Version classiqueVersion mobile

L’Europe des Français, 1943-1959

 | 
Gérard Bossuat

Seconde partie. L’unité européenne, 1949-1955 ? Une solution élégante du conflit franco-allemand

7. Crise ou nouvelle donne européenne avec Pierre Mendès France

Texte intégral

1Pour des raisons de priorité l'historiographie n'a pas fait suffisamment attention aux projets économiques européens de Pierre Mendès France au début de son gouvernement. Or ce gouvernement a été brutalement saisi de la question de la libération des échanges en Europe par l'OECE. La France, en effet, avait suspendu les mesures de libération avec ses partenaires de l'OECE depuis février 1952. Elle s'était enfermée dans un protectionnisme provisoire de plus en plus délicat à justifier pour un pays qui prétendait inscrire son avenir dans une Europe unie. Pendant ce temps ses partenaires continuaient d'ouvrir leurs frontières aux marchandises françaises. Ils lui demandaient de mettre fin à cette sécession unilatérale. Mais il est vrai que le gouvernement de Mendès France a été marqué par le rejet de la CED à l'Assemblée nationale française le 30 août 1954. Plus qu'aux événements, il convient de s'attacher à la signification de ce rejet par les élites politiques du pays et au comportement du prestigieux chef du gouvernement, Pierre Mendès France. Cette affaire pose la question de la politique européenne de Mendès France. Qu'a-t-il fait pour défendre la CED? La solution de l'UEO est-elle un choix de circonstance ? Répond-elle à l'état des esprits en France? Si l'histoire de la CED est connue, celle des débuts de l'UEO est ignorée. Comme l'UEO répond à d'autres aspirations que celles des gouvernements Schuman ou Pleven, une désinformation s'est produite sous l'action de groupes intéressés. L'enquête montre que 1954 est une année de prise de conscience de la société française en matière européenne et internationale. La période précédente avait fait faire des progrès foudroyants à l'unité fédérale européenne. Les minorités agissantes ont imposé un rythme soutenu à une construction qu'elles croyaient être le destin des peuples européens. 1954 marque un tournant. L'Europe mise en place par les accords de Londres et de Paris est-elle une marche réaliste vers l'unité européenne, ou au contraire indique-t-elle le désintérêt des peuples pour l'unité ?

La France honore sa parole à l'OECE

2Connaissant le débat entre les partisans de la grande Europe de l'OECE et ceux d'une Europe supranationale plus étroite, on pouvait penser que les initiatives qu'on ne prenait plus à propos de la supranationalité étaient compensées par d'autres à l'OECE. Après tout la libération des échanges n'était pas encore terminée et l'OECE pouvait offrir une structure unitaire pour l'économie européenne. Or la France accélère la crise de l'OECE en février 1952 quand elle décide de revenir sur les libérations consenties dans les trois années précédentes. Edgar Faure s'est vanté d'avoir su manier le bistouri. Il n'a pas mesuré les conséquences internationales de cette opération.

La France, l'homme malade de l'Europe ?

3La crise politique française du début de l'année 1952, deux gouvernements en deux mois ! (Edgar Faure puis Pinay), remit en cause la confiance des Etats-Unis dans la politique européenne de la France. De plus la France est en position d'assistée à l'OECE. Ses partenaires acceptent les restrictions qu'elle leur impose sur leurs exportations tout en lui ouvrant leurs marchés afin de supprimer le déficit de sa balance commerciale. En échange son économie est scrutée à la loupe, les décisions de ses dirigeants pesées. Cette situation ne peut pas durer.

  • 1 CE 70, OW 18 juin 1953, CE, note pour le Président a/s la France et l'OECE.

4Comme le retrait français se prolonge, les Européens soupçonnent la France de faire durer la suspension de libération, au nom d'un protectionnisme rampant. Six mois après les retraits de libération la suspicion s'est installée. Cette politique de repli met en cause la politique d'unité européenne dont la France a pris la tête en mai 1950. Le déclin de l'influence française à l'OECE et en Europe commence. A la fin de 1952 un cycle de repli hautain et crispé, dont les années 60 donnèrent encore d'autres exemples, s'annonce. Mendès France, dès le 19 février 1952, l'expliquait par le désordre et la faiblesse intérieures. Il considère que l'Allemagne risque de prendre la tête des constructions européennes. En 1953 la France devient le bouc émissaire des difficultés de l'UEP en l'absence d'un plan de redressement et d'assainissement général. L'OECE décide d'évoquer la question française. Un rapport lui est remis en juillet 1953. En raison des suppressions de libérations, « pour la première fois depuis que la France a suspendu la libération des échanges, le Conseil de l'OECE a refusé de donner son approbation au programme français » d'importation, notent les services. La France est devenue débitrice à l'UEP. Son solde est réglé par des avances spéciales de l'ECA. Or ces avances n'ont été prévues que pour des petits pays. « Il est inutile d'insister sur l'atteinte au prestige français et sur l'humiliation qu'entraîne pour nous les recours à une procédure qui nous ravale au rang de la Grèce, de l'Islande et de la Turquie », remarque le Quai d'Orsay en 19531. Allemands, Belges, Suédois, Suisses s'impatientent. Pour eux, la France se protège et bénéficie, de surcroît, des bienfaits de l'OECE sans faire un effort de remise en ordre. Certaines délégations dressèrent « un véritable réquisitoire », ou bien formulèrent « des commentaires inspirés avant tout par la commisération ».

5De ce moment les services popularisèrent une explication de la puissance allemande. Elle était fondée sur la réforme monétaire des alliés de 1948 et sur l'absence de réparations alors que l'Allemagne était capable de les supporter (Wormser). La RFA ne payait rien pour le réarmement ni pour les territoires d'Outremer. Le pouvoir d'achat ouvrier était faible en Allemagne. Les difficultés nourrissent les tensions franco-allemandes. Devant les critiques virulentes de l'Europe, il ne restait au gouvernement qu'à plaider le retour prudent à la normale. Vaine promesse et vaines paroles (décembre 1953) se succédèrent. Edgar Faure ne se décida à libérer que 20 % du commerce privé en septembre 1953 ! Au Conseil de l'OECE d'octobre 1953 on annonce « une position délicate » pour la France. En effet le secrétaire général de l'OECE compte proposer une libération de 75 % à 100 %. Excédé, Sir Hugh Ellis-Rees expose à la France les préoccupations des pays membres en janvier 1954. L'avertissement fit de l'effet car Bidault s'en inquiéta auprès du président du Conseil : « La prolongation de la situation actuelle nuit à notre autorité dans les instances internationales compétentes en matière économique et financière et ne sert pas notre crédit pour tout ce qui concerne les problèmes touchant à l'unification de l'Europe », explique Bidault. Mais que faire ? Kojève, ce philosophe haut fonctionnaire de la DREE, toujours prompt à imaginer des solutions, présenta une formule promise à un bel avenir. Les prix français étant surévalués d'environ 15 %, on pourrait dévaluer, mais ce serait aux yeux du gouvernement Laniel un signe de faiblesse. Augmenter les droits de douane de 15 % serait méconnaître les règles du GATT. Donc il imagine d'imposer une taxe de 15 % sur les transactions en devises étrangères servant au paiement des marchandises. En avril 1954, le gouvernement décide de libérer 52 % des importations françaises (45 % des produits alimentaires, 65 % des matières premières, 42 % des produits manufacturés). Il promet une nouvelle libération à 65 % avant le 1er novembre 1954. L'ensemble est assorti de cette taxe spéciale temporaire de 10 % à 15 % qui renchérit d'autant les importations. Les Européens protestent, mais les apparences sont sauvegardées.

Libérer les échanges, faire confiance à l'économie française

  • 2 Exposé des motifs du projet de loi n° 9034,29 juillet 1954 in Œuvres complètes, III p. 768.

6Mendès France était décidé à libérer les échanges de la France avec ses voisins de l'OECE. Il faut donc se défaire de l'image d'un Mendès France replié sur l'indépendance nationale. En effet il tient à honorer la parole de la France et à éviter des mesures de rétorsion de l'OECE. Il croit aussi que ce sera utile à l'économie française. Il ne manifeste plus de doute sur ce dernier point. Pour la première fois il considère qu'assainissement intérieur et ouverture des frontières peuvent être menés de pair. Mendès France honore les engagements antérieurs de la France à l'OECE. Il accepte d'entrer dans la voie du libéralisme, un libéralisme bien timide aux yeux des contemporains, mais un libéralisme réel. Mendès France le tempère par l'exigence de construire à l'OECE une Europe sociale et une Europe agricole dans le cadre de spécialisations européennes négociées. On retrouve là le vieil espoir français de 1948 à l'OECE. Le débat du 6 août 1954 à l'Assemblée nationale lui donne l'occasion de dire à Paul Reynaud qui craint la concurrence étrangère que la libéralisation des échanges est une données qui s'impose à la France2. Le problème est que Mendès France ne parait pas avoir engagé de négociations pour organiser les marchés comme il l'imaginait, sans doute pressé par la négociation sur la CED.

  • 3 Jean Monnet, Mémoires, tome 1, p. 590, Livre de Poche, Fayard, 1976.

7Offrait-il un gage de bonne volonté européenne aux partisans de la CED ? Nous pensons plutôt qu'il faut prendre à la lettre sa déclaration du 10 août 1954 : « s'entraîner progressivement à la compétition ». Il répond négativement aux sollicitations de Monnet en faveur d'une intégration économique de l'Europe qui peut apparaître comme un des éléments du paquet CED. En effet avec la CED, il y avait l'APE et le projet de marché commun de Beyen. Un échange de lettres le 12 août 1954 entre les deux hommes trahit les hésitations personnelles, voire la tension de Mendès France sur les formes de l'intégration européenne. Sans doute ne voulait-il pas engager sa responsabilité sur l'intégration de type fédéral. Monnet, bien plus tard, se souvint de ces lettres : « J'y relis, de part et d'autre, une grande angoisse, j'y revis le sentiment que nous avions d'être précipités vers un accident3 ». Devant l'Assemblée consultative du Conseil de l'Europe à Strasbourg, hostile et consternée après l'échec de la CED, il plaide pour la libération commerciale mais aussi pour une harmonisation sociale en Europe. Il affirme enfin que la coopération avec l'Allemagne est vitale pour la France, dans le domaine agricole en particulier.

8Des mesures de libéralisation ont été prises par le gouvernement Mendès France, puis par son successeur, Edgar Faure. Elles ne peuvent pas être mises sur le compte d'une pensée politique originale de Mendès France sur les constructions européennes. Son objectif est de rendre la France capable d'assumer les défis de la croissance économique des années cinquante. En octobre-novembre 1954, la libération atteint 65 % et la taxe spéciale est abaissée à 10 % et 7 % selon les produits importés. La médication douce mendèso-faurienne organise le retour à la loi commune après deux ans et demi de ratés, sans y parvenir tout à fait. D'instrument de puissance pour la France, l'OECE est devenue un lieu de critique voire d'humiliation internationale de la France. Cependant l'échec final de l'OECE en tant qu'instrument de l'unité européenne ne vient pas directement de la France. Son succès d'importance historique fut l'UEP qui rendit de grands services à la Grande-Bretagne, à l'Allemagne en 1950, à la France et par là à l'Europe entière. Pourtant, l'OECE perdit ce fleuron à cause des ambitions britanniques de rendre la livre convertible. Les aspirations mondiales de la Grande-Bretagne ne s'accommodaient pas d'une organisation régionale européenne. Quant à Mendès France il avait enfin compris que l'organisation européenne était utile à la stabilisation économique et financière de la France.

Mendès France et la fin de la CED

  • 4 RG 84, Paris embassy, top secret general records, 1954, Box 25, Dillon to Livingstone Merchant, As (...)

9L'historiographie dominante considère que Mendès France est responsable de la mort de la CED. On le savait hésitant sur la CED. En juillet 1954, Douglas Dillon, ambassadeur des Etats-Unis en France, tout excité, écrit une longue lettre au Département d'Etat sur les intentions de Mendès France. Entre autres remarques, il note que Parodi, réputé pour son opposition à la CED, dit haut et fort que Mendès France va soumettre le texte du traité de Paris au vote de l'Assemblée. Dillon y voit une bonne chance pour la CED4. Nous savons que le gouvernement avait l'intention de soumettre le traité à l'Assemblée pour le 25 août et que Mendès France était très conscient des limites de son action en ce domaine en raison de l'état de l'opinion parlementaire.

Le drame du 30 août

  • 5 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 39, p. 91, M. Mendès France, MAE, aux représentant (...)

10L'ambassadeur américain espère que l'état d'esprit au Quai d'Orsay et chez Mendès France est en train de changer à propos de la CED. Il trahit l'incapacité des Américains à agir à propos de la CED. D'un côté il ne faut pas pousser le nouveau gouvernement dans les bras des neutralistes. De l'autre, il faut faire voter le traité. Contrairement à une image trop souvent répandue, il apparaît que Mendès France est apprécié par Douglas Dillon et par Livingstone Merchant, chargé des affaires européennes au Département d'Etat. En revanche on se méfie de Georges Boris, accusé de flirter avec les Communistes et de défendre leurs intérêts. Dulles lui même véhicule dans ses message au Département d'Etat ses peurs sur Boris. Après quelques mois, Dillon reconnut lui-même que c'était exagéré. Début août, Mendès France a programmé la ratification de la CED. Il prévoit de faire des propositions d'aménagement du traité à ses partenaires, à Bruxelles, du 19 au 22 août. Mendès est toujours décidé à saisir l'Assemblée le 245. En tous cas, la méfiance de Dulles envers Mendès France se nourrit d'interprétations fausses concernant l'attitude française à l'égard de l'URSS. Il a probablement mal disposé les partenaires de la France, ce qui explique certainement leur agressivité lors de la conférence de Bruxelles.

