1 Tout au long de ce colloque ont été présentées des figures de femmes criminelles, des femmes condamnées, mais aussi des femmes graciées, des femmes pardonnées. Au-delà des cas singuliers et exemplaires qui sont évoqués et qui, parfois, demeurent vivaces dans la mémoire des juridictions et même dans la mémoire populaire, comment peut-on se forger une idée de l’ampleur du phénomène criminel « au féminin », comment évaluer le nombre de femmes impliquées dans des crimes et des délits ?

2On sait évidemment que les notions de délit, de culpabilité, et surtout que les sanctions qui sont associées aux crimes et délits diffèrent éminemment selon les lieux et les époques, car pour des « actes identiques », les sanctions peuvent varier très fortement. Sans doute pourrait-on dire, en parodiant la devise bien connue : « Monstruosité en deçà des Pyrénées, péché véniel au-delà », ou bien évidemment l’inverse !

3Aller plus avant dans ce questionnement nous en dirait certes beaucoup sur chacune des sociétés, à condition de procéder à des comparaisons intranationales et internationales fines et rigoureuses, à supposer qu’on parvienne à se forger des indicateurs suffisamment pertinents pour s’y aventurer. Comme ce n’est pas notre objet aujourd’hui, je me limiterai donc à tenter d’éclairer ma question initiale : dans la France d’aujourd’hui, qui juge qui, et pour quelles fautes ? Car ce sont les rapports entre les justiciables et le monde judiciaire « au féminin » qu’il s’agit ici d’examiner.

4Les données dont nous disposons sont relativement parcimonieuses car, à dire vrai, la problématique de « genre », comme on dit dans la plupart des publications qui s’intéressent aux femmes, n’est vraiment pas prévalente en matière de justice. Surtout, les statistiques, pourtant abondantes dans la dernière période, ne différencient que très rarement les hommes et les femmes. Plus exactement, si les données relatives à la délinquance, aux infractions, etc. sont de plus en plus détaillées et même prolifiques, elles s’intéressent rarement aux caractéristiques sociodémographiques des justiciables. Est-ce essentiellement parce que le droit et la loi sont les mêmes pour les hommes et les femmes ? Que les délits et les peines encourues ne se distinguent pas selon le sexe du (ou de la) coupable ? Et, plus fondamentalement peut-être, parce qu’on se trouve encore (pour combien de temps ?) dans un système où prévaut l’individualisation de la peine, ce qui retire pour une bonne part l’intérêt d’une approche « sexuée » de la délinquance, sauf sans doute lorsqu’on se penche du côté des victimes, et, évidemment, sauf s’il s’agit des grandes causes qui concernent spécifiquement les femmes et le respect de leurs droits fondamentaux, comme les batailles autour du droit à l’avortement ou la lutte contre les violences conjugales ?

5Mais plus pragmatiquement, dans notre société contemporaine, compte tenu évidemment de l’appareil judiciaire et du corpus de lois dont elle s’est dotée, peut-être bien que l’explication la plus pertinente à l’absence d’approche de la criminalité en termes sexués est à chercher dans le fait que le justiciable est très rarement une femme, et donc très généralement un homme (si l’on met à part les affaires familiales, qui sont mixtes par nature). D’où le constat suivant : face à une délinquance dont les auteurs sont pour l’essentiel des hommes, se déploie une justice qui est de plus en plus fréquemment exercée par des professionnels féminins, qu’il s’agisse des juges, du ministère public, des enquêteurs, ou encore de la défense. Si bien qu’à la question très générale « qui juge qui ? », on peut, sans hésitation, répondre : des femmes – souvent jeunes – jugent des hommes, souvent moins jeunes.

6Quelques données donc pour illustrer mon propos, des statistiques centrées sur le « pénal » (puisque nos journées concernant les femmes criminelles) et qui concernent aussi bien les justiciables que les victimes, ainsi que celles et ceux qui concourent à l’expression de la justice.

