La fin d’un patronage politique : autour du dernier voyage de Clemenceau dans le Var (1er – 3 janvier 1920)
p. 131-152
Texte intégral
1Etudier les rapports entre un homme politique comme Clemenceau et ses électeurs est une entreprise indispensable. Son élection dans le Var en 1885, son échec huit ans plus tard, son retour au Parlement comme sénateur du département en 1902 l’ont conduit à exercer un véritable patronage politique1. Tout passe par lui depuis longtemps ; il agit rarement directement ; l’administration préfectorale qu’il contribue à désigner et les élus locaux assurent le relais. Le contact direct avec l’électeur est rare mais toujours spectaculaire. Sa présence est aussi souvent la cause des grandes évolutions des cadres politiques locaux. Dans la gauche varoise, on se détermine toujours par rapport à Clemenceau et aux clemencistes. On le vit notamment après 1907.
2A la fin de la guerre, le patronage prend un autre caractère, devient populaire et tend à la recherche de l’unanimité. Il n’en perd pas pour autant son caractère politique comme le révèle son dernier voyage2.
3Après la ratification par le Parlement du traité de Versailles, au début d’octobre 1919, Clemenceau a effectué quatre déplacements d’ordre différent. A la fin de novembre, la Vendée l’accueille pour quelques jours de vacances ; la presse nationale accorde peu de place à l’événement de caractère privé. Il n’en va pas de même pour les voyages du Président du Conseil en Alsace et à Londres. Le séjour dans le Var, au début de 1920, semble avoir une dimension purement locale. La presse nationale en parle peu. Pourtant, dix-sept photographies illustrent la première page de L’Excelsior, le 5 janvier 1920. Toutefois, des interprétations différentes ne manquent pas d’être données par la nouvelle assemblée. Selon Georges Wormser, trois grandes explications apparaissent : la recherche de l’appel au peuple, le désir d’imposer René Renoult ou bien le mépris de l’institution parlementaire3. Nous n’aborderons pas ici ces questions. Nous ne retiendrons de ce voyage que ce qu’il nous apprend sur Clemenceau et sur son rôle dans la vie politique varoise.
CLEMENCEAU ET L’ÉVOLUTION RÉCENTE DE LA VIE POLITIQUE DANS LE DÉPARTEMENT
4Après une période d’interventions directes, la stratégie de Clemenceau s’est, à la veille de la guerre, modifiée. Ces changements – qui ne signifient pas absence d’intérêt – ont correspondu à la victoire d’un socialisme – bien divers – et à l’élection de quatre socialistes pour cinq sièges de députés en 1914. Trois d’entre eux, Vigne, Renaudel et Fourment, sur certains aspects de la politique de Clemenceau, ont émis des votes différents de la majorité du groupe parlementaire socialiste à partir de 1917. Si Vigne, président du Conseil général, s’est montré plus proche du président du Conseil, les deux autres ont eu une attitude plus ambiguë. Anticlemenciste à Paris, clemenciste dans le Var, affirment leurs adversaires locaux dans des raccourcis polémiques !.
5Quand sont connues les dates des diverses consultations électorales, la décision de Clemenceau de ne briguer aucun mandat électif4 et l’intérêt qu’il prendra aux diverses campagnes électorales, tout s’accélère. Les forces « républicaines » et « radicales », jusqu’ alors sans vie apparente, se manifestent. Le premier appel à la formation d’une liste « clemenciste » est lancé par le journal de Draguignan, Le Var, qui, le 14 septembre 1919, réclame une « liste du Père La Victoire contre l’anarchie représentée par les diverses factions de la SFIO ».
DES ELECTIONS FAVORABLES
6Les socialistes, le 19 octobre, dans leur congrès fédéral, fixent les grandes lignes de leur programme électoral. Bien qu’ils soient réticents par rapport à la tactique nationale des listes homogènes, les candidats sont désignés après le refus de Vigne de se représenter5. La participation de certains socialistes à la campagne pour l’amnistie « pleine et entière » – et notamment le discours du conseiller général de Toulon, Claude, le 26 octobre – permet un des thèmes principaux de la campagne antisocialiste : « Faut-il amnistier les déserteurs ? » demandent la presse et les militants non gagnés au socialisme. Renaudel et Fourment ne se prononcent pas, mais l’amalgame se fait...
7Le congrès du Bloc Républicain définit les thèmes de la bataille électorale qui se résument à l’antisocialisme et l’antibolchevisme et aux « principes de liberté, d’égalité et de fraternité de la Révolution française [...] ».
8D’autre part, et c’est là qu’intervient directement Clemenceau, son discours de Strasbourg, le 5 novembre, est retranscrit entièrement dans la presse locale. Son analyse sert désormais de programme pour un ralliement. Le Manifeste électoral du Bloc Républicain Varois, publié peu après, sans citer le président du Conseil, reprend brièvement les thèmes développés et insiste – comme Clemenceau – sur la nécessité de lutter contre le collectivisme. Les références au rassemblement national sous l’égide de Painlevé, d’Herriot et d’Adolphe Carnot ne sont rien à côté de la constante inspiration clemenciste. On n’évoque pas Clemenceau mais, les socialistes sont constamment désignés comme les adversaires de la politique qu’il préconise.
9Rien d’original dans la situation varoise si ce n’est la dépendance totale des vainqueurs par rapport à une politique6.
10Aux élections municipales suivantes, le jeu des alliances locales limite le recul socialiste. La SFIO conquiert même grâce aux divisions de la droite, les municipalités de Toulon et de La Seyne, mais perd celle de Draguignan. Ailleurs, souvent, les candidatures des anciens combattants – les listes « poilutariennes » – permettent un renouvellement important du personnel politique local. Leur orientation générale se résume dans la conclusion de leur affiche régionale :
« Pour le Bloc Républicain varois des patriotes. Jaurès et Clemenceau sans les unifiés »7.
11Pour le Conseil général et les Conseils d’arrondissements, les changements sont moins amples. La situation au Conseil général est même équilibrée : le Bloc varois et le Bloc des gauches ont chacun quinze élus.
DES ÉLECTIONS SÉNATORIALES INCERTAINES
12Deux questions alors se posent :
quelle sera l’orientation du collège des électeurs sénatoriaux ?
quel sera le successeur de Clemenceau ? Un Varois ou une personnalité extérieure au département, phénomène habituel pour le Var ?
13On ignore tout dans le Var des analyses de Clemenceau et de son entourage. Selon Georges Wormser, Clemenceau, après avoir annoncé qu’il ne se représenterait pas, aurait finalement accepté l’idée d’être élu sans avoir à faire acte de candidature. Puis il pensa favoriser la candidature de son ami René Renoult. Il estime alors qu’une lettre d’adieu à ses électeurs aurait suffi. Devant les inquiétudes du Préfet du Var, il accepte finalement de venir dans la région8. Dans les premiers jours de janvier seulement, Renoult confirme que Clemenceau l’a personnellement encouragé à se présenter9.
14La presse annonce la visite de Clemenceau la veille du premier tour des élections cantonales. Dans le même temps, elle envisage sérieusement son accession à la Présidence de la République.
15Dans le contexte de la préparation des élections sénatoriales et de l’élection présidentielle, Clemenceau effectue, selon ses propres termes, « une visite de reconnaissance ».
16En dépit de son éloignement – il n’est pas venu dans le Var depuis 1913 – Clemenceau domine toujours la vie politique varoise. La guerre a renforcé le profond courant affectif qui l’attache aux Varois. Elle a même contribué à atténuer certaines oppositions anciennes ; seuls les milieux socialistes et syndicalistes refusent sa domination. Mais son influence s’étend sur la plupart des élus socialistes. Son « poids électoral »10, mais aussi d’autres raisons, ont dû inciter Fourment11, alors député-maire de Draguignan socialiste, à proposer, après la victoire, de donner le nom de Clemenceau à la principale artère de la ville ! Ce qui ne l’a pas empêché d’être battu aux élections législatives ; la majorité des conseillers sortants de Draguignan – il ne se représentait pas personnellement – sont aussi battus aux élections municipales ! Les initiatives de Vigne, président socialiste du Conseil général, sont à la fois dues à la poussée du milieu, à la sympathie ancienne qui lie les deux hommes12 et à des préoccupations électorales certaines.
17La victoire des partisans déclarés de Clemenceau est assurée. Mais tout dépendra des candidats. De la liste sortante, élue en janvier 1909, qui comprenait outre Clemenceau, le radical-socialiste Martin et l’ancien socialiste Reymonenq, il ne reste plus en piste que le second. Reymonenq vient d’être élu député. Clemenceau a donné son accord, et dans la biographie qu’il diffuse au moment de la campagne électorale, Reymonenq a rappelé ses liens avec le Président du Conseil13.
18Clemenceau souhaite la poursuite du climat d’union qui régnait pendant la guerre. Il lui faut conserver son emprise sur une partie des socialistes et isoler les plus extrémistes. Il « serait favorable, dans une pensée d’apaisement, à une politique d’union entre toutes les fractions du parti républicain » commente la presse.
19Le Var est le terrain par excellence pour cette stratégie politique. Une première victoire est remportée par la candidature possible de Vigne. Mais la lancinante question revient : qui remplacera Clemenceau ?14.
20Le 28 décembre, la candidature de Vigne et de Martin est officiellement annoncée15. Quel sera le troisième candidat ?
– Ou bien un homme politique d’ampleur nationale ; et le seul nom avancé est celui de Renoult ;
– ou bien un élu local du Bloc varois, tels que le maire d’Hyères, le maire de Draguignan, les conseillers généraux et maires des Arcs, de Cuers, le conseiller général d’Ollioules ou une personnalité radical-socialiste ou même socialiste, telle que le maire-conseiller général de La Garde.
21La presse varoise semble réticente par rapport à une candidature Renoult16 et commente diversement celle de Vigne. Les socialistes condamnent sa « trahison »17 ; les milieux conservateurs se montrent partagés.
22Le 29 décembre. Vigne et Martin précisent leur tactique. Ils représentent les arrondissements de Brignoles et de Toulon. Pour le siège de Draguignan, siège de Clemenceau, plusieurs possibilités demeurent :
– Clemenceau impose son candidat ; Martin n’exclut pas cette éventualité18 ;
– le déjeuner prévu à Draguignan à l’invitation du Conseil général, sur proposition de son président, Vigne, servira « à délier les langues et à soulever quelques voiles »19 ;
– les délégués sénatoriaux – toutes opinions confondues – choisiront à Draguignan le successeur de Clemenceau à la candidature au Sénat (cette procédure préconisée par Clemenceau20 a la préférence de Vigne et de Martin) ;
– enfin, Clemenceau pourrait décider de se présenter.
