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Pouvoir militaire et société au Pérou aux xixe et xxe siècles

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Lucie Bullick

Chapitre 8. Crise politique, austérité budgétaire et redéfinition des fonctions militaires

Texte intégral

  • 1 P. Mauceri, op. cit., p. 136.
  • 2 F. Rospigliosi, op. cit., p. 7.

1Les premiers signes d’expansion des activités subversives sont apparus dès les élections présidentielles qui ont porté au pouvoir Fernando Belaúnde Terry. Les sentiéristes profitent de l’occasion pour organiser la première action d’éclat annonçant leur intention de poursuivre la lutte armée. Deux ans plus tard, le mouvement s’est intensifié au point d’étendre ses activités à toute la région andine et à Lima. Plusieurs facteurs expliquent cette expansion, notamment la faiblesse de l’État qui n’arrive pas à contrôler une partie croissante du territoire national et le manque de ressources suffisantes pour soutenir le développement socio-économique des régions andines. De plus, basés à Lima, les dirigeants et les partis politiques n’étaient pas en mesure d’évaluer la nature et la signification d’un mouvement qui se développe dans des régions éloignées de la capitale1. Mais les milieux politiques ne sont pas les seuls à s’être trompés sur l’ampleur du phénomène sentiériste. La presse et l’ensemble de la société péruvienne l’ont également sous-estimé, du moins au cours des trois premières années2.

Les relations entre civils et militaires : incompréhension et méfiance réciproques (1980-1985)

  • 3 P. Mauceri, op. cit. Voir également L. Taylor, « Counter-insurgency, the PCP-Sendero Luminoso and t (...)

2Dans un premier temps, les membres du Sentier Lumineux ont en effet été perçus comme des délinquants de droit commun par le gouvernement qui confie aux forces policières le soin de rétablir l’ordre dans les départements touchés par l’activité sentiériste. Mais la Guordio Republicono et la Guordio Civil ne sont pas formées à cette fin et ne disposent pas des ressources nécessaires pour mener une action de cette envergure. Leurs structures de commandement et leurs responsabilités sont également très différentes. D’où l’émergence de conflits internes et l’impossibilité d’une action unifiée. De plus, les populations andines se méfient de la corruption des forces policières dont les abus de pouvoir sont légendaires3.

  • 4 Ibid., p. 137.

3L’inefficacité de l’intervention amène le président Belaúnde à décréter l’état d’urgence dans les territoires les plus menacés et à créer des Comondos Politicos-Militores. À la fin de 1982, les forces armées s’engagent directement dans la lutte anti-subversive et le gouvernement leur octroie des pouvoirs très étendus. Les responsables de ces territoires déclarés en « état d’urgence » disposent en effet d’une autorité politique et n’ont de compte à rendre qu’à la haute hiérarchie militaire. D’abord circonscrits aux régions andines, les Comondos se multiplient. De sept au moment de leur création en 1982, ils seront près d’une soixantaine en 1990 ; même Lima sera alors décrétée « zone d’urgence »4.

4Au moment de remettre le pouvoir aux civils, les militaires, que leur formation rend naturellement très sensibles à tout ce qui menace la sécurité nationale, connaissaient certainement l’existence des guérillas. Mais dans un premier temps, ils auraient manifesté peu d’empressement, semble-t-il, à intervenir. Plusieurs facteurs expliqueraient cette réticence : d’une part les services de renseignements avaient été complètement négligés depuis le milieu des années soixante et donc incapables d’évaluer adéquatement la nature et l’ampleur du mouvement ; d’autre part, depuis le milieu des années soixante-dix et l’éclatement du conflit frontalier avec l’Équateur en 1981, les forces armées auraient été davantage préoccupées de la protection du territoire national, l’équipement acquis au cours cette période n’étant nullement adapté à la guerre anti-subversive.

  • 5 F. Rospigliosi, op. cit., p. 14-15.
  • 6 P. Mauceri, « Military Politics and Counter-Insurgency in Peru », Journol of Interamerican Studies (...)

5Il faut se rappeler également qu’après douze ans de pouvoir, le prestige des militaires au sein de la population était au plus bas. D’abord soucieux de retrouver leur unité, ils auraient aussi tenu à garder leurs distances à l’égard du pouvoir politique. Mais ce qu’ont révélé plus tard les critiques adressées par certains généraux à l’endroit du gouvernement de Belaúnde, c’est surtout leur réticence à n’être utilisés qu’à des fins répressives, en l’absence d’une politique globale de pacification5. De plus, certaines analyses ont fait ressortir qu’avant le retour des militaires dans leurs quartiers, aucune position claire n’avait été définie relativement au rôle de l’armée sous un régime civil confronté à une insurrection6.

  • 7 Ibid., p. 7-11.

6Au moment où les militaires prennent la direction des opérations, les abus commis par les forces de police soulèvent déjà de vives critiques de la part des représentants de l’Église catholique et de plusieurs députés et intellectuels, soutenus par une partie de la presse. Dénonçant les méthodes répressives, ils préconisent la recherche d’une solution politique au conflit, soit l’adoption de mesures sociales et économiques de lutte contre la pauvreté, source de l’activité subversive. De leur côté, les militaires identifient les membres du Sentier Lumineux comme des agents du communisme international dont l’objectif est de détruire l’État, la société et l’armée. Ils attribuent donc la cause première de la subversion à l’idéologie marxiste, mais reconnaissent que la pauvreté des populations andines est un terrain propice à l’expansion de ce type de mouvement. Leur stratégie n’est donc pas exclusivement militaire : elle doit être globale et intégrale comme leur enseignent les doctrines de la guerre totale et de la guerre révolutionnaire7.

  • 8 Ibid., p. 17-21.
  • 9 C’est l’approche notamment du premier gouverneur militaire d’Ayacucho, le général Clemente Noel, an (...)

7Rospigliosi en rappelle à juste titre les origines européennes, surtout françaises, et leur influence déterminante sur les officiers péruviens8. Les terrains de la guerre moderne sont en effet tout autant militaires que politiques, économiques et psychologiques. Cette conception a été reprise par les théoriciens du CAEM dans les années quarante et cinquante. Au moment de la révolution cubaine, ils y ont intégré les principes de défense du front interne et de la guerre révolutionnaire, empruntés à la doctrine française et repris ensuite par les États-Unis. Dans les années soixante, les officiers péruviens qui ont combattu les guérillas paysannes – et dont plusieurs ont participé au gouvernement du général Velasco – s’inspiraient déjà d’une conception polyvalente de la lutte anti-subversive. Les généraux en poste un quart de siècle plus tard sont les héritiers de cette école. Mais en même temps, ils partagent avec leurs homologues du Cône Sud une certaine conception de la sécurité nationale qui assimile tout opposant idéologique à un subversif, c’est-à-dire non seulement combattants armés, mais tous ceux qui remettent en cause l’ordre établi, que ce soit dans les milieux sociaux, universitaires, journalistiques, etc. : appuyés par un mouvement international, les gauchistes et les communistes représentent l’ennemi intérieur qu’il faut éliminer physiquement9.

  • 10 F. Rospigliosi, op. cit., p. 18.

8Cette analyse ne prétend pas oblitérer les nuances et les différences existant au sein des forces armées pas plus qu’elle ne postule l’unanimité des secteurs civils sur la question du Sentier Lumineux. De profondes divergences se sont fait jour en ce qui a trait à la nature, à l’étendue et à la signification du phénomène sentiériste. Du côté militaire, et même s’ils partagent une même doctrine, certains généraux ont plutôt mis l’accent sur le caractère « international » de la subversion. Disposant d’une très grande liberté, les gouverneurs militaires en poste sur le terrain ont semblé également privilégier l’un ou l’autre aspects de la guerre, soit la répression soit les aspects socio-économiques10. En témoignent les prises de position des généraux Clemente Noël, Adrián Huamán et Wilfredo Mori, responsables successivement de la région d’Ayacucho de 1983 à 1985.

  • 11  P. Mauceri, Stote under Siege, p. 138, 141.

9Certains analystes ont souligné l’existence de divisions internes profondes entre d’un côté les officiers partisans d’une ligne dure et répressive et de l’autre les défenseurs d’une conception plus réformiste de la stratégie anti-subversive, le « desarrollisme ». Profondément enracinée chez les militaires de tendance réformiste, cette position défend la thèse du combat contre la pauvreté en région rurale, première cause de subversion, par le développement socio-économique Cette dernière tendance rappellerait la période vélasquiste. Il est vrai que l’extrême mobilité à laquelle étaient astreints ces officiers en vertu des règlements institutionnels – la durée de leur mandat était d’un an non renouvelable pour éviter le développement d’une base de pouvoir personnel – a pu donner l’image d’une certaine incohérence11.

  • 12  F. Rospigliosi, op. cit., p. 13-15.

10Mais une étude plus attentive de leurs déclarations permet de nuancer la thèse d’une opposition de fond entre les stratégies adoptées. Tous, en effet, revendiquent la mise en œuvre simultanée d’un ensemble de moyens tant militaires que socio-économiques pour lutter contre le Sentier Lumineux. Le général Huamán a critiqué le gouvernement de Belaúnde auquel il a réclamé des pouvoirs accrus et l’octroi des ressources économiques nécessaires aux programmes d’action civique militaire. Ses conflits avec les autorités politiques de la ville d’Ayacucho ont également mis en évidence que s’il souhaitait mettre en œuvre une stratégie intégrale de lutte contre la subversion, il entendait imposer le contrôle des militaires ; c’est également sous son administration que le nombre de victimes a été le plus élevé de toute la guerre. Quant à ses collègues les généraux Noël et Mori, ils seront également remplacés suite aux massacres de Uchuraccay (1983) et Accomarca (1985). Mais les déclarations faites dans le cadre des commissions sénatoriales chargées d’enquêter sur ces événements ont montré qu’ils partageaient une même conception de la lutte anti-subversive et réclamaient une stratégie d’ensemble globale que les dirigeants civils ont été incapables de proposer12.

  • 13  Sur cette loi cf. : « Una norma de excepción », Quehocer, n° 35, mai-juillet 1985, p. 16- 18 ; D. (...)
  • 14  Exception faite du massacre des huit journalistes liméniens (1983), de celui d’une communauté pays (...)
  • 15  Voir sur ce point l’entrevue du procureur J. Betancourt avec J.M. Salcedo, « El caso Uchuraccay, c (...)

11Ces mises au point ne justifient évidemment pas les innombrables abus commis au cours de cette période : détentions arbitraires et violation des droits humains, disparitions, tortures, exécutions sommaires et assassinats collectifs. La loi créant les commandements politico-militaires a établi que les délits dont se seraient rendus coupables les membres des forces armées et policières dans les régions placées sous leur juridiction constitueraient des « délits de fonction », soit des actes transgressant les normes et principes institutionnels13. Pour les protéger contre les sanctions qu’elles pourraient encourir suite aux « erreurs de parcours » qui ne manquent pas d’être commises en cas de guerre, on a donc réduit la portée des crimes imputables aux forces de l’ordre dans l’exercice de leurs fonctions, en les considérant comme des actes outrepassant les ordres reçus. Passibles d’une peine moins sévère que s’ils étaient soumis au code pénal, la plupart des responsables des actes de brutalité commis contre la population civile – et dans lesquels ont été impliqués non seulement des sinchis (commandos spécialisés de la Guordio Civil), mais également des effectifs de l’armée et de la marine – ont donc été traduits devant les tribunaux militaires14. Les autorités des régions concernées ont d’ailleurs généralement invoqué l’inviolabilité du secret militaire pour éviter que ne soient identifiés les auteurs de ces crimes15.

  • 16 Sur les relations entre civils et militaires de 1980 à 1985, cf. F. Rospigliosi, op. cit., p. 9- 17 (...)

12De 1980 à 1985, les relations entre civils et militaires se sont donc envenimées16. D’un côté une partie des milieux politiques et journalistiques remet en cause la conduite des forces armées dans la guerre et, plus globalement, ce qu’elle estime être la « solution militaire ». Les officiers n’auraient d’ailleurs pas été insensibles à la détérioration de leur image. D’où leur sentiment d’être « abandonnés » à leurs seules fonctions répressives, en l’absence d’une stratégie globale impliquant l’État et tous les secteurs de la société. D’où également un doute croissant sur la capacité des dirigeants civils à lutter efficacement contre la subversion. Les conflits se développent non seulement avec certains secteurs de l’opposition politique et de la presse situés au centre et à gauche et suspectés d’être des sympathisants du Sentier Lumineux, mais également avec le gouvernement, la Chambre des députés et le pouvoir judiciaire.

13Du côté des civils, principalement au sein des partis de gauche et chez les intellectuels, on soupçonne l’armée d’amplifier la menace terroriste pour mieux discréditer les forces progressistes. La méfiance à l’endroit des militaires s’accroît et les condamnations pour violations des droits s’intensifient. De part et d’autre on attribue l’expansion de la subversion à des causes différentes. D’où l’établissement de priorités opposées en termes de stratégies de lutte, les civils demandant des réformes immédiates, radicales et en profondeur, les militaires se limitant à désactiver le mouvement insurrectionnel sans sopposer toutefois à l’adoption de mesures de développement. Au moment de la transition à la démocratie en 1980, la question des relations entre civils et militaires est restée en suspens et l’établissement de mécanismes adéquats d’échange entre l’un et l’autre secteurs n’a pas été prévu.

14Au plan national, le pouvoir des forces armées décroît de manière significative non pas tellement en raison du retour au régime constitutionnel, mais plutôt à cause de l’hostilité du gouvernement de Belaúnde que le coup d’État de 1968 avait écarté du pouvoir. Le budget des services de renseignements – déjà très affaiblis sous le gouvernement du général Morales Bermúdez – a également été amputé et leurs structures démontées. Les programmes d’achats d’équipement prévus avant le retour des civils ont cependant été respectés tout comme le budget alloué à la défense, du moins jusqu’en 1983. L’ampleur de la crise économique empêche alors toute augmentation des dépenses militaires. Par ailleurs, le développement des activités subversives conduit le gouvernement à concéder des pouvoirs spéciaux aux forces armées en province, notamment dans la région d’Ayacucho. En plus de fermer les yeux sur les crimes commis dans le cadre de la guerre, le président Belaúnde promet de collaborer avec les généraux tout en affirmant son autorité : dans les zones décrétées en situation d’urgence, les politiques économiques de l’État ne passeront pas sous juridiction militaire.

15En résumé, l’échec de l’intervention policière dans un premier temps, puis les prises de position d’une bonne partie des milieux politiques et médiatiques, l’insuffisance des ressources et enfin l’incohérence mais surtout l’absence de stratégie gouvernementale, conduisent les militaires à douter rapidement de la capacité des civils à lutter efficacement contre la subversion.

La lutte anti-subversive et ses incidences sur les relations entre civils et militaires (1985-1990)

16Aux élections présidentielles de 1985, Fernando Belaúnde est défait. Se met alors en place un gouvernement apriste dirigé par Alan García qui accède au pouvoir avec la promesse d’importantes réformes sociales, notamment en matière de lutte contre la subversion. Annonçant l’adoption d’une approche différente, les premières déclarations présidentielles font écho à celles des officiers qui soutiennent la mise en œuvre de projets de développement dans les régions touchées par la guérilla. De plus, un nouveau programme, le Tropecio Andino, doit accorder une assistance technique et des prêts sans intérêt aux paysans de cinq départements du sud andin. De leur côté, les représentants des communautés paysannes sont invités à dialoguer et à faire connaître leurs problèmes au chef de l’État dans le cadre d’une série de rencontres, les rimonocuys. Le président García nomme également une commission chargée d’étudier les conditions d’une paix durable avec le Sentier Lumineux.