Les victimes tout d’abord

7Sans aucun doute, les femmes tiennent leur place parmi les victimes, mais peut-être moins que l’imaginaire ne le laisse penser. Ainsi, à une enquête auprès des plus de 15 ans concernant les vols et agressions dont les personnes interrogées auraient été personnellement les victimes en 2006 et en 2007, 3,3 % des femmes répondent positivement aux vols (4,1 % aux vols et tentatives de vols), 2,6 % aux violences physiques, 15,9 % aux menaces ou injures, et même 16,8 % aux agressions physiques ou verbales. Pour autant, à la lecture de ces chiffres, dont certains sont importants, il ne semble pas que les femmes soient significativement davantage victimes que les hommes. Et si, dans certaines rubriques, les hommes apparaissent même comme plus fréquemment victimes que les femmes, dans l’ensemble, on constate que les taux sont, globalement, assez semblables.

Tableau 1 – Les victimes selon leur sexe (victimes majeures ; 2005-2006)

8Des statistiques portant sur les mineurs, il ressort également que ce sont très largement les garçons qui sont victimes d’agressions, de racket, etc. : « Les violences se commettent entre collégiens du même âge et même sexe », résume l’Observatoire national de la délinquance, et les taux d’exposition seraient de 1,3 % pour les garçons contre 0,6 % pour les filles, au collège et dans les lycées professionnels, et de 0,5 % pour les garçons et 0,2 % pour les filles, en lycée général.

9Même si le nombre de victimes ne peut qu’être imprécis et est très certainement sous-évalué puisqu’il n’est que déclaratif (on sait combien il est difficile de révéler certains types de violences, surtout de la part des femmes qui en sont les victimes), ces données témoignent néanmoins du fait que les hommes figurent bien parmi les victimes, même si les faits qu’ils relatent peuvent être de nature différente, les femmes se déclarant bien plus souvent victimes d’injures et de menaces que de violence, à l’inverse des hommes. En fait, nous disent les observateurs, la fréquence des agressions semble bien plutôt dépendre de l’âge (le taux d’agressions décroît avec l’âge) et des contextes de vie et d’habitat que du sexe des personnes.

Qu’en est-il du côté des justiciables ? Quid des auteur(e) s de crimes et de délits ?

10Là encore, il est difficile de s’appuyer sur des données sûres : pas plus que pour les hommes, on ne connaît le nombre de femmes coupables. On ne peut parler, en effet, que de ceux ou celles qui ont été mis en cause, voire appréhendés par les services de police et de gendarmerie : ceux et celles qui courent encore, nul ne sait combien elles ou ils sont.

Les mis en cause

11Que nous apprennent ces données ? Globalement, en 2006, les femmes – qui, on le rappelle, sont légèrement majoritaires dans la population – représentent, en métropole, 15 % des mis en cause, soit environ un mis en cause sur sept ; 85 % des mis en cause sont donc des hommes, soit six mis en cause sur sept. Selon l’Observatoire national de la délinquance, la proportion des femmes tendrait plutôt à augmenter... tout en restant, comme on le voit, dans des proportions modestes.

Tableau 2 – Part des femmes parmi les « mis en cause » (évolution 1996-2006)

12Si l’on entre un peu dans le détail, on note que les infractions sont cependant relativement « sexuées », puisque les femmes ne représentent qu’environ 7 % des mis en cause lorsqu’on s’intéresse à la « délinquance de voie publique », mais près de 17 % lorsqu’il s’agit de vols, 18 % de crimes et délits, et même 26 % pour les escroqueries et infractions économiques.

Les condamnations

13Cependant, cette notion de « mis en cause » étant par trop incertaine, il semble plus pertinent de réfléchir à partir des condamnations et des caractéristiques des condamnés. Là, en revanche, la statistique est solide : en 2004, les femmes représentaient 9,4 % des condamnations de tous types, soit un peu moins d’une condamnation sur dix. Il s’agit bien ici des condamnations et non pas des condamnés, car un même individu peut évidemment avoir fait l’objet de plusieurs condamnations durant une même année...

