1On se souvient que l’Empereur avait recommandé, en octobre 1808, d’exercer une étroite surveillance sur les prisonniers ramenés du Danemark, car il lui était revenu que plusieurs unités auraient volontiers emboîté le pas au général La Romana si elles l’avaient pu. Dans leur ensemble, les prisonniers conduits en France sont donc tenus pour suspects et indignes de faveurs.

2Dans le même temps, l’Empereur tient du prince de Ponte-Corvo que des dizaines d’officiers espagnols ont eu un comportement exemplaire à Stralsund (Poméranie), prouvant leur détermination, leurs capacités pour le commandement et leur fidélité. Le besoin en hommes est à ce point aigu que Napoléon envisage de garder à son service ou de mettre à celui de son frère Joseph les soldats solides et sûrs. D’autres raisons militent en faveur de l’utilisation des Espagnols désarmés dans le Nord : ces milliers d’hommes qui encombrent les dépôts et les forts du nord et de l’est de la France vont être une charge financière et une source d’embarras.

I – LE RÉGIMENT JOSEPH-NAPOLÉON

3Au début de décembre 1808, l’Empereur opte pour la constitution d’un régiment qui relèverait de l’autorité du roi d’Espagne en dépit de l’ambiguïté de son nom : le Royal-Napoléon1. Mais, en fait, le régiment, s’il est entretenu par le trésor impérial comme il est prévu, dépendra plus de la France que de l’Espagne, même si le souverain madrilène le parraine2.

4Au général Kindelan “qui s’est bien comporté dans le Nord” on confie le recrutement et l’inspection des nouvelles troupes3.

5Tout en informant le souverain madrilène4, le gouvernement de Paris définit le critère qui va présider au choix des hommes : on retiendra surtout les prisonniers qui sont en France depuis longtemps. Cette formule inclut les Espagnols ramenés du Danemark, mais la nouveauté tient au fait qu’on accepte dorénavant les combattants faits prisonniers dans la Péninsule au tout début du conflit. Pour tous, la première condition de l’incorporation est celle qui a été suggérée par Kindelan : la prestation de serment au Roi Joseph.

6Le décret de constitution du régiment est signé par l’Empereur le 13 février 1809. Il stipule que le régiment portera le nom de Joseph-Napoléon et non celui de Royal-Napoléon. Composé de quatre bataillons de guerre et un de dépôt, caserné en Avignon, le régiment prend forme au printemps 1809. En mai, Kindelan établit la liste des officiers sur lesquels il pense pouvoir compter, qu’ils soient détenus ou assignés à résidence à Sedan, Amiens, Besançon, Petite-Pierre...

7Le 10 mai, le ministre de la Guerre adopte une série de mesures pratiques visant le recrutement et la mise en route des futurs soldats du Régiment Joseph-Napoléon. Sont appelés à en faire partie les volontaires qui se trouvent dans les dépôts de Mézières, Luxembourg, Thionville, Phalsbourg, Besançon et Lille.

8D’un dépôt à l’autre, la proportion des Espagnols enrôlés est très variable. Dans l’un, pas un seul homme n’ose sortir des rangs pour se déclarer volontaire, dans tel autre, c’est par dizaines qu’ils répondent à l’invitation des agents recruteurs.

9Quelle proportion représentent les Espagnols du Régiment Joseph-Napoléon par rapport à l’ensemble des prisonniers déportés en France ? Sachant qu’en juillet 1809, on compte 1 111 officiers et 13 885 soldats prisonniers, on avancera le chiffre de 1 sur 15, à l’époque où le régiment est mis sur pied. Plus le temps passera, plus les soldats du Régiment Joseph-Napoléon se sentiront minoritaires, si ce n’est esseulés et égarés, lorsqu’ils se mesureront arithmétiquement à la foule grossissante de leurs compatriotes – otages et prisonniers de guerre – non ralliés à l’adversaire.

10Le régiment en son entier n’est réellement organisé en Avignon qu’en février 1810. Il semble d’abord destiné à être employé en Espagne5, conformément au désir du Roi Joseph. Mais l’Empereur est si prévenu contre ces étrangers qu’il renonce à le placer en Espagne aux ordres de Joseph et même à l’utiliser en Europe continentale.

