Chapitre premier. 1870-1875 : La république du provisoire
p. 13-39
Texte intégral
1Le 8 mai 1870, 7.300.000 Français, contre 1.500.000, avaient approuvé les réformes de Napoléon III, organisant, sur les franges du pouvoir impérial, un régime parlementaire1. Cinq années plus tard, les deux tiers de l’Assemblée Nationale votent les trois lois donnant naissance à la République parlementaire qui, quelques mois après, sera confirmée par le suffrage universel selon les mêmes proportions. Loin d’avoir été progressive, cette évolution logique n’a pu être réalisée qu’au prix d’une série d’à-coups ; avant de s’imposer, la République parlementaire « à la française » aura dû triompher de trois autres systèmes politiques qui peuvent chacun s’analyser comme la résurgence d’un moment de l’histoire : un gouvernement insurrectionnel qui n’arrive pas à chausser les bottes de 1792, une République organisée selon le célèbre amendement Grévy de 1848, une tentative de restauration monarchique.
2A travers leurs divergences, ces trois improvisations ont pourtant eu un point commun, puisque le pouvoir gouvernemental y a toujours joui d’une personnalité propre ; au contraire, quand les parlementaires de l’Assemblée Nationale voudront enfin sortir du provisoire, ils ne pourront s’accorder que sur un régime où le lot du pouvoir exécutif sera l’anonymat.
1. 1870-1871 : Le Gouvernement de la Défense Nationale : un gouvernement insurrectionnel malgré lui
3La capitulation de Sedan date du 2 septembre, la « révolution » républicaine du 4. Averti le 3 par des rumeurs officieuses, le Corps Législatif impérial, élu en 1869, s’était montré tout à fait incapable d’agir : présidé d’abord par Eugène Schneider, puis par A. Thiers, il ne put ni voter la déchéance de la dynastie, ni s’emparer du pouvoir, ni même formuler une règle de conduite pour l’avenir. Et les députés seront encore retenus dans leurs bureaux à discuter lorsque la foule de Paris fera irruption dans les travées du Palais Bourbon. Pour protéger la dignité du lieu, Jules Favre et Gambetta décident alors de prendre la tête de la colonne et de se transporter à l’Hôtel de Ville2.
4Alors que la France paraissait engagée dans un processus parlementaire, la représentation nationale, inhibée par ses origines, s’est trouvée, en septembre 1870, incapable de s’affirmer comme telle. A l’heure décisive, seuls les députés républicains de Paris se sentent suffisamment sûrs de l’autorité qu’ils doivent à leur élection comme opposants à l’Empire, pour oser se lancer dans l’action en se proclamant le gouvernement de la France. Ayant failli, le pouvoir législatif devra maintenant attendre le 24 mai 1873 pour relever la tête.
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5La « Révolution » du 4 septembre fut une révolution pacifique, mais une révolution pacifique est toujours ambiguë et souvent grosse de malentendus sanglants pour l’avenir3. La journée du 4 septembre est la dernière journée parisienne où la bourgeoisie et le peuple de la capitale marchent de pair : c’est le peuple qui envahit la place de la Concorde, mais c’est la Garde Nationale, bourgeoise, qui lui permet de franchir le pont, avant de lui ouvrir les grilles du Palais Bourbon.
6Cependant, le 4 septembre est plus que cela. C’est aussi la première journée où l’émeute patriotique suit l’annonce d’une défaite militaire : plus tard, il y aura la « sédition » du 31 octobre au lendemain de la capitulation de Metz signée par Bazaine4, puis la révolte du 22 janvier après l’échec de la sortie de Trochu dont le Général avait entretenu les Parisiens pendant les quatre mois du siège, enfin l’insurrection du 18 mars après la ratification du traité de paix autorisant les Prussiens à défiler à travers la capitale, et qui sera le signal de la Commune de Paris.
7Journée bourgeoise et parlementaire, émeute populaire et patriotique, le Quatre Septembre explique que le Gouvernement de la Défense Nationale, proclamé à l’Hôtel de Ville dans la soirée, soit pris entre deux feux : nommé par « acclamation », c’est un gouvernement insurrectionnel qui se met « au péril » et non au pouvoir et appelle les citoyens à être « avec l’armée, les vengeurs de la Patrie »5. Mais formé par les « représentants » de Paris élus en 18696, présidé par un général que ne croyait guère à la victoire7, ce gouvernement de parlementaires ne peut ni ne veut être le Comité de Salut Public. Ayant la religion de 1848 pour le suffrage universel, ses membres, menés par Jules Favre qui en est le vrai chef politique, pensent que l’organisation rapide d’élections est le meilleur moyen de ramener la paix à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières8.
8Trois temps, fort inégaux, vont alors se succéder : celui de l’euphorie républicaine qui se brisera sur la volonté de Bismarck, celui de « la guerre à outrance » mené par Gambetta dans un style plus politique que militaire, puis, devant la famine qui menace Paris, la signature, mais aux conditions de Bismarck, de l’armistice qui devait enfin permettre les élections attendues depuis septembre.
9L’euphorie républicaine sera courte. Elle se termine le 20 septembre avec l’entrevue de Ferrières où Jules Favre – qui incarne en lui-même l’idéalisme et le pacifisme républicains9 – essaiera, mais en vain, de dissocier le régime impérial de la France. Refusant de signer un armistice honorable, le Chancelier prussien voulait que ce soit la France républicaine qui fasse la preuve de sa volonté pacifique10. Pourtant, chez les républicains, il n’avait été encore question que d’élections. 8 septembre : convocation des collèges électoraux pour le dimanche 16 octobre « à l’effet d’élire une Assemblée Nationale Constituante » ; 15 septembre : tableaux et répartition des 768 représentants du peuple à élire, selon la loi de mars 1849, au scrutin de liste départemental ; 16 septembre : décret fixant l’élection des conseillers municipaux au 25 septembre et avançant celle de la Constituante au 2 octobre ; 18 septembre : décret permettant à la Ville de Paris d’élire un Conseil Municipal dans les mêmes conditions que les autres villes de France11...
10Sonnant le glas des espérances électorales, l’échec de la diplomatie va donner à Gambetta l’occasion de mettre en œuvre sa politique jacobine. De tout le gouvernement, il est le seul à lancer l’appel aux armes plutôt que l’appel aux urnes. Pour lui, tant que l’étranger investit Paris, République et Guerre doivent demeurer « les deux seules passions ».
11Ainsi est-ce lui, qui du ministère de l’intérieur où il s’était installé d’office12, proclame la guerre à outrance, quelques jours avant de quitter, par ballon13, un Paris isolé du reste du pays par un siège beaucoup plus rigoureux que tout ce que l’on avait imaginé. Désigné par l’unanimité de ses collègues, il gagne Tours d’abord, Bordeaux ensuite et, grâce au système de la « voix prépondérante »14, s’improvise dictateur et général en chef. De là il fait surgir une armée de volontaires, et sillonne la province où ses préfets républicains essaient de rétablir l’ordre dans des villes qui, telles Lyon ou Marseille, étaient tentées de traiter d’égal à égal avec le gouvernement de Paris15.
12S’il réussit selon son vœu, à « sauver l’honneur », quelques succès militaires seront insuffisants pour changer le cours des événements et l’armée de la Loire ne pourra opérer sa jonction ni avec celle de Bazaine ni avec celle de Trochu. Gambetta devra alors se résoudre, la mort dans l’âme, à accepter le principe d’un armistice électoral signé le 28 janvier par Jules Favre, dont c’est la deuxième tentative16. Au fond cet armistice répond à la volonté profonde du Gouvernement de la Défense Nationale qui, tout au long de son existence, avait préféré la prudence à l’offensive, au contraire de Gambetta qui, avec l’âme d’un conventionnel justifiant au nom de la Patrie en danger les mesures d’exception17, pensait que la République devait être victorieuse avant d’affronter le Corps électoral.
13Son dernier acte « révolutionnaire » sera le décret du 31 janvier 1871, frappant d’inéligibilité tous les anciens ministres, sénateurs, conseillers d’État, préfets et candidats officiels de l’Empire, tandis que les préfets républicains seraient éligibles et dans leur propre département18 ! Cette prétention n’était pas une nouveauté : dès octobre, alors que Thiers négociait avec Bismarck, Gambetta avait prévenu ses collègues qu’il ne pourrait rester ministre qu’à cette condition19.
14En février, l’inéligibilité, devenue un symbole, permettra aux conservateurs de se présenter devant le corps électoral comme les champions de la Paix et de la Liberté par opposition aux républicains favorables à la guerre même au prix de la Liberté20. La cristallisation en deux camps sera facilitée par l’action de Thiers lui-même qui, ayant circulé à travers le pays, colporte que c’est à cause de la « dictature » de Gambetta – le « fou-furieux » – que la guerre continue et que plus on attend pour traiter, plus dures seront les conditions.
15Après une semaine dramatique où Jules Simon, dépêché d’urgence à Bordeaux, observera avec crainte et étonnement la dévotion qui entoure le ministre de la Guerre et de l’Intérieur21, Gambetta démissionne ; et le 8, dans un pays dont quarante-trois départements sont occupés par l’ennemi, seront enfin élus, après cinq mois d’intérim, les sept cent cinquante membres de l’Assemblée Nationale22.
16Né d’une défaite, méprisé de la population parisienne, ignoré de la province, mais toléré par Bismarck qui voyait en la République le meilleur moyen d’affaiblir la France, le Gouvernement de la Défense Nationale divisé à l’intérieur de lui-même, physiquement et politiquement, n’a pas eu la possibilité d’affermir une autorité que seuls de rapides succès militaires lui auraient acquise. L’étonnant est que ce gouvernement faible, composé de parlementaires libéraux, ait pu faire figure de dictature de par la seule présence de Gambetta, dont la parole flamboyante galvanisait les fidèles.
