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La république absolue

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Odile Rudelle

Deuxième partie. La crise boulangiste 1885-1889

Chapitre premier. Mars-octobre 1885 : L’échec de l’apaisement républicain

Texte intégral

  • 1 In « Lettres » de Jules Ferry, op. cit., p. 356.

1« Ils sont partis, plus de Chambre, plus de discours, plus d’injures, plus de politique, plus même de ministres. Je suis à peu près seul à Paris, comme dans un grand vide qui m’étonne et me détend... C’était effroyable en effet ; il faut avoir vu cela car fort heureusement on ne le verra plus... Triste et honteuse comédie, dans laquelle les royalistes sont l’émule de la gauche intransigeante. Les gentilshommes du côté droit rivalisent de grossièretés, de mauvaise tenue et d’invectives avec les élus de Charonne et des épinettes. La coalition ne s’est jamais étalée plus cynique, plus violente, plus éhontée. Ce spectacle qui soulevait le cœur a porté ses fruits. Quatre jours de cette orgie ont constitué, soudé, solidifié, forgé, verrouillé une majorité dont vous avez pu juger l’inébranlable fermeté... Il est certain que j’ai joué le gros jeu, mais la partie en valait la peine. La situation de la majorité est désormais inexpugnable. Des échecs extérieurs pourraient seuls nous ébranler »1.

  • 2 Le « sauf accident extérieur » ne fait que reprendre une phrase de Gambetta, souvent citée par Jule (...)

2Ainsi s’exprimait Jules Ferry dans une lettre écrite à sa belle-sœur, Mme Charras, au soir de l’aboutissement heureux de la révision du mois d’août 1884. De cette épître, il faut retenir trois éléments : la précarité du régime républicain, puisque tenir un Congrès était jouer « gros jeu » ; la position centrale du Cabinet qui tout au long de son existence aura été en butte aux attaques conjuguées de la « droite royaliste » et de la « gauche intransigeante » ; et enfin, le sentiment de Jules Ferry qui est que, « sauf accident extérieur », le ministère devrait maintenant pouvoir aller au terme de la législature, donc présider – comme son premier ministère l’avait fait en 1881 – aux élections de 18852.

  • 3 Journaliste et député bonapartiste du Gers, P. de Cassagnac est le fils d’un homme le lettres, laur (...)

3Or, cet espoir de Jules Ferry est justement le seul terrain sur lequel les oppositions peuvent se rejoindre : de Clemenceau à P. de Cassagnac3, de H. de Rochefort à Wilson, tout le monde est d’accord pour empêcher le président du Conseil de mener ce plan à terme ; tous pensent qu’un revers militaire serait le meilleur prétexte pour renverser le ministère, l’empêcher de faire ratifier par le corps électoral cette politique moyenne qui, cherchant l’apaisement, irrite au plus haut point ceux qui ne rêvent que revanche ou éradication de l’adversaire.

4Dès lors, le tombeau des espérances de Jules Ferry comportera cinq marches : l’échec parlementaire du 30 mars suivi six mois plus tard de celui de ses amis politiques aux élections d’octobre 1885. L’échec des hommes conduira les nouveaux ministères à s’éloigner des deux piliers de la politique ferryste : « l’entente » franco-allemande sera enterrée par les fanfaronnades du général Boulanger comme la politique d’« apaisement » avec les catholiques sombrera dans le scandale des décorations.

5Plus amer encore, ces deux derniers échecs ne seront que le prélude de la candidature malheureuse de Jules Ferry à l’Élysée au mois de décembre 1887.

1. L’échec parlementaire du 30 mars 1885 ou l’électrolyse d’une majorité

6L’échec du 30 mars fut aussi brutal qu’inopiné. Accident parlementaire, il fut la conséquence de deux chaînes de causalité : un revers militaire et une réforme électorale qui, loin de s’annuler, comme l’espéraient les promoteurs de la réforme, se sont finalement cumulées.

  • 4 La Justice, 23 août 1884, 23 novembre 1884, etc.
  • 5 Cité par Seignobos, in Lavisse, op. cit., p. 78.
  • 6 Voir plus haut, p. 76.
  • 7 Même un biographe aussi favorable que G. Worsmer déclare que c’est probablement en 1885 que Clemenc (...)

7Au mois de janvier 1885, la rentrée parlementaire s’était effectuée dans le calme, malgré la campagne menée par Clemenceau qui, dès le lendemain de la Révision, avait délaissé les questions institutionnelles pour attaquer la « guerre du Tonkin » qui, n’hésite-t-il pas à prédire, « sera le Mexique de l’opportunisme »4. Rêvant depuis 1880 de devenir l’émule de Gambetta, Clemenceau se pose « en continuateur de son ancienne politique »5, et lui, qui a toujours fait le lien entre la guerre et les institutions6, il attend simplement le Sedan qui lui permettra à son tour d’incarner la Défense Nationale7.

  • 8 La Justice, 6 janvier 1885.

8Mais en janvier 1885, la situation militaire est bonne, ce qui réduit le journal de Clemenceau à se gausser d’un gouvernement obligé « d’aller chercher si loin son intérêt électoral »8. Justement, le 14 janvier, quinze jours avant le renouvellement sénatorial, avait eu lieu un débat sur la situation au Tonkin ; le Cabinet avait obtenu la confiance par 280 voix contre 225 et les 25 députés républicains, qui s’apprêtaient à solliciter les voix des collèges sénatoriaux faisaient tous partie de la majorité : la solidarité avec le ministère était à cette date une bonne affiche électorale.

  • 9 Cf. le commentaire de L’Année politique 1885.

9Le résultat des élections est d’ailleurs à la mesure des espérances de Jules Ferry : sur 87 sièges à pourvoir, 42 appartenaient aux monarchistes et 45 aux républicains. Au lendemain du scrutin du 25 janvier, il y aura 67 républicains et 20 monarchistes, dont l’écrasement paraît encore plus total du fait de l’échec d’hommes aussi marqués que le duc de Broglie ou Fourtou, son ancien ministre de l’intérieur. Même l’élection du Nord où deux conservateurs sont élus contre deux républicains, paraît un accident local dû à la récession économique et au débat sur la modification du régime douanier, qui doit d’ailleurs occuper le prochain mois de février9.

  • 10 La Justice et Le Pays de P. Cassagnac emploient le même langage tant est grande la haine nourrie pa (...)

10A la fin janvier, la presse d’opposition qui hait le « pouvoir personnel » exercé par le « dictateur »10 se sent aussi découragée que Gambetta au lendemain du plébiscite de mai 1870. Réduits à ne regarder comme « décisif » que l’échec, dans la Seine de Spuller, les journaux se consolent en rappelant que la réponse de ces collèges d’élus n’aura rien à voir avec celle du suffrage universel consulté dans sa masse.

11L’élection de janvier 1885 achève, en effet, de transformer le Sénat en cette forteresse de la République du suffrage indirect qu’il ne cessera plus d’être jusqu’en 1940. C’était d’ailleurs exactement ce que voulait Jules Ferry qui avait toujours proclamé sa volonté de mettre en œuvre la coopération des deux Chambres : maintenant, il pouvait se croire assuré de trouver au Palais du Luxembourg 180 voix républicaines non seulement dévouées à sa politique, mais encore favorables, le moment venu, à son accession à l’Élysée.

  • 11 États-Unis et Inde.

12Février et mars 1885 sont donc des mois politiquement calmes où sont successivement discutées la modification du tarif général des douanes et la réforme électorale. Cet ordre n’était pas fortuit. En effet, le vote d’un droit de douane sur les céréales, afin de protéger l’agriculture française de la concurrence des « Nouveaux Mondes »11, avait divisé les républicains selon une ligne économique encore tout à fait inhabituelle dans cette démocratie habituée aux clivages idéologiques.

  • 12 Le tarif sera finalement voté le 5 mars par 264 voix (dont 48 députés conservateurs) contre 150 [ra (...)

13Opposant France paysanne et France industrielle, la coalition libre-échangiste, menée au Sénat par Léon Say et à la Chambre par l’industriel Lebaudy et le banquier Henri Germain, était particulièrement dangereuse pour la majorité républicaine. En effet, dans le cadre de l’arrondissement, l’alliance des libéraux et des radicaux autour de la lutte « contre le pain cher » risquait de mettre sérieusement en difficulté les modérés des circonscriptions urbaines12.

14Pour rompre cette coalition, Waldeck-Rousseau, ministre de l’intérieur de Jules Ferry comme il l’avait été de Gambetta, déclare au début de février que le ministère demandera « pour la suite » la discussion du « rétablissement » du scrutin de liste, et ce faisant, le ministre reprenait à son compte une ancienne proposition, déposée depuis fort longtemps, par Ranc et Constans.

  • 13 La Justice, 3 février 1885 ; Le Pays, 2 février 1885.

15Dans l’ensemble, les députés sont favorables, même si leurs raisons sont opposées : tandis que radicaux et bonapartistes se félicitent d’un scrutin qui permettra de centrer la campagne sur « la guerre ou la paix »13, les disciples de Gambetta pensent que le scrutin de liste devrait affranchir le Gouvernement de la tutelle des petits notables.

16Jules Ferry, lui, est plus réservé. On se souvient qu’en 1881, il s’était abstenu de prendre parti et de compromettre le Cabinet dans une querelle dont Gambetta avait fait une question personnelle. Quatre ans plus tard, il pense qu’il ne lui est pas possible de s’opposer à cette réclamation, même s’il continue de croire que l’on a bien tort de vouloir changer un mode de scrutin qui a l’avantage de faire élire des républicains.

17Mais en ce domaine, il n’est pas le meneur de jeu : il ne gouverne qu’avec la majorité élue sur le nom et le programme de Gambetta ; majorité qui, en 1881, avait commencé par durement le rejeter lui, le signataire du traité de Bardo, et qui, dix-huit mois plus tard, ne l’avait accepté que lorsque le tumulte de l’esprit public parut menacer le salut de la République.

  • 14 J. Grévy a toujours soutenu qu’il ne dissoudrait la Chambre que lorsque celle-ci en aurait émis le (...)
  • 15 Décision fort critiquée par Clemenceau qui, faisant tout de suite le lien avec les opérations de Tu (...)

18En fait, J. Ferry s’intéresse plus au libre choix de la date des élections qu’à leurs modalités. Comme en Grande-Bretagne, il voudrait que le Chef de l’Exécutif dispose du droit de dissolution. Puisqu’il n’y a aucun espoir d’obtenir une dissolution de J. Grévy14, il use de subterfuges : en juillet 1881, il avait convoqué les électeurs pour le 25 août, c’est-à-dire six semaines avant l’expiration du mandat des députés, six semaines pendant lesquelles les nouveaux élus n’avaient pu se réunir15.

19En 1885, il voudrait lier le vote du scrutin de liste à la faculté donnée au président du Conseil, de décider la date des élections. Tout le premier trimestre de l’année 1885 est donc occupé à un véritable jeu du chat et de la souris entre le Gouvernement et la majorité, jeu dont la clef se trouve au Tonkin – Jules Ferry voulant faire les élections en mai, époque où il a de bonnes raisons de croire qu’elles pourront se faire dans la foulée de la paix.

  • 16 Cf. Ch. Freycinet (cité par B. Lavergne, op. cit., p. 268) : « Il demande ainsi véritablement un dr (...)
  • 17 Cf. Le Paris (journal de Waldeck-Rousseau).
  • 18 Cf. La Justice. Le 18 mars encore, ce journal écrira « qu’accepter la demande du gouvernement serai (...)

20Considérée comme normale par les « M.P. » anglais, cette requête est jugée tout à fait exorbitante par les députés français qui y voient une atteinte à leur souveraineté16. Et lorsque Jules Ferry vient, le 18 février, plaider en ce sens devant la Commission, il se heurte à une grande hostilité17, immédiatement orchestrée par la presse radicale18.

21A la mi-mars, les pourparlers de paix du Tonkin lui paraissant enfin en bonne voie, il se résoud à un compromis qui ne fait que légaliser la procédure utilisée en 1881 : le Gouvernement sera libre de convoquer les électeurs à la date de son choix, à l’intérieur de la période de deux mois qui précède l’échéance normale.

22Moins connue que les épisodes du 16 mai ou de la révision de 1884, cette reculade de Jules Ferry peut cependant être considérée comme le point final d’une évolution qui, par touches successives, a fini par rogner toute l’autonomie dont disposait le pouvoir d’État vis-à-vis des Chambres. Cette ultime chance ayant été, comme auparavant les pouvoirs financiers du Sénat, sacrifiée sur l’autel du Tonkin, la discussion de la loi électorale devenait une simple formalité.

  • 19 J.O., séance du 21 mars, p. 609 et ss.

23Le débat sur le scrutin de liste a lieu, du 20 au 24 mars, en présence d’un président du Conseil muet, qui laisse son ministre de l’intérieur expliquer que l’arrondissement est le scrutin des extrêmes tandis que la liste sera l’instrument de la conquête pacifique de la France par les Républicains19.

  • 20 Voir P. Sorlin, Waldeck-Rousseau, Armand Colin, 1966.

24Breton, Waldeck-Rousseau raisonne en pensant aux départements de sa province : Loire-Inférieure où il est né, Ille-et-Vilaine où il est élu20 ; deux départements où Nantes et Rennes figurent comme deux îles républicaines, dont les voix seraient fort utiles pour porter la République jusqu’au fond des campagnes. D’autre part, l’ancien « camarade » de Gambetta appartient à une génération plus besogneuse que la plupart de ses collègues de l’Union Républicaine ; comme tel, il comprend la nécessité d’ouvrir les rangs du parti républicain à de nouvelles générations et avec le scrutin de liste, il croit tenir l’outil qui, en quelque sorte, injectera le sens de la discipline chez des députés devenus de la sorte plus dépendants de leur parti.

  • 21 J.O., p. 588 et 598.
  • 22 Cf. 21 mars 1885, où le journal écrit : « La démocratie républicaine demande la représentation prop (...)

25Avant de voir comment et pourquoi l’événement déjoua ces prévisions, il faut mentionner, pour leur intérêt historique, les plaidoiries de deux députés en faveur de la représentation proportionnelle21. A cette époque, venue de l’extrême-gauche, cette requête paraît un peu excentrique, et l’amendement Courmeau n’obtiendra que 59 voix de députés qui ne seront chaudement félicités que par un seul journal, La République, radicale, dont le directeur est ce Laisant que l’on retrouvera chez les boulangistes22.

  • 23 Sur la candidature officielle sous la IIIe République, voir la préface de G. Dupeux au livre de Jea (...)

26Si ces discours font date, c’est parce qu’ils représentent le premier effort d’une campagne qui réapparaîtra avec force dans les années 1900-1910, lorsque catholiques et socialistes y verront l’espoir de briser le double joug des Comités d’arrondissements et de la pression administrative23.

27Aujourd’hui, ce qui étonne le plus dans cette discussion de quatre jours, c’est le silence sur la règle des deux tours qui, introduite en 1873, avait changé le caractère de la vieille loi de 1849, réutilisée en 1871. Ceci est d’autant plus important que, comme nous le verrons plus bas, le jeu des deux tours allait, pour la première fois en 1885, avoir une importance décisive quant au rapport entre le nombre de voix obtenues et la répartition des sièges.

28Quoi qu’il en soit le 14 mars 1885, 402 députés contre 91 votent la proposition Constans que le Sénat ratifiera à son tour, quelques semaines plus tard sans difficulté.

29Mais, cinq jours plus tard, un télégramme de Hanoï annonçant l’évacuation de Lang-son par les troupes françaises, allait montrer à un ministère littéralement foudroyé, qu’à l’heure du danger, la solidarité, loin de jouer en faveur du Cabinet, allait au contraire se cristalliser autour des députés de l’opposition.

30Pour bien comprendre les conditions de la chute de Jules Ferry, le 30 mars 1885, il faut suivre les événements jour par jour. Le 24 mars est votée une loi électorale dont le but officiel est de renforcer la solidarité et l’unité des républicains dans le cadre du département. Le 25 arrive un premier télégramme de Brière de l’Isle annonçant des difficultés imprévues pour l’armée d’Extrême-Orient. Aussitôt questionné par un député de la droite, Jules Ferry déclare ne pas encore disposer de tous les éléments de réponse. Le problème est alors repris par Granet, député d’extrême-gauche lié à Jules Grévy, qui décide d’interpeller le ministère.

  • 24 Tout au long du mois de février, les députés élus sénateurs ont envoyé leur démission au président (...)