11Au début du mois de mai 1810, le gouvernement impéral songe à transformer les quatre bataillons en autant de bataillons de travailleurs. On imagine sans peine la surprise, mêlée de désespoir ou d’indignation, de ces hommes qui s’étaient faits à l’idée de reprendre le métier des armes après avoir changé de drapeau. Les 3 400 hommes d’Avignon sont répartis entre Saint-Jean-de-Maurienne, Lyon, San Remo et Flessingue, qu’ils gagnent en mai.

12En septembre, nouvelle affectation pour deux des quatre bataillons : le 1^er, celui de Saint-Jean-de-Maurienne, doit se rendre, via Turin, à Marghera, près de Venise. Le 3^e sera réparti entre Maëstricht, Juliers et Venloo. Le dépôt, resté jusque-là en Avignon, est envoyé à son tour à Maëstricht, à l’extrême fin de l’année 1810.

13Au moment où Napoléon fait procéder à la réorganisation de l’armée d’Allemagne, il se tourne, pressé par le besoin, vers les Espagnols de Maëstricht. Nouvelle désillusion et nouvelle raison de mécontentement pour ces hommes à qui l’on avait promis qu’ils ne porteraient pas les armes hors d’Espagne et de France : ces deux milliers d’hommes sont affectés au Corps d’Observation du Rhin.

14En octobre 1811, les 2^e et 3^e Bataillons sont transférés à Nimègue, puis à Utrecht où Napoléon leur fait l’honneur de les passer en revue.

15Peu après, le camp d’Utrecht ayant été dissous, les deux bataillons sont rattachés à la division Friant, chargée de l’observation sur l’Elbe6.

16En janvier 1812, et sous le commandement du major Tschudy, la troupe espagnole se met en route pour Stettin qu’elle atteint en mars7.

17Pendant ce temps, les 1^er et 4^e Bataillons envoyés en Italie sont rattachés au Corps d’Observation d’Italie. Au printemps 1812, ils rejoignent les 2^e et 3^e Bataillons à Glagau sur l’Oder. Nous renonçons désormais à suivre en campagne, pas à pas, ces hommes que les hasards de la guerre éloignent toujours davantage de l’ancienne France. Leur appartenance antérieure à la division de La Romana est oubliée, tout comme la condition de prisonniers qui fut la leur, un moment.

18Des témoignages contradictoires sur le comportement des Espagnols en Pologne nous sont parvenus. Selon le maréchal de Castellane8 et le colonel Tschudy – officiers supérieurs dont ils relèvent –, ce sont des soldats dévoués et braves. Selon le capitaine Coignet auquel sont confiés, en juillet 1813, trois bataillons de soldats isolés parmi lesquels se trouvent plus d’une centaine d’Espagnols, ceux-ci ont une tendance prononcée à l’indocilité et à la désertion9.

19Bien des Espagnols furent blessés ou tués au cours de la campagne de Russie, terriblement meurtrière.

20Un témoin, un officier portugais, rapporte qu’en novembre le Régiment Joseph-Napoléon ne compte plus, au lieu de 3 200 hommes, que 4 officiers et 110 soldats. Autant dire qu’il est menacé d’extermination10.

