1 De manière incontestable, les chiffres disponibles, malgré leurs imperfections notoires, sont très explicites : les femmes résistent au crime. Et ce constat, à l’énoncé sans doute racoleur, est durable. Très curieusement, une telle résistance, si positive, ne semble intéresser personne. L’argument le plus avoué souligne que, à cause du petit nombre de femmes criminelles, aucune généralisation explicative ne peut en être tirée. Too few to count, en d’autres termes. Quelle grossière erreur car, en l’espèce, Small is so beautiful ! Alors, est-ce la crainte, politiquement incorrecte, de devoir reconnaître que les femmes sont plus sociables, plus altruistes, plus douces... que les hommes qui empêche la poursuite d’études scientifiques sur les mécanismes qui déterminent une telle bénéfique résistance à l’agressivité dirigée contre autrui ? À côté de la pléthore de travaux, commentaires, recommandations de toutes sortes consacrés aux délinquants de sexe masculin, les femmes semblent bien laissées pour compte, une fois encore. En ce domaine comme en de nombreux autres, la domination masculine s’étale, ambitieuse au point d’ignorer (ou de feindre d’ignorer) l’essentiel : les femmes sont très nettement sous-représentées dans le phénomène criminel.

2L’analyse de la résistance des femmes au crime doit se situer non pas au regard du sexe stricto sensu mais du genre, voire de la classe de sexe des intéressées. Au sexe biologique s’oppose le sexe social. Le genre, c’est l’identité sociale associée à chaque sexe. Comme on devient femme, comme on devient homme, on est susceptible de devenir criminel (le). Les recherches féministes ont pris un essor considérable à partir des années 1960, dans toutes les disciplines scientifiques. De manière systématique, les modalités de la domination masculine ont été disséquées. Toujours avec passion, souvent avec justesse. « Comment, s’interroge Françoise Héritier, de la différence anatomique et physiologique objective, matérielle, irréfutable des sexes offerte à l’observation de tout temps, passe-t-on, dans l’histoire de l’Homo sapiens, à la hiérarchie, à la catégorisation en opposition de type binaire et à la valorisation ou à la dévalorisation de ces catégories selon qu’elles sont appliquées au masculin ou au féminin1 ? »

3Des évolutions considérables ont accompagné, en droit, ces remises en question des privilèges confisqués par les uns, des inégalités subséquentes subies par les autres. Des abus persistent encore, en fait, sans aucune justification, sinon la pérennité de la domination, le refus de partager les pouvoirs. Simone de Beauvoir l’avait pertinemment souligné, en remarquant que « c’est un criminel paradoxe que de refuser à la femme toute activité publique, de lui fermer les carrières masculines, de proclamer en tous domaines son incapacité et de lui confier la tâche la plus délicate, la plus grave qui soit : la formation d’un être humain2 ». Les débats actuels sur la manière dont doivent se répartir les responsabilités (au sens large) en termes de quotas, de parité, d’équité, d’égalité, d’universalité ne cesseront que lorsque sera promue une égalité réelle des droits, des devoirs et des chances entre les femmes et les hommes. À la fois différents et semblables, mêmes et autres, les genres féminin et masculin n’ont-ils pas une vocation naturelle et culturelle à s’épanouir dans la complémentarité3 ?

4Concernant les relations entretenues par les femmes avec le crime, les recherches féministes ont rénové profondément les doctrines dominantes, en s’intéressant aux aspects différentiels de la socialisation des femmes, des rôles sociaux qu’elles assument et des opportunités criminelles susceptibles d’en découler. Par des critiques scientifiques constructives, nombre de ces travaux ont battu en brèche les explications les plus rétrogrades et misogynes qui sévissaient (qui sévissent parfois encore)4 relativement à leurs activités criminelles. Trois constats essentiels s’observent toujours aujourd’hui : en premier lieu, les femmes résistent manifestement au crime. Lorsqu’elles passent à l’acte, leurs activités présentent, incontestablement, des particularités marquées. Pour autant, les contours criminologiques de leur agressivité criminelle sont tout à fait proches, en dernier lieu, de ceux des autres infracteurs.

Les femmes résistent au crime

5Les observations sont nettes : les femmes, pour composer un peu plus de la moitié de la population française, ne représentent qu’environ un criminel sur dix. Bien plus, une modification du sex-ratio s’est opérée, à leur avantage, depuis le début du siècle dernier, de manière flagrante en matière de crime. En revanche, les résultats affichés démontrent une participation accrue des femmes à la criminalité en périodes troublées, notamment de guerre. Tout a été dit ou presque à propos de la moindre participation des femmes au crime. Il importe, cependant, de relativiser les explications avancées quant à leur moindre participation au crime, d’ordre physiologique, psychologique ou social, en les replaçant dans le contexte des connaissances disponibles lors de leur émergence depuis le début du xix^e siècle.