  • 6 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 44 Bote du secrétaire d'Etat aux AE„ aménagement d (...)

11Comment se préparer au vote sur la CED ? Il semble que Mendès ait eu en main, en août 1954, un texte anti-CED de Parodi et un autre pro-CED de De Seynes. Le projet de Parodi développe le concept de CED comme une petite OTAN, sans adhésion de l'Allemagne à la grande OTAN, et sans élections au suffrage universel du Parlement Européen. Il demande la création d'une « grande alliance », une organisation européenne de défense, comprenant la CED et la Grande-Bretagne. Le projet de Parodi n'aurait mis en place qu'une partie seulement des dispositions du traité de Paris de 1952. Même le projet de De Seynes modifiait quelque peu l'économie générale du traité de CED. Il propose de l'habiller d'un protocole d'application de façon à améliorer sa présentation politique6. L'état d'esprit au Quai d'Orsay va dans le sens d'une très grande méfiance à propos du traité de Paris, puisqu'il suggère de suspendre pendant un temps le vote à la majorité et la dénationalisation des forces, pour respecter l'unité et l'intégrité de l'armée française.

  • 7 J. F. Dulles correspondance series, Library of Congress, reel 6, memorandum of conversation, augus (...)
  • 8 RG 89, Paris Embassy, top secret general Records, 1954, Box 20, Dillon, to S. of S. August 24 1954 (...)

12Mendès France subit des pressions anticédistes très dures de personnes ayant sa confiance. C'est pourquoi, confie-t-il à Dillon le 13 août, il souhaite procéder à des modifications du traité. Or Mendès France est choqué des manifestations de méfiance contre lui et son gouvernement de la part des autres gouvernements, pendant et après la Conférence de Bruxelles. Les gouvernements européens n'ont pas compris que Mendès France voulait agir au lieu de temporiser comme ses prédécesseurs. Mendès France n'a pas accepté de son côté l'attitude d'Adenauer qui refusa de le voir durant quatre jours. L'affront a été réparé grâce à l'entremise de David Bruce. Le 17 août, Adenauer avait reçu un câble de Dulles, via Dillon, qu'il interpréta comme le signe d'une défiance américaine envers Mendès France à propos de la CED. Mendès France avait écrit à Dulles, via Meyer, qu'il n'avait pas confiance dans son entourage à propos de la CED. Il regrettait que les Etats-Unis soient à l'origine de l'opposition des Pays-Bas et de l'Allemagne à sa politique et à sa personne. Dulles nia, mais mal, parce qu'il était manifestement déçu des atermoiements de la France depuis deux ans. Il en a tenu rigueur à Mendès France qui n'y était vraiment pour rien. Adenauer reflétait l'ambiguïté méfiante des Etats-Unis à l'égard de Mendès France, mais aussi son incapacité à jauger l'homme d'Etat français7. Mendès France a été physiquement isolé par les cinq autres chefs de gouvernement, y compris sur des problèmes mineurs. Ce fut un échec diplomatique et personnel8. L'argumentation de Mendès France pour expliquer l'échec de Bruxelles tint à ceci : « les cinq ne m'ont pas fait confiance ».

  • 9 Œuvres completes, T. 3, Gouverner c'est choisir, 1954-1955, Gallimard, 1986, p. 256.
  • 10 Œuvres, T. 3, op. cit., p. 419, allocution radiodiffusée, 30 octobre 1954.
  • 11 Œuvres, T. 3, op. cit., p. 431, G novembre 1954, Lille.

13Est-ce assez pour rendre compte de ses intentions sur la CED ? Á travers le débat sur la CED, à travers l'échec du projet, on discerne les permanences d'une politique mondiale de la France qui vient parfois s'opposer à sa politique d'intégration européenne. La CED est-elle un obstacle aux ambitions mendésistes en politique étrangère ? Quand on considère ses deux discours sur la CED, le premier, radiodiffusé, du 28 août 1954 et le second à l'Assemblée nationale du 29 août, une réponse est donnée. Dans le premier il rejette l'interprétation de ceux qui pensent que la CED est la fusion des peuples et de ceux qui redoutent l'affaiblissement national de la France dans le cadre d'une construction européenne9. La vérité se trouve entre les deux thèses, dit-il. Dans le second il révèle l'humiliation subie par le chef du gouvernement à Bruxelles. Il affirme que l'Europe ne doit pas porter atteinte à la cohésion de l'Union Française « qui reste notre principale force et notre principal espoir ». L'avantage du traité de CED, dit-il encore, est d'enchaîner la RFA au monde occidental plus que de donner à la France un surcroît de poids dans les affaires du monde. Mendès France croit encore à la puissance de la France par les territoires d'Outremer, en dépit de l'Indochine et de l'Europe. Il est exemplaire que cette affirmation ait été répétée le 30 octobre à la veille du soulèvement algérien10. Mendès France vibre quand il évoque les « colossales » possibilités de développement, l'étendue des territoires de l'Union française, « cette France à l'échelle du monde ». Il voit une France puissante grâce à sa jeunesse et au relèvement démographique qui désormais touche le pays11.

  • 12 Jean Delmas, « La perception de la puissance militaire française en France en 1954-1958 », colloqu (...)
  • 13 Dominique Mongin, « Forces armées et genèse de l'armement nucléaire français », Relations internat (...)
  • 14 Georges-Henri Soutou, « La politique nucléaire de Pierre Mendès France », Relations internationale (...)
  • 15 La relance européenne et les traités de Rome, Actes du colloque de Rome, 25-28 mars 1987, sous la (...)

14La revendication de puissance, voire de grandeur pour la France est exprimée par Mendès France en des termes que n'aurait pas reniés Bidault. Cet objectif a impressionné les Américains et les a indisposés. On le sent très bien à propos des relations entre la France et l'URSS. Mendès France voudrait-il contester le leadership américain sur le monde occidental ? Pour Mendès France, l'Europe n'a pas la vertu de remplacer l'effort national qui seul rendra la France forte et puissante. La vision mendésiste du rôle de la France dans le monde suppose la montée en puissance de l'économie comme de l'armée françaises et en particulier la maîtrise de la filière nucléaire. Mendès France a laissé prendre, ou a pris, des décisions permettant la création à court terme de l'arme nucléaire12. Il s'est prononcé le 26 décembre 1954 pour un programme d'études d'armements atomiques13. La bombe atomique est nécessaire à la France pour des raisons politiques et militaires afin de mettre la France sur un pied d'égalité avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne au sein de l'Alliance14. Une autre pièce du dossier est celle-ci. Il est question d'associer la Grande-Bretagne à la CECA, comme Monnet le demande et comme le souhaite Mendès France. Or, d'après le témoignage de Spierenburg15, Mendès France a critiqué cette association du fait que la Haute Autorité, et non pas le gouvernement français, négocierait l'adhésion de la Grande-Bretagne à la CECA. Mendès France révèle à travers cet exemple son hostilité au transfert de souveraineté à un corps supérieur européen. Dans ces conditions, toute construction européenne renforçant cette disposition est nulle et non avenue.

  • 16 DPF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 63, M. Mendès France à M. Henri Bonnet, ambassadeu (...)
  • 17 PDF, 1954, annexes, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, Comptes rendus des réunions tenues le 19 aoû (...)

15Il nous semble donc que les dispositions profondes de Mendès France n'étaient pas favorables à une CED supranationale, encore que ses dispositions intérieures ont certainement été modifiée par l'échec de la Conférence de Bruxelles. Il n'estime pas pour autant qu'elle est un mal absolu. Le non engagement de Mendès France en faveur de la CED ne s'explique pas par une négociation avec les Soviétiques. Si les archives américaines confirment bien que Dulles, le 14 août 1954, croit que Mendès France envisage un rejet de la CED par la France en échange de concessions soviétiques, rien ne vient étayer la vérité d'un tel projet. Mais ne faut-il pas créditer Mendès France de la bonne foi quand il écrit à Henri Bonnet, afin de transmettre à Dulles : « Toute mon action s'explique par ma volonté d'éviter une décision négative et un rejet pur et simple par le Parlement français de toute proposition de Communauté européenne de défense, je mesure les graves conséquences que pourrait avoir une pareille décision pour la France et pour la communauté occidentale et je demande à être compris et à être cru16 ». Il affirme lors de la conférence de Bruxelles qu'il est « personnellement partisan de la Communauté européenne » et particulièrement d'une communauté politique européenne17. Mendès France ne veut pas d'une Europe intégrée comme Monnet la voit, d'une Europe supranationale. Il veut des aménagements, des temps d'adaptation, l'intervention du conseil des ministres. Monnet voulait unir les hommes, Mendès France voulait rendre à son pays puissance et rayonnement international, tout en l'insérant dans l'Europe.

La Conférence de Bruxelles des 19 et 20 août 1954

  • 18 560 AP 61, Discours de René Pleven en 1962 devant l'Europa-Union.
  • 19 Papiers Elgey, entretien avec Thierry de Clermont-Tonnerre, 15 novembre 1965.
  • 20 DDF, 1954,21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 69, M. François-Poncet, Haut commissaire de la Répu (...)
  • 21 DDF, 1954,21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 76, M. François-Poncet, Haut commissaire de la Répu (...)
  • 22 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 70, Henri Bonnet à P. Mendès France, MAE, Washingt (...)

16Cette Conférence des Six est importante pour l'échec de la CED. La presse y est attentive. L'Humanité explique que si la France dit non il n'y aura pas de réarmement allemand. Robert Schuman publie dans le Figaro un article très engagé « Ce qui est menacé ». Il juge que les projets de Pierre Mendès France remettent en cause tout le traité avec l'introduction d'un droit de veto général. « Tout ce qui affaiblit l'intégration accentue d'autant la souveraineté militaire allemande. L'efficacité de l'intégration réside dans sa réciprocité ». Dans Tribune Libre, André Philip défend une intégration complète. Le 18 août dans Carrefour Pierre Abelin accepte les modifications de Mendès France, tandis que Michel Debré les repousse car elles laissent en place « les mécanismes de la dépendance ». Pleven plus tard a estimé que Debré était « un cas incurable sans doute18 ». Debré, déchaîné, parlait de faire fusiller les hauts fonctionnaires qui négociaient19. Certes il devait plaisanter ! N'avait-il pas déjà dit une chose semblable à P. Uri pour le plan Schuman ? Afin de séduire les parlementaires, le gouvernement français met au point un protocole d'application du traité instituant une Communauté européenne de défense qu'il espère faire avaliser par les cinq partenaires de la France lors de la Conférence. Ce protocole aurait limité pendant 8 ans les pouvoirs supranationaux du Commissariat européen à la Défense. Il aurait maintenu les procédures nationales de fonctionnement des armées nationales jusqu'à ce qu'une décision unanime fut prise. L'intégration des unités de base aurait été limitée à la zone de couverture. Il aurait créé un droit de retrait de la Communauté en cas de fin du Pacte atlantique, de fin de participation des Anglo-saxons à la défense de l'Europe, et en cas d'unification de l'Allemagne. En fait 47 articles du traité de Paris étaient modifiés. La notion de protocole d'application sembla douteuse à Hallstein, le secrétaire d'Etat allemand, et au chancelier Adenauer20. Adenauer fut touché : « Le dimanche où j'ai reçu le texte du projet français est le jour le plus douloureux que j'ai vécu depuis que je suis chancelier fédéral » dit-il21. Les Américains au Département d'Etat manifestent leur critique contre un protocole qui sacrifie le caractère supranational de la CED. Mais il reproche essentiellement à Mendès France d'avoir pris des initiatives en direction de l'URSS, d'avoir laissé entendre que la CED pourrait n'être pas nécessaire si une entente entre les Quatre sur l'Allemagne était possible22. Le barrage est tout aussi net de la part de Beyen, ministre des affaires étrangères des Pays-Bas. Le jugement négatif est identique en Belgique. Tous argumentent sur les discriminations que le protocole français instaure vis-à-vis de l'Allemagne, i. e. le fait que seule l'Allemagne serait contrainte de mettre en pool européen toutes ses unités, puisqu'elles stationnent dans la zone de couverture. Les Britanniques sont plus ouverts, et ils sont d'accord pour accueillir Mendès France chez Churchill à Chartwell, après la conférence de Bruxelles comme s'ils se préparaient à raccommoder les pots cassés.

  • 23 René Massigli, Une comédie des erreurs, Plon 1978, p. 446.
  • 24 DDF, 1954, 21 juillet, 31 décembre, IN, 1987, n° 83, M. François-Poncet, Haut commissaire de la R. (...)
  • 25 DDF, 1954,21 juillet-31 décembre, IN, 1987, annexes p. 64 et 113 annexe 2.
  • 26 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 92, M. Mendès France à M. Henri Bonnet, ambassadeu (...)
  • 27 d'après P-H Teitgen, Faites entier le témoin suivant, 1940-1958, de la résistance à la Ve Républiq (...)
  • 28 P-H Spaak, Textes réunis et présentés par Paul F. Smets, Goemare, tome 1, 1980 « Intégration ou dé (...)
  • 29 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 91, M. Mendès France, MAE à M. Massigli, ambassade (...)