17S’il est tout à fait excessif de dire que son action a allongé la guerre, puisque c’est de Paris que sont venus le refus puis la signature de l’armistice, l’avenir devait montrer que Gambetta avait alors compromis ses chances de devenir le chef reconnu d’un gouvernement républicain. Non seulement le souvenir de sa « dictature »23 va-t-il à courte échéance handicaper les républicains et empêcher la naissance de cette majorité « libérale conservatrice » que Thiers attendait, mais encore, à plus long terme, va-t-il grever les efforts de Gambetta lui-même qui, victime des haines ou des jalousies nées à cette époque, ne pourra plus entreprendre de donner des assises nationales au pouvoir républicain sans se faire Immédiatement taxer d’ambition personnelle.
2. Février 1871 – 24 mai 1873 : Le Gouvernement de M. Thiers : un chef d’État responsable devant l’Assemblée
18Avec la constitution de l’Assemblée Nationale va commencer le temps des paradoxes. Cinq mois après la proclamation de la République, le pays va élire, et dans la plus grande liberté, une Assemblée monarchiste24 dont le premier vote sera de nommer Thiers « Chef du Pouvoir Exécutif de la République Française »25. Puis ces royalistes, élus pour la plupart sans avoir fait de profession de foi politique, voudront se proclamer constituants, droit que leur récuseront les républicains qui, depuis le 4 septembre, parlent d’une Assemblée Nationale Constituante !
19Enfin dernier paradoxe, et non le moindre quant à ses conséquences sur le fonctionnement des institutions : cette Assemblée, qui tire sa souveraineté et sa susceptibilité de son élection au suffrage universel, va très vite se voir contester son pouvoir par une longue série d’élections partielles qui, de juillet 71 à février 75, seront dans l’ensemble gagnées par les républicains26. Cette succession de revers va alors engendrer chez les conservateurs un double mouvement : pour l’immédiat, la revendication ombrageuse de la souveraineté parlementaire, sous le couvert de l’organisation « de la responsabilité ministérielle » ; tandis que, pour l’avenir, apparaît le désir de protéger le pouvoir contre « les excès de la démocratie »27, en pérennisant l’esprit de l’Assemblée Nationale dans les institutions de la République destinées à incarner la permanence de l’État, face aux variations de l’opinion enregistrées par le suffrage universel.
Un Chef d’État responsable
20Élu par vingt-six départements28 – plus de deux millions de voix – Adolphe Thiers, que de nombreux conservateurs avaient eu l’habileté de porter sur leurs listes29, est le grand vainqueur de l’élection ; arrivant à Bordeaux après avoir parcouru la France et l’Europe, il s’impose aussitôt à cette assemblée « honnête »30 mais inexperte, dont seuls cent soixante-quinze membres avaient déjà été élus lors d’une consultation nationale31.
21Son plan est simple : faire la paix, rétablir la puissance financière et militaire du pays afin de libérer le territoire et, une fois l’ordre assuré, proposer aux Français, ou plutôt à leurs représentants, ce « régime qui divise le moins » qu’il avait cherché à travers toutes les révolutions du siècle. En effet, à soixante-treize ans, cet homme résume en lui le xixe siècle : « il fait la chaîne entre Talley-rand et Clemenceau » dira de lui son biographe32 expliquant qu’il fut l’inventeur, sinon l’ami, de Louis-Philippe et du prince-président, avant de se réconcilier, au soir de sa vie, avec Gambetta lui-même.
22Enfant naturel monté de Marseille à Paris, il avait été, sous la Restauration, ce journaliste qui avait fait tomber un trône pour obtenir la responsabilité ministérielle et la liberté de la presse33. Ministre de Louis-Philippe – avant l’ère Guizot – il avait voulu cantonner le Roi dans ce rôle de représentation dont il ne voudra pas pour lui, Président de la République, afin de ne pas devenir « un petit bourgeois usurpateur »34.
23A l’observateur impuissant35 et éperdu36 de la Révolution de 1848, l’âge et le recul du temps ont appris que la meilleure façon de dominer sa peur était d’imposer son autorité aux autres en devançant les événements. Des événements que, pour sa part, il attend depuis ce fameux 15 juillet 1870 où il s’était fait conspué pour avoir osé demander s’il n’était pas urgent d’attendre. Si bien que l’historien du « Consulat et de l’Empire », que l’Empire numéro deux l’avait obligé à redevenir, croit très sincèrement au bonheur de cette rencontre entre un pays qui aime être gouverné, la France, et un chef – ce « Monsieur » Thiers qui a réussi à faire de cette appellation commune à toute la bourgeoisie qui aime le commandement, un titre particulier.
24A Bordeaux tout le monde l’attend et l’espère. Utilisant les vieux amis – les doctrinaires devenus républicains en 1848 – et les moins vieux – les républicains hostiles à la guerre –, il manœuvre magistralement cette Assemblée monarchiste qui, avant que n’expire l’armistice, n’a que quelques jours pour se constituer et envoyer un émissaire à Bismarck.
25Ainsi, le 16 février, Jules Grévy est-il élu, sur le conseil de Thiers, président de l’Assemblée. Et le lendemain une proposition Dufaure-Grévy, faisant de Thiers « le chef du Pouvoir Exécutif de la République Française », est-elle votée à la quasi-unanimité. Le terme de « République Française » avait été ajouté à la demande de Dufaure qui, ayant vécu de l’intérieur le siège de Paris, se sentait plus solidaire du Gouvernement de la Défense Nationale que des nouveaux élus37. A l’inverse, ce mot causera l’irritation des conservateurs qui exigeront de voir préciser – qu’exercées avec le concours de ministres choisis et présidés par lui – les fonctions de Thiers demeurent sous « l’autorité de l’Assemblée Nationale ». Souhaitée ou redoutée par les Français, la République Française de M. Thiers sera aussitôt acceptée par l’Europe dont les cours accorderont instantanément à son gouvernement la reconnaissance, jusque-là refusée au Gouvernement de la Défense Nationale38.
26Extrêmement rudimentaire, cette organisation constitutionnelle appelle deux remarques : la première est que les Français avaient, avec un seul bulletin de vote, désigné à la fois le Chef du Pouvoir Exécutif et les représentants qui devaient le soutenir – ce qui est un cas qui ne se retrouvera que très rarement –, la seconde est que ces représentants avaient presque d’instinct retrouvé la forme de l’État républicain de 1848, celle qui faisait dire à Tocqueville « qu’il est de l’essence de la République que le Chef de l’État soit responsable »39.
27En 1873, le duc de Broglie ne dira pas autre chose. Rapportant la « loi chinoise » qui devait ligoter Thiers, il admettra tout en le déplorant « qu’une plus grande latitude accordée au pouvoir personnel du Chef de l’État aux dépens des droits du Parlement est la conséquence rigoureuse du principe républicain »40. Et ainsi verrons-nous que c’est justement en troquant l’idée de la responsabilité du Chef d’État, contre celle de la durée fixe de son mandat, que le duc chercha à transformer un Président de la République actif en un « lieutenant général du royaume » à valeur plus symbolique.
28Mais en février 1871, l’Assemblée, même forte de ses quatre cents monarchistes, n’a pas le choix. Le « Pacte de Bordeaux » n’est qu’un arrangement provisoire41 qui doit permettre de signer la paix et d’avoir un peu de temps pour réaliser la réconciliation entre légitimistes et orléanistes. Thiers a donc le champ libre, et, avant de partir négocier avec Bismarck, il constitue un gouvernement qui n’est que le prolongement de celui du 4 septembre – moins Gambetta qui s’est retiré de lui-même42 – mais auquel s’ajouteront A. Dufaure et Buffet, en raison de leur compétence43.
29Tout ira très vite : le 1er mars l’Assemblée se déclare en faveur de la paix par 546 voix contre 107, qui représentent l’extrême-gauche liée à Gambetta. Le 15, les préliminaires du traité de Francfort sont signés44, et le 18 mars proclamée la Commune de Paris, qui sera réprimée dans le sang deux mois plus tard45. Paradoxalement et tragiquement, c’est ce drame qui va fonder la République et donner à ce troisième essai son caractère politiquement avancé et socialement conservateur, en permettant à Thiers de s’appuyer délibérément sur les républicains de province contre ceux de Paris46, sur le suffrage universel modéré contre l’insurrection d’extrême-gauche.
30Les élections du 2 juillet 187147 approuvent massivement cette politique puisque, sur 114 élections ayant lieu dans 48 départements, 99 sont républicaines, 12 monarchistes et 3 bonapartistes. Achevant de semer le désarroi parmi ses partisans, le comte de Chambord saisit ce moment pour proclamer, le 5 juillet, sa foi dans le drapeau blanc...
31Devant cette succession de revers, les monarchistes, qui disposent de la majorité à l’Assemblée, vont alors amorcer une contre-offensive qui mettra un peu moins de deux ans à aboutir.
Une Assemblée monarchiste
32L’autorité de Thiers est d’autant plus difficile à supporter pour l’Assemblée que, la question du régime mise à part, le petit homme est socialement souvent plus conservateur que l’ensemble de ces élus qui, connaissant bien la province, se seraient volontiers montrés plus libéraux et ouverts sur des problèmes tels que la décentralisation, les droits de douane ou l’armée nationale48. Chaque fois, il réussira cependant à faire triompher son point de vue en jouant de sa démission, qui est impossible tant que le territoire n’est pas libéré. Et ce sera cette discordance entre la volonté du Chef du Pouvoir Exécutif et le sentiment de l’Assemblée qui amènera cette dernière à concevoir tout le mécanisme de la responsabilité ministérielle comme un moyen d’imposer sa souveraineté pour éliminer Thiers, plutôt que comme un moyen de permettre la collaboration entre les pouvoirs49.
33Au mois d’août 1871, il n’était probablement pas possible de faire autrement. Personne – ni Thiers, ni l’Assemblée, ni l’opinion – n’était disposé à accepter l’idée d’un pouvoir gouvernemental autonome, tant était proche le souvenir des « dictatures » de Napoléon III et de Gambetta et grand le désir de Thiers de ne perdre aucun des droits attachés à sa qualité de membre de l’Assemblée Nationale !
34Exploitant habilement le double goût de Thiers pour les responsabilités personnelles d’une part, et le titre de Président de la République d’autre part, l’Assemblée va lutter pour dissocier l’exercice du pouvoir des fonctions de Chef d’État. En trois étapes, elle parviendra à obtenir un chef d’État confiné dans un rôle de prestige et un chef de gouvernement responsable ce qui, étant donné l’absence de partis politiques organisés, signifiait que la représentation nationale s’était appropriée la totalité de l’initiative politique.
a) La loi Rivet50 : août 1871.
