Chapitre II. Mars 1875, Janvier 1879 : quelle république ?
p. 41-64
Texte intégral
1Votée par surprise, la République Française n’a pu s’organiser que par l’établissement d’un compromis entre les thèses monarchistes soucieuses de préserver la continuité de l’ordre social en dépit des aléas du suffrage universel et la doctrine républicaine qui, simplifiée à l’extrême, voulait une organisation étatique aussi transparente que possible afin de supprimer tous les obstacles entre la volonté populaire, exprimée lors des élections, et le pouvoir.
2Ce compromis était susceptible de plusieurs sortes de développements. Si, avec le recul du temps, il paraît normal que la République se soit transformée dans le sens voulu par les républicains qui, à la faveur d’un renversement de majorité, l’avaient votée en février 1875, tel n’était pas l’avis des parlementaires de droite qui, pour le prix du sacrifice de leurs convictions monarchistes, espéraient fort avoir conquis le droit de gouverner le pays.
3Les années 1875-1879 sont donc des années d’incertitude où s’opposeront deux interprétations de la Constitution : d’un côté les partisans du statu quo, insistant sur la nécessité de maintenir la « collaboration entre les trois pouvoirs » et de l’autre les tenants de l’évolution qui, en demandant « un Cabinet parlementaire », veulent affirmer la suprématie de la Chambre basse.
1. Février 1875 - Mars 1876 : Une République « conservatrice »
a) Février 1875 – Décembre 1875 : Le ministère Buffet ou l’illusion centriste
4Le 25 février 1875, le duc de Broglie et l’extrême-gauche parisienne1 avaient déposé dans l’urne un bulletin identique : possible pour le vote des lois constitutionnelles, cette association ne pouvait se prolonger au point de devenir une majorité de gouvernement, puisque le chef du Pouvoir Exécutif n’en voulait pas. Force était donc de retourner à l’autre majorité, celle de la Constitution Rivet, pour attendre la fin de la législature.
5Inaugurant une tradition appelée à un grand avenir, le Maréchal-Président demande à Buffet, président de l’Assemblée depuis le 24 mai 1873, de former le cabinet. Ce dernier incarnait alors le type de l’orléaniste qui, rallié à la République faute de roi, représentait – comme le fera plus tard Dufaure avec une nuance plus libérale2 – la nuance politique la plus avancée que Mac-Mahon pouvait admettre pour celle de son premier collaborateur.
6Ce cabinet a une fonction de liquidation. Il doit faire voter lois organiques complémentaires et lois électorales ordinaires afin de mener l’Assemblée à son terme. Cela ne l’empêchera pas de vouloir jouer les gouvernements de combat et de faire voter deux lois qui, ajoutées à la loi sur les maires de 1874, seront au cœur des batailles électorales des prochaines années : loi sur la liberté de l’enseignement supérieur pour satisfaire les catholiques d’une part, et scrutin d’arrondissement pour favoriser les notabilités locales, d’autre part.
7L’ambiguïté d’une situation où un gouvernement républicain cherche à se protéger des républicains3 va, comme d’habitude, permettre aux impérialistes de hausser le ton : peu de temps après que l’annulation de l’élection de Bourgoing ait été l’occasion pour les républicains de dénoncer la propagande impériale dans l’armée4, Raoul Duval critique, dans un banquet à Évreux, la République qui empêche le retour de la France dans le « concert des Nations »5 ; et Rouher de conclure que les « coalisés », n’ayant pu s’entendre que parce que le droit de révision, « garantie des uns contre les autres », avait été voté à l’unanimité, le parti bonapartiste pouvait lui aussi « mettre le pied, non en dehors, mais en dedans de la Constitution qui lui ouvre un champ non moins vaste qu’à tous les autres »6.
8Au mois de novembre, les membres de l’Assemblée Nationale regagnent Versailles. L’écho des discours dans le pays s’efface derrière les ultimes négociations menées entre députés à propos de la loi électorale, où le cabinet obtiendra gain de cause7, et de l’élection des sénateurs inamovibles où il essuiera au contraire une cuisante défaite du fait de Gambetta.
9Ce dernier détestait le Centre droit : dans son esprit, ce dernier s’était d’abord arrogé le pouvoir constituant pour ne pas risquer d’avoir à se compter dans une Assemblée constituante ; puis, pour conserver le pouvoir, il avait accepté la République, tempérée par les sénateurs inamovibles, mais toujours sans se soumettre au verdict du suffrage universel ; enfin, il cherchait maintenant à ressusciter une majorité de conservateurs afin d’assurer la réélection d’un parti composé avant tout de chefs sans troupe.
10L’élection des sénateurs inamovibles, destinée à perpétuer l’esprit de l’Assemblée Nationale dans une Chambre Haute assurée de la permanence, lui fut l’occasion d’une revanche, et d’autant plus éclatante qu’en inventant le terme de « Grand Conseil des Communes de France »8, il avait plus que tout autre contribué à faire admettre par ses amis de l’extrême-gauche une institution incompatible avec leur doctrine.
11Le 9 décembre, premier jour du scrutin, deux listes étaient en présence : une liste « constitutionnelle » dressée par les Gauches – mais en réalité plus étroite que la majorité du 25 février car elle n’allait pas plus à droite que le groupe de Léonce de Lavergne qui, avec Target, avait assuré le succès de l’amendement Wallon9 – et une liste des Droites dont seuls 27 membres avaient voté la Constitution.
12Gauche et Droite formaient alors deux blocs à peu près de même taille qui logiquement auraient du être départagés par les trente voix du groupe de Lavergne, à la charnière des deux Centres, et par les trente bonapartistes, dont la moitié élus à la faveur des différentes élections partielles. La crainte du radicalisme aidant, le groupe Lavergne avait même donné suffisamment d’assurance pour que les Droites entament le scrutin avec optimisme pour ne pas dire avec arrogance.
13Mais après cinq années d’espoirs à la mesure des déceptions qui s’ensuivirent, les inimitiés personnelles furent les plus fortes ; et, au soir du premier jour, la stupeur est grande de voir que seuls le duc d’Audiffret-Pasquier, président de l’Assemblée, inscrit sur les deux listes, et Martel, de la gauche, sont élus.
14Ce résultat, qui causa la panique chez les Droites, était le résultat des négociations entamées pour le compte de Gambetta par Duclerc, – obscur député qui, comme tel, pouvait encore s’adresser à tout le monde – auprès du marquis de La Rochette, chef de l’extrême-droite : les conversations devaient aboutir dans la nuit du 9 au 10 décembre chez Jules Simon10. Quinze députés légitimistes – à condition d’être nommés sénateurs – acceptaient d’apporter leurs voix à la liste des Gauches et, malgré quelques défections, ces voix ajoutées à celles des bonapartistes, qui par haine de l’orléanisme s’abstenaient ou votaient à gauche, furent décisives.
15Même conclu, ce pacte fut cependant difficile à mettre en œuvre jusqu’au bout. Onze jours furent encore nécessaires, soit en raison des remords de cinq légitimistes de se sentir les complices d’une alliance contre nature11, soit à cause de la brusque peur de républicains modérés de participer à cet holocauste un peu sacrilège12. Le 21 décembre, les 75 inamovibles étaient enfin élus et se répartissaient ainsi : 55 pour la Gauche constitutionnelle et 20 pour la Droite dont les 11 légitimistes qui étaient restés inaccessibles aux remontrances de leurs pairs13.
16Ce résultat traduit l’ampleur de la défaite du Centre droit qui, au pouvoir depuis le 24 mai 1873, avait perdu le 16 mai 1874 la confiance d’une Assemblée qui, tolérante pour des lois de circonstances, refusait cependant que l’inamovibilité du Centre droit fût le prix à payer pour la fondation de la République.
17En réalité, depuis plus de dix-huit mois, ces cabinets couleur du Maréchal n’étaient que des morts en sursis tolérés par les Gauches qui, pour des raisons tactiques, avaient choisi d’affronter le suffrage universel sous le double drapeau du Maréchal et de la République14.
b) Le régime à l’épreuve de deux suffrages
18Le 31 décembre 1875, l’Assemblée Nationale, élue le 8 février 1871, votait enfin sa dissolution après avoir fixé les élections des délégués sénatoriaux des communes au 16 janvier 1876, les élections sénatoriales au 30 janvier et, last but not least, les élections législatives au 20 février.
19Après la série d’élections partielles qui, de 1871 à 1875, avait si souvent servi de baromètre d’abord, et de stimulant ensuite, la Nation française était pour la première fois – et la dernière avant longtemps – consultée simultanément dans ses deux collèges. Tout naturellement, le nouveau régime – son fonctionnement, son avenir et sa place en Europe – allait être l’enjeu de ces élections générales.
20Seuls les légitimistes sont résolument hostiles et retournent à l’exil digne et provincial dont les élections de février 1871 les avaient inopinément sortis. Partout ailleurs, on accepte le régime, chacun avec ses arrière-pensées. Et si chez les républicains, Victor Hugo, « grand maître de l’élection sénatoriale » selon l’expression de Ch. de Freycinet15, ne résiste pas au plaisir de lui donner une allure messianique en lançant un appel à l’amnistie générale, ce ton prophétique, aussi généreux qu’impolitique, reste exceptionnel.