14Pour éclairer ce chiffre, il faut noter que les types d’infractions, crimes et délits pour lesquels les femmes sont condamnées sont très différents de ceux des hommes. Ces différences, qui ont déjà été observées lors de l’examen des « mis en cause », sont encore accentuées en ce qui concerne les condamnations. Ainsi, ce qui frappe ici particulièrement, c’est la faiblesse du nombre de crimes qui sont imputables à des femmes : entre 4,9 % et 5,8 % en moyenne ces cinq dernières années. Mais attention : la faiblesse du nombre de femmes parmi les « criminels » s’explique principalement par le fait que les viols sont des crimes. Car, pour les autres crimes, les femmes sont plutôt bien placées : en 2004 par exemple, 11,6 % des condamnations pour homicides volontaires, et même 15,6 % de celles pour coups et violences assimilables à des crimes. Concrètement, sont concernées 171 femmes, qui ont fait l’objet d’une condamnation pour crime (une tous les deux jours), et 3 112 hommes (9 par jour).

15Les condamnations pour crimes sont donc globalement et relativement très peu nombreuses, spécialement chez les femmes mais aussi chez les hommes, puisque les crimes ne sont en cause que dans 0,3 % des condamnations de femmes, et 0,6 % des condamnations d’hommes.

16À quoi correspondent alors les condamnations des uns et des autres ?

17L’essentiel des condamnations concernent évidemment les délits, dont 9,4 % sont imputables aux femmes, avec toutefois là encore des différences spectaculaires dans les types de délits : les vols, les escroqueries, et surtout les destructions et dégradations ainsi que les « chèques en bois » sont plutôt féminins, alors que les délits avec violence sont plutôt masculins. À titre d’exemple, le vol représente 31 % des délits commis par des femmes et seulement 27 % de ceux des hommes. Mais si l’on affine davantage, on constate que les vols dits simples sont nettement plus féminins que les vols avec destruction voire circonstances aggravantes (dans ce dernier cas, 10 % des vols ont des femmes pour auteurs contre 19 % lorsqu’il s’agit de vols simples).

18A contrario, 24 % des délits commis par des hommes sont imputables à la conduite en état d’ivresse, contre – tout de même – 17 % pour les femmes.

19Retenons donc que les crimes représentent autour de trois condamnations pour mille chez les femmes, et le double chez les hommes, six condamnations pour 1 000, et que les types de délits sont finalement relativement « sexués ».

20Ajoutons encore que l’âge des condamnés diffère sensiblement selon le sexe : en résumé, le « profil type » du condamné pour délits est un homme de 18/30 ans, mais davantage encore de 30/60 ans : respectivement 42 % et 52 % des condamnés relèvent de ces tranches d’âge ; le profil type des femmes condamnées est plus âgé : 52 % des femmes condamnées ont entre 30 et 60 ans, et seulement 37 % entre 18 et 30 ans.

21C’est sans doute en raison de toutes ces spécificités que, globalement, les femmes sont nettement moins lourdement condamnées que les hommes et qu’elles ne représentent qu’entre 3,5 % et 3,9 % des personnes incarcérées depuis l’an 2000, autrement dit moins d’un prisonnier sur 25 (toutes incarcérations comprises, y compris préventives).

Tableau 3 – Place des femmes parmi les condamnations pour crimes et délits

22Les personnes jugées sont donc pour l’essentiel des hommes, le plus souvent d’âge mûr, ayant, par comparaison avec les femmes, commis des délits souvent violents, ainsi que des infractions plutôt graves.

Le judiciaire

23Lorsqu’ils ont eu affaire à la justice, par qui ces justiciables ont-ils été jugés ? Comme nous le verrons, du moins en première instance, le plus souvent par des femmes, plutôt jeunes, voire très jeunes. Elles ont dirigé les enquêtes, donc la police judiciaire, qui est elle-même largement féminisée au niveau officiers, posé des réquisitions, jugé, suivi l’application des peines. Bref, ils ont été généralement jugés par de jeunes magistrates, secondées et entourées de nombreuses femmes, fonctionnaires de justice et greffières.