35Historiquement, cette loi doit son importance à ses préliminaires : avant de donner une assise juridique au pouvoir de Thiers, l’Assemblée doit affirmer, contre la minorité républicaine, sa souveraineté en matière constitutionnelle, ce qui est obtenu le 30 août par 434 voix contre 225.
36Le lendemain, Thiers est élu Président de la République pour une durée aussi longue que celle de l’Assemblée Nationale. Si son droit d’accès à la tribune reçoit un commencement de réglementation51, le président reste responsable devant l’Assemblée mais ses ministres le deviennent aussi. Le décret d’application qui paraît le lendemain au Journal Officiel traduit cela de façon symbolique en instituant un vice-président du Conseil, chargé de présider le Conseil des ministres en cas d’empêchement ou d’absence du Président de la République52. Mais l’expérience devait montrer que la responsabilité ministérielle ne pouvait se développer à l’abri de la responsabilité présidentielle que personne ne désirait supprimer ; en effet, dans sa première proposition, Rivet avait suggéré d’élire Thiers pour trois ans, mais l’Assemblée refusa car, explique son rapporteur :
37« Proroger et maintenir en fonction, pour une durée de trois années, le Chef du Pouvoir Exécutif, n’est-ce pas le rendre inamovible pendant ce laps de temps ? Or, devant un chef de gouvernement inamovible, quel peut être le rôle de l’Assemblée ? Que deviennent ses droits ? C’est son abdication, chose impossible puisque la souveraineté que l’Assemblée possède est, par essence, inaliénable et que, le voulût-elle, elle ne peut s’en déposséder. Pour sortir d’embarras... il suffit d’exprimer que le Chef de l’État ne cesse pas d’être responsable devant l’Assemblée. »53
38La « Constitution Rivet » n’était encore qu’un arrangement provisoire. Devant le succès d’une politique, encore affermie par le résultat d’élections cantonales traduisant la modération du pays54, Thiers va essayer de mettre le droit public en accord avec le fait républicain.
b) La politique du Message : 13 novembre 1872.
39Le Président de la République procède à petits pas : le 7 décembre 1871, il avait dit à l’Assemblée qu’elle seule disposait du pouvoir souverain55, et le 26 il l’invitait à faire « l’essai loyal » de la République56. Un an plus tard, le 13 novembre 1872, fort de l’expérience acquise, du calme du pays, et du désir général de sortir du provisoire, il lui proposera d’organiser la République « paisible », celle qui n’éloignera personne de la France puisque la République existe déjà et qu’elle est, depuis près de deux ans, « le gouvernement légal du pays »57.
40Cette politique – immédiatement appelée « politique du Message » – va déchaîner des tempêtes aux deux extrémités : du côté des légitimistes bien sûr, qui ne sortiront maintenant de l’opposition que pendant les premiers mois du gouvernement du duc de Broglie, mais aussi du côté des républicains qui, menés par Gambetta, ne peuvent accepter que la République soit faite au bénéfice des Versaillais58.
41Ici, il faut ouvrir une parenthèse pour jeter quelque lumière sur le jeu mené par Thiers et Gambetta, deux hommes de gouvernement à avoir et le sens de l’État et celui de la République mais qui, condamnés par la fatalité des circonstances à se combattre lorsqu’ils étaient au pouvoir – pour ne se retrouver que dans l’opposition –, échoueront, faute de temps, à faire que le chef de l’État et le chef de Gouvernement soient les chefs d’un parti républicain de dimension nationale.
42Dès son retour à l’Assemblée, Gambetta devient le chef des républicains de gauche. En août 1871, il s’était abstenu d’élire Thiers, Président de la République, pour ne pas reconnaître le pouvoir constituant de l’Assemblée, au moment où il parcourt le pays en demandant sa dissolution ; et en novembre de la même année, il fonde le journal « La République française », austère feuille de doctrine, qui bien que s’étant fait une règle de l’anonymat des rédacteurs, permet de suivre le mouvement de sa pensée59.
43Le sentiment le plus fort – qui explique l’évolution de Gambetta après juin 1874 – y est la haine du bonapartisme ; ainsi, n’a-t-on garde d’y oublier que c’est à cause de la « sottise » du parti libéral dont Thiers fut un des chefs, que la légende napoléonienne s’est emparée de l’esprit des « paysans » de sorte que « l’impérialisme s’imagine qu’il a des racines dans le peuple »60.
44Mais dans l’immédiat, il faut reconnaître que Thiers, Président de la République par la grâce des monarchistes, porte quand même avec lui l’espoir des républicains, à condition évidemment qu’il accepte de se tourner vers eux, et de renoncer à cette entreprise « chimérique » qu’est le gouvernement par la conjonction des centres. Ainsi, la politique du Message y est-elle violemment attaquée avec une vigueur qui, un siècle après, n’a rien perdu de son actualité :
45« Au centre gauche est le groupe parlementaire où il a été le plus facile de rencontrer le plus grand nombre de gens disposés à s’entendre sur toutes les questions mais qui, au fond, ne s’entendent sur rien... Telle est d’ailleurs la destinée de ces associations mixtes composées d’éléments hétérogènes qu’on appelle du nom de « Centre » dans le langage parlementaire... La faute en est à une idée séduisante mais souvent très fausse qui préside à leur formation... On croit que la vérité se trouve dans le milieu des choses... et on fait consister la sagesse à ne verser ni d’un côté, ni de l’autre et l’on tâche d’aller ainsi droit devant soi sans trop savoir où le courant des événements entraîne les opinions et les hommes et surtout sans s’apercevoir que l’on n’a aucune autre utilité que de servir d’appoint, tantôt à l’un, tantôt à l’autre de ces partis... ; le pays est divisé en républicains et réactionnaires, il n’admet pas que les républicains fassent la cour aux réactionnaires. Il veut que l’on soit pour ou contre la majorité de Versailles ; il abandonnera impitoyablement ceux qui auront joué le double jeu. »61
46Puis vient la critique des assemblées voulant accaparer la souveraineté nationale, oubliant qu’elles ne tiennent leur puissance que du suffrage universel :
47« Mais (la Démocratie) a toujours très bien su que les Assemblées chez les peuples libres sont un instrument, un rouage comme un autre destiné à faire connaître avec plus ou moins de précision la volonté nationale, et un instrument avec lequel il est défendu de fausser cette volonté. »62
48Enfin, dernier trait – qui annonce la « manœuvre » de Gambetta au moment de l’élection des sénateurs inamovibles – : la sympathie avec laquelle son journal parle du parti légitimiste « qui ne doit pas aimer se voir exploité par quelques roués qui mendient l’appoint de ses voix, sauf à rire entre eux de la parfaite innocence des fidèles serviteurs du roi légitime »63.
49Tout naturellement, la conjonction des centres appellera la conjonction des extrêmes. Mais à l’automne 1872, la République par la conjonction des centres est parlementairement impossible. Au contraire, la difficulté avec laquelle est obtenue la confiance pour la politique du Message laisse entrevoir à la majorité monarchiste comme à Gambetta que le Président de la République n’est plus invincible et qu’une fois le territoire libéré, l’heure de la revanche pourrait sonner64.
c) Le conflit et la chute.
50La République de la conjonction des centres va être brisée par l’offensive conjuguée de la majorité parlementaire, désireuse de s’affirmer contre le gouvernement, et de Gambetta qui inaugure ici son rôle de virtuose de la partition électorale. Techniquement, le processus est assez passionnant car il illustre parfaitement la discordance qui existe entre une tactique parlementaire centriste et une stratégie électorale nationale obligée de se définir par rapport aux choix fondamentaux, discordance qui est au cœur du gouvernement de conjonction des centres et que nous retrouverons tout au long de ces pages.
51Rappelons brièvement des faits mieux connus dans leur succession que dans leur articulation réciproque puisqu’on oublie souvent que c’est pour répondre à une intervention abusive de la majorité – la suppression de la mairie de Lyon – que Gambetta décida brusquement de se déclarer pour Barodet, le maire révoqué, contre Rémusat, le ministre des Affaires étrangères à travers qui Thiers espérait faire plébisciter sa politique de libération du territoire.
52Le territoire est libéré le 15 mars 1873.
53Deux jours auparavant, le duc Albert de Broglie – le fils de ce duc Victor qui, de Louis-Philippe, n’aimait que son « usurpation » !65 – a fait voter la loi « chinoise »66 réglementant de façon fort stricte l’accès du Président de la République à la tribune. Premier effort pour dissocier l’aspect honorifique de l’aspect politique des fonctions présidentielles. En effet, sous couleur d’honorer Thiers, le champion de la tribune parlementaire ne pourra plus s’adresser à son auditoire favori que lors de séances spéciales, obligatoirement closes dès la fin de son discours. Ainsi soustraite à la magie de ce verbe présidentiel qui cristallisait l’union centriste, l’Assemblée pourra-t-elle substituer à Thiers, président selon la France, un personnage certes honorable et décoratif mais qui ne serait que le président de la majorité parlementaire.
54L’occasion ne se fait pas attendre. Le 1er avril, un incident de séance, où J. Grévy croit que sa dignité a été froissée, conduit ce dernier à démissionner. Et ceci permet à l’Assemblée d’élire un nouveau président, L. Buffet, juriste rigoureux, tout à fait décidé à empêcher que la France ne glisse sur une pente qu’il juge fatale. Encouragée par le succès, dès le lendemain l’Assemblée votera, contre l’avis du ministre de l’intérieur, la suppression de la mairie de Lyon, ville que l’on voulait voir administrée comme Paris. Révoqué de sa mairie, D. Barodet, instituteur à qui l’on reprochait ses opinions avancées et son goût pour les enterrements républicains, devient instantanément le héros de l’extrême gauche parisienne, c’est-à-dire de ces journaux radicaux – le « Corsaire » de Portalis d’abord, la « République française » de Gambetta ensuite, qui sont alors les meilleurs agents électoraux qui soient.