21Plus généralement, des bonapartistes à Gambetta, chacun se déclare satisfait et même plein d’espoir grâce à la clause de révision : les divergences commencent quand il faut définir le sens d’une révision qui, tout le monde l’admet, n’aura lieu qu’en 1880 à l’expiration du septennat du Maréchal qui, jusque-là, est le seul à en posséder l’initiative.
22Léon Say, le ministre des Finances favorable à la majorité du 25 février 1875, fut le premier ministre à donner ce qui, jusqu’à la fin de la crise boulangiste, restera la définition républicaine de la révision : « une porte ouverte aux améliorations du statut fondamental et non un moyen de le battre en brèche »16. C’est, avec de légères variantes, l’avis de tous les républicains, et ici encore il faut saluer le rôle de Gambetta qui sut dire aux radicaux des grandes villes, très en flèche par rapport à la province, que le programme démesuré qu’ils avaient préparé n’était « qu’un décalogue, dont la réalisation exigerait plus que la durée d’une génération »17.
23A côté des républicains, les conservateurs se distinguaient selon leur sentiment à l’égard du régime en général et plus particulièrement de la révision : à côté des constitutionnels qui, à l’exemple d’Audiffret-Pasquier, disent qu’il faut au moins essayer des institutions avant de vouloir les modifier, le Centre droit préfère protester de sa fidélité au Maréchal plutôt qu’aux institutions, tandis que les bonapartistes donnent rendez-vous au suffrage universel pour 1880, date à laquelle ils font semblant de croire que le pouvoir constituant sera obligatoirement rendu au peuple.
24Conçu pour protéger les intérêts conservateurs, le premier Sénat, élu par tous les délégués sénatoriaux dont beaucoup, choisis par leur Conseil municipal, n’étaient autres que les maires nommés par le gouvernement, fut conforme aux espérances de ses promoteurs : malgré les cinquante-cinq inamovibles de gauche élus grâce à Gambetta, la majorité restait encore aux partisans du statu quo social et politique.

25Ce tableau confirme, si besoin en était, l’importance de la « manœuvre » de Gambetta, car le Centre droit, parti gouvernemental, s’il obtient le plus grand nombre d’élus, n’arrive pas pour autant à remonter le handicap des inamovibles. A courte échéance, et malgré quelques échecs cuisants comme celui de Buffet, le vice-président du Conseil, dans les Vosges18, le Maréchal de Mac-Mahon est quand même assuré de trouver dans la Chambre haute un soutien pour sa politique « conservatrice ».
26Tel n’est pas le cas de la Chambre basse où les élections des 20 février et 5 mars voient l’effondrement des conservateurs qui, loin de retrouver les deux tiers des sièges conquis en 1871 dans le sillage de Thiers, n’en obtiennent plus, en 1876, que le tiers, toutes familles mélangées.19

27La campagne électorale avait été calme, les instructions des ministres à leurs fonctionnaires libérales ; centrée, comme celle du Sénat sur l’avenir du régime, elle avait en outre mentionné la place de la France en Europe et évoqué la question de la guerre ou de la paix qui, jusqu’en 1889, constituera la toile de fond des consultations au suffrage universel20.
28A l’intérieur, le fait le plus spectaculaire fut le quadruple échec de Buffet, vice-président du Conseil, auquel faisait écho le quadruple succès de Gambetta, chaque fois élu dans une ville où il était venu modérer la phraséologie radicale.
29Ce revers exemplaire obligea Buffet à donner sa démission dès le 25 février : ainsi se terminaient, dans l’indifférence générale, ces douze mois où, soutenu par le Président de la République, toléré par l’Assemblée, mais exécré par le suffrage universel qui le répudia en ses deux collèges, le chef du gouvernement avait en vain essayé – au prix même de quelques concessions aux bonapartistes – de confiner la République dans la formulation étriquée du septennat. Loin de faire de la pratique libre du suffrage universel le début d’une ère nouvelle, illustrée par l’apparition d’un personnel politique nouveau, le vice-président du Conseil voulut cantonner la République dans une définition purement technique : l’absence de roi, et c’est ce que le suffrage universel, qui s’était pris à « aimer »21 Gambetta, ne lui pardonna jamais.
2. Mars 1876 – Mai 1877 : Une République sénatoriale ?
30L’élection simultanée de deux nouvelles assemblées va changer la situation du Président de la République. Élu le 24 mai 1873, Chef du Pouvoir Exécutif, confirmé le 19 novembre 1873 dans un mandat de sept ans, il bénéficiait, par rapport à l’Assemblée Nationale, même souveraine, d’une position prééminente puisqu’il avait l’assurance de durer plus qu’elle. Reprenant la terminologie de Carré de Malberg, mais en l’inversant22, on peut dire qu’il faisait figure de « puissance primaire » par rapport à l’Assemblée qui n’était plus qu’une puissance seconde, obligée de ce fait de compter avec l’Élysée dont la grande majorité des députés acceptaient l’arbitrage.
31En mars 1876, la situation est inversée. Irriguée par le sang frais du suffrage universel, la nouvelle Assemblée, forte de sa majorité républicaine, n’entend plus se laisser dicter sa conduite et veut obtenir du Maréchal un vrai « cabinet parlementaire » ayant la confiance de la Chambre.
32Techniquement, la revendication d’un « cabinet parlementaire » de la part de la majorité républicaine joue alors le même rôle que l’organisation de la « responsabilité ministérielle » jadis réclamée par les conservateurs contre Thiers, puisque dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de l’ambition politique d’une assemblée irritée de se heurter à un pouvoir extérieur. Mais il serait tout à fait spécieux de superposer les deux situations puisqu’en 1873 c’est Thiers qui est proche du suffrage universel et comme tel victime d’un « coup d’État parlementaire », tandis qu’en 1876 c’est la Chambre des députés qui est conforme au vœu du pays tandis que Mac-Mahon et le Sénat, installés au milieu du paysage politique par la volonté de feu l’Assemblée Nationale, prennent de plus en plus l’allure de témoins d’une époque révolue.
33La situation se complique encore du fait de la division des Républicains entre partisans du nouveau régime constitutionnel à trois pouvoirs et fidèles de la tradition républicaine qui ne conçoivent pas de limite au pouvoir de la Chambre des députés : du Centre droit à la Gauche républicaine, c’est-à-dire du duc d’Audifïret-Pasquier, président du Sénat, à Jules Ferry, en passant par Jules Grévy, on voudrait ne pas brusquer les événements afin d’assurer dans le calme et la légalité la transition entre le septennat de Mac-Mahon, élu par une majorité de droite, et le nouveau Président de la République à élire en 1880. Au contraire, de l’Union républicaine à l’extrême-gauche, de Gambetta à Clemenceau, on vit dans la hantise d’une « conjonction des centres » du type 29 novembre 1872, et si l’on parle beaucoup du péril clérical, c’est justement pour rendre impossible – comme on le verra en décembre 1876 et en mai 1877 – cette réconciliation entre les deux centres à laquelle Thiers lui-même ne serait pas insensible23.
34Plus tard, l’échec de la politique du 16 mai, suivi de la mort de Gambetta (qui donnera la possibilité tout à la fois à Jules Ferry de disposer d’une majorité de gouvernement et au personnel gambettiste d’accéder aux responsabilités) permettra de jeter le manteau de Noé sur les dissentiments antérieurs des républicains. Ainsi sera au nom de l’hagiographie républicaine escamotée la réalité historique qui veut que ce soit au lendemain de la dissolution – et non du renvoi de Jules Simon – que l’unité du parti républicain se soit reconstituée et ceci grâce au génie tactique de Gambetta qui lui avait fourni son terrain le plus solide : l’anticléricalisme. Le revers de la médaille sera que le succès sera alors obtenu aux dépens du pouvoir d’État24, qui ne retrouvera plus jamais son autonomie, malgré les efforts de dernière heure de Gambetta et de Jules Ferry qui y laisseront pratiquement leur vie.
35Rappelons rapidement les faits : le 10 mars 1876, paraît au Journal Officiel le décret constituant le nouveau cabinet où Dufaure porte pour la première fois le titre de « Président du Conseil » et non plus de Vice-Président ; rien comme ce petit détail ne peut mieux faire sentir le transfert de responsabilités opéré alors du Maréchal-Président au « Chef du Cabinet » appelé encore « Chef du Ministère », mais jamais Chef de Gouvernement puisqu’à l’époque le Gouvernement de la France est l’ensemble des « trois pouvoirs » et que la fonction du Cabinet est justement d’assurer la collaboration entre le Président, chef du Pouvoir Exécutif, le Sénat, maître de la dissolution, et la Chambre dont l’accord est indispensable au vote du budget.
36Tout le problème est donc de savoir sur quelle force le Cabinet s’appuiera : sur le Président et le Sénat pour contraindre la Chambre à la patience jusqu’à l’échéance de 1880 ? ou sur la majorité républicaine afin d’obliger le Président à tenir compte du résultat des élections de février ?
37Ayant concédé quelques préfets républicains et la suppression, grâce au talent de Jules Ferry, des jurys mixtes dans les Facultés libres25, le Cabinet réussit à imposer à la Chambre une ligne modérée : ainsi de l’amnistie26, de la révision27 et surtout de la loi municipale où Gambetta accepte d’avoir « une mauvaise loi provisoire de plus » pour prouver la modération de la Chambre28.