31Le débat, illustré par une apostrophe particulièrement violente de Clemenceau, se clôt cependant le 29 par un ordre du jour favorable voté par 259 voix contre 209. Compte tenu de la démission de 25 députés devenus sénateurs depuis le mois de janvier24, ces chiffres comparés à ceux du 14 janvier étaient plutôt encourageants : même volume d’abstentions (43 – 40), même écart entre la majorité et l’opposition (55 – 50), nombre de voix hostiles en légère régression (225 – 209).

  • 25 6 janvier 1885.

32En tout cas, le président du Conseil s’estime satisfait. Et à Joseph Reinach, qui faisait une comparaison désavantageuse entre le comportement des députés français et celui de leurs homologues britanniques, faisant bloc autour de Gladstone après la chute de Khartoum25, Jules Ferry répondait dans un pneumatique manuscrit que l’on peut encore lire à la Bibliothèque Nationale :

  • 26 Reproduit également dans les Lettres de J. Ferry, op. cit., p. 363.

33« Je vous remercie de votre chaleur d’âme. Soyons justes cependant et mesurons le terrain gagné. Il y a quatre ans, on me refusait l’ordre du jour pur et simple ; on me l’a voté hier, avec le caractère d’un vote de confiance exprès et formel et à une belle majorité – étant donné l’absence de 25 députés faits sénateurs »26.

  • 27 J.O., p. 704. Voir aussi R. Girardet, L’Idée coloniale en France de 1871 à 1962, Table ronde, 1972.

34Or, le lendemain, tout cela est pulvérisé, le débat lui-même devenant impossible. Clemenceau bondit à la tribune, lançant son célèbre : « Il n’y a plus de ministres, il n’y a que des accusés ! » et termine en demandant la mise en accusation du ministère pour « haute trahison »27. Jules Ferry n’arrive même pas à dissocier le vote d’un crédit exceptionnel pour dégager la garnison de celui de la confiance : 306 voix contre 149 refusent les crédits, qui huit jours plus tard, seront accordés à mains levées à son successeur.

  • 28 Rappelons que la paix de Tien-Tsin de 1884 avait été rompue par les Chinois et qu’en mars 1885 se t (...)

35Ceci montre bien que ce qui est en cause le 30 mars, ce n’est pas le Tonkin, mais la solidarité avec un ministère qui espérait, le premier dans l’histoire républicaine, pouvoir se présenter devant le corps électoral avec le bilan de deux années de gouvernement. Or, nous l’avons vu, cette perspective était justement celle que redoutaient les oppositions qui, avec la chute de Lang-son, tiennent enfin l’événement quasi providentiel, qui leur permettra de centrer toute la prochaine campagne électorale sur le vieux thème qui avait fait ses preuves en 1871 : la guerre ou la paix.28

36En abandonnant le Cabinet, les députés ministériels du 29 ont certainement cru « servir la République » : en fait, ils n’ont fait que se précipiter dans le piège tendu ouvertement par Clemenceau, et en sous-main par l’Élysée et Ch. de Freycinet. Et si le mouvement des voix a été si large entre le 29 et le 30, il faut en chercher la raison dans le vote du scrutin de liste départemental, qui, à cette heure fatale, obligeait en quelque sorte le député isolé à se sentir solidaire moins du Cabinet siégeant à Paris, que des autres élus républicains de son département.

37En effet, que nous montre la comparaison entre les votes des 29 et 30 mars ?

Transferts des voix entre le 29 et le 30 mars 1885

Transferts des voix entre le 29 et le 30 mars 1885

38De la majorité du 29 mars, seuls 149 députés sont restés fidèles le 30 ; 65 sont passés directement du soutien à l’opposition, tandis que 34 se réfugient dans l’abstention où ils viennent relayer les abstentionnistes du 29 qui passent eux, en bloc, à l’opposition. Ces derniers ne nous intéressent guère : ils réunissent des députés qui, tels B. Lavergne, n’attendaient que l’occasion de terrasser J. Ferry et à eux seuls, ils n’auraient pas suffi à emporter la décision. D’autres mouvements sont aussi négligeables : les sept ministres qui, aux côtés de leur chef, ont voté le 29 mais pas le 30, et les 3 députés mis en congé entre le 29 et le 30.

  • 29 Ansart, Audiffred, Bacquias, Ballue, Bischoffeim, Cadet, Cayrade, Caze, Chabrié, Chaix, Chavanne, C (...)
  • 30 Baillant, Brice, Brugère, Buyat, Chavoix, Deluns-Montaud, Desmoutiers, Dubost, Durand, Durieu, Duva (...)
  • 31 Ceux dont les noms ne sont pas écrits en italiques dans la note 29.
  • 32 Sauf Mgr Freppel qui, ayant voté pour J. Ferry le 29, se réfugiera dans l’abstention le 30 (voir E. (...)

39L’attention doit donc se concentrer sur les 99 députés ministériels le 29, mais non le 30. L’étude de leur situation électorale explique qu’ils se soient scindés en deux groupes : 65 dans l’opposition29, 34 dans l’abstention30. L’analyse montre en effet que dans le premier cas, 58 des 65 députés (soit 89 °/o)31 avaient été élus dans des départements où les voix radicales ou centre gauche d’opposition étaient suffisamment nombreuses pour compter un ou plusieurs représentants au Parlement, tandis que dans le second cas, il s’agit d’élus de départements modérés qui savaient qu’aux prochaines élections leurs adversaires dangereux seraient des conservateurs (Charente, Dordogne, Ille-et-Vilaine, Gironde, Loire-Inférieure, Meurthe-et-Moselle, Savoie, etc.)32.

40Ainsi, le rapport observé entre le vote et la situation électorale des députés autorise-t-il à dire que, par un de ces paradoxes dont l’histoire est coutumière, la première conséquence du retour au scrutin de liste aura été de disloquer la majorité soudée depuis deux ans. En passant de l’arrondissement au département, l’effet dissolvant de la division des républicains, déjà analysé au moment de la chute de Gambetta, a progressé en valeur géométrique.

  • 33 Ceci est pressenti dans l’article d’Antoine Prost et Christian Rozenzweig, L’évolution politique de (...)

41Contrairement aux espoirs de Waldeck-Rousseau, le vote de la réforme électorale, loin de renforcer la solidarité entre Cabinet et majorité, aura, le temps d’un vote, agglutiné autour de l’opposition, des députés d’ordinaire ministériels mais ce jour-là, paniqués par la perspective de leur solitude dans leur département33.

  • 34 C’est-à-dire d’obliger, sous l’effet de la crise, les députés de la majorité à se déplacer vers un (...)

42Le premier stade de la manœuvre de Clemenceau avait donc réussi : l’orchestration de la « défaite militaire » et l’intimidation auprès des députés isolés lui avaient permis en quelque sorte « d’électrolyser » la majorité34 : le problème est alors de savoir si ce qui avait été réussi chez les députés allait se renouveler au niveau du corps électoral.

43En d’autres termes, les voix républicaines du centre gauche étaient-elles prêtes à se porter sur les candidats radicaux pour « défendre » une République qui ne serait plus confondue avec une défaite militaire ?

2. Les élections d’octobre 1885 ou le paradoxe de Condorcet

44Les élections d’octobre 1885 se déroulent entièrement sous le signe de « l’anti-ferrysme » assimilé à la guerre. Le résultat sera un échec pour ceux qui s’étaient solidarisés avec « Ferry – Tonkin » et un succès pour ceux qui avaient contribué à sa chute, en l’occurrence les radicaux et les conservateurs.

  • 35 Voir Gilles-Gaston Granger, La mathématique sociale du marquis de Condorcet, P.U.F., 1956.

45Généralement interprétée comme le résultat d’une « poussée des extrêmes », la composition de la nouvelle Chambre présente en fait une illustration assez fascinante de « l’effet Condorcet » que le mathématicien avait analysé en étudiant le fonctionnement des assemblées prenant leurs décisions à la pluralité des suffrages35.

46Jouant dès que sont associées décisions à trois branches (ici Paix, Guerre et Radicalisme) et procédure majoritaire (ici scrutin de liste départemental) dans une succession de votes (ici les deux tours), le paradoxe de Condorcet a pour conséquence de donner un résultat final exactement contraire aux résultats initiaux. Dans le cas présent, il aura pour effet de faire élire une majorité de députés « extrémistes » alors que le corps électoral aura deux fois voté modéré.

47Pour bien comprendre ce processus, il faut rappeler les conditions dans lesquelles s’engage le débat électoral.

a) Henri Brisson ou le retour à l’abstention républicaine

48La chute de Jules Ferry ouvre une période d’incertitude politique : après deux années de stabilité, de gouvernement parlementaire, la France entre à nouveau dans une période de « gouvernement occulte » où le chef du ministère n’est plus que le lieu de moindre opposition d’une Chambre écartelée entre des aspirations contradictoires.

  • 36 La seule exception sera l’intervention du 30 juillet 1885 pour présenter la défense de la politique (...)

49Tombé, Jules Ferry demeure le personnage le plus considérable de la scène, un personnage qui, selon ses propres termes, est plus fait « pour l’action que pour la contemplation ». Mais s’il reste maître du vote de 150 députés sans lesquels aucun ministère n’est viable, il est devenu interdit de tribune du seul fait de l’ostracisme des radicaux36.

  • 37 Le 1er et le 2 avril arrivent des télégrammes précisant que l’évacuation de Lang Son, faite en bon (...)
  • 38 Cf. Année politique, 1885.

50Le choix d’un successeur, toujours délicat après une crise aiguë, se complique du fait de deux circonstances : d’une part l’annonce, le 4 avril, de la signature des préliminaires de paix37 qui inquiète certains dissidents du 30 mars sur la justesse de leur virevolte38 ; d’autre part, la perspective du Congrès présidentiel de décembre 1885 qui fait hésiter des personnalités désireuses de ne pas avoir à choisir entre Clemenceau et Ferry.

51Ainsi de H. Brisson, président de la Chambre et comme tel « neutre » lors du vote fatidique, mais que tout le monde sait hostile à Ferry avec qui il est en concurrence pour l’Élysée ; ainsi de Freycinet, qui travaillait depuis longtemps à la chute de Ferry, mais qui maintenant perd du temps à négocier le soutien des différents groupes républicains ; ou encore de Constans, heureux ministre de l’intérieur de 1881, mais qui échoue aussi à refaire l’unité des républicains sur son nom.

  • 39 Ce qui ne l’empêchera pas d’être battu en octobre. Voir plus bas, p. 121, note 61.

52Cédant alors à son « patriotisme », Brisson accepte de revenir sur sa décision initiale de refuser le pouvoir. Le 6 avril, il constitue un Cabinet qui est un chef-d’œuvre de dosage républicain : trois sénateurs, un amiral, trois députés radicaux (Turquet, Sarrien, Goblet), un gambettiste passé à l’opposition (Allain-Targé), quatre députés demeurés fidèles à Ferry (Cavaignac, P. Legrand, Rousseau, Sadi Carnot), un abstentionniste du 29 devenu hostile le 30 (Hérault) et enfin un ministériel du 29 ayant cédé à la panique du 30 (Hervé Mangon)39.

53Tout le spectre des tendances républicaines était donc représenté dans un ministère dont la seule ambition était d’exister. La déclaration du nouveau président, lue le lendemain à la Chambre, était sous le nom « de concentration libre et naturelle des forces républicaines » une apologie de l’abstention républicaine :

54« Dans les circonstances où M. le Président de la République nous appelle aux affaires, vous n’attendez pas de nous un programme étendu. »

55La question d’Extrême-Orient était mentionnée en termes savamment contradictoires, mais qui étaient, quant au fond, les mêmes que ceux de Jules Ferry :

56« Nous demanderons à la Chine le respect de nos droits tels qu’ils résultent des traités tels qu’elle les a reconnus elle-même dans la Convention du 11 mai 1884 : heureux si des négociations suffisent pour atteindre ce but, mais résolus à le poursuivre par les armes, décidés aussi à ne pas modifier le caractère de l’expédition sans le consentement du Parlement. Le sentiment de ce que nous devons à nos héroïques troupes de terre et de mer, nous trouvera d’ailleurs facilement unanimes. »

57Enfin, les prochaines élections étaient évoquées avec ces mots de conclusion :

58« La parole sera bientôt au pays. Nous mettrons notre honneur à assurer des élections libres, loyales et sincères. Plus cette manifestation du suffrage universel sera spontanée et indépendante, plus la République en sera fortifiée, et plus puissamment cimentée l’union entre les républicains. »

  • 40 La Justice, 7 juillet 1885.

59Or, depuis le 30 mars, « l’union des républicains » devenait réellement problématique : si la mise sur pied d’un nouveau ministère avait été si laborieuse, c’était en raison de l’exclusivité de Clemenceau qui, ne pouvant accéder directement aux affaires, faisait sentir sa puissance en interdisant le maintien en place des anciens ministres de J. Ferry. Le poste le plus délicat à pourvoir était celui de l’Intérieur où avait régné Waldeck-Rousseau et « ses préfets à poigne qui avaient promis la réélection aux 300 députés qui avaient accepté les mensonges du ministère »40.

  • 41 Voir Journal officiel, décrets.
  • 42 Voir Mme Camescasse, Souvenirs : Douai au XIXe siècle. Salons parlementaires sous la IIIe Républiqu (...)
  • 43 Revue politique et littéraire, 24 octobre 1885 : Une campagne électorale, p. 514 et ss.
  • 44 Hautes-Alpes, Ardennes, Alpes-Maritimes, Aude, Cantal, Corrèze, Jura, Nièvre, Saône-et-Loire, Seine (...)

60Pour donner des gages de sa « neutralité », Allain-Targé procède dès son arrivée, place Beauvau, à un important mouvement administratif : le 12 avril est nommé un nouveau directeur du personnel41, le 16 un sous-directeur ; le 18 et le 20, ce sont respectivement les directeurs de la Sûreté générale et de l’Administration départementale qui sont changés ; et couronnant le tout, le 26 avril, un mouvement préfectoral sans précédent, depuis les années 1877-1878, déplaçait 73 personnes par la nomination de 25 nouveaux préfets, de 9 sous-préfets, et de 39 secrétaires généraux de préfecture. Dix préfets dont Camescasse, préfet de la Seine notoirement lié à J. Ferry, étaient mis en disponibilité42. Sans aller jusqu’à dire, comme Dyonis Ordinaire43, que « la place Beauvau était devenue une annexe de la rue Cadet où les préfets allaient prendre leurs ordres », on peut quand même raisonnablement penser que l’action des nouveaux préfets n’a pas facilité la réconciliation des républicains dans la dizaine de départements où cette dernière était possible : là, trop de républicains fidèles à J. Ferry, le 30 mars, se retrouveront isolés devant une liste panachée, pour que ce soit le fait du hasard44.

61Mais l’activisme des préfets d’Allain-Targé ne sera finalement que de peu d’importance en regard de l’abstentionnisme du ministère. Pendant toute la campagne, le président du Conseil demeure silencieux, paralysé par les exigences contradictoires d’une majorité qui n’avait nullement été transformée par la panique du 30 mars.

  • 45 Voir J. Néré, op. cit. La crise économique de 1882 et le mouvement boulangiste, qui en fait la tram (...)

62Ceci était d’autant plus préjudiciable que le débat électoral de 1885 était, outre la crise économique latente depuis 1880-188245, le premier où les républicains, maintenant maîtres de tous les pouvoirs, devaient rendre des comptes sur leur gestion. Gambetta mort, qui allait prendre la direction du suffrage universel, réduire la complexité politique à quelques options essentielles, désigner les adversaires contre qui le combat devait être mené ?

  • 46 4 juin 1885.

63A cet égard, la confusion est totale. Toute la campagne tourne autour du ministère Ferry dont Brisson a refusé la mise en accusation46 et auquel quatre ministres ont donné leur soutien jusqu’au bout.

  • 47 Le Pays et Le Gaulois, avril 1885.
  • 48 Au lendemain du débat du 30 juillet où la Chambre avait à nouveau approuvé la politique d’Extrême-O (...)

64Cette abstention laisse le champ libre aux oppositions : aux conservateurs qui, forts de leur unité réalisée autour du scrutin de liste, demandent une dissolution immédiate47 ; aux radicaux qui, menés par Clemenceau, redoutent que, comme en 1881, une convocation anticipée des électeurs n’abrège une campagne qui leur est nécessaire pour parcourir le pays, mettre sur pied leurs listes propres et surtout expliquer la différence qui existe entre leur République et celle des ministères qui se sont succédé depuis 187948.

65La crainte de Clemenceau sera sans fondement : le 6 août 1885, la dernière session ordinaire de la Chambre est close par décret et les électeurs se voient convoqués pour le 4 octobre.

  • 49 Cf. le témoignage de Jaurès qui, dans l’introduction à la publication de ses Discours parlementaire (...)

