Observations sur les structures familiales de l’aristocratie normande au xie siècle
p. 15-28
Résumé
Family relationships are central to studies of networks and interdependencies in medieval societies. On the basis of Norman examples, this paper looks at the notion of a “mutation familiale”, as applied to Western Europe in the period from the 10th to the 12th centuries. In Normandy, from the end of the 11th century onwards, the awareness of belonging to a lineage became stronger, and tended to be more closely related to the ducal dynasty. At the same time, constraints related to heritage became more strict. Inheritance practices, however, appear more flexible than in the later Coutume, and if the significance of links through the women of the kin are considered, lineage as a model does not seem to have met with complete success. Equally, on occasion, the links that were fostered between some Norman noblemen and their parents issued from both lines, paternal and maternal, brought distant solidarities into being.
Texte intégral
1L’historiographie récente consacrée aux structures de parenté est largement dominée par le débat sur la « mutation familiale » de l’Occident chrétien du xe au xiie siècle. Selon un modèle établi par Georges Duby à partir de l’exemple mâconnais1, celle-ci se traduit par le passage d’une structure large et horizontale, le « cousinage », sans réelle profondeur généalogique, à une organisation verticale, plus profondément ancrée dans l’espace et dans le temps, et centrée sur la dévolution de l’héritage en ligne directe et la patrilinéarité. Selon ce schéma, l’affirmation du « lignage » est généralement associée aux transformations politiques du temps, en particulier la dislocation des structures publiques. Elle se manifeste notamment par l’enracinement d’une famille autour d’un château ou d’un domaine, le renforcement du contrôle lignager sur la dévolution du patrimoine, la prépondérance accordée aux héritiers masculins issus de la lignée paternelle, l’essor de pratiques successorales réservant l’essentiel de l’héritage à l’aîné, le déclassement des cadets et la détérioration du statut de la femme.
2Ce modèle a été révisé maintenant depuis plusieurs années. En 1993, Dominique Barthélemy appelait à nuancer l’hypothèse d’une « mutation lignagère » et concluait dans son analyse de la parenté noble en Vendômois que, si les tendances lignagères ne sont pas absentes au xve siècle, « ni leur nouveauté ni leur radicalité ne sont aussi évidentes qu’on le dit parfois »2. Peu après, Pauline Stafford mettait en garde contre toute tentative de généralisation des modèles établis, en insistant particulièrement sur la partialité des documents fondant l’observation des structures familiales3. Plus récemment, lorsque Martin Aurell s’est risqué à définir les traits constitutifs « du » lignage, il a pris soin d’avertir du caractère très schématique de cet exercice de synthèse, qui peut être démenti par des contre-exemples tirés de monographies régionales4. De fait, les travaux conduits ces dernières années ont largement démontré la diversité des processus conduisant à la réorganisation des formes de la filiation et de l’alliance durant les siècles centraux du Moyen Âge. Dans ce domaine, c’est en terme de tendance que les historiens se sont habitués à cadrer leurs analyses. Ils le font parfois en soulignant qu’il existe moins un bouleversement radical des structures de parenté, qu’une modification de leur fonctionnement sous l’effet de facteurs externes, comme les contraintes patrimoniales ou l’instauration d’un modèle ecclésiastique pour le mariage5.
3Pour la Normandie, voici une quinzaine d’années, Eleanor Searle mettait en exergue les dynamiques de la « parenté prédatrice » pour comprendre les ressorts de l’expansion normande6 : sans doute trop catégorique, le livre n’en a pas moins le mérite de mettre en avant l’impact des stratégies familiales dans l’évolution du pouvoir et de la société en Normandie. Au même moment, Emily Tabuteau a pu éclairer les mécanismes des transferts de propriété7, un dossier dont l’importance est capitale pour notre propos. De nombreuses monographies, aussi, ont été consacrées aux familles du duché8. Du côté français, à la suite des travaux de Lucien Musset, les historiens se sont penchés sur le renouvellement de la classe aristocratique normande9. De l’autre côté de la Manche, un grand nombre de spécialistes ont orienté leur questionnement autour de l’impact de la conquête normande de 1066 sur les structures familiales et le statut de la femme10. Il n’en reste pas moins que, de ce point de vue, l’historien se trouve souvent démuni lorsqu’il tente de dégager la part des influences continentales sur celles observées après la conquête de l’Angleterre. Sur un domaine aussi essentiel que les pratiques successorales en Normandie avant 1066, Judith Green pouvait constater en 1997 que « sur ce point, il faut l’admettre, rien de certain ne peut être dit »11 et la remarque vaut pour d’autres aspects.
4En apparence, la Normandie ne déroge pas au modèle de la « mutation lignagère ». Sans reprendre ici l’ensemble du dossier qu’avait exposé David Bates voici une vingtaine d’années12, il est important de souligner une triple évolution.