24Par qui ont-ils été défendus ? De plus en plus souvent par des avocates, jeunes elles aussi.

25Avant de nous intéresser à la défense, puis aux magistrats, rappelons simplement, pour ce qui concerne les greffiers et les « fonctionnaires », qu’il s’agit de professions presque totalement féminisées puisque les greffes sont au féminin à 86 %, les fonctionnaires de justice encore davantage.

La défense

26D’une façon très générale, les femmes représentent grosso modo la moitié de l’ensemble des avocats inscrits, et la profession semble bien être en voie de féminisation (elles étaient 48 % en 2005, alors qu’en 1997, par exemple, elles ne représentaient que 44 % de l’effectif). Cette féminisation est surtout imputable aux jeunes générations, comme en témoigne le fait que 60 % des avocats stagiaires sont des femmes. La promotion 2007 atteint même 67 % de filles ! Ce niveau de féminisation du barreau n’est pas surprenant : il coïncide exactement avec le degré de féminisation des études de droit (65 % de filles en licence et 66 % en master (droit et sciences politiques).

27Le fait que cette féminisation de la profession, qui semble devoir se poursuivre, soit encore accentuée chez les plus jeunes générations a d’importantes conséquences pour notre objet. En effet, si l’on se souvient, d’une part, que les jeunes avocats sont surtout géographiquement concentrés dans les gros barreaux, et que, d’autre part, ce sont surtout les jeunes avocats qui sont « commis d’office »– c’est-à-dire qui officient pour la population lambda plutôt désargentée, souvent jugée en comparution immédiate et bénéficiant de l’aide juridictionnelle –, alors oui, on peut dire que ce sont là encore massivement des jeunes femmes qui assistent et défendent surtout des hommes, souvent d’âge mûr.

Qu’en est-il des magistrats ?

28La question de la féminisation de la magistrature sera illustrée par deux exemples : d’une part, les jeunes magistrats au sortir de l’École nationale de la magistrature, d’autre part, les magistrats du parquet. Les jeunes magistrats, parce que c’est à ce moment-là que se fait le choix des fonctions au sein de la magistrature. On verra que ce sont des choix sous contrainte. Pourtant, même si l’on ne sait pas trop à qui incombent finalement les choix, il est néanmoins possible de tenter de les interpréter. Quant au parquet, il s’agit – avec l’instruction – d’une fonction parmi les moins féminisées, et on tentera de saisir pourquoi

• Les jeunes magistrats sont surtout des magistrates

29Alors que les femmes représentent environ la moitié des 7 000 magistrats du judicaire, depuis l’année 2000, 80 % des admis au concours « étudiant » (le principal concours, le seul à présenter des effectifs volumineux) sont des filles. Ce taux de femmes à l’entrée de la magistrature est donc nettement supérieur au taux de femmes issues des formations juridiques.

30Cette montée en puissance des filles est relativement récente, mais semble irrésistible. Récente en effet : les femmes n’accèdent à la magistrature que depuis 1946, et, entre 1959 et 19721, elles représentent entre 20 à 30 % des admis à l’École nationale de la magistrature. C’est ensuite qu’elles gagnent du terrain, régulièrement et inexorablement, jusqu’à atteindre, comme on l’a dit, plus de 80 % de la dernière promotion. Il est donc loin le temps où les femmes – coupables ou simplement suspectes – étaient jugées dans un univers exclusivement masculin, comme la plupart des films le montrent en mettant en scène de toutes jeunes femmes, jetées dans la salle d’audience comme dans la fosse aux lions, soumises au regard impitoyable de vieux magistrats engoncés dans leurs habits !