66« Convoqués », les électeurs ne seront guère « consultés ». Le silence du président du Conseil, refusant au nom de la « concentration républicaine », de se situer entre Ferry et Clemenceau, fait le jeu des oppositions. Croisant leurs feux sur « la guerre », elles utilisent cette fausse querelle – puisque la paix a été signée et les traités ratifiés à de larges majorités49 – pour pulvériser la politique d’apaisement républicain dont Jules Ferry s’était voulu le champion et qui, comme nous le montrerons plus bas, correspondait au vœu intime du corps électoral.

  • 50 En province on préfère des formules plus neutres telle que l’élection du Sénat par le suffrage univ (...)

67Et pourtant, 1885 aurait dû être l’année la plus favorable pour consulter les électeurs à ce sujet. Pour la première fois depuis 1875, régime politique et régime de l’Église catholique n’étaient plus au cœur du débat. La révision des institutions, vidée de sa signification depuis les tentatives de Gambetta et Ferry, ne sera mentionnée que par la moitié des radicaux élus : encore est-ce la plupart du temps une requête platonique, car il n’y a guère que les députés parisiens pour formuler la thèse maximale de la suppression du Sénat et de la Présidence50.

  • 51 Rappelons qu’au premier rang des « violences » vient alors la suspension de l’inamovibilité des mag (...)

68Du côté des conservateurs, il n’y a pas un mot contre le régime républicain : le programme se contente de demander un renversement de majorité, après huit ans d’une politique qui « se résume en peu de mots : déficit, violence et guerre »51.

  • 52 Voir S. M. osgood, French royalism since 1870, The Hague, M. Nijhoff, 1970, chap. IL
  • 53 Voir L. Teste, Les Monarchistes sous la IIIe République, Paris, 1891. Ainsi, dans l’Hérault, la seu (...)

69Ajoutons que les élections de 1885 sont les premières du « règne » malheureux de Philippe VII52, comte de Paris, devenu depuis la mort du comte de Chambord le prétendant unique. Prêchant la modération à ses partisans, il est actif tout en demeurant dans l’ombre : écartant des listes conservatrices nombre de royalistes trop marqués, il accueille d’une part les bonapartistes, plus habiles devant le suffrage universel, et d’autre part, certains transfuges du Centre gauche chargés de républicaniser ces listes53.

  • 54 Avant 1901, la vie politique locale est organisée autour des comités électoraux dont l’activité pri (...)
  • 55 Comme en témoignent les nombreuses Semaines religieuses éditées par les évêchés et utilisées lors d (...)

70La même discrétion est observée en matière religieuse où les conservateurs se souviennent des échecs de 1877 et de 1881 où le combat avait été mené sur le seul terrain clérical : cependant, quels que soient leurs désirs, l’absence de partis politiques organisés à l’échelon national54, et l’ambiguïté même où ils sont obligés de se tenir en matière institutionnelle, font que, quoiqu’ils en aient, l’Église catholique demeure le principal véhicule de leur propagande électorale55.

  • 56 Voir E. Lecanuet, L’Église de France sous la IIIe République, t. II, p. 297.

71Chez les républicains, dès que l’on quitte les rivages de l’extrême-gauche, on remarque le même désir d’apaisement religieux : souhaitable à terme, la Séparation de l’Église et de l’État est considérée encore comme un objectif prématuré eu égard à l’état de l’opinion. Et Brisson comme Goblet le disent clairement dans deux discours du mois de septembre, qui en cela, ne font que reprendre les thèses de Jules Ferry56.

  • 57 En dehors d’un discours à Lyon (9 août) et à Bordeaux (30 août), J. Ferry faute d’être invité ne so (...)

72Mais, pour le reste, Brisson se confine dans cette « abstention républicaine » dont il espère se faire un marchepied vers l’Élysée. Et sa discrétion plonge dans l’embarras la masse des députés restés fidèles à Ferry, alors que ce dernier, condamné au silence, ne peut même pas essayer de présenter sa justification57.

  • 58 D’après le Barodet 1885, op. cit.
  • 59 D’après les dossiers de protestations réunis aux Archives Nationales : C 5306 et C 5304.

73Attaqués de tous les côtés, les opportunistes ne savent comment remonter la pente du 30 mars. Pour un Casimir-Périer qui a le courage de justifier son vote et d’appeler les électeurs à la raison en leur rappelant que les nouveaux députés participeront au Congrès présidentiel de 188558, combien d’autres qui préfèrent brandir des épouvantails : « anarchie » pour se démarquer des radicaux (comme dans la Meuse) ou « guerre civile » pour ridiculiser l’unité des conservateurs, comme Waldeck-Rousseau, qui ne fait alors que reprendre l’argument utilisé par la quasi-totalité des républicains ayant à affronter en duel une liste de conservateurs59.

74La situation des députés modérés était encore compliquée du fait de la stratégie du centre gauche : association de personnalités plutôt que parti politique, ce groupe éclate en trois tronçons. Tandis que les uns n’hésitent pas à se mêler aux listes d’union conservatrice, d’autres prennent la tête des listes républicaines, de sorte que rajeuni sous le nom de « républicains libéraux », le centre gauche d’opposition ne présentera de liste autonome que dans une dizaine de départements.

75Et comme le centre gauche avait rassemblé plus d’un million de voix en 1881, le comportement de ses électeurs constituait la grande inconnue de la bataille.

b) Le premier tour : un vote contre la guerre extérieure

  • 60 Favorable pour 18, défavorable pour 31.
  • 61 Le résultat sera le même pour ceux qui ont abandonné Ferry entre le 29 et le 30, s’ils n’étaient pa (...)

76Bien que Jules Ferry soit élu dans les Vosges, tandis que Clemenceau est en ballotage dans la Seine comme dans le Var, les résultats du premier tour sont, quant aux élus, un désastre pour les républicains restés fidèles à Ferry : sur les 108 qui se représentaient, 41 sont battus, 49 en ballotage pas toujours favorable60, et seulement 18 sont réélus. Les Vosges sont d’ailleurs le seul département où une liste ferryste homogène réussit à être entièrement élue. Partout ailleurs, c’est l’échec : les ferrystes n’auront réussi à être élus dès le premier tour que là où ils avaient trouvé une place sur une liste comprenant des députés radicaux61.

  • 62 Dordogne, Nièvre, Seine-Inférieure, Deux-Sèvres, Ardennes, Gard, Gironde, Ille-et-Vilaine (2).

77A l’inverse, chez les conservateurs, il n’y a que neuf députés sortants à être battus62. Les 66 autres sont non seulement réélus mais, ayant servi de pôle de fixation à l’opposition à la guerre, ils réussissent presque toujours à entraîner dans leur sillage la totalité des sièges de leur département : ainsi, 148 députés conservateurs se voient élus dans 20 départements qui, comptant parmi les plus peuplés, additionnent 2.652.133 inscrits, soit plus du quart de la population française.

  • 63 Drôme et Hérault où il n’y a pas de liste modérée. Seine-et-Marne où l’élection était triangulaire.

78Face à cette imposante masse, les départements républicains ayant élu la totalité de leurs représentants dès le premier tour font piètre figure : au nombre de douze, ils ne totalisent que 1.361.095 inscrits, et élisent 74 députés dont 17 radicaux issus des trois départements entièrement radicaux dès le premier tour63.

  • 64 Aisne, Ardennes, Corse, Charente-Inférieure, Eure, Haute-Garonne, Haute-Loire, Isère, Lot, Lot-et-G (...)

79Par ailleurs, 28 députés conservateurs sont élus dans les 20 départements où la division des républicains entre ministériels et centre gauche d’opposition va troubler le corps électoral au point d’engendrer un « comportement mixte » : profitant de ce que le scrutin de liste donne la possibilité de s’exprimer sur plusieurs noms à la fois, un certain nombre d’électeurs, refusant le choix entre la République et la guerre, useront du vote panaché de sorte que 22 députés républicains seront élus aux côtés des 28 conservateurs déjà mentionnés64.

  • 65 Hautes-Alpes, Alpes-Maritimes, Cantal, Corrèze, Côte-d’Or, Creuse, Eure-et-Loir, Saône-et-Loire, Se (...)
  • 66 Ille-et-Vilaine, Indre-et-Loire, Deux-Sèvres.

80Enfin, 28 autres députés républicains sont élus, soit dans les dix départements65 où la division entre républicains modérés et républicains radicaux empêche l’élection d’une liste entière au premier tour, soit dans les trois66 départements où la différence entre conservateurs et républicains est si petite que le succès des têtes de liste républicaines n’arrive pas à entraîner celui de la liste entière, ce qui est une autre façon d’exprimer, cette fois-ci par le refus de nommer une liste entière, ce « comportement mixte » qui est le résultat le plus inattendu de ces élections.

81Au total, 176 conservateurs sont élus dès le 4 octobre contre 124 républicains : ces derniers, presque toujours des députés sortants, comptent 39 radicaux et 85 modérés qui recouvrent tout le spectre des attitudes relevées entre le 29 et le 30 mars : fidélité, abstentionnistes du 29 ou du 30, changement de vote entre le 29 et le 30.

82Comme on le voit, le scrutin de liste, majoritaire dans le cadre du département, mais où est laissée la liberté de panachage est un scrutin à la fois brutal et nuancé. Brutal, il l’est d’autant plus que la circonscription est grande : ainsi, dans le Nord, 165.000 voix élisent-elles d’un coup 20 députés conservateurs, laissant sans représentation 122.000 voix républicaines. Le cas le plus aberrant est évidemment celui de la Seine où cinq listes de 38 candidats deviennent de véritables défis à l’identification des candidats par les électeurs.

  • 67 On peut encore voir ces bulletins aux Archives Nationales. Notons enfin dans les professions de foi (...)

83Mais à l’inverse, la liberté laissée aux citoyens de barrer des noms, d’en inscrire de nouveaux pour, en quelque sorte, recomposer des listes plus à leurs goûts, grâce au panachage, permet de tempérer la brutalité du scrutin67. En tout cas, l’usage d’un scrutin aussi ouvert, tout à fait unique dans l’histoire de la IIIe République, transforme ces élections en une espèce de sondage d’opinion.

84Ceci est d’autant plus vrai que la campagne électorale centrée sur la « guerre », thème national s’il en fût, venait encore s’ajouter au changement de circonscriptions pour bousculer les influences locales et « nationaliser » au maximum le débat électoral.

85Après quinze ans de République, l’analyse du mouvement des voix, plus nuancé que celui des sièges, devrait donc donner des indications précieuses sur l’état d’une opinion à la veille d’affronter la première grande crise révisionniste du régime.

*
* *

86Une comparaison globale avec les résultats de 1881 fait apparaître cinq résultats principaux : hausse de la participation qui n’atteint cependant pas le niveau de 1877 où la question du régime était nettement posée ; montée des conservateurs qui, doublant leurs effectifs, enregistrent un progrès presque deux fois supérieur à celui de la participation ; effondrement du centre gauche d’opposition qui, incapable d’exister par lui-même, éclate en allant pour les 2/3 vers les conservateurs ; bonne tenue des républicains ministériels qui compensent la défection de 380.000 voix des leurs vers les radicaux par le ralliement des débris du centre gauche ; enfin, modestie de la percée radicale, difficile à mesurer exactement en raison d’un « vote panaché » républicain-radical, mais qui, dans l’hypothèse la plus favorable, n’excède pas 3,6 % des inscrits.

87L’élément nouveau de ce mode de scutin est justement l’existence de ce vote panaché qui n’aura évidemment pas la même signification dans les départements où deux réponses sont possibles, et dans ceux où existent trois ou même quatre listes.

  • 68 Deux départements n’avaient pas de liste conservatrice : Alpes-Maritimes, Cantal.

Note68

  • 69 Républicains : 4.327.162 ; conservateurs : 3.541.384.

88Les chiffres ici donnés sont un peu différents de ceux de l’ Année Politique69 car nous avons intentionnellement additionné le résultat obtenu par toutes les têtes de liste afin de mettre en évidence le vote mixte, ou panaché, tandis que les chiffres traditionnels sont des moyennes obtenues en divisant la somme des voix recueillies par tous les candidats par le nombre de candidats.

89Par exemple, dans le département de l’Eure, les chiffres exacts sont les suivants :

  • 70 Rappelons que Louis Passy avait, au temps de l’Assemblée nationale, appartenu au groupe Target de 1 (...)

90Un calcul de moyenne donne 40.238 voix aux républicains et 44.500 aux conservateurs : mais cette péréquation effacerait totalement le fait significatif de ce scrutin à savoir la répugnance des électeurs à voter pour le duc de Broglie qui, en janvier, avait déjà essuyé un échec aux élections sénatoriales. Ainsi, 4.340 électeurs de Louis Passy70, 3.337 électeurs de Fouquet, etc., refusent leurs voix au duc en qui s’incarnait l’épisode hautement symbolique du 16 mai.

91Non contents de rayer son nom, un calcul simple montre que 1.021 électeurs de L. Passy ont également voté pour J. Develle resté fidèle à J. Ferry le 30, 587 pour Papon, ministériel le 29 mais non le 30, et 282 pour Bully. Ce dernier, élu en 1883, se voulait plus « radical » puisqu’à l’instar de tous les jeunes députés ayant gagné leur siège lors d’élections partielles, il ne se sentait guère solidaire des vétérans de la République.

92En raison de la personnalité de Broglie d’une part et du fait que dans ce département, il n’y avait que deux listes en présence, le cas de l’Eure est particulièrement transparent : parmi les 8.000 voix gagnées par les conservateurs en quatre ans, les abstentionnistes ne sont pas les plus nombreux. Et puisque nombre d’électeurs conservateurs de 1885 avaient voté républicain en 1881, peut-être même en 1877, leur réticence à voter pour Broglie en 1885 n’a rien d’étonnant.

93Ceci permet de dire que le vote conservateur du premier tour, vote essentiellement dirigé contre la guerre, était un vote modérateur bien plus qu’un vote « réactionnaire » : l’analyse par département, avant celle du second tour, va permettre d’affiner cette observation, et de montrer que ce comportement protestataire n’est pas limité aux départements dont la représentation sera finalement mixte.

94Au premier tour, les 87 départements de la France métropolitaine peuvent se diviser en 4 groupes ; le groupe I qui est celui des 20 départements où les conservateurs gagnent dès le 4 octobre la totalité des sièges ; le groupe II qui rassemble tous les départements mixtes ; le groupe III qui comprend les 25 départements où les républicains atteignent la majorité absolue sans toutefois réussir partout à faire élire une liste entière ; enfin, le groupe IV est celui où le ballotage touche la totalité des sièges.

  • 71 Voir carte I, a, page 126.

95Le groupe I est celui du bastion conservateur71 : sa taille fait un peu illusion car il ne réussit guère à sortir au-delà des limites de l’Ouest rural, poussant une pointe sur le pourtour du Massif Central. Seuls le Nord et le Pas-de-Calais d’une part, la Loire-Inférieure d’autre part, comptent de vraies villes : ailleurs, la présence d’une cité (Rouen, Rennes, Bordeaux, Tours, Toulouse, etc.) suffit à donner la majorité aux républicains, ce qui est la traduction de l’aspect traditionnel du vote conservateur qui fait plus référence au passé qu’à l’avenir.

  • 72 Voir carte I, b.

96Sur 20 départements, on trouve 18 duels : seuls le Gers et le Nord présentaient trois listes qui, sans affecter le résultat, ont probablement eu pour effet de tempérer là le vote panaché qui ailleurs existe dans la moitié des 18 autres départements, comme si le corps électoral avait en quelque sorte voulu prendre une assurance contre l’effet réactionnaire du vote conservateur72.

Carte I : ÉLECTIONS 1885 : PREMIER TOUR, 4 OCTOBRE

Carte I : ÉLECTIONS 1885 : PREMIER TOUR, 4 OCTOBRE

Groupe I : 20 départements où sont élus 148 députés conservateurs

Groupe I : 20 départements où sont élus 148 députés conservateurs

97La simplicité du jeu électoral rend le transfert du centre gauche vers la droite très facile à mesurer : la participation monte de 6,7 points, les républicains en perdent 4,7 et les conservateurs en gagnent 12,7. En 1881, les conservateurs avaient dans ces 20 départements 62 sièges, tandis que, encore majoritaires, les républicains en comptaient 82 : quatre ans plus tard, ces derniers sont ramenés à zéro. Le désastre républicain du premier tour n’est donc pas dû, comme on le dit généralement, à la division de ces derniers en modérés et radicaux mais à la défection des électeurs du centre gauche d’opposition qui ont voté en masse pour la droite afin d’exprimer leur volonté pacifique.