23Cette dernière éventualité n’est vraiment exclue que lorsque la presse précise un des buts du voyage : « venir en personne confirmer aux électeurs du Var, sa résolution connue de ne pas solliciter le renouvellement de son mandat de sénateur »21.
24Renoult, dès son arrivée dans le Var, le 30 décembre, avait déclaré « qu’il ne serait candidat que s’il était désigné par le congrès, voulant ainsi se conformer à la tradition républicaine ». Aussi, la procédure est-elle mise en place ; le congrès de tous les délégués sénatoriaux de l’arrondissement de Draguignan est convoqué le dimanche 4 janvier, immédiatement après le retour à Paris de Clemenceau22.
25Le voyage de Clemenceau du 1er au 3 janvier s’inscrit donc dans cette chronologie courte, en pleine campagne électorale sans que les candidatures définitives soient connues. Il va ainsi, qu’il le veuille ou non, peser de toute sa personne dans les décisions ; il va lui falloir convaincre les réticents, comprendre les candidats possibles, bref créer une unanimité parmi ceux qui se réclament de lui, les anciens et les nouveaux, les adversaires de la veille, les soutiens de toujours.
CLEMENCEAU DANS LE VAR
26Jeudi 1er janvier, 8 h 35, le train spécial arrive en gare de Toulon ; samedi 3 janvier, 19 h, il quitte la même gare. Un timide soleil, puis un temps froid succèdent à la pluie du premier jour.
L’ITINÉRAIRE23
27Clemenceau passe les nuits dans le wagon présidentiel à Draguignan, puis à Brignoles. Le reste du voyage est effectué en automobile.
28Dans trente-quatre communes, Clemenceau met pied à terre, serre des mains, écoute des discours, répond, parfois signe les registres de délibération dans les mairies. Souvent, il n’hésite pas à fendre la foule comme à Draguignan. A Saint-Raphaël, il va parler avec des pêcheurs et se recueillir sur la tombe de Galliéni. A La Garde-Freinet, il pénètre dans le Cercle des Travailleurs dont il est président d’honneur. A Hyères, la traversée de la ville se fait en landaus.
29L’après-midi du 1er janvier est consacré, alors que le programme ne le prévoyait pas, à visiter Lorgues, Aups, Villecroze et Salernes, ses anciens fiefs électoraux.
30Le voyage préparé par la Préfecture évite l’agglomération ouvrière de La Seyne, le Nord et l’Ouest du département24. L’arrondissement de Draguignan, son arrondissement, est particulièrement privilégié25. On peut y voir une attention plus grande réservée à ses plus chers amis comme il le répète souvent. Une autre raison apparaît clairement : les grands électeurs de l’arrondissement vont choisir trois jours plus tard le candidat à sa succession. C’est à Saint-Raphaël, semble-t-il, qu’il fait publiquement la seule allusion à René Renoult26.
31Des raisons politiques sont à l’origine de certains choix. L’arrêt du train en gare des Arcs s’explique par la possible candidature au Sénat du maire-conseiller général. A Flassans, le député Gavoty le reçoit dans les locaux de la coopérative vinicole qu’il préside27. A Hyères, le maire est aussi un éventuel candidat au Sénat. C’est le seul élu local à qui Clemenceau donne l’accolade28. Dans ces deux derniers cas, les élus appartiennent à la fraction modérée des Républicains.
32Des municipalités de tendances socialistes accueillent officiellement Clemenceau : Le Muy, Le Luc et Brignoles29. D’autres ont obtenu que le cortège fasse un détour, La Motte, Saint-Tropez où des « démarches pressantes » ont été faites auprès du Préfet30.
33Dans plusieurs cas enfin, la réception ne se déroule pas à la mairie mais dans un autre local : cercle à La Garde-Freinet, coopérative à Flassans, sous-préfecture à Brignoles, hôtel et accueil par le Comité d’Union républicaine et socialiste à Hyères et, surtout, le plus grand hôtel toulonnais, propriété d’un conseiller municipal minoritaire.
34Le voyage a été préparé par les services préfectoraux en accord avec les élus locaux le plus souvent favorables à Clemenceau. Le Président du Conseil ne semble pas avoir imposé d’autres choix (sauf peut-être pour l’après-midi du 1er janvier) ; il a au contraire accepté certaines servitudes.
L’ACCUEIL POPULAIRE
35La Préfecture annonce qu’en raison du caractère privé du voyage, aucun honneur militaire ne sera rendu au Président du Conseil. Seuls, à Saint-Raphaël, les hydravions de la base aérienne évoluent dans le ciel pendant la visite.
36Une question préalable se pose. Quel est le véritable but du voyage ? Venir faire « ses adieux à ses amis politiques du Var » affirme Le Petit Marseillais ; d’autres journaux, au contraire, ne retiennent que la visite à tous les Varois. Ces deux raisons en fait se complètent.
37En marge de ces aspects officiels ou partisans, la population s’est rendue massivement sur le passage du cortège. « Le voyage triomphal » tel est le constat de toute la presse.
38Des municipalités – Draguignan, Hyères, Le Pradet – ont invité la population à pavoiser et à réserver le meilleur accueil au sénateur du Var31. Les élus minoritaires de Toulon font de même32. Souvent, des associations, des groupes de commerçants, comme à Hyères ou à Toulon, lancent des appels analogues.
39A Hyères, les bureaux de l’Hôtel de Ville sont fermés ; au Pradet, les enfants des écoles et leurs maîtres entourent les élus. Dans quatre villes33, l’harmonie est présente. Après La Marseillaise, parfois Le Père La Victoire est repris en chœur par la foule. Souvent, à côté des drapeaux, des fleurs ornent les façades des maisons.
40Le service d’ordre n’apparaît vraiment qu’à Toulon34. Ailleurs y eut-il vraiment organisation d’un service d’ordre35 ?
41La foule se presse dans les gares, le long de la voie ferrée, sur le bord des routes ou sur les places des villages. Elle est dense à Draguignan36, à Saint-Raphaël, à Sainte-Maxime37, à Hyères, à Carqueiranne et surtout à Toulon38. Des arcs de triomphe ont été édifiés à Draguignan et à Puget39.
42Presque partout, gerbes et bouquets sont remis, le plus souvent par des enfants des écoles. A Grimaud, ce sont des Anglaises en villégiature qui offrent des fleurs. A Hyères, sur le passage du cortège, « les bouquets se croisent dans l’air et emplissent la voiture présidentielle » comme lors d’une « bataille de fleurs »40. A Cogolin, les « poilus » lui offrent une pipe en racine de bruyère fabriquée selon les meilleures traditions du village. A Toulon, on lui remet une photographie allégorique où il donne à la France, l’Alsace et la Lorraine, symbolisée par deux jeunes filles. A Solliès-Pont, enfin, il dévoile dans la salle du conseil municipal une plaque de marbre41.
43Cette foule, cette « population entière » comme à Flassans, ne sont pas exagération de journalistes. Bien des souvenirs demeurent ancrés dans la mémoire des Varois. Bien des communes ont conservé des traces de ce passage, ne serait-ce que sur les registres officiels. Toutes, comme Cogolin, ont fait leur « toilette de fête ». Partout, se mêlent jeunes et vieux, anciens combattants, blessés, aveugles de guerre, etc. Partout, Clemenceau serre des mains s’attachant particulièrement aux victimes de la guerre. Les mots d’admiration, d’encouragements ne manquent pas. Nous pouvons parler d’un phénomène proche de l’unanimité. La presse signale rarement la présence de simples « curieux » ; elle brosse l’élan affectueux tout en soulignant certaines absences, soit pour les blâmer, soit avec le désir de les comprendre.
LES ACCOMPAGNATEURS
44Avec les officiers de son cabinet, le seul membre du gouvernement à l’accompagner est Edouard Ignace, député de Paris, sous-secrétaire d’État à la Justice militaire. Le choix de ce collaborateur n’est pas le fait du hasard. Lorrain d’origine, il symbolise les territoires retrouvés ; spécialisé depuis 1917, dans la lutte contre le défaitisme, il vient dans le Var où se sont déroulés les premiers procès des mutins de la Marine et quelques mois auparavant, des troubles inquiétants42. Il reste à Toulon et rejoint le cortège, le 3 janvier à Hyères.
45Le préfet Bazin est omniprésent. En poste depuis 1918, il reçoit une autre affectation le 15 janvier 1920. Les deux sous-préfets respectivement en poste depuis novembre 1914 et janvier 1916 sont aussi mutés à la même époque. Ce sont bien des hommes de l’administration Clemenceau. Le sous-préfet de Brignoles43 est qualifié par Clemenceau d’ « ami de longue date » alors que celui de Toulon compose un poème en son honneur. La visite de Clemenceau est donc pour ces représentants de l’autorité la dernière manifestation publique avant leur promotion.
46Les députés encadrent Clemenceau. Trois d’entre eux ont voyagé avec lui depuis Paris ; les deux autres le rejoignent à Toulon. Mais, la plupart du temps, ils ne participent pas au voyage dans les communes. L’ancien colistier de Clemenceau, devenu député, Reymonenq est un ami ; Abel vient de recevoir, en juillet 1919, le poste de gouverneur général de l’Algérie ; les trois autres élus ont à faire leurs « preuves » auprès du « patron du Var ». Aiguier, avocat à Paris, candidat contre Renaudel en 1914, a été nommé pendant la guerre par Clemenceau rapporteur au Conseil de guerre ; Denise, beau-frère de Camille Pelletan, président de la Fédération radicale avant la guerre, engagé volontaire en 1914, a été blessé au front ; Gavoty, influent dans les milieux agricoles, plus à droite, le reçoit dans sa coopérative de Flassans.
47Le seul sénateur à se représenter, son ami Louis Martin44 est plus discret. Il est présent seulement à Draguignan et à Toulon. De la même façon, le président du Conseil général, Vigne, candidat au Sénat, ne participe qu’à une partie du voyage.
48Avec une quinzaine de journalistes dont trois parisiens45, le noyau stable du voyage se réduit à quelques unités. Il est renouvelé selon les étapes par quelques conseillers généraux et maires des grandes villes.
49Le caractère privé de cette visite a permis naturellement un encadrement beaucoup plus souple du voyageur. Ne faut-il pas aussi y voir la volonté de Clemenceau d’éviter toute interprétation politique du voyage ? Il voudrait rendre visite à tous ses amis dans un climat d’« union sacrée » comme il le dit souvent. Pour cela, en raison des clivages politiques qui se sont manifestés lors des récentes élections, il a voulu que le contact personnel puisse être rétabli avec les élus locaux et les populations.