La criminalité cachée des femmes

6Il a été démontré, depuis longtemps, que la criminalité apparente (infractions connues) et la criminalité légale (infractions jugées) constituent de piètres instruments de mesure de la criminalité. Les travaux effectués sur la criminalité réelle (ensemble des infractions effectivement commises) témoignent de l’ampleur du chiffre noir de la criminalité (ou criminalité cachée), chez les femmes comme chez les hommes, dans la proportion d’une fille pour quatre garçons6, dans l’ordre des agressions et appropriations de faible gravité principalement7.

7Des auteurs ont tout d’abord soutenu l’influence des facteurs physiologiques sur la criminalité cachée des femmes. Ils ont estimé que le faible taux de révélation de certaines infractions commises par les femmes était directement déterminé par « leurs facilités naturelles » à dissimuler leurs actes délictueux. « Naturellement » plus trompeuses, les femmes dissimuleraient aisément les infractions qu’elles commettent8.

8D’autres auteurs ont estimé que leurs activités criminelles sont difficilement détectables et donc méconnues à cause des rôles qu’elles exercent socialement : la cuisinière empoisonneuse, la mère de famille meurtrière d’enfant, la fille aviolicide, notamment..., d’autant plus facilement que leur « comportement sexuel les y conduit », précise Otto Pollak9.

9Parallèlement aux réflexions théoriques suggérées par l’activité criminelle cachée directe des femmes, les criminologues ont cru apercevoir que l’élément féminin jouait un rôle prépondérant dans la motivation indirecte de la délinquance masculine10. « Naturellement » manipulatrice, la femme encouragerait les hommes à enfreindre lois et règlements sans participer elle-même à l’acte criminel. Cette affirmation de la femme instigatrice ou complice est rapportée comme « communément admise » : « Cherchez la femme11 ! »

10Enfin et pour l’essentiel, le facteur chevaleresque a vocation à mettre en évidence l’indulgence des hommes à l’égard des femmes criminelles, en qualité de victimes ou d’intervenants sociojudiciaires (policiers, magistrats...) qui répugneraient à les dénoncer, les poursuivre ou les condamner12.

La faiblesse physique de la femme

11Quételet fut le premier à considérer l’argument selon lequel la vigueur physique de la femme était de moitié inférieure à celle de l’homme. Il en déduisit, avec une rigueur toute mathématique, que la criminalité des femmes devait être inférieure de moitié à la criminalité masculine dans les infractions exigeant un certain développement de force13.

Le caryotype de la femme

12La découverte plus contemporaine d’aberrations chromosomiques a ouvert un nouveau champ de recherche dans la connaissance des comportements criminels, et l’hypothèse fut avancée que l’agressivité était liée à la 23^e paire de chromosomes, aux gonosomes et, plus particulièrement, dans l’ordre des « Y ». Les femmes n’en possédant pas, il y avait là une explication scientifique à leur sous-représentation dans la criminalité, ce qu’aucune recherche ultérieure n’a pu établir.

La psychologie féminine

13Celle-ci a également été appelée à l’explication de la résistance des femmes au crime. Plus morales, plus conservatrices que les hommes, elles observeraient ainsi un plus grand attachement à l’ordre social et aux valeurs traditionnelles. La passivité, l’inactivité de la femme, son apathie, son obéissance et sa bonne conduite ont encore été commentées14.

14Pour être classiques, ces travaux n’emportent guère la conviction aujourd’hui. Il apparaît en effet réducteur voire misogyne de n’accorder qu’au seul genre féminin de telles caractéristiques de personnalité. Ce qui surprend le plus, c’est l’affirmation du caractère inné de ces différents traits psychologiques. Rares sont en effet les références à l’apprentissage. Or, les données récentes de la psychologie différentielle infirment très largement les conclusions des auteurs précités. De multiples travaux mettent en évidence la neutralité psychosexuelle à la naissance et durant la petite enfance15.

Les rôles sociaux différentiels

15La criminologie, comme les autres sciences, a longtemps nié aux rôles sociaux attribués aux femmes et aux hommes la qualité de facteur, au plein sens du terme. Pourtant, dès 1898, Émile Durkheim soulignait que la sous-représentation de la femme dans la criminalité était beaucoup plus un effet de causes sociales que de causes organiques. Quelques décennies plus tard, Edwin Hardin Sutherland et Donald Ray Cressey définissaient clairement les liens existant entre criminalité et rôles sociaux.