17La conférence se passe mal. Adenauer stylé par les Américains et par Spaak refuse de recevoir Mendès France avant la conférence23, or Adenauer animé de rancune, d'hostilité et de ressentiment, précise François-Poncet, boude Mendès France24. Le 22 août Adenauer rencontre enfin Mendès France et éprouve, dit-il, une satisfaction à connaître ses intentions européennes. Il le peut puisque, quel que soit le destin du traité de CED, Mendès France a dit qu'il dissociait la mise en vigueur des accords de Bonn sur la souveraineté allemande et la ratification du traité de CED. Un incident éclate aussi entre Mendès France et Spaak le 20 août au matin. Spaak distribue un texte politique aux délégués qui pourrait éventuellement remplacer le texte du protocole français. Mendès France « après l'avoir parcouru, se déclare indigné du préambule. Il le considère comme un acte d'accusation contre la France25 ». Mendès France lui demande de le retirer immédiatement, ce qui est fait26. Pourtant à lire le texte de Spaak il s'agit d'un rappel des faits qui illustrent les hésitations et reculs de la France. Mendès ne l'a pas supporté, sans doute en raison de sa position d'accusé depuis la veille. L'incident traduit la tension entre les hommes et aussi le fait que ses partenaires ont été incapables d'entrer dans les préoccupations du chef de gouvernement de séduire l'Assemblée nationale. « C'est un bilan unilatéral qui ne tient pas compte des efforts français » rétorque, indigné, Pierre Mendès France. Beyen demande à Mendès France de ne plus introduire dans les débats d'éléments « émotifs et injustifiés ». Pourtant Spaak, semble-t-il, accueille Mendès France dans son bureau le 21 au soir. D'après lui, il lui aurait confié qu'il était décidé à rompre avec les Cinq27. Spaak, quelques mois plus tard, est encore sous le choc. Des concessions ont été offertes aux Français : décentralisation du Commissariat européen de la défense, modifications des recours devant la Cour de justice, période de deux ans pour l'intégration des armées nationales. Un point ne pouvait être négocié, la supranationalité28. Mendès France se plaint d'avoir été mal conseillé par François-Poncet dans ses rapports avec Adenauer. Ne devait-il pas le recevoir le soir même de son arrivée ? En fait Mendès France dès le 24 août a en tête d'anticiper l'échec de la ratification et de préparer avec les Britanniques de nouvelles relations avec l'Allemagne29.

Les causes de l'échec

  • 30 Guy Mollet, lettre à Nicolas Margue, 19 novembre 1952, publiée aussi dans Guy Mollet, Textes chois (...)
  • 31 OURS, DIO 24 MM, P-H Spaak et Guy Mollet devant la CED, discours du 5 mars 1954, salle des horticu (...)
  • 32 Archives Guy Mollet 106, Paris-Presse, 26 septembre 1953, « L'Allemagne dans l'Europe ».

18On s'étonne que 53 députés socialistes sur une centaine aient voté contre la CED le 30 août 1954, faisant basculer la décision en faveur de rejet. Les débats suscités par les projets de l'Assemblée Ad hoc éclairent les enjeux. Avec la CED viendrait en plus une dangereuse Communauté Politique Européenne. Les réserves de Guy Mollet étaient recevables quand il demandait de tenir compte de l'état d'esprit des peuples et des possibilités de s'adjoindre la Grande-Bretagne. Jules Moch avait été au cœur de la lutte anti CED. Il était inconcevable, à ses yeux, que l'Allemagne, cinq ans après la fin de la guerre, puisse siéger dans une organisation militaire. Son histoire personnelle expliquait sa défiance. Son espoir, partagé avec d'autres, de ne pas commettre l'irréparable dans les relations avec Moscou, donne aussi la clef de son opposition virulente. D'autres ont formulé les mêmes critiques, Pierre Henri Teitgen (M. R. P.) ou Yvon Delbos (Radical) par exemple. Les maximalistes ont contribué à l'échec final en France de la CED « Voulez-vous bien songer, écrivait Guy Mollet à Nicolas Margue, un chrétien-social luxembourgeois, qu'au moment où, en France, les adversaires de toute forme de Communauté Européenne sont à l'affût des moindres fautes commises, il était important qu'un Français sincère - car je me considère comme tel - ne laisse pas à d'autres le soin de marquer les limites nécessaires30 ». La crainte d'une Autorité Politique envahissante a accéléré la défiance. Les tensions se sont exacerbées au sein du mouvement socialiste. Paul-Henri Spaak, pathétique, s'adresse aux socialistes français : « Nous vous demandons d'avoir confiance dans la politique dont vous avez été les initiateurs. Nous vous demandons de ne pas être les fossoyeurs de l'Europe et les fossoyeurs de l'Occident. Nous vous demandons d'être les leaders de l'Europe et de l'Occident31 ». L'appel à l'Occident n'était pas le meilleur moyen de rassembler les socialistes français. Les socialistes français aspiraient à une entente entre l'Europe unie et les Etats-Unis, en raison du danger communiste. Ils n'aspiraient pas à une communauté occidentale. L'acceptation par Guy Mollet de la CED ne reposait pas sur la pertinence du projet en terme d'unité européenne, mais sur le fait que la CED réarmait l'Allemagne dans les moins mauvaises conditions, hors de l'OTAN32.

  • 33 Archives Guy Mollet 107, discours de Guy Mollet du 22 septembre 1953, définition de la politique d (...)
  • 34 OURS, D 6 72 BD, Discours de Guy Mollet à Strasbourg, devant l'Assemblée consultative du Conseil d (...)
  • 35 OURS E4 51 MM, le problème européen à la lumière des récents développements mondiaux, Guy Mollet, (...)

19Les autorités spécialisées, de type CECA ou CED, un moindre mal en quelque sorte, se justifiaient uniquement par le refus de la Grande-Bretagne et des pays Scandinaves d'accepter le fédéralisme, et par la nécessité de faire participer l'Allemagne à une structure fédérale contraignante33. Elles se justifiaient seulement si le Conseil de l'Europe les patronnait et si les projets d'APE se bornaient à contrôler la CECA et la CED Pool diplomatique et plan Eden auraient pu devenir cette Autorité politique souple permettant de contenter les fédéralistes et les unionistes. Beaucoup de responsables politiques français repoussaient l'Allemagne de l'OTAN parce que cela signifierait une Allemagne dotée de tous les attributs de la souveraineté, la poursuite de la coupure en deux de l'Europe. La vraie solution pour Guy Mollet était l'Europe des Quinze avec l'Angleterre34. L'unité de l'Europe est un des moyen d'assurer la paix mondiale. Guy Mollet était sensible à la fois au danger russe et au besoin de sécurité de l'URSS. Il jugeait l'attitude américaine non impérialiste certes, mais inquiétante aussi, en raison de la chasse aux sorcières et du « rolling back35 ». La perspective socialiste a l'avantage de rappeler, contrairement à l'historiographie classique marquée par le succès du plan Schuman, qu'il n'y pas de modèle européen unique, sauf celui qui assure la paix et qui rassemble les Européens.

20La responsabilité des socialistes est engagée sans doute plus que d'autres puisque le parti avait décidé de voter en faveur de la CED. Il y a eu trahison de la parole proclamée. Mais d'autres groupes ou personnalités ont eu leur rôle. Edouard Herriot a fait un discours le 30 août pour soutenir la motion d'irrecevabilité du général Aumeran. Etonnant puisque Herriot avait toujours soutenu l'idée européenne. La responsabilité de Robert Schuman est engagée aussi. Il a écrit dans le Figaro du 15 août un article contre le protocole, laissant entendre que les députés pro-européens ne voteraient pas un traité vidé de sa substance. Cet article est utilisé par Adenauer au cours de la conférence de Bruxelles pour liguer les cinq contre Mendès France.

La feinte colère des Etats-Unis ?

  • 36 Plans and Policy Planning Staff, « What can we do to help European Institutions for Integration an (...)

21La responsabilité de Dulles est engagée aussi. Durant la conférence de Bruxelles, il a fait pression sur Mendès France en des termes qui ne pouvaient que choquer le président du Conseil. II a demandé à la France d'accepter le traité de CED sinon une crise grave éclaterait. Il a menacé en cas d'échec de réunir la Grande-Bretagne et les pays ayant accepté la CED et de décider comment associer l'Allemagne à l'Occident et comment la réarmer, sur la base d'une égalité absolue. Mendès France pouvait-il céder dans ces conditions ? Mais était-il si angoissé à l'idée d'un échec de la CED ? Un document américain dont l'origine n'est pas déterminée est instructif. Il date du 12 septembre 1952. L'intégration européenne n'est pas une fin en soi pour ses auteurs, conseillers du Secrétaire d'Etat, ou en poste à l'USRO. Il faut la défendre en vue de satisfaire les intérêts des Etats-Unis. Une Europe intégrée signifierait la fin des protectionnismes en Europe et la création d'une défense européenne. Cette Europe intégrée serait complémentaire des Etats-Unis. Mais il est dit aussi que les Etats-Unis repoussent une Europe forte, capable d'une action indépendante des Etats-Unis. Ils redoutent surtout qu'elle songe à défendre des objectifs politiques différents des leurs. Ils imaginent possible une politique différente des Européens vis-à-vis de l'est et de l'URSS. Le cauchemar d'une Europe puissante et autonome hante les Américains comme si la faiblesse européenne des années 40 n'avait été qu'une parenthèse. En conséquence, ces responsables de la planification politique américaine proposaient d'apporter aux initiatives d'unité européenne un soutien modulé. Ils voyaient les Etats-Unis imposer aux Européens leur leadership à propos de l'abaissement des barrières douanières, les investissements dans les zones du tiers monde, l'armement atomique, la formation de l'unité politique. C'est la raison pour laquelle ils défendent l'UEP ou la CECA qui encadrent l'Allemagne et le Conseil de l'Europe qui fait intervenir en Europe la Grande-Bretagne, fidèle alliée. Toute institution européenne ayant pour objet d'isoler politiquement l'Europe des influences américaines ou britanniques doit être examinée avec le plus grand soin. Il faut donner la préférences aux ententes économiques européennes parce qu'elles ne peuvent guère prétendre isoler l'Europe du reste du monde, donc des Etats-Unis, en raison des engagements pris au GATT ou dans le cadre du plan Marshall et du Mutual Security Act. Ainsi ces fonctionnaires américains considèrent toujours avec faveur la CED pour les raisons présentées plus haut, mais ils expriment avec une certaine force la crainte qu'en formant une CED les Européens ne gagnent leur véritable indépendance. « If by 'integration' we mean the establishment of independently powerful central, supranational institutions in Europe, we may, in view of Germany's historic role in this century, and in view of potential internal political developments in Germany, Italy et France, find ourselves encouraging developments that are not basically in US interests36 ». Myriam Camps et le Département d'Etat hésitent sur le sens à donner à la CED, CECA et CPE Ces formes d'unité étaient-elles les signes d'une Europe fédérale ? Si elles l'étaient, ils craignaient une dérive des Six vers une indépendance qui n'irait pas forcément dans le sens des intérêts du monde libre, d'où la nécessité de lier intimement les Six aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne. Leur vœux profonds allaient aussi à une gestion des questions économiques du monde libre dans un cadre large. Ils préféraient une coopération économique dans le cadre de l'OECE et de l'OTAN. Dans le fond ces conseillers du Département d'Etat imaginaient le pire d'une Europe à Six fortement organisée. Cette Europe qu'on dit américanisée par le plan Marshall et par l'OTAN fait peur aux Etats-Unis. Quel paradoxe ! Il témoigne à notre sens d'un manque de confiance des Etats-Unis dans leur puissance et aussi d'une surestimation probable du renouveau européen. Peut-être aussi ces fonctionnaires américains étaient-ils impressionnés par les facettes rutilantes des diplomaties européennes, toujours désireuses de défendre l'originalité nationale ou européenne. Pourtant ils en acceptèrent le développement. Ils déplorèrent les échecs de la CED et de la CPE puisqu'aucune de ces institutions n'a prétendu constituer le socle d'une Europe indépendante.

22La méfiance fantasmatique à l'égard de l'unité européenne n'était pas partagée par tous les fonctionnaires du Département d'Etat. On relève l'idée qu'il faut avoir confiance dans les Européens, que l'Europe n'est pas vouée inévitablement à la Troisième Force et au neutralisme, que ces cercles d'unité (les Six, l'OECE, le Conseil de l'Europe) ne sont pas contradictoires avec les intérêts des Etats-Unis, qu'ils sont en accord avec l'idée de Communauté atlantique. Cela n'empêche pas Kaplan d'imaginer une rationalisation institutionnelle de l'ouest à travers trois entités qui seraient égales en théorie au sein de la Communauté atlantique : les États-Unis, la Grande-Bretagne, les Six sans doute "élargis". L'idée d'une Europe forte et indépendante des Etats-Unis n'était pas exclue du cercle des hauts fonctionnaires américains tout à fait conscients que les alliés européens des Etats-Unis ne devaient pas être des marionnettes (supine puppets). Mais cette tendance n'a pas triomphé dans les faits. Mais dans les deux cas (méfiance et confiance), il y a l'idée que rien ne peut être fait hors de la Communauté atlantique. Le dépit de Dulles de l'échec de la CED en août 1954 correspond plus à l'échec d'une solution du problème allemand qu'à un échec de l'unité européenne. L'échec de la CED a entraîné une cassure entre la France et les Etats-Unis. L'Allemagne sera réarmée, déclara Dulles le 31 août. Les Etats-Unis ont sans doute dés lors souhaité remplacer la France partout dans le monde. Ils ne l'ont pas soutenue en Indochine, ni à Suez, ni en Algérie.

Jean Monnet et la CED, un bilan

  • 37 Témoignages à la mémoire de Jean Monnet, Fondation Jean Monnet pour l'Europe, Centre de recherches (...)
  • 38 Philippe Vial, « Jean Monnet, un père pour la CED ? » In René Girault et Gérard Bossuat, Europe br (...)