50Il désire, de la même façon, donner l’impression de ne pas imposer le successeur qu’il souhaite pour le Sénat, Renoult, dont la candidature doit être proposée au congrès des délégués sénatoriaux convoqué, sur son inspiration, le 4 janvier. Renoult n’apparaît qu’en deux occasions à Saint-Raphaël et à Toulon. Habile tactique ou réelle volonté d’engager à mots couverts le dialogue avec les grands électeurs susceptibles d’être favorables ou défavorables selon les cas à son projet ? Ces deux raisons expliquent la présence aux seuls repas des hommes politiques les plus marqués du département, à l’exclusion du repas offert le 2 janvier, par les maires du Golfe de Saint-Tropez.
QUI L’ACCUEILLE ?
51Les conseillers généraux offrent un déjeuner en son honneur à l’hôtel Bertin, lieu traditionnel à Draguignan des banquets politiques. Ils le retrouvent aux diverses étapes du voyage dans le canton qu’ils représentent.
52Dans le nouveau Conseil général, qui ne s’est pas réuni depuis l’élection, la situation est indécise46 politiquement : Bloc des gauches et Bloc varois ont le même nombre d’élus47. La visite de Clemenceau provoque une cassure dans le Bloc des gauches. Neuf socialistes SFIO et deux autres élus se réclamant du socialisme sont absents48. Quatre en revanche sont présents49 dont le président, l’ancien député SFIO, Vigne. Les deux autres élus présents, adhérents de la SFIO avant la guerre, qui réadhèreront plus tard, sont le conseiller général de Salernes – haut-lieu du clemencisme – et celui de La Roquebrussanne que des liens personnels attachent à l’ancien sénateur, ami de Clemenceau, devenu député, Reymonenq.
53Aucune explication publique n’a été donnée50. C’est l’ultime conséquence des luttes anciennes, des évolutions pendant la guerre et de la situation actuelle. L’archétype est Vigne. Conseiller général depuis 1895, ancien radical-socialiste, son élection comme député socialiste en 1902 avait déjà reçu l’appui de Clemenceau. Membre de la SFIO, animateur du mouvement coopératif, son accession à la présidence du Conseil général en 1913 en fait un des « hommes forts » de la vie politique varoise. Pendant la guerre, sa collaboration loyale avec l’administration préfectorale l’a amené à résister de plus en plus au courant minoritaire de son parti. Il a voté la confiance au gouvernement Ribot en juin 1917 et surtout a signé au printemps de 1918 la lettre de félicitations à Branting51. Après la guerre, contre les consignes de son parti, il a voté les crédits de guerre et n’a pas pris part au vote sur le traité de Versailles52. Il a, après la victoire, organisé la manifestation du Conseil général en l’honneur de Clemenceau et a conduit, en octobre 1919, la délégation des élus auprès de Clemenceau pour lui demander de ne pas être candidat dans un autre département. Enfin, terme de cette évolution, après avoir refusé d’être candidat aux élections législatives, il vient d’annoncer sa candidature au Sénat, aux côtés de Martin, sur une liste dont le troisième siège doit revenir à Clemenceau ou à son successeur.
54Pour d’autres, les évolutions sont moins marquées ou se feront plus tard. Parmi les participants, deux adhèrent à la SFIO pour la quitter ensuite ; en revanche, un absent quitte très vite la SFIO tandis qu’un seul y restera, après des hésitations, lors de la scission « néo » de 1933.
55Parmi les conseillers généraux absents, deux socialistes SFIO accueillent Clemenceau dans leur canton (Le Luc) ou dans leur mairie (Brignoles) ; un autre, Fourment, n’a jamais été dans le passé un anticlemenciste virulent !
56Lors des visites dans les communes, les maires, les édiles, les conseillers d’arrondissement, parfois les anciens maires, sont présents.
57Deux maires s’abstiennent et cela fait problème pour l’un d’entre eux. A Cogolin, le maire radical prétexte la maladie de sa fille en Belgique. Or la veille, dans la presse, il s’étonne de la nécessité d’un congrès des délégués sénatoriaux de l’arrondissement pour désigner le candidat à la succession de Clemenceau. Il indique son refus de participer aux côtés de la réaction, comme il l’appelle, à cette intronisation. Son abstention dès lors revêt un caractère politique53.
58En revanche, l’abstention du nouveau maire socialiste de Toulon et de la majorité du conseil municipal est moins problématique. La liste à majorité socialiste SFIO, conduite par Claude, est élue à la suite d’une division de la droite. Six opposants le sont aussi. Toutefois, la municipalité, qui affronte les difficultés énormes de l’après-guerre et un fort déficit financier54, a annoncé sa collaboration loyale avec l’administration et le gouvernement. Cette prise de position n’a pas l’accord des milieux révolutionnaires, forts dans le mouvement ouvrier toulonnais. Les récentes prises de position du maire en faveur de l’amnistie pleine et entière des mutins et des autres condamnés des Conseils de guerre, ont été attaquées avec vigueur par ses adversaires. L’une des premières démarches publiques de la nouvelle municipalité a été une délégation conduite par l’adjoint. Elle a reçu le meilleur accueil dans les ministères55. Les députés ont servi de guides ; bref, tout le monde se félicite de ce nouveau style.
59Lors du passage en gare de Toulon, le matin du 1er janvier, la municipalité est absente. La presse le regrette et parfois, comme La République du Var, constate l’attitude différente du maire socialiste de Marseille56. Une délégation de la minorité du Conseil municipal reçoit, à nouveau, un refus du maire pour le 3 janvier. Ainsi, publie-t-elle un appel signé aussi par un conseiller général et par un conseiller d’arrondissement57. Le silence de la municipalité est rompu le soir même du départ de Clemenceau. La presse reproduit la mise au point du maire le lendemain58.
60Enfin, autres abstentions générales – mais personne n’en fit la remarque – le clergé et les ouvriers. A aucun moment, ils n’apparaissent. Seule La Croix du Littoral rend compte de la visite dans certaines communes en termes favorables. Cette discrétion de l’Église est peut-être tactique car Clemenceau était, avant 1914, soupçonné de cléricalisme excessif par une partie de la gauche varoise.
61Le Président du Conseil avait fait savoir que son séjour n’aurait pas de caractère politique. Ce souhait – si sincère qu’il soit – ne pouvait avoir d’effet. Tout le monde sait que l’enjeu électoral est proche et qu’il pèsera, par ses contacts ou par ses attitudes diverses, comme à son habitude sur le choix.
62Par contrecoup, les décisions des socialistes et des divers autres opposants du Bloc des gauches – de ne pas participer ou de participer aux différentes réceptions – ne sont pas neutres. Ils peuvent désapprouver la « trahison » de Vigne mais vouloir remplir leurs devoirs envers Clemenceau, Président du Conseil. Leur abstention au banquet du Conseil général leur donne cette occasion de manifester publiquement leur opinion. Leur abstention totale, au cours du voyage, a une signification politique globale : le refus de tout accord politique avec le clemencisme. Mais, ils n’ont pas pour autant renoncé à leurs accords politiques récents ou à leurs relations personnelles.
QUI RENCONTRE-T-IL PENDANT SON VOYAGE ?
63La démarche essentielle de Clemenceau apparaît être en direction des élus locaux et des Varois dans leur ensemble. Ses vieux amis de 1885 sont privilégiés59 ; d’autres aussi le sont : un ancien sénateur alors anticlemenciste, un réfugié, des militants de divers villages dont Barjols60, les survivants du cercle de l’Alliance au Muy, 300 personnes à Draguignan, de multiples délégations à Toulon61. Si la présence des militaires est normale62, si celle des fonctionnaires départementaux peut se comprendre, la place particulière occupée par les anciens élus, radicaux ou plus conservateurs – souvent battus en 1919 aux élections municipales ou cantonales – peut surprendre63. Ce phénomène d’unanimité se renforce par la présence symbolique à Brignoles de son ancien adversaire des élections législatives en 1885 âgé maintenant de quatre-vingt-douze ans.
64La participation aux dîners intimes est aussi significative de certains choix. A Draguignan, sont présents le préfet, les sous-préfets, les députés, le président du Conseil général, le maire et le secrétaire général de la Préfecture. Clemenceau reçoit, au café, quelques conseillers généraux et des amis qui ne sont pas nommés. Si au repas offert par le Conseil général, on parle peu de politique, les conversations privées sont le lieu particulièrement propice pour ces échanges. A Brignoles, le dîner est encore plus intime : le sous-préfet et deux députés. Le déjeuner offert par Clemenceau à Hyères, en revanche, a une signification politique incontestable. Aux côtés d’Ignace qui a rejoint le cortège, sont attablés les cinq députés, le préfet, les sous-préfets, un député de la Nièvre, l’académicien Jean Aicard, des officiers. Quatre personnalités politiques et économiques d’Hyères y prennent part ; toutefois, le maire, Roux-Seignoret est absent. Comment ne pas mettre cela en relation avec l’évolution politique récente ? Le matin même l’accolade à Clemenceau fut peut-être trompeuse. Le maire était un des candidats non radical possible pour le Sénat. Dès le début, avec ses amis, il a protesté contre la candidature de Vigne. Il est désormais à la tête de la dissidence dans le Bloc varois. Est-ce la première manifestation de ce désaccord ? De la même façon, le seul conseiller général présent au déjeuner, en dehors de celui du canton, est Claude Brun. Quelques jours plus tard, il devient président du Conseil général. Absence et présence ont bien dans ces deux cas une signification politique.
COMMENT CLEMENCEAU APPARAIT-IL AUX VAROIS ?
65Dans les commentaires de la presse, les éditoriaux ou dans les divers discours, une image claire du Président du Conseil se dégage. Poncifs et parfois notes originales ne manquent pas. Un portrait-robot peut ainsi être tracé.
66Ce vieillard a su rester jeune. Il se promène le plus souvent la tête nue ; il ne suit pas de régime alimentaire ; on se plaît à détailler les menus des divers repas64 ; il saute « lestement du train »65 et « gravit allègrement les marches » ; il peut marcher longuement sous la pluie sans parapluie ou fendre naturellement la foule pour saluer un admirateur. Son esprit est intact : boutades et bons mots fusent, cités abondamment dans toute la presse ; sa mémoire est fidèle : il reconnaît tous ses amis ; ses discours toujours improvisés et prononcés d’une « voix claire » attestent, s’il en fallait, que ses facultés demeurent entières. Un commentaire résume parfaitement ces impressions : « Sa robuste constitution semble défier tous les maux que l’hiver nous ramène chaque année »66.
67Deux autres caractéristiques se dégagent. Il a su s’adapter au pays. On peut lui parler en provençal. La dimension affective est constante : mains pressées « affectueusement » et d’autant mieux qu’il s’agit de Poilus ou de mutilés ; sourires aux amis, divers propos et notamment en direction des « mères en grand deuil » reçues à Draguignan. Ces qualités intimes expliquent la rapide visite qu’il rend à ses sœurs en villégiature à Hyères.