16Il faut attendre la fin des années 1960 pour que de telles idées soient reprises et développées, avec force et conviction, à l’initiative quasi exclusive de femmes criminologues16. Leurs travaux s’inscrivent dans le droit-fil des œuvres de Simone de Beauvoir en France, de Betty Friedan et Kate Millett aux États-Unis notamment, dont les thèses ont impulsé de manière déterminante et irréversible la libération de la femme. Elles démontrent à l’évidence que l’enfermement social dans lequel vivent les femmes en général, imposé par les hommes, constitue bien un facteur explicatif de leur sous-représentation dans le phénomène criminel.

17Quelles que soient les idéologies, l’enfermement social s’exprime dans la formule façonnée de longue date, mais d’actualité toujours aussi criante : fille, épouse ou mère. Une telle assignation émane du pouvoir masculin qui assure ainsi la pérennité de sa domination. La famille constitue le principal rouage de transmission des rôles féminin et masculin. C’est affirmer l’importance de l’éducation, de l’apprentissage, car « on ne naît pas femme, on le devient17 ».

18Une telle résistance positive des femmes au crime est massivement culturelle. Elle provient des caractéristiques de socialisation propres à leur genre, de nature à favoriser le développement d’une personnalité dont les traits psychologiques majeurs invitent principalement, à la manière de facteurs de protection, à : l’affectivité épanouie, l’allocentrisme, la tolérance, la solidarité, toutes qualités de nature à inscrire leurs comportements dans le réel et la durée. Sans nier les influences, d’une aussi « triviale » réalité, consécutives à leur domination socioculturelle par le genre masculin qui perdure aujourd’hui encore, dans les milieux défavorisés (à de multiples points de vue) d’où proviennent, massivement, les criminel (le) s. Acquis durant la socialisation, aux processus complexes, de tels traits psychologiques prédisposent la femme à la symbolisation des affects douloureux en provenance de l’extérieur. L’aptitude plus grande des femmes à la reconnaissance des êtres qui les environnent, à la négociation, à la (ré) conciliation les écarte ainsi massivement, en premier lieu, des modes violents de règlement des différends. Si le conflit persiste, si l’inhibition de l’action devient trop douloureuse, sa résolution passera alors, assez généralement et en second lieu, par des comportements agressifs certes, mais retournés contre elles-mêmes : somatisation, dépression, maladie mentale, tentative de suicide, voire suicide. Il pourra s’agir encore, en troisième lieu, d’agressivité relationnelle, indirecte, extériorisée de manière généralement subtile par des comportements non pénalement répréhensibles mais aux conséquences néanmoins néfastes pour les victimes18. Ce n’est que très exceptionnellement que la femme agressera directement, en dernier lieu, la source identifiée de la souffrance ressentie ou de la gratification escomptée d’origine fondamentale ou socioculturelle, par un passage à l’acte criminel. De telles interactions entre l’apprentissage des rôles sociaux et la formation de la personnalité des femmes constituent la meilleure explication, en l’état actuel des connaissances, à la relative stabilité de leur participation à la criminalité.

Les crimes des femmes

19Si les femmes constituent plus de la moitié de la population française, les femmes criminelles ne représentent, depuis plusieurs décennies, qu’environ 4 à 16 % des populations sélectionnées, qu’elles soient prises en charge par l’Administration pénitentiaire, la justice ou la police judiciaire. On ne saurait nier qu’en chiffres bruts des augmentations s’observent, sauf à considérer que dans le même temps la population s’est accrue également. Mais sans commune mesure avec les prédictions de certains auteurs19, ou avec les constatations empiriques d’autres chercheurs20. Ainsi, la population pénale féminine, pour indiquer une baisse très nette depuis 1946 en pourcentage relatif (de 18,2 % au 1^er janvier 1946 à 3,7 % des 61 076 personnes détenues au 1^er janvier 2008), a triplé en chiffres bruts depuis le 1^er janvier 1976 : de 723 prisonnières à 2246. Dans le même temps, les statistiques policières et judiciaires affichent, en pourcentage relatif comme en chiffres absolus, une diminution sensible, variable selon les années observées, des femmes concernées. Ainsi, en matière de criminalité apparente, les femmes représentaient 19 % des personnes mises en cause en 1985 (soit 175 860 femmes) contre 15,08 % en 2006 (soit 165 972 femmes, dont 16,9 % de filles) ; en matière de criminalité légale, 14,1 % des personnes condamnées en 1985 étaient de genre féminin (103 474) contre 9,4 % en 2006 (57 680). Et plus les infractions commises sont graves, moins les femmes sont présentes : 4,9 % des condamnations pour crimes (137 femmes pour 2 385 condamnés), 9,3 % en matière de délits (54 809 pour 581 860), 9,3 % dans les contraventions de 5^e classe (sex-ratio nettement à la baisse ces toutes dernières années, 2 704 pour 28 986)21.