31Les femmes sont-elles favorisées – ou défavorisées – dans cette compétition extrêmement sélective pour accéder à l’ENM, puisque le taux de réussite au concours est de l’ordre de 5 à 8 % selon les années ? Ni l’un ni l’autre : ex post, le concours semble même relativement « juste », si l’on rapporte le nombre des admis(es) à celui des candidat(e) s, autrement dit les taux de réussite selon qu’il s’agit de candidats hommes ou femmes. Ainsi, par exemple, en 1970, les femmes représentaient 33 % des candidats et 30 % des admis. Trente ans plus tard, en 2000,77 % des candidats et 74 % des admis, Enfin, tout récemment (2006), respectivement 83 % et 82 %. En fait, depuis 1998, la proportion de femmes parmi les admis tendrait plutôt à dépasser celle des femmes parmi les candidats.

Figure 1 – Les femmes et le premier concours (« concours étudiant ») d’entrée à l’ENM

32Ce mouvement de féminisation « par le bas » devrait « mécaniquement » conduire à une féminisation de toute la pyramide et de la hiérarchie, à condition toutefois qu’il soit convenablement accompagné par les « choix » en matière de promotion, et aussi par les desiderata des magistrales.

• Les femmes occupent relativement plus souvent des fonctions de jugement que d’enquêtes

33S’il a affaire à un magistrat occupant un de ses premiers postes, la probabilité, pour un prévenu comparaissant en première instance, de trouver face à lui une magistrale plutôt qu’un magistrat dépasse 70 %. Toutefois, dans les fonctions « parquetières », elle n’est que de 65 %, contre 75 % dans des fonctions du siège. C’est que les magistrats du siège sont nettement plus nombreux que ceux du parquet, et que les fonctions relevant du siège sont nettement plus féminisées que les fonctions d’investigation.

34Cette remarque sur la moindre féminisation des fonctions d’investigation s’applique d’ailleurs également à l’instruction, qui relève pourtant du siège. S’agit-il encore des séquelles d’une bataille menée (et perdue) par les hommes à la fin des années 1940 ? Ayant échoué à empêcher leur accès à la magistrature, les hommes avaient bien tenté d’exclure les femmes de la direction de la police judiciaire et de l’instruction, pour les cantonner au siège, et de préférence aux tribunaux pour enfants !

35Qu’en est-il précisément à présent ? En se fondant sur une enquête menée récemment dans le cadre d’une recherche sur le parquet2, enquête qui porte sur quatre promotions entrées à l’École nationale de la magistrature entre 2000 et 2004, il s’avère que :

• la motivation pour entrer dans la magistrature est sans conteste plus forte chez les femmes que chez les hommes : 58 % des ex-auditrices de justice avaient ce projet dès leurs études, contre 38 % chez les hommes ; elles ont plus intensément préparé le concours, quitte à s’y présenter plusieurs fois ;
• si les femmes sont plus nombreuses que les hommes à ne pas avoir de préférences affirmées a priori entre les différentes fonctions possibles à l’issue de leur formation à l’École nationale de la magistrature, celles qui expriment des choix se portent nettement plus souvent que leurs homologues masculins vers le siège, et en particulier vers les fonctions de juge des enfants, tandis que le souhait de rejoindre le parquet est plus nettement masculin.

36Cette situation de relative polarisation « sexuée » selon les fonctions de jugement et celles d’investigation se renforce avec le temps. Comme le montrent d’autres enquêtes que nous avons menées dans le cadre de cette même recherche, les femmes qui ont été affectées au parquet en début de carrière, sans l’avoir choisi véritablement (elles sont évidemment très nombreuses), souhaitent plus souvent que les parquetiers « hommes » pouvoir bénéficier d’une mutation vers le siège. C’est que les choix de postes obéissent à plusieurs contraintes croisées, en particulier le classement, ainsi que la localisation et la fonction.

37Précisons que les raisons invoquées pour chercher à rejoindre le siège touchent davantage aux conditions de travail qu’à la nature des tâches et des fonctions. Car au siège on maîtrise davantage son emploi du temps ; et puis il s’agit d’un travail de dossiers et non de terrain, mieux conciliable avec des responsabilités familiales. A contrario, au parquet (et dans une certaine mesure à l’instruction), les permanences et le développement accéléré du temps réel, sans parler de la direction de la police et de la gendarmerie, impliquent nombre de servitudes pour les magistrats, avec des temps de travail sur le terrain très lourds et imprévisibles.

