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La construction de la famille juive : Entre héritage et devenir

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Patricia Hidiroglou

Pour le professeur Joseph Mélèze-Modrzejewski

Patricia Hidiroglou

Texte intégral

1Cet ouvrage est un hommage au professeur Mélèze-Modrzejewski. Nous avons tenu à réunir des contributions de ses collègues enseignants, de ses anciens étudiants, de chercheurs spécialisés en études juives sur un thème encore peu défriché et qui offre pourtant un champ fécond à explorer : la famille juive.

2Pourquoi ce thème ? Pourquoi la famille ? Pourquoi la famille juive ? Parce que la famille a été l’une des préoccupations du juriste, historien du droit antique et papyrologue qu’est Joseph Mélèze-Modrzejewski.

3Quelques parutions, alors qu’il est un tout jeune assistant puis professeur à la Faculté d’histoire de l’Université de Varsovie (1952-1958), montrent déjà la curiosité en ce domaine : « Les mariages entre frère et sœur dans l’Égypte grecque et romaine » (1955), « Le droit de la famille dans les lettres privées grecques d’Égypte » (1956). S’il a suivi alors la voie toute tracée par ses maîtres, les professeurs Georges Manteuffel et Raphaël Taubenschlag, le climat politique le force à quitter avec femme et enfants sa Pologne natale (1958). Ils s’installent en France et c’est à Paris, auprès de Louis Gernet et d’Henri Lévy-Bruhl, que, boursier de la fondation Ford, puis chercheur au CNRS (1958-1972), il évolue, poursuivant ses recherches en sociologie juridique et en histoire des institutions grecques et romaines.

4Le questionnement sur la famille apparaît important non seulement dans les deux thèses parisiennes mais aussi dans les articles spécialisés. Le doctorat d’État de droit (1970, Université Paris II), dont le rapporteur est Jean Gaudemet, a pour titre : Loi et coutume dans l’Égypte grecque et romaine. Recherches sur les facteurs de formation du droit privé en Égypte aux temps des Lagides et sous la domination romaine ; celui de lettres et sciences humaines (1976, Université Paris I), dont les rapporteurs sont Claire Préaux et Claude Nicolet : Droit et société dans l’Égypte grecque et romaine. Recherches de papyrologie et d’histoire ancienne.

  • 1 Statut personnel et liens de famille dans les droits de l’Antiquité, Aldershot, Variorum, 1993.

5Nombre d’articles parus sur cette thématique pendant plus de trois décennies ont été regroupés dans l’ouvrage Statut personnel et liens de famille dans les droits de l’Antiquité (19931), notamment « À propos de la tutelle dative des femmes dans l’Égypte romaine » (1971), « La structure juridique du mariage grec » (1981), ou encore « Dryton le Crétois et sa famille ou les mariages mixtes dans l’Égypte hellénistique » (1984).

6Pourquoi la famille juive ? Parce que, parmi les nombreuses fonctions que le professeur Joseph Mélèze a occupées, il en est une particulièrement originale, celle qui s’attache à la fondation puis à la direction du diplôme universitaire d’études sur le judaïsme (DUEJ), créé en 1984, à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne.

7Aussi, parmi les nombreux champs de recherche abordés au long de sa carrière universitaire, celui de l’histoire des juifs dans le monde gréco-romain apparaît-il à la fois comme une nouvelle piste et comme un aboutissement. Quelques articles ont déjà amorcé les recherches futures, en particulier ceux liés aux débats alors féconds autour du séminaire de Léon Poliakov à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales : « Un aspect du “couple interdit” dans l’Antiquité : les mariages mixtes dans l’Égypte hellénistique » (1980), « Sur l’antisémitisme païen » (1981), « Splendeurs grecques et misères romaines. Les Juifs d’Égypte dans l’Antiquité » (1981), « Trajan et les Juifs. Propagande alexandrine et contrepropagande rabbinique » (1987), « Les tourments de Paul de Tarse » (1989), « Image du juif dans la pensée grecque vers 300 av. n.è. » (1989).

8Le savoir-faire d’un professeur d’histoire, rompu à la méthode comparative et à la patiente minutie nécessaire à l’analyse des papyri est alors mis au service d’un domaine où les compétences du juriste en matière d’institutions se conjuguent à la parfaite connaissance des langues anciennes et à l’amour du grec. La Septante et la littérature juive d’époque hellénistique deviennent, à l’égal des sources du droit, un terrain familier. L’épigraphiste se confond avec l’historien, le juriste avec le sociologue.

  • 2 Alexandre le Grand paru à Varsovie, aux éditions Ksiazka i Wiedza, en 1958 (en polonais).