Les activités criminelles des femmes

20Plusieurs indicateurs statistiques permettent de mesurer le volume, la direction des activités criminelles et parfois, mais de plus en plus exceptionnellement, d’analyser les caractéristiques sociodémographiques des femmes criminelles. Attestant bien davantage de l’activité des services concernés que de la réalité du phénomène observé, les statistiques criminelles proviennent des services de police judiciaire et des tribunaux répressifs principalement. Critiquées par tous, mais utilisées sans réserve par tous, elles ne sont en effet pas sans défauts. Particulièrement, elles ne saisissent pas la face cachée du crime, objet de bien des fantasmes.

21La criminalité apparente des femmes est constituée par l’ensemble des infractions ayant fait l’objet d’un procès-verbal de police ou de gendarmerie. Publiées annuellement, les statistiques de police judiciaire établissent le volume et la direction de la criminalité apparente. Il est toujours arbitraire de vouloir dégager des lignes de force à partir d’un phénomène rendu multiforme par la nature juridique très variée des infractions et par la diversité de leurs auteurs. Il est néanmoins utile de procéder par regroupements grossiers pour obtenir des informations synthétiques sur la direction de la criminalité. À titre indicatif, le tableau suivant, établi à partir de la population des femmes mises en cause, regroupe les faits constatés, par ordre de fréquence, au cours de l’année 2006.

22Majoritairement, les infractions commises par les femmes mises en cause témoignent d’une criminalité contre les biens : 71,60 %, les vols représentant près d’une infraction sur trois. Logiquement minoritaires, les infractions graves contre les personnes ont provoqué la mort de la victime dans 175 cas, correspondant à 0,10 % (en chiffres absolus) de l’ensemble des femmes mises en cause en 2006 (16,20 % en chiffres relatifs, c’est-à-dire par rapport à l’ensemble des 1080 personnes mises en cause pour ces infractions).

23En entrant dans le détail, on constate une surreprésentation relative flagrante des femmes dans quelques infractions : délits au sujet de la garde des mineurs (11 975 cas, soit 64,61 %), falsification et usage de chèques volés (3 770, soit 40,65 %), proxénétisme, la plupart du temps mutuel (354, soit 40,09 %), vols à l’étalage (21 179, soit 36,96 %).

24Elles sont, à l’inverse, nettement sous-représentées, en pourcentage relatif, dans les infractions graves contre les mœurs, comme les harcèlements et autres agressions sexuels (211, soit 2,78 %) ou les viols (125, soit 1,87 %), dans les vols liés à l’automobile et aux deux-roues à moteur (1 476, soit 3,37 %), les vols à main armée (112, soit 4,10 %), les violences à dépositaires de l’autorité (1 368, soit 8,51 %), les destructions et dégradations de biens publics ou privés (7661, soit 8,95 %)23.

25Sans que cela puisse surprendre, les données saisies par les statistiques de criminalité légale vont conduire à des constats assez voisins. Elle est constituée par l’ensemble des décisions rendues par les cours et tribunaux français statuant en matière répressive. En 2006, 933 000 infractions (sans ventilation selon le sexe) ont été sanctionnées par 614231 condamnations, en présence des intéressés dans deux cas sur trois. Parmi ces infractions : 0,5 % de crimes, 94,7 % de délits et 4,7 % de contraventions de cinquième classe.

Tableau 3 – Les crimes commis par les femmes en 2006

26En chiffres absolus, sans entrer dans un trop grand détail, les femmes condamnées en 2006 par les juridictions répressives ont dirigé leurs activités criminelles les plus graves contre les personnes, les biens et les mœurs. Les femmes sont plus que proportionnellement présentes dans les crimes contre les personnes24, qu’il s’agisse de meurtres ou d’assassinats (42 cas sur 428, soit 9,81 %). Comme souligné précédemment, leur participation aux meurtres comme aux coups et violences volontaires (peu significatifs en chiffres bruts) envers des mineurs est forte en chiffres relatifs : 11 cas sur 15 (75,75 %) et 19 cas sur 51 (37,25 %) respectivement. Elles sont enfin surreprésentées dans les recels qualifiés, sauf à se méfier de toute généralisation hâtive à cause des faibles effectifs observés : 8 cas sur 34 (23,52 %). À 1’ inverse, elles sont très peu impliquées dans les crimes contre les mœurs (viols ou attentats à la pudeur sur mineurs ou adultes, 27 sur 1814, soit 1,48 %).

Tableau 4 – Les délits commis par les femmes en 2006

27En chiffres absolus, les délits à la circulation et les atteintes aux biens représentent les deux tiers des activités délictuelles perpétrées par les femmes condamnées, les condamnations pour délits contre les personnes seulement 14 %. Les femmes apparaissent, de longue date, plutôt surreprésentées dans les délits contre les biens (13,23 %). Dans cet ensemble, la part relative qu’elles prennent en matière d’infractions à la législation sur les chèques (34,60 %, soit 1 097 sur 3 170) est constante. Un constat voisin s’observe à l’égard des escroqueries et autres faux en écriture (21,16 %, soit 3 170 sur 14 976).