21Les chiffres dérisoires donnés par l’officier portugais sont probablement très près de la vérité. D’autres, qui émanent de plusieurs sources, sont si peu concordants qu’ils ne permettent pas d’évaluer le nombre des Espagnols tués, blessés, évanouis dans la nature, faits prisonniers ou enrôlés par les Russes (éventualité dont ne parlent pas les comptes rendus impériaux). L’ouvrage de Boppe, très précis en ce qui concerne les données fournies par les archives parisiennes, est ici très lacunaire. Les informations les plus détaillées ont été rassemblées et présentées pour la première fois au public français par A. Zviguilsky dans le cadre de son étude des rapports entre la Russie et la France, pendant la première moitié du XIX^e siècle11. Boppe, connaissant l’existence du Régiment Impérial Alexandre, estimait que cette unité avait été constituée en Russie avec les prisonniers espagnols et portugais. Mais cette interprétation est rejetée par A. Zviguilsky qui s’attache à montrer que ledit Régiment a été formé, non pas à l’aide de prisonniers, mais à l’aide de déserteurs, vérité que les états-majors napoléoniens avaient intérêt à cacher. Entre juillet et décembre 1812, on ne sait trop ce qui se passe au sein des quatre bataillons espagnols mais, par contre, en dépit d’une sérieuse incertitude chronologique, on croit savoir qu’en une seule occasion 300 Espagnols choisirent de passer à l’ennemi. Le comte de Clonard, auteur de la Historia orgánica de las armas de Infantería y Caballería españolas, desde la créación del ejército permanente hasta el día, est en mesure d’établir que ce coup audacieux fut préparé et dirigé par Alexandre O’Donnel, le frère du futur comte de La Bisbal, le vainqueur du général Scharwtz en 181012. Ce que révèlent Clonard et, avec plus de précisions, A. Zviguilsky, c’est que le changement de camp des Espagnols a été inspiré par le gouvernement espagnol insurgé et approuvé par le Tsar Alexandre.

22La désertion massive des hommes entraînés par O’Donnel remplit d’aise les autorités russes qui entreprennent de former un régiment de 5 bataillons à Saint-Pétersbourg, en mai 1813. Cette création reçoit l’approbation de la Régence du Royaume d’Espagne qui, en.tribut de reconnaissance, ordonne que le régiment s’appelle l’impérial Alexandre.

23Comment évaluer l’effectif du régiment ? Clonard laisse entendre que les Espagnols étaient 5 000, alors que deux écrivains cités par A. Zviguilsky proposent 3 200 et 1 80013.

24Le régiment une fois constitué, les autorités russes ont le choix entre l’engager contre les troupes napoléoniennes en Europe orientale ou permettre son rapatriement, laissant dans ce cas au gouvernement espagnol insurgé toute liberté pour l’utiliser dans la Péninsule. Les autorités britanniques étant favorables à cette solution, c’est elle qui est retenue : les Espagnols et les Portugais sont dirigés sur Odessa et embarqués sur des bateaux anglais en direction de Cadix.

25Avant de s’éloigner de la Russie et de fouler le sol natal, les Espagnols de l’impérial Alexandre qui, sous les drapeaux français, avaient appris à célébrer le culte de l’Empereur se voient invités à lui vouer une haine inexpiable. Et aussi – là est le plaisant –, alors qu’ils se trouvent sur un territoire étranger où règne le despotisme (tsariste), on leur vante la Constitution de Cadix. Joseph de Maistre qui assiste à la scène et la décrit à son souverain, le roi de Sardaigne, Victor Emmanuel I^er, cache sous de l’ironie son envie de désavouer l’initiative de l’ambassadeur de Madrid14. Alexandre O’Donnell suit décidément une trajectoire peu commune. C’est à Saint-Pétersbourg, dans l’un des fiefs de l’absolutisme, qu’on lui tient des propos en faveur du libéralisme (ceux-là même qui heurtent Joseph de Maistre). Dans ce surprenant “îlot jacobin” que semble être l’ambassade d’Espagne dans la capitale russe, l’ancien serviteur de Napoléon perçoit les échos des discours enflammés que l’on tient à Cadix. Apparemment, O’Donnell est bon public puisque, acquis (dès lors ou plus tard) au libéralisme, on le retrouvera en 1823 dans le camp des constitutionnalistes qui affrontent les envahisseurs français.

26En mars 1813, au terme de la retraite qui voit les Espagnols passer à Francfort-sur-Oder, Erfurt et Coblence, les rescapés tombent au-dessous de la centaine. Le Régiment Joseph-Napoléon a été près de disparaître corps et biens en Europe centrale. Il aurait même cessé d’exister si l’Empereur n’avait songé à le renflouer en temps opportun.

27Une opération d’enrôlement avait été mise en train dès le mois de septembre 1812. Pour compléter les effectifs restés au dépôt, Kindelan se remet en chasse.

28Partout où il se rend, la moisson est maigre, tant en Normandie que dans les dépôts du nord de la France et de la Belgique qu’il parcourt en décembre 1812 et janvier 181315.