  • 17 J. Crabtree, Peru under Gorcío. An Opportunity Lost Macmillan et St Anthony’s College, Londres et O (...)

17Malgré cet effort, le gouvernement est en proie aux mêmes difficultés que son prédécesseur. La gravité de la crise économique n’est pas sans effet sur le budget des armées et prive les autorités des moyens de combattre l’insurrection. D’autre part Alan García met l’accent sur le respect des droits humains et souhaite exercer un certain contrôle sur l’appareil militaire. Toutes choses qui renforcent les généraux dans leur conviction de l’inefficacité des civils à pacifier le pays et à assurer son développement. Quelque temps après l’arrivée au pouvoir de l’APRA, le massacre de plusieurs dizaines de paysans par les forces de l’ordre à Pucayacu et Accomarca remet en cause la volonté de contrôle du gouvernement sur les militaires. Outre le limogeage du commandant de la deuxième région militaire, l’une des plus importantes au pays, et du responsable de la région d’Ayacucho, Alan García exige la démission du président du commandement conjoint des forces armées. Jamais dans l’histoire du Pérou, tout au moins depuis 1980, un président civil n’avait autant affirmé son autorité sur la haute hiérarchie militaire17.

  • 18 Sur ces événements cf. H. Flores, « Démocratie, autoritarisme et militarisation dans le Pérou d’Ala (...)
  • 19 P. Mauceri, Stoie under Siege, p. 139.
  • 20 Formée en juillet 1987, une nouvelle commission d’enquête présidée par le sénateur Rolando Ames a c (...)

18La volonté du chef de l’État de contrôler les forces armées se heurte toutefois à la quasi-intangibilité de l’institution militaire. En témoigne l’exécution sommaire, en juin 1986, de quelque trois cents prisonniers sentiéristes détenus dans les prisons liméniennes et l’absence de sanctions contre les responsables18. Apparemment le massacre aurait eu lieu avec l’assentiment d’officiers supérieurs, mais seul un simple officier sera finalement tenu responsable19. En plus de conclure à l’impossibilité d’identifier les coupables, une première commission d’enquête – dont l’APRA s’était engagé à ne pas dévoiler les travaux – avait en effet exonéré de tout blâme le commandement conjoint, en considérant ces crimes comme des actes d’insubordination20. Quelques mois plus tard, confirmant l’impunité des forces de l’ordre dans l’exercice de leurs fonctions, les députés apristes majoritaires au Congrès rejettent un projet de loi destiné à retirer aux seuls tribunaux militaires la responsabilité de juger des délits commis dans le cadre de la lutte anti-insurrectionnelle.

  • 21 Quehocer, n° 46, avril-mai 1987, p. 21-28.

19Espérant instaurer un nouveau type de relations entre le président de la République et les forces armées, le gouvernement avait pourtant proposé, en mars 1987, la création d’un ministère de la Défense regroupant les ministères de la Guerre, de la Marine et de l’Aviation21. Jusque-là, l’autonomie administrative et budgétaire des trois armes était complète, tout comme celle des ministères les représentant. De plus, les membres du commandement conjoint avaient le statut de fonctionnaires et ne dépendaient d’aucun ministre. La triade relevait directement du président de la République, mais n’était pas responsable politiquement des décisions prises en matière de défense. Dirigé par un civil, le nouveau ministère devait pallier à l’absence de responsabilité politique du commandement conjoint, mais surtout renforcer le contrôle du gouvernement sur un secteur qui, jusque-là, lui échappait complètement. Il devait également favoriser une rationalisation administrative, budgétaire et matérielle.

  • 22 E. Obando. op. cit., p. 111 et J. Crabtree, op. cit., p. 111-112.

20Le désir du chef de l’État de formuler une stratégie plus efficace de lutte contre le terrorisme n’était peut-être pas étranger à cette volonté de contrôle et de rationalisation des structures et des ressources consacrées à la défense. Mais, inspirée surtout par la crainte d’un coup d’État, la tentative de réorganisation se fait contre la volonté des militaires, et plus qu’une disposition technique destinée à rationaliser le système de défense, elle apparaît comme une moyen politique de contrôler les forces armées. Certains secteurs, surtout la marine et l’armée de l’air, manifestent leur réprobation devant ce qui représente une restriction importante à l’autonomie institutionnelle. La nomination d’un civil à la tête du nouveau ministère aurait également signifié une remise en cause du mode de relation établi en 1980 entre pouvoir civil et militaire. Devant la crainte des forces armées de passer sous la direction d’un ministre apriste, le président García reculera et nommera le commandant en chef de l’armée à la tête de la Défense. Loin d’être exceptionnelle, la décision présidentielle s’inscrit dans la logique de cooptation suivie par le gouvernement qui, en échange de leur appui politique, attribue certains ministères – entre autres celui de l’Intérieur – à des hauts gradés ou encore les nomme à des postes importants, ambassadeurs par exemple22.

  • 23 P. Mauceri, « Military Politics », p. 101.
  • 24 En 1982, 9 provinces étaient placées en état d’urgence ; elles seront 14 en 1984 et 56 en 1989. Id. (...)
  • 25 E. Obando, op. cit., p. 112.

21À partir de 1987, le terrorisme est en expansion. Les activités du Sentier Lumineux s’étendent à toutes les régions, notamment à Lima et dans la vallée de Huallaga où sont produits près de 60 % de la coca, transformée ensuite et exportée aux États-Unis23. Mais n’ayant pas de véritable stratégie à proposer pour en finir avec la subversion, le gouvernement concède de plus en plus d’autonomie aux militaires sur les plans régional et local ; leur pouvoir de fait s’étend, un nombre grandissant de départements étant placés sous la direction des commandants politico-militaires24. Le chef de l’État ne cédera jamais cependant aux pressions des forces armées qui souhaitaient disposer des pleins pouvoirs et contrôler politiquement les autorités civiles de ces régions25.

  • 26 Sur le MRTA et la position de l’APRA à l’égard de la lutte armée, cf. C. Graham, op. cit., p. 161-1 (...)

22Au cours des années quatre-vingts, un autre mouvement s’est développé parallèlement au Sentier Lumineux. C’est le Movimiento Revolucionorio Tupoc Amoru (MRTA) qui a la sympathie d’une partie de la gauche, surtout celle de la jeunesse apriste et de Izquierdo Unido. À la différence des combattants sentiéristes qui ont choisi de s’organiser en cellules, le MRTA a épousé l’approche des années soixante selon laquelle un petit groupe de guérilleros, le foco, peut servir de déclencheur à la révolution. C’est en octobre 1987, au moment où le mouvement sentiériste se déploie, que le MRTA lance son offensive la plus importante. L’histoire de l’APRA, longtemps engagé dans des mouvements insurrectionnels, la sympathie des jeunes apristes pour le MRTA, les déclarations ambiguës du président García qui d’un côté rend hommage au dévouement des sentiéristes prêts à mourir pour la patrie et de l’autre fustige le terrorisme, ont pour effet d’accroître le méfiance des militaires à l’endroit du gouvernement et de sa capacité à combattre la subversion26.

  • 27 P. Mauceri, Stote under Siege, p. 141.

23Parallèlement, certains membres de l’APRA, devenu la cible du Sentier Lumineux, revendiquent le droit de se protéger. Ils mettent sur pied des escouades paramilitaires, les búfolos, rattachés directement au ministère de l’Intérieur et aux forces armées. Le groupe le plus actif, le Comondo Rodrigo Fronco, apparaît en juillet 1988 et se donne pour mission de venger tous les représentants du parti qui ont fait l’objet d’attentats. Avocats, chefs syndicaux et députés de gauche comptent parmi les victimes du commando qui menace également tous les journalistes ayant critiqué le gouvernement. L’apparition de ces groupes traduit leur frustration devant l’impuissance de l’État et de l’appareil militaire à combattre efficacement la subversion ; elle confirme également une tendance à la « privatisation de la violence » qui se développe au Pérou à la fin des années quatre-vingts27.

  • 28 J. Crabtree, op. cit., p. 204-205.

24En 1988, une trentaine de villageois sont massacrés à Cayara. Des témoins ont formellement reconnu la présence de militaires, mais une commission d’enquête dirigée par un sénateur apriste les innocente, allant même jusqu’à nier l’événement. L’impossibilité de poursuivre les commandants des régions où a été commis le massacre traduit l’affaiblissement de la position présidentielle : les forces armées ont eu raison des efforts des dirigeants civils en vue d’imposer un plus grand respect des droits humains, a uteurs. Peu de temps après le massacre de Cayara, le Premier ministre reconnaît une marge de manœuvre et des pouvoirs accrus aux militaires : droit d’intervention même dans des régions qui ne sont pas déclarées en état d’urgence, centralisation des services de renseignements, création d’un fonds spécial destiné à la défense nationale, unification de toutes les forces de lutte contre la guérilla, et enfin promesse de réviser le cadre légal devant faciliter l’action anti-subversive28.

  • 29 P. Mauceri, « Military Politics », p. 96.
  • 30 Coretos, 16 oct. 1989, cité dans P. Mauceri, Stote under Siege, p. 141.

25En mai 1989, le Sentier organise une première série de « grèves armées » et réussit à paralyser tous les départements entourant la capitale. Les attentats contre les représentants de l’APRA se multiplient. Juges et avocats engagés dans des poursuites contre les terroristes sont parmi les victimes. Les menaces de mort entraînent une vague de démissions : à la fin de 1988, 104 maires et 224 conseillers ont abandonné leurs fonctions29. Au cours des dix-sept mois qui ont précédé les élections municipales de 1989, plus de 80 maires et conseillers ont été assassinés par les sentiéristes30. Les leaders des mouvements populaires ne sont pas épargnés.

  • 31 C. Graham, op. cit., p. 131-132.

26Les mesures de pacification sont un échec. D’une part les initiatives présidentielles en vue d’établir le dialogue avec les leaders paysans se sont essoufflées rapidement. Implantés autoritairement en l’absence des syndicats et des organisations existantes, les Rimonocuys ont eu peu d’impact et leur existence sera de courte durée. Dans la sierro, ils serviront de base d’appui électoral à l’APRA lors des élections municipales de 1986. Mais imposés d’en haut sans considérer les organisations paysannes existentes, ils n’ont pas réussi à intégrer les secteurs marginalisés de la paysannerie. Cette approche ignorant les mouvements autonomes des communautés de base a également marqué les politiques du parti au pouvoir auprès des marginaux des secteurs urbains où l’accroissement de la pauvreté a certainement favorisé l’expansion du Sentier Lumineux31. Quant au programme du Tropecio ondino destiné à soutenir les activités agricoles dans les zones d’urgence, il n’aura finalement existé que sur papier.

  • 32 J. Crabtree, op. cit., p. 121.
  • 33 Sur la politique économique du gouvernement cf. ibid., chap. 2 et 5. La crise de l’État est analysé (...)

27D’abord porteuse de promesses, l’approche « désarrolliste » s’est très vite heurtée aux contraintes financières du pays. En 1988-89, le Pérou connaît une récession économique particulièrement grave. Cette crise n’aurait probablement pu être évitée32. Des causes d’ordre structurel expliquent en effet la faiblesse de l’État péruvien qui, depuis le milieu des années soixante-dix, affronte une crise économique permanente, n’arrive pas en endiguer la corruption et le clientélisme au sein de la bureaucratie et assiste, impuissant, au développement de la violence un territoire qu’il n’arrive plus à contrôler. L’improvisation du gouvernement d’Alan García et l’alternance de stratégies opposées (de l’hétérodoxie à l’orthodoxie pure) ont accru l’instabilité économique et compromis les réformes structurelles promises par l’APRA33. À la fin des années quatre-vingts, l’État est encore plus vulnérable et, de toute évidence, ne dispose pas des ressources suffisantes pour combattre la guérilla et soutenir les programmes de développement des provinces andines.

  • 34 Voir l’analyse qu’en font P. Mauceri, « Military Politics » et F. Rosptgliosi, op. cit., p. 7-27.

28L’expérience de la lutte anti-subversive a eu des incidences profondes au sein des forces armées dont les désaccords ne porteraient pas tant sur des stratégies d’intervention différentes que sur la pertinence de laisser ou de retirer aux civils la direction de la guerre34. Ce point de désaccord n’est pas sans rappeler les conflits des années soixante-dix au cours desquelles les généraux s’étaient opposés sur la nature et l’étendue de leur engagement politique. L’intensité de ces conflits avait mis en danger l’unité institutionnelle. L’expérience et l’usure du pouvoir avaient alors convaincu l’institution de préparer le retour aux casernes. Mais au moment d’assurer la transition démocratique, des divisions profondes se seraient encore manifestées entre partisans d’un engagement direct dans les affaires de l’État et défenseurs de la passation des pouvoirs aux civils.

  • 35 E. Obando, op. cit., p. 111.
  • 36 C. Graham, op. cit., p. 166.
  • 37 P. Mauceri, Stote under Siege, p. 139. Sur les liens entre le narcotrafic, l’armée et les sentiéris (...)

29Ces conflits n’ont pas manqué de resurgir dans les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix d’autant que les forces armées, également touchées par l’austérité budgétaire, voient leurs salaires baisser considérablement tout comme les moyens mis à leur disposition pour assurer la défense nationale35. Le nombre de démissions et de désertions s’accroît également suite au mécontentement qui grandit chez les officiers. En janvier 1989, 2 000 d’entre eux démissionnent pour protester contre la baisse du niveau des soldes36. En même temps, grâce au commerce de la drogue, la corruption gagne les militaires en poste dans les régions de culture de la coca où le Sentier Lumineux a réussi à s’implanter auprès des paysans en leur offrant sa protection contre l’intervention armée37. La frustration augmente au sein des forces armées qui tout en ne disposant pas des moyens matériels de combattre la guérilla, subissent les critiques du président et de la presse sur les excès commis dans les régions contrôlées par les commandants politico-militaires. Insuffisamment payées et équipées en plus d’être mal acceptées des populations locales, les troupes en poste sur le terrain sont également de plus en plus démoralisées.

  • 38 Sur l’hypothèse de la préparation d’un coup d’État contre le gouvernement apriste, cf. F. Rospiglio (...)

30À la fin des années quatre-vingts, la situation économique s’est détériorée et les activités terroristes sont en nette progression. Sur ces deux points, la gestion des dirigeants est un échec et l’incapacité de l’ensemble de la classe politique est manifeste. Estimant le pays ingouvernable et profondément insatisfait de la gestion apriste, un groupe composé de civils et de militaires aurait alors conçu le projet de destituer le président Alan García et d’instaurer à long terme un régime militaire38. Préparé en 1988-89, le document sur lequel s’appuie l’hypothèse de la préparation d’un coup d’État analyse la situation politique à la veille des élections présidentielles d’avril 1990. Outre le constat d’un terrorisme en expansion – aux activités du Sentier Lumineux se sont ajoutées celles des groupes paramilitaires apristes auxquels pourraient bien se joindre certains secteurs de la police proches du parti –, le document souligne les dangers qui guettent le pays. Dans le contexte de tension politique et de décomposition sociale qui est alors celui du Pérou, seules les forces armées pourraient assumer la direction de l’État et amorcer un processus de construction nationale, en marge du système constitutionnel. S’il affirme son libéralisme en matière économique, le groupe entend restreindre les libertés démocratiques (liberté de l’entreprise et de la presse mais contrôle de l’opinion), modifier la doctrine de défense et restructurer les objectifs de la guerre anti-subversive.

