à la différence d’ouverture au commerce international : alors que le Chili a un taux d’ouverture de 60 % (à peu près 30-30 entre X et M), celui de la Bolivie n’est que de 40 % environ (dont seulement 15 % pour les exportations). Le Chili est donc beaucoup plus engagé dans le commerce international, notamment pour ses produits agricoles, fruits et légumes, produits de la pêche, sans oublier le secteur du bois, qui n’est pas compris dans les produits agricoles, mais qui lui est évidemment lié sous plusieurs aspects. Dans ces domaines, le Chili a connu une forte progression depuis les années 1975, multipliant par exemple par dix ses exportations de fruits. Beaucoup de grands et aussi de petits producteurs ont été entraînés dans cet effort, sans oublier de nombreux travailleurs agricoles saisonniers. La Bolivie n’a pas connu de boom aussi impressionnant, avec cependant une forte croissance de la production de soja, qui a décuplé ses exportations (en valeur) depuis 1980, du coton et des châtaignes (castañas).

    282. Aussi bien au Chili qu’en Bolivie, bien que plus modestement, les cultures de rente, destinées à l’exportation, ont crû plus rapidement que les cultures vivrières, depuis les années 1970.

    29Le Chili est un cas unique en Amérique latine de croissance vertigineuse de la production, mais surtout des rendements, même pour les cultures vivrières. Ainsi, même si la surface dévolue à ces cultures a diminué (-25 %), l’intensification de la production a plus que compensé cette perte (+105 %). La sécurité alimentaire a pu être garantie, avec des augmentations de l’approvisionnement généralement plus que proportionnelles à la croissance de la population.

    30En ce qui concerne les cultures typiques de la petite paysannerie, celles-ci ont également progressé (haricot, pois chiche, pomme de terre, maïs), laissant entrevoir une amélioration du régime alimentaire.

    31Le cas de la Bolivie est bien différent. On note certes une croissance assez remarquable de certaines cultures industrielles, comme le soja (+ 604 %), ou la culture fruitière, mais avec des rendements à l’hectare stagnants ou même négatifs (coton, canne à sucre). La croissance agricole a été essentiellement horizontale, reflétant par là une grande disponibilité en terres dans les régions subtropicales de la Bolivie, le Pando, le Béni, Santa Cruz. De très nombreux petits agriculteurs ont émigré depuis plus de trente ans vers ces régions, quittant leurs lopins arides des hauts plateaux. Mais le défrichement qu’ils ont entrepris, et surtout les cultures qu’ils ont implantées, l’ont été avec des moyens techniques rudimentaires et un manque d’encadrement technique adéquat. Les bas rendements sont le reflet de cette agriculture de subsistance peu intensive en capital, et qui ne donne que de faibles surplus commercialisables. Elle ne permet pas non plus de nourrir adéquatement les familles paysannes elles-mêmes.

    32Les cultures industrielles et d’exportation sont donc presque exclusivement aux mains des entreprises agricoles modernes fortement capitalisées et disposant de surfaces importantes, surtout dans la région de Santa Cruz.

    333. Les petites paysanneries du Chili et de la Bolivie ont également été touchées par la crise des années 1980 et les mesures d’ajustement. Au Chili, elles l’ont aussi été par les mesures de contre-réforme agraire prises après 1973, et par la diminution du soutien étatique. Mais les petites paysanneries savent aussi adopter des stratégies de résistance ou de redéploiement devant l’adversité.

    34Au Chili, la stratégie adoptée a été celle d’une augmentation du nombre des petites exploitations, par subdivision et extension sur terres marginales lorsque c’était encore possible, et par un certaine intensification et intégration commerciale, par exemple dans la culture fruitière, qui est une culture d’exportation par excellence.