23La CED fut une grande désillusion pour Jean Monnet dont il semble s'être consolé vite37. « Vous avez tort, mon ami, dit-il à Paul Delouvrier, d'être affligé, la CED était une mauvaise affaire ; la preuve c'est qu'elle a échoué ». On se demande alors pourquoi il ne l'a pas vu plus tôt. Une défense européenne était-elle le bon moyen de faire l'unité de l'Europe ? Á propos des affaires militaires, Monnet dit un jour : « Je ne veux plus en entendre parler, les raisonnements n'y sont pas normaux ». En fait derrière la CED il y avait un projet plus large d'intégration atlantique38. Le projet de CED a-t-il été suffisamment étudié par Monnet ? Etait-il réaliste de concevoir et de proposer aux hommes politiques un projet de type plan Schuman, élargi aux affaires militaires, mais aussi aux questions politiques, voire économiques ? N'y avait-il pas quelque naïveté à le concevoir alors que la France était encore attirés par un directoire du monde atlantique et que la Grande-Bretagne n'était pas disposée à accepter une haute autorité ? Etait-ce au contraire un projet réaliste dans le cadre du réarmement occidental et du réarmement allemand ? Il n'a pas pu rallier facilement les Américains à ce projet d'armée européenne contrairement au plan Schuman. Monnet s'est dégagé de la négociation sur la CED laissant la voie libre à Jules Moch, très opposé à la CED.

  • 39 AMI 25/12/9, cité par E. Roussel, Jean Monnet, Fayard, 1996, p. 677-679.

24L'échec de la CED entraîna la démission de Monnet de son poste de président de la Haute Autorité en novembre 1954. Pour une autre aventure européenne espère-t-il, au cœur de la quelle devra se retrouver nécessairement la France : « Il dépendra de mes compatriotes si l'Europe périra ou bien si nous sommes encore capables de donner à l'Europe et surtout à sa jeunesse ce qu'elle doit attendre et espérer de nous : une Europe libre et unie, composée de nations libres qui par leur contribution individuelles en feront un grand pays heureux et prospère, une patrie à nous tous », écrit-il en octobre 195439.

Les conséquences du rejet de la CED

  • 40 RG 89, Paris Embassy, top secret general Records, 1954, Box 20, Dillon, to S of S. 193, Fe b 16 (1 (...)
  • 41 RG 469, office of European operations, regional organizations staff, subject files 1948-53, Box 18 (...)

25Après le vote négatif du 30 août qu'allaient faire les États-Unis ? Fallait-il s'en tenir aux dispositions menaçantes de Dulles formulées dès le 16 février 1954 : « Si dans les prochains mois la France rejette la CED.. manifestement il sera impossible pour les États-Unis de maintenir la fiction que la France est capable d'exercer un leadership dans les affaires mondiales et européennes. Si la France agit concrètement pour tuer la CED alors qu'il n'y a pas de solution alternative, elle aura démontré son incapacité pour un tel leadership40 ». Ce texte était un écho du fameux « agonizing reappraisal » de Dulles, prononcé à la fin d'une conférence de presse, au Palais de Chaillot en décembre 1953. Mais il nous semble que le ton des dépêches américaines était plus prudent. Ainsi une circulaire du 1er septembre 1954 demande aux postes diplomatiques américains de manifester plus de tristesse que de colère. Il est décidé de battre froid Mendès France plutôt que de l'attaquer nominalement41. Dulles, en signe de mauvaise humeur, évite Paris lors d'un voyage surprise à Bonn puis à Londres. Le résultat fut que les États-Unis ont renforcé leur entente avec la Grande-Bretagne pour les affaires européennes et mondiales, ce qui porta un coup très grave à l'influence de la France dans les affaires atlantiques.

  • 42 740. 00/5 - 756, 7 May 1956, European unity, D of S, Memorandum of conversation, M. Jean Drapier, (...)
  • 43 751. 00/box 3308, 30 March 1955, memorandum of conversation, G. Bidault, T. C. Achilles.
  • 44 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 146, M. François-Poncet, Haut commissaire de la Ré (...)

26Cet échec porta aussi un coup très dur à Mendès France lui-même. Les hésitations de Mendès France dans l'affaire de la CED laissèrent d'énormes traces dont il ne put jamais se défaire. Il fut considéré comme le fossoyeur de la CED par le Mouvement Européen42. Il fut accusé par Georges Bidault de trahison. Ce dernier l'accusa d'avoir passé un accord secret avec les Soviétiques : l'armistice en Indochine contre la mort de la CED43. Dulles croyait aussi que Mendès France était prêt à s'entendre avec les Soviétiques. De Gaulle ne fut peut-être pas aussi insolent que Bidault, mais il a manifesté son opposition résolue à la CED car il craignait que la France soit complètement submergée. Si l'image qu'il donne en matière européenne est mauvaise, il faut l'expliquer par la colère de ses partenaires lors de la conférence de Bruxelles. La passion les a aveuglés. Spaak entre autres a été très dur. La réprobation de Konrad Adenauer envers Mendès France a été très vive. Il a poursuivi publiquement de sa hargne la France et Mendès France. Dans une interview au Times du 4 septembre 1954, le chancelier regrettait de devoir dire que Mendès France voulait détruire la Communauté européenne de défense. Encore le 7 septembre dans un conseil de cabinet, Adenauer a exprimé le souhait d'isoler la France pour ce qu'elle avait fait44. « Le aime du 30 août » devenait un thème courant. La colère a été alimentée par des informations du même genre en provenance du MRP, parti qui ne pardonnait pas à Mendès France son échec. L'échec a réactivé de vieilles fractures en Europe. Le clérical Adenauer ne pardonne pas à Mendès France d'avoir raté la CED. Mais cette colère entraîne évidemment des tensions inacceptables dans les rapports franco-allemands sur lesquels les Libéraux allemands comme les Sociaux-démocrates allemands fondaient les plus grands espoirs de paix en Europe. Une autre conséquence a porté sur les relations de la Sarre avec la France, et sur le processus d'européisation. Le rejet de la CED signifiait le retour aux nationalismes. Malgré tout, le temps passé à négocier cette CED aura permis aux partisans de la méfiance d'apprécier le blocage durant 4 ans du réarmement allemand. Si les Français avaient cédé aux Américains en septembre 1950, la tension en Europe aurait sans doute augmenté du fait du réarmement rapide de l'Allemagne.

  • 45 560 AP61, Discours de René Pleven en 1962 devant l'Europa-Union.
  • 46 Papiers Elgey, entretien avec Stanley Cleveland 26 juillet 1967.

27L'échec de la CED établit une frontière durable entre pro et anti-CED. René Pleven, un témoin et un acteur, pense que l'échec était dû à la sottise de l'histoire parlementaire. Plus profondément elle était le résultat du complexe anti-allemand et du complexe colonial de la France. Il reconnaît aussi que la guerre de Corée a bousculé les décideurs et l'ordre des étapes de l'unité européenne45. La CED n'est donc pas une vraie réponse à l'attente d'unité européenne. On a pris une idée en vogue, le plan Schuman, pour cacher la peur que le réarmement allemand inspirait. Plus grave, l'échec de la CED a mis fin au leadership français en Europe autrefois bâti sur la capacité d'innovation politique de la France46.

Le grand dessein de l'Union de l'Europe occidentale

  • 47 comme le disent Pierre Pflimlin et Raymond Legrand-Lane, L'Europe communautaire, Plon, 1966, p. 11 (...)

28Le rejet de la CED ouvrait la voie à une autre construction européenne, l'Union de l'Europe occidentale (UEO). Etait-ce l'aube d'une Europe réaliste ou d'un ersatz de CED ?47

Les intentions du gouvernement français

  • 48 DDF, 1954,21 juillet-31 décembre, IN, 1987, annexe, p 138, Chartwell, 23 août 1954.

29Le projet d'UEO est venu des Britanniques. Il est sûr que Mendès France a anticipé le vote négatif de l'Assemblée nationale le 30 août pour débroussailler le terrain. « Gouverner c'est prévoir », disait justement Mendès France. Â Bruxelles il a informé ses interlocuteur de l'intention de la France de mettre en vigueur les accords de Bonn sur la souveraineté allemande. C'était un point positif qui est venu de Mendès France. Á Chartwell, chez Churchill le 23 août, au lendemain de la conférence ratée de Bruxelles, mais avant le vote à l'Assemblée nationale, Mendès France évoqua « la possibilité d'arriver après le rejet de la CED, à une sorte de coalition des six pays d'Europe à laquelle se joindrait le Royaume-Uni. Il s'agirait pour reprendre l'expression de sir Winston Churchill de construire une petite boite dans la grande boite OTAN48 ». Mais d'après le compte rendu, la délégation britannique ne relève pas cette suggestion.

  • 49 Œuvres III, p. 412, 24 octobre 1954, allocution radiodiffusée de PMF « France et Allemagne ont bes (...)

30Dans le domaine sensible des relations franco-allemande, contrairement à l'idée que la coopération franco-allemande aurait commencé soit avec Schuman en 1950, soit avec De Gaulle en 1963, observons que Mendès France a désiré cette coopération franco-allemande et qu'il la mise en place à travers l'UEO. Devant le Conseil de l'Europe en septembre, il lance un appel à la coopération franco-allemande « un domaine vital pour l'économie française ». Il ne reste pas au plan des relations bilatérales après l'échec de la CED. Il ouvre aux Allemands la porte du Pacte de Bruxelles. L'intention est de favoriser le développement des deux économies. L'accent est mis sur l'intérêt qu'en retirera l'économie française, capitaux allemands investis en France, vente de produits agricoles français en Allemagne, association des industries des deux pays sur les marchés tiers. Il veut canaliser le dynamisme allemand49.

  • 50 Le parti radical en face des grands problèmes de l'heure, par Pierre Mendès France, 1955, p. 7, Fé (...)

31Pour Pierre Mendès France, l'UEO n'était pas seulement une alliance militaire et politique mais le moyen de « réunir dans un certain mécanisme commun » l'OECE, la CECA et l'UEP. Il a même affirmé que l'aspect militaire de l'UEO n'était pas essentiel, alors que tout le monde pense le contraire aujourd'hui ! Comme le Pacte de Bruxelles dont elle est la suite, l'UEO devait avoir un volet économique, social et culturel. Dans l'esprit de Mendès France la construction européenne occidentale ne pouvait être dissociée d'une vision politique plus large. Il fallait « montrer à l'URSS qu'elle nourrirait de faux espoirs en croyant pouvoir briser la cohésion occidentale50 ».

  • 51 DDF, 1954, p. 763, Garnier, La Haye, à PMF, n° 1163-1176,20 novembre 1954.

32Les intentions de Mendès France étaient de créer une structure traditionnelle de coopération, une Europe des Etats. Mais il a cru avoir satisfait la vieille exigence française de sécurité en faisant participer la Grande-Bretagne aux affaires du continent. La Grande-Bretagne s'associe d'ailleurs à la CECA en décembre 1954, et Monnet soupçonne Mendès France de vouloir « désupranationaliser » la CECA51. Il ne s'agissait pas d'une politique d'intégration européenne mais de sécurité européenne. Les accords multilatéraux interétatiques semblaient répondre au besoin d'unité européenne. La notion d'intégration européenne, celle encore plus intense de fusion des économies, termes que Monnet affectionnait, lui étaient étrangères.

La négociation des accords de Londres et de Paris

  • 52 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 96, M. de Crouy-Chanel, CA de France à Londres, à (...)
  • 53 René Massigli, Une comédie des erreurs. Pion 1978, p. 459.
  • 54 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 139, M. François-Poncet, Haut commissaire de la Ré (...)

33Dès le 24 août, après la rencontre de Chartwell, Crouy-Chanel en poste à Londres fait parvenir à Paris les documents anglais concernant les projets en cas d'échec de la CED52. Massigli explique que rien ne s'est produit depuis le 31 août, « aucune solution de rechange n'avait été étudiée53 ». Mais il était en vacances en Corse et a oublié l'action de Crouy-Chanel. Les Français font tout pour repousser une conférence entre Américains, Anglais et puissances ayant ratifié le traité sur l'Allemagne. La France en serait exclue sûrement. Le 27 août, Bonnet fait savoir que les milieux politiques américains ont déjà enterré la CED. La solution de remplacement a été préparée avant l'échec du 30 août dans un esprit propre à redonner à l'Allemagne sa souveraineté. Toutefois la question est de savoir quelle sera l'importance de son armée. La question de la sécurité de la France se pose toujours. Or Dulles semble encourager l'isolement de la France, en accord avec les Allemands. Il semble que du 31 août au 8 septembre, la diplomatie française n'ait pas agi très vite. Les documents publiés par le Quai d'Orsay montrent que le ministère des Affaires étrangères est dans l'attente d'informations britanniques sur la place de l'Allemagne dans l'OTAN, sur le niveau des forces armées allemandes. Les Anglais se rendent compte que proposer l'entrée de l'Allemagne dans l'OTAN sans contrepartie est impossible. Le parlement français refuserait. « L'idée anglaise, rapporte François-Poncet, serait de transporter à l'intérieur de l'OTAN l'ancienne communauté des six puissances, mais débarrassée de toute superstructure politique supranationale. La Grande-Bretagne accepterait-elle, dans ces conditions d'y adhérer à son tour ?54 »

  • 55 DDF, 1954,21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 150 n° 635, Paris le 8 septembre 1954.
  • 56 René Massigli, Une comédie des erreurs, Plon 1978, p. 460.
  • 57 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 152, M. Massigli ambassadeur de France à Londres, (...)
  • 58 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 250, M. Massigli, ambassadeur de France à Londres, (...)
  • 59 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 160, M. Massigli ambassadeur de France à Londres, (...)
  • 60 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 185, Henri Bonnet à M. Mendès France, MAE, tel 525 (...)