  • 39 Si l’on en croit les déclarations du général J. Julia Freyre, Quehocer, no 34, avril 1985, p. 11-13

31La prise du pouvoir par les militaires n’a pas eu lieu. Cependant l’évolution ultérieure des relations entre certains éléments des forces armées et le successeur d’Alan García – dont l’orientation rappelle celle des conspirateurs présumés – confirme l’existence d’un groupe d’officiers décidés à faire table rase des institutions démocratiques et à imposer leur propre mode de gestion des problèmes nationaux. Au milieu des années quatre-vingts, certains représentants de l’institution militaire avaient affirmé avoir appris à vivre en démocratie39. Les événements qui ont marqué l’évolution du Pérou depuis 1990 permettent d’en douter.

Restructuration de l’État et collaboration entre civils et militaires (1990-1997)

  • 40 Bruce H. Kay, « Fujipopulism and the Liberal State in Peru, 1990-1995 », Journol of Interamerican S (...)
  • 41 D’après le titre d’un article de R. Grompone, « Perú : la vertiginosa irrupción de Fujimori. Buscan (...)
  • 42 On estime à 43 % la population qui travaillait dans le secteur informel en 1986, chiffre qui s’élev (...)

32Un régime autoritaire s’est en effet mis en place progressivement grâce à l’appui de quelques généraux et à l’utilisation des forces armées sur le terrain, à la fois comme appareil de répression, relais partisan au moment des élections et gestionnaire des programmes d’action civique40. Mais la présence militaire ne suffit pas à expliquer les succès d’Alberto Fujimori qui, indépendamment de toute force politique organisée, obtient la victoire aux élections présidentielles de 1990. Plusieurs raisons ont été avancées pour comprendre l’« irruption vertigineuse »41 de cet inconnu, recteur d’une université andine, sans équipe ou même programme de gouvernement : identification de caractère émotionnel d’une grande partie de la population qui se reconnaît davantage dans cet homme d’origine asiatique et populaire, ouvertement opposé à l’élite traditionnelle ; désaffection de secteurs importants de l’électorat à l’égard des partis politiques ; paralysie de l’État et affaiblissement des institutions démocratiques ; mais surtout déstructuration du tissu social découlant de l’informalisation de presque tous les secteurs de l’économie42.

  • 43 Sur les liens entre informalité économique et politique cf. R. Grompone, « El reemplazo de la s eli (...)
  • 44 Y. Saint-Geours, « Vote, violence et mobilisation populaire au Pérou (1989-1991) », in G. Couffigna (...)
  • 45 J. Crabtree, « La crisis », p. 20. Sur la crise des partis voir également : F. Durand, « El fenómen (...)

33Phénomène largement perceptible dans les années quatre-vingts, l’informalisation touche également la politique et la culture, et ce non seulement au Pérou mais dans l’ensemble de l’Amérique latine43. Les partis traditionnels ne sont pas en prise avec cette réalité et les électeurs s’en sont éloignés pour chercher un autre type de représentation politique44. La crise actuelle de la représentation n’est d’ailleurs pas nouvelle. Elle a des racines historiques et s’inscrit dans une crise globale du système politique péruvien qui, depuis un siècle, s’est montré incapable de jouer un rôle fondamental dans l’aggrégation des intérêts et la légitimation des gouvernants45.

  • 46 F. Sagasti et M. Hernández, « The Crisis of Governance », in J.S. Tulchin et G. Bland (éd.), op. ci (...)
  • 47 H. Pease García, Los oños de lo longosto. Lo esceno político del fujimorismo, La Voz, Lima, 1994, p (...)
  • 48 S. Zermeño, « El retorno del lider : crisis, neoliberalismo y desorden », Revisto Mexicono de Socio (...)
  • 49 C. Rosa Balbi, op. cit. p. 33 et S. López Jiménez, « Perú : une doble via. La transición entre el A (...)

34Ainsi c’est d’une « crise de la gouvernance »46 ou d’une « crise de la politique » plus que de la représentation dont certains analystes préfèrent parler, une crise qui est en fait celle de l’État, incapable de jouer son rôle d’intégrateur social et de garant de la sécurité des citoyens47. La crise péruvienne n’est du reste pas seulement une crise des institutions étatiques, mais également une crise économique et sociale. La violence de la guerre interne et l’imposition des politiques néo-libérales ont accéléré la décomposition de la société. De leur côté, les acteurs sociaux sont en perte d’influence et les perspectives de l’action collective et politique se sont effondrées. D’où l’apparition des conditions favorables à l’émergence de ce que certains ont appelé « la fascination pour le leader »48. Fujimori incarne mieux que tout autre l’image d’un homme nouveau, travailleur, honnête, mais surtout indépendant des partis. Dans un premier temps, il a recours à une forme de « légitimité négative » et n’a de cesse de critiquer l’ensemble des institutions démocratiques, surtout les partis politiques « traditionnels », tout en adoptant un style très personnalisé et autoritaire49.

  • 50 Sur les composantes de cette alliance favorable à A. Fujimori, cf. P. Mauceri, « State Reform, Coal (...)

35Par la suite, l’absence d’alternative de l’opposition et son habileté politique ont permis au président non seulement de se maintenir à la tête de l’État, mais d’élaborer une stratégie d’alliances et de développer une base d’appui électoral. Le système mis en place repose sur les éléments suivants : collaboration d’un petit groupe de technocrates civils ; concentration du pouvoir et des ressources au sein de l’Exécutif, création d’agences sociales contrôlées par l’État et adoption d’un certain nombre de mesures d’assistance destinées aux plus pauvres ; accord des agences internationales de financement et des entrepreneurs nationaux favorables aux politiques néolibérales ; enfin, pièce maîtresse de l’échiquier présidentiel, appui actif de l’institution militaire, – ou plutôt d’un secteur des forces armées – à laquelle le président Fujimori octroie des pouvoirs accrus et qui lui apporte officiellement un soutien partisan50. Formée très rapidement autour du nouvel élu, cette coalition s’est consolidée au cours des vingt premiers mois de gouvernement, sur la base d’une volonté commune de restructurer et de libéraliser un État qui s’était construit dans les années soixante-dix sur des bases interventionnistes.

  • 51 F. Rospigliosi, op. cit., p. 34-39 et B.H. Kay, op. cit., p. 74-75.

36Le rapprochement avec les forces armées paraît s’être effectué d’autant plus facilement que le président avait remporté la victoire en l’absence d’organisation et de programme politiques. Dès son arrivée au pouvoir, des liens étroits se seraient tissés entre Alberto Fujimori et un secteur de l’institution militaire lié à un personnage mystérieux, Vladimiro Montesinos, ex-capitaine de l’armée et avocat proche des services de renseignements. Oeuvrant dans l’ombre, ce cercle a eu depuis lors une influence déterminante sur le chef de l’État. Divisées sur l’opportunité de jouer un rôle directement politique, les forces armées comme institution n’auraient toutefois pas pris l’initiative de ce rapprochement. De 1990 à 1992, deux tendances ont coexisté : l’une « institutionnaliste » et dominante qui aurait résisté à la tentation de prendre directement position en faveur du chef de l’État, l’autre plus encline à lui accorder son appui en échange d’une garantie d’immunité dans les cas de violation des droits humains et de protection des officiers impliqués dans le commerce de la drogue. Mais c’est seulement à la suite d’un jeu complexe d’intrigues et d’alliances qu’a triomphé le tandem Fujimori-Montesinos. Mises à la retraite anticipées des généraux récalcitrants et promotion des éléments favorables ont également permis à certains officiers associés au services de renseignements de s’allier à des membres du noyau dirigeant des forces armées et de contrôler progressivement l’institution51.

  • 52 P. Mauceri, « State Reform », p. 20.

37Élu sans programme défini en ce qui a trait aux moyens de combattre le terrorisme, le président adopte rapidement des mesures qui reflètent l’influence accrue des services de renseignements. Outre les changements internes qui se produisent parmi les chefs militaires, des dirigeants des forces de police et du ministère de l’Intérieur sont également démis de leurs fonctions. Ces modifications s’accompagnent d’un renforcement du rôle des militaires, perceptible dès 1991. On assiste en effet à une militarisation croissante des tâches de maintien de l’ordre, des militaires lourdement armés étant affectés à des fonctions dévolues habituellement à la police. En même temps qu’ils sont autorisés à faire du porte-à-porte dans les bidonvilles de Lima pour y débusquer les terroristes, ils sont chargés de distribuer de la nourriture aux habitants des bidonvilles. Tout en faisant disparaître les graffiti laissés par Sendero, ils ont également toute liberté de s’installer dans certaines universités pour surveiller les allées et venues des suspects de sympathie sentiériste. Ils surveillent enfin les prisons et accompagnent les percepteurs de taxes qui l’ont la chasse aux petits vendeurs ambulants52.

  • 53 H. Pease García, Los oños, p. 59-134.
  • 54 Ibid., p. 131-132.

38L’extension des fonctions assumées par les militaires s’accompagne d’une attaque contre l’ensemble des institutions démocratiques. Elles rappellent notamment les critiques adressées traditionnellement par les militaires aux formations partisanes. Qu’ils soient de droite ou de gauche, les principaux acteurs de la scène politique ont d’ailleurs souligné les menaces pour la démocratie que représentaient les prises de position et le comportement autoritaires du président. Dans un ouvrage consacré à cette période, Henry Pease García évoque l’œuvre de Garcia Marquez, Chronique d’une mort onnoncée, pour souligner les menaces qui pesaient alors sur la démocratie péruvienne. En effet, une relecture des principaux événements politiques survenus pendant les vingt premiers mois de gouvernement d’Alberto Fujimori a permis d’identifier dès le départ une volonté de gouverner en dehors des institutions démocratiques : rapprochement avec les forces armées, durcissement des mesures anti-subersives et violations des droits humains, attaques aux représentants de la Justice et aux instances régionales de pouvoir, etc.53 Autre signal d’alarme qui a confirmé bon nombre de Péruviens dans leurs craintes d’un renforcement de l’autoritarisme : dès les premiers mois de 1991, des rumeurs faisaient état de l’existence d’un document circulant au sein des forces armées et qui appelait à la formation d’un « co-gouvernement » composé de civils et de militaires54.

Les décrets précurseurs de l’outogolpe du 5 avril 1992

  • 55 F. Rospigliosi, op. cit., p. 53.
  • 56 C. Wise, « The Politics of Peruvian Economic Reform : Overcoming the Legacies of State-Led Developm (...)

39À la lumière des événements qui ont suivi, cette rumeur peut apparaître comme un ballon d’essai destiné à prendre le pouls politique des divers secteurs sociaux. Même si le coup d’État n’a pas eu lieu au moment prévu, les pratiques autoritaires du gouvernement se sont accentuées. Au cours de cette période, les activités terroristes continuent de progresser et le Sentier Lumineux d’échapper au contrôle des forces de l’ordre. Devant l’urgence de la situation, en juin 1991, la Chambre accorde à l’Exécutif le pouvoir de légiférer, notamment en matière de lutte anti-subversive, tout en se réservant la possibilité de revoir les décrets préparés dans les cercles restreints du pouvoir présidentiel. Au nombre de 120, les décrets gouvernementaux ne seront finalement publiés qu’en novembre 1991, laissant aux députés un temps de discussion très court55. Cette manière de gouverner n’est pas propre au président Fujimori. N’hésitant pas à légiférer par décret, les administrations précédentes, celles de F. Belaúnde et d’A. García, ont en effet adopté un mode de fonctionnement politique semblable centré sur un Exécutif fort, notamment en matière de politique économique56.

  • 57 P. Mauceri, « State Reform », p. 23.
  • 58 F. Rospigliosi, op. cit., p. 55-58.

40L’adoption des décrets de novembre 1991 aurait toutefois signifié la restructuration de l’État la plus importante depuis le gouvernement du général Velasco57. Le premier groupe de lois avait pour objectif de modifier le rôle de l’État dans l’économie en privatisant les entreprises publiques, touchant du même coup aux statuts et aux relations avec les travailleurs. D’autre part, au nom de la guerre contre le terrorisme, ces décrets d’orientation néo-libérale étaient assortis de mesures politiques autoritaires renforçant les pouvoirs des forces armées : restrictions à la liberté de presse, de circulation et de propriété, création de tribunaux militaires habilités à juger les suspects de terrorisme, pouvoirs accrus aux services de renseignements, etc.58. Plusieurs de ces décrets n’étaient destinés qu’à légaliser des situations de fait, par exemple la présence militaire dans les universités, les généraux ayant depuis longtemps déploré le flou juridique en matière de lutte anti-subversive.

  • 59 La thèse du « blocage institutionnel » avancé par Fujimori pour justifier l’outogolpe ne tient pas, (...)

41En février 1992, les élus réunis en session extraordinaire ont approuvé une partie des mesures, la plupart de caractère économique, mais se sont opposés ou ont exigé la modification de la majorité des décrets relatifs à la lutte anti-subversive et à l’extension des pouvoirs des forces armées59. Ils ont en même temps adopté une loi restreignant le pouvoir de légiférer du chef de l’État, manifestant ainsi leur intention de s’opposer à toute tentative de centralisation du pouvoir présidentiel. Invoquant l’obstruction du Congrès à l’adoption de mesures plus efficaces assurant la sécurité nationale, Fujimori dissout la Chambre le 5 avril 1992. Anti-constitutionnelle, la décision est toutefois accuellie dans l’indifférence par la population.

  • 60 M.A. Cameron, op. cit., p. 150-151 ; M.-D. Demélas-Bohy et 1. Lausent-Herrera, « Pérou : le pouvoir (...)
  • 61 Les sondages d’opinion réalisés en mai 1992 révèlent en effet que 78, 5 % des personnes interrogées (...)

42Deux ans plus tôt, le rejet des élites politiques traditionnelles avait conduit les électeurs à choisir une personnalité étrangère aux partis. Depuis l’arrivée au pouvoir de Fujimori, ses attaques répétées contre les institutions démocratiques ont nourri sa popularité. Au lendemain de l’outogolpe, une majorité de Péruviens (87 %) a donc soutenu la décision de mettre fin à un système décrit par le président comme une source de corruption et un instrument de politisation excessive capable de détruire la démocratie60. Les tensions croissantes entre l’Exécutif et une Chambre très fragmentée, dont la condition de survie était de négocier avec l’Exécutif, et la confrontation qui les a opposés par la suite ont entretenu auprès du public l’idée que les députés pouvaient être un obstacle aux réformes gouvernementales. De même la perception d’une menace accrue du terrorisme, très présente et réelle à l’époque, ne serait pas étrangère à l’appui accordé par une majorité de Péruviens au virage anti-constitutionnel du régime61. Fujimori ne s’est pas trompé en misant sur l’indifférence populaire à l’égard du système traditionnel de représentation politique. De ce côté en effet, aucune voix ne s’est élevée pour défendre les partis et leurs chefs.

  • 62 P. Mauceri, « State Reform », p. 28 et B.H. Kay, op. cit., p. 75.

43D’autre part, quelque temps avant la dissolution de la Chambre, une déclaration du chef du commandement conjoint assurait le président Fujimori de l’appui des forces armées. En violation de la constitution de 1979 interdisant aux officiers de prendre publiquement une position partisane, le général Nicolás de Bari Hermoza Ríos avait alors soutenu les décrets présidentiels rejetés quelque temps plus tôt par le Congrès. Cet appui officiel au président Fujimori contre la Chambre et la constitution rompait avec le comportement apolitique adopté par l’institution militaire depuis son retrait du pouvoir en 1980. Il ouvrait également la voie à l’outogolpe62.

