1 À la lecture de l’histoire de la prostitution depuis l’Ancien Régime jusqu’à nos jours, le caractère inégal de sa répression apparaît de manière frappante. En effet, à définir la prostitution comme non seulement la fourniture mais aussi le bénéfice d’une prestation à caractère sexuel moyennant rémunération1, il convient de noter que cette répression n’a pas touché de la même façon toutes les personnes impliquées. Ont été et demeurent punies les personnes prostituées plutôt que les clients et, parmi elles, les femmes plutôt que les hommes. Mais il ne faudrait pas en conclure pour autant que les femmes ont toujours constitué l’unique cible de la répression de la prostitution, tandis que les hommes, qu’ils soient clients ou eux-mêmes prostitués, ont pour leur part toujours bénéficié d’une liberté sexuelle2 indifférente à l’intervention d’une rémunération. Au regard de ces quelque trois siècles d’histoire, le propos qui voudrait opposer les femmes sanctionnées aux hommes impunis doit être nuancé. Et, en recherchant qui a effectivement été sanctionné et dans quelle mesure depuis le xviii^e siècle, on constate que notre siècle marque un tournant inattendu dans l’histoire de la répression de la prostitution. Celle-ci, plus ou moins sévère au cours du temps, ne l’avait jamais été aussi peu qu’à la fin du xx^e siècle. Dans le cadre d’un mouvement général de « libéralisation des mœurs », une telle situation semblait même pouvoir annoncer la dépénalisation définitive de la prostitution. Mais le xxi^e siècle connaîtra une tout autre issue que nous examinerons, une fois retracées les grandes lignes de l’histoire de la répression de la prostitution aux siècles précédents.

Vers une possible dépénalisation de la prostitution

2Déjà, sous l’Ancien Régime, les autorités se souciaient de limiter le phénomène social qu’est la prostitution au nom de valeurs considérées comme fondamentales, telles que l’autorité et l’honneur de la famille, la santé ou plus généralement l’ordre, qu’il s’agisse de la morale ou de la tranquillité des riverains3. À ce titre, ordonnances, lois, règlements et pratiques administratives se sont succédé pour réprimer la prostitution. Cette répression s’organisa pourtant de manière fort inégale à l’égard des femmes comme des hommes, selon que la société jugeait leur comportement plus ou moins déviant4.

Les « filles publiques » : une répression de classe

3L’histoire nous apprend que les femmes prostituées n’ont pas toutes été sanctionnées de la même façon et ce pour au moins deux raisons.

4D’une part, seules étaient punies les manifestations scandaleuses de la prostitution dans l’espace public, voire celles dont le public avait connaissance. Plutôt que de veiller au respect de la morale, il était davantage question de garantir la « moralité publique » en confinant la prostitution dans l’espace privé. Le vocabulaire employé au cours des siècles pour désigner et punir les femmes prostituées constitue un bon indicateur de ce choix répressif : au xviii^e siècle, seule était punie la « prostitution publique5 », à laquelle se substituera ensuite ledit « racolage public », manifestation visible de la prostitution6.

5D’autre part, seule la prostitution vulgaire, entendue comme celle des femmes appartenant au peuple, a pu faire l’objet d’une répression massive et systématique. Les « femmes galantes » entretenues par leurs « amants » (et non « clients ») n’étaient généralement pas concernées, à moins qu’un scandale n’éclate. La police du xviii^e siècle estimait que la débauche de l’aristocratie n’était pas à même de porter atteinte à l’ordre social, contrairement à celle des masses7. Il n’en ira pas autrement aux siècles suivants8.

6Ainsi, du xviii^e au xx^e siècle, les femmes prostituées visibles et appartenant à la classe populaire se sont trouvées au cœur de la répression de la prostitution. Auparavant bannies, elles ont été, pendant plus de deux siècles, enfermées selon une procédure administrative des plus arbitraire. Sur ordre du roi9 ou de la police10, elles étaient condamnées sans bénéficier d’aucune des garanties judiciaires en principe accordées11. En 1946, le législateur soumit enfin le racolage public au droit commun sans toutefois mettre fin aux pratiques policières alors dénoncées12. Même après 1960 – date à laquelle ficher les prostituées devint illicite13 –, la lutte contre le proxénétisme viendra justifier le maintien d’un contrôle étroit de celles-ci. Quant à leur enfermement, il faudra attendre encore plusieurs décennies avant de le voir remis en cause.