34Il est fait mention pour la première fois dans les archives françaises de l'utilisation du Pacte de Bruxelles pour conduire l'Allemagne à l'OTAN et au réarmement dans une note du service du jurisconsulte du Quai d'Orsay le 8 septembre 195455. Massigli fait état d'une illumination d'Eden entre le 5 et le 8 septembre, à la suite d'une conversation avec MacMillan56. Il fallait évaluer la profondeur du « reappraisal » américain. Des informations contradictoires circulent. L'idée du Pacte de Bruxelles est confirmée à Massigli par Eden le 9 septembre57. Parodi a manifestement saisi l'occasion de préciser la position française, voire de l'élaborer dans ce cadre nouveau à partir des études menées à Paris, mais depuis quand ? Il en saisit directement Massigli avant même de présenter le projet à Mendès France. René Massigli explique un peu plus tard que « le 9 septembre, M. Eden m'en entretenait à l'heure même où, par une coïncidence qui peut paraître incroyable mais qui n'en est pas moins réelle, le Département m'invitait à tâter le secrétaire d'Etat sur un plan analogue58 ». Massigli approuve le projet le 10 septembre, car il sent une évolution dans cette direction des Britanniques. On peut dire que Massigli est enthousiaste, ravi de faire une bonne affaire avec les Britanniques, ravi aussi de piéger les diplomates conservateurs du Foreign Office59. Les principes du projet Eden-MacMillan sont dévoilés à Bonn par Eden et Adenauer le 13 septembre. L'inconnu américain subsiste car Dulles n'a pas été mis au courant du projet Eden. Sa première réaction est de réclamer un lien organique plus fort entre les pays européens et entre la France et l'Allemagne que ce que le Pacte de Bruxelles prévoit60.

  • 61 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, annexes, p. 151.

35Français et Britanniques ont des entretiens les 15 et 16 septembre à Paris. Mendès France demande de créer dans l'OTAN « une subdivision qui serait l'organisation du traité de Bruxelles61 ». Eden sans dire non, plaide pour l'entrée simultanée de l'Allemagne dans l'OTAN et le Pacte de Bruxelles, Mendès France pour une entrée ultérieure dans l'OTAN. Eden insiste sur le fait que si pour la France l'entrée de l'Allemagne dans l'OTAN n'est guère plaisante, la stratégie périphérique dont les Américains menacent les Européens l'est encore moins. L'accord entre Eden et Mendès France est enregistrée le 16 septembre. Mendès France se résigne à laisser entrer la RFA dans l'OTAN sous la pression des Occidentaux. Mais il veut que l'Allemagne appartienne aussi à une organisation européenne capable de la contrôler. L'Angleterre accepte d'entrer dans une organisation moins supranationale que feu la CED.

  • 62 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 193, M. Mendès France aux représentants diplomatiq (...)

36Á la veille de la conférence des sept pays intéressés on note la crainte des Américains et des Néerlandais d'une dissociation par la France de l'entrée de l'Allemagne dans le Pacte de Bruxelles et de son entrée dans l'OTAN62. Ils soupçonnent encore une fois Mendès France de dissimuler sa pensée. Adenauer répond au projet Eden-Mendès France par un aide-mémoire remis le 23 septembre au Haut Commissaire de la République à Bonn. Adenauer insiste davantage sur l'entrée dans l'OTAN que sur le Pacte de Bruxelles. Il évoque aussi la création ultérieure d'une organisation européenne intégrée.

La conférence de Londres des neuf (27 septembre- 3 octobre)

37La conférence de Londres réunit les ministres des affaires étrangères de France, Grande-Bretagne, Canada, Etats-Unis, RFA, Belgique, Italie, Pays-Bas et Luxembourg. Mendès France accepte l'entrée de l'Allemagne dans l'OTAN, mais il insiste sur le Pacte de Bruxelles comme instrument de la construction européenne. Le Pacte aura pour taches d'établir des maxima de production d'armements, de répartir l'aide extérieure, de passer des commandes aux industries européennes, de contrôler la production d'armement, disposition nécessaire à l'opinion française pour accepter l'Allemagne. La conférence déclare la fin du régime d'occupation en Allemagne. Mendès France accepte donc la restauration de la souveraineté allemande comme il l'avait annoncé à Adenauer. Il présente le projet français de pool des armements qui suscite la critique de Spaak et de Beyen apparemment peu disposés à accepter cette Agence. Ils craignent une intervention pointilleuse de l'agence, alors que Mendès France veut qu'elle définisse des seuils de production, des types d'armements et qu'elle passe commande pour l'Union. Dulles et Eden déclarent enfin soutenir les efforts d'unité faits par les pays européens. Mendès France attendait avec impatience cet engagement qui a été reçu avec enthousiasme.

  • 63 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 241, A. Bérard, haut commissaire adjoint de la Rép (...)
  • 64 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 251, M. Mendès France, MAE aux représentants diplo (...)

38La conférence de Londres aura permis aux Allemands de disposer en principe d'une armée de 500.000 hommes et d'une aviation de 1 000 appareils, de mettre fin à l'occupation et de faire entrer l'Allemagne dans l'OTAN. Mendès France est alors subitement devenu l'ami de l'Allemagne63. La Grande-Bretagne a accepté de s'engager sur le continent ; œuvre du plus européen des ministres britanniques, Harold MacMillan qui ne croyait pas à la CED. Mendès France a cru que les Accords de Londres donneraient à la Grande-Bretagne une place équivalente à celle de ses partenaires continentaux dans l'Europe des Sept ; égalité de droits signifiait égalité de devoirs. Bien sûr le Pacte de Bruxelles élargi assure le contrôle de l'Allemagne puisque lui seul fixe le volume des forces allemandes. Mais surtout, insiste Mendès France, « les sept puissances du traité de Bruxelles instituent une agence chargée du contrôle des armements », dont les pouvoirs seront étendus à la production et à la standardisation des armes64. L'agence représente un apport original de Mendès France à la politique d'unité européenne.

Les réunions de Paris des 20-22 octobre 1954

39Les réunions de Paris de fin octobre sont constituées d'une conférence des ministres des Affaires étrangères de France, Grande-Bretagne, Etats-Unis, Canada, RFA, Belgique, Italie, Pays-Bas et Luxembourg, mais aussi d'une réunion des quatre ministres des Affaires étrangères de France, Grande-Bretagne, Etats-Unis et RFA le 20 octobre sur la question allemande. Elle est suivie d'une réunion du Conseil atlantique le 22 octobre.

40Ces réunions aboutissent à la fin du régime d'occupation en Allemagne et à la création de l'Union de l'Europe occidentale, nouveau nom de l'organisation du Pacte de Bruxelles. Les gouvernements occidentaux repoussent la thèse allemande d'accords contractuels de stationnement des troupes. Ils auraient nié l'existence du droit découlant des accords quadripartites entre alliés de la seconde guerre à propos de l'Allemagne et mécontenté gravement l'URSS. Les droits antérieurs des alliés sont maintenus en ce qui concerne leurs responsabilités internationales sur l'Allemagne dans son ensemble et sur Berlin. Le stationnement des troupes alliés est décidé avec le consentement de Bonn. Il s'agit de conserver les droits acquis en 1945 de façon à maintenir à propos de l'Allemagne le cadre des 4 vainqueurs de 1945, et ne pas laisser en face-à-face l'Allemagne et l'URSS. Le Conseil de l'Union de l'Europe occidentale a des pouvoirs de décision. Une agence de contrôle des armements est créée. Un rapport doit être présenté au Conseil de l'UEO le 17 janvier 1955.

  • 65 PPF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 272, M. Massigli, ambassadeur de France à Londres, (...)
  • 66 PPF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 362, M. Valéry, Coopération européenne, DAE du MAE (...)

41Le succès des deux conférences a manifestement poussé les « sureuropéens », comme les appelle Massigli, à parler d'une Europe fédérale. Ils espéraient sans doute reprendre le rythme de la construction brisé par le vote du 30 août. Spaak a tenté de faire voter les Sept de l'UEO à la majorité. André Philip a cherché, comme d'autres pro-européens, à convaincre Massigli de définir une UEO supranationale. La question d'une relance était donc à l'ordre du jour dès octobre 1954. Monnet en profite pour pousser son avantage au profit de la Haute Autorité dans la négociation d'adhésion de la Grande-Bretagne à la CECA. Au cours des négociations, Monnet demande à négocier avec des représentants du gouvernement britannique et non pas avec les représentants de l'industrie de l'acier. Il requiert un statut diplomatique d'ambassadeur pour le représentant à Londres de la CECA, une demande incroyable relève René Massigli65. De tels actes sont de nature à effrayer les Britanniques. Mendès France a soutenu son ambassadeur. Il écrit à Pierre Uri, un proche collaborateur de Monnet : « En évitant enfin de mettre par trop l'accent sur les problèmes d'optique ou même de philosophie politique, il sera possible de dégager une forme d'association susceptible de recueillir l'accord de tous les gouvernements intéressés66 ».

Le début de la coopération franco-allemande

42Dans la nouvelle ambiance européenne et internationale créée par les Accords de Londres et de Paris, existait-il une réelle possibilité de concevoir une coopération franco-allemande, comme le demandait Pierre Mendès France, en vue de développer une coopération européenne ?

  • 67 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 290, note du Département sur le résultat des entre (...)
  • 68 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 298, Le ministère des Affaires étrangères aux repr (...)

43La coopération franco-allemande est obérée par le problème sarrois. Adenauer et Mendès France, en dépit des orages qui ont éclaté en août, ont discuté du problème sarrois le 19 octobre à La Celle Saint-Cloud en marge de la conférence de Paris sur l'UEO. Il ont décidé que la Sarre pourrait être régie par un statut européen. Le commissaire européen sera responsable devant l'UEO. Le statut sera soumis à référendum et, s'il est approuvé, valable jusqu'au traité de paix. Pour les Français l'accord était avantageux en terme économique puisque l'Union économique franco-sarroise subsistait67. Les Sarrois deviendraient gestionnaires de leurs mines. France et Allemagne préconisent enfin le transfert de la CECA à Sarrebruck. Un accord franco-allemand sur la Sarre est signé le 23 octobre68. Au delà de la lettre de l'accord, il apparaît que Français et Allemands ne sont guère d'accord. Les Allemands prétendent toujours que la Sarre fait partie du territoire allemand de 1937. Ils réduisent considérablement le caractère européen du statut. Ils attaquent l'Union économique et douanière franco-sarroise. Mendès France proteste officiellement à Bonn, mais aussi à Londres et Washington le 1er décembre. La réponse française fut violente au point que les Allemands estimaient qu'une crise était ouverte.

  • 69 DGA, 034-19/ 1100102032, carton 485, MAE, DAEF, très secret, 11 octobre 1954, note pour le colonel (...)
  • 70 SHAA, E 2905, HCRFA, OMS, élément français, n° 4088, Coblence le 27 novembre 1954, note d'informat (...)
  • 71 DGA, 1100102032, Carton 483, Délégation permanente de la France auprès de l'OTAN, section de la pr (...)
  • 72 Europe 1944-1960, Allemagne 208, Microfilm P. 6901, HCRFA, OMS, élément français, n° 4088 Coblence (...)

44Toutefois le 11 octobre 1954, André François-Poncet, haut commissaire à Bonn, indiquait qu'Adenauer encouragerait le « développement d'une collaboration économique et d'une association d'intérêts entre les entreprises françaises et allemandes.. » dans l'aéronautique69. Les entretiens de La Celle Saint-Cloud établirent le principe d'une grande coopération économique et culturelle franco-allemande. Les milieux politiques allemands souhaitaient coopérer avec les Français pour lancer la nouvelle armée allemande70. Ils discutaient cette éventualité en se fondant sur des arguments stratégiques. La faible profondeur du territoire allemand militait pour l'installation d'industries d'armement en France du sud et en Afrique du Nord. Le député allemand Semmler avait envisagé le développement d'une coopération industrielle franco-allemande dans les ZOIA imaginées par Eirik Labonne aux confins sahariens, à Colomb-Béchar. De là à rêver à la construction d'un complexe industriel d'armements, il n'y avait qu'un pas qui fut franchi. « Un projet de création d'une usine franco-allemande en Afrique du Nord avait été établi, il y a deux ans, en accord avec des techniciens allemands » entendait-on dans les couloirs de l'OTAN en octobre 195471. D'un autre côté une coopération avec les Américains n'était pas exclue en raison des relations étroites de certains groupes allemands avec les Américains72.

  • 73 Europe 1944-1960, Allemagne 208, Microfilm P. 6901, DAEF, 13 octobre 1954, très secret, note, a/s  (...)
  • 74 Konrad Adenauer, Mémoires, tome 3,1956-63, Hachette, p. 89.
  • 75 DDF 1954, I, PMF à A. Bérard, haut commissaire adjoint de la République française en Allemagne, te (...)
  • 76 Europe 1944-1960, Allemagne 208, Microfilm P. 6901, A. François-Poncet à MAE A. Pinay, Bonn, 13 ma (...)
  • 77 Un financement off-shore signifie que des crédits gouvernementaux américains sont affectés à des f (...)
  • 78 Europe 1944-1960, Allemagne 208, Microfilm P. 6901, Bonn le 27 juin 1955, A. François-Poncet à SE (...)