38Mais le pouvoir de conciliation de ce « ministère d’acclimatation », comme l’écrit Jules Ferry29, devait s’arrêter là ; et à l’automne, le Président du Conseil échouera successivement devant la Chambre – pour n’avoir pas su faire respecter les droits de la société civile le jour de l’enterrement, laïc, d’un musicien titulaire de la Légion d’honneur, Félicien David – et devant le Sénat, qui trouvait la loi d’amnistie votée par la Chambre trop clémente.
39N’ayant plus la confiance d’aucune des deux Chambres, Dufaure se retire, faisant semblant d’être tombé « à gauche » après le vote du Sénat – ce qui était faire à celui-ci beaucoup d’honneur – mais en réalité parce qu’il n’était ni capable ni désireux de défendre l’indépendance du Cabinet devant ce Chef du Gouvernement qu’était encore le Président de la République.
40Du 4 au 14 décembre, il faudra dix jours de crise ministérielle pour que Mac-Mahon, après le refus de Dufaure, de Grévy et même d’Audiffret-Pasquier, fasse appel, sur le conseil de Broglie et Buffet, à Jules Simon, sénateur inamovible, républicain de l’Empire, dont l’hostilité à Gambetta ne s’était pas démentie depuis le temps du Gouvernement de la Défense nationale.
41Pour les conservateurs, en effet, Jules Simon devait être le merle blanc « profondément républicain et profondément conservateur »30 – capable d’opérer une scission à l’intérieur de la majorité du 20 février pour réaliser, appuyé sur le Sénat, l’opération dissolution-élections qu’ils avaient en tête depuis le début de l’année 1876, et qui voulait légitimer le rêve parlementaire de la conjonction des centres.
42L’espace de quelques semaines, ils pensèrent avoir réussi. Le 28 décembre 1876, le président du Conseil obtient d’abord 261 voix contre 216 pour accepter de voter les crédits aux aumôneries militaires, puis dans un deuxième scrutin, 358 voix contre 130 pour augmenter les traitements des desservants de campagne – ce qu’on appelait alors la « démocratie ecclésiastique » –. Ce jour-là, 200 voix républicaines (dont Jules Ferry, Thiers, Waddington et Camille Sée) avaient, par leur vote, accepté de façon implicite le droit du Sénat de rétablir les crédits prévus par le ministère mais supprimés par la Chambre31, principe qui par la suite fera jurisprudence malgré les plaintes de l’extrême-gauche32.
43Le débat fut illustré par l’opposition entre Gambetta et Jules Simon. Le premier, évoquant les précédents historiques, rappela que quels qu’aient été les régimes, la Chambre haute n’avait jamais eu, en matière financière, d’autre droit que celui d’émettre des vœux33, à quoi Jules Simon répondit qu’il ne s’agissait pas d’évoquer des précédents, mais d’appliquer les lois constitutionnelles – à son avis fort claires – et que de toute façon l’essentiel était d’éviter, entre les deux Chambres, un conflit que la Nation serait appelée à trancher : « Non, non, disait-il en conclusion, des républicains ne voudront pas porter devant les comices la Constitution votée l’année dernière et faire dire à ses ennemis : le premier jour où l’on a voulu l’appliquer, elle est tombée en poussière ! »
44On ne pouvait être plus clair : Jules Simon implorait la Chambre de ne pas faire des lois constitutionnelles l’enjeu d’un conflit entre les deux Chambres, ce qui eut donné le beau rôle au Sénat. Ce langage fut compris par la majorité des républicains de gouvernement et, à l’inverse, parmi les 130 voix refusant le pouvoir financier du Sénat, il est significatif de relever de nombreux bonapartistes.
45Tandis que le lendemain de ce vote la Défense sociale et religieuse, journal de Mgr Dupanloup, exulte et s’empresse de proclamer que la majorité du 20 février a cessé d’exister, la République Française s’efforce de garder son calme devant « ce plan chimérique » de la conjonction des centres que les alchimistes de l’ancienne Assemblée ont poursuivi à travers toutes les péripéties sans jamais l’atteindre34.
46De janvier à mars, c’est-à-dire jusqu’à ce que soit décidée la prorogation des Chambres jusqu’en mai, le journal vit dans la hantise d’un message du Président l’appelant à la réconciliation des centres35 et somme le ministère de se déclarer, de montrer clairement où sont ses vrais amis36. A peine rassuré par quelques « bons mouvements préfectoraux »37, il commence une campagne contre le Sénat « qui pourrait bien être la première victime de la Révision de 1880 »38, précisément au moment où le Sénat, fort de l’appui de l’Élysée, commence à prendre conscience de son importance et du chemin parcouru depuis un an.
47En effet, la seconde Chambre peut regarder avec satisfaction les progrès accomplis depuis son installation : le premier président du Conseil avait voulu quitter le pouvoir après un des ses votes et malgré une large majorité à la Chambre dont, il est vrai, il était plus le prisonnier que le bénéficiaire39 ; pour dénouer la crise, le Maréchal-Président avait dû faire appel à un sénateur dont un des premiers actes avait été d’obliger la Chambre, sous la menace implicite de la dissolution, de faire droit aux prétentions financières du Sénat. A ces succès politiques, le Sénat ajoutait d’une part la faculté d’élargir sa majorité grâce à l’élection-cooptation des inamovibles40, et d’autre part le poids de sa compétence puisque de nombreuses « capacités » avaient été chercher en son sein une assurance contre les aléas du suffrage universel41.
48Cette nouvelle influence, assortie des échéances électorales42 – puisqu’en août 1877 devait être renouvelée la moitié des conseillers généraux et en novembre la totalité des conseillers qui décideraient du renouvellement sénatorial de janvier 1879 –, devait pousser le Maréchal de Mac-Mahon à jouer son va-tout.
3. Une République présidentielle ? 16 mai-14 octobre 1877
a) Le 16 mai ou la mise en jeu du septennat
49Comme le vote des lois constitutionnelles de février 1875, la crise du 16 mai va se dérouler sur un fond de guerre : Balkans, Allemagne, Italie, le printemps 1877 voit renaître la tension internationnale. Au mois d’avril avait en effet éclaté une guerre entre la Russie et la Turquie, occasion que le gouvernement allemand avait immédiatement saisie pour demander au Reichstag des crédits supplémentaires en matière militaire43 ; à l’opposé, dès la rentrée parlementaire, le duc Decazes expose à la Chambre les raisons de la neutralité française44.
50Enfin, un discours du Pape va relancer la propagande ultramontaine en demandant aux fidèles d’agir auprès de leurs gouvernements pour que son indépendance soit préservée45.
51Le gouvernement de Jules Simon réagit aussitôt fermement en interdisant le colportage de la pétition réclamant contre l’État italien une intervention de la France et en dissolvant le « Comité catholique » qui, par une faveur spéciale, avait été autorisé à se constituer. Mais lors du débat qui suivra l’interpellation républicaine, le Cabinet ne saura pas faire approuver la différence entre l’affirmation des droits de l’État – ce qui est une politique défensive – et la lutte contre le cléricalisme – qui implique une attitude offensive.
52Après un nouveau duel Jules Simon – Gambetta, le ministère, soucieux de garder la confiance des républicains, accepte l’ordre du jour des Gauches qui, sans mentionner son action, invite le gouvernement à user de moyen légaux pour réprimer « cette agitation anti-patriotique »46.
53Comme celle de Dufaure le 24 novembre, la majorité du 4 mai était purement républicaine. Dès lors, le Cabinet était condamné. Pour Mac-Mahon, il avait failli à son rôle qui était, non pas d’exprimer les vœux de la majorité du 20 février, mais au contraire de faire accepter par celle-ci la politique de l’Élysée et du Sénat.
54Le Maréchal est alors décidé à faire vite. Se décidant seul47, il veut exploiter la première défaillance du ministère pour faire la preuve que la Chambre est ingouvernable. Et, en effet, l’occasion ne se fait pas attendre. Après deux votes où la Chambre décide, contre le vœu du Gouvernement, une fois absent une autre fois présent, d’accepter la publicité obligatoire des séances des Conseils municipaux et la remise au jury de la connaissance des délits de presse48 – deux mesures jugées également dangereuses par les conservateurs –, le Président de la République envoie, le 16 mai, à Jules Simon la lettre fameuse où il demande au président du Conseil s’« il a conservé sur la Chambre l’influence nécessaire pour faire prévaloir ses vues ». A quoi Jules Simon répond ausssitôt, d’une part, en donnant sa démission, et, d’autre part, après avoir justifié son action, en souhaitant avoir un républicain pour successeur.