    35Le secteur de la petite paysannerie est celui des exploitations de moins de 12 hectares, selon Gomez (1991). Ce secteur représentait en 1987 88 % des exploitations sur 32 % des terres (Gomez : 106). Mais beaucoup d’agriculteurs qui ont entre 5 et 12 hectares (17,4 % du total et 22 % des terres) sont tout à fait capables d’atteindre la rentabilité financière. Ce n’est pas le cas pour les paysans de moins de 5 hectares, qui eux sont menacés de disparition ou de fragmentation accrue, leur nombre allant en croissant depuis 1965. On doit donc estimer que le vrai problème socio-économique de l’agriculture chilienne concerne près de 200 000 familles, qui vont voir leur sort profondément modifié à l’avenir. Leur regroupement en coopératives et associations peut leur permettre d’atteindre le seuil de rentabilité financière, mais un grand nombre d’entre elles vont être absorbées dans les autres secteurs économiques, qui sont en expansion.

    36Il faudrait cependant nuancer l’analyse selon les différentes régions du Chili, long de 4 000 km du nord au sud. On peut remarquer que, même si les petits paysans sont présents dans toutes les zones et presque toutes les productions, leur concentration est la plus forte dans les régions andines du nord (régions 1, 2 et 3 selon la division officielle chilienne du territoire) et celles du sud, à forte composante mapuche (indigène) pour certaines d’entre elles (régions 8,9 et 10). Dans ces zones, les petits paysans occupent des terres de basse fertilité, ce qui aggrave encore leur handicap de cultiver de faibles surfaces.

    37En Bolivie, la structure agraire est difficilement compréhensible par des chiffres et des tableaux, car elle est très mouvante et les statistiques sont peu fiables. La population de petite paysannerie comprend d’après les sources les plus fiables au moins 550 000 familles cultivant 4 millions d’hectares, soit environ 8 hectares en moyenne. A l’opposé, 40 000 exploitations commerciales occupent 32 millions d’hectares, soit 800 hectares en moyenne (Urioste : 316). Ces exploitations sont capables de s’intégrer dans un commerce mondial ou régional "libéralisé" ; par contre, la situation des petites exploitations apparaît beaucoup plus problématique. Il est à prévoir que l’agriculture de subsistance a encore un bel avenir devant elle.

    38L’ouverture, en Bolivie, va intensifier la production de denrées d’exportation, et renforcer le secteur qui déjà y participe. Il sera très difficile à la petite paysannerie de s’intégrer à ce mouvement, faute d’une structuration efficace à la chilienne du secteur d’exportation, et au vu de la faiblesse de l’État. Quant aux importations de denrées alimentaires, il n’est pas encore très clair si elles vont avoir un effet de concurrence pour les productions locales. Si l’on prend le cas du blé, il semble au contraire que le retrait de l’aide américaine et la diminution des subventions dans l’Union européenne et aux Etats-Unis va plutôt jouer en faveur des productions locales. Les surfaces emblavées ont déjà fortement augmenté depuis 1980.

    Conclusion

    39En définitive, l’ouverture du commerce mondial à la suite des accords de l’OMC va en partie dans le même sens que les mesures d’ajustement structurel5, de libéralisation interne des économies et de privatisation. Le rôle de l’État diminuant, la déjà faible protection directe et surtout indirecte (par les prix, le contrôle des changes, les tarifs douaniers) va elle aussi diminuer. Dans ce contexte, la restructuration agraire en cours va s’accentuer, avec une polarisation aux deux extrêmes : concentration accrue des terres contrôlées par de grands groupes, et marginalisation croissante des tout petits exploitants.

    40Il reste cependant au milieu de ces deux extrêmes un secteur de paysans moyens qui peuvent prétendre trouver une place dans les nouveaux systèmes agro-alimentaires qui se dessinent. Comme l’écrivent Sorj et Wilkinson : "Lors de cette transition (vers l’agro-industrialisation), on constate que, dans les pays en développement, la tendance dominante à la centralisation et à la concentration n’exclut pas, pour les membres de l’ancienne paysannerie, de multiples possibilités de participation, soit comme petits exploitants modernes, soit comme travailleurs ruraux." (Sorj et Wilkinson, 1990 : 156).

    Bibliographie

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    ocde, "Evaluer les effets du cycle d’Uruguay", Problèmes de Politique Commerciale, n° 2, octobre 1993. Première évaluation de l’impact du cycle d’Uruguay sur les pays en développement, TD/TC/WP (94) 33, mai 1994.