7Enfermées de quelques mois à plusieurs années au xviii^e siècle, elles encouraient encore jusqu’à cinq ans d’emprisonnement en 1946 pour simple tentative de racolage public. Puis, dans les années 1960, cette peine fut réduite à un mois d’emprisonnement, voire deux en cas de récidive, tandis que le racolage dit passif n’entraînait plus qu’une amende. Les procès-verbaux pour racolage qui se comptaient en dizaines de milliers dans les années 1970 ne furent bientôt plus que quelques milliers dans les années 198014. Mais ce n’est qu’en 1994 que toute peine d’emprisonnement disparut ; seule une amende de 1 500 euros (3 000 en cas de récidive) était désormais possible et uniquement en cas de racolage dit actif. Au terme de ce progressif adoucissement de la répression, seulement 324 amendes pour racolage étaient prononcées en 200015.

Les clients et prostitués : une répression hors classe

8S’agissant maintenant des hommes, qu’ils aient été clients ou prostitués, plusieurs cas de figure se dessinent et révèlent que tous les hommes n’ont pas toujours été épargnés par la répression de la prostitution.

9Tout d’abord, si le recours par les hommes à la prostitution des femmes n’a longtemps fait l’objet d’aucune incrimination spécifique, cela n’a pas empêché les autorités d’appréhender de manière exceptionnelle un certain type de clients. Ainsi, au xviii^e siècle, une chasse aux ecclésiastiques a été menée pendant près de vingt ans par l’inspecteur chargé de la prostitution16. Ils étaient arrêtés en « flagrant délit » et devaient reconnaître leurs actes par écrit et dans le détail, sorte de confession susceptible de devenir un moyen de pression non négligeable à une époque où l’espionnage est l’une des principales missions de la police des mœurs17. Bien plus tard18 et au nom de la protection de l’enfance, seront punis les clients s’adressant à un mineur n’ayant pas atteint la majorité sexuelle19. Le nouveau code pénal fera même de la rémunération une circonstance aggravante de cette infraction20.

10Ensuite, la prostitution conjuguant cette fois un homme client et un homme prostitué a longtemps été punie non pas en vertu de la lutte contre la prostitution mais en vertu de la lutte contre l’homosexualité21, autre catégorie pénale susceptible d’entraîner des peines non moins sévères. Lorsque les autorités ne condamnaient pas tout simplement les homosexuels au bûcher, comme c’était encore le cas au xviii^e siècle22, le contrôle social exercé sur eux se chargeait de les rendre invisibles23. La prostitution des hommes au profit des hommes était par conséquent discrète ou réprimée au titre de l’homosexualité. La sanction était alors indifférente au rôle joué dans la relation. Avec la dépénalisation des dernières pratiques homosexuelles encore condamnées24 et l’incrimination de l’homophobie25 dans les années 1980, l’homosexualité se fit plus visible. Pour autant, les hommes racolant publiquement d’autres hommes en vue de relations sexuelles rémunérées ne furent pas davantage condamnés sur le terrain de la prostitution. Les autorités hésitaient à qualifier de racolage ce qui pouvait être perçu comme de simples actes de séduction26. La prostitution d’un homme au profit d’un homme et, par extension, celle d’une femme au profit d’une femme relèveraient ainsi de l’exercice de la liberté sexuelle reconnue à tout homosexuel.