51- Un approfondissement de la conscience lignagère, que l’on observe de manière plus nette à partir des deux dernières décennies du xie siècle. Il est vrai, l’historien se heurte ici à des obstacles, comme l’absence d’une synthèse sur l’évolution de l’anthroponymie13. D’autre part, en dehors du lignage ducal, cette conscience lignagère n’a guère laissé de traces directes, par exemple sous forme de généalogies, dans la documentation du XIe siècle. Des informations peuvent être recueillies dans le récit de Guillaume de Jumièges, par exemple pour les Crespin14, ou dans les Acta archiepiscoporum Rotomagensium à propos des Tosny15. Des chartes également, comme les actes nous informant sur la dévolution du château du Homme ou deux versions de la dotation de la collégiale d’Auchy, peuvent aussi être sollicitées et nous éclairer sur le rôle tenu par les femmes dans la transmission du passé familial16. L’essentiel de l’information nous a été cependant transmis par des sources du xiie siècle, notamment dans les récits d’Orderic Vital, de Robert de Torigni et de Wace ou la généalogie des Crespin attribuée à Miles Crespin17. L’examen de ces matériaux a montré la difficulté, pour la plupart des familles, à remonter au-delà des alentours de l’an mil, voire du second quart du xie siècle18, à un moment qui correspond à l’ancrage territorial des lignages autour d’un domaine ou d’un château majeur. De fait, les informations les plus précoces que l’on peut recueillir sur le fonctionnement de cette mémoire permettent de souligner la cristallisation du passé familial autour du château19. C’est plus tardivement, semble-t-il, que la mémoire aristocratique s’enracine dans un passé plus lointain, voire mythique. La première version concernant les origines des Tosny, donnée par les actes des archevêques de Rouen dans les années 1070, ne remonte pas au-delà du père de Raoul Ier, un certain Hugues de Calvacamp. Vers 1109 il apparaît, sous la plume d’Orderic Vital, que le lignage s’était doté d’un ancêtre mythique, Malahulcius, présenté comme un oncle paternel de Rollon20. En 1110-1130, dans une interpolation aux Gesta Normannorum ducum d’abord, puis dans son Histoire ecclésiastique, le moine de Saint-Évroult introduit le personnage d’Yves de Creil, associé à un épisode de la minorité de Richard Ier, dans la généalogie de la famille de Bellême21. Un processus assez similaire peut être observé chez les Montgommery qui mettent en avant, à partir des années 1080, leurs illustres origines Scandinaves qui seront explicitées plus tard, quoique de manière divergente, par Yves de Chartres et Robert de Torigni et rattachées, par l’intermédiaire d’une sœur de la duchesse Gunnor, à la famille ducale22. Quel que soit le crédit que l’on puisse accorder à ces généalogies – et rappelons ici que celles proposées par Robert de Torigni ont été largement réhabilitées par la critique moderne –, elles doivent être pensées comme une étape de la conscience généalogique des lignages. Et dans ce processus de formation de la mémoire aristocratique, il semble bien que les trois décennies qui encadrent la mort de Guillaume le Conquérant aient été décisives. Il reviendra à des travaux ultérieurs de discuter cette chronologie et le contenu de cette mémoire : notons simplement pour le moment qu’elle oriente bon nombre de lignages aristocratiques vers la dynastie ducale, un lien qui peut être tenu pour l’un des éléments majeurs du capital symbolique des familles de l’aristocratie normande.
62- Un durcissement des contraintes patrimoniales, qui s’exprime notamment par l’évolution du contenu, sinon même de la notion d’hereditas. La documentation opère une différenciation croissante entre les terres et les droits hérités et les acquêts, plus facilement aliénables23. La notion d’hereditas, qui concerne d’abord les terres libres, détenues en dehors de l’intervention d’autrui, par opposition aux beneficia, tend à s’appliquer, aux alentours de 1100, à des possessions sur lesquelles une famille peut faire valoir un droit héréditaire, cela indépendamment de la forme prise par cette possession, et elle s’oppose alors aux acquêts. Il est possible que cette distinction ait été renforcée par les conquêtes du règne de Guillaume le Conquérant, en particulier l’établissement d’une fraction importante de l’aristocratie normande sur des domaines anglais24. Un autre signe de ce durcissement des contraintes patrimoniales se rencontre dans l’évolution des donations matrimoniales, douaire et dot. On peut discerner, peut-être dès avant 1050 et de manière plus certaine dans la seconde moitié du xie siècle, la spécialisation d’une fraction de la fortune familiale, destinée à asseoir ces transferts. Les signes d’une redéfinition des droits de la femme sur la dotation transmise par son mari sont aussi tangibles : si au début du XIe siècle, la Normandie semble être restée fidèle au douaire en pleine propriété, un renforcement du contrôle des biens dévolus à l’épouse, tant par le mari que par le lignage de celui-ci, s’observe très rapidement25.
73- Une diffusion des pratiques successorales réservant l’essentiel de l’héritage à l’un, et éventuellement deux, des fils26. On se heurte ici à des problèmes méthodologiques assez bien connus pour que nous ne nous y étendions pas. En dehors de la famille ducale pour lesquelles nous disposons de données suffisantes dès la fin du xe siècle (c’est-à-dire la génération des enfants de Richard Ier), nous ne sommes véritablement renseignés qu’à partir du second quart du xie siècle. Encore faut-il tenir compte du fait qu’une partie importante de l’information nous est parvenue par le témoignage de chroniqueurs du xiie siècle, comme Orderic Vital et Robert de Torigni, dont la validité du témoignage, précisément sur les règles successorales, a été discutée27. D’autre part, nous ne sommes pas toujours en mesure de reconstituer les généalogies complètes, ni de suivre l’origine et le cheminement des biens. Si ce domaine relève de l’impossible statistique, du moins il est possible d’observer des tendances.
8Il faut au préalable rappeler que la diversité des pratiques rencontrées exclut l’existence de règles successorales fixes, telles qu’elles seront plus tard formulées par la coutume normande. Il était possible de réserver la totalité de l’héritage à l’un des fils, qui n’était d’ailleurs pas forcément l’aîné comme le suggère la succession de Tancrède de Hauteville, au début du xie siècle28. A contrario, plusieurs exemples montrent qu’un partage équitable était établi ou du moins projeté. D’après Orderic Vital, Robert Ier de Grandmesnil, sur son lit de mort, aurait divisé sa terre en deux parts égales (terram suam equaliter distribuit) entre ses deux fils, Hugues et Robert, leur recommandant de prendre soin de leur jeune frère Ernaud, en attendant que celui-ci parvienne à l’âge adulte29. Ce que l’on peut reconstituer de la succession d’Ansgot, père du fondateur de l’abbaye du Bec, suggère un partage équitable entre Herluin et ses frères Eudes et Roger30. On ne dénote pas l’intention de privilégier un héritier parmi les deux fils de Raoul l’Angevin, Raoul Ier Taisson et son frère Erneys. Les modalités du partage reconstituées par Lucien Musset ont montré au contraire qu’on avait procédé à une dissociation des ensembles domaniaux détenus par Raoul l’Angevin et qu’il s’agissait là d’une volonté consciente probablement due à une intervention ducale31.