38Mais les choses, là encore, sont en train de changer, et les magistrats du siège, c’est-à-dire le plus souvent les magistrates, et les fonctionnaires qui les entourent, ainsi que les avocates d’ailleurs, maîtrisent de moins en moins leur emploi du temps, et sont de plus en plus contraints de travailler eux aussi en « temps réel ».

• La haute hiérarchie de la magistrature peine à se féminiser

39Après les débutants, venons-en aux chefs de juridiction, et tout d’abord aux procureurs de la République, qui sont les chefs du parquet dans les TGI. Force est de constater que les femmes y sont particulièrement peu nombreuses, à peine 15 %.

40Cette extrême sous-représentation prend, selon nous, sa source dans une conjonction de circonstances :

1. l’arrivée en force des femmes magistrates est encore trop récente, il leur faut donc en quelque sorte le temps de monter dans la hiérarchie ;
2. les femmes ne recherchent pas particulièrement le parquet, elles sont souvent réticentes à être obligées de changer de ressort à répétition, ce qui est pourtant une condition sine qua non pour « avancer » dans la hiérarchie, particulièrement au parquet ;
3. les femmes disent supporter encore plus mal que leurs homologues masculins la sujétion vis-à-vis de la chancellerie ;
4. à cela s’ajoute sans doute une lutte sourde pour des postes rares et aussi élevés dans la hiérarchie, surtout dans certaines localisations recherchées, car le chemin pour arriver à des postes de procureur de la République de grands tribunaux situés, par exemple, dans les métropoles régionales est long et difficile, et oblige à des stratégies que les femmes ne sont pas toujours prêtes à accepter.

41On en trouve un indice au niveau des demandes de changement de postes, et surtout des demandes satisfaites : alors que, dans la transparence de 2005 (est baptisée transparence la procédure de demandes et d’affectations des mobilités entre fonctions et juridictions), 42 % des demandes de postes « parquet » émanaient de femmes, 45 % sont revenus à des femmes. A priori donc, pas de « discrimination ». Toutefois, pour les postes du grade le plus élevé, il en est autrement : sur les 27 magistrats qui postulent à un poste Hors Hiérarchie3 au parquet cette année-là, 42 sont des femmes. À l’arrivée, sur les 12 postes à pourvoir à ce niveau, une seule femme... Cela semble encore plus vérifié pour les postes de procureur général, il est vrai encore plus rares, au niveau des cours d’appel.

42Dès lors, lorsque ce sont non pas des substituts, mais des procureurs de la République eux-mêmes qui requièrent, ou bien lorsque leur affaire passe en appel, alors les justiciables retrouveront un univers plus masculin, du moins au niveau de l’accusation.

43En est-il de même au siège ? Pas tout à fait, parce que les présidences sont plus souvent féminines qu’au parquet. Reste que, là encore, la probabilité d’une présidence de chambre par un homme est plus élevée lorsqu’on est en appel.

• Les femmes jugent-elles comme les hommes ? Poids des préjugés et vérité des faits

44Voilà une question quasi impossible à trancher. Si l’on se réfère à des « opinions », et ce ne sont que des opinions recueillies auprès de femmes avocates et magistrales, cette question n’a pas de sens. Non que l’on considère que tous les magistrats se valent : comme dans toutes les professions, courent des effets de réputation, des souvenirs de succès et d’échecs, selon les opportunités – rares – de participer à de vrais beaux procès versus le terne quotidien.

45Pour se risquer à une hypothèse : la montée des femmes dans le système judiciaire est concomitante avec une priorité de plus en plus soutenue accordée aux victimes, et ce parfois au détriment même du droit. Ceci a-t-il un rapport avec cela ?