11Remarquons ici que les transgenres, en transgressant les frontières de sexe socialement imposées, occupent une place particulière dans la répression de la prostitution, qu’ils soient hommes travestis en femmes ou transsexuels d’apparence féminine se prostituant au bénéfice des hommes. Considéré comme un crime au xviii^e siècle27, le travestissement était encore récemment interdit à Paris en dehors des périodes de fête ou de carnaval, sur le fondement d’un arrêté de 190728. La surreprésentation des transgenres parmi les personnes prostituées, du fait de leur exclusion de la société (on parle de « transphobie »)29, participerait à associer visibilité des transgenres et prostitution visible30, donc réprimée. Cela expliquerait pourquoi les transgenres prostitués connaissaient à la fin du xx^e siècle un traitement pénal similaire à celui des femmes prostituées. La cible de la répression de la prostitution s’en trouvait élargie : les personnes essentiellement visées n’appartenaient plus seulement au sexe féminin mais au genre féminin.

12Enfin, les hommes se prostituant au profit des femmes sont restés à l’écart de la répression et cela de manière constante, bien que l’incrimination du racolage public soit devenue asexuée. Cet exceptionnel champ d’impunité trouverait sa principale explication dans l’invisibilité de cette forme de prostitution. Là encore, elle ne serait pas visible, car non perçue comme telle31. Après tout, quoi de plus naturel qu’un homme qui séduit une femme ?

13Ainsi, à la fin du xx^e siècle et alors que la loi ne visait plus uniquement les femmes mais les personnes des deux sexes, seules les manifestations visibles de la prostitution des personnes de genre féminin au profit des hommes étaient punies. Toutes les autres formes et manifestations de la prostitution restaient pour leur part impunies. Inégalement réprimée et relativement peu condamnée, la prostitution semblait pouvoir être dépénalisée, comme l’avaient été avant elle l’homosexualité ou l’adultère32. Aurait ainsi été franchie une nouvelle étape de l’avènement d’une liberté sexuelle universelle, qu’une rémunération intervienne ou non.

14Il aurait suffi, pour cela, d’abroger la contravention de cinquième classe sanctionnant le racolage public, contravention d’ailleurs plus stigmatisante qu’utile. En effet, la sanction de l’exhibitionnisme, du tapage nocturne ou encore des violations du code de la route peut suffire à remédier aux éventuelles nuisances que peut occasionner la prostitution. Un tel mouvement de dépénalisation aurait sans doute aussi remis en question la sanction des complices de la prostitution qui se contentent d’aider les personnes prostituées ou leurs clients à exercer leur liberté sexuelle33. Quant au fait de provoquer autrui à se prostituer, pourquoi persister à exposer son auteur à plus du double de la peine encourue pour provocation au suicide34 ? La répression aurait alors pu être recentrée sur l’exploitation d’autrui, quelle que soit l’activité concernée, y compris – mais plus seulement – la prostitution.

La surpénalisation de la prostitution

15Mais voilà que le xxi^e siècle emprunte un chemin tout autre face à une transformation de la population prostitutionnelle visible faisant scandale à partir des années 1990 : la France serait massivement envahie par des femmes prostituées étrangères à l’Union européenne et victimes d’une traite organisée par des « réseaux » criminels. Notons que la rhétorique de l’invasion de prostituées « étrangères » (au sens large) n’est pas nouvelle dans l’histoire de la prostitution et a entraîné, à chaque fois, la répression accrue de celle-ci. Par exemple, au xviii^e siècle, l’arrivée massive de provinciales à Paris provoqua une émotion similaire35. De même, la France a connu dès la fin du xix^e siècle la rhétorique de la traite des femmes entraînées à l’étranger en vue d’y être prostituées de force. Ladite traite des Blanches fit d’ailleurs rapidement l’objet d’une incrimination particulière, assimilée au proxénétisme et toujours en vigueur36. Ces deux versants de la figure de la prostituée, coupable et victime, vont se combiner à la fin du xx^e siècle.

16Tandis que la communauté internationale invite les États à protéger toute personne contre la traite aux fins de prostitution37, élevée au rang des atteintes à la dignité humaine, la France tend au même moment à renforcer son contrôle de l’immigration et à vouloir répondre aux préoccupations des riverains victimes des nuisances causées par la prostitution. Une question se pose alors : comment garantir à la fois le respect de la dignité humaine des personnes prostituées, en particulier étrangères, et le respect de l’ordre public, entendu comme le contrôle des étrangers et le rétablissement de la tranquillité publique ? Autrement dit, comment à la fois protéger et punir les mêmes personnes ? Eh bien, c’est très simple, nous explique le législateur, il suffit de les punir pour leur bien38... C’est ainsi qu’au xxi^e siècle, et pour la première fois, la répression de la prostitution est étendue et aggravée au nom de la protection de la dignité humaine des personnes prostituées elles-mêmes.