55Thiers espérait faire ratifier sa politique extérieure de paix. Mais moins de deux ans après le siège et la sauvage répression de l’insurrection communale, c’était trop demander au suffrage parisien. Ch. de Rémusat – qui n’avait jamais péché par excès d’ambition – sera battu par 135.208 voix, contre 180.045 à son concurrent radical et un peu plus de 25.000 voix à un obscur colonel, investi deux jours plus tôt par la curieuse alliance des bonapartistes et des légitimistes.
56Pour une majorité déjà traumatisée par son incapacité à s’imposer dans les départements, l’échec à Paris de Rémusat pourtant soutenu par les républicains modérés67, est la preuve que Thiers est bien devenu le prisonnier de ce radicalisme haï, qui attaque « la religion, la propriété, et la famille ». Quant à la République conservatrice de la conjonction des centres, coupée de sa droite comme de sa gauche, elle se découvrait nue c’est-à-dire privée d’assise électorale68.
57Tentant alors une manœuvre à vrai dire assez désespérée, Thiers fait rédiger par son Garde des Sceaux, A. Dufaure, l’ancien ministre de la seconde République, un projet de Constitution69 qui est un document fort curieux par son mélange d’audace et de « vieilleries » pour reprendre le terme de Jules Ferry à propos de l’ensemble de la politique de Thiers.
58« Républicain », ce document se situe dans la tradition de 1848 : le Président de la République, premier magistrat de la Cité, responsable de ses actes, est le chef du pouvoir exécutif. La conséquence devrait être son élection au suffrage universel, mais « comme ce mode d’élection n’a pas laissé un bon souvenir » explique Dufaure dans son exposé des motifs, le président sera nommé par collège formé d’élus locaux, de députés et de sénateurs afin de préserver « l’indépendance » du Président par rapport au Parlement.
59Comme la Couronne britannique, le Gouvernement de la République se compose d’un Président, Chef du Pouvoir Exécutif, d’un Sénat, formé de « capacités », et d’une Chambre des représentants élus au suffrage universel. Et le Président dispose, après avis conforme du Sénat, du droit de dissolution « afin d’écarter les inconvénients du suffrage universel ». Ceci relève évidemment des « vieilleries » et, un siècle plus tard, il est à peine utile d’insister sur le paradoxe qui fait qu’une République – qui ne tire sa justification que de l’exercice du droit de suffrage – s’organise entièrement dans le but de se préserver « des excès de la Démocratie »70.
60Plus intéressante est la réflexion de Dufaure sur le rôle du Pouvoir Exécutif dans un pays tel que la France :
61« Les habitudes et les besoins de la France – dira-t-il en présentant son projet – obligent à concentrer dans les mains du premier magistrat des pouvoirs très étendus et très divers qui sont localisés sans inconvénient dans d’autres pays. Mais parmi nous, l’unité d’action du gouvernement est la condition absolue du Salut Public... car la France a besoin d’être gouvernée davantage. Le citoyen français ne se sentirait pas en sûreté si la puissance publique pratiquait sans restriction la maxime célèbre : laissez faire, laissez passer. Il faut qu’elle prête partout la main et sa responsabilité croît dans la même proportion que son intervention. »
62La liberté d’action du Président, soutenue par la confiance de la Chambre, était donc le fondement du régime préconisé par Thiers et Dufaure ; régime dont les auteurs, empruntant à la République américaine son Président, Chef du Pouvoir Exécutif, et à la Grande-Bretagne le droit de dissolution et le principe de la responsabilité politique, pensaient avoir suffisamment « concentré le pouvoir » pour avoir constitué « un gouvernement qui put résister à tous les chocs et triompher de tous les obstacles ».
63Mais, en mai 1873, l’Assemblée n’est pas d’humeur à discuter des qualités d’une Constitution républicaine, et, le 24, elle vote la défiance lors de la discussion de l’interpellation du duc de Broglie71 par 360 voix contre 344 grâce au passage de gauche à droite des quinze députés du groupe Target72.
64Le soir même, Thiers, bien qu’il n’y fût pas obligé, remettait sa démission, puisqu’en l’absence du droit de dissolution, il n’avait plus les moyens d’assurer sa charge de Chef du Pouvoir Exécutif. Et ainsi se terminaient, dans la mesquinerie, ces vingt-cinq mois de gouvernement républicain où un chef d’État responsable avait pu, soutenu par la confiance de l’Assemblée comme du pays, rétablir le crédit intérieur et extérieur du pays73.
3. 24 mai 1873 – 16 mai 1874 : Le gouvernement du duc de Broglie ou la Restauration sans le roi
a) L’échec de la fusion.
65La « révolution parlementaire » du duc de Broglie fut menée rondement : la démission de Thiers est à peine connue que Buffet met aux voix une nouvelle motion de Broglie tendant à procéder immédiatement à l’élection d’un nouveau Président de la République, motion qui est aussitôt votée par 368 voix contre 339.
66A peine un député républicain a-t-il le temps de demander pour quel genre de Président on vote – à quoi il lui est hâtivement répondu que rien n’est changé par rapport aux lois de 1871 et 1873 – que Mac-Mahon est élu par 390 voix74. Le lendemain, le duc de Broglie est chargé de former un ministère conforme au vœu de la nouvelle majorité qui veut une reprise en main de l’administration, la nomination de « bons » préfets, d’où le recours à l’ancien personnel bonapartiste dont la virtuosité en matière électorale était légendaire.
67Malgré la similitude du titre, tout était cependant changé avec l’arrivée à l’Élysée du maréchal de Mac-Mahon, duc de Magenta. Soldat respectueux du « règlement », il ne viendra jamais défendre personnellement sa politique devant l’Assemblée, illustrant de la sorte, si besoin en était, qu’il n’y a plus maintenant qu’un seul pouvoir, celui de la majorité parlementaire qui espère en Broglie pour réaliser la Restauration.
68Devant ce renversement de perspective, il est intéressant de noter l’attitude des républicains qui se sont de nouveau abstenus le jour de l’élection de ce second Président de la République. Dès le lendemain, la République Française écrit avec la plus grande netteté que la légalité étant toujours républicaine, toute atteinte à cette légalité serait la plus impardonnable des fautes ; quelques jours plus tard, la description de Mac-Mahon « homme de devoir et honnête homme » prend l’allure d’une semi-allégeance en attendant le verdict du suffrage universel75. Comme en juillet 1871, la modération des républicains montrait qu’ils étaient les vrais conservateurs de l’ordre social et de l’ordre politique provisoire : c’est comme tels que l’avenir leur appartiendrait.
69Du côté des royalistes, l’arrivée au pouvoir du duc de Broglie avait évidemment soulevé les plus grands espoirs et, pendant l’été 1873, les émissaires de toutes sortes vont s’affairer. Le 5 août, c’est la joie lorsque la visite du comte de Paris à son cousin de Frohsdorf paraît sceller la réconciliation entre Bourbons et Orléans, effaçant le vote de Philippe Égalité le régicide, comme les dix-huit ans de la Monarchie de Juillet. Mais l’espérance sera courte. Pressé de se déclarer, le comte de Chambord, qui fut « l’enfant du miracle », écrit enfin une lettre rappelant qu’il ne peut, sans se déshonorer, devenir le « Roi légitime de la Révolution », puisque sa « personne n’est rien et (son) principe est tout »76.
70La question du drapeau – blanc ou tricolore – devient alors le symbole du divorce entre orléanistes et légitimistes qui, préférant l’exil intérieur au sacrifice de leurs convictions, regarderont toujours avec méfiance ce régime parlementaire où leurs cousins d’Orléans se montrent si habiles ; ainsi s’explique que, pour eux et leurs descendants, la tentation ait bien souvent été très forte de mêler leurs bulletins de vote à ceux de l’extrême-gauche qui ne se sent guère concernée par un régime parlementaire toujours tenté de recourir à la conjonction des centres plutôt qu’à l’arbitrage du suffrage universel.
b) Le septennat personnel.
71L’échec de la fusion va permettre aux bonapartistes de tenter une manœuvre afin de se compter77 ; et notons qu’à partir de l’automne 1873, les entreprises bonapartistes, leur succès devant le suffrage universel – grâce auquel ils doubleront leur représentation à l’Assemblée – vont servir de moteur à cette dernière qui, sous peine de faillir à la mission qu’elle s’est donnée, se voit obligée de trouver, en son sein, la solution du problème constitutionnel de la France.
72Au début du mois de novembre 1873, Rouher dépose sur le bureau de l’Assemblée une motion signifiant que seul le pays peut décider de la forme du Gouvernement de la France ; cette proposition qui, n’eût été le rapport des forces politiques, aurait pu paraître comme une proposition de simple bon sens, a pour résultat de scandaliser tout à la fois les républicains, pour qui la République existe déjà, et les monarchistes qui répètent à l’envie qu’une seule voix de majorité est suffisante pour faire la Monarchie78. Mais le fait que le 19 novembre 1873, trois ans après Sedan, il se trouve déjà 88 députés (dont plus de 60 républicains plébiscitaires) pour voter cette motion, était non seulement pour le présent, significatif de l’exaspération que commençait à susciter ce provisoire qui n’en finissait pas, mais encore pour l’avenir, annonciateur des coalitions qui se noueront autour du boulangisme, compris non comme une entreprise de subversion au service d’un aventurier mais comme une tentative de lutte contre le monopole de la représentation politique que s’était adjugé le Parlement79.
73Dans l’immédiat, la haine du bonapartiste va pousser le duc de Broglie à agir. En un sens, ce descendant de Necker et de Mme de Staël est l’homme de la situation : assez royaliste pour être le chef des droites, cet aristocrate qui a du sang protestant dans les veines ne confond pas religion et légitimité, encore moins avenir de la Monarchie et avenir du parti conservateur.