9Toutefois, ni l’indivision en faveur d’un seul héritier ni la solution du partage équitable ne semblent l’emporter. Des exemples précoces de partage inégal se rencontrent, en particulier dans le cas de la succession de Raoul d’Ivry, mort peu après 1015 : l’essentiel revient alors à Hugues de Bayeux, son frère Jean de Saint-Philibert ne recevant qu’une partie de la terre du Vièvre32. Cette solution paraît prévaloir à mesure que l’on constate un enracinement territorial de l’aristocratie durant le second quart du xie siècle. Elle est probable pour les héritiers de l’archevêque Robert († 1037)33 et avérée pour les Beaumont34 ou les Tosny35. Pour autant, il est difficile de conclure à une cristallisation des règles successorales. Ce sont fréquemment les circonstances qui conduisent à des arrangements ad hoc et à la production de chefs familiaux. Les dispositions prises à la mort de Roger Ier de Tosny et de Robert Ier de Grandmesnil interviennent à la suite d’événements dramatiques, qui voient la disparition prématurée des chefs de famille, dans un contexte de guerres privées. Il est tentant de considérer la succession de Giroie l’Ancien (mort au début des années 1030) comme une anticipation d’un système connu en Normandie sous le nom de parage36 : le récit d’Orderic Vital, qui écrit beaucoup plus tard, suggère plutôt la nécessité pour les deux aînés de la fratrie, Ernaud et Guillaume, de défendre les intérêts du groupe face aux entreprises de Gilbert de Brionne et d’assurer l’expansion de ses membres. Des logiques externes semblent aussi avoir joué, parfois de manière très brutale. La documentation laisse entrevoir l’action du duc sur les pratiques successorales : c’est visiblement sur l’initiative de Guillaume le Bâtard qu’en 1066, Jean, évêque d’Avranches, constitua Hugues de Montfort l’héritier de la moitié de la terre du Vièvre au détriment d’un autre neveu de l’évêque, sans doute pour consolider l’honneur de Montfort[-sur-Risle]37. Au milieu du xie siècle, Guillaume fils Osbern concentre l’essentiel des biens issus des lignées paternelle et maternelle. Son frère Osbern, que l’on voit fréquemment associé à la gestion des biens familiaux dans les années 1040, paraît en avoir été ensuite totalement écarté et mena une carrière en Angleterre, d’abord à la cour d’Édouard le Confesseur, puis comme évêque d’Exeter. Les raisons de ce retrait nous échappent, mais on ne peut exclure l’intervention du duc en faveur de l’un de ses plus proches fidèles38. Les choix réalisés pouvaient privilégier une fille, y compris lorsqu’elle était pourvue de frères. Orderic Vital rapporte les circonstances de l’installation de Giroie en pays d’Ouche, vers 1020, à la suite d’un projet de mariage avec l’unique héritière d’Heugon, seigneur d’Échauffour et de Montreuil-l’Argillé : son récit prête à caution dans la mesure où la charte de dotation de l’abbaye de Saint-Évroult mentionne un Robert, fils d’Heugon39. Plus tard, Mabille de Bellême transmit aux Montgommery l’essentiel de l’héritage de la première maison de Bellême, au détriment de son demi-frère Olivier, dont la bâtardise n’est pas avérée, et d’autres neveux de l’évêque Yves de Sées40. Après la rébellion de Guimond de Moulins-la-Marche (v. 1052-1053), Guillaume le Bâtard disposa du château de Moulins en faveur de Guillaume, fils de Gautier de Falaise, auquel il accorda également la main de la fille de Guimond, Aubrée. Des huit fils de Guimond, aucun ne put recouvrer une part de l’héritage paternel, qui paraît avoir été transmis à Aubrée, qualifiée de domina ipsius castri dans un acte en faveur de Saint-Père de Chartres41.
10Il n’y a toutefois pas eu en Normandie substitution d’un modèle à un autre, mais coexistence de tendances lignagères avec des structures de parentés demeurées cognatiques. Dans la langue vernaculaire du xiie siècle, en Normandie – comme dans d’autres régions –, le « lignage » ne fait pas explicitement référence à un groupe de filiation agnatique, où prime la descendance masculine issue de la branche paternelle, mais à ce que nous traduirions aujourd’hui par « parenté ». Ainsi, dans le Roman de Rou, qu’il compose dans les années 1160-1170, Wace rappelle qu’Henri II « del lignage Roul [= de Rollon] nasqui »42, faisant référence ici à la transmission de la parenté par la mère du souverain plantagenêt, Mathilde l’Emperesse. L’exemple n’est pas isolé. Les récits des chroniqueurs normands des xie-xiie siècles témoignent de l’importance accordée à chacune des lignées dans la filiation des individus. Dans une interpolation aux Gesta Normannorum ducum, Robert de Torigni explique par exemple que Guillaume fils Osbern appartenait à la cognatio (la parentèle consanguine) des ducs de Normandie par son père et par sa mère43. Pour ses prédécesseurs du XIe siècle, et particulièrement Guillaume de Poitiers, la transmission du genus, du sang qui circule entre les membres du groupe, est clairement autant une affaire d’hommes que de femmes44. Pour expliquer les révoltes de deux proches parents de Guillaume le Bâtard, Guillaume d’Arques et Gui de Bourgogne, le chroniqueur précise ainsi que les deux hommes savaient qu’ils pouvaient être comptés parmi les descendants des ducs de Normandie, tant par son père (Richard II) pour l’un, que par sa mère (Adélaïde, fille de Richard II) pour l’autre45.