  • 63 Pour un compte rendu de l’événement cf. F. Rospigliosi, op. cit., p. 40-42.

44Le 5 avril, en même temps que la Chambre des députés, les forces armées et la police occupent le Palais de Justice, les organes de presse et d’autres lieux publics. Des personnalités politiques et des journalistes sont également mis sous arrêt. De plus, la nuit même de l’outogolpe, le commandement conjoint publie un communiqué, véritable pronimciomiento politique, dans lequel l’institution militaire soutient la décision présidentielle. Le 5 avril s’instaure un gouvernement autoritaire qui entend maintenir au pouvoir un président civil élu démocratiquement, mais tous les éléments d’un coup d’Etat sont présents63.

  • 64 Sur les raisons avancées par le président Fujimori et celles que les analystes ont pu faire à la su (...)

45Plusieurs raisons ont été avancées pour expliquer la décison d’abolir un Congrès qui avait jusque-là collaboré avec le président : imposition d’un programme d’austérité économique nécessaire à la réinsertion du Pérou à la communauté financière internationale ; volonté de se défaire d’une Chambre qu’il pourrait avoir du mal à contrôler dans l’avenir ; ambition personnelle de Fujimori souhaitant de nouveau être candidat aux présidentielles de 1995 et qui, pour ce faire, doit modifier la constitution de 1979 et éliminer un rival politique potentiel en la personne d’Alan García ; adoption d’une législation plus efficace accordant les pleins pouvoirs aux forces armées en matière de lutte anti-subversive64.

  • 65 Sur les réactions de Washington au coup de force du président Fujimori voir : D.S. Palmer, « Relaci (...)
  • 66 Sur les réactions internationales et le repositionnement des acteurs, cf. P. Mauceri, « State Refor (...)

46Les auteurs de l’outogolpe n’avaient cependant pas prévu les réactions négatives de la communauté internationale à l’instauration d’un régime autoritaire. Les États-Unis, divers pays de la Communauré Européenne et l’OEA ont en effet protesté65. Les pays du Pacte andin et plusieurs États ont également rompu leurs relations diplomatiques. Le Pérou a été isolé et sa réinsertion compromise par la suspension des programmes de financement des organismes internationaux. Le monde des affaires péruvien qui avait soutenu un président dont il partageait les objectifs de libéralisation économique a maintenu cet appui ; mais les mois passant, son optimisme et sa confiance ont commencé à s’effriter. Principale base d’appui du régime, les forces armées ont également été secouées par l’évolution du régime et surtout par les prises de position partisanes du commandement conjoint, engageant l’institution militaire. Les remous internes se sont traduits par une série de complots, notamment en novembre 1992, impliquant des personnalités de l’opposition politique. Mises à la retraite anticipées et nominations à des postes administratifs ont également sanctionné les généraux peu sûrs ou opposés à l’ingérence de Fujimori dans les affaires strictement militaires66.

  • 67 On trouvera de larges extraits du discours prononcé par le président Fujimori dans : M.A. Cameron, (...)

47Quelques semaines après l’outogolpe, les pressions internationales en faveur d’une restauration des institutions démocratiques, condition de la réinsertion du Pérou, ont obligé le chef de l’État à convoquer des élections. En mai 1992, s’adressant aux représentants de l’OEA, il dénonce la portidocrocio, à savoir le pouvoir des partis politiques qui, au Pérou, constituerait un obstacle à l’établissement d’une véritable démocratie et expose sa conception d’une démocratie fondée sur la participation directe des citoyens67. S’il doit tenir compte de la communauté internationale et modifier apparemment son projet initial, le président Fujimori trouve une formule de compromis qui lui assure une position de force. En plus de changer la loi électorale, il modifie le système de représentation. Dépourvu d’organisation politique et incapable de constituer une liste électorale comportant plusieurs noms, Fujimori choisit d’instaurer un système unicaméral. Le Sénat est aboli et la nouvelle Chambre des députés, le Congreso Constituyente Democrático, ne comptera que 80 membres élus par un collège national – comparativement à 180 dans le passé – limitant d’autant le contrôle des élus sur l’Exécutif. De nouvelles règles électorales se mettent également en place qui favorisent les candidats indépendants et obligent les partis obtenant moins de 5 % des votes à se réinscrire auprès du Tribunal national des élections.

  • 68 Données tirées de F. Rospigliosi, « Pérou : discrédit des partis et autoritarisme dans les années 1 (...)

48Les grands partis d’opposition, l’APRA, Acción Populor et certains partis de gauche, ont choisi de ne pas prendre part à l’élection en raison de sa partialité, des manipulations possibles et enfin du manque d’autonomie et de pouvoir réel de la prochaine assemblée. Ils n’ignorent pas non plus qu’ils n’ont aucune chance de l’emporter. Fort d’une certaine popularité surtout après la capture, en septembre 1992, de plusieurs leaders du Sentier Lumineux, le président Fujimori remporte la victoire avec 37, 5 % des voix et 55 % des sièges. Mais la liste présentée par son mouvement Nuevo Moyorio/Combio 90, mis sur pied à des fins électorales, ne remporte que 27, 1 % des inscrits, alors que les sondages lui accordent entre 60 et 70 % d’opinions favorables. Le manque d’intérêt de la population à l’égard de l’élection des nouveaux députés est manifeste : les taux d’abstention tout comme le nombre de votes blancs et nuls sont les plus élevés depuis les trente dernières années. Les élections municipales qui se sont tenues deux mois plus tard ont confirmé ce désintérêt à l’égard des partis, des élites dirigeantes et de la politique. Alors qu les candidats indépendants font une percée remarquable, les formations traditionnelles obtiennent de piètres résultats. Quant aux nouveaux mouvements apparus en 1992, ils ne possèdent pas de structure partisane nationale et sont pratiquement inexistants. Le groupe du président souffre de la même absence d’organisation et n’aurait gagné que dans 2, 8 % des circonscriptions68.

49Mandatée pour rédiger une nouvelle constitution, la Chambre récemment élue marque une étape importante dans l’institutionnalisation du nouveau régime. Tout comme l’adoption de la réforme constitutionnelle qui, soumise à référendum le 31 octobre 1993, a consacré les changements que le chef de l’État avait commencé à introduire. L’Exécutif est renforcé : en plus de contrôler le pouvoir judiciaire, le président peut dissoudre la Chambre à sa guise et briguer un second mandat. La constitution de 1993 inscrit également tous les décrets rejetés un an plus tôt par les députés révoqués. Avec l’élection d’un nouveau groupe de parlementaires, le président dispose donc d’une marge de manœuvre accrue et n’a plus à négocier sur les mesures qu’il entend imposer. Toutes vont dans le sens d’une réforme en profondeur de l’État sur les plans à la fois économique, politique et militaire.

La restructuration de l’État

50Se présentant comme le chef d’un gouvernement de « reconstruction nationale », Alberto Fujimori introduit un ensemble de mesures qui visent à réorganiser un État considérablement affaibli sur le plan tant national qu’international : crise économique durable et fragilité à l’égard des grands organismes de financement et des institutions bancaires ; inefficacité et extension des pratiques clientélistes au sein de la bureaucratie ; persistence d’une violence politique endémique ; crise globale des relations État/société.

  • 69 Sur ces réformes cf. P. Mauceri, « State Reform » et B.H. Kay, op. cit.

51Dans ce contexte, les politiques de facture néo-libérale introduites par le gouvernement issu de l’outogolpe ont pour but de restructurer l’appareil d’Etat : privatisation des entreprises publiques et démantèlement des coopératives agraires mises sur pied dans les années soixante-dix, réduction considérable du nombre de fonctionnaires, réforme du système de taxation et de recouvrement fiscal. D’autre part, au début de 1993, le Pérou réussit à rembourser les sommes dues au FMI et à la Banque Mondiale ; il peut de nouveau honorer son service de la dette, rétablir son crédit et avoir accès à de nouvelles sources de financement. Imposés autoritairement, les programmes de libéralisation et de stabilisation du président Fujimori – les plus draconiens en Amérique latine – ont permis la réinsertion du pays au sein de la communauté financière internationale dont il était exclu depuis le milieu des années quatre-vingts. L’État péruvien a donc abandonné ses fonctions d’entrepreneur pour se concentrer sur son rôle de percepteur. Alimentant le trésor public, ces réformes fournissent au président les moyens de sa politique : importants travaux publics et d’infrastructure, accroissement des dépenses d’assistance aux plus pauvres canalisées dans des agences de développement social contrôlées par l’Exécutif, augmentation des fonds destinés aux programmes d’action civique dans les régions touchées par les guérillas69.

52Sur le plan politique, les réformes sont tout aussi radicales et visent à réaffirmer l’autorité de l’État central, en particulier celle du président. Les instances régionales et locales de gouvernement voient leurs efforts d’autonomie anéantis par la constitution de 1993 qui met un terme au processus de décentralisation amorcé au cours des années quatre-vingts par le gouvernement d’Alan García. Plus question d’élire les gouverneurs des régions qui redeviennent entièrement dépendantes du pouvoir central. Pour leur part les municipalités sont directement touchées par la politique de centralisation fiscale qui réduit considérablement leur pouvoir de taxation et leurs champs d’intervention.

  • 70 B.H. Kay, op. cit., p. 83.
  • 71 Sur le contrôle exercé par le président au sein du gouvernement, cf. F. Rospigliosi, Los Fuerzos Ar (...)

53Les ministères ne sont pas épargnés, les plus proches du président étant les plus favorisés sur le plan de l’allocation des ressources. Contrôlés directement par Fujimori, le ministère de l’Économie et des Finances, le Conseil des ministres et la présidence ont vu en effet leur budget augmenter de façon remarquable, de 34 % à 61 % entre 1990 et 199370. Au cours de la même période, le rattachement à l’Exécutif des agences chargées des programmes de travaux publics et d’assistance sociale explique l’essor exceptionnel des sommes allouées à la présidence. D’autre part, après l’outogolpe d’avril 1992, l’Exécutif s’est réduit à bien peu de chose. Le Conseil des ministres ne s’est pas réuni sur une base régulière et chacun de ses membres a été confiné à la seule gestion des affaires le concernant directement. Même les ministres de l’Économie n’ont eu aucun droit de regard sur les dépenses alloués aux forces de sécurité. Ils ont aussi perdu progressivement le contrôle d’une partie des ressources publiques utilisées par la présidence à des fins de propagande politique. De plus, tant les ministres que les députés ont été tenus à l’écart de toute discussion sur la question de la lutte anti-subversive, réservée au président et aux forces armées71.

  • 72 B. Kay, op. cit., p. 83. Sur la politique sociale du régime, cf. ibid., p. 78-81 ; P. Mauceri, « St (...)

54Sur le plan social, la réduction des dépenses de santé et d’éducation (de 21 % en 1990 à moins de 8 % en 1994) reflète également le choix du gouvernement de privilégier les agences rattachées directement à la présidence : Fondo de Compensoción y Desorrollo Sociol (FONCODES), Fondo Nocionol de Viviendo (FONAVI) et Progromo Nocionol de Asistencio Alimentorio (PRONAA). En 1994, avec l’appui du FMI et une partie des fonds provenant des privatisations, ces agences mettront en place des « filets de sécurité » destinés à alléger les effets des politiques de stabilisation. Les mesures définies dans le cadre du projet néo-libéral n’épargnent pas le système de sécurité sociale, victime du désengagement de l’État. D’autre part les modifications apportées à la législation du travail traduisent la volonté du gouvernement de mettre un terme aux droits acquis au cours des années soixante-dix : restrictions des activités syndicales, limites imposées au droit de grève dans le secteur public, liberté d’organiser plusieurs syndicats sur un même lieu de travail, etc. En même temps le gouvernement encourage l’apparition de nouveaux intermédiaires entre l’État et la société, dans le secteur informel (syndicats de travailleurs), les Pueblos Jovenes (associations d’habitants) ou encore à la campagne (rondas compesinos)72.

  • 73 Sur l’emprise des militaires sur différents secteurs, cf. : C. Reyna et D. Montoya, « Fuerzas Armad (...)

55Sur le plan militaire, le rôle des forces armées se révèle encore plus marqué depuis l’outogolpe d’avril 199273. Les pouvoirs accrus et les nouvelles ressources qui leur sont octroyés traduisent la volonté du gouvernement d’augmenter le contrôle de l’État sur la société. Ce contrôle est de caractère à la fois coercitif ou répressif et socio-politique. En plus de militariser la lutte anti-subversive, les mesures imposées par décret sont en effet assorties d’une politique de pénétration de l’État dans les départements les plus touchés par le mouvement sentiériste, soit les hauts plateaux. Cette politique a pour but de pallier au déficit des relations entre l’État et la société en utilisant les militaires comme relais auprès de la population. Elle met notamment l’accent sur l’organisation de groupes d’autodéfense, les rondas compesinos, armés et contrôlés par les forces de sécurité, et sur les programmes d’action civique (gestion de travaux publics, distribution de nourriture et services divers). Le président a su profiter des retombées de cette présence accrue des forces armées qu’il utilise à des fins de propagande dans les années qui ont précédé l’élection de 1995. La dernière partie du chapitre retracera l’évolution de l’institution militaire qui, si elle n’occupe pas des fonctions directement politiques depuis l’accession au pouvoir de Fujimori, n’en joue pas moins un rôle déterminant dans la restructuration des relations entre l’État et la société.

Réorganisation institutionnelle et repolitisation des forces armées

  • 74 P. Mauceri, Stote under Siege, p. 142.
  • 75 Sur les décrets de pacification cf. F. Rospigliosi, Los Fuerzos ormodos, p. 55-60.

56Les décrets de novembre 1991 relatifs à la sécurité nationale octroient aux militaires un rôle prépondérant dans la conduite de la guerre. D’autre part la politique de centralisation adoptée par le noyau dirigeant n’épargne pas les forces armées qui sont l’objet d’un ensemble de réformes, les plus radicales depuis la fin des années soixante-dix74. Les principales dispositions contenues dans ces décrets qui auront force de loi après l’outogolpe sont les suivantes : droit d’intervention des militaires et des policiers dans les universités ; droit de mobiliser tous les résidents péruviens et leurs biens en vertu de la loi de mobilisation nationale ; reconnaissance légale des comités d’autodéfense, les rondas, créés et soumis au contrôle des forces armées autorisées à leur distribuer des armes ; loi de la défense nationale créant un nouvel organisme, le COFI (commandement opérationnel du front interne), responsable de la lutte anti-subversive ; extension considérable des pouvoirs des services de renseignements dont les ramifications s’étendent désormais aux ministères et aux divers organismes d’État ; extension des pouvoirs des commandants politico-militaires dans les zones déclarées en situation d’urgence ; modification de la loi de situation militaire établissant le retrait des officiers pour des raisons d’âge ou d’ancienneté – le président peut maintenant prolonger à sa guise le mandat des commandants généraux. Après le 5 avril 1992, d’autres décrets seront introduits, par exemple la possibilité pour les juges de ne pas exercer leurs fonctions à visage découvert, le droit des tribunaux militaires de juger des civils accusés de terrorisme, etc.75.

  • 76 Ideele, n° 32-33, 1994, p. 14. Ibid., p. 58.
  • 77 C’est la thèse défendue par P. Mauceri. Voir la critique dans F. Rospigliosi, Los Fuerzos ormodos.