74Depuis le mémoire circonstancié rédigé par son petit-fils, on connaît mieux les aspirations de ce duc froid et austère qui nourrit plus longtemps que personne l’illusion que Thiers serait l’agent, non pas d’une restauration monarchique, mais d’une réconciliation entre la République et les princes « autour de l’union des gens des biens »80. Comme son père qui discutait avec les cours d’Europe en représentant sa caste plutôt que son roi, il croit que « la légitimité n’est qu’une babiole impertinente et que les doctrines de ses défenseurs ne sont que non-sens »81. Autrefois il avait écrit à Thiers : « Je ne crois ni à la République, ni à la légitimité. Quiconque m’apporte ces formules magiques me fait l’effet d’un charlatan. »82 Par contre, il croyait au régime parlementaire. Et de sa connaissance de l’Angleterre, il avait acquis une claire conscience du mécanisme de la responsabilité ministérielle en régime monarchique ; et c’est le mécanisme, plutôt que le régime, qu’il voudrait acclimater en France afin de dissocier l’État, qui doit être continu et garant de la stabilité sociale, du ministère qui peut changer selon les mouvements de l’opinion.
75Ainsi, renversant la thèse de la nécessité de la responsabilité présidentielle sous un régime républicain – qui avait été la thèse officielle sous la présidence de Thiers –, peut-il maintenant expliquer que l’essentiel est d’assurer la durée du Chef de l’État. Ainsi apparaît, mais cette fois parce qu’elle joue au bénéfice des conservateurs, la notion de l’autonomie du pouvoir d’État qui sera au centre de la crise du 16 mai.
76Sur le moment, la querelle est obscurcie par la question du « septennat personnel » – qui maintient la fiction du régime provisoire, attendant que le retour du roi soit possible – et celle du « septennat impersonnel » qui fonderait la République. Aujourd’hui, le plus important est la disparition de la responsabilité présidentielle, remplacée par son irrévocabilité pendant un laps de temps supérieur à celui de la législature afin de lui permettre de résister aux aléas de la conjoncture.
77Le 19 novembre 1873, lorsque la loi est votée par 383 voix contre 317, il n’est pas fait référence à cette responsabilité personnelle qui disparaît mais l’alternative responsabilité-irrévocabilité ayant été largement discutée en août 1871 et en mars 1873, il ne pouvait y avoir aucun doute dans l’esprit de l’Assemblée voulant faire œuvre constituante.
78Avec le vote du Septennat, le ministère Broglie en a fini avec son œuvre constructive. Et les autres mesures prises ne seront que des mesures défensives destinées à domestiquer le suffrage universel83, tant redouté des hommes du centre, puisqu’il avait pris la fâcheuse tendance de préférer les républicains ou les bonapartistes aux conservateurs qui veulent restaurer l’ordre moral en s’appuyant sur l’Église catholique.
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79A peine votée, la loi du Septennat va alimenter des discussions savantes sur sa signification et les possibilités ouvertes aux différentes parties en présence, ce qui aura pour résultat de renverser les positions respectives des partisans et des opposants.
80Tandis que légitimistes et bonapartistes, un moment favorables à cause des perspectives ouvertes par cette nouvelle sorte de trêve des partis, finissent par voir dans l’inamovibilité du Maréchal l’ajournement de leurs espérances, les républicains modérés sont sensibles à l’implantation chaque jour plus solide de la République de fait. Enfin, le duc de Broglie, poursuivant son idée de transplantation du régime britannique, rêve de flanquer la Présidence de la République, assurée aux conservateurs pour sept ans, d’un grand Conseil où iraient siéger les « capacités » du pays afin de surveiller les emballements de la Chambre basse.
81Mais une fois encore cette politique du Centre allait se briser sur le mur du suffrage universel, peut-être divisé sur la forme du gouvernement, mais certainement uni sur sa propre force, ainsi que sur le sentiment que c’était de lui que devait procéder le pouvoir. Depuis le 24 mai, date de la chute de Thiers, quatorze élections partielles avaient eu lieu : aucun conservateur n’avait été élu contre treize succès aux républicains (dont huit modérés) et un aux bonapartistes, ce qui confirmait si besoin en était que le dilemme n’était pas entre la conservation sociale et le radicalisme, mais entre la République et l’Empire.
82Ainsi, n’est-il guère étonnant de voir le cabinet renversé, le 16 mai 1874, sur une question mineure d’ordre du jour. Ce qui est plus important, c’est de noter que cinquante-deux légitimistes et dix-huit bonapartistes s’étaient joints aux républicains de toutes nuances pour obtenir ce résultat. Minoritaire dans le pays dès le premier jour, majoritaire à l’Assemblée à la faveur d’une formulation équivoque –, défense sociale plutôt que projet politique –, le gouvernement du duc de Broglie aura cependant eu un double mérite : le premier, volontaire, celui d’avoir substitué à l’impossible restauration monarchique ce septennat républicain qui, n’eût été les hommes et les circonstances, aurait pu acquérir une certaine densité ; l’autre, involontaire, et dont il ne tirera même pas profit, celui d’avoir démontré qu’une « bonne » administration et de « bons » préfets sont insuffisants pour fabriquer de « bonnes » élections.
4. 16 mai 1874 – février 1875 : le gouvernement anonyme et la naissance de la République
83La chute du gouvernement de Broglie ouvre le début d’une étrange période qui se retrouvera chaque fois qu’il y a inadéquation entre l’opinion parlementaire et l’opinion du pays : le chef du ministère n’est pas l’homme fort du gouvernement et ainsi commence le régime du « gouvernement occulte »84 qui pervertira la vie politique française, car, d’une part la délimitation de la responsabilité ministérielle devient très difficile, et d’autre part le citoyen ne peut plus, au moyen d’un seul bulletin de vote, élire et le Chef du Pouvoir Exécutif et le député qui le soutiendra.
84En effet, en dépit des apparences, l’homme fort est encore le duc de Broglie car, non seulement la majorité qui l’a renversé est incapable de définir une organisation plus poussée des Pouvoirs Publics, mais encore c’est lui qui dispose de l’appui du Maréchal de Mac-Mahon qui, en vertu des pouvoirs particuliers qui lui sont donnés, se considère en droit d’orienter la majorité vers la protection des intérêts conservateurs.
85Ainsi sera constitué, le 22 mai 1874, un cabinet présidé par un vieux camarade du Maréchal, le général de Cissey qui, chargé d’expédier les affaires courantes, renonce – contrairement à Thiers et à Broglie – à conduire les travaux de l’Assemblée en matière constitutionnelle.
86Devant cet aveu d’impuissance, Thiers sort de sa réserve pour demander la dissolution d’une Chambre « qui n’a plus le droit de vouloir gouverner quand elle ne le peut plus »85. Ce pas important vers les thèses de Gambetta va permettre la réconciliation des deux hommes sur l’alternative vote de la République ou dissolution86 ; et d’autant plus facilement que les bonapartistes entreprennent alors une campagne extrêmement agressive contre les hommes « qui doivent leur pouvoir à l’insurrection du 4 septembre »87.
87Trois ans après l’avoir refusé, Gambetta est donc amené à admettre le pouvoir constituant de l’Assemblée, de peur qu’une dissolution prématurée ne fasse le jeu des bonapartistes, et parce que l’échec du ministère Broglie ne permet guère à l’Assemblée de faire autre chose que la République. Mais puisque Broglie demeure l’homme fort, la République, troisième du nom, tournant le dos à la tradition française, ne sera ni une République présidentielle, comme le voulait Thiers, ni une « démocratie républicaine », fondée sur une majorité nationale issue du scrutin de liste, comme le voudrait Gambetta, mais une République anonyme, soumise à la tutelle d’un « Grand Conseil » incarnant la permanence et, comme telle, capable de protéger les intérêts conservateurs en résistant aux désirs de changement et aux mouvements d’opinion exprimés par la Chambre issue du suffrage universel.
Le vote des lois constitutionnelles.
88Trois élections bonapartistes – deux en mai et août 1874, une en janvier 1875 – vont permettre d’accélérer les évolutions indispensables, faisant entendre que désormais le temps joue contre l’Assemblée Nationale, et d’autant plus que la situation internationale – où Bismarck recommence à donner de la voix – exige que la France se dote enfin de pouvoirs stables.
89Le 15 juillet 1874 avait été rejetée par 374 voix contre 333 la proposition de Casimir Périer qui voulait que la Commission des Trente prît enfin pour base de ses travaux l’article 1 du projet Dufaure : « Le Gouvernement de la République est formé de deux Chambres et d’un Président. » Le 28 janvier 187588, reprise par Laboulaye89, elle est encore rejetée par 359 voix contre 335, mais maintenant ce n’était plus qu’une question d’heures.
90Le 30 janvier est enfin voté par 353 voix contre 352 le célèbre amendement Wallon – « Le Président de la République est élu pour sept ans » – qui avait l’immense habileté de ne codifier que ce qui existait90. Ce résultat, fruit de six mois de laborieuses tractations, avait été obtenu par le retour de la droite vers la gauche du fameux groupe Target qui, le 24 mai 1873, avait permit la chute de Thiers et l’élection de Mac-Mahon. En échange, il avait obtenu que soit inséré dans la loi un article créant toute facilité pour la Révision91 : au lieu d’être solennellement proclamée, la République serait tolérée parce que provisoire.
91Une fois réglé le mode de transmission du Pouvoir Exécutif – qui décidait de la nature du régime –, son organisation ne soulèvera guère de difficultés tant étaient proches en ce domaine les conceptions du Centre droit et du Centre gauche. Ainsi est-ce à la suite du discours du duc de Broglie qu’il fut accepté de conférer au Président de la République le droit de dissolution après « l’avis conforme » du Sénat et cette disposition fut votée dès le 2 février par 449 voix contre 244. Les 94 voix gagnées en trois jours sont très importantes, car elles sont celles des députés du Centre droit qui, à la suite de Broglie, accepteront de participer à l’installation de cette République, sorte de Régence destinée à durer le temps de l’incapacité provisoire du roi ; ils laissent sur leur droite un peu plus de 200 irréductibles de la Monarchie – appelée à s’évaporer dans les prochaines élections – tandis que la trentaine de bonapartistes représente le noyau dur des prochaines aventures92.