55Tel ne sera pas le cas. Le 17 mai, paraît au Journal Officiel la lettre du Maréchal à Jules Simon, et le 18 le décret constituant le nouveau ministère dont les ministres sont presque tous sénateurs49 ; les seules exceptions sont Fourtou qui va installer au ministère de l’intérieur le savoir-faire électoral des bonapartistes, et Decazes qui reste aux Affaires étrangères (comme Berthaut à la Guerre) afin de témoigner de la continuité de la politique extérieure50. Le fait que le président du Conseil soit de nouveau le duc de Broglie, même si ce dernier n’est pour rien dans la décision immédiate du Maréchal, donnera au Cabinet sa couleur proprement réactionnaire : malgré les décisions maintes fois réaffirmées du suffrage universel, c’est donc le retour à la politique du 24 mai 1873 – et non à celle du 29 novembre 1872 –, à la Restauration sans le roi ; le Chef du Pouvoir Exécutif – oubliant qu’il fut l’élu d’une majorité parlementaire cherchant déjà à se perpétuer contre le résultat des élections – affirme avec éclat son droit à se poser contre les élus de la Nation au nom d’une essence supérieure.
56Le même jour, il s’en explique officiellement dans un message lu simultanément devant les sénateurs et les députés et annonçant l’ajournement des Chambres jusqu’au 16 juin51 : au nom de sa responsabilité envers la France, le Maréchal s’y déclare, d’une part, obligé de mettre fin à la confusion qui existe entre républicains conservateurs et républicains radicaux, et, d’autre part, convaincu que le pays consulté saura mettre fin à ce « malentendu » ; enfin, faisant allusion au droit de révision dont il était seul à posséder l’initiative jusqu’en 1880, il termine en assurant les Chambres de sa volonté de respecter les institutions et en lançant un appel au calme.
57Puisque le but avoué était de consommer, au bénéfice de la présidence, donc du septennat, la rupture entre républicains modérés et radicaux, le Maréchal sera victime d’une erreur et le jouet d’une illusion. L’erreur est de lancer l’opération alors que justement l’unité des gauches vient de se reconstituer sur son terrain le plus solide : d’abord l’affirmation des prérogatives de l’État contre les menées cléricales52 et bientôt la défense des institutions parlementaires53 ; l’illusion est de croire que puisque les députés ont été élus sous le double drapeau du Maréchal et de la République, les citoyens, appelés à choisir entre les deux, préféreront le Maréchal et son équipe, qui au mieux symbolisent la Monarchie de Juillet et au pire le bonapartisme, alors que la République est encore investie des espoirs de l’avenir et de toute façon déjà soutenue par les ambitions d’une nouvelle bourgeoisie portée au pouvoir par les intérêts des petits paysans propriétaires54.
b) « Pouvoir personnel », « Pouvoir parlementaire » et « Pouvoir d’État »
58Le Maréchal Mac-Mahon, soldat loyal prisonnier des préjugés d’une petite coterie qu’il confond avec « la France des honnêtes gens », n’est pas une tête politique : manipulé à distance par Gambetta qui, montrant là son habilité tactique, brandit le spectre du cléricalisme pour empêcher la République sans républicain, le Président de la République s’est lancé dans une aventure jugée désolante par des hommes aussi différents que le duc de Broglie et Jules Ferry.
59Le premier s’en expliquera vingt-cinq ans plus tard dans une sorte de mémento historique où il affirme qu’une fois le processus entamé, un engagement d’honneur l’obligerait à se battre aux côtés du Maréchal, même si l’opération lui paraissait mal engagée55. Quant au second, on peut suivre son état d’esprit dans deux lettres écrites pendant le mois de prorogation, c’est-à-dire au moment où la dissolution n’était encore qu’un projet.
60Dans la première lettre56, il note d’abord la position deux fois ambiguë du duc de Broglie car, d’une part, il est « mené » quand il se croyait « meneur » et, d’autre part, son désir de couvrir l’initiative présidentielle par la responsabilité ministérielle afin de sauver le « septennat » qui était son œuvre, paraît à Jules Ferry une entreprise sans espoir :
61« La Révolution de Palais du 16 mai... soulève des enthousiasmes mais ces ardeurs ne sortent pas du cercle des revenants de la monarchie absolue et des crocheteurs de Constitution. Quel spectacle et quelle leçon ! En dehors des légitimistes à outrance et des bonapartistes résolus, l’entreprise innommée qui a surpris la France n’a amené à elle depuis qu’elle a commencé, ni une espérance avouable, ni une illusion sincère – à moins que l’on ne porte au compte des illusions honnêtes celles de M. le duc de Broglie qui croit être meneur quand il est mené et dont la spécialité est de livrer à autrui les places qu’il se charge de garder, et de faire aux gens de l’Élysée la courte échelle sans le savoir...
62»... Le Septennat, isolé de la Constitution républicaine, n’avait été pour les partis royalistes, du 20 novembre 1873 au 20 février 1875, rien de plus qu’un paravent, c’est moins et c’est pis aujourd’hui car ils affectent d’y voir un complice. Le temps presse, l’équivoque n’est pas durable : il y a eu une France monarchique, il existe une France républicaine, il n’y a jamais eu, il n’y aura jamais de France Mac-mahonienne.
63» Il semble que M. le duc de Broglie en ait lui-même le sentiment. Après avoir découvert le pouvoir personnel par le message du 18 mai, il fait mine de de vouloir le couvrir par sa circulaire du 2857 : " Bien que l’initiative de Mac-Mahon se soit fait sentir dans les derniers événements, sa responsabilité est toujours couverte par celle de ses ministres, et l’offense, sous aucune forme, ne doit monter jusqu’à lui. " Qu’est-ce à dire ? Après avoir posé, à la face du pays, la question entre le pouvoir personnel et le pouvoir parlementaire, songerait-on déjà à battre en retraite ? Aurait-on le dessein, après avoir caché le pouvoir ministériel derrière la responsabilité du Président, de faire aujourd’hui un rempart au Président de la responsabilité ministérielle ? De la part d’un ministre qui a congédié la Chambre et qui veut la dissoudre pour échapper précisément aux responsabilités qu’il invoque, le trait est à la fois héroïque et imprévu58 : mais nous croyons que la France n’en sera pas touchée... »
64En fait, la crise ouverte le 16 mai va superposer deux querelles : l’une de personne – par quels gouvernants la France veut-elle être gouvernée ? et là, il n’y a aucun doute sur la réponse puisque, depuis le 2 juillet 1871, une impressionnante série d’élections avait désigné les républicains modérés – et l’autre de principe – quelle doit être la forme de la République ? en d’autres termes, le pouvoir d’État doit-il émaner d’une assemblée parlementaire, donc lui être subordonné, ou peut-il avoir une origine plus large comme le voulait Thiers en 1873, et dans une certaine mesure Jules Ferry, en 1877 ?
65Ce dernier observe avec lucidité et désolation le déroulement des événements, et le 12 juin il veut encore espérer que la dissolution ne sera pas votée par les constitutionnels du Sénat, car elle aura pour résultat d’installer la « République conventionnelle » au lieu et place de la République parlementaire. Après avoir rappelé que même si les conservateurs gagnaient les élections, ils ne pourraient retrouver mieux que l’Assemblée de Versailles qui avait été obligée de faire la République « pour éviter le fossé et la honte du bonapartisme », il évoque les perspectives d’avenir en cas de dissolution et de victoire républicaine.
66« Entre le Président de la République, qui aura dissout la Chambre, et la Chambre que le pays aura réélue, quel modus vivendi entrevoient les amis de la Présidence ?
67» Il y a aujourd’hui dans la Constitution trois pouvoirs, combinés pour assurer au Gouvernement républicain les garanties du régime constitutionnel ; sur leur accord loyal et sans arrière-pensée reposait l’édifice d’une République conservatrice, c’est-à-dire capable de compter avec le temps, la tradition, les intérêts.
68» Au lendemain des élections nouvelles, il n’existerait plus en fait qu’un Pouvoir dans la République : celui qui aurait reçu de la volonté nationale l’investiture la plus récente, la plus précise, la plus disputée et par conséquent la plus puissante.
69» De ce jour, la République pondérée et constitutionnelle aurait fait place, quoi que l’on dise et que l’on fasse, à la République conventionnelle.
70» Encore une fois les constitutionnels peuvent choisir. En refusant la dissolution, ils maintiennent la crise sur le terrain parlementaire, ils savent où ils vont et ce qu’ils font, et dans toute hypothèse, connaissant la Chambre actuelle, ils voient exactement quelles solutions il en peut sortir. En se prêtant à un appel au pays qui ne sera pas autre chose qu’une déclaration de guerre à la France, ils transportent le conflit sur le terrain populaire, plébiscitaire, passionné et finalement révolutionnaire, ils jouent la Constitution, la Présidence, la Liberté et la Patrie à pile ou face. »59
71Mais la crise était trop avancée pour pouvoir être dénouée sur le seul plan parlementaire : seul le verdict du pays pouvait trancher non pas entre deux formes de Républiques (puisque la maladresse de Mac-Mahon avait soudé en un bloc républicains de gouvernement et républicains radicaux), mais entre deux personnels politiques dont l’un était le prolongement de celui du Gouvernement de la Défense Nationale et l’autre la reproduction de celui du 24 mai 1873.
72La suite des événements est trop connue pour qu’il soit besoin d’insister : ordre du jour voté par 363 députés condamnant le ministère Broglie le 18 juin ; dissolution votée par le Sénat par 149 voix contre 130 le 2260 (dissolution qui retirait aux députés le bénéfice de leur immunité) ; 217 préfets et sous-préfets, 373 magistrats déplacés61 ; plaintes en diffamation, évocation du péril de guerre... Au terme d’une campagne extrêmement violente, le 14 octobre, 317 républicains – et non 400 comme l’avait annoncé Gambetta le 16 juin – étaient élus au premier tour contre 199 députés ministériels (alors que Fourtou en escomptait 300).