  • 73 Cf. les nombreuses affiches préfectorales qui dénoncent cette campagne et que l’on trouve encore au (...)

98Le vote conservateur de 1885 n’est donc pas un vote positif en faveur d’une forme gouvernementale à tous égards périmée, mais un vote protestataire contre l’expansion militaire de la République qui, assurent les conservateurs, va encore obliger à de nouvelles mobilisations73.

99Dans ces conditions, l’existence du panachage paraît logique et il est même vraisemblable que ce comportement touche un nombre supérieur de départements car l’exemple du scrutin uninominal est là pour démontrer qu’en raison des bulletins nuls, la somme des voix recueillies par l’ensemble des candidats en présence est généralement inférieure à la somme des suffrages exprimés.

100Quoi qu’il en soit de son importance exacte, on peut dire que dans les départements conservateurs, le vote panaché varie de 0 à 2 % des voix exprimées : c’est peu de choses puisque cela n’entraîne pas d’effet sur le plan de la représentation politique ; c’est tout de même suffisant d’une part, pour jeter une lumière nouvelle sur la fluidité qui existe au niveau du suffrage universel entre les deux centres, et d’autre part pour percevoir la disponibilité d’un corps électoral désorienté de ne pouvoir affirmer sa volonté d’apaisement républicain.

*
* *

101Le groupe II est celui des 20 départements mixtes où sont élus au premier tour 22 républicains et 27 conservateurs ; à vrai dire, il rassemble quatre sous-groupes : celui où le vote panaché aboutit à l’élection simultanée des députés républicains et conservateurs (le Lot-et-Garonne, l’Orne, la Sarthe et le Tarn) ; celui où le vote panaché (ou le vote incomplet) empêche l’élection complète de la liste conservatrice (l’Eure, les Basses-Pyrénées et le Haut-Rhin) ; puis le groupe le plus important qui est celui des départements où la présence, au premier tour, d’une liste ou d’un candidat centre gauche permettra de saisir au second tour l’ampleur du mouvement, qui conduit d’un centre à l’autre ; enfin, nous avons mis là trois départements au comportement exceptionnel (la Somme, la Haute-Garonne et la Haute-Loire) car, ici, c’est la présence au premier tour d’une liste radicale, qui engendrera, d’un tour à l’autre, la manifestation du vote panaché.

102Comme son nom l’indique, le groupe « mixte » est un groupe composite, où domine cependant la tendance conservatrice. Ceci se traduit par un comportement très proche de celui du groupe I en ce qui concerne la participation : à peine peut-on noter que celle-ci est légèrement supérieure à la moyenne nationale, mais comme elle l’était déjà en 1881, cela ne signifie pas grand-chose.

103Le phénomène marquant de ce groupe est évidemment le volume du vote panaché qui, avec 143.347 voix, atteint 6,6 % des inscrits et 9,0 °/odes exprimés. L’existence de ce vote panaché explique la relative stabilité du vote républicain qui, ici, ne perd que 0,6 points. Ce chiffre n’a d’ailleurs pas grande valeur car au second tour, le ralliement des électeurs du centre gauche au centre droit fera que dans ce type de départements, la chute des républicains sera de beaucoup la plus forte : la présence d’une liste centre gauche au premier tour aura donc servi de relais, à la façon des pierres dans un gué, pour faciliter la circulation entre les deux centres.

  • 74 Nous avons mis ici les résultats obtenus par deux députés ferrystes qui, isolés, sont coincés entre (...)

Groupe II : 20 départements « mixtes » où sont élus 22 Républicains et 21 Conservateurs74

Groupe II : 20 départements « mixtes » où sont élus 22 Républicains et 21 Conservateurs74
  • 75 Ceci s’explique évidemment en partie par l’absence de candidats conservateurs en 1881, mais cela n’ (...)

104En raison de la pluralité des listes républicaines, le niveau de la participation et les résultats des conservateurs sont les éléments les plus faciles à utiliser pour une comparaison avec 1881. Ainsi, peut-on voir qu’ici, comme d’ailleurs dans toute la France, les conservateurs feront d’autant plus de progrès en nombre de voix qu’ils étaient plus faibles en 188175.

105Par exemple, dans le groupe mixte, les conservateurs progressent de 16,8 points en moyenne soit 4 points de plus que dans le groupe I. Pourtant, dans le groupe I, les conservateurs ont gagné 148 sièges et ici 28. Cette observation illustre le phénomène, caractéristique de ces élections et qui ne fera que s’accentuer dans les groupes III et IV, à savoir que les conservateurs gagneront d’autant plus de voix qu’ils ont moins de chance de gagner de sièges.

106En d’autres termes, mouvement des sièges et mouvement de voix sont inversement proportionnels.

  • 76 Sur le Tarn et plus particulièrement la région de Carmaux où s’opère la transformation des paysans (...)

107En raison des personnalités en présence, il faut faire une mention spéciale du Tarn, seul département mixte à avoir élu la totalité de ses députés le 4 octobre : 5 républicains et un conservateur. La liste républicaine menée par Jaurès, maître de conférence à la Faculté des Lettres de Toulouse, suivi de Bernard Lavergne (abstentionniste le 29, et hostile le 30), de Cavalié (opposé à Jules Ferry, comme il l’avait été à Gambetta) et de Compayré (fidèle dans son soutien à J. Ferry) était une liste d’union républicaine tout à fait modérée. La liste des conservateurs était menée par le baron Reille, député sortant fortement implanté dans le département, et ancien secrétaire d’État à l’intérieur du Cabinet Broglie de 187776.

108Voici les chiffres :

109La somme des voix recueillies par Jaurès et Reille est égale à 96.043, soit 2.111 de plus que le nombre d’exprimés ; ceci veut dire que 1,9 des inscrits, représentant 2,2 % des électeurs ayant exprimé un suffrage ont ici pratiqué un vote panaché dont les orientations opposées se voulaient plus complémentaires que contradictoires.

VARIATION 1881-1885

VARIATION 1881-1885
  • 77 Il s’en est expliqué dans la préface de ses Discours (op. cit.) où il écrit qu’il est aussi faux de (...)
  • 78 Hasard ou coïncidence ? Le Tarn continue de nos jours à être un département remarquable par le taux (...)

110Le Tarn est un cas particulièrement intéressant en raison d’une part, de l’implantation du baron Reille et, d’autre part, de la campagne très dynamique menée par Jaurès : grand admirateur de J. Ferry, ce dernier n’était pas encore socialiste77 ; il apportait cependant quelque chose de très neuf et on peut penser que c’est grâce à lui que les républicains se maintiennent en ne perdant que 0,2 % de voix, ce qui est le record absolu de l’ensemble des départements mixtes où la compétition avait lieu sous forme de duel. Ce résultat n’a d’ailleurs été obtenu que grâce à une participation exceptionnellement élevée de 85,1 %, ce qui est un autre record à l’intérieur du groupe 1178.

111Le cas du Tarn s’apparente à celui du Lot-et-Garonne où Sarette, député sortant bonapartiste, est élu en même temps que Fallières et Deluns-Montaud, deux députés républicains fort modérés : les 858 voix républicaines recueillies par Sarrette manquent tellement aux républicains que G. Leygues et Mandenard, qui n’ont pas la notoriété des députés sortants, devront attendre le second tour pour être élus. Ainsi voit-on que le phénomène mixte joue toujours au profit des députés sortants et dans des départements où la population refuse de renoncer à une représentation mixte à laquelle elle est accoutumée.

  • 79 Voir carte des élus du premier tour.

112Au niveau politique, ce phénomène jouera donc dans les régions frontières entre la France rurale et conservatrice d’une part, la France urbaine et républicaine d’autre part ; on le rencontre ainsi sur le pourtour du Massif Central et, plus au Nord, là où le massif armoricain rencontre le Bassin parisien : dans l’Orne et la Sarthe79.

  • 80 Voir carte du comportement mixte dans les quarante départements des groupes I et II.

113De façon plus générale, on peut dire que dans les 40 départements des groupes I et II, où le radicalisme n’existe que pour mémoire, le comportement mixte – beaucoup plus fréquent au niveau des voix que ne le laisse supposer le nombre final des élus80 – traduit l’embarras du corps électoral devant une problématique qui l’oblige à choisir entre la « guerre extérieure » (promise par les conservateurs si les républicains gagnent) et « la guerre civile » (prévue par les républicains si les conservateurs gagnent).

114Théoriquement, le centre gauche d’opposition à la fois républicain et pacifique aurait dû fournir une réponse satisfaisante. Mais deux obstacles s’y opposaient. Le premier, le plus fort, est la logique du scrutin majoritaire qui oblige l’électeur à se montrer solidaire d’une des deux grandes familles idéologiques, d’un de ces « tempéraments » politiques si bien décrits par F. Goguel dans « La politique des partis de la IIIe République » ; le second obstacle était seulement affaire de circonstances : l’ambiguïté du centre gauche, éclaté en plusieurs tronçons, et dépourvu de chefs à audience nationale, lui retirait toute crédibilité.

115En d’autres termes, si le premier obstacle était fondamental, si l’obligation de se déclarer solidaire d’un camp ou de l’autre était absolue, le second obstacle pouvait n’être que temporaire.

116Ceci explique pourquoi, en octobre 1885, le suffrage des citoyens, modérés mais insatisfaits, plus fluide en cela que celui des parlementaires, ait préféré l’opposition de droite à celle du centre gauche. Et d’autant que pour atténuer l’effet « réactionnaire » de ce transfert, 9,0 % des citoyens avaient jugé bon de pratiquer un vote panaché.

  • 81 Expression empruntée à Stanley Hoffmann. Voir A la Recherche de la France, Le Seuil, 1963.

117Le comportement mixte se présente donc comme un vote de « synthèse républicaine »81, comme un mandat que les élus, une fois arrivés à la Chambre, seront malheureusement incapables de remplir. Et ceci sera un des éléments du succès électoral de Boulanger.

*
* *

118Dans les groupes III et IV, la situation est différente. Ici, les républicains sont majoritaires depuis de longues années. L’hésitation commence quand il faut répondre au trinôme Paix, Guerre ou Radicalisme ? Faut-il voter pour ce ministère d’alternative républicaine dont parle Clemenceau ? Faut-il voter pour des conservateurs qui, ici, n’ont aucune chance d’être élus ? Ou bien encore, dans le doute, est-il plus sage de s’abstenir ?

119Les trois réponses coexisteront et seront souvent fonction de la configuration locale : en effet, voter pour un député ferryste ne signifie pas la même chose en Ille-et-Vilaine, où il a nom Waldeck-Rousseau, et dans les Alpes-Maritimes ou le Cantal, où l’absence de liste conservatrice transforme le vote pro-ferryste en vote anti-radical. De la même façon, voter radical dans l’Hérault ou dans la Drôme, où les républicains modérés sont absents, a moins de poids que voter radical dans les Vosges, fief de Jules Ferry, ou en Seine-et-Marne, seul département où la liste radicale s’impose entièrement dès le premier tour dans une élection triangulaire.

  • 82 Dans l’Ain où le banquier Henri Germain, Centre gauche, se présente seul et retire 15.000 voix à l’ (...)

120Enfin, le jeu des doubles investitures rend très difficile de mesurer exactement l’ampleur de la poussée radicale ; dans ces 47 départements, le volume des « voix panachées » s’élève à 182.689 dont à peine 16.000 pour la frontière centre-gauche – centre-droit82 : ailleurs, le vote panaché est un vote républicain-modéré-radical qui, symétrique de vote centre gauche – conservateur des groupes I et II, modère la signification du glissement vers l’extrême-gauche. Pour mesurer l’importance de la poussée radicale, il faut donc avoir deux chiffres en mémoire : 381.000 voix de progrès tempéré par l’existence d’un volume de vote panaché de l’ordre de 166.000 voix.

121Le groupe III est celui des 25 départements où la décision républicaine, majoritaire dès le premier tour, a élu 102 députés sur 175 sièges à pourvoir ; le groupe IV est au contraire celui où le ballotage affecte la totalité des sièges.

122Le groupe III est celui où les conservateurs sont les plus faibles : absents de 10 départements en 1881, en 1885, ils manquent encore dans deux départements. Ceci explique pourquoi ici, la hausse de participation a été la plus forte de toute la France (+ 13,1), par simple mobilisation de l’électorat conservateur qui avait été incapable de s’exprimer en 1881. Le progrès des conservateurs est important (+ 19,9), moindre cependant que dans le groupe IV : cette hausse confirme donc la tendance déjà remarquée à propos des groupes I et II, et qui veut que lors de ces élections, les conservateurs auront fait d’autant plus de progrès que le département est plus à gauche.

  • 83 Dans le cas de l’Ain où Henri Germain, député Centre gauche, champion du libre échange, se présente (...)

123Globalement, le niveau des républicains du groupe III apparaît stable avec une moyenne de 55,2. Si on laisse de côté les libéraux, ici négligeables83, les pertes modérées sont exactement compensées par le progrès radical ( – 12,7 + 12,7).

124Mais pour se faire une idée juste de ces résultats, il faut regarder la figure des différentes compétitions : duels républicains – conservateurs dans 10 départements dont 7 élisent la totalité de leurs députés ; 4 cas de lutte triangulaire républicains – radicaux – conservateurs, où la présence de trois listes complètes n’empêchera pas que tous les sièges soient pourvus au premier tour.

125Enfin, 12 « trapèzes », pourrait-on dire : nous appelons « trapèzes » les 12 départements où ne seront élus que les têtes de liste ayant bénéficié de la double investiture modérée-radicale, dont la situation s’apparente alors à celles des candidats en position de duels, tandis que les candidats ne figurant que sur une liste, sont en ballotage comme dans la plupart des figures en triangle. En cas de duel, la situation des républicains est évidemment d’autant meilleure que leur liste paraît plus large : ainsi dans l’Allier, une liste d’union composée de trois modérés et trois radicaux permet aux républicains de progresser de 2,3 points par rapport à 1881, ce qui est un cas unique parmi les 34 départements où la compétition avait forme de duel. Inversement, la liste purement radicale de l’Hérault engendre une chute républicaine de 14 points et un taux de participation parti- culièrement bas, dû à l’abstention des modérés ; sans être aussi forte, la chute des républicains-radicaux de la Drôme est sensible (—7,4). Et, dans la Drôme comme dans l’Hérault, le progrès des conservateurs est supérieur à la moyenne de ce groupe (+ 23,9 et + 26,5), ce qui est le signe de la corrélation qui existe entre progrès conservateur et implantation d’une extrême-gauche accélérant le transfert du centre gauche vers le centre droit.

  • 84 La liste conservatrice est ici remplacée par une liste Centre gauche – conservatrice qui, en raison (...)

Groupe III : 25 départements républicains où sont élus 102 députés84

Groupe III : 25 départements républicains où sont élus 102 députés84

126Parmi les duels, il faut signaler trois cas : l’Ille-et-Vilaine, l’Indre-et-Loire et les Deux-Sèvres où le succès des têtes de liste républicaine est insuffisant à entraîner celui de la liste entière. Celui de l’Ille-et-Vilaine est particulièrement intéressant puisque, contrairement à la règle, la déperdition de voix républicaines s’exerce ici aux dépens de candidats fort connus, à savoir deux anciens ministres de Jules Ferry : Martin Feuillée et Waldeck-Rousseau. Ce dernier se situant 1.300 voix au-dessous du candidat en tête de liste républicaine, n’a alors que 300 voix de plus que son concurrent de droite le plus favorisé, également député sortant.

  • 85 Dont les affiches sont conservées aux Archives Nationales, à la suite du procès d’invalidation enga (...)

127N’étaient les circonstances locales, ce département isolé dans l’Ouest conservateur où il fait figure de marche de la République, aurait pu avoir une représentation mixte comme le Tarn ou le Lot-et-Garonne, ou encore pratiquer le vote panaché comme l’Eure et la Dordogne où se présentait Fourtou. Mais ici, la personnalité des candidats d’une part, et d’autre part, la violence d’une campagne entièrement dominée par le couple guerre civile – guerre extérieure85, interdisant le confort moral du vote panaché qui s’abstient de choisir, n’offraient d’autre issue que la radiation de la liste de certains noms.

128On est alors poussé à se demander si le vote panaché n’est pas, et quelle que soit son orientation, fonction du calme ou de l’âpreté d’une campagne électorale qui a laissé ou non entendre, que le sort du régime était en jeu. Ce qui encouragerait à le croire, c’est l’observation des quatre départements où, en dépit de la présence de trois listes complètes, la décision est enlevée en totalité dès le premier tour.

  • 86 Là, en raison de la présence des frères Ferry, il y a cependant mille voix qui ont pratiqué le vote (...)