28Leur participation aux infractions contre les personnes est à peine supérieure à leur représentation moyenne, sinon dans les atteintes et violences volontaires ayant pour victimes des mineurs (22,98 %, soit 540 sur 2249). Une place particulière mérite d’être réservée aux atteintes à la famille, caractéristiques des attitudes de chacun des sexes à son endroit : les femmes abandonnent exceptionnellement leur famille (2,68 %, soit 129 sur 4 808) mais répugnent à présenter au conjoint séparé l’enfant de leur union (75,75 %, soit 828 sur 1 093).

29Les activités déployées par les femmes en matière d’infractions à l’autorité publique sont proches de leur représentation moyenne, avec quelques particularités suivantes : plus forte participation en matière de dénonciation calomnieuse (50,92 %, soit 220 sur 432), de faux en écriture et de fraudes diverses (17,53 %, soit 1519 sur 8 614) ; faible part relative dans le commerce et le transport d’armes (2,59 %, soit 99 sur 4 810) et les destructions et dégradations de biens publics ou privés (5,57 %, soit 1 148 sur 20 604).

30Les femmes sont, enfin et pour l’essentiel, nettement sous-représentées dans les délits à la circulation routière (7,63 %, avec une augmentation importante du nombre de condamnations ces dernières années, 18 509 pour 242 400), comme dans ceux contre la santé publique (6,03 %, 2155 pour 35 726) ou les mœurs (6,10 %, 644 pour 10 547), domaines traditionnellement réservés aux délinquants de sexe masculin25.

Tableau 5 – Les contraventions commises par les femmes en 2006

31Les contraventions de 5^e classe constituent des manquements mineurs dont la criminalisation ne semble pas correspondre aux principes de justice et d’utilité qui doivent caractériser les atteintes aux valeurs sociales essentielles26. Les condamnations pour contraventions contre les personnes (dont 166 pour blessures involontaires) arrivent en tête, en chiffres absolus et relatifs. Les contraventions à la circulation routière, dans lesquelles les femmes sont nettement sous-représentées, sont pour moitié liées à des grands excès de vitesse (413 cas). Les contraventions contre l’autorité et contre les biens, numériquement peu importantes, témoignent d’une légère sur-représentation des femmes. Aucune condamnation pour atteintes aux mœurs (racolage notamment) n’a été prononcée en 200627.

32Il importe maintenant d’envisager la présentation des sanctions corrélativement prononcées, authentique indicateur de la proportionnalité de la réponse pénale à la gravité des infractions commises par les femmes. Pour atteindre à plus de pertinence dans le commentaire, il eût été intéressant de mettre en corrélation la nature des infractions avec celle des sanctions prononcées. Dans le cadre de la présente analyse, on se contentera d’un aperçu général des mesures ou des peines retenues contre les femmes en 2006.

33Le commentaire s’impose, étonnant : les femmes sont condamnées dans près d’un cas sur deux à une peine privative de liberté. Ce fort pourcentage, au regard de la morphologie précédemment observée de la criminalité largement délictuelle, est à peine nuancé par le constat que 18,66 % de ces condamnées ont été effectivement incarcérées, dans le cadre d’une réclusion (ou détention) criminelle (58 cas) ou d’un emprisonnement (3 615 cas) ferme ou avec sursis partiel (1 365 cas). La part relative des femmes varie singulièrement selon qu’il s’agit d’une peine criminelle (4,61 %) ou d’une peine correctionnelle ferme (3,90 %), avec sursis partiel (5,17 %) ou total (8,35 %).

34Sans que la remarque puisse être révélatrice d’un traitement profondément différentiel (la gravité de l’infraction n’étant pas indifférente non plus), les femmes semblent légèrement moins souvent condamnées à une peine privative de liberté que les hommes (46,65 % contre 52,39 %) et bénéficient plus souvent qu’eux du sursis total (61,41 % contre 32,68 % des peines privatives de liberté prononcées).

35Avec le même étonnement, on relève que la condamnation à l’amende intervient dans plus d’un cas sur trois. Au-delà de la faible efficacité de la mesure, tant au niveau de son instrumentalité (à resocialiser), de ses vertus symboliques (à apaiser socialement) qu’au niveau pédagogique29, il est surtout permis de penser que l’amende ne peut généralement pas être acquittée par les intéressées, la plupart du temps sans ressources. Et que l’amende soit prononcée avec sursis rend encore plus obscur le sens de la fonction pénale qui la sous-tend.