11Jamais la parenté par les femmes n’est tenue pour négligeable. On sait qu’au xiie siècle, plusieurs des grandes familles de l’aristocratie normande ont mis en exergue leurs ancêtres féminins, sœurs et nièces de la duchesse Gunnor, par lesquelles ces lignages pouvaient faire valoir leurs liens avec la famille ducale46. C’est par une double filiation maternelle qu’Orderic Vital relie Robert de Rhuddlan aux fondateurs de Saint-Évroult : sa mère Adelize (épouse d’Onfroy du Tilleul), dit le chroniqueur, était issue « de l’illustre souche des Géré »47, une ascendance qu’elle pouvait revendiquer par sa mère Havise Géré, fille de Giroie d’Ancien et épouse de Robert Ier de Grandmesnil. Le fait remarquable ici est qu’Adelize est classée dans le groupe familial d’origine de sa mère, et non dans le lignage de son père. Ce rattachement est corroboré par d’autres indices, en particulier les noms portés par deux frères de Robert de Rhuddlan, Ernaud et Guillaume, tous deux portés par les deux frères d’Havise qui furent à la tête de la fratrie des Géré après la mort de Giroie l’Ancien, au début des années 1030. À deux générations d’écart, et en dépit de deux alliances matrimoniales l’une avec Robert de Grandmesnil et l’autre avec Onfroy du Tilleul, les fils d’Adelize pouvaient encore être tenus pour des membres de la stirps Geroianorum. Bien informé sur la famille de Robert de Rhuddlan, le témoignage d’Orderic Vital suggère encore l’importance accordée à la lignée féminine dans la définition du groupe des parents. Les Grandmesnil n’hésitaient d’ailleurs pas à enrichir le stock anthroponymique du lignage par des noms qui mettaient en valeur leurs alliances prestigieuses. Nous l’avons signalé à propos d’Ernaud, qui fut donné à l’un des fils puis l’un des petits-fils d’Havise Géré. À la génération suivante, Hugues de Grandmesnil et son épouse Adelize de Beaumont dénommèrent un de leurs fils Yves, comme son grand-père maternel, le comte de Beaumont-sur-Oise.
12Cette reconnaissance de la parenté par les femmes servait aussi à étayer les droits ou les revendications des membres de la parentèle, fussent-ils éloignés : l’une des justifications avancée par la cour normande pour légitimer la conquête de l’Angleterre était précisément qu’Édouard le Confesseur et Guillaume le Conquérant étaient issus d’un même genus, d’une même linea consanguinitatis, dont l’origine commune était une femme, Emma, sœur de Richard Ier de Normandie et épouse du roi anglo-saxon Éthelred II (grand-tante de Guillaume et mère d’Édouard)48. À la fin du xie siècle, une féroce guerre privée opposa Ascelin Goel, seigneur de Bréval, à Guillaume de Breteuil avec pour enjeu principal la tour d’Ivry49. Le château avait appartenu au demi-frère de Richard Ier, Raoul d’Ivry, puis au fils de celui-ci Hugues, évêque de Bayeux, qui l’avait conservé jusqu’à sa révolte contre Robert le Magnifique vers 1027- 1028. Le duc avait alors récupéré la forteresse, qui était ensuite restée dans le domaine ducal jusqu’à la mort de Guillaume le Conquérant. Peu après l’avènement de Robert Courteheuse, Guillaume de Breteuil avait obtenu du nouveau duc la rétrocession du château, sur lequel il pouvait faire valoir des droits transmis par sa grand-mère Emma, fille de Raoul d’Ivry et sœur d’Hugues de Bayeux. L’évêque avait toutefois eu une fille, Aubrée, qu’il avait mariée à Robert, le grand-père d’Ascelin. Lorsque Guillaume de Breteuil récupéra Ivry, il se heurta presque aussitôt à son cognat Ascelin Goel, qui s’empara de la tour une première fois en 1089, puis de nouveau en 1091, après avoir capturé le seigneur de Breteuil et l’avoir forcé à lui donner sa fille (illégitime) en mariage. Guillaume dut alors rassembler une imposante coalition et mettre le siège devant Bréval pour obliger son gendre encombrant à lui restituer Ivry. Le seigneur de Breteuil conserva la forteresse jusqu’à sa mort en 1103, mais Ascelin la recouvra en 1119 et ses descendants gardèrent Ivry jusqu’en 1177. La rivalité entre les deux maisons avait ainsi pour origine les droits transmis par les grands-mères respectives des deux protagonistes. Elle avait dégénéré en guerre privée à partir du moment où le duc avait disposé du château en faveur de son allié Guillaume de Breteuil.
13Cette ascendance maternelle pouvait être invoquée de préférence à tout autre argument. C’est d’abord elle que retient Geoffroy de Mayenne pour obtenir de Robert Courteheuse la restitution du château de Saint-Céneri en faveur de Robert II de Saint-Céneri, fils d’Adélaïde, une cousine de Guillaume le Conquérant50. Les liens avec la parentèle issue des branches paternelle et maternelle pouvaient également activer des solidarités lointaines, qui trouvaient l’occasion de s’exprimer en diverses circonstances. Au début des années 1060, Ernaud d’Échauffour, exilé par Guillaume le Conquérant avec d’autres seigneurs de la région (Hugues de Grandmesnil, Raoul de Tosny et l’abbé de Saint-Évroult, Robert de Grandmesnil) trouva refuge auprès d’un seigneur du pays chartrain, Giroie de Courville, d’où il put harceler la frontière normande à l’aide « des hommes du Corbonnais, du Dreugésin et de Mortagne »51. Les solidarités familiales sollicitées à cette occasion remontaient à l’arrière-grand-père d’Ernaud d’Échauffour, appelé lui aussi Ernaud et établi à Courcerault, en Corbonnais, vers le milieu du Xe siècle. Selon toute probabilité, Giroie de Courville était issu en effet d’une branche collatérale de la famille par l’intermédiaire d’Hildiarde, fille d’Ernaud de Courcerault, dont les descendants avaient fait souche en pays chartrain et en Corbonnais. Ainsi, les liens entre les Géré installés en Normandie depuis trois générations et les branches collatérales établies en dehors du duché étaient demeurés suffisamment solides pour activer des solidarités familiales, entretenues par ailleurs par le souvenir d’une même origine et des marqueurs onomastiques communs52. Dans des circonstances moins dramatiques, Orderic Vital rapporte aussi qu’un chevalier du Corbonnais, Gui Bollein, cognat de l’abbé de Saint-Évroult, Robert de Grandmesnil, confia son fils à l’établissement restauré par les Géré et les Grandmesnil : là encore, le personnage, attesté par ailleurs en 1058 dans une charte d’Yves Ier de Courville, était très certainement issu des descendants d’Hildiarde, sœur de Giroie l’Ancien, et la parenté qu’il pouvait revendiquer avec l’abbé Robert de Grandmesnil relevait entièrement des femmes, en l’occurrence Havise Géré, la mère de Robert et la nièce d’Hildiarde53.