57Ces décrets ont eu pour effet de « militariser » la lutte anti-subversive au sens d’imposer une logique proprement militaire qui écarte toute participation des civils dans la conduite de la guerre76. Mais cette « militarisation » ne signifierait pas un changement d’orientation stratégique comme le suggèrent certaines analyses, l’aspect proprement guerrier prenant le pas sur la dimension « désarrolliste »77. Les forces armées ont toujours soutenu la nécessité de mener de front une stratégie à double volet ; pour la première fois depuis le début de la guerre, elles ont obtenu la reconnaissance légale et les moyens de la mettre en pratique. Fruit du travail d’un groupe de conseillers issus des services de renseignements et directement rattachés à la présidence, les décrets de pacification rendus publics à la fin de 1991 confirment d’une part la concentration des pouvoirs de décision en matière de lutte anti-subversive, d’autre part le rôle clé accordé en particulier aux services de renseignements et plus généralement aux militaires dont la présence devient beaucoup plus visible.

58Parmi les nouvelles mesures édictées par le président Fujimori, on note un accroissement des pouvoirs de décision du commandement conjoint des forces armées, du Conseil de la défense nationale et des services de renseignements dont l’effet est d’accentuer les pratiques autoritaires. Le Conseil des ministres s’est vu priver de tout droit de regard sur la question de la politique anti-subversive. De plus, l’autonomie quasi totale des militaires à l’égard des pouvoirs législatif et judiciaire s’est traduite par une augmentation des cas de violation de droits humains. S’inscrivant dans la lignée des gouvernements précédents, le président Fujimori a d’ailleurs protégé les forces de sécurité en poste dans les zones d’urgence en laissant aux seuls tribunaux militaires le soin de juger les coupables.

  • 78 Sur cette question cf. F. Rospigliosi, op. cit., p. 66-73.

59À cet égard, l’outogolpe d’avril 1992 a renforcé la marge de manœuvre des militaires, la disparition de la Chambre leur épargnant toute investigation sur les abus commis. Plus question également de voir un président civil démettre trois généraux, comme ce fut le cas sous Alan García qui, suite au massacre de Accormarca, a appuyé la formation d’une commission d’enquête sénatoriale. Sous l’administration d’Alberto Fujimori, au contraire, les militaires et les policiers qui se seraient rendus coupables de délits dans le cadre de la lutte anti-terroriste ont profité d’une loi d’amnistie adoptée, en juin 1995, par une majorité de députés d’obédience fujimoriste. Ont profité de cette loi les responsables de l’assassinat, en 1993, d’un professeur et d’une dizaine d’étudiants de l’université La Cantuta, soupçonnés de sympathie envers le Sentier Lumineux78.

  • 79 P. Mauceri, « State Reform », p. 24. Sur l’évolution des services de renseignements depuis 1980 : E (...)

60Survenu en 1992, cet événement et d’autres cas de violation de droits humains n’ont été révélés qu’en 1993, suite à la publication de documents mettant en cause un commando spécial de l’armée dans lequel seraient impliqués le président du commandement conjoint, le général Hermoza, et le conseiller de Fujimori, V. Montesinos. La mise en accusation a ensuite été corroborée par le général Rodolfo Robles, numéro trois dans la hiérarchie militaire, qui a confirmé l’existence d’unités spéciales de lutte anti-subersive liées aux services de renseignements. Peu exploités dans les années quatre-vingts, les services sont pourtant devenus l’un des éléments clés de la stratégie anti-terroriste, comme l’enseigne la doctrine militaire. Sous l’administration d’Alberto Fujimori leur rôle a donc été redéfini et élargi, au point que chaque branche des forces armées et de la police possède sa propre agence de renseignements. Outre leur fonction proprement militaire, les services de renseignements, qui échappent à tout contrôle même à celui des forces armées, seraient également devenus l’un des pivots du régime. En plus d’être une source importante d’information sur les adversaires du gouvernement, ils seraient en effet de plus en plus utilisés comme moyen de contrôler la société civile et de déceler les éléments d’opposition existant au sein même des forces armées79.

  • 80 Pour un résumé des opérations du GEIN, cf. C. Tapia, « Balance de la lucha contrasubversiva durante (...)

61Imposée par décret en juillet 1992, l’extension des services de renseignements n’expliquerait cependant pas les succès remportés contre le Sentier Lumineux dont plusieurs dirigeants ont été capturés en 1991 et dont le chef, Abimael Guzmán, a été fait prisonnier en septembre 1992. Présentant cette arrestation comme le résultat des nouveaux « décrets de pacification » introduits après l’outogolpe d’avril, le président Fujimori s’est accordé le mérite de l’opération dont la réussite a certainement contribué à accroître sa popularité auprès des Péruviens. C’est pourtant aux GEIN (Grupos Especiales de Inteligencia), créés au début de 1990 au sein de la Direction nationale contre le terrorisme (DINCOTE), qu’on doit la capture des responsables sentiéristes. À la fin des années 1980, ces services spéciaux de la police nationale recevaient déjà un soutien important du gouvernement d’Alan García, soutien qui s’est intensifié dès l’arrivée au pouvoir du président Fujimori. À partir de juin 1990, la découverte de documents et diverses opérations menées par les GEIN ont conduit à la mise sous arrêt des cadres dirigeants du Sentier Lumineux. De plus en plus isolé d’une population soumise à la violence quotidienne des attentats notamment dans la capitale, le mouvement sentiériste s’est également fragilisé dans les Andes grâce à la présence des rondas, ces comités de défense civile organisés par les militaires80.

62Synonymes, à l’origine, d’autogestion et de démocratie locale, les rondas étaient des groupes d’autodéfense créés, à la fin des années soixante-dix, dans le nord du département de Cajamarca par les paysans, soutenus par l’Église, les organisations non gouvernementales (ONG) et la gauche, pour se protéger de la corruption et des vols de bétail. Par la suite, pour endiguer les activités sentiéristes dans la région d’Ayacucho, des rondas ont également été mises sur pied, mais cette fois formées et armées par les militaires. L’implication de l’un de ces groupes dans le massacre des journalistes survenu à Uchuraccay en 1983 a fait apparaître les dangers d’une telle stratégie. En l’absence de contrôle de leurs activités, les rondas pouvaient en effet évoluer vers la formation d’armées privées et rendre encore plus difficile la maîtrise du territoire national.

63Tout en n’étant pas au centre de la stratégie anti-subversive, les rondas ont cependant continué à exister, surtout dans la région d’Ayacucho où elles ont été placées sous le commandement de la marine de 1984 à 1986. Toutefois, vers la fin de son mandat, le gouvernement d’Alan García dont le parti favorisait de plus en plus la création de groupes para-militaires pour se protéger des attentats, a de nouveau soutenu les activités des rondas. Perçue comme une alternative aux forces militaires officielles soumises aux restrictions budgétaires, cette stratégie s’inscrivait dans une logique de « privatisation de la violence » qui n’est pas sans entraîner des abus, notamment l’usurpation des terres des paysans par les chefs de certaines rondas ou leur implication dans le commerce de la drogue.

  • 81 Gén. N. de Bari Hermoza, Gente, 2 février 1994, in F. Rospigliosi, op. cit., p. 64.

64Ce regain d’intérêt pour l’organisation de groupes armés alternatifs s’est accentué avec l’arrivée au pouvoir d’Alberto Fujimori. Vers la fin de 1991, des rondas étaient mises sur pied un peu partout sur le territoire péruvien. Le gouvernement a bien tenté de les introduire dans les quartiers marginaux de certaines villes dont Lima, mais avec beaucoup moins de succès que dans les départements andins où leurs effets sur la guerre contre le Sentier Lumineux se sont fait rapidement sentir. De source officielle au début de 1994, il existait plus de 4 700 rondas et environ 376 000 ronderas81. Même une fois la menace sentiériste écartée, la formation des comités d’autodéfense s’est poursuivie.

  • 82 F. Rospigliosi, op. cit., p. 73 ; C.I. Degregori, « Shining Path », p. 89-90 et R. Grompone et C. M (...)

65Parmi les décrets mis en application depuis 1992, certains stipulaient que les premières rondas devaient automatiquement passer sous le contrôle des militaires au même titre que celles formées plus tardivement dans le cadre de la stratégie anti-subversive. De plus, les rondas et les ronderos ont même été intégrés au système de défense nationale, les ronderos devenant partie intégrante des forces de réserve de la nation. Ces dispositions ne s’appliquent pas seulement aux régions en guerre, mais à l’ensemble du pays. Considérées comme l’élément le plus réussi de la stratégie de lutte contre le terrorisme – en 1993, les activités subversives auraient diminué de 80 % –, elles sont toutefois l’objet de critiques82. On leur reproche entre autres de contribuer à la militarisation du monde rural en se substituant à des organismes d’autodéfense civils qui auraient pu reconstruire le tissu social et institutionnel sur une base plus démocratique. Les relations qu’elles entretiennent avec les autorités militaires restent mystérieuses, mais il ne fait aucun doute que les liens qui se sont établis depuis quelques années avec les paysans n’ont plus grand-chose à voir avec la lutte contre Sentier Lumineux.

  • 83 B.H. Kay, op. cit., p. 76-77.

66Signe qu’elles ont rapidement été identifiées par les autorités comme pouvant pallier à l’absence de liens entre l’État et des régions longtemps oubliées du pouvoir central, le réseau des rondas a commencé, une fois la menace terroriste écartée, à être utilisé comme appui aux projets d’action civique supervisés par les militaires83. Réciproquement, pour certaines catégories de la population, les rondas sont apparues comme un moyen d’avoir accès aux ressources de l’État : armes, nourriture ou encore aide au développement. En effet, parallèlement à l’utilisation des rondas à des fins anti-insurrectionnelles, l’armée a été conviée à des tâches moins directement répressives, une partie de son budget étant affectée aux programmes d’action civique, ce qu’elle réclamait depuis plusieurs années. La stratégie gouvernementale a porté fruit assez rapidement, améliorant l’image des militaires chez les habitants des régions les plus touchées par la guerre et la répression.

  • 84 C. Rosa Balbi, op. cit., p. 47.

67L’accent mis sur les activités de développement est surtout perceptible après l’outogolpe d’avril 1992, à la fois dans les quartiers pauvres de la capitale et dans les provinces andines. Dans certains cas, l’action des militaires s’est limitée à effectuer des opérations de ratissage dans le but d’arrêter les suspects d’activité subversive, les troupes offrant ensuite à la population des soins médicaux, des vivres ou autres services. Dans d’autres cependant, la participation des forces armées s’est avérée plus positive : entretien et construction de routes, travaux d’irrigation et d’adduction d’eau, alphabétisation, développement urbain, santé préventive. Dans les Andes notamment, ces activités, de nature assistancielle au départ, se sont de plus en plus transformées en des fonctions d’occión civico de gestion qui tissent tout un réseau de collaboration entre les commandants militaires, les rondas, les agences publiques et certaines ONG. Grâce à l’image redorée d’une force armée assumant le rôle de « service public au service de la communauté »84, le candidat-président a donc pu accroître sa visibilité et surtout développer ses bases électorales deux ans avant le scrutin d’avril 1995.

  • 85 Ibid., p. 41 et B.H. Kay, op. cit., p. 66.

68La rentabilité politique de ce type d’activités n’a pas échappé au régime, l’appui des militaires au président se traduisant par une action directement partisane. Les élections municipales de janvier 1993 ont en effet mis en lumière la piètre performance de Combio 90 et celle de son chef, surtout dans les régions rurales andines. Le référendum constitutionnel qui s’est tenu en octobre de la même année, et grâce auquel Fujimori a pu de nouveau se porter candidat à la présidence, a confirmé la précarité de ses positions : le « oui » ne l’a emporté qu’avec 52 % des votes ; le « non » a prédominé dans 14 départements, parmi les plus pauvres85.

  • 86 Observations recueillies par The Latin American Studies Association et B.H. Kay, op. cit., p. 77. S (...)

69Souhaitant être réélu en 1995, Fujimori a choisi de s’appuyer sur une organisation solide. Pour cet homme opposé au système de partis, les militaires qu’il a installés un peu partout dans les Andes sont dès lors apparus comme l’alternative idéale au mouvement qui l’a porté au pouvoir la première fois. La campagne présidentielle de 1994-95 est l’occasion de mettre l’uniforme au service des intérêts partisans. Collage d’affiches, distribution de nourriture mais aussi de dépliants, calendriers et autres moyens de propagande, organisation des visites présidentielles, des meetings et de la publicité des candidats de Combio 90 : rien, semble-t-il, n’aura été épargné à ces nouveaux adeptes du « fujimorisme » qui, dans les zones rurales, ont joué le rôle de parti substitut86.

  • 87 Selon des sources officielles, la moitié de la population péruvienne, soit 11 millions, serait en s (...)
  • 88 M. Arce, « Qué tan eficiente es la política social de FONCODES ? », Pretextos, n° 9, Desco, 1996, c (...)
  • 89 De 1990 à 1995, le pourcentage du budget consacré aux secteurs sociaux est passé de 16 % à 40 %. Id (...)

70Outre l’extension des projets d’action civique militaire dont il récolte une bonne part des bénéfices en terme de popularité, le président Fujimori entreprend un ambitieux programme de dépenses sociales. Ciblés sur les quartiers et les départements les plus pauvres dont plusieurs ont été des bastions du Sentier Lumineux, ces investissements se sont traduits par une amélioration des conditions de vie des Péruviens en situation d’extrême pauvreté87. Une étude sur l’efficacité du FONCODES, agence chargée de financer des projets de développement social, a fait apparaître une étroite corrélation entre la pauvreté, les dépenses sociales et les résultats électoraux de 199588. Elle montre que les dépenses sociales ont joué un rôle déterminant dans le choix des électeurs. Les sommes les plus importantes ont été affectées aux populations rurales les plus pauvres, celles qui avaient voté négativement lors du référendum de 1993. À Lima également, et cette fois dans un climat de régression de la violence sentiériste, les agences sociales contrôlées directement par la présidence concentrent leurs efforts sur les plus démunis, dans les quartiers où les sentiéristes étaient les plus actifs89. Le FONAVI, par exemple, subventionne la construction de logements pour les travailleurs des secteurs formel et informel. En milieu rural et urbain, le PRONAA distribue des aliments aux enfants pauvres, plusieurs de ces programmes étant d’ailleurs administrés directement ou en collaboration avec les militaires.

  • 90 Id., « Le fujimorisme », p. 47-49 et « Pobreza urbana », p. 200. Voir également B.H. Kay, op. cit., (...)

71Financées par les organisations internationales et par un État « libéralisé » nourri des dividendes des privatisations et des recettes tirées de la réforme fiscale, ces programmes ne sont qu’un élément parmi d’autres des politiques de type populiste développées par Fujimori90. L’importance croissante accordée au ministère de la présidence a permis de consolider une certaine forme de pouvoir politique. Mais le style du président, son discours, certaines des mesures adoptées rappellent également le populisme traditionnel : orientation anti-idéologique, composition polyclassiste, gestion autoritaire, affaiblissement des institutions intermédiaires existantes et mise sur pied de nouveaux organismes permettant d’établir une relation directe et personnalisée avec les masses. La campagne présidentielle de 1994-1995 sera l’occasion pour Fujimori d’appliquer de manière intensive et avec succès ces formes de contact direct avec la population avec laquelle se consolide une relation de plébiscite. Jamais un président n’aura autant silloné le pays, souvent revêtu d’un poncho, inaugurant de nouveaux projets et distribuant des dons, tant en province que dans les nouveaux quartiers de la capitale. Son adversaire, l’ancien secrétaire général des Nations-Unies, Javier Pérez de Cuellar, centre sa campagne sur l’incapacité du gouvernement à créer des emplois et sur la nécessité de restaurer les institutions démocratiques.