Les personnes prostituées visibles : une sanction aggravée

17La nouvelle politique criminelle définie en 2003 a pour premier effet de punir plus sévèrement les personnes prostituées visibles. Les sanctionner permettrait d’atteindre par ricochet ceux qui les exploitent, tout en garantissant une meilleure tranquillité aux riverains39. Loin d’être abrogée, l’infraction de racolage public devient donc un délit classé parmi les atteintes à la dignité humaine40. Elle est désormais passible de 3 750 euros d’amende et surtout deux mois d’emprisonnement (six mois avaient même été proposés), même lorsqu’elle ne serait que tentée41.

18Est visé le fait d’adopter publiquement une attitude, même passive, visant à inciter autrui à des relations sexuelles rémunérées. Techniquement, un client qui s’adresse de sa propre initiative à une personne en vue de quérir des relations sexuelles rémunérées racole42. Les juges réservent néanmoins l’application de ce délit aux seules personnes prostituées. Pas moins de 877 peines furent ainsi prononcées à leur encontre en 200543, généralement sur la seule base du procès-verbal reprenant les constatations de l’agent44. S’y ajoutent parfois les déclarations écrites du client. Mais ces différents éléments ne permettent pas toujours d’établir la vérité : procès-verbaux préimprimés à la légalité douteuse et témoignages donnés sous la menace d’un déshonneur public ont pu, par exemple, être montrés du doigt45.

19Parallèlement au traitement judiciaire des personnes prostituées, ce nouveau délit ouvre d’autres voies répressives. La définition floue du racolage passif permet chaque année de légitimer plusieurs milliers d’arrestations et de mises en garde à vue de personnes se trouvant dans l’espace publique et suspectées d’exercer une activité a priori autorisée46. Sont particulièrement concernées les personnes connues pour se prostituer ou se trouvant simplement sur un lieu connu de prostitution47. Une fois interpellées, elles sont susceptibles de faire l’objet d’une inscription au fichier des infractions constatées48. Rappelons que la répression du racolage passif avait été abandonnée en 1994 en raison du danger qu’elle présentait pour les libertés individuelles49. L’apparition d’une sorte de présomption de culpabilité n’est en effet pas sans fragiliser la frontière censée exister entre constatation du racolage public et appréhension arbitraire de la prostitution50.

20À ce traitement policier comportant une dimension punitive en soi, s’ajoute un traitement administratif réservé aux personnes prostituées étrangères. Confronté à la régularité du séjour de la plupart d’entre elles et donc à l’impossibilité de les éloigner du territoire (en l’absence de menace grave pour l’ordre public), le législateur a innové. Depuis 2003, outre les personnes prostituées étrangères en situation irrégulière, peuvent être éloignées du territoire celles en situation régulière dans deux hypothèses. Sont concernées celles qui, titulaires d’une carte de séjour temporaire, sont interpellées pour racolage tout comme celles qui, munies d’un visa (ou en France depuis moins de trois mois), ont un comportement « menaçant » l’ordre public51. Sur ce fondement, l’administration sanctionne un comportement apprécié discrétionnairement par les forces de l’ordre, en dehors de toute condamnation pénale52. Ni présumées innocentes, ni déclarées irresponsables en cas de contrainte exercée sur elles, ni protégées contre leur éventuelle exploitation53, les personnes prostituées étrangères en situation administrative précaire peuvent être éloignées du territoire. À cette fin, elles passent jusqu’à plusieurs semaines en rétention administrative. Si leur retour s’avère en pratique impossible, elles sont vouées à connaître des séjours répétés en centre de rétention. Actuellement de trente-deux jours, la durée maximale de rétention pourrait bientôt passer à plusieurs mois, sur la base d’une future directive européenne54.