45Les Français préparèrent sérieusement les conditions d'une coopération franco-allemande dans le domaine de la production d'armements dès octobre 1954, i. e. dès la signature des accords de Londres et de Paris73. Il s'agissait de réfléchir, à la demande de Mendès France, à la forme de l'Agence d'armements de l'UEO. Adenauer considère avec raison que les Français étaient demandeurs74. Mais il oublie de dire que Mendès France s'était converti à l'idée d'une entente avec l'Allemagne, au plus grand avantage de la RFA, après la conférence de la Celle- Saint-Cloud du 19 octobre 1954. Mendès France qui avait recherché cette coopération exprime trop rapidement sans doute une frustration : « Un autre point sur lequel je suis grandement déçu concerne le développement de nos projets d'ordre économique » écrit-il à l'ambassadeur Armand Bérard le 10 novembre75. Mais elle témoigne d'une impatience intéressante pour l'historien. Mendès France voulait cette coopération. Reste à savoir s'il s'agit de coopération économique uniquement. Or la préoccupations essentielle à l'époque de Mendès France est la Sarre, sur laquelle Adenauer et l'opinion allemande manifestent des regrets. Les accords franco-allemands sur les exportations de sucre, de blé et la canalisation de la Moselle tardent. Cette coopération, vue de Paris, est une excellente occasion de vendre des armes françaises à l'Allemagne. Les Français invitent les experts allemands à assister à une présentation d'armes à Satory du 22 au 27 novembre 1954. Ils cherchent à l'évidence à éviter un accord anglo-américain pour la fourniture d'armes à l'Allemagne. Â la suite de cette visite, l'industrie d'armements et la DEFA reçurent commande d'échantillons de matériels français (AMX 13, chenillettes Hotchkiss). Morane pensait pouvoir placer son avion d'entraînement MS 73376. Dans le domaine rémunérateur et prestigieux des intercepteurs, l'industrie française subissait la concurrence du Hawker-Hunter britannique, financé en off-shore par les Etats-Unis77. Certains responsables allemands auraient préféré pour le démarrage de la force d'interception de la RFA, les Mystère IV ou des Super-Mystère IV Bl de Dassault78.

  • 79 DDF, 1955, 1, 1 janvier-30 juin 1955, IN, 1987, annexe 1, p. 231 compte rendu de la conversation e (...)

46La rencontre Adenauer-Mendès France de Baden le 14 janvier 1955 couronna les efforts de coopération franco-allemande. L'initiative vient-elle plus de la RFA que de la France ? Difficile de répondre ! Toutefois la préparation de cette rencontre souffre d'abord de la crise franco-allemande sur la Sarre. La rencontre entre Adenauer et Mendès France a tempéré les difficultés. Adenauer reconnut que Mendès n'était pas à l'origine du lien entre la Sarre et la question européenne. Mendès réclama la confiance envers la France : « Nous voudrions que l'on cesse de penser en Allemagne que derrière toute initiative française se cache de la malveillance à votre égard79 ». Cette rencontre normalisait les relations franco-allemandes au niveau des chefs de gouvernement. En revanche la tension persistait entre les opinions publiques, car la presse allemande restait rancunière après le rejet de la CED. La question sarroise n'était pas vraiment résolue. Les deux pays poursuivaient en effet des fins opposées à travers les accords du 23 octobre. Mendès France aura été cependant le second accoucheur de l'entente franco-allemande. D'autres sauront plus tard tirer le marrons du feu en terme de symbolique politique et de communication publique, et s'en attribuer les mérites.

L'échec de l'Agence d'armements de l'UEO

  • 80 DDF, 1955, 1,1 janvier-30 juin 1955, IN, 1987, n° 2, note de la direction Europe, conférence de Ro (...)
  • 81 DDF, 1955, 1,1 janvier-30 juin 1955, IN, 1987, annexe 1955, tome 1, p. 242.
  • 82 DDF, 1955, 1, 1 janvier-30 juin 1955, IN, 1987, n° 62, M. Garnier, ambassadeur de France à La Haye (...)
  • 83 DDF, 1955, 1, 1 janvier-30 juin 1955, IN, 1987, n° 127, M. Coignard, Commissaire français à l'OMS, (...)
  • 84 DDF, 1955, 1, 1 janvier-30 juin 1955, IN, 1987, n° 163, M. Rivière, ambassadeur de France à Bruxel (...)

47Les Français portent presque seuls la question de l'Agence d'armements. Ils comptent offrir aux Italiens la présidence de l'Agence80. Ils font connaître leurs propositions dans un mémorandum sur la standardisation et la production des armements81. Il s'agirait d'un véritable encadrement de la production d'armes, pesant à la fois sur l'Allemagne, ce qui était le but recherché mais aussi sur la France. « Il serait donc interdit aux pays membres de fabriquer des armements autres que ceux prévus dans les programmes de l'agence », sous réserve des armements destinés à l'exportation et aux forces non OTAN. Le vote se ferait à la majorité des deux tiers. L'objectif de l'Agence est donc extrêmement contraignant et d'essence fédérale. Il y a là de quoi satisfaire les tenants de la supranationalité, dans un domaine restreint, mais fondamental. Mendès France pouvait espérer réunir dans ce mécanisme la Grande-Bretagne aux six autres pays. C'était une grande première. Mais la Grande-Bretagne avait accepté l'UEO avec l'Agence des armements, sans qu'il y ait eu accord préalable sur la nature des pouvoirs de cette Agence. Il faut même voir dans le projet français une véritable innovation puisqu'il s'agissait en somme de créer une Haute Autorité de l'armement, de type Haute Autorité de la CECA. Or paradoxalement les Pays-Bas repoussèrent le mémorandum français, très « fédéral » pourtant. Beyen craignait la prépondérance industrielle franco-allemande. L'influence d'Erhard, le ministre de l'Economie, se faisait sentir dans le sens du libéralisme82. Le projet français était ressenti comme un projet de cartel industriel contrôlé par les Etats, alors même qu'il offrait des perspectives institutionnelles très ouvertes. Les thèses britanniques allaient dans le sens d'une organisation réaliste et souple83. Les conversations commencèrent en janvier 1955 pour se bloquer immédiatement. La « doctrine » britannique suffit à expliquer les lenteurs. Le climat difficile des relations franco-allemandes à propos de l'interprétation des accords sur la Sarre contribue aussi à l'enlisement. À cela s'ajoutent les conceptions libérales d'Erhard. Enfin nous pensons que le départ de Pierre Mendès France, seul et véritable promoteur de l'Agence, somme toute supranationale dans le domaine du contrôle et du développement des armements a été la cause de l'échec. Enfin il faut considérer que Monnet et Spaak ont travaillé dans l'ombre à une relance sectorielle au début de l'année 1955. L'attitude peu coopérative de Spaak et de Beyen sur l'Agence s'explique par l'espoir qu'ils avaient de faire une vraie relance à Six, du moins de leur point de vue. Le Quai d'Orsay sait d'ailleurs fin mars 1955 que quelque chose se prépare du côté de Monnet84

  • 85 DGA, 034-19/1100102032, carton 485, note succincte sur les rapports franco-allemands dans le domai (...)
  • 86 Europe 1944-1960, Allemagne 208, Microfilm P. 6901, François-Poncet, n° 1838, Bonn, 13 mai 1955 ; (...)
  • 87 Europe 1944-1960, Allemagne 857, Coignard, HCRFA, OMS, élément français, n° 505/HC/OMS/COMM, Coble (...)

48L'administration française est intéressée par une coopération franco-allemande comme base d'une industrie aéronautique européenne, pour des raisons techniques mais aussi pour éviter une concurrence ruineuse à l'industrie Française85. Par sécurité il convient de coopérer. Or les décisions tardent et André François-Poncet tance le gouvernement : « Si nous ne nous pressons pas pour définir les bases d'une collaboration militaire franco-allemande, nous serons forclos. D'autres auront pris la place. Tarde venientibus ossa86 ». Les Britanniques refusent évidement toute formule contraignante. La délégation allemande se cale sur les positions anglaises, plus que sur la position française, volontariste, approuvée par l'Italie. Le Bénélux est entre les deux. Les Français définissent une Agence des Armements pour réaliser des études et faire des recommandations de fabrications. Les applications seraient laissées à l'appréciation de chacun ou à un groupement plus étroit décidé à coopérer87. L'UEO crée le 7 mai 1955 un advisory standing Armaments Committee pour promouvoir la standardisation et la production en coopération d'armements. Mendès France attendait beaucoup plus d'une telle Agence. L'essentiel en aurait été le triangle franco-anglo-allemand. Il fut déçu.

  • 88 Gérard Bossuat, « Armements et relations franco-allemandes, 1945-1963 », in Histoire de l'armement (...)
  • 89 SHAA, E 2905, fiche n° 2, jointe à la note n° 199/DN/SE/EMOP/ARM/TS du 21 juin 1955, entretiens.
  • 90 Europe 1944-1960, Allemagne 208, Microfilm P. G901, 30 juin 1955, Europe, sous direction d'Europe (...)
  • 91 SHAA, E 2905, fiche n° 3, jointe à la note n° 199 DN/SE/EMP/ARM/TS du 21 juin 1955, propositions ; (...)
  • 92 SHAA, E 2905, SE DN et FA, Etat-Major particulier, exemplaire. 16/25, 11 juin 1955, coopération mi (...)
  • 93 Revue d'histoire diplomatique, Eckart Conze, « La coopération franco-germano-italienne dans le dom (...)
  • 94 B 43695, cr. entretiens franco-allemands de Bonn, 30 avril 1955, coopération industrielle.
  • 95 Loi-programme, 1952-57, de juin 1952, d'après Jacques Bariéty, « la décision de réarmer l'Allemagn (...)
  • 96 SHAA, E 2905, SE DN et FA, ex. 16/25, 11 juin 1955, coopération militaire franco-allemande, sugges (...)
  • 97 SHAA, E 2905, 9 juin 195S, sans doute du SE DN et FA, le problème de la coopération militaire fran (...)

49Á défaut il restait la coopération bilatérale franco-allemande88. L'année 1955 fut placée sous le signe de l'ambiguïté, reflet sans aucun doute des hésitations sur l'Agence, des contraintes et pressions extérieures sur l'Allemagne, de l'affaire sarroise. Le comportement de Theodor Blank nouveau ministre de la Défense de la RFA fut d'abord très encourageant. La visite de Blank du 14 au 16 juin 1955 marquait une volonté de coopération avec la France. Blank demanda d'ailleurs la plus grande discrétion sur ses conversations. Il fit des remarques favorables sur les matériels français. Etait-ce pure diplomatie ?89 Du côté français, la visite de Blank avait été préparée avec soin. Le Quai d'Orsay parlait de créer « de véritables centres franco-allemands » et de mettre en train « des fabrications communes et complémentaires afin d'établir entre les deux pays une coopération à long terme » dans le cadre du Comité des Armements et de l'UEO90. Cette disposition d'esprit se retrouvait à la Défense Nationale, prête à amorcer une coopération par cession de licences et en s'appuyant sur l'existence des équipes allemandes présentes en France depuis 1945 : « Certains de nos laboratoires et établissements très importants bénéficient du concours de savants et techniciens allemands très confirmés91 ». Un grand programme de coopération franco-allemande fut rédigé : études et fabrication de sous-marins, radars, artillerie, moteurs, blindés et engins spéciaux. Echange réciproque de techniciens92. Dès 1955, les Allemands sont approchés par les Français pour la construction d'une usine de séparation isotopique93. Lors des négociations commerciales franco-allemandes d'avril 1955 la partie française (Jurgensen) offre aux Allemands de créer avec la France et la Belgique une usine de séparation isotopique dans un cadre civil94. Mais on en connaît aussi les usages militaires éventuels. Cela n'est pas étonnant puisque le CEA a été chargé par le gouvernement de gérer le programme nucléaire civil officiel et le programme militaire secret depuis 195295. Ces projets de « mise en commun des besoins et des ressources » et « d'interdépendance des deux pays » étaient-ils destinés simplement à mettre Blank en confiance ?96 Le contexte n'exclut pas l'intérêt à court terme (vendre). Mais les motivations de cette coopération sont complexes. Les Français la désirent en raison des coûts élevés de la recherche et de l'industrialisation des programmes modernes d'armements. Ils la désirent encore pour créer une inter-opérabilité des missions françaises et allemandes pour la défense de l'Europe. En coopérant ils empêchent l'Allemagne de s'acoquiner à nouveau avec l'est ou avec d'autres : « L'Allemagne de l'ouest représente en puissance un potentiel militaire, technique et industriel de tout premier plan. Ce potentiel est disponible et comme tel vivement sollicité. Si nous ne cherchons pas à l'attirer à nous, il ira à d'autres et nous serons condamnés à la fois à l'isolement et à l'impuissance. Qu'on le veuille ou non, la coopération apparaît donc comme une nécessité vitale »97. On voit donc tout ce qu'a de contrainte et d'intéressée cette coopération franco-allemande, et pourtant elle développe une dynamique de paix entre les deux pays.

La viabilité des décisions de Londres et de Paris

  • 98 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 401, tel 717, 30 novembre 1954, M. Rivière, ambass (...)
  • 99 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 369, La Haye, 20 novembre 1954, tel 1163-1176, M. (...)
  • 100 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, tel 1270-1278, 7 décembre 1954, ambassadeur français (...)