36Sans surprise mais très anormalement, les sanctions restauratives ou éducatives comme les peines de substitution ne sont retenues par les magistrats que dans moins d’un cas sur cinq (17,4 %). À cet égard, il est intéressant de noter que le travail d’intérêt général concerne en chiffres relatifs moins les femmes que les hommes (5,08 %).

37En forçant le trait, il est possible de considérer que les femmes sont condamnées soit à l’emprisonnement, peine hiérarchiquement la plus élevée, soit à l’amende, peine socialement la moins restauratrice, ces deux sanctions épuisant plus de huit condamnations sur dix. Un tel manque de nuances dans la réaction sociale à la criminalité des femmes est d’autant plus regrettable que les structures d’accueil des condamnés à une peine privative de liberté sont fortement encombrées et, particulièrement, dans les maisons d’arrêt destinées à recevoir les condamné(e) s à de courtes peines d’emprisonnement.

38En résumé et d’une manière flagrante, la participation des femmes à la criminalité (apparente comme légale) est inversement proportionnelle à la gravité des infractions commises : plus les infractions sont graves et moins elles sont présentes. La sévérité de la réaction sociale à leurs comportements criminels ne fait aucun doute. Mais s’agit-il d’un effet supposé du facteur chevaleresque ou de la conséquence d’activités criminelles de gravité moindre ? La réponse demeurera incertaine aussi longtemps que l’intérêt scientifique pour les activités criminelles des femmes sera aussi curieusement bas et si peu soucieux de leur profil personnel.

Les criminelles

39La connaissance la plus étendue et précise possible des caractéristiques démographiques et socioculturelles des criminelles apparaît primordiale. De leur qualité dépendent, en effet, sinon le passage à l’acte criminel, très certainement les modalités susceptibles de le favoriser. Or et plus encore qu’au niveau des actes, les statistiques sur les criminelles sont très rares et de moins en moins détaillées. Curieux constat à l’heure de la société numérique et biométrique partout ailleurs envahissante ! Très schématiquement, quatre indicateurs statistiques convergent pour laisser apparaître que les femmes se profilent comme étant plus que proportionnellement jeunes, étrangères, dépourvues de connaissances scolaires et professionnelles, et de statut socioculturel défavorisé. Seul l’âge sera ici analysé dans la mesure où les autres données n’existent quasiment plus sinon dans des monographies scientifiques rares en la matière, lesquelles attestent de toutes la socialisation pauvre des intéressé(e) s. Seules les statistiques de criminalité légale permettent de détailler les classes d’âges des intéressées. Naturellement, les bornages, très imparfaits notamment à partir de 30 ans, sont imposés par les séries disponibles.

40De recherche scientifique constante sur ce thème, la surreprésentation des délinquants âgés de moins de 25 ans apparaît flagrante, en comparaison avec les tranches d’âges constitutives de la pyramide des âges de la population française. En effet, une condamnée sur trois (32,58 %), deux condamnées sur cinq (40,78 %) ont moins de 25 ans, alors que cette tranche d’âge ne regroupe que 13 % environ des Français en 2005. C’est souligner que les individus appartenant à cette tranche d’âge, d’amplitude maximale de dix années, s’investissent plus que proportionnellement dans la criminalité que leurs aînés (trois délinquants sur cinq ont de 25 à 60 ans, pour une amplitude de trente-cinq années).

41L’activité la plus intense a lieu dans la classe d’âge des 21-25 ans qui retient près de deux femmes sur cinq. Cette pointe, qui apparaît également chez les condamnés de sexe masculin, indique néanmoins une participation relative des femmes inférieure à la moyenne, caractéristique partagée avec les plus jeunes. Corrélativement, les femmes d’âge plus mûr, notamment au-delà de 30 ans, sont relativement plus présentes parmi les condamnées. Ce léger vieillissement, déjà constaté dans des analyses antérieures, ne contrarie pour autant en rien la décroissance très prononcée des transgressions chez les femmes, comme chez les hommes, après 25 ans.

42Cette dernière constatation contredit totalement les travaux de nombreux auteurs selon lesquels l’activité criminelle des femmes connaîtrait deux temps forts : entre « 18 et 29 ans » et « après 40 ans ». Plusieurs arguments semblent pouvoir expliquer cette erreur d’appréciation. Le plus impertinent d’entre eux provient de l’absence, déjà signalée, de standardisation en matière de classes d’âges. Par des regroupements abusifs, l’image de la criminalité des femmes est artificiellement déformée, contrairement aux réalités observées. Ces erreurs élémentaires de bornage ont donné lieu à toutes sortes de commentaires, aussi peu scientifiques les uns que les autres.