68Homme providentiel (cette qualité est implicite), aux qualités personnelles et intimes, qui a su s’adapter au pays qui l’a choisi, tel est Clemenceau. Les propos tenus par ses interlocuteurs et ses réponses vont dans le même sens.
QUE LUI DIT-ON ?
69Plusieurs grands thèmes se retrouvent dans les discours des élus locaux.
70Le rôle particulier de Clemenceau pendant la guerre est toujours placé en tête. Il a été « le principal artisan de la Victoire », « l’organisateur de la Victoire ». Certains vont plus loin dans l’éloge ; le maire de Fréjus parle de son œuvre « surhumaine » ; Jean Aicard ira même jusqu’à affirmer « Clemenceau, c’est la France ». Les maires de Saint-Raphaël et de Saint-Tropez annoncent que le nom de Clemenceau va être donné à des rues. Selon La République du Var, le projet ne saurait tarder à Hyères.
71Tous regrettent son départ. Le maire de Draguignan résume cette idée-force : « Tous vos vieux amis ont été bien peinés de votre irrévocable décision ».
72Beaucoup lui rappellent le passé, ses différents voyages, les luttes ; tous sont fiers d’être représentés par un tel homme ; tous lui souhaitent de revenir dans le département.
73Souvent son arrivée à la magistrature suprême est espérée. Un seul discours ne présente pas cette éventualité comme certaine67.
74A l’éloge, suit au moins dans cinq cas une demande particulière d’intérêt local au bienfaiteur68.
75Des points douloureux sont parfois évoqués. Le maire de La Crau note que les 115 morts de la commune pendant la guerre appartenaient tous au XVeme Corps69.
76La véritable dimension politique n’est atteinte que dans deux occasions. Le président du Conseil général lui rappelle qu’il fut le « leader d’un grand parti d’extrême-gauche et une des plus grandes figures de notre démocratie républicaine ». Son toast reste politique : « à la grandeur d’une République de liberté politique et de justice sociale ». Ce qui est admissible de Vigne parce que tourné vers le passé et à vocation unanime, n’est pas permis par Clemenceau au conseiller municipal de Toulon qui commence ainsi son allocution :
« Les membres de la minorité du conseil municipal sont fiers de vous saluer respectueusement à votre arrivée à Toulon. Nous regrettons que... ».
77Clemenceau l’interrompt : « Ne regrettez rien ». L’allusion politique est ainsi évitée.
78Dans un seul cas, le député Gavoty évoque la situation économique, le relèvement nécessaire et les sacrifices que le pays doit faire conformément aux grandes lignes du discours de Strasbourg.
79Le comportement des élus locaux correspond au souci de Clemenceau. Ce n’est pas l’homme politique qui voyage mais l’ami, le bienfaiteur et peut-être le seul susceptible d’être digne de la magistrature suprême. Il est vrai que la presse ne rapporte pas le contenu des discours des maires supposés socialistes SFIO (hormis dans un cas sur une question purement locale). Fut-il différent ? Au mieux, ils ont dû répéter ce qu’a déclaré Vigne.
80Si le discours est la forme la plus répandue, la poésie est aussi de rigueur. Le sonnet du maire de Solliès-Toucas ne nous est pas parvenu. En revanche le poème composé par le sous-préfet de Toulon et déclamé par une jeune fille à l’issue du déjeuner offert par Clemenceau à Hyères est rapporté. Il contient tous les grands thèmes des invocations des élus70.
QUE REPOND CLEMENCEAU ?
81Chaque discours d’un élu local appelle des réponses improvisées. Plusieurs thèmes reviennent ; ils ne sont pas nouveaux mais souvent sont exprimés dans une langue simple qui sait toucher.
82Modeste, il affirme constamment qu’il n’aurait rien pu faire sans les Poilus : « Les véritables artisans », la « gloire éternelle de notre pays ». Ce thème de tous ses discours est parfois complété par deux constatations : à Toulon, où de graves questions de reconversions se posent, il insiste sur l’effort considérable de l’arrière ; il évoque d’autre part la vaillance de tous les soldats, apportant ainsi un réconfort aux populations blessées depuis l’affaire du XVeme Corps.
83Thème complémentaire, maintes fois réaffirmé, la nécessité d’une reconstruction économique rapide, « il faut compléter la victoire des Poilus par le travail et accomplir le devoir fiscal », « il faut le sacrifice de l’argent pour que la France devienne plus prospère ». Et il ajoute parfois un appel direct à la procréation, « il nous faut des enfants, beaucoup d’enfants pour que la France soit bien à l’abri »71.
84Son voyage, selon lui, n’est pas « une tournée d’adieu », c’est « une tournée de reconnaissance » affirme-t-il dès son arrivée. Aussi la presse reprend-elle constamment cette expression dans ses commentaires et dans ses titres.
85Il indique aussi, dès le premier discours, que son voyage n’a pas de but politique. Veut-il ainsi couper court aux interprétations qui se répandent à Paris ? A la mairie de Draguignan, il précise qu’il ne sera pas candidat72. Nous ne savons rien de ses conversations privées ; nous apprenons au hasard d’un commentaire qu’une seule fois, à Saint-Raphaël, il a parlé de René Renoult.
86En fait, son discours est par nature politique. Au Conseil général, il a rappelé le sens du combat républicain :
« En 1870, le grand problème fut de fonder la République. Notre génération a travaillé à la rendre définitive. Nous la lèguerons à la génération nouvelle qui aura charge de réaliser les principes de liberté et de justice ».
87A partir du 2 janvier, à Fréjus notamment, il répète les grands principes de sa politique d’unanimité nationale :
« Les hommes d’une même nation ne doivent pas se haïr. Ils doivent être solidaires des intérêts supérieurs du pays ».
88Le rappel de l’ « union sacrée » qui a présidé à la victoire, l’évocation « des haines et des dissensions » actuelles, le proverbe arabe « les chiens aboient et la caravane passe »73 sont des éléments constitutifs de sa politique. Parallèlement, l’appel au regroupement des forces républicaines a une portée pratique immédiate en raison des élections sénatoriales.
89A une seule reprise, Clemenceau évoque la perspective de son accession à la Présidence de la République. Presque tous ses interlocuteurs l’ont souhaitée ; la presse l’annonce comme indispensable et certaine. A Cuers, il croit nécessaire – peut-être est-ce une forme de modestie – de souligner la possibilité d’un échec.
Son adieu ultime aux Toulonnais reprend ce qu’il n’a de cesse de proclamer :
« Si la France et la République ont compté sur vous, je vous donne l’assurance que jusqu’à la fin de mes jours, vous pouvez compter sur moi ».
90Des affirmations générales, des principes, des grandes intentions, tel est le contenu des interventions de Clemenceau en apparence de portée lointaine. Ces discours ont aussi une portée immédiate : bien que largement répercutés par la presse, ils ne sont destinés dans un premier temps qu’aux proches, aux élus, bref à tous ceux qui sont susceptibles, parce que électeurs, d’être influencés par le sénateur « honoraire » comme l’appelle le maire de Fréjus.
VERS L’APRES-CLEMENCISME
91La tournée de Clemenceau permet d’éclairer sous divers aspects la réalité de la vie politique varoise. Elle contribue à accélérer les évolutions en cours.
DE CERTAINES ABSTENTIONS
92Naturellement, l’absence des élus socialistes de Toulon est diversement commentée. Les milieux de droite sont unanimes. Après avoir publié la mise au point du maire, le directeur de La République du Var note :
« Hier tout Toulon est allé recevoir le Père La Victoire. Il ne manquait à la réception que ceux qui auraient dû être au premier rang »74.
93Dans le même esprit, La Croix du Littoral condamne cette « incartade municipale », ces « injures » et ajoute « la population chassera les marmousets du Soviet »75. D’autres commentateurs qui appartiennent aux milieux de droite, sont plus mesurés76.
94Un débat s’instaure dans la presse. Pour les uns, la décision de boycot émane de la section communale de Toulon de la SFIO, souvent présentée comme d’extrême-gauche. Le maire n’a fait que suivre et a trouvé un prétexte. C’est un « abus de confiance » conclut un auteur. Des militants dont deux élus toulonnais justifient la décision. Pour eux, le voyage de Clemenceau a un caractère politique ; il est venu pour aider les forces de droite et appuyer son ami Renoult.
95Au bout d’une semaine, le silence se fait ; les élections sénatoriales, puis l’échec de Clemenceau à la Présidence de la République, occupent trop les esprits.
96Autre difficulté, à Hyères, le maire, nous l’avons vu, a manifesté bien des réticences à l’égard de la tactique du Bloc Varois. Paradoxalement, l’hebdomadaire local. Le Palmier, dont le directeur est l’adjoint au maire, conseiller général, ne paraît pas pendant la première semaine de janvier77 et, par conséquent, ne fait aucune allusion à la visite de Clemenceau. Y eut-il des divergences internes dans le conseil municipal et le comité qui le soutient ?
LA CAMPAGNE ÉLECTORALE
97La réunion des délégués sénatoriaux, « clemenciste » comme la qualifie la presse, se tient à Draguignan, le 4 janvier78. La présidence est assurée par des maires qui ont reçu Clemenceau79. Hugues, le maire des Arcs, dont on avait annoncé la candidature, appelle à voter pour « son ami » Renoult, car voter pour lui « c’est voter pour Clemenceau ». Il ne reste plus à Renoult qu’à remercier « avec émotion les personnalités varoises qui, ayant des droits à la candidature lui ont tendu une main fraternelle par déférence pour Monsieur Clemenceau et dans un geste de généreuse abnégation »80.
98Toutefois, un autre candidat radical-socialiste, Camille Jean-Barberis, se réclame aussi de Clemenceau et maintient sa candidature81.
99Renoult, acclamé, devient le colistier de Vigne et de Martin. Toute leur campagne électorale dans les jours suivants est à l’image de la profession de foi de Renoult « précieux collaborateur et ami de Monsieur Clemenceau ». Il est, dès le début, soutenu par la grande presse82.
100L’union, telle que la désire Clemenceau, est menacée. D’une part, les radicaux-socialistes se sont à nouveau divisés. Leurs antagonismes d’avant-guerre, un temps effacés par l’Union sacrée, ont ressurgi à la première occasion.
101Les uns, comme le maire de Cogolin, ont pris franchement leurs distances vis-à-vis de l’alliance des clemencistes avec la droite ; d’autres comme Camille Jean-Barberis, hésitent encore à rompre. La droite, elle, prend des distances. Les oppositions des Hyérois à la candidature de Vigne se sont manifestées. Les « vieux radicaux, les radicaux indépendants, les républicains démocrates » non représentés s’expriment notamment par la voix du conseiller général de Toulon, Comte. Il peut écrire qu’il n’a trouvé aucun argument pour dissuader ses amis qui voudraient ne pas voter pour la liste complète du Bloc varois, condamnation directe de la candidature Vigne et indirecte du patronage de Clemenceau83.