50Quels sont les problèmes que posent les négociations de Londres et de Paris ? Tout d'abord, ils ont ouvert aux Fédéralistes un espoir. Pourtant ils savaient très bien que ces accords n'étaient pas supranationaux. Mais ils les ont utilisés pour leurs objectifs fédéralistes. La Grande-Bretagne avait adhéré à une construction européenne, l'UEO. Ils espéraient l'amener à s'insérer dans l'Europe supranationale. De plus de nombreux témoignages montrent que Monnet n'avait nullement renoncé à relancer l'Europe, malgré l'échec de la CED. Sa démission de son poste de président de la Haute Autorité, annoncée en novembre 1954, répondait à cet objectif. Spaak évoque devant l'ambassadeur de France à Bruxelles la relance de l'Europe supranationale au niveau économique, avec comme but un marché commun dès novembre 1954. Il parle déjà de deux nouvelles formes d'intégration sectorielle, l'énergie électrique et les transports98. Rapidement il est apparu que les Français ont sous-estimé le désintérêt de leurs partenaires pour l'Agence des armements. Les Hollandais n'y croient pas et ils le disent dès novembre99. Spaak semble plus favorable mais il désire avoir des précisions. Beyen déplore la passivité des Anglais dans l'UEO. Il a tiré un trait sur l'UEO100.

  • 101 751. 00/1-655, Dillon to S. of S.; n° 2840, January 6,4 p. m. 6 janvier 1955.

51Les Accords de Paris furent ratifiés le 30 décembre 1954 par l'Assemblée nationale française. Ce n'était pas l'acte de foi européen que les fédéralistes escomptaient, cependant la liquidation du passé ouvrait des perspectives de relance européenne. Mendès France ne négligea pas de s'appuyer sur les Etats-Unis puisqu'il demanda à Dillon de l'appuyer avant le vote devant le Conseil de la République. Il lui demanda confirmation que les États-Unis maintiendraient des troupes en Europe. Il pria aussi les États-Unis d'exercer leur influence sur Adenauer pour qu'aucune polémique ne s'élève à propos de la Sarre durant la ratification. Mendès fit connaître évidemment l'importance qu'il attachait au pool d'armement pour lequel il désirait une aide militaire américaine101. On ne peut pas dire qu'il ait été suivi par les autorités américaines. Comment interpréter enfin la façon dont l'Assemblée nationale française a voté ? En première lecture, l'article sur le réarmement de l'Allemagne avait été repoussé par 280 voix contre 259. En final, les résultats positifs du scrutin, 287 voix contre 260 et 74 abstentions, ont été accueillis dans un silence de mort, tandis que les communistes, peu après, se déchaînaient. Résignation qui en dit long sur les difficultés françaises à reconnaître à l'Allemagne l'égalité des droits. Le MRP, le parti des Européens, avait voté contre, comme la moitié des socialistes avait voté contre la CED en août. Comment expliquer cette position du MRP, le parti de Schuman, l'ami de Konrad Adenauer ? On pouvait douter de la pérennité de tels accords et de la solidité de l'entente économique franco-allemande.

Conclusion

  • 102 Le Devoir, Montréal P. Mendès France, « Deux projets nés 15 ans trop tôt » ; agence Laure Forestie (...)

52La solution de l'UEO, solution inventée par les Anglais, désirée par Mendès France est-elle une solution d'avenir pour l'Europe ? Les Accords de Londres et de Paris ouvrent sur le moment des perspectives très intéressantes. L'Angleterre fait désormais partie de l'Europe. On dit que Churchill, devant qui on mettait sous les yeux les textes de ses discours sur l'Europe des années 1946-48, aurait dit : « Suis-je vraiment allé si loin ? » La Grande-Bretagne rassurait les continentaux. La perspective d'une Agence des armements était très intéressante pour les Français en termes politiques, d'intégration, de sécurité, et économiques. Cette Agence pouvait avoir un rôle d'intégration de type fédéral. Mais les Anglais accepteraient-ils ce jeu de la supranationalité officieuse ? La réponse fut négative. La portée de ces textes était énorme pour les relations franco-allemandes. Une coopération économique franco-allemande avait été dessinée par Mendès France. Or très rapidement le conflit franco-sarrois, théoriquement résolu, empoisonnait l'atmosphère. Rien n'était réglé. Les « sureuropéens » n'avaient pas digéré le « crime » du 30 août. Ils attendaient, tapis dans l'ombre, 1' échec de l'UEO. Ne faisaient-ils pas d'ailleurs en sous main le maximum pour la ruiner, en dénigrant l'Agence des armements, cœur de l'unité à Sept ? La nouvelle Europe telle que Mendès France l'avait créée était-elle un modèle valable pour unir les Européens ? Sans doute pas puisque les fédéralistes déçus et passionnés voulurent en minimiser l'importance et que la Grande-Bretagne se garda bien d'aller au delà des premiers engagements. L'affaire de la CED fit tomber Mendès France et lui porta indûment un coup très dur pur la suite de sa carrière. Le succès de l'UEO ne corrigea jamais l'échec de la CED. La majorité qui l'abattit en février 1955 était constituée des nostalgiques de la CED, appuyés par les communistes pour d'autres raisons. Dans quelle mesure aussi le souvenir de ces déboires n'influa-t-il pas sur le vote de Mendès France contre les traités de Rome ? Dans quelle mesure ne fut-il pas à l'origine de l'image d'un Mendès France anti européen, ce qui n'est pas vrai ?. La libération des échanges fut décidée fin décembre 1954 dans le cadre de l'OECE et non pas à l'UEO. Il n'y a pas eu de négociations agricoles ni d'harmonisation sociale. Les résistances britanniques à aller sur le terrain économique ruinèrent la tentative de donner du corps à l'UEO. L'UEO reste l'organisation ayant permis à l'Allemagne de se réarmer et d'entrer dans l'OTAN. « On a laissé s'endormir l'UEO » écrivait-il en 1970. « L'UEO avait été créée pour unir les Six de la petite Europe et la Grande-Bretagne en vue d'une coopération qui devait s'étendre aux domaines économique, monétaire, commercial, agricole.. » ajoute-t-il102. Sa critique portait contre le gouvernement et le président de la République du moment, mais l'UEO n'avait pas fonctionné selon les vœux de Mendès France. Il est responsable au moins d'avoir cru la Grande-Bretagne capable d'accepter la logique unitaire des organisations européennes. Il s'est trompé. Si l'UEO n'a pas réglé la question de l'unité des Européens, elle a résolu valablement la question de la sécurité de la France par rapport à l'Allemagne, puisque elle a servi passivement de sas à l'entrée de l'Allemagne dans l'OTAN et par le développement d'une coopération franco-allemande dans le domaine des armements. Les Accords de Londres et de Paris ont été un moment de prise de conscience et probablement d'évolution décisive des esprits des parlementaires français. Avant les Accords ils étaient hostiles, violemment hostiles, au réarmement de l'Allemagne. Les Accords brillamment négociés par Eden et Mendès France ont familiarisé les esprits en France à l'idée que l'Allemagne devait prendre sa part à la défense européenne. Seul Mendès France croyait à l'UEO comme moyen de résoudre intelligemment la question de l'unité de l'Europe occidentale autour d'une Agence des armements.

  • 103 publié par Plon en 1957.

53La politique de construction européenne de la France dans les années 1949-1955 est guidée par deux soucis. Le premier est d'assurer le relèvement national, le second, intimement lié au précédent, de se préserver de l'Allemagne et d'assurer la sécurité militaire et économique de la France. La création de la CED aurait signifier davantage de sécurité pour la France par rapport à l'Allemagne. Mais en fait un autre facteur est intervenu, la perte de souveraineté à travers la supranationalité. Ce facteur, au cœur du projet Schuman, n'avait pas été absent du projet d'OECE première manière, mais dans les deux cas il était limité au domaine économique ou à l'acier et au charbon. L'élargir au domaine militaire et politique n'a pas été accepté par la société française. Une Europe fédérale politique et militaire était ressentie comme une déchéance et une menace. Cette perception traumatisante vient du fond de l'esprit public, du sentiment national blessé. Les années d'après guerre ont été présentées comme des années de réparation de l'incapacité nationale de l'entre-deux-guerres. Même les « sureuropéens » intègrent cette donnée car ils espèrent que l'Europe sera subtilement influencée ou dirigée par la France. L'échec de la CED et de l'APE correspond à un épisode de frustration nationale qui conduit à repousser les constructions européennes supranationales. C'est le moment où les Etats-Unis et la Grande-Bretagne exercent une direction ferme de l'OTAN, sans tenir compte de la France, au nom de la guerre froide. C'est surtout pour la France, le moment où elle subit un revers, puis une défaite sur les champs de bataille en Indochine. De plus la situation se détériore rapidement en Tunisie et au Maroc. Se réfugier dans une Europe fédérale, n'était-ce pas abandonner à d'autres le destin de l'Union française ? N'était-ce pas capituler diplomatiquement, comme on capitulait en Indochine ? Il est significatif que le discours dominant magnifiait le destin outre-mer de la France. François Mitterrand, ministre de l'intérieur de Mendès France, écrit quelques années plus tard, en 1957, Présence française et abandon où il défend l'Union Française modernisée, heureuse et fraternelle103. Mendès France ne raisonnait pas autrement. Le projet d'UEO était un vrai projet d'unité européenne, d'Union des Etats, avec en toile de fond, une grande idée, donner un rôle à l'Europe dans les relations internationales et une idée subséquente, rendre la guerre impossible en Europe. Mendès France inventa l'Agence d'armement qui aurait véritablement fusionner les industries clefs de l'Europe. Une telle idée nous parait plus réaliste que celles issues de l'assemblée Ad hoc. Cette période 1949-1955 se termine par une tentative de créer l'Europe du possible à travers l'UEO, en réponse à l'Europe du rêve du plan Schuman et à l'Europe de l'urgence de la CED et de l'APE.

Notes

1 CE 70, OW 18 juin 1953, CE, note pour le Président a/s la France et l'OECE.

2 Exposé des motifs du projet de loi n° 9034,29 juillet 1954 in Œuvres complètes, III p. 768.

3 Jean Monnet, Mémoires, tome 1, p. 590, Livre de Poche, Fayard, 1976.

4 RG 84, Paris embassy, top secret general records, 1954, Box 25, Dillon to Livingstone Merchant, Assistant secretary for European Affairs, July 1, 1954.

5 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 39, p. 91, M. Mendès France, MAE, aux représentants diplomatiques de France à Bonn, Rome, Bruxelles, La Haye, Luxembourg, Paris le 5 août 1954 ?

6 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 44 Bote du secrétaire d'Etat aux AE„ aménagement de la CED, Paris le 6 août 1954.

7 J. F. Dulles correspondance series, Library of Congress, reel 6, memorandum of conversation, august 18, 1954, Dulles-André Meyer.

8 RG 89, Paris Embassy, top secret general Records, 1954, Box 20, Dillon, to S. of S. August 24 1954, 747, 10 p.

9 Œuvres completes, T. 3, Gouverner c'est choisir, 1954-1955, Gallimard, 1986, p. 256.

10 Œuvres, T. 3, op. cit., p. 419, allocution radiodiffusée, 30 octobre 1954.

11 Œuvres, T. 3, op. cit., p. 431, G novembre 1954, Lille.

12 Jean Delmas, « La perception de la puissance militaire française en France en 1954-1958 », colloque de Florence, septembre 1987, dactylog.

13 Dominique Mongin, « Forces armées et genèse de l'armement nucléaire français », Relations internationales n° 59 automne 1989 pp. 301-315.

14 Georges-Henri Soutou, « La politique nucléaire de Pierre Mendès France », Relations internationales n° 59, automne 1989, p. 330.

15 La relance européenne et les traités de Rome, Actes du colloque de Rome, 25-28 mars 1987, sous la direction d'Enrico Serra, volume 5, Bruylant/ Bruxelles. Chiffré/ Milano. LGDJ/ Paris. Nomos Verlag/ Baden-Baden, 1989, p. 162.

16 DPF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 63, M. Mendès France à M. Henri Bonnet, ambassadeur de France à Washington, tel n° 10795-10807, le 13 août 1954.

17 PDF, 1954, annexes, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, Comptes rendus des réunions tenues le 19 août 1954, p. 47.

18 560 AP 61, Discours de René Pleven en 1962 devant l'Europa-Union.

19 Papiers Elgey, entretien avec Thierry de Clermont-Tonnerre, 15 novembre 1965.

20 DDF, 1954,21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 69, M. François-Poncet, Haut commissaire de la République Française en Allemagne à M. Mendès France, MAE, Bonn, le 16 août 1954, 20h 30, tel 3917-3924.

21 DDF, 1954,21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 76, M. François-Poncet, Haut commissaire de la République française en Allemagne à M. Mendès France, MAE, Bonn, le 17 août 1954, tel 3939-3947.

22 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 70, Henri Bonnet à P. Mendès France, MAE, Washington, 16 août 1954, 9h 50 tel 4785-4800.

23 René Massigli, Une comédie des erreurs, Plon 1978, p. 446.

24 DDF, 1954, 21 juillet, 31 décembre, IN, 1987, n° 83, M. François-Poncet, Haut commissaire de la R. F. en Allemagne à M. Mendès France, MAE, Bonn, le 20 août 1954, tel 3971 - 3973.

25 DDF, 1954,21 juillet-31 décembre, IN, 1987, annexes p. 64 et 113 annexe 2.

26 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 92, M. Mendès France à M. Henri Bonnet, ambassadeur de France à Washington, tel 11219-11222,24 août 1954.

27 d'après P-H Teitgen, Faites entier le témoin suivant, 1940-1958, de la résistance à la Ve République, Ouest-France, 1988, p. 512. Teitgen est un opposant notoire à Mendès France. Il a largement contribué à sa chute en février 1955.

28 P-H Spaak, Textes réunis et présentés par Paul F. Smets, Goemare, tome 1, 1980 « Intégration ou décadence », avril 1955, Ecrits de Paris, document 65, p. 427-431.