73La durée de la campagne électorale – que Fourtou avait voulu très longue pour peser au maximum sur le corps électoral62 – avait finalement joué contre les conservateurs qui – à la différence des républicains – eurent cinq mois pour montrer au public leur incapacité à s’unir sur le nom du Maréchal.
74La pomme de discorde est toujours la révision de 1880. Parce que le droit de révision concédé à Mac-Mahon n’a pas joué et parce que finalement il n’y aura pas de Congrès en 1880, on a tendance à sous-estimer aujourd’hui le poids de « l’échéance de 1880 ». Pourtant, elle a dominé la vie politique française jusqu’en 1879, tandis que le droit de révision a contribué à donner à Mac-Mahon ce sentiment de responsabilité prééminente au nom de laquelle il s’était cru autorisé à renvoyer le Cabinet.
75Concédé aux conservateurs comme un avantage, le droit de révision facile va finalement leur être un handicap. Tandis que les tenants de chaque dynastie cherchent à se compter en vue de l’échéance de 188063 (ce qui ne les rend guère conciliants entre eux), les conservateurs vont être – de par la révision – transformés une fois de plus en fauteurs de troubles, car ce sont eux qui réclament le changement au moment même où l’incertitude qui règne en Europe, accroît le désir de stabilité du corps électoral.
76Crainte de la guerre64, haine du cléricalisme, accord des notables pour le statu quo politique et social, tout ceci va se conjuguer pour infliger au gouvernement du 17 mai un démenti radical. Mais, ce faisant, le suffrage universel non seulement confirmait le sens de la légitimité républicaine, mais encore décidait pour fort longtemps de l’ordre de préséance entre ces « trois pouvoirs » dont parlait Jules Ferry ; en quelques mois, Présidence et Sénat seront définitivement installés dans leurs rôles négatifs de force d’abstention. A l’avenir pourtant, nombreux seront les républicains – Gambetta lui-même, dès 1882 – qui regretteront l’absence d’un pouvoir d’appréciation propre à la présidence, capable d’incarner ce pouvoir d’État sans lequel la France ne se reconnaît plus elle-même ; mais il sera trop tard.
4. 14 octobre 1877 – janvier 1879 : L’établissement de la IIIe République
a) 14 octobre -14 décembre 1877 : Mort du septennat
77Voté en 1873, après l’échec de la fusion, le septennat avait été le petit chef-d’œuvre politique du duc de Broglie puisqu’il avait réussi à faire sortir une espérance d’un échec. Le paradoxe sera que, quatre ans plus tard, l’auteur de ce chef-d’œuvre sera condamné à faire lui-même l’expérience des impasses de son ingénieux système qui avait voulu assurer la collaboration entre trois pouvoirs, chacun doté de prérogatives propres : au Président la nomination du ministère, le droit de révision et de prorogation des Chambres ; au Sénat la permanence et l’avis conforme pour la dissolution, à la Chambre enfin, la priorité pour le budget, ce qui obligeait le Président à nommer un ministère ayant sa confiance.
78A la différence du Cabinet Buffet, qui s’était retiré au soir du premier tour des élections de février 1876, le Cabinet Broglie-Fourtou, loin de donner sa démission, déclare d’abord que le combat continue65 ; puis, après une deuxième et une troisième confirmation de son verdict par le suffrage universel66, il se dit prêt à défendre sa politique devant la Chambre. Il voulait même s’y présenter fort de l’appui du Sénat, mais la manœuvre échoua sur le refus très ferme du président du Sénat, le duc Pasquier, de faire voter la confiance par la Chambre haute.
79Ce refus est fort important et décide de l’issue de la crise. Il signifie que le groupe des constitutionnels – sans lesquels les conservateurs n’ont pas la majorité du Sénat – a décidé de tirer la leçon des événements et de se plier au verdict du suffrage universel : il ne se prêtera donc ni à une seconde dissolution, ni à un mode de gouvernement à l’américaine où le Président joue des oppositions entre les deux Chambres ; tout en protestant de sa fidélité au Maréchal et aux principes conservateurs, il accepte maintenant la prééminence politique de la Chambre issue du suffrage universel : désormais, le Sénat ne s’opposera plus de front aux volontés de la Chambre des députés, même si le ministère et sa politique lui déplaisent fortement. Pour agir, il attendra, en 1895 comme en 1937, pour Bourgeois comme pour Blum, que le ministère se soit usé de lui-même, avant d’oser faire ce que la Chambre n’ose que souhaiter67.
80Le 13 novembre 1877, la Chambre, après avoir constitué son Bureau de façon à se présenter comme la continuation de la Chambre dissoute, ouvre son premier débat politique en discutant la proposition républicaine d’une commission d’enquête parlementaire sur les « actes qui, depuis le 16 mai, ont eu pour objet d’exercer sur les électeurs une pression illégale ».
81Si le débat est violent, les arguments ne sont pas neufs. Aux républicains qui, par l’intermédiaire de Léon Renault et Jules Ferry, plaident pour la liberté et la supériorité absolue du suffrage universel et réfutent la critique, pourtant fondée, du chantage à la guerre, les conservateurs répliquent par la voix de Baragnon que la commission d’enquête n’aura pas de légalité, donc aucun pouvoir pour convoquer les témoins, puisque, la Chambre n’étant pas souveraine, cette dernière ne peut rien décider par elle-même ; enfin, clôturant la discussion, le duc de Broglie défend, avec son talent et sa pugnacité habituelle, la stricte légalité de l’entreprise du 16 mai, car il ne peut y avoir de Chef du Pouvoir Exécutif, dit-il, sans liberté pour ce dernier du choix de ses ministres qui, une fois nommés, deviennent alors, mais alors seulement, responsables devant la Chambre de leurs actes en tant que ministres.
82La commission d’enquête est néanmoins votée par 312 voix contre 205. Au Sénat, cette même commission fait l’objet d’une interpellation de la part du sénateur légitimiste Kerdrel. Après de nombreux conciliabules, le Sénat « prenant acte » – pour ne pas avoir à approuver – des déclarations du gouvernement, vote par 151 voix contre 129 une résolution sur l’équilibre nécessaire des trois pouvoirs. Ce vote qui n’est qu’un vote de politesse à l’égard du Maréchal, n’a pas de valeur politique et ne peut empêcher le duc de Broglie, conscient d’avoir fait tout ce qu’il était légalement possible de faire, de se retirer le 21.
83Le 23 novembre, le Maréchal appelle pour lui succéder le général de Rochebouët avec lequel la Chambre refuse, dès le 1er décembre, d’entrer en relations, en particulier en arrêtant l’examen du budget, ce qui, étant donné la proximité du 1er janvier, constitue l’arme absolue de la légalité. A Mac-Mahon qui les appelle en consultation, Jules Grévy et le duc d’Audiffret – Pasquier, présidents des deux Chambres, conseillent de revenir à la logique du régime parlementaire, en rappelant A. Dufaure, c’est-à-dire de remonter le cours du temps en reprenant, par-dessus l’entreprise du 16 mai, la combinaison de mars 1876.
84Mais avant d’aboutir, le 14 décembre, la constitution du nouveau ministère va encore échouer deux fois ; deux fois où le Président fera d’ultimes et vains efforts pour défendre ses prérogatives : droit de dissolution que Gambetta voudrait lui voir abandonner, ce qui met en jeu son droit de convoquer le Congrès pour la Révision68, et droit de choisir les ministres des Affaires étrangères d’une part, de la Guerre et la Marine d’autre part69.
85C’est donc bien le sort de la Présidence septennale comme pouvoir indépendant qui est en cause, et le 15 décembre, le Maréchal-Président le reconnaîtra implicitement dans son message au Parlement où il admet que la Constitution a voulu son irresponsabilité et, en même temps, assure la Chambre qu’elle arrivera « régulièrement au terme de son mandat » ; de la même façon, il n’est plus question de son privilège d’ouvrir seul la procédure de révision jusqu’en 188070.
86Contrairement aux espoirs des bonapartistes71 et aux craintes réelles72 – mais aussi exagérées pour les besoins de la cause – éprouvées par les républiciains –, le maréchal de Mac-Mahon n’a jamais voulu faire de coup d’État, n’a jamais voulu sortir de la légalité. Il a seulement voulu utiliser toutes les ressources littérales, que lui donnaient les lois de février 1875, pour empêcher le régime d’évoluer vers un système qu’il considérait comme préjudiciable à la France73.
87Née de concessions réciproques et votée grâce à des ambiguïtés verbales, la République était en quelque sorte condamnée à vivre ce conflit qui seul pouvait trancher non entre deux conceptions du régime parlementaire, l’une bonne et l’autre mauvaise, mais entre deux personnels dont l’un, nouveau, symbolisait la société politique issue du suffrage universel dans le cadre de l’arrondissement, et l’autre, ancien, n’était que le résidu hétéroclite des différents régimes que la France avait connus depuis 1815.
b) Décembre 1877 – janvier 1879 : Le régime parlementaire à la française : une République oligarchique
88Le retour aux affaires de Dufaure inaugure une période de calme où la trêve des partis – à l’ordre du jour depuis février 1871 – devient enfin une réalité. Elle est facilitée par la préparation de l’Exposition Universelle dont tout le monde – y compris le Maréchal de Mac-Mahon – veut faire un succès et surtout, face à l’étranger, une manifestation du calme et de la prospérité française retrouvée74.