LES RÉSULTATS INATTENDUS
102Le 10 janvier, les délégués sénatoriaux se réunissent au Théâtre de Draguignan et, selon l’habitude, les quatorze candidats se présentent. Aux trois colistiers du Bloc varois, s’ajoutent deux « clemencistes » de droite, et neuf autres qui se réclament du Bloc des gauches. Un seul d’entre eux attaque ouvertement Clemenceau. Vigne parle au milieu d’interruptions et de cris où reviennent le plus souvent « Trahison », et « Clemenceau ».
103Le lendemain, dès le premier tour, Renoult et Martin sont élus. Au deuxième tour, Fourment, socialiste SFIO, précède Vigne de onze voix84.
104Les préférences de Clemenceau étaient connues. Il avait un « faible » pour Vigne85. L’élection de Renoult est bien accueillie. Il est désormais le successeur de Clemenceau et Le Petit Var compare même sa carrière à celle de Clemenceau qui, elle aussi, avait recommencé grâce au Var.
105Peut-on parler d’échec de la stratégie de Clemenceau ? Oui assurément. Les forces les plus conservatrices en revendiquent la responsabilité. Il est notoire qu’une partie des délégués d’Hyères n’a pas voté pour Vigne86. Il fallait que « l’électeur comprenne »87. Les anti – clemencistes ralliés à Clemenceau depuis ironisent même sur le paradoxe constitué par le fait que Clemenceau « adversaire ardent du pouvoir personnel » a procédé « comme sous l’Empire » en désignant les candidats officiels88.
106En ce sens, on peut parler de la fin d’un patronage politique. Tous les candidats de Clemenceau n’ont pas été élus. Sa stratégie d’ouverture à gauche a échoué localement. Élaborée à Paris, elle n’avait pas estimé à sa juste place, après la période d’unanimité de la guerre, le violent anticlemencisme qui animait une partie de la gauche varoise avant 1914.
107Mais, l’élection de Fourment est-elle seulement anticlemenciste comme le proclament les socialistes ? Le nouveau sénateur, dans le passé, ne fut pas un opposant irréductible. Tout le monde souligne que ses rapports personnels avec quelques amis de Clemenceau lui ont valu des reports de voix allant bien au-delà des seuls Hyérois ! En ce sens, il n’y a peut-être pas échec de la stratégie de l’ancien sénateur du Var.
ULTIMES CONSÉQUENCES…
108Le Conseil général se réunit pour la première fois, le 12 janvier. Que va devenir l’équilibre entre élus du Bloc varois et élus du Bloc des gauches89 ?
109Premier test, l’élection du Président. Vigne, non candidat, est réélu par 17 voix contre 10 bulletins blancs. Il refuse cette nomination et assure qu’il a besoin de repos. Claude Brun – qui avait été le seul conseiller général invité par Clemenceau à Hyères – est désigné par 19 voix contre 5 blancs. Certains élus du Bloc des gauches ont donc confirmé le sens de leur présence aux cérémonies en l’honneur de Clemenceau.
110Deuxième test, l’élection du bureau. Deux conseillers de gauche – donnés alors comme « socialistes » – sont élus. Ils figuraient aussi dans les cérémonies officielles. Pour la Commission départementale, six membres du Bloc varois obtiennent 18 ou 19 voix ; le seul élu du Bloc des gauches avait aussi honoré Clemenceau.
111La visite du Président du Conseil a donc provoqué un nouveau clivage dans le Conseil général. La presse prévoyait que deux élus du Bloc varois pourraient voter pour les candidats de gauche. Le contraire s’est produit.
112Autres conséquences, le mouvement préfectoral. Le 15 janvier, un décret ministériel attribue la Légion d’Honneur au Préfet et au Sous-préfet. Le préfet Bazin est affecté en Haute-Marne tandis que le sous-préfet de Toulon est désigné comme préfet de l’Ardèche90. Le secrétaire général de la Préfecture devient sous-préfet de La Tour du Pin et un peu plus tard – mais on peut se demander s’il s’agit d’une réelle promotion – le sous-préfet de Brignoles est nommé secrétaire général de la Préfecture du Doubs.
*
113Le court voyage de Clemenceau dans le Var a permis aux forces politiques profondes de se révéler et aux situations de se débloquer. Ainsi par exemple, l’équilibre dans le Conseil général est-il temporairement rompu. Sa présence, en pleine campagne électorale, a pour but le maintien de sa domination politique qu’il a déjà manifestée par le télégramme au maire d’Hyères (voir note 28). Il entend transférer le patronage qu’il exerce directement. Pour cela, l’union qu’il préconise a comme conséquence de rejeter les extrémistes et de rassembler les véritables républicains, comme il les appelle.
114Cette politique subit un demi-échec. L’élection sénatoriale montre combien le passé a pu peser sur les choix. L’orientation des amis de Clemenceau, privilégier le bloc radicaux-socialistes par l’alliance avec un socialiste sur la voie de la dissidence, a provoqué des résistances. La mise en échec de Vigne et la courte victoire du socialiste SFIO Fourment prouvent jusqu’où peuvent aller les éléments conservateurs du Sud du département. Le phénomène est clair pour les Hyérois (quelques années plus tard, les élections au Conseil général de mutins de la mer Noire sont dans la même lignée).
115Cette situation s’est déjà produite à Toulon autour de l’action politique d’un ancien et futur maire, Escartefigue. A l’inverse, si les socialistes et les hommes de gauche de cette région font peu de concessions à Clemenceau, il n’en va pas de même dans le reste du département.
116Pendant ce séjour, Clemenceau a fait le point. Il a pu revoir ses amis qu’il a continué à influencer. Il a transféré une partie de sa protection sur ses amis. En même temps, il a permis indirectement le succès socialiste au Sénat. En encourageant le seul candidat socialiste qui s’était ouvertement rallié à lui, il a contribué à ressouder le Bloc des gauches et à faire relever la tête à certains vieux anticlemencistes.
117Peut-on dire que l’influence de Clemenceau commence à décliner ? Non, quand il quitte le Var, son influence est intacte même s’il y a eu un certain transfert. Quelques jours plus tard, écarté de la Présidence de la République, il ne reste plus que les clemencistes pour assurer le patronage. N’ayant plus le pouvoir, son influence se dilue progressivement. La présence de René Renoult ne sera jamais équivalente à celle de Clemenceau. Ne faudrait-il pas en chercher l’explication dans ce « Var rouge » qui s’est identifié à plusieurs reprises avec Clemenceau ? La première élection de Renoult s’apparente beaucoup plus à un phénomène d’unanimité dans lequel les luttes des « rouges » – et encore que d’une partie de ceux-ci – jouent un faible rôle. Les « rouges » débarrassés de l’hypothèque Clemenceau vont stabiliser leur domination. En ce sens, le voyage de Clemenceau met un point final, localement, à ce qui était sa pensée politique profonde : réunir les deux grandes composantes d’un parti républicain à créer. Les prochaines victoires rouges au Conseil général, puis lors des élections législatives de 1924, confirment la fin de cette espérance. Il n’y a plus de « patron » de la politique varoise susceptible de forcer les évolutions en cours.
Notes de bas de page
1 Nous préférons l’expression de « patronage » à celle de « clientélisme ». Dans le clientélisme, figure une dépendance par rapport aux riches et aux puissants. Le patronage signifie protection, appui mais aussi humiliation. Les différentes études sur Clemenceau passent sous silence cet esprit non négligeable de son influence. Qu’il s’agisse des plus anciennes, des plus anecdotiques, des plus récentes de portée plus générale, rarement l’accent est mis sur cette dimension. Par exemple, il est surprenant que G. Wormser ait accordé si peu de place à l’influence politique de Clemenceau dans le Var. Et pourtant, il avait été lui-même candidat du « Comité d’Action républicaine et de ralliement anticommuniste » dans la deuxième circonscription de Toulon, au deuxième tour de l’élection législative, le 30 juin 1935 après le décès de Renaudel. Toute sa brève campagne fut alors placée sous le double patronage de Clemenceau dont « il fut le collaborateur préféré » et de Mandel, l’ancien président du conseil d’administration de l’organe de Clemenceau, Le Journal du Var. N’avait-il pas eu l’occasion avec ces deux hommes politiques de parler du Var ! La thèse d’Y. Rinaudo, Les paysans du Var (fin du XIXeme siècle – début du XXeme siècle) trois volumes, Service de reproduction des thèses, Université de Lille III, 1982, 1013 et 371 pages, apporte des éléments intéressants de réflexion sans toutefois analyser l’influence clemenciste. Son auteur nous a fait parvenir certaines remarques sur le texte initial de cette communication. Nous en avons tenu le plus grand compte dans le texte qui suit et nous l’en remercions. L’étude de l’historien anglais T. Judt, Socialism in Provence (1871-1914). A study in the origins of the modern French Left, Cambridge University Press, 1979, 370 pages, analyse les rapports entre socialistes varois et Clemenceau avant la guerre.
2 Nos sources sont variées. Les archives des dépôts publics ont conservé peu de traces de ce voyage ; elles apportent beaucoup pour la connaissance du contexte varois. La presse nationale et locale a été utilisée. La presse locale, variée politiquement – le Var est toutefois l’un des rares départements à ne pas posséder d’hebdomadaire socialiste –, publiée dans le Var ou dans les départements limitrophes – dans les quotidiens marseillais et niçois, les pages varoises n’ont malheureusement pas été conservées – a bien couvert le voyage. Enfin, des sources orales ont permis de mieux mesurer l’impression d’unanimité qui se dégage dans la presse et qui dissimule, en fait, des clivages profonds entre les forces politiques.
3 G. Wormser, La République de Clemenceau, Paris, P.U.F., 1961, p. 397.
4 Au début d’octobre, Clemenceau avait reçu une délégation du Conseil général du Var conduite par son président, Vigne. Il avait alors assuré qu’il n’abandonnerait pas le Var pour un autre département. Aussi, avait-il refusé, le 26 octobre 1919, la proposition des radicaux alsaciens d’être candidat dans la province retrouvée.
5 Vigne s’en explique au congrès ; une lettre à ses électeurs, publiée le 27 octobre, insiste sur ses responsabilités agricoles. Il accepte toutefois de présider le comité électoral de la liste S.F.I.O. Il avait aussi écrit, dès le 13 septembre 1919, aux Coulisses qu’il ne serait pas candidat au Sénat car « je ne me sens pas encore d’âge pour faire un sénateur » (il était né en 1867).