14On le voit, les liens établis entre les membres de la parentèle s’étendent encore de manière suffisamment large pour impliquer dans des solidarités politiques ou religieuses des branches collatérales, parfois éloignées de plusieurs générations et issues des lignées paternelle ou maternelle. Assurément, les modèles parentélaires du cousinage n’ont pas disparu et ils trouvent encore l’occasion de s’exprimer en plein xie siècle. Il faut en conclure que le fonctionnement des structures familiales s’avère plus complexe qu’il n’y paraît. Comme a pu le suggérer Pauline Stafford54, il y a sans doute moins de contradictions qu’on ne l’a dit entre un système cognatique et des tendances que l’on pourrait qualifier de patrilignagères, et on en retiendra la capacité avec laquelle les hommes du temps ont pu solliciter leurs liens familiaux pour les différentes situations qu’ils avaient à affronter.
Notes de bas de page
1 G. Duby, « Lignage noblesse et chevalerie au xiie siècle dans la région mâconnaise. Une révision », Annales ESC, 27, n° 4-5 (juillet-octobre 1972), p. 803-823 ; Id., « Les structures familiales dans le Moyen Âge occidental », dans Mâle Moyen Âge, Paris, 1988, p. 129-138 et « Structures familiales aristocratiques en France du XIe siècle en rapport avec les structures de l’État », ibid., p. 139-146.
2 D. Barthélemy, La société dans le comté de Vendôme de l’an mil au xive siècle, Paris, 1993, p. 540.
3 P. Stafford, « La Mutation Familiale : A Suitable Case for Caution », dans The Community and the Saint. Patterns oƒ Power in Early Medieval Europe, Turnhout, 1998, (International Medieval Research, 4), p. 103-125.
4 M. Aurell, « La parenté en l’an mil », Cahiers de civilisation médiévale, 43 (2000), p. 125- 142.
5 A. Guerreau-Jalabert, article « Parenté », dans J. Le Goff et J.-C. Schmitt, Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval, Paris, 1999, p. 861-876.
6 E. Searle, Predatory Kinship and the Creation of Norman Power ; 840-1066, Berkeley, 1988.
7 E.Z. Tabuteau, Transfers of Property in Eleventh-Century Norman Law, Chapell-Hill et Londres, 1988.
8 Parmi les très nombreux travaux consacrés aux monographies familiales, citons : pour les seigneurs d’Aunou-le-Faucon : J.-M. Bouvris, « Les seigneurs d’Aunou [-le-Faucon] près d’Argentan », Le Pays Bas-Normand, 189 (1988), p. 19-45 ; les Beaumont : D. Crouch, The Beaumont Twins : The Roots and Branches of Power in Twelƒth Century, Cambridge, 1986 ; V. Gazeau, Monachisme et aristocratie au xie siècle : l’exemple de la famille de Beaumont, thèse de Doctorat de troisième cycle, Caen, 1986-1987 (dactyl.) ; les Bellême : G. Louise, La Seigneurie de Bellême xe-xiie siècles, dévolution des pouvoirs territoriaux et construction d’une seigneurie de frontière aux confins de la Normandie et du Maine à la charnière de l’An mil, Éditions Le Pays Bas-Normand, 1990, (n° 3-4) ; 1991 (n° 1-2), Flers, 1992-1993, 2 vol ; K. Thompson, « Family and Influence to the South of Normandy in the Eleventh Century : the Lordship of Bellême », Journal of Medieval History, 3 (1985), p. 215-226 ; les Géré : P. Bauduin, « Une famille châtelaine sur les confins normanno-manceaux : les Géré (xe-xiiie s.) », Archéologie Médiévale, XXII (1992), p. 309-356 ; J.-M. Maillefer, « Une famille aristocratique aux confins de la Normandie : les Géré au XIe siècle », dans Autour du pouvoir ducal normand xe-xiie siècles, Caen, 1985 (Cahier des Annales de Normandie, n° 17), p. 175-206 ; les Grandmesnil : J. Decaëns, « Le patrimoine des Grentemesnil en Normandie, en Italie et en Angleterre aux XIe et xiie siècles », dans Les Normands en Méditerranée dans le sillage des Tancrèdes, Actes du colloque de Cerisy-la-salle (24-27 septembre 1992), Caen, 1994, p. 123-140 ; les seigneurs de L’Aigle : K. Thompson, « The Lords of Laigle : Ambition and Insecurity on the Borders of Normandy », Anglo-Norman Studies, XVIII (1995), p. 177-199 ; les Montgommery : K. Thompson, « The Norman aristocracy before 1066 : the exemple of the Montgomerys ». Bulletin of the Institute of Historical Research, LX, n° 143 (oct. 1987), p. 251-263 ; les seigneurs de Moulins-la-Marche : E.Z. Tabuteau, « The Family of Moulins-la-Marche in the Eleventh Century », Medieval Prosopography, 13 (1992, vol. 1), p. 29-65 ; les Tosny : L. Musset, « Aux origines d’une classe dirigeante : les Tosny, grands barons normands du Xe au xiiie siècle », Francia, 5 (1977), p. 45-80.