129Là, le panachage est absent trois fois sur quatre, alors qu’il existe partout ailleurs où trois listes sont en présence. C’est donc dans une réelle clarté que les modérés gagnent en Meurthe-et-Moselle, Seine-Inférieure et dans les Vosges86, et les radicaux en Seine-et-Marne.

130Ces quatre départements sont donc les seuls dont on puisse dire que les électeurs auront été non seulement « convoqués » et « informés », puisque trois vraies listes leur auront été présentées, mais encore « consultés » car la masse de la réponse lui retire toute ambiguïté. Mais quatre départements sur 87, c’est peu !

  • 87 Liste Centre gauche conservatrice.

Groupe IV : 22 départements où le ballottage est total87

Groupe IV : 22 départements où le ballottage est total87

131Partout ailleurs, l’absence des radicaux qui avaient donné la tonalité de la campagne (34 départements), l’absence des conservateurs (2 départements), la présence du centre gauche (10 départements), assorties du jeu des doubles investitures et du comportement mixte, se cumulent pour rendre tout à fait opaque la volonté d’apaisement républicain qui était celle du corps électoral.

132Et tout ceci sans compter le jeu propre de « l’effet Condorcet » qui, dans le groupe IV, va dérouler toutes ses conséquences.

*
* *

133Le groupe IV est le plus divisé : le signe le plus évident de cette perplexité est le niveau de participation qui trouve ici sa moyenne la plus basse (73,5). A l’inverse, le progrès conservateur y est le plus grand (+ 20,8) ; ceci est d’autant plus remarquable qu’ici les conservateurs n’avaient, en 1881, été absents que de 3 départements au lieu de 10, comme dans le groupe III.

  • 88 La Seine-et-Oise où il y a une liste Centre gauche soutenue par L. Say, sénateur.

134Ce groupe est celui où le triangle radical-républicain-conservateur est la figure adoptée par la totalité des départements sauf un qui préfère le carré88. Ceci explique évidemment le ballottage généralisé, mais non l’existence d’un vote panaché qui, totalisant 70.815 voix, soit 4 % des exprimés et 3 % des inscrits, doit être mis en face du progrès de 7 points enregistré par les radicaux, dans ces départements qui dessinent leur zone de force.

  • 89 Rappelons que jusqu’au 4 octobre les radicaux ne veulent avoir rien de commun avec Jules Ferry dont (...)

135Puisque les radicaux sont partout présents sous forme de listes complètes et autonomes89, on peut comparer les trois pointes du triangle : les conservateurs arrivent en tête avec une moyenne de 28,5 ; ils sont suivis des républicains modérés qui les talonnent avec une moyenne de 26,1 ; enfin, les radicaux ferment le cortège avec une moyenne de 20,6 qui, de toute la France est la plus haute qu’ils aient obtenue.

136Mais, par le jeu de l’effet Condorcet, le modeste progrès radical va être extrêmement valorisé du fait de sa situation relative entre un progrès conservateur (le plus haut des quatre groupes) et une chute des républicains modérés (la plus profonde des quatre groupes).

  • 90 Si les élections n’avaient eu qu’un seul tour, comme en 1848, 1849 et 1871, les conservateurs aurai (...)

137Le progrès conservateur est si fort que les listes conservatrices se situent en tête dans 7 départements sur 22, tandis que dans six autres, ils disputent les premières places aux républicains90.

138Regardons maintenant les 7 départements où les conservateurs sont en tête pour comprendre comment, au second tour, les radicaux tireront un bénéfice politique en sièges, très supérieur au progrès en voix enregistré au premier tour.

139De 1881 à 1885, les radicaux gagnent 24.000 voix dans ces sept départements ; en pourcentage des inscrits, ils passent de 21,1 % à 24,7 %, ce qui est conforme à la moyenne nationale. Mais la hausse des conservateurs qui triplent leurs effectifs a pour conséquence première le laminage des modérés, et pour conséquence seconde le renversement des positions à l’intérieur de la famille républicaine où les radicaux passent de 40,3 % à 56,8 %, c’est-à-dire d’une position minoritaire à une position majoritaire.

140Ainsi, voit-on comment le triomphe que les radicaux vont remporter au second tour (23 sièges sur 30) ne sera pas tant dû à leur propre poussée qu’à celle des conservateurs. Inversement, ces derniers se retrouveront à l’issue du second tour, sans le moindre siège alors qu’ils étaient arrivés en tête le 4 octobre.

141Ceci est exactement l’illustration du paradoxe de Condorcet qui joue dès que sont associées réponses à trois branches et procédures majoritaires. A la question : par qui voulez-vous être gouverné, le corps électoral répond la première fois par ordre de préférence :

1.

Les conservateurs

32,7

%

2.

Les radicaux

24,7

%

3.

Les modérés

18,7

%

142Mais l’élimination de la plupart des modérés par le jeu de la procédure majoritaire fera qu’au terme du second tour, la réponse deviendra :

1.

Les radicaux

23 sièges

2.

Les modérés

7 sièges

3.

Les conservateurs

0 siège

143Soit une réponse finale qui, sans jeu de mots, est radicalement contraire à la première. Ainsi, tandis que dans les groupes I et II, le ralliement du centre gauche à l’opposition de droite avait eu pour conséquence le succès des candidats conservateurs, le même phénomène aura pour résultat dans le groupe IV, et pour une raison purement mécanique, le succès des candidats radicaux.

Carte II : ÉLECTIONS 1885 : DEUXIÈME TOUR, 18 OCTOBRE

Carte II : ÉLECTIONS 1885 : DEUXIÈME TOUR, 18 OCTOBRE

144Aussi, par delà la résultat politique du second tour, formulé en nombre de sièges à la Chambre des députés, convient-il de regarder avec précision le mouvement des voix d’un tour à l’autre afin de voir comment l’opinion va réagir devant cette « poussée des extrêmes » dont tout le monde parle et qui, en réalité, n’était qu’un mouvement du centre gauche vers le centre droit, effectué dans un esprit d’apaisement républicain.

c) Le deuxième tour : un vote contre la guerre « civile »

145Le second tour a lieu le 18 octobre dans les 54 départements où 267 sièges sont en ballottage : le second tour sera donc bien ce « tour décisif » décrit par F. Goguel, car le 4 octobre, les conservateurs avaient été majoritaires avec 176 députés contre 125 aux républicains.

  • 91 La Justice, 6 et 7 octobre 1885.

146Pour les républicains, le terrible coup de semonce avait aussitôt été entendu comme tel : dès le 6 octobre, La Justice, véritable chef de file de la campagne, en appelle à l’union en écrivant : « Maintenant, on ne discute plus, on serre les coudes »91. Et c’est le même journal qui, décidant de transposer purement et simplement la stratégie de la discipline républicaine de l’arrondissement au département, va trouver le moyen de donner une extraordinaire plus-value au léger progrès radical.

  • 92 En Haute-Garonne et dans l’Ariège où les députés radicaux sortants seront incorporés à une liste mo (...)

147La position du parti radical est si forte, entre le 4 et le 18 octobre, qu’il réussit même à obtenir certaines exceptions en faveur de députés en difficulté, alors que rien d’analogue ne sera accordé à des sortants plus modérés92 : en d’autres termes, le parti radical saura « au nom de la défense républicaine » faire jouer à son profit tantôt les avantages du scrutin majoritaire, tantôt ceux de la proportionnelle !

148Quoi qu’il en soit, le débat du 18 octobre n’est plus de choisir entre les républicains mais de confirmer ou d’infirmer la République installée depuis dix ans.

149Que veut le corps électoral ? Est-il prêt à amplifier les résultats du 4 octobre en volant au secours des vainqueurs du premier tour ? ou au contraire, inquiet de l’image renvoyée par ce nouveau mode de scrutin, va-t-il essayer d’en modifier le contour à l’intérieur des données très contraignantes léguées par le premier tour ?

150Tout l’intérêt du second tour réside dans la modulation des réponses qui, variables selon les situations locales, traduiront partout le même désir de modération.

*
* *

151Globalement, les variations sont faibles : dans les 54 départements où il y a un second tour, 4.635.000 citoyens avaient voté le 4 octobre ; il y en aura 4.577.000 le 18, soit 0,1 % de moins. La chute de la participation donne d’autant plus de valeur à la hausse des conservateurs qui, passant de 1.747.102 voix à 1.872.805, gagnent 135.000 voix, soit 2,1 % des inscrits. Le progrès conservateur s’est donc fait non seulement chez les abstentionnistes du premier tour, mais aussi aux dépens des républicains qui, fléchissant de 3.078.263 à 2.712.411 voix, perdent plus de 350.000 électeurs.

152Dans ces 54 départements où les conservateurs avaient été minoritaires le 4 octobre, la mobilisation a donc été plus forte à droite qu’à gauche : le problème est donc de chercher si elle a été politiquement utile, c’est-à-dire si la mobilisation de l’électorat conservateur s’est réalisée dans les circonscriptions où les sièges se jouaient à quelques centaines de voix.

153On sait qu’il n’en fut rien : le 18 octobre, les conservateurs obtiennent 26 sièges et les républicains 241.

  • 93 Cf. J. Kayser dans le tome I de ses Grandes batailles du radicalisme, Marcel Rivière, 1962, p. 143.

154Ce désastre est d’habitude considéré comme le résultat de la « discipline républicaine »93 ce qui, sans être inexact, demeure un peu simple, car cette interprétation ne donne aucune réponse au phénomène intéressant du second tour, à savoir l’inversion entre le mouvement des voix qui se fait au bénéfice des conservateurs et le mouvement des sièges qui profite entièrement aux républicains.

155Or, cette inversion ne s’explique qu’en raison des situations locales qui pondèrent le vote conservateur d’une signification différente, selon que ce vote doit élire un député ou, au contraire, seulement tempérer le succès d’un républicain qui, étant donné les résultats du premier tour, est sûr de passer.

156Pour interpréter la signification du vote conservateur du second tour, il faut regarder la configuration des listes en présence qui seule, permet d’expliquer la direction dans laquelle va être attiré le vote flottant du centre, de ce centre qui, au premier tour, s’était porté en masse de la gauche vers la droite.

157Six figures sont possibles.

158La première est la plus simple : il n’y a plus de conservateurs ; au premier comme au second tour, le combat a lieu entre radicaux et républicains. Mais cette figure, qui aurait justifié la stratégie de Clemenceau, ne se retrouve que dans deux départements : dans les Alpes-Maritimes où l’avantage tourne en faveur des modérés, grâce à quoi Rouvier, ancien ministre de J. Ferry, trouvera une revanche à l’échec que sa politique protectionniste lui avait valu dans les Bouches-du-Rhône ; dans le Cantal, ce seront au contraire deux radicaux qui gagneront les sièges.

159Deux députés modérés, deux députés radicaux : le match est nul et de toute façon l’échantillon de la figure 0 est trop étroit pour tirer des conclusions générales. Tout au plus, peut-on signaler que la baisse de la participation dans ces deux départements dépourvus de conservateurs, ne traduit pas un état de mobilisation générale de la part de l’opinion.

160Restent donc cinq figures pour lesquelles il faut essayer d’évaluer avec précision la variation, d’une part, de la participation, et d’autre part, des résultats obtenus par les conservateurs et les républicains, selon le jeu des désistements.

161La figure I est celle des 9 départements où le duel du second tour ne fait que reproduire celui du premier tour ; la figure II est celle des dix départements où il y a eu retrait muet d’une liste centre gauche ; la figure III est celle des 12 départements où la liste radicale se désiste en faveur des modérés ; la figure IV, celle des 7 départements où il y a fusion des républicains modérés et radicaux dans une nouvelle liste ; la figure V, enfin, est celle où les radicaux dits « intransigeants » affrontent seuls les conservateurs.

Figure 1 : 9 départements avec « Duels » aux deux tours

Figure 1 : 9 départements avec « Duels » aux deux tours
  • 94 Le cas de l’Isère mérite d’être disjoint car il n’y avait plus de liste conservatrice au second tou (...)

Figure II : 10 départements avec retrait d’une liste « Centre gauche » (Variation 1er tour – 2e tour)94

Figure II : 10 départements avec retrait d’une liste « Centre gauche » (Variation 1er tour – 2e tour)94

Figure iii : 12 départements avec retrait de la liste radicale (Variation 1er tour – 2e tour)

Figure iii : 12 départements avec retrait de la liste radicale (Variation 1er tour – 2e tour)
  • 95 Centre gauche conservateur.

Figure IV : 7 départements avec fusion Républicains-Radicaux (Variation 1er tour – 2e tour)95

Figure IV : 7 départements avec fusion Républicains-Radicaux (Variation 1er tour – 2e tour)95
  • 96 Centre gauche conservateur.

Figure V : 13 départements avec retrait de la liste modérée (Variation 1er tour – 2e tour)96

Figure V : 13 départements avec retrait de la liste modérée (Variation 1er tour – 2e tour)96

Figure VI : 1 département avec élection triangulaire : Seine-et-Oise (Variation 1er tour – 2e tour)

Figure VI : 1 département avec élection triangulaire : Seine-et-Oise (Variation 1er tour – 2e tour)

1885 : VARIATION DU 1er au 2e TOUR

1885 : VARIATION DU 1er au 2e TOUR

162Le graphique précédent illustre les cinq types de comportements retenus.

163Le cas le plus net est celui de la figure I dont la courbe est renversée par rapport aux quatre autres puisqu’elle est la seule où la variation républicaine tient lieu de sommet alors qu’ailleurs la variation républicaine creuse la courbe.

164Dans la figure I, le duel du second tour ne fait que reproduire le duel du premier tour. Le seul élément nouveau du 18 octobre est donc le succès conservateur du 4 octobre qu’il s’agit de confirmer ou d’infirmer. Or là, dans ces 9 départements, dont certains sont des fiefs conservateurs habitués à de fortes participations électorales, dans ces circonscriptions où un léger déplacement de voix eût suffi à élargir le succès du premier tour, le parti conservateur recule, la participation baisse, et ceci dans ces seuls départements comme le montre l’inversion de la courbe.

165Encore une fois, ceci montre le caractère très largement protestataire du vote conservateur d’octobre 1885 qui, au premier comme au second tour, se porte d’autant plus volontiers sur un candidat que ce dernier a moins de chance d’être élu.

166Dans les départements où les conservateurs avaient été majoritaires ou même proches de la majorité le 4 octobre, quinze jours plus tard, non seulement ils ne retrouvent pas leur niveau, mais encore ils reculent car une mince frange de leur électorat va changer son vote entre les deux tours, pour réaffermir la République en danger : 0,5 % dans l’Eure pour empêcher le duc de Broglie d’être élu, 0,6 % en Ille-et-Vilaine pour assurer la victoire de Waldeck-Rousseau et de ses amis fidèles à Jules Ferry. Ceci montre bien que, « protestataire », le vote conservateur de 1885 n’est pas réactionnaire car dès que le danger se précise, il se rétracte.

167Il y a cependant deux exceptions qui valent la peine d’être notées car chacune à leur façon, elles annoncent l’avenir : dans l’Orne (qui avait été mixte au premier tour) les conservateurs progressent et réussissent à faire passer quatre candidats. Cette progression exceptionnelle s’explique par la présence du baron de Mackau qui, autrefois bonapartiste, cherchait maintenant à ramener les droites à l’intérieur de la légalité républicaine et allait bientôt être le plus ferme soutien de « l’expérience » Rouvier. Débarrassés de leur côté réactionnaire, les conservateurs pouvaient donc progresser ; mais cette attitude demeurait encore trop exceptionnelle chez leurs chefs pour pouvoir avoir des conséquences nationales.

  • 97 La Haute-Loire appartient à la figure IV où une liste nouvelle a été créée par la fusion des républ (...)

168Autre exception, les Deux-Sèvres, où les conservateurs gagnent 0,8 % de voix qui demeureront sans conséquence politique puisque le département deviendra entièrement républicain. Là, le progrès conservateur est lié à la présence sur la liste républicaine d’un ancien député d’extrême-gauche. Dans les Deux-Sèvres, on devient donc conservateur par crainte du « péril social » et le comportement des conservateurs de ce département est alors à rapprocher de celui des conservateurs de la Haute-Loire97 où, la crainte du radicalisme commençant à supplanter la crainte de la réaction, voter conservateur devenait une façon de voter républicain modéré.

  • 98 Voir F. goguel, La Politique des Partis, chap. III, op. cit., p. 68 et ss.

169Mais ces deux départements dont le comportement annonce tantôt un désir « d’apaisement républicain », tantôt la déviation dont sera l’objet ce désir quand les possédants utiliseront le ralliement pour affermir leurs privilèges98, ne suffisent pas à renverser l’allure générale de la courbe de la figure I qui demeure seule en forme de A à côté des quatre autres formes de V.