6 Les abstentions atteignent 41,9 % ; la liste du Bloc républicain varois obtient en moyenne 52, 5 % des suffrages exprimés, celle du Parti socialiste, 39,1 %. Les candidats socialistes perdent plus de 6.000 voix par rapport au premier tour de 1914. Le Var, le 23 novembre 1919, peut parler alors de « vague clementiste ». S. Berstein, dans sa thèse, analyse la situation des quatorze départements où les radicaux concluent des alliances à droite. Ils « tentent de survivre en abandonnant leurs positions centristes et en consolidant contre les socialistes les alliances politiques de la guerre avec la droite », Histoire du Parti Radical. La recherche de l’âge d’or, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, Paris, 1980, p. 119 et suiv.
7 Arch. Dép. Var, 3 Z 2.22. Il y aurait beaucoup à dire sur la place des personnalités dans la vie politique varoise et tout particulièrement dans les milieux démocrates, non socialistes.
8 G. Wormser, op. cit., p. 398. La réalité fut certainement plus complexe. Les archives de René Renoult, conservées au Musée d’Histoire vivante à Montreuil (Seine Saint-Denis) ne permettent pas de résoudre certaines questions. Diverses informations furent transmises par la presse. Dans la première semaine de décembre, on parla d’une liste comprenant aux côtés de Clemenceau, Roux-Seignoret, maire d’Hyères et Charles-Albert, conseiller général du canton de Brignoles. Quelques jours plus tard, on annonçait une éventuelle candidature de René Renoult. Selon un rapport du commissaire de police de Toulon du 19 décembre 1919, le dirigeant radical varois, candidat éventuel, Camille Jean-Barbéris, se trouvait à Paris pour organiser le voyage projeté par Clemenceau. Le lendemain, Georges Wormser, proche de Clemenceau, rappelait par télégramme le député Aiguier, « la combinaison première étant modifiée » commentait-il (Arch. Dép. Var, 3 Z 2.3). Pendant quelques jours encore, des pointages sur les orientations éventuelles des futurs délégués sénatoriaux furent effectués. Certains pensaient même que la candidature Renoult serait retirée. Un premier voyage dans le Var de ce dernier fut annulé le 23 décembre.
9 Dès la mi-décembre, Le Radical annonce la candidature de Renoult. En relation avec l’hebdomadaire toulonnais, Les Coulisses, il engage une campagne contre la candidature « exotique » et pour une candidature varoise. Par la suite, il se rallie, comme Le Petit Provençal et Le Petit Marseillais (plus loin, PP et PM) à la candidature Renoult (télégramme du sous-préfet de Toulon au Ministère de la Guerre, 29 décembre 1919, Arch. Dép. Var, 3 Z 2.3). Une partie de la presse, le PM notamment, l’avait annoncée dès le 26 décembre. Lors de la réunion des délégués sénatoriaux à Hyères, Renoult affirma que Clemenceau lui avait demandé d’être candidat (République du Var – plus loin RV –, 7 janvier 1921). Le Petit Var – plus loin PV –, le 11 janvier 1920, indique que Clemenceau a « offert » Draguignan à Renoult dont « l’échec électoral aux élections législatives en Haute-Saône du Président de la Commission de l’Armée qui l’aida si grandement à gagner la guerre est une injustice ». Enfin, le 12 janvier, à la veille du scrutin, le PV publie la dépêche de Clemenceau à Renoult le soir du 16 novembre ; il lui disait notamment « sa stupéfaction et son vrai changrin en apprenant la désastreuse nouvelle que personne ne peut comprendre ».
10 Comme l’écrit le nouvel adjoint socialiste de Toulon, Lapeyre dans le PV, le 22 décembre 1919.
11 Draguignan est une ville de garnison. D’autre part, Fourment eut une attitude particulière lors de la campagne contre les trois ans comme l’a montré Y. Rinaudo dans son article, « L’opposition à la loi de trois ans dans le Var (printemps-été 1913), Provence historique, avril-juin 1970. Il avait rencontré Clemenceau à Hyères, lors de son dernier voyage, en mars 1913.
12 Sur les relations anciennes de Vigne et de Clemenceau, voir la thèse d’Y. Rinaudo. Voir aussi la longue notice que je lui ai consacrée pour le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français (à paraître). Sans étudier l’opinion méridionale à la fin de la guerre, notons que la pression en faveur de Clemenceau est particulièrement forte dans le Nord-Est du département (arrondissement de Draguignan). La presse niçoise, L’Éclaireur de Nice, (plus loin EN), Le Petit Niçois diffusée dans cette partie du Var, la presse locale, Le Var notamment dans l’été de 1918, multiplient les appels (lors de l’anniversaire de Clemenceau par exemple). On demande constamment fultimes« Admirons ce vieillard dont la verte vieillesse
Dirige de l’État les débats, l’action ! [...]
Bénissons tout le ciel d’avoir ce talisman !
Au Var offrons aussi louange et compliment
Il élut le Français qui mène à la Victoire » (Le Var, 30 juin 1918).
Aussi dans les premiers jours de novembre, le Conseil général décide-t-il de placer le buste de Clemenceau dans la salle des délibérations ; après le 11 novembre, le Conseil municipal de Draguignan, en séance extraordinaire, donne les noms de Clemenceau, Foch et Joffre à trois artères de la ville. En février 1919, le maire socialiste Fourment fait attribuer le nom de Jaurès à une rue. Cette décision provoque le tollé de l’opinion non socialiste.
13 Selon la biographie du candidat, c’est lui, l’ancien ouvrier de l’Arsenal maritime de Toulon, qui a appelé Clemenceau en 1902 ; c’est lui qui a été désigné comme colistier par Clemenceau pour siéger au Sénat à partir de 1909 ; c’est lui l’habituel porte-parole de Clemenceau dans le Var. Sur l’élection de 1909, le fils du sénateur sortant Méric, alors battu, par les Clemencistes témoigne ; voir V. Méric, A travers la jungle politique et littéraire, Paris, Valois, 1930, 283 p. La presse pendant un moment se demande si Martin parviendra à se réconcilier avec Clemenceau qui n’aurait pas supporté son « caractère laudatif » (Les Coulisses, 12 avril 1919).
14 La presse annonce une éventuelle candidature de Dutasta, fils de l’ancien maire de Toulon, ancien secrétaire général de la Conférence de la Paix. Elle affirme même que Clemenceau viendra se reposer dans la propriété que possède cet ami, actuel ambassadeur à Berne, à Solliès-Pont. Un radical-socialiste Thaon annonce la sienne et se présente comme « ami personnel de Clemenceau depuis 1885 ». Mais, le caractère fantaisiste du personnage ne le fait guère prendre au sérieux. Directeur de l’école primaire supérieure de Lorgues, il s’était porté candidat à l’élection législative de 1914 contre Fourment et avait essayé, en vain, de rassembler les voix clemencistes.
15 Certains pensent que le couple Vigne-Martin pourrait très bien former l’ossature d’une liste du Bloc des gauches. Mais cette hypothèse n’est guère retenue...
16 Que la presse présente comme le « collaborateur de tous les instants pendant la guerre » (PV, 31 décembre 1919). Le quotidien conservateur indique que cette candidature « est accueillie assez fraîchement dans tous les milieux du Var » (RV, 28 décembre 1919). Citons notamment cet article des Coulisses, le 6 décembre 1919, « Le Var a trop de fierté politique pour s’abaisser à ce rôle de sauveteur servile. Il l’a fait en portant Monsieur Clemenceau au Sénat dont il était l’adversaire déclaré. Mais Monsieur René Renoult n’est qu’une personnalité de deuxième même de troisième plan ; il ne peut donc prétendre que nous oublions, à son profit, notre devise, « Le Var aux Varois ».
17 Ils décident même de repousser le congrès prévu pour l’établissement de la liste.
18 PV, 30 décembre 1919.
19 RV, 31 décembre 1919.
20 G. Wormser, op. cit., p. 398. Là encore la réalité fut certainement très complexe. Clemenceau aurait très mal réagi en apprenant les résistances à la candidature Renoult. Avec Martin, son entourage (et ici, il semble que G. Wormser ait joué un grand rôle) aurait alors élaboré une nouvelle tactique. Selon Les Coulisses du 27 décembre 1919, Vigne aurait été appelé en consultation à Paris. Il serait sorti de ces contacts l’idée d’organiser un congrès. Sa réunion, selon les commentaires des Coulisses du 3 janvier 1920, « en incombe au Préfet. Il a ordre d’en faire surgir, par tous les moyens, le nom de Renoult ».
21 PV, 31 décembre 1919. On supposait encore qu’il pouvait y avoir une part de tactique dans l’attitude de Clemenceau. Le PM, le 26-27 décembre 1919, indique une manœuvre possible. Reymonenq, malgré son élection à l’Assemblée, aurait l’intention de revenir au Sénat. Clemenceau l’en aurait dissuadé temporairement. Le siège « offert » à Renoult n’était peut-être pas celui de Clemenceau. Fallait-il exclure une élection Clemenceau-Renoult-Martin ? Devenu Président de la République, le siège de sénateur serait alors revenu à Reymonenq.
22 Retenons le texte de la convocation par le parti républicain radical-socialiste et socialiste indépendant de l’arrondissement de Draguignan :
« Notre sénateur, le citoyen Georges Clemenceau, Président du Conseil, renonçant à solliciter le renouvellement de son mandat, les délégués sénatoriaux de l’arrondissement de Draguignan et leurs suppléants sont priés de vouloir bien se réunir le dimanche 4 janvier 1920, à 2 heures de l’après-midi au Théâtre de Draguignan, à l’effet de désigner leur candidat aux élections sénatoriales du 11 janvier 1920 en remplacement du sénateur sortant ».
Pour le comité, Paul Denise, député du Var,
Achille Ditgès, maire de Draguignan.
23 Voir la carte ci-jointe.
24 Les maires, les élus, des délégations viennent à Draguignan, à Brignoles ou à Toulon rendre l’hommage. Clemenceau s’excuse de ne pouvoir visiter toutes les communes et rappelle certains voyages qu’il effectua à dos de mulet ! Remarquons toutefois que le Sud-Ouest du département est évité. Dans des mairies, des difficultés financières sont apparues à la fin de la guerre. Des remèdes, mal connus, ont été apportés ; dans les villages, on parle, on murmure ; l’administration préfectorale aurait contribué à combler les « trous » de certaines trésoreries des maires proches de Clemenceau (résultats d’une enquête orale et d’une recherche dans les archives communales). Depuis leur appel en faveur du candidat clemenciste lors de l’élection législative de 1909, ces maires, qui viennent d’être réélus pour la plupart, sont-ils considérés comme sûrs ?
25 Dix-neuf arrêts plus ou moins longs.
26 Le seul journal à mentionner cette déclaration, « le grand intérêt » qu’il accorde à cette candidature, est le PP, quotidien favorable au Bloc des gauches.