    Padilla (M.), Doco-Lesur (H.), "La sécurité alimentaire à court et à long terme", Economies et Sociétés, Cahiers de l’ISMEA, pp.145-166.

    Revue internationale des sciences sociales (RISS), n° 124, mai 1990, numéro sur Les paysanneries, stratégies paysannes, politiques étatiques et forces du marché.

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    Urioste (M.), "los campesinos y el desarrollo rural", in : Toranzo (C.F.), (coord.), Bolivia hacia el 2000, pp.313-346.

    Notes de bas de page

    1 Les droits de douane des pays industrialisés sur les produits agricoles devront être réduits de 36 % en six ans par rapport au niveau 1986-88. Il en ira de même de la valeur des subventions à l’exportation. Ces abaissements comprennent la conversion des obstacles non tarifaires en droits de douane. En outre, le volume des exportations subventionnées devra être réduit de 21 % et le soutien interne de 20 %. Pour les pays en développement, ces mêmes réductions représenteront les 2/3 de celles des pays industrialisés et s’étaleront sur deix ans. Les pays les moins avancés sont exemptés de ces dispositions.

    2 L’étude de l’OCDE et de la Banque mondiale (1993) est la plus complète pour ce qui touche à la prise en compte du secteur agricole. 15 produits agricoles sont retenus dans le modèle RUNS (Rural/Urbain-Nord/Sud). L’étude de Brandao et Martin (1993) retient aussi une quinzaine de secteurs, dont certains sont a malgamés. Les autres modèles travaillent avec des catégories plus globales que de simples produits.

    3 Les parts du marché mondial des PED sont de 81,5 % pour le café, 62,7 % pour le sucre, 18,2 % pour les céréales, 12,6 % pour la viande, 3,6 % pour le lait sous toutes ses formes, 27,4 % pour les autres produits agricoles, et 22,6 % pour les produits forestiers et de la pêche, (Source : FAO, Annuaire du commerce 1992, Rome, 1993).

    4 5 % pour les biens d’investissement dans le cas de la Bolivie.

    5 Sur ce point de l’effet des ajustements, voir l’excellent article d’Alexandre Minda (1993). "Politique d’ajustement et agriculture en Amérique latine", qui montre que les résultats peuvent être contrastés en fonction de la réponse des paysans à la crise, mais que les effets pervers sont de toute manière très importants.

    Auteur

    • Claude Auroi

      Institut Universitaire d’Études du Développement Genève

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    2 L’étude de l’OCDE et de la Banque mondiale (1993) est la plus complète pour ce qui touche à la prise en compte du secteur agricole. 15 produits agricoles sont retenus dans le modèle RUNS (Rural/Urbain-Nord/Sud). L’étude de Brandao et Martin (1993) retient aussi une quinzaine de secteurs, dont certains sont a malgamés. Les autres modèles travaillent avec des catégories plus globales que de simples produits.

    3 Les parts du marché mondial des PED sont de 81,5 % pour le café, 62,7 % pour le sucre, 18,2 % pour les céréales, 12,6 % pour la viande, 3,6 % pour le lait sous toutes ses formes, 27,4 % pour les autres produits agricoles, et 22,6 % pour les produits forestiers et de la pêche, (Source : FAO, Annuaire du commerce 1992, Rome, 1993).

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    Auroi, Claude. « Effets de l’ouverture du commerce mondial sur la restructuration agraire : exemples de la Bolivie et du Chili ». In Les paysans, l’état et le marché, édité par Maxime Haubert. Paris: Éditions de la Sorbonne, 1997. https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.75414.
    Auroi, Claude. « Effets de l’ouverture du commerce mondial sur la restructuration agraire : exemples de la Bolivie et du Chili ». Les paysans, l’état et le marché, édité par Maxime Haubert, Éditions de la Sorbonne, 1997, https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.75414.

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    Haubert, M. (éd.). (1997). Les paysans, l’état et le marché (1‑). Éditions de la Sorbonne. https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.75304
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    Haubert, Maxime, éditeur. Les paysans, l’état et le marché. Éditions de la Sorbonne, 1997, https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.75304.
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