9 L. Musset, « L’aristocratie normande au XIe siècle », dans La noblesse au Moyen Âge, xie-xve siècles, Essais à la mémoire de Robert Boutruche, réunis par Ph. Contamine, Paris, 1976, p. 71-96.
10 D. Bates, « England and the “Feudal Revolution” », dans Il ƒeudalesimo nell’alto Medioevo, t. 2, Spolète, 2000 (Settimane di studio del Centro italiano di studi sull’alto Medioevo, XLVII [8-12 aprile 1999]), p. 611-646, en particulier p. 639-640 ; M. Chibnall, The Debate on the Norman Conquest, Manchester, 1999, p. 97-114 ; J. Green, « Aristocratie Women in early Twelfth-Century England », dans Anglo-Norman Political Culture and the Twelƒth-Century Renaissance, C. Warren Hollister (éd.), Woodbridge, 1997, p. 59-82 ; J. Holt, « Feudal Society and the Family in Early Medieval England : I. The Revolution of 1066 », Transactions of the Royal Historical Society, fifth series, vol. 32 (1982), p. 193-212 ; H. Leyser, Medieval Women. A Social History oƒ Women in England, 450-1500, Londres, 1995, p. 69-90 ; E. Searle, « Women and the legitimization of succession at the Norman Conquest », Anglo-Norman Studies, III (1980), p. 159- 170 ; P. Stafford, « Women and the Norman Conquest », Transactions of the Royal Historical Society, sixth series, vol. 4 (1994), p. 221-249.
11 J. Green, The Aristocracy of Norman England, Cambridge, 1997, p. 335.
12 D. Bates, Normandy before 1066, Londres et New-York, 1982, p. 111-121.
13 Voir cependant J. Holt, What’s a name ? Family nomenclature and the Norman Conquest, The Stenton Lecture 1981, Reading, 1982, en particulier p. 12-23 ; P.H. Billy, « Nommer en Basse-Normandie aux xie-xve siècles », dans Mélanges René Lepelley, Caen, 1995 (Cahier des Annales de Normandie, 26), p. 223-232. Cet aspect a été surtout abordé pour déterminer la part des influences Scandinaves dans le duché (ex. J. Adigard des Gautries, Les noms de personnes Scandinaves en Normandie de 911 à 1066, Lund, 1954) ou dans le cadre de monographies : L. Jean-Marie, « Anthroponymie caennaise et origine géographique des Caennais (xie-milieu xive siècle) », Annales de Normandie, 48 (1998), p. 33-65 ; M. Le Pesant, « Notes d’anthroponymie normande. Les noms de personne à Évreux du xiie au xive siècle », Annales de Normandie, 6 (1956), p. 47-74 ; F. Neveux, « Le système anthroponymique en Normandie (d’après le cartulaire du chapitre de Bayeux xie-xiiie siècles) », dans Genèse médiévale de l’anthroponymie moderne I. Études d’anthroponymie médiévale. Ire et IIe Rencontres d’Azay-le-Ferron (1986- 1987), Publications de l’Université de Tours, 1990, p. 127-139.
14 The Gesta Normannorum Ducum oƒ William oƒƒ Jumièges, Orderic Vitalis, and Robert of Torigni, éd. et trad. E. Van Houts, 1992-1995, 2 vol. (Oxford Medieval Texts) [ci-après GND], t. 1, p. XLII.
15 Acta Archiepiscoporum Rotomagensium, éd. J.-P. Migne, PL, t. CXLVII, col. 273-280. Sur ce point, L. Musset, « Aux origines d’une classe dirigeante... », op. cit., p. 48-49.
16 AD Seine-Maritime, 1 Hl, 1 H13. Sur ce point : P. Bauduin, La première Normandie (xe-xie siècles). Sur les frontières de la haute Normandie : identité et construction d’une principauté, Caen, 2004, p. 299-305 ; E. Van Houts, « Les femmes dans l’histoire du duché de Normandie », Tabularia « Études », n° 2, 2002, p. 19-33, en partic, p. 21-27. Sur cette transmission de l’histoire de la famille par les femmes en Normandie, voir également : E. Van Houts. Memory and Gender in Medieval Europe 900-1200, Basingstoke-Londres, 1999, p. 72, 84-85, 88 et passim.
17 GND ; The Ecclesiastical History of Orderic Vitalis, éd. et trad. M. Chibnall, 1969-1980, 6 vol., (Oxford Medieval Texts) [ci-après Orderic Vital, HE] ; Wace, Le Roman de Rou, éd. A.-J. Holden, Paris, Société des anciens textes français, 1970-1973, 3 vol. [ci-après Wace] ; Robert de Torigni, Chronique, suivie de divers opuscules historiques de cet auteur, éd. L. Delisle, Rouen, 1872-1873, 2 vol. ; Miraculum Quo B. Maria subvenit Guillelmo Crispino Seniori, éd. J.-P. Migne, PL, t. CL, col. 735-743.
18 D. Bates, Normandy beƒore 1066, op. cit., p. 112.
19 Il est vraisemblable que les informations sur l’histoire ancienne du château de Tillièressur-Avre insérées dans les Gesta Normannorum ducum ont été transmises à Guillaume de Jumièges par les Crespin (GND, 1.1, p. XLII). Les deux versions de la charte de dotation de la collégiale d’Auchy (fin xie siècle) débutent chacune par un passage retraçant la fondation du château d’Aumale (voir n. 16).
20 L. Musset, « Aux origines d’une classe dirigeante... », op. cit., p. 48-49 ; A. Wareham, « Two Models of Marriage : Kinship and the Social Order in England and Normandy », dans Negotiating Secular and Ecclesiastical Power. Western Europe in the Central Middle Ages, A.-J. Bijsterveld, H. Teunis, A. Wareham éd., Tumhout, 1999, (International Medieval Research, 6), p. 107-132, notamment p. 121-122.