29Malgré tout, à la fin de février 1813, Kindelan est parvenu à réunir les 2 000 hommes destinés à constituer le 5^e Bataillon.

30Alors que Kindelan, inlassable, poursuit sa ronde – sa traque – et communique la nouvelle liste des dépôts qu’il va visiter, l’Empereur change d’avis tout à coup : il donne des directives précises sur la façon de constituer un seul bataillon de guerre16. Ce “nouveau Régiment Joseph-Napoléon” comporte peu d’anciens soldats du premier régiment, puisqu’il est essentiellement composé de prisonniers nouvellement extraits des dépôts de France. Ces hommes atteignent Mayence le 11 avril 1813. Ils participeront aux campagnes de Saxe et de Silésie.

31A la même époque, un 2^e Bataillon est constitué à Namur avec le surplus des soldats enrôlés par Kindelan lors de la constitution du 1^er Bataillon, à Coblence.

32Rappelons-nous que le Régiment Joseph-Napoléon ne comprenait, au départ, que des hommes sûrs, assermentés, dévoués au Roi Joseph et à son illustre frère. Or, le Régiment Joseph-Napoléon dans sa nouvelle version ne ressemble que de loin à ce qu’il fut. On ne s’est pas fait faute d’y admettre des déserteurs et, peu à peu, il a suffi aux prisonniers de se déclarer volontaires pour y être reçus, de sorte que les aventuriers, les opportunistes, les individus sans foi ni loi ont submergé par leur nombre cette espèce raréfiée d’Espagnols sincèrement attachés au Roi Joseph.

33C’est une unité bien médiocre et, en tout cas, peu homogène idéologiquement que l’on dirige sur l’Allemagne, à l’automne 1813. Le 2^e Bataillon que nous renonçons à suivre désormais, nous le retrouvons à Magdebourg au printemps 1814. A cette époque, sont intervenus successivement l’ordre de dissolution des unités étrangères au service de la France (décret impérial du 25 novembre 1813) et l’ordre de retour dans leur patrie de tous les prisonniers (décret du gouvernement provisoire du 23 avril 1814). Le 15 juin, le 2^e Bataillon, parti de Magdebourg, arrive à Strasbourg17.

34Ballottés au gré des événements qui se déroulent en France et en Espagne, ces hommes hésitent sur l’attitude à adopter à l’égard du nouveau régime. Finalement, n’espérant plus pouvoir rentrer en Espagne sans y connaître de graves ennuis, ils envisagent de prolonger leur séjour en France. Ayant perdu l’espoir d’être amnistiés, ils se font à l’idée d’être des réfugiés.

35A la même époque, d’autres débris du Régiment Joseph-Napoléon échouent loin de là, en Vendée. Il pourrait bien s’agir du 1^er Bataillon de guerre, grossi ou non du Bataillon de dépôt.

36On sait tout juste qu’une mesure de dissolution est intervenue à Sedan, le 24 décembre 1813 : elle concernait à la fois le Bataillon de Pionniers espagnols et tout ou partie du Régiment Joseph-Napoléon.

37De ces deux corps on forma un régiment à deux bataillons, baptisé Régiment de Pionniers espagnols. A sa tête on retrouve Kindelan, qui reçoit ordre de conduire le 1^er Bataillon à Niort et le 2^e à Saint-Maixent.

38L’ordre de licenciement intervenant en avril 1814, les soldats choisissent de rentrer dans leur patrie, puisqu’ils ont l’assurance de ne pas être maltraités. Par contre, les officiers qui craignent d’être refoulés ou mis en jugement se résignent à demeurer dans le pays où ils se trouvent.

39Désirant garder leur statut de militaires, ils prétendent alors, soit à la demi-solde d’activité, soit au plein traitement si l’on veut bien les admettre, comme soldats à part entière, au service du Roi Louis XVIII.

40Les informations les concernant s’espacent. On finit par envoyer ces étrangers dans les dépôts de Rodez et de Pau. Là, confondus, à leur grand désappointement, avec les réfugiés “afrancesados” arrivant tout droit d’Espagne, ils sont assimilés, pour le traitement, à des prisonniers de guerre.

