Conclusion des interventions d’histoire moderne
p. 345-346
Texte intégral
1 Embrasser d’un seul regard les cinq communications d’histoire moderne (early modern) et les resituer au sein de l’ensemble des autres interventions, nous amènent inévitablement à observer deux tendances fondamentales.
2Nous avons d’abord travaillé essentiellement sur la première modernité, c’est-à-dire sur une période allant de la fin du XVe siècle au milieu du xviie siècle avec, en réalité, une nette attirance pour la seconde moitié du xvie siècle et le temps des guerres de Religion françaises : il est remarquable que le choix des intervenants ait conduit les organisateurs britanniques et français dans la même direction. Il pourrait s’agir, bien sûr, d’un artefact qui nous renverrait, comme Janet Nelson le soulignait hier au cours des discussions, à nos propres « liens personnels, réseaux et solidarités » et c’est incontestablement une dimension qu’il convient de prendre en compte. Une autre réponse, juste mais également insuffisante, serait que les temps de crise – crise politico-religieuses ou crises familiales dans les exemples développés par Stuart Carroll ou Michel Nassiet – révèlent mieux que les configurations normales, les liens, les solidarités et les réseaux. Ces choix pourraient, enfin, être le reflet d’une « réalité historique » qui serait l’effacement au cours du xviie siècle, sinon des liens personnels, au moins de formes très structurées de solidarités familiales et professionnelles ; elle pourrait être alors mise en relation avec le grand paradigme, actuellement en faveur, de la progression de l’individualisme, ou de l’émergence de l’individu face à la communauté au cours des xviie et xviiie siècles. Ces explications seraient cependant bien courtes : l’ouvrage d’Amanda Vickery sur les femmes de la petite gentry du Lancashire, mené essentiellement à partir de correspondances privées datant de la seconde moitié du xviiie siècle et de la première moitié du XIXe siècle1, l’article récent de M. Sankey et D. Szechi, paru dans Past and Présent, qui a montré la manière dont les nobles écossais jacobites avaient pris soin dans la première moitié du xviiie siècle d’entretenir les solidarités familiales avec leurs parents passés du côté whig2, ou encore les travaux de Pierre-Yves Beaurepaire, sur les réseaux épistolaires qu’avaient tissés entre eux les hommes des Lumières3, attestent tous que nous aurions pu aussi bien nous tourner vers des spécialistes de la seconde modernité. Et pourtant, nous avons choisi d’entendre, pour notre plus grand plaisir, six spécialistes du xvie siècle dont quatre spécialistes des guerres de Religion.
3Nous avons tous pu repérer une seconde tendance fondamentale. Les cinq intervenants ont parlé des élites : les grands lignages, lors des interventions de Stuart Carroll, Nicolas Le Roux et David Potter ; la noblesse moyenne ou petite avec Stuart Carroll et Michel Nassiet ; les élites culturelles lorsque Pascal Brioist a fait revivre devant nous les noms prestigieux des habitués de la taverne de Sirène. Nous retrouvons ici une troublante homogénéité qui nous amène, à nouveau, à nous interroger. Là encore, la réponse classique selon laquelle nous serions mieux informés sur la noblesse et sur les élites que sur les middling sorts ou sur les pauvres est un peu rapide comme l’ont montré, par exemple, les travaux de Shani D’Cruze sur Colchester4.
4Je crois que la double tendance à l’œuvre dans notre réunion a, en réalité, une autre explication. Il me semble, en effet, que les concepts sur lesquels nous avons travaillé, juxtaposent d’une manière révélatrice un terme ancien – les « solidarités » étudiées au moins depuis le temps de Roland Mousnier – et deux termes plus neufs – les « liens » et les « réseaux » – introduits relativement récemment dans le vocabulaire historique en provenance, comme l’ont rappelé très justement Pascal Brioist, Michel Nassiet mais aussi Julien Vincent, de l’anthropologie et de la sociologie. La notion d’ego network (réseau personnel) est issue de la sociologie anglaise de l’école de Manchester et la notion de whole network (réseau social) a plutôt été développée dans les années 1980 par la sociologie américaine. Or, j’ai eu l’impression, au moins en ce qui concerne la période moderne, que la thématique du lien social n’est pas encore bien dégagée de la problématique plus ancienne du patronage : c’est la raison pour laquelle nous avons été amenés à réfléchir presque exclusivement sur les liens personnels et les réseaux dans le cadre d’études sur les clientèles qui ont toujours particulièrement intéressé les spécialistes du xvie siècle.
Notes de bas de page
1 A. Vickery, Gentleman’s Daughter. Women’s Lèves in Georgian England, Yale University Press, 1998.
2 M. Sankey et D. Szechi, « Elite Culture and the Decline of Scottish Jacobitism 1716- 1745 », Past and Présent, vol. 173, n° 1. novembre 2001, p. 90-128.
3 P.-Y. Beaurepaire éd., La Plume et la Toile. Pouvoirs et réseaux de correspondance dans l’Europe des Lumières, Arras, Artois Université Presses, 2002.
4 S. D’Cruze, « The Middling Sort in Eighteenth-Century Colchester : Independence, Social Relations and the Community Broker », dans J. Barry et C. Brook éd., The Middling Sort of People. Culture, Society and Politics in England, 1550-1800, New York, St. Martin’s Press, 1994, p. 181-207, 264-68.
Auteur
Professeur, Université de Bordeaux iii.
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