170La courbe la plus profonde est celle de la figure II où les républicains connaissent une chute spectaculaire : 10,5 si on compte l’Isère – 9,9 si on met à part ce département exceptionnel en raison du retrait total des conservateurs au second tour qui, cas unique, laisseront les républicains être élus sans concurrent.

171En fait, comme nous l’avons dit plus haut, la chute des républicains s’explique ici par le retrait, sans phrases, des listes centre gauche qui, au premier tour avaient, par leur présence ambiguë, artificiellement gonflé les résultats républicains.

172En omettant de se rallier à la campagne de défense républicaine, les candidats centre gauche permettent simplement aux choses de revenir à l’ordre du premier tour, ordre que leurs candidatures avaient un moment troublé : l’Aisne et les Ardennes demeurent entièrement républicains bien que les conservateurs y enregistrent un progrès exceptionnellement important dû au report de près d’un tiers de l’électorat centre gauche sur leurs listes. La Corse, cas particulier s’il en fût, redevient bonapartiste. Le Lot, la Lozère et l’Oise confirment leur orientation conservatrice du premier tour, tandis que l’Isère, la Haute-Marne et la Haute-Saône complètent de leur côté des listes républicaines affaiblies par la diversion centre gauche.

173La Charente-Inférieure enfin, se donne une représentation mixte qui correspond assez exactement à sa situation de département frontière entouré de trois départements républicains et de deux conservateurs.

174Au total, 21 députés républicains et 15 députés conservateurs : ces derniers remportent dans ce groupe leur meilleur succès en valeur absolue mais non en valeur relative car, dans le groupe I, ils avaient gagné 8 sièges contre 12 aux républicains, ce qui est une proportion sensiblement égale.

175Que le résultat politique de ces deux groupes soit proche ne signifie pas pour autant que leur comportement soit identique : en effet, les départements de la figure II se signalent par le niveau exceptionnellement élevé de la participation d’une part, et du nombre de voix recueillies par les conservateurs d’autre part. Mais aussitôt, il faut tempérer cette observation par une autre car, là encore, les conservateurs ne se mobilisent pas dans les circonscriptions politiquement utiles : leur progrès le plus spectaculaire sera, par exemple, enregistré dans l’Aisne qui élira cependant 8 députés républicains.

176Ainsi, en dépit d’apparences plus flatteuses dues au retrait des listes centre gauche, la leçon des départements de la figure II est-elle bien la même que celle des départements de la figure I : face à l’éventualité de l’élection d’un député conservateur, l’électorat conservateur a tendance à se rétracter plutôt qu’à se dilater. Loin de leur être un atout, le succès des conservateurs au premier tour leur est un handicap pour le second, dès qu’ils deviennent politiquement crédibles.

177En d’autres termes, le vote conservateur, simple vote protestataire à l’égard d’une République jugée trop aventureuse, va pouvoir se développer d’autant plus volontiers qu’il aura moins de conséquences politiques, comme va encore le montrer l’analyse des figures III, IV et V.

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178Dans les trois dernières figures, le suffrage universel est appelé à se situer dans une perspective où le succès républicain est assuré. La question ici est donc l’inverse de celle des groupes I et II : le corps électoral va-t-il voler au secours d’une victoire républicaine déjà inscrite dans les chiffres du premier tour ? Ou au contraire, va-t-il essayer de la tempérer ?

  • 99 En passant de 75,6 % à 75,5 %.
  • 100 Sur les « pressions contradictoires » subies par les électeurs, voir Lazarsfeld et Berelson, The Am (...)

179Une première indication est donnée par le niveau de la participation : tout en demeurant en valeur absolue plus bas que dans les figures I et II où le poids des conservateurs pesait en faveur d’une forte participation, le progrès de la participation dans les groupes III, IV et V est supérieur à la moyenne nationale qui, par suite d’une chute de 100.000 voix, recule de 0,1 point99. C’est dire qu’ici les Français se sont sentis concernés par le second tour et que la part d’abstentions due à l’hésitation100 des citoyens devant la problématique électorale, s’est dissipée.

180Mais il ne faudrait pas en conclure que la mobilisation électorale se fera partout au profit de la « défense républicaine ». Ce ne sera le cas que lorsque cette dernière prendra le visage rassurant des républicains modérés.

181En effet, des trois groupes, le seul où les républicains vont progresser est celui de la figure III où, après l’élimination des radicaux, ne demeurent plus en lice que les listes opportunistes conduites par des hommes aussi notoirement liés à Jules Ferry que Casimir-Périer dans l’Aube et Sadi Carnot en Côte-d’Or.

182Et encore faut-il préciser que le léger progrès républicain (0,9) demeure cependant inférieur à celui des conservateurs (+ 1,3) qui, se situant quant à lui très loin de la barre de la majorité (33 %) a d’autant moins de signification politique qu’il paraît tout entier conquis aux dépens des abstentionnistes du premier tour.

183La seule exception est celle de la Somme dont il faut faire une mention spéciale en raison d’une part, de la présence de Goblet, ministre de l’instruction publique du Cabinet Brisson, et d’autre part de la position géographique de ce département situé dans la zone frontière de la France républicaine et de la France conservatrice.

184Au premier tour, quatre députés conservateurs avaient été élus pour huit sièges avec une confortable majorité : 44,6 % des inscrits contre 37,5 % à la liste du ministre à laquelle s’ajoutait, pour mémoire, 1.500 voix collectées par une minuscule liste radicale. Seule la présence tout à fait insolite, d’un candidat bonapartiste dissident, réunissant plus de 8.000 voix sur son nom, avait empêché l’élection complète de la liste conservatrice dès le premier tour.

185Or, que se passe-t-il le 18 octobre ? Au prix d’une campagne forcenée sur le thème de la « guerre civile », Goblet, le ministre, et Jametel, son colistier ferryste du 30 mars, réussissent à se faire élire en dépassant légèrement les deux autres candidats conservateurs élus, qui avaient pourtant eu 6.000 voix de plus que leurs concurrents quinze jours auparavant.

  • 101 Voici les chiffres :
    1er tour :
    Votants Conservateurs Bonap. Républicains Radicaux
    133.484 70.608 8.74 (...)

186Tout en améliorant leurs résultats personnels, les deux nouveaux élus conservateurs ne parviennent cependant pas à réunir sur leurs noms la totalité des voix recueillies au premier tour par leur chef de file, Blin de Bourdon101.

187Ainsi, n’était cette minuscule liste radicale qui nous a fait mettre la Somme dans le groupe III, on peut dire que le cas de la Somme est au fond plus proche de celui de la figure I que de celui de la figure III : comme l’Eure, la Somme deviendra mixte afin que le succès des conservateurs ne puisse pas avoir de signification réactionnaire. Et pour ce faire, plus de 4.000 électeurs conservateurs du premier tour changeront de camp lors du deuxième tour.

188Dans les figures IV et V, la volonté de modération du corps électoral, qui s’était manifestée dans les figures I et II aux dépens des conservateurs et dans la figure III au profit des républicains de gouvernement, va maintenant jouer aux dépens des radicaux.

189Bien que leur moyenne générale soit proche, les deux groupes sont différents : le groupe de la figure IV est un groupe composite où les considérations locales pèsent fortement, tandis que celui de la figure V est un ensemble homogène réunissant les 14 départements où les radicaux étaient arrivés en tête le 4 octobre.

  • 102 La Haute-Garonne est donc le seul département où c’est la division entre républicains et radicaux q (...)

190Dans la figure IV, c’est parce que radicaux et républicains se partagent les premières places que l’on décide de faire liste commune. Deux exceptions cependant, que nous avons déjà évoquées plus haut : dans l’Ariège, et plus encore en Haute-Garonne où, le 4 octobre, avaient été élus deux conservateurs dont Jacques Pi ou, c’est le succès de la droite qui pousse les républicains à ouvrir leur liste à d’anciens députés radicaux mis en difficulté102.

191Ailleurs, c’est l’ordre d’arrivée qui détermine la liste du second tour, d’autant qu’il est souvent difficile de faire la différence entre les vrais radicaux et ceux qui, comme dans le Cher et le Rhône, ne font que rendre un hommage verbal à ceux qui étaient devenus les meneurs du jeu politique depuis le 30 mars 1885.

192Quelquefois, le résultat peut même être cocasse puisque, dans la Seine, les hasards du premier tour feront que sur la même liste figureront, côte à côte, Frédéric Passy (membre de l’institut), Allain-Targé (ministre de l’intérieur), Clemenceau (tombeur des ministères) et Henri Rochefort le communard !

193Mais la présence radicale, efficace pour le résultat politique formulé en nombre de sièges, n’est pas acceptée par la totalité de l’opinion républicaine, comme le montre la moyenne générale du mouvement des voix, qui enregistre ici une chute de 3,2 points. Ainsi, loin d’asseoir le succès républicain sur des bases plus larges, comme l’avait fait le retrait radical dans les départements de la figure III, la présence des radicaux va donner un coup d’accélérateur au transfert du centre gauche vers le centre droit qui avait déjà été la caractéristique du premier tour.

194Dans le département de la Haute-Loire, le reflux sera même si important qu’il aura pour résultat l’élection d’un conservateur qui, bien que figurant sur la même liste que les bonapartistes, se définissait lui-même comme un « conservateur républicain ».

195S’il est exceptionnel que ce reflux aille jusque-là, la déperdition républicaine sera cependant partout proportionnelle à la dose de radicalisme incluse dans la liste. Pour s’en convaincre, il n’est que de comparer les exemples du Rhône et de la Seine.

196Dans le Rhône, les candidats se disent radicaux mais, en fait, ils sont fort modérés : trois députés sortants sur quatre avaient soutenu J. Ferry jusqu’au 29 mars, tandis qu’un seul, élu en 1883, lui était toujours demeuré hostile. Le résultat est net : après la dispersion du premier tour, les républicains réussissent ici une vraie « concentration » et remportent un des rares succès du groupe IV avec un gain de 2,6 points.

197A l’inverse, dans la Seine, les républicains enregistrent leur chute la plus forte : chute d’autant plus significative qu’elle va de pair avec une baisse de la participation et une hausse des conservateurs qui récoltent alors les voix modérées qui refusent de se solidariser avec les radicaux.

  • 103 Pour l’analyse des élections de la Seine nous nous appuyons, d’une part, sur les listes établies pa (...)

198Si on laisse de côté les guesdistes, il y avait eu à Paris cinq listes : les socialistes de Basly, les ultra-radicaux de Rochefort, les radicaux de Clemenceau, les opportunistes dont Spuller et Ranc étaient les figures de proue, et les conservateurs103.

199En fait, les choses étaient plus compliquées car les listes n’étant nullement exclusives, de nombreux candidats figuraient sur plusieurs et ceci d’autant plus facilement que chacune devait compter 38 noms. Dans ces conditions, les moyennes obtenues par chaque liste permettent de se faire une idée du rapport des forces politiques dans la capitale mais non du rôle des personnalités.

200Sinon, il serait impossible de comprendre au regard de ces chiffres qui sont les moyennes citées par Jaurès :

Guesdistes

15.000

Socialistes

45.000

Radicaux Rochefort

60.000

Radicaux Clemenceau

150.000

Opportunistes

130.000

Conservateurs

90.000

201pourquoi les socialistes auront quatre ou cinq élus, tandis que les opportunistes partisans de Ferry n’en auront aucun.

202Cette constatation montre que l’étiquette du candidat compte en réalité moins que le nombre de ses présences ou de ses absences. Ainsi Clemenceau, de même que son lieutenant Barodet, avaient-ils été mis en ballottage, le 4 octobre, pour avoir été exclus à la fois d’une liste ultra-radicale – menée par Rochefort et son journal La Lanterne – et de la liste opportuniste où leur présence aux côtés de députés aussi proches de Ferry que Ranc et Spuller était impensable.

  • 104 Avec, respectivement, 272.000, 263.000, 222.000 et 215.000 voix. Il ne suffira pas d’ailleurs d’avo (...)

203Aussi, assurés du soutien des seuls radicaux orthodoxes et socialistes, Barodet comme Clemenceau, n’étaient-ils arrivés, malgré leurs 202.000 voix, qu’au 5e et 6e rang, c’est-à-dire derrière Lockroy, Floquet, Anatole de La Forge et H. Brisson qui, présents sur trois listes, avaient été élus au premier tour104.

204Autre exemple : Spuller et Ranc, fidèles à Ferry jusqu’au 30 mars, n’avaient réussi à trouver de place que sur la liste opportuniste. Volonté expresse du corps électoral ou pression administrative ? Il ne peut en tout cas être le fait du hasard qu’ils se soient justement situés au 39e et 40e rang, c’est-à-dire à 300 voix derrière Frédéric Passy qui, modéré hostile à J. Ferry, avait trouvé place sur une autre liste : ainsi, F. Passy sera-t-il le dernier à être incoporé dans la liste d’union fabriquée pour le second tour, avec les 34 candidats arrivés en tête.

205Mais les 103.000 voix de Ranc et Spuller, qui représentaient l’électorat républicain modéré de la capitale, n’acceptent pas de se reporter en totalité sur une liste où la présence de Rochefort, Basly, Camélinat, ou Hude évoquaient plus les souvenirs de la Commune que les paroles apaisantes de Brisson lors de sa déclaration ministérielle.

  • 105 Rappelons, de plus, que le chef de la liste conservatrice est Ed. Hervé, directeur du Soleil, journ (...)

206Tiraillés entre des « pressions contradictoires », les électeurs modérés se divisent grosso modo en trois blocs : 17.000 s’abstiennent, 60.000 se rallient et 19.000 passent dans le camp conservateur qui progresse alors de 92 à 111.000 voix105. En pourcentage, cela fait 3,3 % des inscrits et 4,4 % des suffrages exprimés qui ont changé de camp entre le 4 et le 18 octobre.

207Bien sûr, pour qu’il en soit ainsi, il fallait que les conservateurs – trois fois plus faibles que les républicains – n’aient aucune chance d’être élus. Le vote conservateur n’était une fois encore qu’un vote négatif, protestataire, destiné à tempérer un succès radical par ailleurs assuré. Modérateur, le vote conservateur n’était plus dirigé contre « la guerre extérieure », condamnée sans appel à l’issue du premier tour, mais contre les perspectives de « guerre sociale », spectre qui était aux radicaux ce que les rumeurs de « guerre civile » et de coup d’État étaient aux conservateurs demeurés trop proches des bonapartistes du 2 décembre.

208Rien d’étonnant alors à ce que le même phénomène se retrouve, et même largement majoré, dans les départements de la figure V où les conservateurs enregistrent au deuxième tour leur progrès maximum avec une moyenne de 3,5 points.

209Réciproquement, la chute des républicains est, avec une moyenne de 2,7 points, la plus forte des quatre groupes où une liste centre gauche n’était pas venue obscurcir le résultat du premier tour. La seule exception notoire est celle des Pyrénées-Orientales où les républicains progressent de 4 points : en fait, l’analyse détaillée montre qu’il faut en trouver l’explication moins dans la présence de Ch. Floquet – qui n’arrivera qu’en deuxième position – que dans un niveau d’abstention qui, particulièrement élevé le 4 octobre, témoignait de l’existence d’une « réserve » républicaine susceptible d’être mobilisée dès que la problématique électorale serait débarrassée des ambiguïtés du premier tour.

210Partout ailleurs, la hausse des conservateurs, quelquefois supérieure à celle de la participation, témoignait non seulement de la mobilisation en quelque sorte désespérée de leur électorat abstentionniste du 1er tour, mais aussi de la porosité qui existait entre centre gauche et centre droit dès lors que quittant les états-majors, on descend jusqu’à observer le comportement du suffrage universel à l’intérieur de chaque circonscription.

211Mais les conservateurs ne sauront pas tirer la leçon de ces dispositions nouvelles du corps électoral. En particulier, ils refuseront de comprendre qu’ils étaient condamnés à l’échec tant qu’existeraient des doutes sur leur acceptation de la République.

212En effet, pour avoir une signification, pour avoir une importance politique, le ralliement des électeurs centre gauche à la droite aurait dû obéir à deux conditions : d’une part, qu’il y ait réciprocité dans les désistements, et d’autre part, qu’il y ait un accord national donnant une valeur politique à ce qui autrement ne demeurait qu’arrangement local.

213Or, rien de tout cela n’eut lieu pour la bonne raison que, réelle à la base, la communication entre chefs du parti conservateur et chefs du centre gauche était justement impossible en raison de l’existence des « tempéraments » politiques définis par F. Goguel et qui, à ce niveau, retrouvent tout leur poids.