89L’échec du 16 mai avait facilité, au printemps 1878, le retour des constitutionnels du Sénat dans le camp de la majorité ministérielle ; le débat politique ne reprend qu’à l’automne avec la préparation des élections sénatoriales qui, elles-mêmes, n’acquièrent d’importance que dans la perspective 1880, échéance capitale, puisqu’elle marquait la fin des prérogatives exceptionnelles de la Présidence de la République en matière de révision.
90Le 5 janvier 1879, les élections sénatoriales confirmèrent le triomphe de la République modérée75, celle du ministre Dufaure qui avait pourtant tenu à faire montre d’une grande discrétion pendant la campagne. Intervenant le moins possible dans les discussions des républicains au sujet de l’avenir, il ne voulait pas donner d’importance aux éventuelles divergences tournant autour de la place de Gambetta dans la République.
91Inventeur du Gouvernement de la Défense Nationale, propagandiste infatigable de la République « des réalités » à partir de 1874, orateur et stratège du parti républicain pendant la crise du 16 mai, Gambetta incarne la République aux yeux du suffrage universel – mais non dans le parti républicain où sa popularité débraillée exaspère les bourgeois austères et convenables que sont Jules Ferry et J. Grévy. De toute façon, cet extraordinaire tribun est trop averti du monde politique et de l’état social de la France pour ne pas savoir que l’union sur son nom est encore prématurée. Et de la même façon qu’après la mort de Thiers76, Gambetta s’était effacé derrière Jules Grévy77, il avait donné à la veille des élections une nouvelle preuve de son dévouement à la chose publique en annonçant dans un discours prononcé à Romans, que, quel que fût le résultat des élections, il n’était, quant à lui, candidat à aucun poste ministériel78 : après avoir rappelé que l’on devait servir son pays « là où il apparaît que vos aptitudes, vos connaissances et votre action s’exercent le plus favorablement », il terminait en prêchant aux républicains la patience afin de donner à la France « un gouvernement modèle qui ne ressemble à aucun de ceux qui l’ont précédé, un gouvernement qui soit bien aux Français et rien qu’à eux seuls »79.
92Mais cette longue patience ne pouvait plus suffire au jeune parti républicain fort d’une nouvelle victoire au Sénat, victoire qui devait finalement bouleverser le paysage politique français alors que l’on n’en attendait que la confirmation de la sagesse de la politique du Cabinet Dufaure. En particulier, l’infanterie du parti républicain ne comprend plus que ses succès politiques ne se traduisent pas par des changements plus rapides dans le personnel administratif qui, dans sa masse, demeure encore celui mis en place par les régimes précédents.
93Le 20 janvier, le gouvernement est donc interpellé par un député ami, M. Senard, qui demande au ministère de prendre en ce qui concerne « le pouvoir judiciaire » les mêmes mesures que pour l’autorité préfectorale. Et la réponse du président du Conseil permet de mesurer l’écart qui sépare les préoccupations du ministère soucieux que « la dernière épreuve que l’institution républicaine doit subir en 1880 par le renouvellement du pouvoir exécutif... se passe avec autant de calme et de fermeté que l’épreuve qu’elle vient de subir le 5 janvier » et celles des députés qui ne veulent voir « maintenus en fonctions que les fonctionnaires disposés à servir la République »80.
94La confiance est tout de même votée grâce à un ordre du jour rédigé par Jules Ferry qui, rappelant « les satisfactions légitimes » dues à la majorité républicaine, annonçait clairement quelles seraient à l’avenir ses exigences « en ce qui concerne le personnel administratif et judiciaire ». Et ce sera donc tout naturellement au sujet de ces irritantes questions de personnes que le Maréchal de Mac-Mahon donnera finalement sa démission, après avoir réfusé de signer la mise en disponibilité de trois généraux, qui avaient certes dépassé l’âge de la retraite, mais qui s’étaient vu confirmer leur commandement en 1876 et 1877 pour trois ans81. Conscient du fait que tout autre ministère était impossible, il enverra, le 30 janvier, sa démission aux présidents des deux Chambres. Ainsi s’éloignait, discrètement, le deuxième Président de la Troisième République, « gentilhomme, honnête homme et bon Français autant qu’homme le peut être », comme l’écrira Daniel Halévy82 dont le mérite personnel fut de plus de ne pas confondre légalité et légitimité.
95Sa succession est assurée de façon aussi rapide que l’avait été celle de Thiers au soir du 24 mai : à huit heures du soir, le Congrès est réuni et élit Président, par 563 voix sur 662, Jules Grévy qui symbolise en sa personne le double héritage de 1848 et du Pacte de Bordeaux de 1871.
96Quelques jours plus tard, le nouveau Président de la République, après avoir assuré aux Chambres qu’il « n’entrerait jamais en lutte contre la volonté nationale exprimée par ses organes constitutionnels », demandait à Waddington, déjà ministre des Affaires étrangères, de devenir président du Conseil, tandis que Gambetta était à son tour élu président de la Chambre par 338 voix sur 407.
*
* *
97Tout s’était passé dans le calme. Dix-huit mois avant la fin du premier septennat, un second Président, élu par une large majorité, pouvait donc raisonnablement prétendre représenter la Nation française. L’échéance de 1880, qui avait dominé la vie politique depuis 1875, se trouvait brusquement vidée de toute signification. Par son impatience, la gauche avait réussi à réaliser cet accord entre les « trois pouvoirs d’État » dont on parlait depuis si longtemps, et la transition s’était effectuée dans un climat exceptionnellement serein. Enfin Gambetta, accédant à la présidence de la Chambre des députés, occupait enfin un poste d’où il pourrait user de son influence pour diriger les débats.
98Mais la médaille avait son revers. Depuis que le suffrage universel était pratiqué en France, les espoirs des électeurs s’étaient toujours cristallisés sur un nom : Louis Napoléon, élu pour la première fois au suffrage universel, puis Thiers et Gambetta, chaque fois élus dans de nombreux départements, le premier comme libérateur du territoire, le second car il avait le génie d’opérer la synthèse entre les aspirations des républicains et les nécessités du gouvernement.
99Brusquement, alors que la République semblait toucher enfin le port, il n’y avait plus personne. Grévy et Waddington83, républicains certes très estimables, n’avaient guère de poids au regard du suffrage universel ; bien plus, le nouveau Président, dont on n’oubliait pas qu’il avait, en 1848, déposé un amendement contre l’existence même de la Présidence de la République, s’interdisait, dès le premier jour, non seulement d’en jamais avoir, mais encore, en omettant d’appeler Gambetta au gouvernement, d’en donner à quiconque la possibilité. Et ce dernier devait vite réaliser à ses dépens que du fauteuil de la présidence de la Chambre, il y avait plus d’honneurs à glaner que de pouvoir à exercer84.
100Heureuse à court terme, la hâte de la masse des députés républicains allait se révéler lourde de conséquences pour l’avenir. Elle allait en particulier donner à la République française ce caractère très particulier de République oligarchique où, d’une part, le pouvoir serait partagé entre des pairs veillant jalousement à ce qu’un premier n’émerge pas parmi eux et où, d’autre part, seraient pour longtemps exclues de larges catégories de la population : catholiques figés dans leur fidélité monarchique, socialistes paralysés par les restrictions du droit d’association85 et la dispersion de l’industrie française86.
101Bloquée au centre de l’échiquier politique, éclatée en plusieurs centaines de circonscriptions, la République va rencontrer les plus grandes difficultés à renouveler son personnel politique de façon harmonieuse, tandis que l’absence de grands partis trouvant dans leur dimension nationale la force de discipliner les députés, va livrer les gouvernements à l’instabilité des coalitions parlementaires.
102Ce double caractère d’instabilité gouvernementale allant de pair avec la stabilité du personnel ministériel, engendrera un climat d’insatisfaction où tout naturellement iront s’alimenter de nouvelles campagnes en faveur de la révision des institutions, campagnes qui nourriront la vie politique des prochaines années.
Notes de bas de page
1 Alors représentée par Brisson, Lockroy, Floquet, Naquet, Challemel-Lacour, etc., mais non par Louis Blanc qui, comme Grévy et quelques autres, s’est abstenu. Cf. Louis Blanc, Histoire de la Constitution du 25 février 1875, Paris, 1882.
2 La différence entre Buffet et Dufaure est justement celle de la majorité avec laquelle ces hommes veulent gouverner : majorité du 24 mai pour le premier, du 25 février pour le second, ce qui ne change pas grand-chose quant aux principes qui régissent la société, mais change tout quant au personnel politique dont ils veulent s’entourer pour gouverner, l’un étant beaucoup plus « clérical » que l’autre. Sur L. Buffet, voir la notice biographique rédigée en 1902 par A. De Courcel (Renouard, 159 p.).