43Il eût été très utile de croiser les variables âge, sexe et nature de l’infraction afin de vérifier l’existence d’activités criminelles dépendant de l’âge et du sexe des condamnées. Les statistiques officielles ne le permettent pas. Des études plus monographiques ont pourtant permis de constater que les plus jeunes, femmes ou hommes, privilégient les infractions banales et les infractions violentes, toutes catégories confondues, avant 30 ans, leurs activités antisociales culminant en volume aux alentours de 25 ans. Après cet âge, la violence des comportements s’estompe généralement pour laisser place à des activités astucieuses contre les biens et l’autorité, qui disparaissent elles-mêmes progressivement vers 60-65 ans. Dans cet ensemble, les mineures regroupent 5,7 % des condamnées, les jeunes adultes (moins de 21 ans) 13,65 %.

44Ce bilan, certes schématique, est confirmé par la plupart des études spécialisées effectuées auprès des femmes comme des hommes criminels. Surtout, le lien entre accumulation des déficiences précitées et gravité des comportements transgressifs est apparu très ténu dans l’approche multi-factorielle de la criminalité des femmes. Et aujourd’hui bien plus qu’hier, l’exclusion généralisée dont sont victimes celles et ceux qui vivent dans les quartiers les plus défavorisés de nos cités, espaces urbains à l’intérieur desquels « au-delà du bien et du mal règne le Rien30 », ajoute à la spirale de la violence, identifiée et vécue par ceux qui deviennent criminels comme seule action efficace sur leur environnement. À défaut de prévenir, en profondeur, ces inégalités socioculturelles ayant de graves répercussions sur la socialisation des intéressés, l’autolégitimation des comportements contraires à l’harmonie sociale devient sans limites. Pour l’heure et dans l’attente de politique précoce globale et intégrée de prévention et de lutte contre le phénomène criminel, une certitude demeure : bien qu’affligées apparemment des mêmes contraintes d’ordres familial, social, économique et culturel au sens large, les femmes résistent davantage au crime. Elles répugnent, en d’autres termes, à recourir à la violence illégitime pour résoudre les conflits dans lesquels elles ne manquent pourtant pas d’être impliquées. Cependant, lorsque l’exposition des filles et des femmes aux facteurs de risque n’est pas ou plus compensée par les protections en provenance de leurs divers lieux de socialisation, leurs éventuels passages à l’acte criminel ne présentent guère de particularismes, sinon dans la nature des actes posés.

Contours criminologiques des femmes criminelles

45Par le crime éprouvé, par le passage à l’acte criminel, la différence du criminel se cristallise, inévitablement : ni idéologique, ni biologique, simplement et tristement psychosociale et culturelle. Mais seule une différence de degré, en aucun cas de nature, sépare les délinquants des abstinents ; comme elle sépare les criminels selon leur genre. Cette différence de degré atteste d’un seuil délinquantiel moins élevé chez celles et ceux qui passent à l’acte. Cette différence de degré exprime surtout, bien qu’il ne soit pas criminologiquement correct de l’énoncer ainsi aujourd’hui, que les femmes criminelles – comme les hommes criminels – présentent une structure de personnalité particulière. Tous les criminologues contemporains s’accordent à distinguer très massivement chez ceux d’entre nous qui passent à l’acte hétéro-agressif, chacun avec son vocabulaire disciplinaire spécifique, des caractéristiques de personnalité acquises et consolidées en socioculture, pouvant être systématisées autour de quatre composantes : l’égocentrisme, le présentisme, l’indifférence affective et l’agressivité en tant qu’aptitude à effectivement transgresser l’interdit pénal31. Il importe, cependant, de préciser que la mise en évidence de traits psychologiques particuliers aux criminelles n’a de sens qu’au regard des transgressions gravissimes. Elle est sans intérêt en matière de petite délinquance, dont le contentieux est artificiellement rattaché à la justice pénale. La remarque est d’autant plus d’importance que, toutes catégories d’infractions confondues, les crimes (au sens pénal) ne représentent que 4,9 % des condamnations prononcées contre les femmes en 2006.

46Pour être variable d’un individu à l’autre, la structuration de la personnalité des femmes criminelles dépend fortement des défaillances de leur socialisation, extrêmement pauvre aux plans affectif, éducatif, socioprofessionnel et culturel. Elle a à voir avec la victimisation durant l’enfance ou l’adolescence. Les incontestables avancées sociales et culturelles que notre pays a connues au cours des dernières décennies leur ont rarement profité. Au contraire, les milieux d’où sont issues les femmes qui deviennent criminelles sont de plus en plus marqués par la précarité, par l’exclusion, envisagée sous sa double dimension de construction sociale mais aussi de processus biographique de marginalisation. Le crime est alors vécu comme la répétition d’un traumatisme, en tout cas comme la seule action efficace sur l’environnement pour obtenir la satisfaction des besoins socioculturels, par appropriation ou élimination de la personne ou de l’objet considéré comme gratifiant32. On ne devient et on ne demeure pas criminel par hasard, comme le souligne si justement Marie-Thérèse Mazerol : « Aboutissement de tout un ensemble de circonstances de vie personnelles et situationnelles, le crime n’est pratiquement jamais une conduite fortuite ; il s’inscrit dans la trame d’une existence qui l’a préparé et qui le plus souvent se poursuivra, marquée par lui33. »