27 L’Excelsior, le 16 janvier 1920, publie la photographie de la réception.
28 Roux-Seignoret avait l’intention de se porter candidat au Sénat. Clemenceau, par télégramme, le 28 décembre 1919, lui demande de s’effacer « devant quelqu’un de plus avancé vers la gauche ». Le sous-préfet intervient. Il rencontre Roux-Seignoret et annonce le retrait de celui-ci, le 29 décembre. Son télégramme indique qu’il « demande instamment afin de faciliter campagne auprès de ses amis que Monsieur Vigne prenne engagement sinon écrit du moins verbal de quitter parti unifié après élection sénatoriale » (Arch. Dép. Var, 3 Z 2.3). Le comité local du Bloc républicain varois s’est rendu en délégation auprès du sous-préfet de Toulon pour protester contre la candidature de Vigne (RV, 31 décembre 1919).
29 En fait, l’appartenance des maires à la SFIO est loin d’être certaine pour celles-ci.
30 PV, 1er janvier 1920.
31 « Vous vous porterez au devant de lui, vous le saluerez par vos acclamations » proclame le maire d’Hyères ; celui du Pradet invite à venir « saluer à son passage l’homme de la victoire ».
32 La municipalité socialiste a refusé de participer à la réception. Les élus minoritaires appellent à pavoiser : « Nous considérons donc de notre devoir d’inviter tous les Toulonnais à faire à notre hôte un accueil chaleureux » proclament-ils après avoir condamné l’abstention du Maire.
33 Draguignan, Le Pradet, Hyères, Toulon.
34 Aussi bien le 1er janvier aux abords de la gare que le 3. Craignait-on des manifestations hostiles des socialistes comme avant la guerre ? ou des ouvriers de l’Arsenal où régnait un climat revendicatif provoqué par les compressions de personnel consécutives au retour de la paix ?
35 Les réponses sont diverses. A Draguignan, quelques journaux signalent que pour approcher de la gare, il faut être muni « d’un coupe-file » (EN, 1er janvier 1920) ; « La foule, agitée de violents remous, déferle toujours plus enthousiaste, et le service d’ordre a fort à faire pour maintenir libre un étroit passage » (EN, 2 janvier 1920). Un écho différent ailleurs : « Il n’y a pas de service d’ordre, le Président n’en a pas voulu » (PM, 2 janvier 1920), remarque analogue dans Le Var, en fait article identique, 11 janvier 1920.
36 Selon la presse, beaucoup ont fait plus de trente kilomètres à pied, sous la pluie et dans la nuit.
37 La plupart des journalistes constatent I’« accueil indescriptible ».
38 50.000 personnes annonce la presse, une « mer humaine », « le cœur généreux de Toulon débordant d’enthousiasme patriotique », des « ovations frénétiques » semblables aux « ovations enthousiastes qui saluaient le défilé du vainqueur sous l’Arc de Triomphe » (PV, 4 janvier 1920), les balcons sont « noirs de monde ».
39 Arc de Triomphe « de verdure » à Draguignan (EN, 2 janvier 1920).
40 PM, 3 janvier 1920.
41 « A Monsieur Georges Clemenceau, sénateur du Var, Président du Conseil, ministre de la Guerre, hommage du Conseil municipal à l’occasion de la victoire et de la signature de l’armistice ».
42 En mai-juin 1919, dans la Marine notamment, s’était déclaré un « mouvement complexe » selon le Préfet (Arch. Dép. Var, 4 M 56) en liaison avec les syndicats ouvriers au moment de la longue grève aux chantiers navals de La Seyne. A. Marty, dans son ouvrage La révolte de la Mer Noire, Paris, 1927, t. Il, p. 328 y accorde une place non négligeable. A partir d’octobre 1919, des procès de mutins de la mer Noire se déroulent à Toulon.
43 Le témoignage du sous-préfet en place à Brignoles avant 1914 a été publié, J. Goublet, Vie de Préfet, Aurillac, Éditions du Centre, 1958, 128 p.
44 Il avait assuré son succès en 1889 en se désistant pour le deuxième tour de l’élection législative.
45 Le Gaulois et Le Temps notamment.
46 Seize ont été réélus dont neuf du Bloc des gauches ; quatorze sont des nouveaux élus, dont six du Bloc des gauches.
47 Parmi ces derniers, deux étaient encore hésitants et n’avaient pas fait de choix définitif après leur soutien modéré aux candidats du Bloc républicain varois lors des élections législatives.
48 Certains d’entre eux ont fait savoir que « leur abstention n’avait pas un caractère d’intransigeante opposition » (PP, 2 janvier 1920).
49 Dont trois anciens élus d’avant la guerre.
50 Auguste Chainas commente en ces termes :
« Les élus socialistes notoires du département n’étaient pas là. Leur abstention est certes des plus honorables. Ils ont ainsi voulu manifester leur esprit d’indépendance devant l’adversaire puissant que la France porte au pinacle. Cette attitude ne manque pas de dignité. On peut la discuter, la désapprouver même. On doit cependant la respecter » (PV, 2 janvier 1920).
51 Socialiste suédois qui avait critiqué un article « pangermaniste » du journal socialiste allemand Vorwärts.
52 Deux autres députés socialistes varois, Fourment et Renaudel, avaient fait de même.
53 Franc-maçon, connu pour son anticléricalisme intransigeant, c’est à lui que fait allusion La Croix du littoral, le 11 janvier 1920, à propos des « ridicules exceptions » à l’unanimité de l’accueil à Cogolin. Notons qu’une des raisons de l’anticlemencisme radical avant 1914 était le « cléricalisme » du ministère. Ces reproches avaient aussi servi d’arguments à son adversaire Jourdan en 1893.
54 Cette situation financière déplorable est notamment le résultat d’un effritement de l’équipe municipale sortante : un maire malade depuis longtemps, un premier adjoint habitant Marseille, un désintérêt des édiles, etc. Cet état, dénoncé par toute la presse, a facilité la victoire d’une équipe nouvelle autour de l’ancien maire socialiste Ferrero et du conseiller général, conseiller municipal sortant, Claude. Le cas de Claude s’explique aussi par son attitude en 1907. C’est son opposition au clemencisme qui lui permit de revenir à la SFIO par opposition à la ligne suivie par Escartefigue et ses partisans. Voir la notice que j’ai consacrée au maire de Toulon dans les volumes à paraître du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français.
55 Le ministère de la Marine promet la livraison de charbon ; le ministère des Finances facilite l’obtention d’un emprunt destiné à payer le personnel communal et à régler des factures en souffrance.
56 Le Petit Marseillais, dans le compte rendu du passage en gare de Marseille, ne mentionne pas la présence du maire de la ville. Est-ce une information erronée répandue par une partie de la presse varoise ?
57 « [...] La municipalité de Toulon s’est abstenue et aujourd’hui encore s’abstient de prévenir les habitants de notre ville de la visite dont elle va être honorée. Nous considérons donc de notre devoir d’inviter tous les Toulonnais à faire à notre hôte un accueil chaleureux. Il ne s’agit pas de politique, il ne s’agit pas seulement d’honorer le vieux militant républicain, depuis cinquante ans sur la brèche, il s’agit surtout de manifester notre admiration et notre reconnaissance à celui qui a été un facteur déterminant de la Victoire. [...] » (PV, 3 janvier 1920).
58 « Le maire de la ville de Toulon n’ayant reçu aucun avis du passage en gare, ni du séjour de Monsieur Clemenceau, Président du Conseil à Toulon, n’a pas voulu prendre l’initiative d’une visite à laquelle il n’avait pas été invité estimant que sa dignité de premier magistrat de la Ville méritait un peu plus d’égards. Il sait quels sont les devoirs que sa charge lui impose et quelles que soient les opinions ou la situation des hôtes que les circonstances amèneront dans notre cité, il les accueillera tous avec la même cordialité et la même bienveillance, à la condition expresse que la municipalité de Toulon cessant d’être traitée comme quantité négligeable, sera toujours officiellement prévenue du passage ou du séjour de ces hôtes. Le maire de Toulon ne doit pas être réduit à un simple rôle de courtisan, mais doit au contraire faire les honneurs de la cité en homme soucieux d’observer les règles de la courtoisie la plus stricte et de l’indépendance la plus absolue, comme il convient au premier magistrat d’une Ville de plus de 100.000 habitants, émanation directe d’une population dont il doit sauvegarder jalousement la dignité » (PV et RV, 4 janvier 1920).
59 Par exemple, l’ancien conseiller général Bordenave, le secrétaire du comité à Toulon qui lui remet une gerbe « Var 1885-1920 » ou ce vieux militant dracénois, anonyme, à qui Clemenceau sourit.
60 A Barjols, en août 1919, le cercle de la « Concorde républicaine » s’est créé pour « maintenir la bonne harmonie qui s’est affirmée dans le Parti républicain » (Arch. Dép. Var, 8 M 16.26). Il comprend des personnalités du Bloc des gauches. A la fin de 1919, un cercle Georges Clemenceau de 115 membres est fondé. C’est un cas unique dans le Var.
61 Par exemple, la Ligue civique, le comité des obsèques militaires et du Monument commémoratif, la Fédération radicale-socialiste, l’association des anciens élèves du Lycée, le syndicat des intérêts agricoles, l’Action démocratique varoise, etc.
62 La première personnalité reçue à Toulon est le Préfet maritime.
63 Deux anciens maires de Toulon, des anciens adjoints, plusieurs anciens conseillers généraux, l’ancien maire de Cotignac alors que le maire socialiste ne s’est pas déplacé.
64 « Monsieur Clemenceau fait honneur au menu et son excellente santé s’explique lorsqu’on le voit manger » (PM, 2 janvier 1920).
65 EN, 2 janvier 1920.
66 PV, 2 janvier 1920.
67 « Cette séparation qui ne se fera pas sans un légitime serrement de cœur, sera en quelque sorte atténuée par l’élévation à la plus haute dignité de la République dont l’Assemblée nationale voudra couronner la grande carrière de celui qui représentera mieux que tout autre à la face du monde, le génie et le caractère de la race française » (Le Progrès républicain, 3 janvier 1920). A cette certitude, le président du groupe d’Union républicaine et socialiste d’Hyères apporte quelques nuances, « les adieux que vous venez faire à vos électeurs n’ont rien de définitif [...] vous nous reviendrez un jour, quelle que soit la situation que vous réserve la reconnaissance nationale ». La presse a largement contribué à ancrer dans les esprits la certitude du succès. A la veille de l’arrivée, il ne fait aucun doute que Clemenceau est sur le point « de se voir élever à la plus haute magistrature de la République » (PV, 31 décembre 1919).
68 Notons un aménagement touristique, la demande d’une meilleure desserte de l’industrie locale, l’aide à la lutte contre les incendies de forêts, la solution à trouver dans l’éventuelle construction de casernes, la captation des eaux fluviales ou le rappel d’une subvention obtenue pour l’adduction d’eau potable.