3 La ligne de clivage entre les partisans des deux majorités passe à l’intérieur même du gouvernement puisque tandis que Buffet cherche à renouer « le faisceau des forces conservatrices », Léon Say, son ministre des Finances, rend hommage, une semaine plus tard, à la majorité du 25 février : ce discours causa une telle émotion que pour éviter une crise ministérielle, il dut le faire paraître au J.O. assorti d’une sorte de lettre rectificative rendant hommage à l’ancienne majorité ! Voir Année Politique, 1875, p. 27 et suivantes.
4 Le 13 juillet 1875.
5 6 septembre 1875.
6 L’Ordre, 22 octobre 1875.
7 J.O. du 12 novembre 1875 ; malgré un chaleureux plaidoyer de Gambetta en faveur du scrutin de liste.
8 Discours de Belleville, République Française, 24 avril 1875.
9 Le groupe Wallon-Lavergne était ainsi composé : Aclocque, Adrien Léon, Bobin Chevaye, du Réau, G1 de Chabrun, Clapier, Delacour Denormandie, Drouin, du Chaffaut, Dufournel, Fourichon, Gouin, d’Haussonville, Houssard, L. de Lavergne, La Sicotière, A. Lefèvre, Luro, F. Moreau, L. Passy, Pernet, Peulvé, Savary, de Séguet, Target, Voisin, Wallon (d’après L. Blanc, op. cit., p. 182).
10 Cf. Joseph Ranc, Souvenirs et Correspondances, éd. Cornely et Cie, 1913, p. 426-430.
11 MM. de Boiboissel, de Gouvella, La Rochejacquelin, Paulin-Gillon et Vinols.
12 Bardoux : cf. J. Ranc, op. cit., p. 430.
13 Voir Ph. Levillain, Un chevau-léger de 1871 à 1875 : Joseph de La Bouillerie, Revue Historique, mars 1977, p. 81 à 123.
14 Cf. Discours de M. Laboulaye, J.O. du 24 décembre 1875.
15 Souvenirs, t. I, Ch. Delagrave, 1912, p. 323.
16 Le Temps, 25 décembre 1875.
17 Cité par Ch. de Freycinet, op. cit., p. 326.
18 Buffet fera tout de même son entrée au Sénat en étant le premier sénateur inamovible coopté par la majorité conservatrice le 16 juin 1876.
19 Ce chiffre est supérieur à la trentaine de bonapartistes recensés en décembre 1875 car à l’Assemblée Nationale les bonapartistes étaient quelquefois camouflés sous le titre de conservateurs.
20 Ce qui ne contredit pas l’affirmation traditionnelle que la politique extérieure ne joue qu’un petit rôle dans les élections françaises. Dans sa masse, le suffrage universel veut la paix à l’intérieur comme à l’extérieur et répudiera aussi bien la politique de Gambetta, ministre de la Guerre, que les menées ultramontaines des conservateurs de 1873 et 1877. Pour étayer cette affirmation, il n’est que de lire la Correspondance de Paul Cambon (op. cit., t. I, p. 65) qui note que l’évocation du spectre de la guerre est généralement le fait du parti qui se sent sur la défensive. L’Année Politique de 1877, où l’on voit chaque parti aller quérir de Bismarck l’assurance qu’il était le plus apte à assurer une paix satisfaisante pour l’Allemagne, ou encore la campagne menée en 1881 contre Gambetta par des hommes comme B. Lavergne (Les deux présidences de Jules Grévy, Fischbascher, 1966, p. 20) assurant que le retour de Gambetta signifiait la guerre en Europe, ou les campagnes de 1881 ou 1885 contre Jules Ferry, l’homme de la guerre en Tunisie et au Tonkin (d’après les professions de foi recueillies sur la proposition de Barodet et publiées pour la première fois en 1882).
21 Cf. D. Halévy, La République des Ducs, Ed. de Poche, p. 231.
22 La loi, expression de la volonté générale, Paris, Sirey, 1932, p. 29 et ss., où est démontrée la subordination de l’Exécutif, puissance seconde, par rapport à la loi qui, émanation du Parlement, est la puissance primaire.
23 D’après le témoignage de Jules Ferry, lettre du 15 mai 1876, cité dans Jules Ferry, Discours et opinions, Armand Colin, 1893, t. II, p. 216. L’hostilité entre Jules Ferry et Gambetta sera officialisée par le refus de Jules Ferry, dès mars 1876, de s’associer avec Gambetta dans le même groupe, afin de ne pas faire de ce dernier le chef incontesté des députés républicains et, ce faisant, de repousser vers la Droite les députés du Centre gauche toujours inquiets des vues « dictatoriales » du tribun.
24 Le terme « Pouvoir d’État » utilisé aussi bien à droite qu’à gauche (Burdeau ou Lénine) signifie Pouvoir gouvernemental maître de la machine administrative et des forces armées.
25 Projet Waddington qui, revenant sur la loi de 1874, fut voté le 7 juin 1877 par 357 voix contre 123.
26 Le 18 mai 1876 est repoussé par 392 voix contre 50 le projet d’amnistie totale.
27 Contre la droite qui affirme le caractère précaire du régime, le Cabinet affirme à la Chambre et au Sénat que la République a été votée par l’Assemblée Nationale et ce choix ratifié par le suffrage universel : voir J.O., 20 mai 1876.
28 C’est-à-dire la nomination des maires dans tous les chefs-lieux de canton et non l’élection de tous les maires, sauf celui de Paris, comme le voulait Gambetta dont l’amendement fut repoussé le 12 juillet par 276 voix contre 73, malgré un discours de Jules Ferry, rapporteur.
29 24 novembre 1876, op. cit., t. II, p. 291. Pour Jules Ferry, c’est un retour politique. Rappelons qu’après les moments dramatiques du siège de Paris, J. Ferry avait été ambassadeur à Athènes de 1872 à avril 1873. Revenu à la Chambre, il reste silencieux pendant le vote des lois constitutionnelles et se marie à l’automne 1875.
30 La tradition veut qu’il insista sur la première qualité à la Chambre et sur la seconde au Sénat.
31 Les 25, 26 novembre 1876, la Chambre avait procédé à une réduction de crédit du budget des cultes en représailles contre les ingérences du clergé dans la campagne électorale.
32 Cf. F. goguel, Le rôle -financier du Sénat. Essai d’histoire parlementaire, Sirey, 1937, p. 252 et ss.
33 J.O., 29 décembre 1876.
34 République française, 1er janvier 1877.
35 République Française, 5 janvier 1877.
36 République Française, 29 janvier 1877.
37 République Française, 8 janvier et 24 février 1877.
38 République Française, 19 février (après le refus du Sénat de voter la loi sur l’organisation des conseils de prud’hommes).
39 Le 24 novembre 1876, jour de l’interpellation sur les enterrements, Dufaure avait recueilli 354 voix sur un ordre du jour qu’il avait été contraint d’accepter.
40 Le grand âge des inamovibles rendait ces élections assez fréquentes.
41 Cf. Les rapports de Ch. de Freycinet sur la réorganisation du commandement militaire dans les débuts de février ou, en mars 1877, les rapports sur le code rural ou le droit successoral (Année politique 1877, p. 55).
42 L’importance électorale de l’année 1877 (puisque 1878, consacrée à l’Exposition universelle, devait être une année de trêve) est signalée par La République Française dès le 6 janvier 1877 et c’est même à cette occasion qu’elle presse le gouvernement de dénoncer ses alliances équivoques, une semaine après le vote du 28 décembre 1876.
43 Ces crédits seraient, selon Bismarck, également justifiés par le travail gigantesque accompli depuis quelques années par la France pour réorganiser son armée.
44 J.O. du 2 mai 1877.
45 Lors du consistoire du 12 mars.
46 C’est ce 4 mai 1877 que Gambetta lança son fameux cri : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! » (Discours et plaidoyer, t. IV, p. 344 et ss.)
47 D’après la minutieuse enquête de Fresnette (Pisani) – Ferry qui consulta le journal inédit de Mac-Mahon, in Le coup d’État manqué du 16 mai, Robert Laffont, 1965, p. 50 et ss.
48 J.O., 13 et 16 mai 1877.
49 Caillaux, Brunet, Paris, le vicomte de Meaux, tous sénateurs, deviennent ministres des Finances, de l’instruction publique, des Travaux publics, du Commerce, de l’Agriculture. Le baron Reille, député, ne sera nommé sous-secrétaire d’État à l’intérieur que le 19. Le 20 est changé le directeur de la Sûreté générale, ainsi qu’un grand nombre de préfets.
50 Le 17, le Maréchal écrira même une lettre officielle à Decazes pour lui affirmer les volontés pacifiques de la France.
51 J.O., 19 mai 1877.
52 Pour le récit et la lecture des principaux textes de cette « épreuve de force entre la République et le parti clérical », voir R. Rémond, L’anticléricalisme en France, Fayard, 1976, p. 175 et ss.
53 Dès le 19 mai, Jules Ferry écrivait à Paul Boegner, préfet des Vosges : « On ne réussit pas un coup d’État en dehors de certaines conditions : un grand prestige et l’affolement d’un pays qui redoute l’anarchie. Or, le prestige est nul et la France n’a plus peur des républicains » (Lettres, op. cit., p. 219).