21Il n’est sans doute pas inintéressant de se remémorer ici quel traitement policier et administratif tout à fait exceptionnel connaissaient les filles publiques sous l’Ancien Régime. Dans la seconde moitié du xviii^e siècle, de nombreuses femmes suspectées de se prostituer étaient arrêtées dans les lieux publics à l’initiative de la police et en dehors de toute procédure judiciaire. Arrêtées même à tort lors de ces rafles, elles étaient ensuite enfermées à l’Hôpital général55 pour quelques mois, voire plusieurs années.

22Le recours actuel et massif à la garde à vue, à la rétention administrative et à l’éloignement, sur la base d’interpellations arbitraires et en l’absence de tout jugement, présente des similitudes quelque peu troublantes avec ce dispositif qu’on pensait appartenir au passé. Il faut croire que ces pratiques qui avaient survécu à l’Ancien Régime, d’abord dans le silence de la loi puis sous les auspices du réglementarisme56 et enfin dans l’ombre d’un régime devenu abolitionniste, auront également résisté à une fin de xx^e siècle pourtant plus clémente.

Les clients même invisibles : une sanction possible

23Surprenante, la nouvelle politique criminelle relative à la prostitution l’est sans doute encore plus en ce qu’elle fait désormais des clients l’autre sujet de la répression. En 2002, dans un premier temps, la prostitution des mineurs est légalement interdite57. À cette occasion, le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations sexuelles rémunérées de la part d’un mineur devient une incrimination spécifique placée au côté du proxénétisme. À présent dissociée de l’infraction d’atteinte sexuelle, elle protège les mineurs, y compris ceux ayant atteint la majorité sexuelle58, contre tout client même mineur.

24Si faire des clients de possibles délinquants peut avoir un impact symbolique non négligeable, leur sanction ne semble pas constituer une priorité. Plusieurs éléments poussent en tout cas à le penser. Par exemple, au moment même où le client devient l’autre cible de la répression de la prostitution, la peine à laquelle il est exposé passe de dix à sept ans d’emprisonnement et de 150 000 à 100 000 euros d’amende59. Les peines prévues sont toutefois rarement prononcées, faute de poursuites engagées. Une unité spéciale de police (USIT) a pourtant été créée en 2003 pour intervenir de jour comme de nuit à Paris en matière de prostitution. Mais elle a reçu pour seules missions de lutter contre le racolage public, voire le proxénétisme, et l’immigration irrégulière60.

25Par la suite, cette mesure a été étendue à toute personne particulièrement vulnérable à condition que cette situation soit apparente ou connue du client61. Il faut entendre par là les conséquences d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou encore d’un état de grossesse62. Il ne s’agit plus de protéger l’enfance ou même l’ordre « public », puisque – c’est important – la visibilité n’est plus un critère, mais de protéger certaines personnes contre elles-mêmes dans l’exercice de leur liberté sexuelle, lorsqu’elles ne sont pas en mesure de défendre au mieux leurs intérêts. La définition imprécise de la particulière vulnérabilité pourrait cependant entraîner, le jour où cette mesure sera effectivement appliquée, l’interdiction de facto de la prostitution pour un grand nombre de personnes63, quand bien même elles auraient atteint la majorité et seraient capables d’exprimer librement et de manière éclairée leur consentement64.

26Par conséquent, ce qui aurait pu être un mouvement irrégulier mais cohérent de dépénalisation de la prostitution se conclut par non seulement une aggravation de sa répression mais encore une extension considérable de son champ d’application. Même si le xxi^e siècle continue de punir, en pratique, la seule prostitution visible des personnes de genre féminin, en particulier étrangères, au bénéfice de clients masculins, le principe inédit de l’interdiction de toute prostitution semble pouvoir être posé. Selon la loi, ne sont déjà plus pris en compte ni le sexe, ni la visibilité, ni même le rôle joué dans la relation. Plutôt que l’avènement d’une liberté sexuelle universelle, notre siècle connaît donc l’universalisation de la répression de la prostitution, consacrant ainsi et au nom de la dignité humaine un ordre moral qui ne dit pas son nom65.