92Le lendemain étaient également votées, avec les mêmes proportions, les modalités de la Révision dans une rédaction qui empruntait à la fois à l’infatigable Wallon et à une disposition présentée par Dufaure : les Chambres auraient le droit, par délibérations séparées prises dans chacune à la majorité absolue des voix, soit spontanément, soit sur la demande du Président de la République, de déclarer qu’il y a lieu de réviser les lois constitutionnelles. Les deux Chambres devaient alors se réunir en Congrès, pour procéder à la révision votée à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée Nationale93. Toutefois, pendant la durée des pouvoirs du Maréchal de Mac-Mahon, cette révision ne pouvait avoir lieu que sur la proposition du Président de la République.
93Ainsi pour préserver les prérogatives du Sénat, en qui se concentraient les espoirs du Centre droit, avait été abandonnée l’idée de Dufaure de confier la modification du statut fondamental à une Constituante, spécialement élue pour la circonstance, et n’intervenant pas dans le fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Même si ce ne fut pas exactement dans l’esprit souhaité par Broglie, ce Sénat, destiné à jouer un rôle de verrou, allait réussir dans sa mission de conservation sociale avec une continuité qui devait triompher de tous les événements, et de toutes les Républiques.
94En retour, la mission dévolue au Sénat va expliquer l’âpreté des discussions sur sa composition qui faillit un moment jeter à bas tout l’édifice de concessions réciproques entre la Gauche et le Centre droit ; le 11 février est ainsi voté par 322 voix contre 310 – grâce à l’appui des bonapartistes et à l’abstention des légitimistes – un amendement rédigé par le radical Pascal Duprat en ces termes : « Le Sénat est électif ; il est nommé par les mêmes électeurs que la Chambre des députés. » Ce vote qui heurtait de plein fouet les idées du Centre droit créa l’effroi parmi les députés de ce groupe et le lendemain, le Général de Cissey, chef d’un gouvernement pourtant démissionnaire94, mais fort de l’appui du Maréchal de Mac-Mahon, fait clairement savoir que ce dernier ne saurait accepter ce vote qui dénature l’institution.
95Ainsi rappelés à l’ordre, les députés du Centre droit votent rapidement la suite des articles à seule fin de pouvoir rejeter le tout par 368 voix contre 345, ce qui déclencha aussitôt, de la part de l’extrême-gauche, représentée cette fois par Brisson, une demande de dissolution. Alors s’ensuivit un débat un peu pénible, où la hargne craintive de la Droite, affolée à l’idée de voir déferler « la démagogie », s’oppose à la certitude confiante de la Gauche tandis que le Centre cherche à minimiser l’incident. Gambetta clôturera ce débat en lançant, après avoir rappelé les concessions de son parti qui avait abandonné « les convictions de toute sa vie » pour « donner enfin à la France un gouvernement », un sévère avertissement au Centre droit, qu’il accuse d’avoir « manqué la seule occasion de faire une République ferme, loyale et modérée »95. Mais par 409 voix contre 266, la dissolution sera encore une fois repoussée. L’Assemblée était condamnée à trouver une issue à l’intérieur d’elle-même.
96Alors vont se déployer, loin du gouvernement comme du public, dans la pure tradition parlementaire, les ressources du gouvernement anonyme. On a souvent raconté96 les conciliabules de l’avenue des Champs-Elysées où entre l’hôtel du duc d’Audiffret-Pasquier, chef du Centre doit, et celui de son beau-frère Casimir-Périer, représentant le Centre gauche97, se déroulèrent dans les journées du 18 et 19 février les dernières négociations relatives à la composition du Sénat qui comptera finalement, élus par l’Assemblée Nationale d’abord, par le Sénat lui-même ensuite, 75 sénateurs inamovibles, garants de la permanence du régime.
97Grâce à la force de conviction de Gambetta, qui insiste d’une part sur le caractère provisoire de cette concession et, d’autre part, sur la nécessaire œuvre du temps, les gauches – sauf Grévy figé dans ses convictions de 1848 sur la souveraineté absolue de l’Assemblée – finiront par s’y rallier.
98Ainsi pourront être enfin votées, les 24 et 25 février 1875, par 448 voix contre 210 pour le Sénat, et 425 voix contre 254 pour le Pouvoir Exécutif, les deux grandes lois sur les Pouvoirs Publics qui, dans l’esprit de tous, devaient permettre d’attendre des jours meilleurs.
99Conçu comme un compromis entre les exigences d’un chef du Pouvoir Exécutif monarchiste mais respectueux de la légalité, et une Assemblée républicaine également respectueuse de la légalité, le Gouvernement anonyme a donc réussi cette gageure de présider – quoique démissionnaire – au vote de « l’organisation des pouvoirs publics » qui, loin d’avoir été obtenu par une conjonction des centres, comme on le dit généralement, n’aura été possible que par un renversement total de majorité puisque l’établissement de la République a été voté en 1875 par une majorité rigoureusement antithétique de celle qui avait voté, en août 1871, la « Constitution Rivet » qui faisait de Thiers le Président de la République Française98.
100Si l’importance de ce renversement de majorité a souvent été méconnue, c’est que seul le recul du temps permet de faire la différence entre le processus gouvernemental qui a fait émerger ce résultat et le vote qui finalement a légitimé ce compromis.
101En effet, le processus gouvernemental avait été celui du gouvernement anonyme, celui de la conjonction des centres qui, à la faveur d’une libre discussion entre les partenaires, avait fait émerger le compromis où s’étaient en fin de compte reconnues les parties. Mais le vote qui, légitimant le compromis, lui avait donné son existence, n’avait pas été un vote de conjonction des centres, analogue à celui obtenu par Thiers, le 29 novembre 1872 : bien au contraire, renouant avec la tradition du 4 septembre, il avait été le premier de ces votes où la IIIe République se reconnaîtra toujours, à savoir un vote qui ne « connaissait pas d’ennemis à gauche ».
102Finalement, peu importe les 94 voix du Centre droit qui, derrière Broglie, ont accepté de participer à la fondation d’une République qu’elles espéraient conservatrice ; celles qui comptent sont au contraire les 25499 qu’il n’a pu rallier et dont la masse hostile s’oppose à la discipline que Gambetta a su obtenir de ses troupes100. Ce faisant, Gambetta, dont l’instinct stratégique était très sûr, dessinait la carte de la légitimité républicaine pour plus d’un demi-siècle.
103Mais si le problème de la légitimité était résolu, celui du processus gouvernemental ne l’était pas : tout le problème constitutionnel de la IIIe République sera donc de concilier un processus gouvernemental parlementaire qui, à la recherche du compromis symbolisé par la conjonction des centres, tend à exclure les extrêmes, avec une légitimité qui, interrogée selon un scrutin majoritaire, ne peut « connaître d’ennemis à gauche ».
ÉVOLUTION DES VOTES A L’ASSEMBLÉE NATIONALE : 1871-1875

ASSEMBLÉE NATIONALE : 768 membres (décret du 29 janvier 1871)
741 membres après le départ de 27 des 30 représentants d’Alsace-Lorraine
Notes de bas de page
1 Tout en divisant les partisans de ce régime : Guizot, Buffet ou Laboulaye votent Oui. Armand Dufaure : Non. Et A. Thiers s’abstient.
2 Pour le récit détaillé des événements, voir : Ch. Seignobos, L’établissement de la IIIe République, Hachette, 1921 ; – H. Guillemin, Les origines de la Commune, Gallimard, 1957, extrêmement sévère pour Thiers, Jules Simon, Jules Favre et le général Trochu ; – J. Favre, Le Gouvernement de la Défense Nationale, 3 tomes, Plon, 1871, 1873, 1875.
3 Notons cependant que le 12 août une insurrection blanquiste avait échoué. Condamnés à mort, les chefs ne seront pas exécutés grâce à l’intervention de Jules Michelet (cf. t. IV des Correspondances, p. 487), Gallimard, 1976.
4 Le Gouvernement, bloqué plusieurs heures par les troupes de Blanqui et Flourens, ne sera délivré que de justesse par la Garde Nationale prévenue par le frère de Jules Ferry. Pour réaffirmer son autorité, le Gouvernement organisera le 4 novembre un plébiscite à l’intérieur de la ville où il obtint 557.376 voix contre 68.368. Cette démarche sera formellement condamnée par Gambetta, le 3 novembre 1870, comme contraire « à la révolution du 4 septembre, à sa force et à sa sanction » et donnant raison aux adversaires « qui nient la légalité du gouvernement de Paris et l’autorité de la " Délégation de Tours " ». Cité dans L. Gambetta, Dépêches, circulaires, décrets, proclamations et discours du 4 septembre 1870 au 6 février 1871, Paris, Charpentier, 1886, p. 110, auquel nous empruntons toutes les citations de cette époque. Sur le point précis de l’émeute du 31 octobre, voir plus bas Clemenceau et la République militante, p. 70 et ss.
5 Proclamation du 4 septembre. L. Gambetta, op. cit., p. 2.
6 Sauf Thiers qui, malgré de nombreuses démarches, se dérobe car il ne veut recevoir le pouvoir que d’une Assemblée Constituante élue après un armistice qu’il s’emploie activement à mettre en œuvre. Voir J. Favre, op. cit., et A. Thiers, Notes et souvenirs, Calmann-Lévy, 1903, p. 63 et ss. Le gouvernement est donc composé de E. Arago, Crémieux, Jules Favre, Jules Ferry, Gambetta, Garnier-Pagès, Glais-Bizoin, Eugène Pelletan, Picart, Jules Simon et même Rochefort juste sorti de prison.
7 Pour donner sa couleur patriotique au gouvernement, il sera présidé par le général Trochu, nommé Gouverneur de Paris par Napoléon III, au mois d’août. Le général Trochu avait parlé de la défense de Paris comme d’une « héroïque folie » qu’il voulait bien entreprendre. Cf. Jules Favre, op. cit., p. 49. Citation reprise par H. Guillemin qui consacre un chapitre très polémique à l’incapacité du général Trochu, obsédé par la crainte de la révolution sociale (op. cit., t. I, p. 69 et ss.).
8 Cf. circulaire adressée par Jules Favre, ministre des Affaires étrangères, aux agents de la France à l’étranger, 6 septembre 1870, in L. Gambetta, p. 9.