  • 106 13 octobre 1885, Lettres, op. cit., p. 383. « Entre toutes les élections, celle-ci est la plus dépl (...)

214Rien ne le montre mieux que l’exemple de la Seine-et-Oise « entre toutes les élections, la plus déplorable » écrira Jules Ferry à son ami F. Dreyfus, qui avait été là le chef de file malheureux des républicains modérés106. La Seine-et-Oise était le département de Léon Say, président du centre gauche, qui avait voulu mener toute la campagne électorale de 1885 en chef de l’opposition ; à cette raison, la Seine-et-Oise devra le privilège unique d’avoir quatre listes complètes au premier tour – radicaux, modérés, centre gauche, et conservateurs – et trois listes au second tour – radicaux, centre gauche et conservateurs.

Seine-et-Oise : 153.342 inscrits, 9 sièges

Votants

Radicaux

Modérés

Centre gauche

Conservateurs

1er tour :

115.571

38.525

26.525

32.788

24.619

77,9 %

26,1 %

17,8 %

23,5 %

16,6 %

2e tour :

119.995

58.419

Retrait

38.396

25.646

38,0 %

28,0 %

16,7 %

215A l’issue du premier tour, l’ordre des listes était : radicaux en tête avec 26,1 % des voix, suivis du centre gauche qui, avec 23,5 % devançait les gouvernementaux dont les 17,8 % dépassaient à peine les 16,6 % des conservateurs. Appliquant l’accord national, les républicains modérés se retirent et appellent à voter en faveur des radicaux. Si les conservateurs avaient fait de même en engageant leurs électeurs à se reporter sur la liste centre gauche, cette dernière avait toutes chances d’être élue.

216Mais tel ne sera pas le cas. Et le maintien des conservateurs fera le succès des radicaux, en dépit du report de 6.000 voix des modérés vers le centre gauche.

217Ainsi, préférant l’élection des radicaux à celle de libéraux, choisissant la connivence avec les républicains d’opposition plutôt qu’avec les républicains de gouvernement, les chefs du parti conservateur révèlaient-ils leur nature profonde : aptes à mener une campagne d’opposition, et à drainer les suffrages protestataires, ils sont incapables de se présenter comme un parti de gouvernement, donc d’attirer vers eux les suffrages positifs émis par des citoyens qui désirent réellement leur accession à la tête du pays.

218A la limite, on pourrait même dire qu’en raison de leurs divisions internes, l’opposition sert plus l’existence des conservateurs que leur accès au pouvoir puisqu’elle leur permet de se taire sur les vrais problèmes, qu’il s’agisse de la nature du régime – parlementaire ou plébiscitaire – ou de la place dans la société de l’Église catholique que certains bonapartistes anticléricaux voudraient voir remetttre en cause.

219Mais l’échec du parti conservateur comme parti de gouvernement, quinze jours après son succès comme parti d’opposition, n’est pas seulement l’échec d’un parti ; il est aussi l’échec de tout un système politique qui, patiemment construit depuis plus de quinze ans, avait voulu simultanément tenter deux expériences : la proclamation d’une nouvelle légitimité qui, issue du suffrage universel et médiatisée par les députés, ne « connaîtrait pas d’ennemis à gauche » avec l’exercice libéral d’un régime parlementaire qui, rejetant les extrêmes avait tendance à chercher son point d’équilibre dans une conjonction des centres que précisément la légitimité refusait.

d) Contusion : Octobre 1885 ou le Jeu des dupes

220Au soir du 18 octobre, la légitimité républicaine est sauvée : 367 députés républicains sont élus contre 201 conservateurs. Mais le prix à payer avait été lourd. Pour l’emporter, les républicains modérés qui, avec 222 élus, demeuraient cependant le parti le plus nombreux de la Chambre, avaient été obligés d’accepter l’alliance des radicaux ; ces radicaux qui, tout au long de la législature, s’étaient acharnés contre eux, contre leur chef Jules Ferry, et contre sa politique d’apaisement républicain tendant à ériger le compromis parlementaire en méthode de gouvernement.

221Avec 144 élus, les radicaux apparaissent évidemmenent comme les grands vainqueurs de la joute électorale puisqu’un gain de 300.000 voix avait réussi, grâce au jeu de « l’effet Condorcet », à presque tripler leur représentation parlementaire.

222Mais la longue et minutieuse analyse à laquelle nous nous sommes livrés permet de dire que la « poussée des extrêmes » que les commentateurs s’accorderont à observer au lendemain des élections ne correspondait guère à la réalité. C’est au contraire le transfert massif, et à fins pacifiques, du centre gauche vers le centre droit qui, le 4 octobre, a engendré les trois caractéristiques du scrutin : l’élection inopinée de 175 conservateurs, la promotion des listes radicales par le renversement de leur influence relative dans une famille républicaine, amoindrie par le départ du centre gauche, et enfin l’apparition, en raison des possibilités ouvertes par ce scrutin pluri-nominal, d’un « comportement mixte » qui cherche à exprimer ce qui, à cause de l’abstention gouvernementale, était devenu inexprimable, à savoir l’attachement à un État républicain modéré.

223Au premier tour, le « comportement mixte » n’affleurera, au niveau de la représentation, que dans quatre départements : l’Orne, la Sarthe, le Lot-et-Garonne et le Tarn. Mais au niveau des voix, il aura affecté un nombre très supérieur de départements car on le rencontre dans 20 des 33 départements où le combat avait pris la forme d’un duel et dans 41 des 44 départements où le nombre des listes en présence était supérieur à deux.

224Autant dire qu’au premier tour, l’existence du vote panaché aura été la règle sauf dans les départements où la compétition avait été trop aiguë pour autoriser ce genre de comportement. Tel aura été le cas de 8 sur 20 départements conservateurs (l’Ardèche, le Calvados, le Finistère, l’Indre, la Manche, le Maine-et-Loire, le Morbihan, la Vendée) et de 5 départements républicains (l’Allier, la Drôme, l’Hérault, l’Ille-et-Vilaine, les Deux-Sèvres) auxquels il faut ajouter la Seine-et-Marne, la Seine-Inférieure, la Meurthe-et-Moselle, seuls départements où la présence de trois listes n’aura pas engendré de votes panachés.

225Au deuxième tour, le « comportement mixte » devient plus nuancé. A côté des 23 départements où l’on rencontre encore le vote panaché, le phénomène le plus important est le changement de camp entre les deux tours. Variant de direction selon les situations locales, la modification du vote entre le 4 et le 18 octobre a toujours pour résultat de renforcer le camp de la modération républicaine : chute des conservateurs et des radicaux dans leurs fiefs respectifs, progrès des républicains de gouvernement là où ils avaient devancé les radicaux du premier tour.

226Le résultat de ces transferts en double sens sera l’apparition de cinq nouveaux départements à représentation mixte : l’Eure, la Haute-Garonne et la Somme où les républicains réussissent à remonter le courant du succès conservateur du premier tour ; la Charente-Inférieure où les républicains devront leur succès à une alliance de dernière minute avec un isolé du centre gauche : le comte Duchâtel, ambassadeur de France ; la Haute-Loire enfin où, à l’inverse des quatre autres départements devenus mixtes au second tour, un « conservateur républicain » sera élu contre un radical.

  • 107 Emeric Deutsch, Denis Lindon et P. Weill, Les familles politiques aujourd’hui en France, Les Éditio (...)

227Au total, au second tour, 34 départements sur 54 auront, sous une forme ou une autre, pratiqué le comportement mixte dont l’importance vient moins de son volume chiffré – par définition assez modeste – que de son aire d’extension qui permet de jeter une lumière nouvelle sur l’opinion de l’électorat, situé à cheval sur la frontière des deux centres, dans cette région que plus tard on nommera le Marais107.

228En effet, le comportement mixte n’est pas seulement modérateur : c’est aussi un comportement « en creux » qui trahit une méconnaissance profonde du rôle de l’élection des députés dans la dévolution du pouvoir d’État, puisque d’ordinaire il privilégie le côté négatif du vote, aux dépens de sa fonction positive en faveur d’hommes que l’on souhaite réellement voir accéder au gouvernement.

229Comportement négatif à l’égard d’un Pouvoir qui semble exister identique à lui-même quelle que soit l’issue du scrutin, le comportement mixte permet en outre d’entrevoir la disponibilité du corps électoral, disponibilité qui se révèlera bientôt fort dangereuse pour le régime. Et d’autant plus, qu’aidé par les modalités du scrutin et les ambiguïtés d’une problématique de circonstance, ce comportement aura transformé les élections de 1885 en un gigantesque jeu de dupes : pour la première fois depuis 1871, le problème majeur de la dévolution du pouvoir d’État n’a pu être tranché puisque Clemenceau qui a mené toute la campagne, n’a pas obtenu le succès escompté et que les républicains modérés qui, en dépit des apparences, correspondent au sentiment intime du pays, demeurent paralysés en raison de l’interdit dont est frappé Jules Ferry.

230Divisée en trois groupes de taille sensiblement égale, la nouvelle Chambre est aussi ferme sur le principe de la légitimité républicaine de gauche qu’hésitante dès qu’il faut contribuer à l’élaboration des compromis gouvernementaux.

231Toute la crise boulangiste sortira de ce divorce entre les obligations de la légitimité républicaine et les nécessités de l’action gouvernementale.

Notes

1 In « Lettres » de Jules Ferry, op. cit., p. 356.

2 Le « sauf accident extérieur » ne fait que reprendre une phrase de Gambetta, souvent citée par Jules Ferry et prononcée au lendemain des élections d’octobre 1877. A cette date, Gambetta disait : « Je ne vois que deux choses qui puissent désormais exposer la République : une guerre européenne ou la suppression du budget des cultes », in Jules Ferry, op. cit., t. VII, p. 94.

3 Journaliste et député bonapartiste du Gers, P. de Cassagnac est le fils d’un homme le lettres, lauréat des « Jeux Floraux » qui avait fait ses débuts sous Louis-Philippe, dans le sillage de Victor Hugo et Guizot (cf. Ch. De Rémusat, Mémoires, t. III, p. 187).

4 La Justice, 23 août 1884, 23 novembre 1884, etc.

5 Cité par Seignobos, in Lavisse, op. cit., p. 78.

6 Voir plus haut, p. 76.

7 Même un biographe aussi favorable que G. Worsmer déclare que c’est probablement en 1885 que Clemenceau a le plus farouchement désiré devenir président du Conseil. Hanté par les souvenirs révolutionnaires, il guette le drame qui lui permettra d’émerger, et est d’ailleurs aidé dans ce fantasme par les socialistes qui l’utilisent pour pulvériser les républicains modérés : « Malgré l’indignation et la colère populaire, il n’y aura pas de révolution. Mais la défaite tonkinoise est une excellente préparation électorale pour la venue du radicalisme au pouvoir. » 3 avril 1885, P. Lafargue à Engels : Correspondance, Ed. sociales, 1956, t. I, p. 280.

8 La Justice, 6 janvier 1885.

9 Cf. le commentaire de L’Année politique 1885.

10 La Justice et Le Pays de P. Cassagnac emploient le même langage tant est grande la haine nourrie par les deux journaux à l’égard du président du Conseil, à la montée duquel ils assistent, semble-t-il, impuissants.

11 États-Unis et Inde.

12 Le tarif sera finalement voté le 5 mars par 264 voix (dont 48 députés conservateurs) contre 150 [radicaux + Centre gauche (H. Germain) + Gauche radicale (Wilson) + 36 républicains habituellement considérés comme ministériels].

13 La Justice, 3 février 1885 ; Le Pays, 2 février 1885.

14 J. Grévy a toujours soutenu qu’il ne dissoudrait la Chambre que lorsque celle-ci en aurait émis le vœu. Voir B. Lavergne, p. 264.

15 Décision fort critiquée par Clemenceau qui, faisant tout de suite le lien avec les opérations de Tunisie, avait lancé une interpellation à ce sujet (29 juillet 1881). En cela, Clemenceau était sur la même ligne que le Comité révolutionnaire central d’Eudes et Vaillant (cf. M. Dommanget, op. cit., p. 72).

16 Cf. Ch. Freycinet (cité par B. Lavergne, op. cit., p. 268) : « Il demande ainsi véritablement un droit régalien. Ce sont les Chambres, sous une République, qui doivent fixer cette époque. »

17 Cf. Le Paris (journal de Waldeck-Rousseau).

18 Cf. La Justice. Le 18 mars encore, ce journal écrira « qu’accepter la demande du gouvernement serait accepter des mois d’arbitraire ».

19 J.O., séance du 21 mars, p. 609 et ss.

20 Voir P. Sorlin, Waldeck-Rousseau, Armand Colin, 1966.

21 J.O., p. 588 et 598.

22 Cf. 21 mars 1885, où le journal écrit : « La démocratie républicaine demande la représentation proportionnelle, qui est aux élections ce que la majorité est aux décisions. »

23 Sur la candidature officielle sous la IIIe République, voir la préface de G. Dupeux au livre de Jean Bousquet-Melon, Louis Barthou et ta circonscription d’Oloron, Pedone, 1973.

24 Tout au long du mois de février, les députés élus sénateurs ont envoyé leur démission au président de la Chambre. Afin de parer à l’affaissement qui en résulterait pour la majorité, le Cabinet avait un moment songé à leur laisser le droit de vote, mais avait dû renoncer à ce projet devant les clameurs de l’opposition. Le fait que pour obtenir un succès républicain aux élections sénatoriales, le ministère ait été obligé de pousser la candidature de vingt-cinq de ses amis, montre à quel point les notables républicains étaient encore rares dans le pays.

25 6 janvier 1885.

26 Reproduit également dans les Lettres de J. Ferry, op. cit., p. 363.

27 J.O., p. 704. Voir aussi R. Girardet, L’Idée coloniale en France de 1871 à 1962, Table ronde, 1972.

28 Rappelons que la paix de Tien-Tsin de 1884 avait été rompue par les Chinois et qu’en mars 1885 se tenaient à Paris même des pourparlers d’une paix, cette fois définitive, et qui étaient sur le point d’aboutir (voir F. (Pisani) Ferry, J. Ferry et le partage du monde). Voir aussi L’anticolonialisme en France avant 1914, Dossier P.U.F., 1973, où C.-R. Ageron montre le caractère tout à fait unique du vote du 30 mars.

29 Ansart, Audiffred, Bacquias, Ballue, Bischoffeim, Cadet, Cayrade, Caze, Chabrié, Chaix, Chavanne, Codet, Costes, Deniau, Deroyer, Desprez, Dethou, Dubois, Ducroz, Duvaux Escanyé, Féau, Ferrary, Forné, Fréry, Gaillard, Giquet, Giraud, Gassier, Gomot, Girot-Pouzol, Guillot, Guyot, Hurard, Lasserre, Lavieille, Laville, Levet, Mangon, Mazeron, Mizières, Million, Marquis et, Mingasson, Morel, Neveux, Noblot, Pagès, Papon, Péricaud, Petit-Bier, Pierre Alype, Pradon, Reymond, Richard, Riotteau, Rozières, Sarlat, Sentenac, Sourigues, Talion, Tassin, Thomas, Tondu, Viox.

30 Baillant, Brice, Brugère, Buyat, Chavoix, Deluns-Montaud, Desmoutiers, Dubost, Durand, Durieu, Duval, Escande, Fabre, Faure, Folliet, Fourcaud, Ganne, Horteur, Labuze, Lariboissière, Laroze, Margaine, Noirot, Ordinaire, Outters, Philippe, Pihault, Plantié, Raynal, Rey, St Romme, Salomon, Versigny, Vignancour.

31 Ceux dont les noms ne sont pas écrits en italiques dans la note 29.

32 Sauf Mgr Freppel qui, ayant voté pour J. Ferry le 29, se réfugiera dans l’abstention le 30 (voir E. Lecanuet, L’Église de France sous la IIIe République, t. II, p. 265).

33 Ceci est pressenti dans l’article d’Antoine Prost et Christian Rozenzweig, L’évolution politique des députés (1882-1884), R.F.S.P., août 1973, qui développe et précise un article publié dans la même revue en février 1971. Analysant l’évolution d’une Chambre qui, élue en 1881 sur une problématique laïc – anti-laïc, se transforme progressivement selon une structure politique coloniale – politique anticoloniale, ils mettent en relief que certains des députés qui changent le plus d’attitude, appartiennent aux mêmes départements, et qu’il y aurait là une direction de recherche intéressante pour l’étude des réélections. Il faut seulement regretter que cette minutieuse analyse s’arrête en décembre 1884, c’est-à-dire juste avant que l’évolution constatée n’entre dans sa phase décisive.

34 C’est-à-dire d’obliger, sous l’effet de la crise, les députés de la majorité à se déplacer vers un pôle soit positif, soit négatif.