29 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 91, M. Mendès France, MAE à M. Massigli, ambassadeur de France à Londres, tel 12167-12172, Paris le 24 août 1954, 22h.

30 Guy Mollet, lettre à Nicolas Margue, 19 novembre 1952, publiée aussi dans Guy Mollet, Textes choisis sur l'Europe (1948-1955), Bulletin de la Fondation Guy Mollet, n° 14, Novembre 1988.

31 OURS, DIO 24 MM, P-H Spaak et Guy Mollet devant la CED, discours du 5 mars 1954, salle des horticulteurs, Mouvement démocratique et socialiste pour les Etats-Unis d'Europe, 19 rue de Lille, Paris, (Gauche européenne, A. Philip, G. Jaquet, P-H Spaak).

32 Archives Guy Mollet 106, Paris-Presse, 26 septembre 1953, « L'Allemagne dans l'Europe ».

33 Archives Guy Mollet 107, discours de Guy Mollet du 22 septembre 1953, définition de la politique du Conseil de l'Europe.

34 OURS, D 6 72 BD, Discours de Guy Mollet à Strasbourg, devant l'Assemblée consultative du Conseil de l'Europe, 17 janvier 1953 au 22 septembre 1953 ; débat sur le rapport sur la définition de la politique du Conseil de l'Europe à la lumière des récents développements de la situation mondiale, 24 septembre 1953.

35 OURS E4 51 MM, le problème européen à la lumière des récents développements mondiaux, Guy Mollet, Assemblée nationale, JO, 20 novembre 1953, p. 5320-5354.

36 Plans and Policy Planning Staff, « What can we do to help European Institutions for Integration and to insure that they develop in a Manner consistent with our policy toward Atlantic Community, non signe, 7 pages dactylog. RG 469, USRO, executive Secretary, Box 13, 12/09/1952.

37 Témoignages à la mémoire de Jean Monnet, Fondation Jean Monnet pour l'Europe, Centre de recherches européennes, Lausanne, 9 novembre 1989, Robert Bernière, p. 53.

38 Philippe Vial, « Jean Monnet, un père pour la CED ? » In René Girault et Gérard Bossuat, Europe brisée, Europe retrouvée, Publications de la Sorbonne, 1994, p. 202.

39 AMI 25/12/9, cité par E. Roussel, Jean Monnet, Fayard, 1996, p. 677-679.

40 RG 89, Paris Embassy, top secret general Records, 1954, Box 20, Dillon, to S of S. 193, Fe b 16 (1954], 6p. m.

41 RG 469, office of European operations, regional organizations staff, subject files 1948-53, Box 18. Circular Usito 86, infoguide: What next on EDC, 1954 sep 1.

42 740. 00/5 - 756, 7 May 1956, European unity, D of S, Memorandum of conversation, M. Jean Drapier, President of the International Executive Committee of the European Movement. Papiers Elgey, entretien avec Thierry de Clermont-Tonnerre, 15 novembre 1965 où il dit qu'André Philip considérait que PMF était un traître.

43 751. 00/box 3308, 30 March 1955, memorandum of conversation, G. Bidault, T. C. Achilles.

44 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 146, M. François-Poncet, Haut commissaire de la République française en Allemagne à M. Mendès France, MAE, Bonn, le 7 septembre 1954, n° 2038.

45 560 AP61, Discours de René Pleven en 1962 devant l'Europa-Union.

46 Papiers Elgey, entretien avec Stanley Cleveland 26 juillet 1967.

47 comme le disent Pierre Pflimlin et Raymond Legrand-Lane, L'Europe communautaire, Plon, 1966, p. 116.

48 DDF, 1954,21 juillet-31 décembre, IN, 1987, annexe, p 138, Chartwell, 23 août 1954.

49 Œuvres III, p. 412, 24 octobre 1954, allocution radiodiffusée de PMF « France et Allemagne ont besoin l'une de l'autre ».

50 Le parti radical en face des grands problèmes de l'heure, par Pierre Mendès France, 1955, p. 7, Fédération régionale de l'est du parti républicain radical et radical-socialiste.

51 DDF, 1954, p. 763, Garnier, La Haye, à PMF, n° 1163-1176,20 novembre 1954.

52 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 96, M. de Crouy-Chanel, CA de France à Londres, à M. Roland de Margerie, directeur adjoint des affaires politiques, Londres 24 août 1954.

53 René Massigli, Une comédie des erreurs. Pion 1978, p. 459.

54 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 139, M. François-Poncet, Haut commissaire de la République française en Allemagne à M. Mendès France, MAE, Bonn, le 7 septembre 1954, tel 4327-4337.

55 DDF, 1954,21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 150 n° 635, Paris le 8 septembre 1954.

56 René Massigli, Une comédie des erreurs, Plon 1978, p. 460.

57 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 152, M. Massigli ambassadeur de France à Londres, à M. Mendès France, MAE, 9 septembre 1954, tel n° 3535, très secret.

58 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 250, M. Massigli, ambassadeur de France à Londres, à M. Mendès France, MAE, n° 1868, Londres, 6 octobre 1954.

59 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 160, M. Massigli ambassadeur de France à Londres, à M. Parodi, secrétaire général du MAE, lettre personnelle, 10 septembre 1954.

60 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 185, Henri Bonnet à M. Mendès France, MAE, tel 5254, secret, 16 septembre 1954.

61 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, annexes, p. 151.

62 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 193, M. Mendès France aux représentants diplomatiques de France à Bonn, Rome, Bruxelles, Luxembourg, La Haye, Washington, Ottawa, Londres. Paria le 18 septembre 1954, 20h 45.

63 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 241, A. Bérard, haut commissaire adjoint de la République française en Allemagne, à M. Mendès France, ministre des AE, tel n° 4838-4847, Bonn le 4 octobre 1954.

64 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 251, M. Mendès France, MAE aux représentants diplomatiques de la France à l'étranger, 7 octobre 1954, circul. n° 81.

65 PPF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 272, M. Massigli, ambassadeur de France à Londres, à M. Mendès France, MAE, Londres, 16 octobre 1954, tel n° 4127-4130.

66 PPF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 362, M. Valéry, Coopération européenne, DAE du MAE, à M. de Crouy-Chanel, C. A. de France à Londres, 17 novembre 1954.

67 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 290, note du Département sur le résultat des entretiens franco-allemands, [23] octobre 1954.

68 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 298, Le ministère des Affaires étrangères aux représentants diplomatiques de France à l'étranger, 27 octobre 1954, cir. n° 92.

69 DGA, 034-19/ 1100102032, carton 485, MAE, DAEF, très secret, 11 octobre 1954, note pour le colonel Duperrier, a/s Industrie aéronautique allemande ; Europe 1944-1960, Allemagne 208, Microfilm P. G901, François-Poncet, 15 octobre 1954, n° 5114-16, secret.

70 SHAA, E 2905, HCRFA, OMS, élément français, n° 4088, Coblence le 27 novembre 1954, note d'information sur les courants d'idées en Allemagne fédérale à propos d'une coopération franco-allemande en matière de production d'armements.

71 DGA, 1100102032, Carton 483, Délégation permanente de la France auprès de l'OTAN, section de la production, 27 octobre 1954, n° 1749SP, 338 IGFP, note, objet : contacts avec la RFA, constructions aéronautiques.

72 Europe 1944-1960, Allemagne 208, Microfilm P. 6901, HCRFA, OMS, élément français, n° 4088 Coblence 27 novembre 1954, Coignard, note d'information sur les courants d'idées en Allemagne fédérale à propos d'une coopération franco-allemande en matière de production d'armement.

73 Europe 1944-1960, Allemagne 208, Microfilm P. 6901, DAEF, 13 octobre 1954, très secret, note, a/s : coopération franco-allemande pour la production d'armements.

74 Konrad Adenauer, Mémoires, tome 3,1956-63, Hachette, p. 89.

75 DDF 1954, I, PMF à A. Bérard, haut commissaire adjoint de la République française en Allemagne, tel 3834-3839, 10 novembre 1954.

76 Europe 1944-1960, Allemagne 208, Microfilm P. 6901, A. François-Poncet à MAE A. Pinay, Bonn, 13 mai 1955, 193/ choix d'un avion léger pour l'instruction des futurs pilotes de l'aéronautique militaire allemande. SHAA, E 4320, document identique.

77 Un financement off-shore signifie que des crédits gouvernementaux américains sont affectés à des fabrications de matériels militaires non américains (ici un avion britannique), offerts à un pays de l'OTAN (ici l'Allemagne).

78 Europe 1944-1960, Allemagne 208, Microfilm P. 6901, Bonn le 27 juin 1955, A. François-Poncet à SE A. Pinay, MAE ; as. Matériels aériens pour les futures forces aériennes allemandes.

79 DDF, 1955, 1, 1 janvier-30 juin 1955, IN, 1987, annexe 1, p. 231 compte rendu de la conversation entre M. Mendès France et le chancelier Adenauer, 14 janvier 1955.

80 DDF, 1955, 1,1 janvier-30 juin 1955, IN, 1987, n° 2, note de la direction Europe, conférence de Rome ll-12janvier 1955, Paris le 3 janvier 1955.

81 DDF, 1955, 1,1 janvier-30 juin 1955, IN, 1987, annexe 1955, tome 1, p. 242.

82 DDF, 1955, 1, 1 janvier-30 juin 1955, IN, 1987, n° 62, M. Garnier, ambassadeur de France à La Haye, à M. Edgar Faure, MAE, D. n° 159, La Haye, 2 février 1955.

83 DDF, 1955, 1, 1 janvier-30 juin 1955, IN, 1987, n° 127, M. Coignard, Commissaire français à l'OMS, à M. François Seydoux, directeur d'Europe au MAE, D. n° 505, Coblence, 9 mars 1955 et note annexe, « À propos du projet d'Agence des armements », 23 février 1955.

84 DDF, 1955, 1, 1 janvier-30 juin 1955, IN, 1987, n° 163, M. Rivière, ambassadeur de France à Bruxelles à M. Pinay, MAE, tel 211, Bruxelles, 1 avril 1955.

85 DGA, 034-19/1100102032, carton 485, note succincte sur les rapports franco-allemands dans le domaine de l'aéronautique, non datée, 2 pages dactyl.

86 Europe 1944-1960, Allemagne 208, Microfilm P. 6901, François-Poncet, n° 1838, Bonn, 13 mai 1955 ; tard : « Les os pour ceux arrivent trop tard ! ».

87 Europe 1944-1960, Allemagne 857, Coignard, HCRFA, OMS, élément français, n° 505/HC/OMS/COMM, Coblence, 9 mars 1955, à M. F. Seydoux, directeur d'Europe, MAE.

88 Gérard Bossuat, « Armements et relations franco-allemandes, 1945-1963 », in Histoire de l'armement en France, 1914-1962, Institutions, industries, innovations, relations internationales, actes du colloque du 19 novembre 1993, ADDIM, Paris, 1994, p. 147-206.

89 SHAA, E 2905, fiche n° 2, jointe à la note n° 199/DN/SE/EMOP/ARM/TS du 21 juin 1955, entretiens.

90 Europe 1944-1960, Allemagne 208, Microfilm P. G901, 30 juin 1955, Europe, sous direction d'Europe centrale, note a/s coopération franco-allemande dans le domaine des armements.

91 SHAA, E 2905, fiche n° 3, jointe à la note n° 199 DN/SE/EMP/ARM/TS du 21 juin 1955, propositions ; SEDNFA, EMP, ex 16/25, 11 juin 1955, collaboration militaire franco-allemande, suggestions DCCAN.

92 SHAA, E 2905, SE DN et FA, Etat-Major particulier, exemplaire. 16/25, 11 juin 1955, coopération militaire franco-allemande, suggestions DEFA et Télécommunications.

93 Revue d'histoire diplomatique, Eckart Conze, « La coopération franco-germano-italienne dans le domaine nucléaire dans les années 1957-1958, un point de vue allemand ».

94 B 43695, cr. entretiens franco-allemands de Bonn, 30 avril 1955, coopération industrielle.

95 Loi-programme, 1952-57, de juin 1952, d'après Jacques Bariéty, « la décision de réarmer l'Allemagne, l'échec de la CED et les accords de Paris du 23 octobre 1954 vus du côté français », Revue Belge de philologie et d'histoire, 71,1993, p. 354-383.

96 SHAA, E 2905, SE DN et FA, ex. 16/25, 11 juin 1955, coopération militaire franco-allemande, suggestions DTI.

97 SHAA, E 2905, 9 juin 195S, sans doute du SE DN et FA, le problème de la coopération militaire franco-allemande.

98 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 401, tel 717, 30 novembre 1954, M. Rivière, ambassadeur de France à Bruxelles, à M. Mendès France, MAE.

99 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, n° 369, La Haye, 20 novembre 1954, tel 1163-1176, M. Garnier, ambassadeur de France à La Haye, à M. Mendès France, MAE.

100 DDF, 1954, 21 juillet-31 décembre, IN, 1987, tel 1270-1278, 7 décembre 1954, ambassadeur français à La Haye à M. Mendès France.

101 751. 00/1-655, Dillon to S. of S.; n° 2840, January 6,4 p. m. 6 janvier 1955.

102 Le Devoir, Montréal P. Mendès France, « Deux projets nés 15 ans trop tôt » ; agence Laure Forestier, 1970, Paris.

103 publié par Plon en 1957.

© Éditions de la Sorbonne, 1997

Licence OpenEdition Books

Cette publication numérique est issue d’un traitement automatique par reconnaissance optique de caractères.
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search