21 G. Louise, La Seigneurie de Bellême…, op. cit., t. I, p. 209-218.
22 Ibid., p. 218-221 ; K. Thompson, « The Norman aristocracy before 1066… », op. cit., p. 253-255 ; E. Van Houts, « Robert of Torigni as Genealogist », dans Studies in Medieval History presented to R. Allen Brown, éd. Ch. Harper-Bill, Ch. Holdsworth et J.L. Nelson, Woodbridge, 1989, p. 225-227.
23 J. Holt, « Feudal Society and the Family in Early Medieval England : Notions of Patrimony », Transactions of the Royal Historical Society, fifth series, t. 33, (1983), p. 193-220 ; E.Z. Tabuteau, Transfers oƒ Property…, op. cit., p. 100-102.
24 J. Holt, « Feudal Society and the Family in Early Medieval England : Notions of Patrimony », op. cit., p. 213-214.
25 P. Bauduin, « Du bon usage de la dos dans la Normandie ducale (xe-début xiie siècle) », dans Dots et douaires dans le haut Moyen Âge, F. Bougard, L. Feller, R. Le Jan dir., Rome, École française de Rome, 2002, (Collection de l’École française de Rome, 295), p. 429-465 ; L. Musset, « Actes inédits du xie siècle, iii. Les plus anciennes chartes normandes de l’abbaye de Bourgueil », BSAN, t. LIV (1957-1958), p. 15-54, notamment p. 27-36.
26 Les pratiques malthusiennes, qui auraient conduit à limiter le nombre d’héritiers possibles, paraissent devoir tout de suite être écartées. Stéphanie Moers Christelow (« The Division of Inheritance and the Provision of Non-Inheriting Offspring among the Anglo-Norman Elite », Médieval Prosopography, 17, 2 [1996], p. 3-44) a montré qu’il n’est pas possible de conclure à la restriction de la descendance dans les familles aristocratiques, et les quelques cas où l’on pourrait évoquer un comportement malthusien sont atypiques. C’est donc dans les pratiques successorales et la situation faite aux enfants du couple qu’il faut rechercher des éléments d’explication.
27 M. Chibnall, « Les droits d’héritage selon Orderic Vital », Revue historique de droit français et étranger, 48, 2 (avril-juin 1970), p. 347 ; Ead., The World oƒ Orderic Vitalis, Oxford, 1984, p. 125 ; J. Holt, « Feudal Society and the Family in Early Medieval England : Notions of Patrimony », op. cit., p. 215.
28 Orderic Vital, HE, livre III, t. 2, p. 98-100 ; Geoffroy de Malaterra, De rebus gestis Rogerii Calabriae et Siciliae Comitis et Roberti Guiscardi Ducis ƒratris eius, éd. E. Pontieri, Bologne, 1928 (Rerum Italicarum Scriptores, 5, 1), p. 9. D’après Orderic Vital, l’héritier de Hauteville était Geoffroy, quatrième ou cinquième fils de Tancrède et de Muriel. L’auteur suggère que Geoffroy ne participa pas à l’émigration des fils de la famille en Italie mais il est avéré que ce dernier arriva dans la péninsule après juin 1053 et devint comte de Civitate (L.-R. Ménager, « Pesanteur et étiologie de la colonisation normande en Italie », appendice : Inventaire des familles normandes et franques émigrées en Italie méridionale et en Sicile (xie-xiie siècles), dans Roberto il Guiscardo e il suo tempore, Rome, 1975, (Fonti e studi del Corpus membranarum Italicarum, XI) p. 318-320). Il est possible qu’Orderic ait commis une erreur sur le nom de l’héritier du domaine de Hauteville-la-Guichard (Manche, cant. Saint-Sauveur-Lendelin) ; inversement, le fait que le nom de Altavilla ait été porté par certains des fils de Geoffroy irait dans le sens d’une identification correcte (E.Z. Tabuteau, « The Family of Moulins-la-Marche... », op. cit., p. 53, n. 42).
29 GND, VIL 3, t. 2, p. 96.
30 Chanoine Porée, Histoire de l’abbaye du Bec, Évreux, 1901, t. 2, p. 326-327.
31 L. Musset, « Actes inédits du XIe siècle, V. Autour des origines de Saint-Étienne de Fontenay », BSAN, t. LVI (1961-1962), p. 27-28.
32 V. Gazeau, « Le patrimoine d’Hugues de Bayeux (c. 1011-1049) », dans Les évêques normands du xie siècle, Actes du colloque de Cerisy-la-Salle (30 sept.-3 oct. 1993), P. Bouet et F. Neveux éd., Caen, 1995, p. 139-147. Un troisième fils, Raoul, est seulement connu par un document en faveur de l’abbaye de Saint-Ouen de Rouen où il souscrit auprès de son père (M. Fauroux, Recueil des actes des ducs de Normandie (911-1066), Caen, 1961 (Mémoires de la Société des antiquaires de Normandie, t. XXXVI), n° 13, p. 86-89). Il n’est pas autrement connu et on ignore s’il survécut à son père.
33 Orderic Vital, HE (V, 9, t. 3, p. 84) précise que l’archevêque Robert légua à ses fils le comté d’Évreux et d’autres honneurs très vastes. Les conditions du partage, quoique pas totalement éclaircies, laissent présager une distribution inégale en faveur de Richard.