47Et comment, dans de telles conditions de socialisation, ne pas être égocentrique quand on ne peut, depuis son plus jeune âge, compter que sur soi-même et que la rencontre de(s) (l’) autre(s) a toujours été douloureuse voire traumatisante ? Comment ne pas être labile quand tout est « galère », que rien ne permet jamais une adaptation et une stabilité en quelque matière que ce soit ; quand tout est vécu sous le mode de l’immédiateté, du présentisme, du concret ; que l’inscription dans le réel rend impossible l’accès à la symbolisation ? Comment ne pas être indifférent au plan affectif quand on n’a jamais connu ou perçu l’affection, la tendresse, l’amour ? Comment ne pas être alors agressif quand le déroulement et le contenu des apprentissages, la gestion des émotions et la résolution des conflits ont été appréhendés sous le mode de la violence destructrice ou de l’inhibition prolongée et douloureuse de l’action ? De la précocité de ces handicaps à la socialisation, de l’ampleur des troubles psychosociaux en découlant, de la permanence des ruptures socioculturelles subséquentes dépendront la précocité, la fréquence, la persistance et la gravité des actes délictueux. En d’autres termes, les activités délictueuses exprimées s’échelonneront de la délinquance sporadique ou non significative, épiphénomène de la socialisation, à la délinquance structurée ou persistante grave, caractéristique d’une antisocialité marquée34. D’où la pertinence de la mise en œuvre la plus précoce possible de programmes d’interventions psychosociales35.

48Les données récentes de l’agressologie (ou de la criminologie au sens strict de l’endroit du crime) soulignent que le passage à l’acte criminel manifeste la répétition d’un traumatisme ancien, souvent cristallisée par une victimisation antérieure36. La victimologie contemporaine renforce la proposition en mettant de mieux en mieux en évidence, selon des processus complexes liés aux conditions de socialisation de chacun et au contexte de la situation criminelle, que criminels et victimes sont proches tant du point de vue ontologique qu’intersubjectif. Des deux côtés du crime grave s’affichent les mêmes précarités (multiples et profondes), les protagonistes entretenant des liens très fréquents de proximité (familiale, professionnelle, socioculturelle), dans des stratégies d’interchangeabilité des rôles d’infracteur et/ou de victime, dans un contexte de réitération et de survictimisation massives, voire d’agressivité retournée contre soi-même. Les travaux de Marie Choquet, notamment, soulignent en ce sens les forts liens entre victimisations subie et agie à l’adolescence, les femmes présentant des troubles du ressentir bien plus que de l’agir37.

49Le crime apparaît ainsi comme un comportement social différentiel38, profondément humain, d’une extrême complexité par voie de conséquence. Les explications monodisciplinaires, en criminologie comme ailleurs, ne résistent pas à la critique de leur réductionnisme. Le crime impose une stratégie d’approche globale et intégrée. Par une meilleure connaissance transdisciplinaire des processus de socialisation, de consolidation de la personnalité, des mécanismes du passage à l’acte, il deviendra possible de mettre en place des programmes et de développer des actions de prévention de la criminalité en général, au plus près de l’émergence des facteurs de risque. De la même manière, la réaction sociale au crime pourra être davantage proportionnée aux faits, mieux adaptée à la personnalité de leurs auteurs et aux besoins des victimes et de leurs proches, ce dont on peut douter actuellement.

50Il devient alors urgent de retrouver l’humanité de tous les protagonistes (infracteurs et victimes) et de leurs proches. Des points de vue éthique et criminologique, chacun doit être reconnu, accompagné et réparé. La reconaissance apparaît en effet primordiale car, comme l’a si bien écrit Bachelard, c’est par la grâce du toi que le moi s’éveille à nouveau. Ce simple regard, en ce qu’il ne réduit pas les personnes à l’acte commis ou subi, les réinstitue en humanité. Du point de vue processuel, le procès équitable exige que chaque protagoniste et/ou ses proches s’approprient, par une stratégie d’apprivoisement (ou d’empowerment), les dispositifs juridiques et psychosociaux disponibles devant conduire au prononcé d’une sanction resocialisante pour l’un, d’une réparation globale de l’autre afin de rétablir la paix sociale pour tous. La philosophie de la justice restaurative promet une telle refondation du lien social39, à l’inverse de ce que précipite aujourd’hui le populisme rétributif.