9Le savant polyglotte, né à Lublin en 1930, écrit aussi bien en polonais qu’en russe2. Il a réussi, en quelques mois, à apprendre et à maîtriser parfaitement la langue française lors de son arrivée en France en 1958 – c’est Lydia, son épouse française, qui l’a aidé à apprendre plus rapidement cette langue ; le chercheur du CNRS qui a enseigné en allemand à l’Université de la Sarre et à celle de Marbourg-sur-Lahn parle également le grec moderne, maniant toutes les subtilités des niveaux de langue. L’hébreu ou l’araméen lui font-ils défaut ? Il n’hésite pas à se mettre à l’étude de ces langues pour mieux appréhender les documents des récentes découvertes archéologiques en Égypte, Israël ou Syrie.

  • 3 Paru à Paris, aux Éditions Errance, en 1991, l’ouvrage est réédité aux PUF, en 1997, dans la colle (...)

10On connaît la suite : le fameux « petit livre rouge »3, Les Juifs d’Égypte, de Ramsès II à Hadrien (1991), ouvrage modèle s’il en est, où l’érudition élitiste se met au service du plus grand nombre. L’analyse, en effet, allie la rigueur scientifique à l’élégance du style dans une construction hardie et savante. L’Histoire est alors conduite comme une intrigue policière où les documents les plus difficiles sont mis en perspective et deviennent accessibles au lecteur ; ce dernier ne peut résister au charme et à la passion du sujet transmis par l’auteur.

11Ce charme et cet enthousiasme, on les retrouve dans l’enseignement. À l’École Pratique des Hautes Études (IVe section), Joseph Mélèze dirige, à partir de 1972, les études de Papyrologie et d’Histoire des Droits de l’Antiquité, tout en continuant d’enseigner, à l’Université Paris II, l’histoire des institutions helléniques. Il dirige par ailleurs des recherches en épigraphie juridique (1967-1976). Il aime l’Histoire, il aime enseigner l’histoire. C’est en 1978 qu’il devient titulaire d’une chaire de professeur d’histoire ancienne, à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Des générations d’étudiants seront formés à l’histoire sociale, institutionnelle et juridique de la Grèce ancienne et du monde hellénistique (1978-1999). Des anecdotes, des comparaisons pertinentes avec l’actualité et les sujets de société sont les ingrédients du succès de cours aux plans rigoureux, où, au-delà des sources savantes et de l’analyse pointue, les étudiants reconnaissent et apprécient le grand art du pédagogue. Même les examens oraux se passent dans l’humour et avec une extrême courtoisie. Citons pour mémoire quelques intitulés de cours : Religion et société dans la Grèce antique ; Naissance et pratique du droit dans le monde gréco-romain ; Le monde hellénistique : rencontres et civilisations ; l’Égypte dans l’Orient hellénisé… Dans le diplôme d’études sur le judaïsme où, à partir de 1984, il enseigne l’histoire des juifs dans l’Antiquité, il offre aux étudiants débutant dans un domaine en friche la richesse de ses recherches savantes. Il a des étudiants fidèles qui suivent année après année, avec lui, les péripéties de l’histoire, écheveau dont il tire, de manière adaptée et passionnante, à chaque fois un autre fil.

12 C’est pourquoi par son enseignement, par ses travaux, par son rayonnement personnel, Joseph Mélèze a marqué de sa contribution le devenir des études juives, du droit des institutions et de l’histoire antique.

13Joseph Mélèze a bâti une œuvre reconnue dans divers domaines de l’histoire et du droit ancien. D’aucuns diront mieux que moi les patients et méticuleux comptes rendus d’ouvrages de droit, de papyrologie, et le travail au fil des années d’édition – en tant que directeur de la Revue historique de Droit français et étranger ; d’autres encore parleront de la collaboration à de nombreuses autres revues, aux comités scientifiques en France et à l’étranger. Pourtant, j’ai choisi dans cet ouvrage une thématique plus limitée et spécialisée, mais c’est une thématique qu’il connaît bien et sur laquelle ses collègues ou ses étudiants ont accepté de réfléchir et d’écrire ; d’autres contributions, adaptées à ses autres axes de recherche et d’enseignement, verront sans doute le jour, chez ses collègues juristes ou historiens de l’Antiquité.

14À mes yeux, cette thématique sur la famille est également personnalisée car Joseph Mélèze a toujours su associer sa vie personnelle et sa vie universitaire. Ses enfants, Stella, Paul et Sabine, ont grandi non seulement dans un milieu d’étude, de culture et d’art – leur mère est une artiste qui a longtemps joué au théâtre juif de Varsovie –, mais aussi dans une atmosphère d’ouverture aux autres. Cette atmosphère particulière est l’un des premiers souvenirs que j’aie de cette famille, car c’est en tant que famille que j’ai rencontré pour la première fois « les Mélèze ».