34 V. Gazeau, Monachisme et aristocratie..., op. cit., p. 105-155 ; Ead., « Le domaine continental de l’abbaye de Notre-Dame et Saint-Léger de Préaux au XIe siècle », dans Aspects de la société et de l’économie dans le Normandie médiévale (xe-xiiie siècles), Caen, 1988 (Cahier des Annales de Normandie, n° 22), p. 173 ; Ead., « Le temporel de l’abbaye Saint-Pierre de Préaux au XIe siècle », dans Recueil d’études en hommage à Lucien Musset, Caen, 1990 (Cahier des Annales de Normandie, n° 23), p. 245-246. Roger de Beaumont, l’aîné, reçoit l’essentiel de la succession paternelle. Le second fils, Robert obtient une part beaucoup plus modeste de l’héritage, à l’ouest de la vallée de la Risle, dont il fit profiter l’abbaye de Saint-Pierre de Préaux, conjointement avec ses frères. La principale extension de ses possessions ne provient toutefois pas de la succession paternelle, mais de biens acquis en Cotentin, probablement grâce à la faveur ducale. Guillaume, le cadet, fut visiblement le moins bien pourvu. Les biens dont a pu disposer sa sœur Dunelme sont uniquement attestés par la dot qu’elle constitua à l’occasion de l’entrée de sa fille au monastère de Saint-Léger de Préaux, en l’occurrence un métayer tenant quarante acres de terre à Bourg-Achard, un domaine qui semble avoir appartenu aux Beaumont dès le XIe siècle. Les observations faites par Véronique Gazeau suggèrent également une grande prudence dans la gestion de l’héritage paternel, en particulier pour l’honneur de Beaumont que Roger évite d’entamer par des donations en faveur des différents établissements religieux, à l’exception notable de la collégiale de Beaumont-le-Roger, que le fils aîné d’Onfroy de Vieilles fonda à la fin de sa vie. On notera enfin une moindre latitude, pour les cadets, en particulier Guillaume, à aliéner des biens patrimoniaux dans ce qui constitue le cœur des possessions de la famille et par contraste une disposition moins contraignante des biens acquis récemment en Cotentin, permettant à leurs détenteurs de se démarquer des fondations familiales au profit d’établissements comme Saint-Wandrille ou Montebourg.
35 L. Musset, « Aux origines d’une classe dirigeante... », op. cit., p. 55-62. Des six fils de Roger Ier de Tosny, deux trouvèrent la mort avec leur père dans une guerre menée contre les Beaumont vers 1040 ; l’un, Raoul II, recueillit l’essentiel de la succession paternelle avec Tosny et Conches. Les trois autres paraissent avoir été très médiocrement dotés en Normandie et durent attendre, pour au moins deux d’entre eux, l’opportunité que leur offrit la conquête de l’Angleterre.
36 En dehors du Pays de Caux, la Coutume générale de Normandie reconnaissait le système du parage, qui tente de concilier l’indivisibilité du fief et l’égalité du partage. L’aîné est reconnu comme seul héritier et délivre aux puînés leur part de la succession (R. Génestal, Le parage normand, Caen, 1911).
37 V. Gazeau, « Le patrimoine d’Hugues de Bayeux… », op. cit., p. 146-147.
38 P. Bauduin, La première Normandie…, p. 224.
39 Orderic Vital, HE, livre III, t. 2, p. 22 ; M. Fauroux, Recueil…, op. cit., n° 122, p. 287- 292.
40 G. Louise, La Seigneurie de Bellême…, op. cit., t. 2, p. 154-156. L’illégitimité du frère de Mabille, Olivier, ne paraît pas devoir être retenue (ibid., p. 146).
41 B. Guérard, Cartulaire de l’abbaye de Saint-Père de Chartres, Paris, 1840 (Collection de documents inédits sur l’histoire de France), t. I, p. 162-163. Sur la succession du château de Moulins : E.Z. Tabuteau, « The Family of Moulins-la-Marche… », op. cit. Emily Tabuteau (p. 54) émet l’hypothèse qu’Aubrée fut préférée à ses frères, bien que plusieurs d’entre aux eussent encore été présents en Normandie. L’histoire ultérieure de Moulins-la-Marche suggère que le château n’a pas été considéré comme une propriété héréditaire et fait clairement ressortir le droit du duc à disposer des forteresses de ses vassaux.
42 Wace, IIIe partie, v. 186, t. 1, p. 168.
43 GND, VIII, 15, t. 2, p. 226 : Et cognationem ducum Normannie non solum ex parte patris, uerum etiam ex parte matris attingens.
44 P. Bauduin, « Désigner les parents : le champ de la parenté dans l’œuvre des premiers chroniqueurs normands », Anglo-Norman Studies, XXIV (2002), p. 71-84
45 The Gesta Guillelmi of William of Poitiers, éd. et trad. anglaise R.H.C. Davis et M. Chibnall, Oxford, 1998 (Oxford Medieval Texts), I, 23, p. 32-34.
46 GND, VIII, 35-37, t. 2, p. 266-274 ; K. Keats-Rohan, « Aspects of Robert of Torigny’s Gernealogies Revisited », Nottingham Medieval Studies, XXXVII (1993), p. 21-27 ; E. Van Houts, « Robert of Torigni as Genealogist », op. cit., p. 215-233.
47 Orderic Vital, HE, livre VIII, 3, t. 4, p. 136 : […] Adeliza uero mater eius soror Hugonis de Grentemaisnil de clara stirpe Geroianorum.
48 P. Bauduin, « Désigner les parents... », op. cit., p. 43.
49 GND, VIII, 15, t. 2, p. 228 ; Orderic Vital, HE, livre V, 20, t. 3, p. 206-208 ; ibid., livre VIII, 12 et 24, t. 4, p. 198-202 et 286-290 ; ibid., livre XII, 17, t. 3, p. 228-230. Sur les droits qui pouvaient être revendiqués par les protagonistes sur le château d’Ivry : P. Bauduin, La première Normandie..., op. cit., p. 191-216.
50 Orderic Vital, HE, livre VIII, 5, t. 4, p. 154-156.
51 Orderic Vital, HE, livre II, 83, t. 2, p. 107.
52 P. Bauduin, « Une famille châtelaine... », op. cit., p. 311-312 ; J.-M. Maillefer, « Une famille aristocratique... », op. cit., p. 193-194. Courcerault, Orne, cant. Nocé.
53 Ibid.
54 P. Stafford, « La Mutation Familiale… », op. cit., n. 3.
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