72Quelques mois avant l’élection, la victoire du chef de l’État est loin d’être assurée. Les sondages réalisés en avril 1995 indiquent en effet que la population donne sa préférence à l’adversaire du président Fujimori. Un an plus tôt, l’implication de commandos militaires dans l’assassinat des universitaires de La Cantuta explique cette baisse de popularité. Mais l’alternative que pouvait représenter J. Pérez de Cuellar perd rapidement toute crédibilité. Ce dernier n’apparaît pas comme un leader capable de diriger un pays à peine sorti de la guerre et dont l’avenir économique reste incertain. Au contraire, le bilan du chef de l’État est positif et ce sont les résultats concrets de son administration qui fondent sa légitimité. Il a réussi à réinsérer le pays dans la communauté financière internationale ; la reprise économique est réelle et le taux de croissance est l’un des plus élevés en Amérique latine ; les politiques d’assistance ciblés vers les plus démunis ont permis de réduire la grande pauvreté ; les salaires ont augmenté légèrement et les activités terroristes ont diminué.

  • 91 Les résultats de l’élection à la Chambre seraient toutefois sujets à caution en raison des changeme (...)
  • 92 Op. cit. Les résultats de l’élection sont tirés de B.H. Kay, op. cit., p. 89.

73En 1995, le président est donc réélu avec une majorité confortable : plus de 65 % des voix91. Les électeurs ont une fois de plus marqué leur préférence pour des candidats indépendants, sans programme ou orientation idéologique. Même les secteurs de l’électorat dont les votes allaient traditionnellement à l’APRA et à Izquierdo Unido se sont portés sur des « outsiders », ces hommes qui, à l’image de Fujimori, n’étaient identifiés à aucun des partis établis. L’APRA n’a obtenu que 6, 5 % des votes à la Chambre, Izquierdo Unido moins de 2 %. Aucun de leurs candidats à la présidence n’a réuni 5 % des voix. Les formations de droite n’ont guère fait mieux. Acción Populor et le Portido Populor Cristiono n’ont recueilli à eux deux que 5, 4 % des voix. Selon les termes de Grompone et Mejía, « un cycle politique a pris fin »92. Les partis traditionnels ont en effet perdu toute légitimité et disparaissent littéralement de la scène.

  • 93 Voir l’analyse qu’en font C.R. Balbi, op. cit., p. 48 ; R. Grompone et C. Mejía, op. cit., p. 25 et (...)

74En 1992, la population avait massivement appuyé le coup d’État. La dimension émotionnelle de cet appui, nourri de haine à l’endroit des élites politiques, a été soulignée. Tout comme le soutien apporté au président Fujimori en 1995, soutien qui, loin d’être de nature émotionnelle, découlerait cette fois d’un choix fondé sur l’évaluation réfléchie de la gestion présidentielle93. Les milieux populaires raisonneraient en effet en termes de rapport coût/bénéfice : dans un contexte de violence et de crise économique, de fragmentation sociale et d’affaiblissement des institutions, on accepte un pouvoir politique autoritaire et personnalisé en échange d’une présumée efficacité : l’ordre a été rétabli, la pauvreté a diminué et l’hyperinflation jugulée. La victoire de Fujimori et de Combio 90 relèverait donc beaucoup plus de la résignation que de l’enthousiasme. Les secteurs qui ont voté pour le chef de l’État sont ceux-là même qui avaient appuyé l’outogolpe : les catégories de la paysannerie et des quartiers populaires les plus touchées par les politiques de stabilisation, mais aussi les plus favorisées par les programmes de compensation social et de travaux publics ; les groupes d’entrepreneurs qui ont profité des mesures néo-libérales.

  • 94 Sur ce point cf. E. Gonzales de Olarte, « Pérou : le blocage des réformes économiques néolibérales  (...)

75La confiance ainsi accordée par l’électorat s’est cependant effritée au cours du second mandat. Devenus, en l’absence de canaux d’expression démocratique, le seul baromètre de l’opinion publique, les sondages traduisent le refroidissement des relations entre le chef de l’État et une partie de son électorat. Divers éléments expliquent cette désaffectation à l’égard du pouvoir : lors des élections municipales de novembre 1995, retrait de l’appui des classes moyennes qui, à Lima, choisissent un candidat indépendant, les fujimoristes l’emportant dans la périphérie où sont concentrés les secteurs les plus pauvres ; mise en accusation pour trafic de drogue du conseiller de Fujimori, V. Montesinos, et de quelques hauts responsables militaires ; enfin déception quant à la gestion de l’économie dont les limites commencent à apparaître94. De nouvelles négociations avec le FMI ont obligé le gouvernement à réduire les dépenses de l’État dont une partie était consacrée aux programmes sociaux. D’où une nouvelle détérioration des conditions de vie des catégories les plus pauvres. D’autre part le secteur industriel connaît une forte récession. Le pays a réussi à attirer les investisseurs étrangers, mais dans des secteurs exigeant peu de main d’œuvre. Non seulement le nombre d’emplois n’augmente pas, mais le sous-emploi et le chômage sont en hausse. Les privatisations d’entreprises publiques et la réduction du nombre de fonctionnaires entraînent également la précarisation et l’informalisation d’une large fraction des classes moyennes qui, jusque-là, avaient soutenu le régime.

  • 95 C.R. Balbi, op. cit., p. 51.

76D’autres facteurs interviennent dans l’appréciation de plus en plus négative qui est faite du leodership exercé par le président. Suite à la victoire présidentielle de 1995, l’orientation autoritaire et technocratique du régime s’est confirmée. L’influence d’un secteur des forces armées sur le chef de l’État a d’ailleurs été mise en évidence avec l’adoption de la loi amnistiant les militaires coupables de crimes de guerre, loi que la population réprouve à 80 %95. La presse et le public semblent également désapprouver l’emprise démesurée des services de renseignements sur le pouvoir et la société.

  • 96 O. Dollfus, « La prise d’otages de Lima : symboles, tragédie et politique », Problèmes d’Amérique L (...)
  • 97 C.R. Balbi, op. cit., p. 50.

77D’autre part la prise d’otages de l’ambassade du Japon à Lima par le MRTA a ébranlé la confiance des Péruviens qui croyaient en la disparition du terrorisme. La décision du président Fujimori d’abattre les responsables de l’opération a confirmé son image de « joueur au sang froid »96. Largement approuvée, la « méthode Fujimori » a permis de rétablir un appui qui reste cependant fragile et tient à l’absence d’alternative politique. Certains secteurs de la société (les syndicats, les étudiants, les jeunes) commenceraient de nouveau à se mobiliser après sept ans d’un régime dont les pratiques sont de plus en plus contestées. La population suit d’ailleurs attentivement les faits et gestes de son président et son soutien n’est pas inconditionnel, comme le montrent les hausses et les baisses de popularité enregistrées lors des enquêtes d’opinion97.

  • 98 Sur l’évolution des forces armées sous Fujimori cf. E. Obando, op. cit., p. 113 et suiv.

78Principale base du régime, les forces armées ne sont pas non plus à l’abri des conflits internes98. Elles ont finalement reçu du gouvernement ce qu’elles exigeaient en matière de lutte anti-subversive : les pleins pouvoirs dans les régions placées en situation d’urgence, des moyens matériels pour mettre en œuvre des programmes d’action civique, la protection contre des poursuites éventuelles pour crimes de guerre et corruption. Cependant plusieurs secteurs de l’institution militaire auraient de bonnes raisons d’être insatisfaits des termes de l’échange. Jamais en effet depuis le retour à la démocratie en 1980, un président ne s’est autant immiscé dans les affaires internes de l’institution. Depuis les décrets de novembre 1991, les forces armées se sont vues retirer une partie de leur autonomie, Fujimori ayant toute liberté de nommer les plus hauts responsables militaires dont le chef du commandement conjoint. Celui qui occupe cette position clé au sein de l’appareil militaire peut également se maintenir en fonction au-delà de l’âge de la retraite et pour toute la durée du mandat présidentiel. La nomination et le maintien en poste sont désormais fonction de la loyauté envers le président.

79D’autre part la politique de cooptation du chef de l’État à l’égard d’un groupe de généraux a contribué à nourrir les divisions internes. Ainsi en juillet 1992, un décret lui a reconnu le droit de relever des officiers de leurs charges sous motif de renouveler les cadres militaires. Quelques mois plus tard, une tentative de coup d’État faisait apparaître au grand jour l’opposition d’une fraction des forces armées à la cooptation du haut commandement par le président Fujimori. Ultérieurement, la poursuite engagée contre les officiers impliqués dans le coup a amené dix-neuf anciens commandants généraux à signer une pétition dénonçant le chef du commandement conjoint, le général Hermoza. De plus, en 1993, un général identifié au secteur institutionnaliste a accusé de corruption et de violation des droits humains deux des officiers les plus proches du chef de l’État. C’est encore une note transmise par un officier ayant gardé l’anonymat qui a informé la presse du lieu où se trouvaient les victimes du massacre de La Cantuta.

  • 99 Sur ce conflit cf. Quehocer, n° 93, enero-febrero 1995, p. 5-38 ; D.S. Palmer, « Peru-Ecuador Borde (...)

80À ces divisions qui constituent une source permanente d’instabilité pour le gouvernement s’ajoute également une insatisfaction d’ordre matériel. En effet, en raison de l’état de l’économie péruvienne, les salaires versés aux membres des forces armées sont plus que modestes et les achats d’armement limités. Le conflit frontalier avec l’Équateur qui a éclaté en janvier 1995 a mis en évidence l’infériorité du Pérou, pourtant l’un des pays les mieux armés d’Amérique latine à la fin des années soixante-dix99. Insuffisamment préparées et mal équipées comparativement aux militaires équatoriens, les troupes péruviennes ont dû se retirer après seulement quelques semaines d’un combat inégal. À la mi-février, le Pérou proclame unilatéralement le cessez-le-feu et demande l’intervention des pays membres du Protocole de Rio qui, pour la première fois depuis les années quarante, s’engagent sérieusement à aider les belligérants à trouver une solution durable au problème frontalier.

  • 100 Sur cette question cf. R. Berríos, « Peru and the Soviet Union ».
  • 101 D.M. Masterson, op. cit., p. 288. Sur
  • 102 USACDA, World Military Expendituresand Arms Transfers, éditions de 1991-92, 1993- 94 et 1996.
  • 103 D.M. Masterson, op. cit., p. 271.

81Ce que la résurgence de ce conflit met en lumière pour l’intérêt de notre propos, c’est l’affaiblissement des militaires péruviens sur les plans tant matériel que professionnel surtout depuis la fin des années quatre-vingts. Les raisons expliquant cette évolution sont multiples. L’impact des changements survenus dans les pays ex-communistes, principaux fournisseurs d’armement jusqu’en 1985, reste difficile à évaluer100. Mais on peut s’interroger sur la difficulté, d’une part d’entretenir un équipement de provenance diverse, et d’autre part d’intégrer efficacement des influences doctrinales aussi variées que celles de la France, des États-Unis et de l’ex-URSS101. Dans un premier temps, le président Belaúnde a laissé pratiquement carte blanche aux forces armées qui, avant d’abandonner le pouvoir aux civils, avaient très bien assuré leur autonomie sur ce point. L’éclatement du conflit frontalier avec l’Équateur en 1981 n’a fait que renforcer leur conscience des menaces potentielles qui pesaient sur le pays et justifiaient la modernisation de l’équipement. La promesse des autorités militaires de se limiter aux activités strictement professionnelles était à ce prix. Aussi les forces armées ont-elles profité des largesses prodiguées par leur successeur, les sommes consacrées aux achats d’armement dépassant 25 % du budget de l’État entre 1982 et 1985102. L’importance des sommes accordées à l’acquisition de matériel sophistiqué – notamment des Mirages français – a soulevé de vives critiques, le principal défi du Pérou au cours de cette période étant de combattre la subversion interne103.

  • 104 Ibid., p. 273.
  • 105 Les données fournies par USACDA sont des estimations. Aucune donnée pour 1988-1989 n’est disponible (...)

82La seconde moitié des années quatre-vingts marque un tournant dans la politique de modernisation militaire. D’une part le gouvernement d’Alan García choisit de rompre avec les pratiques de son prédécesseur et, dès septembre 1985, annule la moitié des 26 Mirages commandés par l’armée de l’air104 ; d’autre part la sévérité de la crise économique a une incidence directe sur le budget consacré aux forces armées, tout comme la politique de Washington tendant à limiter les ventes de matériel sophistiqué dans le sous-continent. Les données présentées dans les tableaux 7 et 8 illustrent l’importance de ces changements qui, au Pérou, se font sentir dès 1990. À cette date en effet, les dépenses d’armement ne représentent plus que 13, 1 % des dépenses du gouvernement central et 1, 8 % du PNB, contre 39, 8 % et 7 % respectivement en 1986, soit une baisse de plus de 75 %105.

  • 106 Ibid.
  • 107 Ibid.. 1995 et 1996.

83Au cours de la décennie suivante, les sommes consacrées à la modernisation de l’équipement ne retrouveront pas les niveaux élevés de la première moitié des années quatre-vingts. Ainsi, de 1991 à 1995, les dépenses allouées à l’achat de matériel militaire oscilleront entre 1, 2 % et 1,8 % du PNB, soit environ 10 % du budget de l’État106. La part de l’équipement militaire dans l’ensemble des importations baisse également, la suspension totale de l’aide économique et militaire américaine au Pérou suite à l’outogolpe d’avril 1992 expliquant en partie les faibles taux de cette période : seulement 0, 8 % en 1993 comparativement à 10, 3 % en 1981 et à 12, 4 % en 1987, année de forte croissance. Parallèlement les effectifs sont inférieurs de 20 000 comparativement à 1984107.

Tableau 7. Dépenses militaires annuelles, 1981-1995

Tableau 7. Dépenses militaires annuelles, 1981-1995

Sources : USACDA, World Military Expenditures and Arms Transfers, 1991-92, 1993-94, 1996.

  • 108 Ibid., 1994 et 1996.

84De fortes pressions se feraient donc sentir du côté de l’institution militaire pour accroître son potentiel de combat et pour contrer les restrictions de Washington, le Pérou se tourne vers d’autres fournisseurs. En 1995, l’importation d’armement représente d’ailleurs encore 3 % des biens importés, pourcentage presque aussi élevé qu’il y a dix ans108.

Tableau 8. Dépenses militaires annuelles, 1981-1995

Tableau 8. Dépenses militaires annuelles, 1981-1995

* Dollars de référence pour 1981-82 : dollars constants de 1991 ; pour 1983-84 : dollars constants de 1993 ; pour 1985-95 : dollars constants de 1995.

Sources : USACDA, World Military Expenditures and Arms Transfers 1991-92, 1993-94, 1996.

  • 109 C. Perelli, op. cit., p. 89.
  • 110 M. Hens et J.A. Sanahuja, op. cit., p. 57.

85Dans cette perspective, le dernier conflit entre le Pérou et l’Équateur peut apparaître comme une tentative de revalorisation des forces armées, en particulier de la fonction traditionnelle de défense du territoire national. Outre les réductions budgétaires auxquelles elles sont soumises, elles subissent en effet la pression des États-Unis dont les programmes d’assistance militaire s’orientent désormais essentiellement vers la formation du personnel et la lutte contre le narcotrafic. Comme leurs homologues des pays voisins confrontés à un nouveau contexte international et régional, les militaires péruviens connaissent une « crise existentielle »109 et doivent redéfinir leur rôle professionnel. Ce que certains ont qualifié de « néo-nationalisme militaire »110 se révélerait être une réaction de survie institutionnelle, un anachronisme dans une région désormais marquée du sceau de l’intégration ou encore une manifestation de résistance à la démilitarisation du sous-continent.