9 Le 15 juillet 1870, Jules Favre avait, comme Grévy, refusé de voter les crédits de guerre que, par contre, Thiers et Gambetta avaient votés. Voir H. Guillemin, Les origines de la Commune, op. cit., t. I, p. 38. Avocat célèbre par ses plaidoiries en France et en Algérie, Jules Favre était depuis 1863 le chef de l’opposition libérale au Corps Législatif.
10 Bismarck voulait des gages, en l’occurrence l’Alsace, une partie de la Lorraine et un fort au-dessus de Paris, car il disait redouter un armistice que les Français mettraient à profit pour réorganiser leur armée, ce qui était en effet dans les intentions de Gambetta.
11 In L. Gambetta, op. cit., p. 14 à 25.
12 Il était en compétition avec E. Picard, qui eut une voix de moins que lui et qui prendra sa succession après sa démission, le 6 février 1871.
13 7 octobre 1870.
14 Décret du 5 octobre 1870.
15 Sur la commune de Lyon, voir le récit de Louis Andrieux (futur préfet de police), A travers la République, Payot, 1926. Sur le séparatisme des villes, voir J. Gaillard, Communes de province, communes de Paris, p. 70, 71, Flammarion, 184 p.
16 Thiers lui aussi avait essayé mais essuyé un échec dû, selon lui, d’une part aux termes injurieux avec lesquels Gambetta avait accueilli la reddition de Metz, et, d’autre part, à la révolte parisienne qui l’avait suivie. Cf. Thiers, Notes et souvenirs, op. cit., p. 90 et ss.
17 14 et 20 octobre 1870, in L. Gambetta, op. cit., p. 78 à 105. Ainsi procédera-t-il à la dissolution de nombreux conseils généraux, ce qui sera ressenti par la population et, plus encore par les notables, comme un abus intolérable.
18 Ainsi une homme comme Buffet, orléaniste rallié à l’Empire au début de 1870, aurait-il été inéligible. Voir Notice biographique rédigée par A. de Courcel, Renouard, 1902,
19 L. Gambetta, 24 octobre 1870, op. cit., p. 97.
20 Sur la campagne électorale, voir J. Gouault, Comment la France est devenue républicaine, Armand Colin, 1954, p. 59 et suivantes, qui montre que l’assimilation totale entre républicains et partisans de la guerre est tout de même abusive.
21 Ses amis avaient été jusqu’à organiser une cérémonie surprise au théâtre de Bordeaux pour l’acclamer dictateur, tandis que des troupes faisaient mouvement de Lyon et Marseille vers Bordeaux. Prévenu, Gambetta s’éclipsera. Cf. J. Favre, op. cit., p. 35-36, t. III.
22 750 membres pour la France, 753 avec la Corse et 768 avec les représentants des colonies qui ne seront pas nommés le même jour (Gouault, p. 43).
23 Sur la « dictature » de Gambetta, voir J. Gouault, op. cit., p. 34 et ss.
24 Sur les 645 sièges pourvus le 8 février, il y a (déduction faite des députés alsaciens-lorrains qui démissionneront presque tous) 400 monarchistes (dont 214 orléanistes et 186 légitimistes), 150 républicains, 80 libéraux et 15 bonapartistes.
25 17 février 1871.
26 L’analyse de ces élections partielles constitue la trame du livre de J. Gouault déjà cité. D’après lui, sur les 174 élections partielles, il y eut 143 élus de la gauche, 17 de la droite et 14 bonapartistes (p. 116).
27 D’après les propres notes de Thiers, op. cit., p. 401.
28 Les élections se font au scrutin de liste départemental jusqu’à ce que les conservateurs imposent en 1875 le retour au scrutin d’arrondissement. Voir plus bas.
29 Par exemple : Finistère, Lot-et-Garonne, Pas-de-Calais, etc... Rappelons que l’action de Thiers avait été déterminante dans la convocation de l’Assemblée, à telle enseigne qu’un homme comme le duc de Broglie, qui devait par la suite s’opposer si violemment à Thiers, lui écrivait de Broglie le 14 octobre 1870 : « La situation de nos tristes affaires s’est beaucoup empirée depuis votre départ. Les républicains, bien intentionnés mais incapables, portent le désordre dans tous les services publics et jettent l’effroi dans les populations qu’ils veulent animer... A cette situation je ne vois qu’une issue, c’est qu’avant que la chute de Paris soit consommée, une Assemblée soit convoquée pour délibérer spécialement sur la continuation de la guerre ou la conclusion de la paix... Il n’y a que vous qui puissiez faire entendre au pays et à ceux qui nous gouvernent cette dure vérité. » In Le Courrier de M. Thiers, présenté par D. Halévy, Payot, 1921, p. 417 et 418.
30 J. Bainville, La IIIe République, Fayard, 1935, p. 61.
31 J. Gouault, op. cit.
32 Ch. Pomaret, Un vrai Chef d’État, Monsieur Thiers.
33 Dès 1829, il avait inventé la formule « Le roi règne et ne gouverne pas ».
34 Notes et Souvenirs, op. cit., p. 204 et 203.
35 Dans sa longue relation de la Révolution de juillet, Ch. De Rémusat (Mémoires de ma vie, Plon, 1926, t. IV, p. 223-225) fait litière de l’opinion traditionnelle – reprise par Thiers – selon laquelle il aurait conseillé le combat à Louis-Philippe.
36 Voir le récit de la fuite de Thiers raconté par Talabot à A. de Tocqueville (Souvenirs, Gallimard, 1964, p. 79) où l’auteur conclut en disant que, comme Odilon Barrot, Adolphe Thiers était devenu « à moitié fou ».
37 Elu en 1834, A. Dufaure avait formé autour de Guizot, Thiers, Duchâtel et Ch. de Rémusat le groupe des doctrinaires. Ministre de l’intérieur de la Seconde République, il représente parfaitement la famille des constitutionnels plus attachés au mécanisme parlementaire et libéral, qu’à la forme extérieure du régime (voir Ch. De Rémusat, Mémoires de ma vie, t. V, p. 322).
38 Rémusat, op. cit., p. 323.
39 A. De Tocqueville, Souvenirs, Gallimard, 1964, p. 190 et ss., tout en précisant que sa préférence allait vers un chef d’État élu par l’Assemblée plutôt que par le peuple.
40 Cité par Esmein, op. cit., t. II, p. 15.
41 Il est stipulé « en attendant qu’il soit statué sur les constitutions de la France ».
42 Jules Favre reste aux Affaires étrangères, Jules Simon à l’instruction publique, le général Le Flô à la Guerre, et Picard revient à l’intérieur.
43 Le premier est garde des Sceaux ; le second, ministre des Finances, sera vite remplacé par Pouyer-Quertier.
44 Ils consacraient le démantèlement du territoire national et le paiement d’une indemnité de guerre de 5 milliards à l’Allemagne.
45 Le 18 mai, le vote de la ratification du traité de Francfort est acquis : aussitôt démissionnent les trente députés d’Alsace-Lorraine, dont Gambetta, élu volontaire du Bas-Rhin. Deux jours plus tard commence, sous les yeux de Bismarck, le second siège de Paris qui se terminera le 25 mai. C’est alors que deux représentants de Moselle prétextant du danger que courrait la République, revinrent sur leur démission. Plus tard, Scheurer-Kestner devait regretter cette démission quasi-générale « inspirée par les sentiments les plus élevés » mais qui priva l’Assemblée de trente républicains dont la présence aurait empêché le renversement de majorité du 24 mai 1873 (Scheurer-Kestner, Les représentants d’Alsace et de la Lorraine à l’Assemblée Nationale de Bordeaux, Paris, Berger-Levrault, s.d.). Sur l’attitude des deux républicains de Moselle (qui votèrent l’amendement Wallon en janvier 1875) voir les remarques de F. goguel, in Le Centenaire de la IIIe République, J.-P. Delarge, 1975, p. 115.
46 Tout au long des mois d’avril et de mai, les républicains de province, les maires des grandes villes, hésitant entre la fidélité au gouvernement et la solidarité avec les insurgés, avaient envoyé des missions auprès de Thiers pour s’informer de ses intentions quant à l’avenir de la France. Thiers leur donna suffisamment d’assurances pour être, de la part de la majorité royaliste, l’objet d’une violente interpellation. Voir Ch. Pomaret, op. cit., et D. Halévy, La fin des notables, Grasset, 1930, t. I, p. 33.
47 A la faveur desquelles Gambetta reviendra comme élu de la Seine.
48 Ainsi Thiers imposera-t-il, « pour protéger l’indivisibilité nationale », la conservation de l’administration napoléonienne et la nomination des maires des grandes villes ; de même rétablira-t-il les droits de douane sur les matières premières pour « briser l’aristocratie manufacturière » et refusera-t-il le service militaire universel. A. Thiers, op. cit., p. 303 et 321.
49 La théorie de « collaboration entre les pouvoirs » sera reprise par les conservateurs quand le Chef du Pouvoir Exécutif, devenu des leurs, voudra imposer ses vues à une assemblée républicaine, c’est-à-dire de 1875 à 1879. Rappelons que, historiquement, il s’agit là du vrai régime parlementaire, tel que le concevaient Jules Ferry au moment de la crise du 16 mai, ou Gambetta lors de son court passage au pouvoir en 1882. Voir plus bas, IIe chapitre, ou Jacques Chastenet, Histoire de la IIIe République, t. I : L’enfance de la IIIe République, p. 231.
50 Ancien représentant à la Constituante de 1848, conseiller d’Etat en 1848, Rivet s’était retiré de la vie publique après le coup d’État.
51 Thiers doit prévenir le président de l’Assemblée de son désir de prendre la parole, ce qui en fait se limitera à l’envoi d’un billet aussitôt porté par un huissier.
52 Le premier fut le Garde des Sceaux, A. Dufaure, nommé le 2 septembre par décret.
53 Cité par Ad. Esmein, op. cit., t. II, p. 310.
54 Le 9 octobre 1871, sur 2.860 conseillers généraux élus, le tiers est républicain, le tiers conservateur et le tiers monarchiste. Le 23 octobre, lors de leur première session, les conseils généraux élisent leurs présidents : 56 sont conservateurs et 18 républicains modérés, les autres étant sans couleur politique précise.