54 Cf. les nombreux discours de Gambetta et Jules Ferry sur la Démocratie paysanne (Jules Ferry, 8 juin 1876) sans parler du célèbre discours de 1872 de Gambetta sur les nouvelles couches.
55 Histoire et Politique : La Constitution de 1875, Paris, 1895, p. 64.
56 Datée du 31 mai. Cf. Jules Ferry, Discours et opinions, t. II, p. 368 et ss. Ces Lettres étaient adressées à L’Echo Universel, journal de Jules Simon.
57 Circulaire aux préfets afin de protéger l’ordre public.
58 Et de fait, même après les élections, le duc de Broglie reprendra toujours à son compte la totalité des opérations entreprises depuis le 17 mai, date de sa nomination.
59 Le 18 juin, quatre jours avant la décision du Sénat, répondant au nom de la Gauche républicaine, Jules Ferry disait encore : « Nous ne désirons pas la dissolution, mais nous ne la redoutons pas » (J. Ferry, op. cit, t. II, p. 402 et ss.).
60 Dès le 5 juin, Mac-Mahon avait fait savoir qu’il donnerait sa démission si la dissolution n’était pas votée. Cf. Gambetta, Discours et plaidoyers, t. VIH, p. 169.
61 Cf. J.-P. Machelon, La République contre les libertés, F.N.S.P., 1976, p. 282.
62 A l’intérieur d’un gouvernement divisé, c’est Fourtou qui avait préconisé une stratégie longue. Cf. Fresnette (Pisani) Ferry, op. cit., p. 201.
63 Dès juillet, l’unité est rompue : tandis qu’un journal légitimiste du Mans affirme que le salut de la France ne peut attendre 1880, L’Ordre (bonapartiste) ridiculise la « profession de foi omnibus » et certains candidats, tel Tristan Lambert à Fontainebleau annoncent qu’ils feront tous leurs efforts pour « rétablir dès 1880 l’empire autoritaire de 1852 ».
64 Cf. Juliette Adam, Après l’abandon de la Revanche, Lemerre, 1910, p. 32 : « Ma tristesse est profonde quand je vois mes amis menacer de la guerre si l’on vote pour la réaction – l’Empire ne s’y est pas pris autrement pour le plébiscite. »
65 Dans une note diffusée aussitôt par l’Agence Havas. Cité par A.P., 1877, p. 336.
66 D’abord lors du second tour, puis le 4 novembre, lors de l’élection des Conseils généraux où les républicains conquirent 113 sièges nouveaux sur les 1.346 à renouveler. Ces élections furent marquées par de nombreuses abstentions. Selon l’analyse de Seignobos reprise par François Goguel dans sa « Politique des partis sous la IIIe République » les conservateurs se trompaient donc moins sur le nombre de leurs partisans, sans doute encore majoritaires dans le pays, que sur le nombre de citoyens désireux de se rendre aux urnes pour faire triompher leurs opinions (Seignobos, op, cit., p. 2 et 8). Une situation analogue se retrouvera en 1962, où, après le traumatisme du référendum sur l’élection présidentielle, les abstentions seront très nombreuses aux législatives de novembre. Voir A. Lancelot, L’abstentionnisme électoral, Armand Colin, 1970, p. 111.
67 Sur ce point, voir F. goguel, La politique des partis sous la IIIe République, Paris, Le Seuil, 1958, p. 366.
68 3 décembre, une note de l’Agence Havas précise que le « ministère de conciliation » voulu par le Président a échoué sur « la condition préalable qu’on voudrait imposer au Président de la République de réunir le Congrès pour délibérer sur l’article des lois constitutionnelles qui permet au Pouvoir exécutif de dissoudre la Chambre sur l’avis du Sénat ». Désavouée sur le moment par les républicains, cette exigence est confirmée par les souvenirs inédits de Mac-Mahon cités par Fresnette (Pisani) Ferry, op. cit., p. 229.
69 5 décembre : nouvelle note de l’Agence Havas où le Maréchal déclare ne pas pouvoir souscrire à une modification « contraire à la bonne organisation de nos forces militaires et à l’esprit de suite dans nos relations diplomatiques ».
70 Cité par A.P., 1877, p. 403.
71 Tout au long des événements, les propos des bonapartistes n’ont jamais cessé d’être méprisants, voire injurieux pour les meneurs d’une entreprise qui, une fois commencée, « n’avait pas le droit d’être ratée, alors qu’elle avait été menée avec indécision et mollesse » (Année politique, 1877, p. 334).
72 Cf. les assurances prises par Gambetta et les républicains quant aux sentiments de l’armée. Voir Ch. De Freycinet et Fresnette (Pisani) Ferry, op. cit., p. 302.
73 C’est même sur cette volonté de ne pas sortir de la légalité que devait échouer une ultime tentative de constituer un ministère Batbie qui voulait promulguer le budget par décret à la faveur de la proclamation de l’état de siège, ce que précisément Mac-Mahon ne voulait pas (cf. Fresnette, (Pisani) ferry, op. cit., p. 300).
74 L’exposition, ouverte le 1er mai, fut saluée par une explosion de joie populaire fêtant la paix civile retrouvée. De la même façon, d’un commun accord, les vacances parlementaires seront exceptionnellement longues – de juin à octobre – afin de ne pas donner aux nombreux visiteurs étrangers le spectacle des disputes françaises. Et Daniel Halévy pourra noter que toute l’histoire de la IIIe République est scandée par des crises politiques finissant par des fêtes (République des ducs, Ed. de Poche, p. 308).
75 Sur 82 sièges à pourvoir, 16 vont aux conservateurs et 66 aux républicains, confirmant, si besoin en était, le ralliement définitif des notables de la campagne au gouvernement républicain. Désormais, la majorité républicaine est au Sénat de 50 voix. Pour obtenir ce succès, les candidats républicains avaient proclamé leur modération, souvent pris le titre de « républicains conservateurs » et même protesté de leur fidélité à Mac-Mahon (cf. J. Chastenet, L’enfance de la Troisième, Hachette, 1952, p. 255).
76 La mort de Thiers, survenue le 3 septembre 1877, en pleine crise du 16 mai, et son enterrement le 10 furent l’occasion d’une importante démonstration d’unité républicaine, puisqu’en l’absence du droit de réunion les cortèges funéraires étaient les seuls rassemblements autorisés. Dans l’émotion du peuple de Paris, Gambetta avait même voulu voir une façon pour qui avait été « bombardé, mitraillé, saigné à blanc par M. Thiers... d’amnistier le vainqueur ». Lettres du 9 septembre 1877 (édité par Daniel Halévy et E. Pillias-Grasset, 1938).
77 Dès la mort de Thiers, Jules Grévy est, à l’instigation de Gambetta, choisi pour représenter le parti républicain en cas de vacance de la présidence de la République. Pour accentuer cet effet, J. Grévy, abandonnant le Jura qu’il représentait depuis 1848, se présentera aux suffrages des électeurs dans la 10e circonscription de Paris qui était celle de Thiers depuis 1863.
78 Cité par A.P., 1878, p. 317.
79 Cité par A.P., 1878, p. 318.
80 J.O. du 21 janvier 1879. Ce soutien de Dufaure à ses fonctionnaires est une constante. En 1879, il défend les conservateurs comme en 1850 il défendait les républicains (voir A. De Tocqueville, op. cit., p. 226).
81 Préparée par le général Gresley, ministre par l’accord tacite du Maréchal et de Gambetta, cette mesure voulait, sous couvert de l’application d’une loi de 1873, écarter trois chefs militaires considérés comme solidaires du gouvernement du 16 mai. C’est ce à quoi Mac-Mahon, demeuré à son poste pour protéger l’armée, ne put se résoudre.
82 La République des ducs, op. cit., p. 391.
83 Le fait d’avoir appelé Waddington comme chef du gouvernement a été dans l’ensemble sévèrement jugé par les historiens qui parlent d’habitude de la « Constitution Grévy » pour illustrer la façon dont Grévy a rempli sa fonction. Voir à ce sujet J.-J. Chevallier, Histoire des Institutions politiques, Dalloz, 1952, p. 339.
84 Les amis de Gambetta furent très déçus de son abstention pendant ces journées, qui permit à ses adversaires de l’enfermer dans la présidence de la Chambre. Daniel Halévy pense que la santé de ce dernier était déjà atteinte. Voir op. cit., p. 376. Voir aussi plus bas : Gambetta, Président de la Chambre.
85 Dès les origines, les catholiques et les socialistes qui refusent l’idéologie individualiste et optimiste des fondateurs de la Troisième République, se situent à l’extérieur du système politique de l’époque. A cet égard, il est significatif de remarquer qu’en septembre 1878, à une époque de calme de l’opinion, le gouvernement a jugé nécessaire d’interdire le congrès socialiste en même temps que l’attitude des catholiques causait à ceux-ci de multiples difficultés avec l’autorité préfectorale ou judiciaire. Les deux courants se rejoindront d’ailleurs dans la personne du légitimiste Albert de Mun qui commence à fonder ses cercles ouvriers et à élaborer la doctrine du catholicisme social.
86 Sur le soubassement économique de la vie politique de ces années, voir l’excellent chapitre synthétique de J.-M. Mayeur dans Les débuts de la IIIe République, 1871-1889, Le Seuil, 1973, chap. II, « Economie et Société », p. 55-94.
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