86L’évolution des forces armées péruviennes au cours des deux dernières décennies soulève bon nombre d’interrogations qui ne peuvent trouver de réponse immédiate. Ces questions sont principalement liées d’une part au pouvoir politique réel de l’institution dont un secteur est étroitement associé au gouvernement, d’autre part au développement professionnel et à l’accomplissement de la mission des forces armées sur les plans interne et externe. Loin de conclure au renforcement du pouvoir des militaires comme le laisserait supposer leur présence aux côtés du président Fujimori, certaines analyses en ont, au contraire, fait ressortir l’insuffisance. De 1980 à 1985, le pouvoir des forces armées se serait accru aux niveaux régional et local, mais il aurait décliné sur le plan national. Le gouvernement de Fernando Belaúnde a respecté l’autonomie institutionnelle des forces armées et ne s’est pas immiscé dans les affaires internes, mais il n’a pas su imposer une stratégie anti-subversive cohérente et doter les militaires des moyens nécessaires pour combattre efficacement le terrorisme.

87De 1985 à 1990, les dirigeants civils ont tenté de contrôler les forces armées qui, même en perdant presque toute capacité de faire pression sur l’État, ont réussi à étendre leur juridiction dans un nombre accru de régions placées en état d’urgence. Mais leur efficacité n’a pas été une priorité du gouvernement d’Alan García. Á la défensive sur le terrain des opérations, elles ont en effet manqué des ressources les plus élémentaires (nourriture, essence, uniformes, etc.) pour mener à bien leur mission. De 1990 à 1995, les militaires en poste dans les territoires déclarés « zones d’urgence » ont vu leur pouvoir s’accroître et leurs capacités opérationnelles se renforcer aux niveaux régional et local. Le président Fujimori est cependant de plus en plus intervenu dans le fonctionnement interne de l’institution avec l’intention non seulement d’exercer son contrôle sur les militaires, mais de les utiliser comme appui politique. En plus d’intensifier les divisions internes, cette politisation d’une fraction des forces armées a réduit l’autonomie institutionnelle.

  • 111 Notamment D.S. Palmer et M. Rubio, « Commentary », in J.S. Tulchin et G. Bland (éd.), op. cit., p.  (...)

88D’autre part, sur le plan de l’éthique professionnelle, la dégradation est flagrante au point d’amener les analystes à s’interroger sur le niveau réel de professionnalisation des forces armées péruviennes111. Il reste toutefois difficile d’identifier précisément les causes de cette dégradation. Elles tiennent peut-être au fait que le haut commandement n’a pas su proposer une vision prospective de ce qu’aurait pu être l’institution militaire, restée inchangée depuis les deux dernières décennies. Au cours des années quatre-vingts, l’accent a également été mis sur la défense contre l’ennemi interne, devenue une priorité absolue, et a fait passer à l’arrière-plan la mission traditionnelle de protection des frontières nationales. En d’autres temps, les questions de l’obsolescence de l’équipement, de la faiblesse des soldes et de la dépréciation des privilèges auraient suffi à provoquer un coup d’État. Les forces armées appuient cependant l’orientation générale du président Fujimori, notamment sur le plan économique et en matière de lutte anti-subversive. Elles partagent également son aversion pour la politique partisane et son rejet du pouvoir judiciaire. De plus la question de l’influence politique réelle des militaires sur le pouvoir civil – et vice verso – pose le problème, plus général, du contexte international dans lequel évolue l’État-Nation. L’appui de Washington aux régimes formellement démocratiques décourage en effet l’instauration d’un gouvernement de fait qui serait mis au ban de la communauté internationale.

État et régime politique à l’heure du néo-libéralisme

89Mais l’appui accordé au président Fujimori par un secteur des forces armées ne serait-il pas la manifestation d’une nouvelle forme de pouvoir politique des militaires, pouvoir d’autant plus étendu que le chef de l’État gouverne en l’absence d’organisation partisane ? La disparition des partis en tant qu’acteurs politiques a amené plusieurs observateurs à interpréter les changements de ces dernières années en termes de « crise de représentation ». Comme l’ont souligné Grompone et Mejía, cette analyse ne retient toutefois que les résultats d’une transformation plus radicale et l’évolution récente du Pérou ne s’explique pas uniquement par l’existence du terrorisme et l’imposition des programmes d’ajustement structurel. Elle s’inscrit dans une tendance plus générale de redéfinition du rôle de l’État dont les fonctions gestionnaires sont plus importantes et les marges de manœuvre plus étendues. Déplaçant les acteurs traditionnels, entre autres les partis et les élites politiques traditionnelles, les « experts » nationaux et internationaux occupent désormais une fonction clé. Centrée sur la personnalité du leader, une nouvelle conception de la pratique politique se fait jour et d’autres règles du jeu se sont mises en place pour assurer l’application des politiques néo-libérales.

  • 112 J. Petras et S. Vieux, « The Transition to Authoritarian Electoral Régimes in Latin America », Lati (...)
  • 113 C.R. Balbi, op. cit., p. 30.

90Le type de régime instauré par le président Fujimori illustre ces changements ; ils sont d’une ampleur telle qu’on peut dès maintenant reconnaître l’amorce d’un nouveau cycle politique dont le caractère paraît irréversible. Son caractère hybride, un régime autoritaire mais qui maintient certaines institutions formellement démocratiques, a amené plusieurs auteurs à parler de « démocratie dure », democroduro, ou de « démocratie douce », dictoblondo, d’autres de « césarisme », d’autres encore de « despotisme démocratique », de « démocratie plébiscitaire » ou de « gouvernance charismatique ». N’y percevant aucune trace de démocratie, certains préfèrent enfin l’expression d’« autoritarisme électoral »112. La plupart reconnaissent toutefois que depuis le coup d’État d’avril 1992, les divers mécanismes imposés par le « fujimorisme » ont entraîné une redéfinition de la nature du régime politique113.

  • 114 G. O’Donnell, « Democracia delegativa ? », Cuodernos del CLAEH, n° 61, 1992, p. 5-19.

91Se référant à l’Amérique latine, O’Donnell a introduit la notion de « démocratie délégative » pour décrire une forme spécifique de démocratie en vigueur en particulier dans trois pays : l’Argentine, le Brésil et le Pérou114. Ces pays ont en commun d’avoir hérité d’une crise économique et sociale particulièrement grave qui s’est accentuée au cours des années quatre-vingts. L’intensité de la crise a suscité un sentiment d’urgence au sein de la population qui consent à donner les pleins pouvoirs au chef de l’État, perçu comme le « sauveur de la patrie ». D’où la mise en veilleuse des institutions, des partis politiques et de leurs chefs. D’où parallèlement l’omnipuissance de l’Exécutif, des technocrates et surtout du président et de son entourage qui deviennent l’olpho et l’omégo de la politique. Dans ces « démocraties bizarres », le chef de l’État n’a pas véritablement de compte à rendre, d’une part parce qu’il gouverne indépendamment de la plupart des institutions politiques et des groupes d’intérêts organisés, d’autre part parce que les électeurs sont en principe des spectateurs passifs des pratiques gouvernementales.

  • 115 C.R. Balbi, op. cit., p. 48.

92Une étude plus attentive de la scène politique péruvienne et notamment des enquêtes d’opinion, montre toutefois que si la population choisit de s’en remettre à un leader tout-puissant, elle n’en suit pas moins très attentivement l’action présidentielle. Le cas du Pérou représenterait donc une variété de démocratie délégative, une « délégation sous surveillance » des politiques mises en œuvre par le président. En reportant Fujimori au pouvoir en 1995, les Péruviens lui auraient accordé leur confiance, mais suivraient de près son action politique, lui demandant des comptes en fonction de leurs objectifs propres. Ce qu’on a pris l’habitude d’appeler le « fujimorisme » n’aurait donc rien de commun avec un mouvement politique soulevant l’adhésion enthousiaste et inconditionnelle à un chef charismatique115.

  • 116 S. Zermeño, op. cit.
  • 117 B.H. Kay, op. cit., p. 56-57. Sur le « néo-populisme » au Pérou voir également : K.M. Roberts, « Ne (...)

93Considérant principalement la situation mexicaine, le sociologue Sergio Zermeño116 avait déjà relevé les premiers signes de ce « retour du leader » qui, dès la fin des années quatre-vingts, semblait se dessiner dans plusieurs pays d’Amérique latine, rappelant le populisme d’il y a un demi-siècle. Au Pérou, le « néo-populisme » dont il était alors question se référait au leodership du chef de l’APRA. Par la suite, le régime mis en place par le successeur d’Alan García n’a pas échappé au parallélisme avec les régimes populistes du passé. Qualifié parfois de « populisme technocratique » ou « Fujipopulisme », le nouveau style de gouvernement du président Fujimori, son discours, son anti-élitisme, sa préférence pour une relation directe avec les masses, son autoritarisme, certaines des stratégies adoptées, rappellent le populisme traditionnel117.

  • 118 M. Novaro, « Los populismes latinoamericanos transfigurados », Nuevo Sociedod, n° 144, 1996, p. 90- (...)

94Mais ces similitudes ne peuvent laisser dans l’ombre les profondes différences existant entre les mouvements des années trente et quarante et les phénomènes politiques récents qui s’inscrivent dans un contexte de libéralisation de l’économie, d’expansion des capitaux étrangers et de disparition d’un certain nombre des fonctions de redistribution assumées antérieurement par l’État. De plus, la nature et la signification des liens qui se nouent entre le leader et les masses diffèrent totalement. Dans le premier cas, l’objectif poursuivi était d’intégrer des catégories sociales en pleine ascension et en voie d’organisation ; dans l’autre, on assiste au contraire à un processus de désarticulation à la fois du système politique (crise des partis et des institutions) et des groupes organisés de la société (syndiqués, classes moyennes, etc.) et dont les conditions de vie se dégradent118.

  • 119 C.R. Balbi, « Pobreza urbana », p. 201-203.

95C’est le cas du Pérou à la fin des années quatre-vingt-dix. Dans un premier temps, les électeurs ont délégué au président Fujimori l’entière responsabilité de sauver un pays dévasté par la crise économique et le terrorisme. L’option néo-libérale et la réorganisation de l’État qui fondent la politique du gouvernement ont été assorties de mesures compensatrices destinées aux secteurs les plus pauvres. Le discours, la présence et le style présidentiels ont, de leur côté, entretenu l’image d’un chef de l’État indépendant de la plupart des institutions et des partis auxquels, pour une bonne part, est attribuée la débâcle nationale. L’absence d’alternative politique explique également la pérennité d’un régime qui s’est maintenu jusqu’à maintenant en partie grâce à l’effritement des institutions démocratiques et à l’appui des forces armées. La question du « postfujimorisme » et celle de la stabilité politique du pays restent cependant ouvertes, en raison non seulement de la fragilité de la situation économique et du retour possible, sous d’autres formes, du mouvement sentiériste, mais également de la difficulté de concevoir une alternative partisane et démocratique119.

Notes

1 P. Mauceri, op. cit., p. 136.

2 F. Rospigliosi, op. cit., p. 7.

3 P. Mauceri, op. cit. Voir également L. Taylor, « Counter-insurgency, the PCP-Sendero Luminoso and the civil war in Peru, 1980-1996 », Bulletin of Latin American Research, vol. 17, n° 1 .janvier 1998, p. 46-47.

4 Ibid., p. 137.

5 F. Rospigliosi, op. cit., p. 14-15.

6 P. Mauceri, « Military Politics and Counter-Insurgency in Peru », Journol of Interamerican Studies and World Affairs, vol. 33, n° 4, 1991, p. 88-89.

7 Ibid., p. 7-11.

8 Ibid., p. 17-21.

9 C’est l’approche notamment du premier gouverneur militaire d’Ayacucho, le général Clemente Noel, ancien directeur des Services de renseignements, et du ministre de l’Intérieur de l’époque, le général Luis Cisneros. P. Mauceri, Stote under Siege, p. 137.

10 F. Rospigliosi, op. cit., p. 18.

11  P. Mauceri, Stote under Siege, p. 138, 141.

12  F. Rospigliosi, op. cit., p. 13-15.

13  Sur cette loi cf. : « Una norma de excepción », Quehocer, n° 35, mai-juillet 1985, p. 16- 18 ; D. Garcia Sayan, « La justicia sin poder », Quehocer, n° 43, oct.-vov. 1986, p. 61-65 et M. Rubio Correa, « Los tribunales en el banquillo », Quehocer, n° 45, fév.-mars 1987, p. 10- 13.

14  Exception faite du massacre des huit journalistes liméniens (1983), de celui d’une communauté paysanne par 40 sinchis à Soccos (Ayacucho) et de la disparition – et assassinat présumé – du journaliste J. Ayala (1984). Ces trois cas dans lesquels la responsabilité militaire et policière a été établie ont été portés devant les tribunaux civils. Pour un résumé des cas soumis à la Cour suprême qui devait juger s’ils relevaient du Code de justice militaire ou du Code pénal, voir M. Rubio Correa, « Los tribunales », p. 12.

15  Voir sur ce point l’entrevue du procureur J. Betancourt avec J.M. Salcedo, « El caso Uchuraccay, cuatro años despues », Quehocer, fév.-mars 1987, p. 21.

16 Sur les relations entre civils et militaires de 1980 à 1985, cf. F. Rospigliosi, op. cit., p. 9- 17 et E. Obando, « The Power of Peru’s Armed Forces », in J.S. Tulchin et G. Bland (éd.), Peru in Crisis : Dictatorship or Democracy ?, Boulder et Londres, 1994, p. 101- 124.

17 J. Crabtree, Peru under Gorcío. An Opportunity Lost Macmillan et St Anthony’s College, Londres et Oxford, 1992, p. 109.

18 Sur ces événements cf. H. Flores, « Démocratie, autoritarisme et militarisation dans le Pérou d’Alan García », Problèmes d’Amérique Latine, 84, 1987, p. 121-144.

19 P. Mauceri, Stoie under Siege, p. 139.

20 Formée en juillet 1987, une nouvelle commission d’enquête présidée par le sénateur Rolando Ames a cependant permis à l’opinion publique de mieux évaluer la responsabilité des autorités, tant gouvernementales que pénitenciaires et policières, dans les événements survenus en 1986.

21 Quehocer, n° 46, avril-mai 1987, p. 21-28.

22 E. Obando. op. cit., p. 111 et J. Crabtree, op. cit., p. 111-112.

23 P. Mauceri, « Military Politics », p. 101.

24 En 1982, 9 provinces étaient placées en état d’urgence ; elles seront 14 en 1984 et 56 en 1989. Id., Stote under Siege, p. 203.

25 E. Obando, op. cit., p. 112.

26 Sur le MRTA et la position de l’APRA à l’égard de la lutte armée, cf. C. Graham, op. cit., p. 161-168.

27 P. Mauceri, Stote under Siege, p. 141.

28 J. Crabtree, op. cit., p. 204-205.

29 P. Mauceri, « Military Politics », p. 96.

30 Coretos, 16 oct. 1989, cité dans P. Mauceri, Stote under Siege, p. 141.

31 C. Graham, op. cit., p. 131-132.

32 J. Crabtree, op. cit., p. 121.

33 Sur la politique économique du gouvernement cf. ibid., chap. 2 et 5. La crise de l’État est analysée par P. Mauceri, Stote under Siege, p. 10-17.