69 Après l’article du sénateur Gervais sur le XVeme Corps, le conseiller municipal socialiste de Toulon, Claude, le futur maire de 1920, avait fait adopter un vœu, le 26 août 1914, qui proclamait « son indignation ». Le Conseil s’affirmait « outré d’avoir à constater que Monsieur Clemenceau ait eu l’inconscience de venir apporter à l’acte méprisable de son collègue du Sénat, l’autorité que lui donne sa double qualité de Sénateur du Var et d’ancien Président du Conseil ». Un autre conseiller avait fait ajouter « Et voue les actes de ces deux représentants du Peuple au mépris public ». Le Préfet, après avoir reçu ce vœu, écrivait au sous-préfet de Toulon : « Il est regrettable que ce vœu, conçu en termes violents, n’ait amené aucune protestation officielle de la part du Maire de Toulon ». Il était intervenu pour que l’agence Havas ne diffuse que la partie du vœu concernant Gervais (Arch. Dép. Var, 4 M 43). Le 15 novembre 1918, l’adjoint faisant office de maire de Toulon proposa qu’une plaque soit posée. Le texte serait : « La population toulonnaise au citoyen Georges Clemenceau, sénateur du Var, président du Conseil, ministre de la Guerre. Hommage de patriotique reconnaissance. 11 novembre 1918 ». Coulom, conseiller municipal socialiste, adjoint au maire de la future municipalité, opposa un texte différent : « La population toulonnaise à tous les gouvernements qui se sont succédés pendant la guerre. Hommage [...] ». Finalement seuls les élus socialistes minoritaires s’abstinrent ou votèrent contre, comme Claude. Ce dernier faisait alors adopter par tous les conseillers un vœu complémentaire : « Le Conseil municipal de Toulon exprime sa reconnaissance aux Poilus de la grande guerre (1914-1918) qui, par leur endurance et leur héroïsme, et au prix de leur sang ont assuré la victoire de la justice et du Droit sur la force et qui, en raison des sacrifices supportés, ont été les principaux artisans de la libération du territoire ». (Arch. Com. de Toulon, registre des délibérations). Dans l’été de 1919, de multiples articles de presse sont consacrés au XVeme Corps. Des conseils municipaux prennent position en faveur des soldats méridionaux (Hyères, Toulon, Pierrefeu, etc.). Le Petit Var, à partir du 1er août 1919, réclame même deux manifestations, une grande revue navale de la victoire et une glorification du XVeme Corps. Au Sénat, Reymonenq défend la vaillance des soldats et tout le monde sait qu’il exprime souvent le point de vue de Clemenceau. Il fait allusion à cette prise de position dans sa profession de foi lors des élections législatives. Remarquons enfin qu’il est rarement question des morts au combat. Est-ce le reflet de la proportion moins importante de morts dans le département par rapport au reste du pays, selon les données officielles ?
70 Le Var, à Monsieur Georges Clemenceau :
« Vous qu’on a surnommé « Le Père La Victoire »
Parce que vous avez pendant plus de cinq ans,
Dans la guerre et la paix, versé courage et gloire
Au cœur de nos héros, les poilus, – vos enfants – ;
Vous qui, pur Vendéen, fûtes plus de six lustres,
Soit comme député, soit comme sénateur,
Représentant du Var, et non des moins illustres,
Car, en vous choisissant, s’honorait l’électeur.
Vous venez, aujourd’hui que votre œuvre géante
Touche presqu’à sa fin, tendre aux amis Varois
Non la main du grand chef, superbe et triomphante,
Mais la loyale main de l’ami d’autrefois ;
Vous venez leur donner une émouvante étreinte,
Disant : « Je ne serai plus jamais votre élu ;
Mais j’ai fait mon devoir, sans relâche et sans crainte,
Et je puis être fier du chemin parcouru ».
A leur tour, les Varois voudraient pouvoir vous dire :
« Nous sommes plus que vous de votre œuvre orgueilleux,
Et, si vous le voulez, afin de vous élire
Vous nous retrouverez, plus nombreux et joyeux.
Nous le savons, d’ailleurs, dans votre apothéose,
Vous n’abandonnez point ceux qui vous ont aimé ;
Et vous excuserez cet amour, s’il propose
Que « citoyen du Var » vous soyez proclamé.
Puisque vous arrivez avec l’an qui commence,
Laissez-nous formuler encore d’autres souhaits :
C’est que, dans quelques jours, tous les élus de France
Acclament votre nom au cours du grand Congrès,
Et que, pendant longtemps, de notre République
Vous soyez Président pour parfaire la paix :
Car des peuples, hélas ! trouble est la politique,
Et pour la rendre claire il faut un grand Français I »
Je ne suis qu’une enfant pour vous dire ces choses,
Et vous allez trouver mon geste audacieux.
Si vous le pardonnez, acceptez donc ces roses,
Et ce sera pour moi le grand jour radieux ! ».
(RV, 3 janvier 1920).
Son auteur, le sous-préfet Jules Gondoin était connu pour son zèle clemenciste. Il avait déjà dans des réunions de l’Académie du Var présenté des poèmes en l’honneur de Clemenceau. Plus tard, préfet honoraire, il devient rédacteur en chef, sous le pseudonyme de Mordax, de L’Événement et de La Gazette de la Capitale et du Parlement. Quand René Renoult fut inculpé, au moment de l’affaire Stavitsky, il lui écrivait un message de sympathie (Archives R. Renoult, Musée de l’His toire vivante, Montreuil). Ajoutons que Gondouin Emmanuel fut l’auteur d’un portrait de Clemenceau retenu lors de l’exposition du Petit Palais. Est-ce le résultat d’un hasard orthographique ? Est-ce un parent ?
71 Selon Le Var, 18 janvier 1920, il semble avoir développé cet appel à Draguignan et dans deux villages, Villecroze et Forcalqueiret.
72 « Vous me demandez si je reviendrai ? Oui, mais plus comme votre représentant car comme je le disais cet après-midi, lorsqu’un attelage se fait trop vieux pour de rudes labours, il faut le remplacer, c’est un peu mon cas. Il faut des jeunes pour la bataille de chaque jour » indique-t-il en réponse au maire de Draguignan, qui, par ailleurs, a été le co-signataire de la convocation des délégués sénatoriaux à Draguignan, le 4 janvier.
73 Ce proverbe est un des plus courants dans le discours de Clemenceau. Il avait notamment été employé en 1908, lors de la campagne électorale, au banquet de Draguignan alors que, dans la rue, les socialistes du département, et tout particulièrement les Toulonnais, manifestaient. C’est à Toulon qu’il cite à nouveau ce proverbe.
74 RV, 4 janvier 1920.
75 La Croix du Littoral, 11 janvier 1920.
76 Je dis tout, le 10 janvier 1920, journal proche du Petit Marseillais, rappelle que Claude s’était déjà en 1914, montré « très soucieux et très jaloux des libertés et prérogatives communales ». Il avait en effet protesté en août et septembre 1914 contre l’attitude du Préfet maritime qui avait écarté le conseil municipal des décisions sur le « camp retranché » de Toulon.
77 A la « suite d’une pénurie de gaz » qui aurait empêché la composition selon ses propres explications.
78 On compte soixante-six délégués et soixante-deux mandats, quinze conseillers généraux et d’arrondissement. Or, les comptes de la préfecture donnent 122 délégués « clemencistes » pour Draguignan (Arch. Dép. Var, 3 Z 2.3). Parmi ces délégués, le nouvel élu pour le Conseil d’arrondissement du canton de Salernes, Espitalier vient de se présenter aux élections législatives sur la liste des anciens combattants. Peu de temps après, il adhère au Parti communiste et sera l’un des militants les plus actifs du Haut-Var. Cet exemple montre bien que les approximations préfectorales indiquent les grandes directions seulement d’un corps électoral. La notion de délégué clemenciste ou socialiste est souvent soumise à changement. D’autant qu’à la mi-janvier, Espitalier proteste avec un autre délégué sénatorial de Salernes. Ils n’auraient pas participé à cette réunion à laquelle tous les articles de la presse les notaient parmi les présents ; ils n’avaient pas donné de mandat (lettre parue dans Les Coulisses du 10 janvier 1920).
79 Les maires de Draguignan (Ditgès), de Lorgues (Evesque) et des Arcs (Hugues).
80 PV, 5 janvier 1920.
81 A son sujet, la Fédération radicale-socialiste récuse la candidature de Vigne et indique : « Saluant l’indication du citoyen Georges Clemenceau de mettre un socialiste unifié dans la liste d’union à gauche, la Fédération déclare qu’elle est acquise à cette manifestation. Mais, pour que l’accord entre les partis soit efficace, il ne peut se faire sans la consultation et l’adhésion des organisations » (PV, 9 janvier 1920). On n’a donc pas renoncé à donner une étiquette de Bloc des Gauches à la liste Renoult-Martin.
82 Une plaquette de dix pages est diffusée. Son texte intégral est publié dès le 5 janvier dans Le Petit Provençal. Cette plaquette figure aux Archives Départementales du Var (3 Z 2.3) et dans les archives de R. Renoult.
83 Le Progrès Républicain, 10 janvier 1920.
84 Selon les estimations préfectorales (Arch. Dép. Var, 3 Z 2.3), les délégués « clemencistes » représenteraient 277 voix. 38 sont classés « douteux ». Renoult et Martin avec 291 et 286 voix ont fait le plein des voix clemencistes et ont largement étendu leur audience. La préfecture semble n’avoir considéré comme « anticlemencistes » que les socialistes SFIO. Ils seraient 161. Dès le premier tour, Fourment, avec 215 voix recueille une cinquantaine de voix provenant d’électeurs « clemencistes ». Sa progression à 246 voix au deuxième tour renforce cette impression. En revanche, Vigne, au premier tour avec 190 voix, puis au deuxième tour, avec 235 voix est loin du compte. Une cinquantaine d’électeurs de Renoult et Vigne ont reporté leurs suffrages sur Fourment.
85 PV, 11 janvier 1920.
86 Selon Le Passe-Partout, du 17 janvier 1920, hebdomadaire souvent bien informé, ils auraient voté Fourment.
87 Le Progrès Républicain, 17 janvier 1920.
88 Pour reprendre les termes du Var, 18 janvier 1920.
89 Un seul d’entre eux reste à la SFIO par la suite jusqu’en 1933.
90 Président de l’Académie du Var, il avait écrit plusieurs poèmes à la gloire de Clemenceau dont l’un d’entre eux, nous l’avons vu, fut déclamé à la réception à Hyères. Son remplaçant Gozzi fut appelé par Clemenceau aux fonctions de sous-chef de cabinet civil au ministère de la guerre.
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