55 Discours parlementaires de A. Thiers, Calman-Lévy, 1882, t. Xiii, p. 576.
56 Id., p. 627.
57 T. XV, p. 33.
58 Pour obtenir une majorité soutenant la politique du Message, Thiers devra se lancer à corps perdu dans la bataille parlementaire, simuler une grande colère et accepter la création d’une Commission constitutionnelle chargée d’organiser « la responsabilité ministérielle » et qui sera formée en majorité par les députés du Centre droit hostiles à la République : c’est à ce prix qu’il obtiendra une majorité formée par la réunion des deux centres laissant de côté 117 légitimistes et 235 républicains (voir croquis en fin de chapitre).
59 Dans ses souvenirs, Ch. de Freycinet rappellera que Gambetta avait recommandé à chaque collaborateur de se considérer, non comme un journaliste, mais comme un futur membre du gouvernement (ce que tous, sauf Ranc, devinrent en effet). Cité par Cl. Bellanger et alias, Histoire générale de la Presse, t. III, 1870-1914, p. 222.
60 République Française, 10 janvier 1872.
61 République Française, 13 janvier 1873.
62 République Française, 10 décembre 1872.
63 République Française, 27 février 1873.
64 Composée de quinze, puis de trente membres, la Commission constitutionnelle, en majorité monarchiste, deviendra célèbre par la lenteur de ses travaux. On l’appelait même le « Concile des Trente », voir lettre de Thiers à son Président M. de Larcy, en décembre 1872. In Thiers au pouvoir (1871-1873). Texte de ses lettres annoté par G. Bouniols, Delagrave, 1921, p. 280-281.
65 Voir Ch. De Rémusat, Mémoires de ma vie, t. III, p. 34 et 35.
66 La loi chinoise avait été préparée par la Commission des Trente, constituée au lendemain du Message de novembre 1872 (voir Bouniols, Thiers au pouvoir, op. cit., p. 280).
67 Soutien de J. Grévy et bientôt de J. Ferry, justement revenu de son ambassade à Athènes (voir lettres de J. Ferry, p. 195). Nul doute qu’il ne faille voir là l’origine de l’opposition sourde qui opposera Gambetta et J. Ferry dans les années 1876-1881 (voir plus bas).
68 Sur l’élection de Barodet, voir Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, janv.– mars 1981.
69 J.O. du 19 mai 1973, p. 3208 et ss.
70 Ceci est la raison pour laquelle le projet de Thiers, loin de trancher le problème capital, à savoir comment partager la responsabilité politique entre le président et ses ministres, se présente comme une grande loi électorale réglementant longuement les conditions d’éligibilité au Sénat et les conditions pour être électeur du Président. Tenant compte des expériences du passé, elle est un effort républicain pour faire cohabiter suffrage universel et Pouvoir d’État.
71 Le 20, le duc de Broglie avait déposé une interpellation par le nouveau président de l’Assemblée, Buffet, sur la nécessité de faire prévaloir une politique « résolument conservatrice ». Le 23, cette dernière est discutée devant un président blême qui ne pourra répondre que le lendemain matin. Et ce n’est que le 24, dans l’après-midi, que la défiance est votée. Entre-temps, les radicaux avaient remporté de nouveaux succès, en Corrèze, dans le Loir-et-Cher et à Lyon.
72 Target précisera dans son explication de vote que son groupe est décidé à s’associer « à la solution républicaine du Gouvernement ». Les quinze députés sont : Target, Cottin, Prétavoine, Balsan, Mathieu Bodet, Lefebure, Caillaux, E. Talion, Louis Passy, E. Delacour, L. Vingtain, Desseilligny, Dufournel, Doguillion et E. Martell (d’après Emile de Marcère, L’Assemblée Nationale de 1871, 2 vol., Plon, 1904-1907, p. 323). Target était lui-même le beau-frère de Buffet, président de l’Assemblée.
73 Minoritaire à l’Assemblée, le parti républicain, qui se sait et se sent majoritaire dans le pays, va mettre à profit ce revers pour reconstituer l’unité qui lui avait fait défaut en février 1871 et opérer la réconciliation entre Thiers et Gambetta, conditions indispensables pour affronter avec succès de nouvelles élections générales.
74 Horace De Choiseul, J. O., 25 mai, p. 3220. De la même façon, Wilson, qui n’est pas encore le gendre de Grévy mais déjà son ami, demande une suspension de séance qui, n’étant pas appuyée, lui sera refusée.
75 La République Française, 26 mai, 29 mai, 4 juillet 1873.
76 Publiée le 30 octobre dans L’Union, journal des légitimistes. Voir aussi René de La Croix, duc de Castries, Le Testament de la Monarchie, t. V, Le grand refus du comte de Chambord, 1970, où l’auteur fait le rapprochement entre l’inhibition politique du prince et l’inhibition sexuelle d’un homme dont la jeunesse avait été écartelée entre les influences féminines de sa mère et de sa tante, et les influences cléricales de ses différents précepteurs, p. 33 et ss.
77 En février 1872, E. Rouher, l’ancien vice-empereur, élu en Corse, a reconstitué à l’Assemblée un groupe de l’Appel au peuple.
78 Journal de Paris, 28 août 1873.
79 Les républicains détestent le plébiscite car il fut l’instrument utilisé par Louis-Napoléon pour faire entériner son coup d’État. Mais il n’est pas inutile de rappeler cependant qu’au mois d’octobre 1870 il fut utilisé par le gouvernement de la Défense nationale pour se défendre contre les extrémistes parisiens ou qu’au mois de septembre 1873 un républicain aussi modéré que P. Cambon, ancien secrétaire de Jules Ferry, pensait qu’il pourrait être un moyen de lutter contre la politique de Broglie qui voulait « bonapartiser le pays par les fonctionnaires et les procédés administratifs ». Cf. P. Cambon, Correspondance, t. I, p. 43. De même, en décembre 1872, Jules Ferry écrivait-il : « Ma plume hésite à ce mot détesté, mais je ne vois entre M. Thiers et la Chambre, si elle s’obstine, rien autre chose que le pays, et je ne puis être en morale ni en droit scandalisé d’un pouvoir exécutif posant, dans une telle crise, cette question au pays : « Le Président de la République est-il oui ou non autorisé à dissoudre l’Assemblée Nationale ? », in J. Ferry, Lettres, Calmann-Lévy, 1914, p. 177.
80 Ch. de Rémusat, op. cit., t. Iii, p. 34-35.
81 Jean de Broglie, Essai sur le duc de Broglie et sa politique en Vannée 1873 (Thèse de l’École Libre des Sciences politiques, Paris, 1943).
82 Lettre à Thiers du 16 mai 1871 (in Le Courrier de M. Thiers, par D. Halévy, Payot, 1921, p. 430).
83 Ainsi de la loi du 15 janvier 1874 où, à la demande du gouvernement, l’Assemblée accepte de se déjuger elle-même, en accordant au ministère de l’intérieur le droit de nommer les maires, non seulement dans les villes de plus de 20.000 habitants comme l’avait exigé Thiers, mais dans toutes les communes.
84 Selon les termes de La République Française.
85 Le 24 mai 1874, dans une allocution aux délégués de Gironde. Cité par L’Année politique, 1874, p. 213.
86 C’est le 1er juin 1874, à Auxerre, que Gambetta se rallie, après avoir fait une violente critique du bonapartisme qui avait organisé « la contrefaçon du suffrage universel », à l’alternative République – Dissolution qu’il maintiendra jusqu’au vote final des lois constitutionnelles. Voir Gambetta, Discours et plaidoyers, t. IV, Charpentier, 1881.
87 Le 9 juin, l’Assemblée Nationale sera le lieu d’une violente altercation opposant les « hommes du 2 décembre » à « ceux du 4 septembre », et le lendemain Gambetta sera même agressé à la gare Saint-Lazare par le marquis de Sainte-Croix qui le frappera de quelques coups de canne.
88 Le 30 juillet, l’Assemblée avait décidé de se proroger jusqu’au 30 novembre.
89 Membre du parti libéral rallié à la République conservatrice de M. Thiers.
90 Sur le vote de l’amendement Wallon, voir l’article de F. Goguel (Le Monde, 30 janvier 1975), « Il y a cent ans, l’amendement Wallon », où il rappelle que le célèbre amendement ne fut voté que grâce à la présence de Bamberger et Deschange, deux représentants de Moselle qui n’avaient pas démissionné en 1871.
91 Cité par L’Année Politique, 1875, p. 375 et suivantes.
92 Sur les trois droites de la France, voir R. Rémond, La Droite en France, Armand Colin, 2e édition, 1966, p. 131 et 147.
93 Contrairement à la tradition républicaine – française ou américaine – la révision est donc acquise sans règle de majorité spéciale.
94 Le gouvernement de Cissey est démissionnaire depuis le 6 janvier 1875, jour où fut repoussée par une conjonction de républicains, de légitimistes et de bonapartistes, la priorité au projet de la seconde Chambre (qui avait les faveurs du duc de Broglie) sur celui réglant la transmission des Pouvoirs publics (qui décidait du nom de régime). Une fois voté l’amendement Wallon réglant justement le problème de la transmission, cette notion sera abandonnée dans l’intitulé définitif qui traitera de la seule « organisation » des Pouvoirs publics.
95 Séance du 12 février 1875, citée dans L’Année Politique, 1875, p. 393 et suivantes.
96 Voir D. Halévy, La République des ducs, Edition de Poche, 1972, p. 153 : Les deux beaux-frères.
97 A. Casimir-Périer était le fils du ministre de Louis-Philippe (mort du choléra en 1833) et le père du futur président de la République. Rallié à la République depuis septembre 1872, il fut ministre de Thiers en 1871 et de nouveau en mai 1873.
98 Voir le schéma des principaux votes parlementaires de 1871 à 1875.
99 Formées d’une conglomérat de légitimistes et d’impérialistes dont les motivations sont très différentes : tandis que les premiers se figent dans leur fidélité, les seconds sont hostiles au gouvernement parlementaire, terrain sur lequel ils seront souvent appelés à rencontrer les radicaux dans l’avenir.
100 Les quinze représentants qu’il ne put rallier se cantonneront dans une abstention muette.
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