34 Voir l’analyse qu’en font P. Mauceri, « Military Politics » et F. Rosptgliosi, op. cit., p. 7-27.

35 E. Obando, op. cit., p. 111.

36 C. Graham, op. cit., p. 166.

37 P. Mauceri, Stote under Siege, p. 139. Sur les liens entre le narcotrafic, l’armée et les sentiéristes : A. Labrousse, « Pérou : enjeux politico-militaires de la production et du trafic des drogues », Problèmes d’Amérique Latine, n° 18, juillet-sept. 1997, p. 101-111.

38 Sur l’hypothèse de la préparation d’un coup d’État contre le gouvernement apriste, cf. F. Rospigliosi, op. cit., p. 28-33.

39 Si l’on en croit les déclarations du général J. Julia Freyre, Quehocer, no 34, avril 1985, p. 11-13.

40 Bruce H. Kay, « Fujipopulism and the Liberal State in Peru, 1990-1995 », Journol of Interamerican Studies and World Affairs, vol. 38, n° 4, hiver 1996-1997, p. 74-78 et P. Mauceri, Stote under Siege, p. 141-145.

41 D’après le titre d’un article de R. Grompone, « Perú : la vertiginosa irrupción de Fujimori. Buscando las razones de un sorprendente resultado electoral ». Revisto Mexicono de Sociologío, vol. 52, n° 4, oct.-déc. 1990, p. 177-203.

42 On estime à 43 % la population qui travaillait dans le secteur informel en 1986, chiffre qui s’élevait à 81 % en 1990. Ministerio de Trabajo, Encuesto de Hogores, nos 18-19-20, cité par J. Crabtree, « La crisis del sistema partidario », Apuntes, n° 35, 1994, p. 34 n. 16. Sur les raisons qui expliquent la percée de Fujimori en 1990 voir également C. Rosa Balbi, « Le fujimorisme : délégation sous surveillance et citoyenneté », Problèmes d’Amérique Latine, n° 25, avril-juin 1997, p. 30-31 et R. Grompone et C. Mejía, Nuevos tiempos, nuevo político. El fin de un ciclo portidorio, IEP, Lima, 1995, p. 39-43.

43 Sur les liens entre informalité économique et politique cf. R. Grompone, « El reemplazo de la s elites políticas en el Perú » et pour l’ensemble de l’Amérique latine : N. Lechner, « La política ya no es lo que fue », Nuevo Sociedod, n° 144, 1996, respectivement p. 114-125 et p. 104-113 ainsi que « Las transformaciones de la política », Revisto Mexicono de Sociologío, n° 1, 1996, p. 3-16.

44 Y. Saint-Geours, « Vote, violence et mobilisation populaire au Pérou (1989-1991) », in G. Couffignal (éd.), Réinventer lo démocrotie. Le défi lotino-oméricoin, FNSP, Paris, 1992, p. 111-127.

45 J. Crabtree, « La crisis », p. 20. Sur la crise des partis voir également : F. Durand, « El fenómeno Fujimori y la crisis de los partidos », Revisto Mexicono de Sociologío, vol. 58, n° 1, 1996, p. 97-120 et B. Revesz, « El ocaso del sistema de partidos en la escena électoral peruana », Revisto Mexicono de Sociologío, vol. 58, n° 1, 1996, p. 77-95.

46 F. Sagasti et M. Hernández, « The Crisis of Governance », in J.S. Tulchin et G. Bland (éd.), op. cit., p. 23-34.

47 H. Pease García, Los oños de lo longosto. Lo esceno político del fujimorismo, La Voz, Lima, 1994, p. 43-53.

48 S. Zermeño, « El retorno del lider : crisis, neoliberalismo y desorden », Revisto Mexicono de Sociologio, n° 4, oct.-déc. 1989, p. 115-150 et C. Rosa Balbi, op. cit., p. 30.

49 C. Rosa Balbi, op. cit. p. 33 et S. López Jiménez, « Perú : une doble via. La transición entre el Autoritarismo y la Democratización (1992-1995) », Cahier spécial de Cuestión de Estodo, 1994, p. 23.

50 Sur les composantes de cette alliance favorable à A. Fujimori, cf. P. Mauceri, « State Reform, Coalitions, and the Neoliberal Autogolpe in Peru », in LAtin American Reseorch Review, vol. 30, n° 1, 1995, p. 18-22.

51 F. Rospigliosi, op. cit., p. 34-39 et B.H. Kay, op. cit., p. 74-75.

52 P. Mauceri, « State Reform », p. 20.

53 H. Pease García, Los oños, p. 59-134.

54 Ibid., p. 131-132.

55 F. Rospigliosi, op. cit., p. 53.

56 C. Wise, « The Politics of Peruvian Economic Reform : Overcoming the Legacies of State-Led Development », Journal of Interamerican Studies and World Affairs, vol. 36, n° 1, printemps 1994, p. 75-125.

57 P. Mauceri, « State Reform », p. 23.

58 F. Rospigliosi, op. cit., p. 55-58.

59 La thèse du « blocage institutionnel » avancé par Fujimori pour justifier l’outogolpe ne tient pas, la Chambre ayant adopté 78 % des décrets présentés par l’Exécutif. C. McClintock, « The Breakdown of Constitutional Democracy in Peru ». Paper presented at the XVIII International Congress of the Latin American Studies Association, Atlanta, March 10-12 1994, cité par M.A. Cameron, Democracy and Authoritorionism in Peru, St. Martin’s Press, New York, 1994, p. 149.

60 M.A. Cameron, op. cit., p. 150-151 ; M.-D. Demélas-Bohy et 1. Lausent-Herrera, « Pérou : le pouvoir selon Fujimori ». Problèmes d’Amérique Latine, n° 19, oct.-déc. 1995, p. 8.

61 Les sondages d’opinion réalisés en mai 1992 révèlent en effet que 78, 5 % des personnes interrogées ont approuvé l’outogolpe. C. Rosa Balbi, « Le fujimorisme », p. 36.

62 P. Mauceri, « State Reform », p. 28 et B.H. Kay, op. cit., p. 75.

63 Pour un compte rendu de l’événement cf. F. Rospigliosi, op. cit., p. 40-42.

64 Sur les raisons avancées par le président Fujimori et celles que les analystes ont pu faire à la suite de l’événement : M.A. Cameron, op. cit., p. 148-153.

65 Sur les réactions de Washington au coup de force du président Fujimori voir : D.S. Palmer, « Relaciones bilaterales Estados Unidos-Perú en la era Clinton », Fuerzos Armodos y Sociedod, n° 2, avril-juin 1998, p. 27.

66 Sur les réactions internationales et le repositionnement des acteurs, cf. P. Mauceri, « State Reform », p. 28 et suiv. On trouvera une liste des officiers mutés ou sanctionnés dans F. Rospigliosi, op. cit., p. 37.

67 On trouvera de larges extraits du discours prononcé par le président Fujimori dans : M.A. Cameron, op. cit., p. 150-151.

68 Données tirées de F. Rospigliosi, « Pérou : discrédit des partis et autoritarisme dans les années 1990 ». Problèmes d’Amérique Latine, n° 15. oct.-déc. 1994, p. 55-57.

69 Sur ces réformes cf. P. Mauceri, « State Reform » et B.H. Kay, op. cit.

70 B.H. Kay, op. cit., p. 83.

71 Sur le contrôle exercé par le président au sein du gouvernement, cf. F. Rospigliosi, Los Fuerzos Armodos, p. 47-54.

72 B. Kay, op. cit., p. 83. Sur la politique sociale du régime, cf. ibid., p. 78-81 ; P. Mauceri, « State Reform », p. 26-27 ; M.-D. Demélas-Bohy et I. Lausent-Herrera, op. cit., p. 10.

73 Sur l’emprise des militaires sur différents secteurs, cf. : C. Reyna et D. Montoya, « Fuerzas Armadas : un poder en varias dimensiones », Quehocer, n° 88, marzo-abril 1994, p. 26-31.

74 P. Mauceri, Stote under Siege, p. 142.

75 Sur les décrets de pacification cf. F. Rospigliosi, Los Fuerzos ormodos, p. 55-60.

76 Ideele, n° 32-33, 1994, p. 14. Ibid., p. 58.

77 C’est la thèse défendue par P. Mauceri. Voir la critique dans F. Rospigliosi, Los Fuerzos ormodos.

78 Sur cette question cf. F. Rospigliosi, op. cit., p. 66-73.

79 P. Mauceri, « State Reform », p. 24. Sur l’évolution des services de renseignements depuis 1980 : E. Obando, op. cit.

80 Pour un résumé des opérations du GEIN, cf. C. Tapia, « Balance de la lucha contrasubversiva durante el primer gobierno de Fujimori », Sociolismo y Porticipoción, n° 70, Junio 1995, p. 33-40. Sur le développement des rondas : O. Starn, Reflexiones Sobre los Rondas Campesinas, Protesto Rurol y Nuevos Movimientos Socioles, Lima, IEP, 1991 et P. Mauceri, Stote under Siege, p. 143-145.

81 Gén. N. de Bari Hermoza, Gente, 2 février 1994, in F. Rospigliosi, op. cit., p. 64.

82 F. Rospigliosi, op. cit., p. 73 ; C.I. Degregori, « Shining Path », p. 89-90 et R. Grompone et C. Mejía. op. cit., p. 16-17.

83 B.H. Kay, op. cit., p. 76-77.

84 C. Rosa Balbi, op. cit., p. 47.

85 Ibid., p. 41 et B.H. Kay, op. cit., p. 66.

86 Observations recueillies par The Latin American Studies Association et B.H. Kay, op. cit., p. 77. Sur le rôle de l’armée et l’utilisation des programmes sociaux de la présidence à des fins électorales, cf. Quehocer, n° 88, marzo-abril 1994, p. 11-15 et D. Montoya, « Escenario électoral en las zonas de emergencia », Quehocer, n° 93, enero-febrero 1995, p. 46-50.

87 Selon des sources officielles, la moitié de la population péruvienne, soit 11 millions, serait en situation d’extrême pauvreté. C.R. Balbi, « Pobreza urbana y violencio político en el Perd. Sendero Luminoso : ¿ El fin de una historia en Lima ? », Pretextos, n° 7, 1995, p. 203, n. 1.

88 M. Arce, « Qué tan eficiente es la política social de FONCODES ? », Pretextos, n° 9, Desco, 1996, cité dans id., « Le fujimorisme », p. 44-45.

89 De 1990 à 1995, le pourcentage du budget consacré aux secteurs sociaux est passé de 16 % à 40 %. Id., « Pobreza urbana », p. 205 n. 24.

90 Id., « Le fujimorisme », p. 47-49 et « Pobreza urbana », p. 200. Voir également B.H. Kay, op. cit., p. 56 ainsi que C. Wise, « State Policy and Social Conflict in Peru », M.A. Cameron et P. Mauceri (éd.j, op. cit., p. 70-103.

91 Les résultats de l’élection à la Chambre seraient toutefois sujets à caution en raison des changements introduits par le président peu de temps avant le suffrage qui avaient pour but de favoriser son mouvement, de la confusion générée par l’introduction d’un nouveau système électoral (vote préférentiel) et l’absence d’un système informatisé de comptage des votes. B.H. Kay, op. cit., p. 92 n. 27.

92 Op. cit. Les résultats de l’élection sont tirés de B.H. Kay, op. cit., p. 89.

93 Voir l’analyse qu’en font C.R. Balbi, op. cit., p. 48 ; R. Grompone et C. Mejía, op. cit., p. 25 et B.H. Kay, op. cit., p. 87.

94 Sur ce point cf. E. Gonzales de Olarte, « Pérou : le blocage des réformes économiques néolibérales », Problèmes d’Amérique Latine., n° 25, avril-juin 1997, p. 65-85.

95 C.R. Balbi, op. cit., p. 51.

96 O. Dollfus, « La prise d’otages de Lima : symboles, tragédie et politique », Problèmes d’Amérique Latine, n° 25, avril-juin 1997, p. 63. On trouvera également une analyse de la crise provoquée par l’action du MRTA et de la réponse gouvernementale dans : Quehocer, n° spécial, enero-febrero 1997 et P. V. Milet, « Perú : una crisis con amplias repercusiones », Fuerzos Armodos y Sociedod, 12, n° 2, abril-junio 1997, p. 24-30.

97 C.R. Balbi, op. cit., p. 50.

98 Sur l’évolution des forces armées sous Fujimori cf. E. Obando, op. cit., p. 113 et suiv.

99 Sur ce conflit cf. Quehocer, n° 93, enero-febrero 1995, p. 5-38 ; D.S. Palmer, « Peru-Ecuador Border Conflict : Missed Opportunities, Misplaced Nationalism, and Multilatéral Peacekeeping », Journal of Interamerican Studies and World Affairs, vol. 39, n° 3, automne 1997, p. 109-148 et « Integración, seguridad y el peso de la historia : ¿ novedades en el caso del conflicto Ecuador-Perú, o más de lo mismo ? », Fuerzos Armodos y Sociedod, 12, n° 2, Abril-Junio 1997, p. 31-34.

100 Sur cette question cf. R. Berríos, « Peru and the Soviet Union ».

101 D.M. Masterson, op. cit., p. 288. Sur

102 USACDA, World Military Expendituresand Arms Transfers, éditions de 1991-92, 1993- 94 et 1996.

103 D.M. Masterson, op. cit., p. 271.

104 Ibid., p. 273.

105 Les données fournies par USACDA sont des estimations. Aucune donnée pour 1988-1989 n’est disponible. World Military Expenditures and Arms Transfers 1996, p. 86.

106 Ibid.

107 Ibid.. 1995 et 1996.

108 Ibid., 1994 et 1996.

109 C. Perelli, op. cit., p. 89.

110 M. Hens et J.A. Sanahuja, op. cit., p. 57.

111 Notamment D.S. Palmer et M. Rubio, « Commentary », in J.S. Tulchin et G. Bland (éd.), op. cit., p. 129-136.

112 J. Petras et S. Vieux, « The Transition to Authoritarian Electoral Régimes in Latin America », Latin American Perspectives, 21, n° 4, automne 1994, p. 5-20.

113 C.R. Balbi, op. cit., p. 30.

114 G. O’Donnell, « Democracia delegativa ? », Cuodernos del CLAEH, n° 61, 1992, p. 5-19.

115 C.R. Balbi, op. cit., p. 48.

116 S. Zermeño, op. cit.

117 B.H. Kay, op. cit., p. 56-57. Sur le « néo-populisme » au Pérou voir également : K.M. Roberts, « Neoliberalism and the transformation of populism in Latin America : the Peruvian Case », World Politics, n° 48, n° 1, octobre 1995, p. 82-116.

118 M. Novaro, « Los populismes latinoamericanos transfigurados », Nuevo Sociedod, n° 144, 1996, p. 90-103.

119 C.R. Balbi, « Pobreza urbana », p. 201-203.

Table des illustrations

Titre Tableau 7. Dépenses militaires annuelles, 1981-1995
Crédits Sources : USACDA, World Military Expenditures and Arms Transfers, 1991-92, 1993-94, 1996.
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/75252/img-1.jpg
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Titre Tableau 8. Dépenses militaires annuelles, 1981-1995
Légende * Dollars de référence pour 1981-82 : dollars constants de 1991 ; pour 1983-84 : dollars constants de 1993 ; pour 1985-95 : dollars constants de 1995.
Crédits Sources : USACDA, World Military Expenditures and Arms Transfers 1991-92, 1993-94, 1996.
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/75252/img-2.jpg
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