II – LES AUTRES UNITÉS OUVERTES AUX ESPAGNOLS

41Les quelques unités dont il va être question, les unes constituées exclusivement d’Espagnols, les autres les recevant en renfort, ont à la fois une importance quantitative mineure et une existence souvent brève. Leur histoire est mal connue, mais il n’y a pas lieu de le déplorer outre mesure. Que ces prisonniers forment une simple compagnie, un bataillon, voire un régiment (après la première abdication de Bonaparte), qu’ils portent l’uniforme de fantassin, de pionnier, de sapeur ou encore celui de soldat de Louis XVIII, ils ont peu à nous apprendre, parce que, au contraire de leurs camarades du Régiment Joseph-Napoléon, il leur a manqué ou le temps ou le nombre ou même la possibilité statutaire qui leur eût permis d’avoir une histoire propre ou d’affirmer, par leur comportement ou leurs déclarations d’opinion, leur caractère espagnol.

La Légion Portugaise

42La plus grosse masse de prisonniers espagnols en uniforme (en dehors de ceux du Régiment Joseph-Napoléon) se trouve dans une unité lusitanienne qui, en principe, n’aurait dû recevoir ni Espagnols, ni Prussiens, ni Italiens.

43L’histoire de ces quelques milliers d’hommes, racontée par le détail par le commandant Boppe à la fin du siècle dernier, commence avant le début de l’insurrection espagnole18.

44En septembre 1809, la Légion Portugaise est rattachée à la division Friant et destinée à l’Allemagne. Sur rapport du duc de Feltre, l’Empereur, méfiant à l’égard des Espagnols, ordonne l’élimination des soldats de cette nationalité, appelés à rejoindre le Régiment Joseph-Napoléon.

45En réalité, étant donné le manque de zèle évident des responsables pour effectuer ce tri, il restera, sans que l’Empereur statue une nouvelle fois sur le problème, quelque 3 363 Espagnols (3 061 pour l’infanterie et 302 pour la cavalerie) sur les 4 366 hommes de la Légion Portugaise.

46Ces bataillons participent ensuite à la campagne de Russie où nous ne les suivrons pas, nous bornant à signaler que, comme le Régiment Joseph-Napoléon, ils subissent de lourdes pertes imputables aux coups de feu des adversaires, au froid et à la disette, mais aussi à la désertion.

47En octobre 1813, comme pour apaiser les gouvernements de puissances amies et coalisées contre la France, l’Empereur fait désarmer toutes les unités étrangères à son service : les fantassins des trois régiments de la Légion Portugaise deviennent ainsi des pionniers à Grenoble. A leur tour, les bataillons de pionniers (portugais, espagnols, hollandais) sont dissous en avril 1814.

48Les Espagnols qui le désirent – et qui le peuvent, c’est-à-dire à condition d’être autorisés par le gouvernement de Ferdinand VII – regagnent leur patrie à la fin du printemps et au cours de l’été 1814. Une fois conclue la paix avec le Portugal et l’Espagne, les “anciens” de la Légion Portugaise cessent d’avoir un statut particulier. Les Espagnols qui en faisaient partie se confondent désormais avec les anciens soldats du Régiment Joseph-Napoléon et même avec les militaires et les civils qui refluent en France après le désastre de Vitoria.

Les unités de pionniers

49Le 27 juin 1811, la Compagnie de pionniers espagnols est destinée à recevoir les hommes renvoyés du Régiment Joseph-Napoléon pour mauvaise conduite ou mauvais esprit ; elle est formée à Maëstricht, dans la ville même où se trouve le dépôt du Régiment.

50L’absence, aux archives de Vincennes, de tout document concernant cette unité donne à penser qu’elle eut une vie sans histoire et que ces sujets peu recommandables ne donnèrent pas de soucis aux officiers français qui les commandaient.