15L’ouverture, c’est l’accueil spontané que j’ai reçu, accueil réservé à celui ou celle qu’ils ne connaissent pas encore mais qui vient avec une amie. Quelle qu’elle soit, quel qu’il soit, l’inconnu est le bienvenu. Camarade de classe d’un enfant, étudiant ou savant de passage, tous sont gratifiés du même traitement, plein de chaleur, de gaieté et de prévenance, tous participent à des discussions aussi intéressantes que passionnées. On rajoute un couvert, on le garde à dîner, on partage. C’est un univers où l’on discute à table, en famille, entre amis, aussi bien des versions latines et des dissertations de philosophie à rendre pour le lendemain que de graves questions politiques qui agitent le monde, de sujets de recherche académique ou encore de spectacles. Combien d’enfants, d’adolescents, de jeunes gens, combien de chercheurs et amis étrangers ont reçu une hospitalité généreuse et familiale, une écoute attentive de la part de Lydia, polyglotte elle aussi ? Combien, venus pour le professeur de la Sorbonne, ont aimé, globalement, cette famille, dont Vouvou, le chien, a longtemps été la mascotte ? Il serait difficile de les compter de même que les étudiants, collègues, étrangers de tout horizon, qui trouvaient toujours table ouverte, grâce à la spontanéité et simplicité de leurs hôtes.

16Aujourd’hui, au-delà de sa retraite, malgré ses problèmes de santé, Joseph Mélèze continue de mener ses activités de recherche et de tenir des conférences réputées, mais c’est à sa famille, à ses petits-enfants et plus particulièrement à Lydia, son épouse, qu’il se consacre. Aux côtés du professeur de la Sorbonne s’est toujours tenue une femme courageuse et généreuse, et cet hommage s’adresse également à celle qui a contribué au rayonnement et à la carrière de son mari : Lydia Mélèze-Modrzejewski.

Distinctions

  • Médaille d’argent du Centre National de la Recherche Scientifique (1972)
  • Palmes académiques (1989)
  • Prix Bordin de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (1994)
  • Docteur honoris causa de l’Université d’Athènes (2002)
  • Chevalier de l’ordre du mérite de la République polonaise (2002)

Fonctions scientifiques

  • Membre du Secrétariat scientifique de RIVRA. Rivista internazionale di diritto romano e antico (depuis 1962)
  • Directeur de la Revue historique de Droit français et étranger (depuis 1970)
  • Membre fondateur et co-président de la Société d’histoire du droit grec et hellénistique (depuis 1971)
  • Membre correspondant de l’Académie de Heidelberg depuis 1972
  • Membre du Conseil scientifique (Section : Droits grec et hellénistique) de la Revue internationale des Droits de l’Antiquité (depuis 1973)
  • Membre correspondant de l’Académie d’Athènes depuis 1984
  • Cofondateur et directeur du DUEJ – Diplôme universitaire d’études sur le judaïsme, Université Paris I et Centre Rachi (1984-1999)
  • British Academy Visiting Professor, Londres 1986
  • Membre étranger de l’Académie polonaise des Sciences et des Lettres de Cracovie depuis 1994
  • Président de l’Association internationale pour l’étude du droit de l’Égypte ancienne (1992-1995)
  • Directeur du Centre de recherches d’histoire de l’Antiquité Gustave Glotz, Universités Paris I et Paris IV (1992-1999)
  • Membre étranger de l’Académie polonaise de Varsovie depuis 1997
  • Membre de l’Institut des Hautes Études, Université Hébraïque de Jérusalem (1995-1996)
  • Membre du Conseil scientifique de l’Institut français d’Archéologie orientale du Caire (1995-1999)
  • Membre du Conseil d’Administration de l’Institut français d’Archéologie orientale du Caire (1995-1999)
  • Membre de l’Institute for Advanced Study (School of Historical Studies), Princeton, New Jersey (1997-1998)
  • Membre du Conseil scientifique de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne (1997-1999)
  • Membre du Comité scientifique de la Rivista di storia del diritto greco ed ellenistico, Milan (depuis 1998).

Notes

1 Statut personnel et liens de famille dans les droits de l’Antiquité, Aldershot, Variorum, 1993.

2 Alexandre le Grand paru à Varsovie, aux éditions Ksiazka i Wiedza, en 1958 (en polonais).

3 Paru à Paris, aux Éditions Errance, en 1991, l’ouvrage est réédité aux PUF, en 1997, dans la collection Quadrige, célèbre pour sa couverture rouge.

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