35 Voir Gilles-Gaston Granger, La mathématique sociale du marquis de Condorcet, P.U.F., 1956.

36 La seule exception sera l’intervention du 30 juillet 1885 pour présenter la défense de la politique coloniale qu’il n’avait pu prononcer le 30 mars. Mais dans sa correspondance il avoue l’incroyable somme de courage qu’il lui aura fallu pour remonter à la tribune.

37 Le 1er et le 2 avril arrivent des télégrammes précisant que l’évacuation de Lang Son, faite en bon ordre, avait probablement été trop précipitée. Le 6 avril, un décret impérial de Pékin prescrit l’évacuation du Tonkin par les troupes chinoises.

38 Cf. Année politique, 1885.

39 Ce qui ne l’empêchera pas d’être battu en octobre. Voir plus bas, p. 121, note 61.

40 La Justice, 7 juillet 1885.

41 Voir Journal officiel, décrets.

42 Voir Mme Camescasse, Souvenirs : Douai au XIXe siècle. Salons parlementaires sous la IIIe République, Plon, 1924, p. 302 et ss.

43 Revue politique et littéraire, 24 octobre 1885 : Une campagne électorale, p. 514 et ss.

44 Hautes-Alpes, Ardennes, Alpes-Maritimes, Aude, Cantal, Corrèze, Jura, Nièvre, Saône-et-Loire, Seine-et-Marne, Haute-Vienne.

45 Voir J. Néré, op. cit. La crise économique de 1882 et le mouvement boulangiste, qui en fait la trame de son analyse.

46 4 juin 1885.

47 Le Pays et Le Gaulois, avril 1885.

48 Au lendemain du débat du 30 juillet où la Chambre avait à nouveau approuvé la politique d’Extrême-Orient, défendue cette fois par J. Ferry lui-même, La Justice écrit un article sous le nom « Les deux politiques » : « Les drapeaux sont déployés, on verra de quel côté le pays se rangera. » Commentant le discours Ferry, le même journal écrivait la veille : « Ferry a dit avec une périphrase : " La République, c’est la guerre ", eh bien, dans l’intérêt de la France et de la République, il faut qu’on lui réponde : " La République, c’est la paix ". »

49 Cf. le témoignage de Jaurès qui, dans l’introduction à la publication de ses Discours parlementaires (Socialisme et Radicalisme en 1885), parle de cette querelle « factice ». Il raconte aussi avoir entendu le député conservateur Lamarzelle remercier Clemenceau de sa campagne contre le Tonkin, en lui disant que dans les réunions électorales il n’avait qu’à lire les discours de Clemenceau pour se faire applaudir. Jaurès continue en faisant un portrait balancé de Jules Ferry, puissant, volontaire mais ignorant des problèmes nouveaux causés par l’émergence de la classe ouvrière et en accusant Clemenceau d’avoir fait « l’erreur capitale » de son existence en entretenant la division chez les républicains des années 1885-1886. Jean Jaurès, Discours parlementaires, éd. Comély, Paris, 1904, p. 22 et ss.

50 En province on préfère des formules plus neutres telle que l’élection du Sénat par le suffrage universel, demandée par quarante-quatre élus.

51 Rappelons qu’au premier rang des « violences » vient alors la suspension de l’inamovibilité des magistrats, trop indulgents lors des procès intentés à la suite de l’article 7. Les anciens magistrats seront nombreux parmi les candidats conservateurs (voir Tableau des élections à la Chambre des députés édité en 1889 par la Chambre des députés).

52 Voir S. M. osgood, French royalism since 1870, The Hague, M. Nijhoff, 1970, chap. IL

53 Voir L. Teste, Les Monarchistes sous la IIIe République, Paris, 1891. Ainsi, dans l’Hérault, la seule liste qui s’opposera aux radicaux sera-t-elle menée par P. Leroy-Beaulieu qui est aussi présent dans le Rhône.

54 Avant 1901, la vie politique locale est organisée autour des comités électoraux dont l’activité principale est souvent la rédaction d’un journal dont la violence verbale n’est souvent que l’envers d’une impuissance à embrayer réellement sur l’opinion : ainsi, tout au long de l’été 1885, alors que la ..campagne électorale faisait rage, le pays resta très calme (voir Année politique, 1885).

55 Comme en témoignent les nombreuses Semaines religieuses éditées par les évêchés et utilisées lors des procès d’invalidation des députés conservateurs en novembre et décembre 1885 (cf. Archives Nationales, dossiers électoraux de 1885 : C. 5300 à C. 5311).

56 Voir E. Lecanuet, L’Église de France sous la IIIe République, t. II, p. 297.

57 En dehors d’un discours à Lyon (9 août) et à Bordeaux (30 août), J. Ferry faute d’être invité ne sortira pas de son département. Cette peur des républicains à se commettre en sa présence était la conséquence de la maxime de Clemenceau : « Il faut traquer le fauve jusque dans son antre. »

58 D’après le Barodet 1885, op. cit.

59 D’après les dossiers de protestations réunis aux Archives Nationales : C 5306 et C 5304.

60 Favorable pour 18, défavorable pour 31.

61 Le résultat sera le même pour ceux qui ont abandonné Ferry entre le 29 et le 30, s’ils n’étaient pas sur une liste comportant un candidat radical capable de servir de pôle de fixation à l’opposition à la guerre : ainsi Hervé Mangon, pourtant membre du Cabinet Brisson, n’empêche-t-il pas l’échec de sa liste dans la Manche où l’opposition était menée par un conservateur, député sortant. Il en est de même dans le Nord et le Pas-de-Calais.

62 Dordogne, Nièvre, Seine-Inférieure, Deux-Sèvres, Ardennes, Gard, Gironde, Ille-et-Vilaine (2).

63 Drôme et Hérault où il n’y a pas de liste modérée. Seine-et-Marne où l’élection était triangulaire.

64 Aisne, Ardennes, Corse, Charente-Inférieure, Eure, Haute-Garonne, Haute-Loire, Isère, Lot, Lot-et-Garonne, Lozère, Haute-Marne, Oise, Orne, Basses-Pyrénées, Haut-Rhin, Haute-Saône, Sarthe, Somme, Tarn.

65 Hautes-Alpes, Alpes-Maritimes, Cantal, Corrèze, Côte-d’Or, Creuse, Eure-et-Loir, Saône-et-Loire, Seine, Yonne.

66 Ille-et-Vilaine, Indre-et-Loire, Deux-Sèvres.

67 On peut encore voir ces bulletins aux Archives Nationales. Notons enfin dans les professions de foi d’un certain nombre d’élus conservateurs (Sarette dans le Lot-et-Garonne, ou encore dans celle de l’Oise), une insistance particulière pour demander aux électeurs de voter pour la totalité de la liste, ce qui ferait penser que la propagande adverse avait parlé du panachage comme d’une façon de tempérer un succès que les républicains avisés redoutaient.

68 Deux départements n’avaient pas de liste conservatrice : Alpes-Maritimes, Cantal.

69 Républicains : 4.327.162 ; conservateurs : 3.541.384.

70 Rappelons que Louis Passy avait, au temps de l’Assemblée nationale, appartenu au groupe Target de 1873 et au groupe Lavergne de 1875.

71 Voir carte I, a, page 126.

72 Voir carte I, b.

73 Cf. les nombreuses affiches préfectorales qui dénoncent cette campagne et que l’on trouve encore aux Archives Nationales.

74 Nous avons mis ici les résultats obtenus par deux députés ferrystes qui, isolés, sont coincés entre une liste d’union républicaine-radicale et une liste conservatrice très dynamique menée par un député sortant. Comme le montrera l’issue du second tour, c’est moins l’étiquette qui compte ici que la position relative, ce qui autorise à mettre les Ardennes dans le groupe II.

75 Ceci s’explique évidemment en partie par l’absence de candidats conservateurs en 1881, mais cela n’est pas suffisant comme on le verra pour les groupes III et IV. Dans le groupe II, il n’y a d’ailleurs que la Lozère où les conservateurs aient été totalement absents en 1881.

76 Sur le Tarn et plus particulièrement la région de Carmaux où s’opère la transformation des paysans en ouvriers et la progressive naissance d’une conscience de classe contre l’emprise de la Compagnie minière alliée à l’Église, voir R. Trempé, Les Mineurs de Carmaux, 1848-1914, Les Editions Ouvrières, 1971, p. 858 et ss.

77 Il s’en est expliqué dans la préface de ses Discours (op. cit.) où il écrit qu’il est aussi faux de dire qu’il a évolué vers la gauche que de dire que, dans les années 1893, il a été partisan des méthodes violentes. Il n’est pas interdit de penser qu’élu d’un département mixte, il a compris, mieux que Clemenceau, que la question du régime se posant toujours, l’impératif absolu des républicains était encore de maintenir leur unité.

78 Hasard ou coïncidence ? Le Tarn continue de nos jours à être un département remarquable par le taux de participation.

79 Voir carte des élus du premier tour.

80 Voir carte du comportement mixte dans les quarante départements des groupes I et II.

81 Expression empruntée à Stanley Hoffmann. Voir A la Recherche de la France, Le Seuil, 1963.

82 Dans l’Ain où le banquier Henri Germain, Centre gauche, se présente seul et retire 15.000 voix à l’électorat conservateur ; en Dordogne, Savoie et Haute-Savoie, où l’existence de duels ne laisse aucun doute sur la signification de ce vote.

83 Dans le cas de l’Ain où Henri Germain, député Centre gauche, champion du libre échange, se présente seul. En fait, l’analyse des résultats montre que ses 15.000 voix sont toutes gagnées aux dépens des conservateurs où la déperdition des voix est très forte du haut en bas de la liste. Le cas de l’Ain peut donc être assimilé à celui des départements où seules deux listes sont en présence.

84 La liste conservatrice est ici remplacée par une liste Centre gauche – conservatrice qui, en raison de sa position, joue le rôle des conservateurs, avec peut-être un pouvoir d’attraction supérieur, mais en tout état de cause non déterminant.

85 Dont les affiches sont conservées aux Archives Nationales, à la suite du procès d’invalidation engagé à la demande des conservateurs.

86 Là, en raison de la présence des frères Ferry, il y a cependant mille voix qui ont pratiqué le vote panaché républicain-radical, ce qui n’empêche pourtant pas les républicains modérés de recueillir de 51 à 54 % des suffrages exprimés.

87 Liste Centre gauche conservatrice.

88 La Seine-et-Oise où il y a une liste Centre gauche soutenue par L. Say, sénateur.

89 Rappelons que jusqu’au 4 octobre les radicaux ne veulent avoir rien de commun avec Jules Ferry dont ils continuent de demander la mise en accusation « pour crime de haute trahison ». Ceci permet de les considérer ici comme une opposition autonome et non comme des cousins turbulents de la famille républicaine.

90 Si les élections n’avaient eu qu’un seul tour, comme en 1848, 1849 et 1871, les conservateurs auraient gagné 53 sièges dans le groupe IV, et six départements (Aube, Gironde, Loire, Marne, Meuse, Puy-de-Dôme) y auraient eu une représentation politique mixte.

91 La Justice, 6 et 7 octobre 1885.

92 En Haute-Garonne et dans l’Ariège où les députés radicaux sortants seront incorporés à une liste modérée. Notons cependant que dans les deux cas les conservateurs étaient arrivés en tête au premier tour, et en Haute-Garonne ils avaient même eu deux élus.

93 Cf. J. Kayser dans le tome I de ses Grandes batailles du radicalisme, Marcel Rivière, 1962, p. 143.

94 Le cas de l’Isère mérite d’être disjoint car il n’y avait plus de liste conservatrice au second tour : en perturbant la moyenne, la chute, tout à fait disproportionnée des conservateurs de l’Isère, risque d’empêcher de comprendre comment ces derniers ont cependant remporté dans le groupe leurs meilleurs résultats politiques avec un gain de 15 sièges.

95 Centre gauche conservateur.

96 Centre gauche conservateur.

97 La Haute-Loire appartient à la figure IV où une liste nouvelle a été créée par la fusion des républicains modérés et radicaux.

98 Voir F. goguel, La Politique des Partis, chap. III, op. cit., p. 68 et ss.

99 En passant de 75,6 % à 75,5 %.

100 Sur les « pressions contradictoires » subies par les électeurs, voir Lazarsfeld et Berelson, The American voter, 1948, dont les thèses sont reprises par G. Michelat dans l’analyse des élections françaises de 1962 [Le référendum d’octobre et les élections de novembre 1962, Armand Colin, 1965 ; G. Michelat, Attitudes et comportements politiques à l’automne 1962, p. 192 et ss.].

101 Voici les chiffres :
1er tour :
Votants Conservateurs Bonap. Républicains Radicaux
133.484 70.608 8.747 59.406 1.416
68.945 59.032 1.383
67.536 lséu57.495 1.040
67.372 56.889 etc.
65.792 56.875
65.612 56.852
etc. etc.
2e tour :
135.681 67.318 élus 67.388 (Jarnetel) élus
67.109 67.211 (Goblet)
66.931
66.798

102 La Haute-Garonne est donc le seul département où c’est la division entre républicains et radicaux qui a fait le succès de la droite. Rappelons en outre que la Haute-Garonne est le département de Constans, ministre de l’intérieur en août 1881 et candidat malheureux à la succession de Jules Ferry en avril 1885. Grâce à une campagne forcenée sur le thème de la guerre civile, il réussira, mieux encore que Goblet dans la Somme, puisqu’il fera passer toute sa liste grâce à une hausse de la participation et malgré une déperdition républicaine. Au second tour 1885, la Haute-Garonne deviendra donc mixte. Mais Jacques Piou, son élu conservateur, deviendra bientôt un pionnier du Ralliement.

103 Pour l’analyse des élections de la Seine nous nous appuyons, d’une part, sur les listes établies par le Barodet 1885 et, d’autre part, sur le récit donné par J. Jaurès dans son Introduction à ses Discours parlementaires qui est plus complet que celui donné par l’Année Politique auquel on se réfère habituellement.

104 Avec, respectivement, 272.000, 263.000, 222.000 et 215.000 voix. Il ne suffira pas d’ailleurs d’avoir été présent sur trois listes pour être élu au premier tour, comme le montre l’exemple d’Ernest Lefebvre, en ballottage avec 188.000 voix, etc.

105 Rappelons, de plus, que le chef de la liste conservatrice est Ed. Hervé, directeur du Soleil, journal conservateur plifs attentif au mouvement des affaires qu’aux questions de doctrine politique.

106 13 octobre 1885, Lettres, op. cit., p. 383. « Entre toutes les élections, celle-ci est la plus déplorable, non seulement au point de vue de l’amitié, mais au point de vue de la politique générale. On y a vu comme dans un microcosme, toutes les lâchetés, toutes les hypocrisies, toutes les discordes, toutes les manœuvres en face desquelles, par la vertu du scrutin de liste et de l’état de désunion, d’émiettement et d’impuissance où le 30 mars nous avait laissés, le parti gouvernemental, pris entre deux feux, s’est trouvé désemparé. »

107 Emeric Deutsch, Denis Lindon et P. Weill, Les familles politiques aujourd’hui en France, Les Éditions de Minuit, 1966, p. 82 et ss.

Table des illustrations

Titre Transferts des voix entre le 29 et le 30 mars 1885
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Légende Note68
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Titre Carte I : ÉLECTIONS 1885 : PREMIER TOUR, 4 OCTOBRE
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Titre Groupe I : 20 départements où sont élus 148 députés conservateurs
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Titre Groupe II : 20 départements « mixtes » où sont élus 22 Républicains et 21 Conservateurs74
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Titre VARIATION 1881-1885
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Titre Groupe III : 25 départements républicains où sont élus 102 députés84
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Titre Groupe IV : 22 départements où le ballottage est total87
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Titre Carte II : ÉLECTIONS 1885 : DEUXIÈME TOUR, 18 OCTOBRE
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Titre Figure 0
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Titre Figure 1 : 9 départements avec « Duels » aux deux tours
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Titre Figure II : 10 départements avec retrait d’une liste « Centre gauche » (Variation 1er tour – 2e tour)94
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Titre Figure iii : 12 départements avec retrait de la liste radicale (Variation 1er tour – 2e tour)
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Titre Figure IV : 7 départements avec fusion Républicains-Radicaux (Variation 1er tour – 2e tour)95
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Titre Figure V : 13 départements avec retrait de la liste modérée (Variation 1er tour – 2e tour)96
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Titre Figure VI : 1 département avec élection triangulaire : Seine-et-Oise (Variation 1er tour – 2e tour)
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Titre 1885 : VARIATION DU 1er au 2e TOUR
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