51En 1812, en conséquence d’une décision de l’Empereur autorisant les prisonniers espagnols à s’engager dans des unités autres que le Régiment Joseph-Napoléon, le ministre de la Guerre envisage la création d’un Bataillon de pionniers. Le terme “pionniers” marque, comme dans le cas de la Compagnie créée l’année précédente, le refus de mettre ces étrangers en possession d’une arme à feu. On pense trouver 800 hommes, recommandables cette fois, dans les bataillons de travailleurs confiés au Génie et aux Ponts-et-Chaussées. Au besoin, les effectifs seront complétés par prélèvement dans les dépôts de prisonniers.

52Le Bataillon de pionniers, dont nous savons tout juste qu’il se trouve à Dantzig en 1813, sera licencié le même jour que le Régiment Joseph-Napoléon et tous deux seront réorganisés le 24 décembre 1813 pour former ensemble le Régiment de pionniers espagnols19.

Les unités diverses

53Il faut encore mentionner que plusieurs autres corps reçoivent aussi, à des dates diverses, des prisonniers espagnols qui tantôt constituent une simple force d’appoint, tantôt fournissent l’entier de l’effectif. On passera très vite sur cette réalité militaire espagnole, très mal connue et, de toute manière, marginale.

54Pour ce qui est de l’enrôlement des Espagnols, 1812 est la grande année. Tout commence pourtant par un échec. Le mois de février aurait dû voir la formation du Régiment de Catalogne, régiment d’infanterie de ligne qui, conformément au désir de l’Empereur, était appelé à recevoir les prisonniers natifs des provinces septentrionales de l’Espagne. Ce régiment d’abord baptisé “2^e Régiment Joseph-Napoléon” devait être recruté dans les dépôts de prisonniers de guerre par engagement volontaire. Mais sa formation est abandonnée à la suite de la défaite de Salamanque20. Il prendra la forme d’un Bataillon de sapeurs dont l’Empereur décide la création le 18 février 1812.

55Toujours en 1812, le souverain ordonne la formation de deux Compagnies d’ouvriers espagnols. Encadrées de Français, elles ne devront comprendre que des hommes ayant exercé une profession en rapport avec leur futur emploi. Le même décret impérial crée également des Bataillons d’équipages militaires.

56Décrétée le 25 novembre 1813, la dissolution de tous les régiments étrangers, suivie du rapatriement de la plupart des soldats et du repli en France d’autres unités espagnoles, vient brouiller les choses car, dans les corps organisés juste avant l’effondrement du régime impérial, se confondent désormais les prisonniers restés en France et les réfugiés arrivés récemment. Toutefois, compte tenu du retour massif des déportés en Espagne, on peut penser que les ex-prisonniers sont en nombre infime dans les unités formées en dernier lieu. C’est le cas du Régiment de Castille mis sur pied à Libourne en novembre 1813 et des deux Bataillons de pionniers espagnols, eux aussi formés à Libourne à l’extrême fin de 1813.

57Signalons aussi un type d’enrôlement semi-clandestin : il concerne quelques dizaines d’Espagnols admis dans des régiments qui n’étaient pas faits pour eux. Dès le mois de mai 1809, les prisonniers espagnols sont recrutés par différentes unités étrangères lors de leur passage dans les villes de dépôts.

58Ces régiments de combat à base d’étrangers, de même que les bataillons et les compagnies, fussent-ils de sapeurs ou de pionniers, formés avec des prisonniers de différentes nationalités rappelaient si clairement l’esprit belliqueux et annexionniste du système napoléonien que le gouvernement de Louis XVIII pouvait difficilement en permettre la survie. Au printemps 1814, les unités constituées par des Espagnols, ex-prisonniers de guerre ou réfugiés joséphins, sont dissoutes en même temps que d’autres corps recrutés à l’aide d’étrangers qui, à cette heure, ont tout de mercenaires indésirables.

59A la fin de 1814, le gouvernement de Louis XVIII, ayant pris conscience que les anciens prisonniers joséphins ne sont pas à la veille de pouvoir rentrer dans leur patrie, à supposer qu’ils en aient le désir, recherche le moyen de les rendre utiles et d’alléger la charge financière que représente cette masse de militaires rattachés à des dépôts de réfugiés. D’autre part, il fait en sorte qu’un strict encadrement militaire les empêche de nuire. Ces considérations déterminent le souverain à envisager la levée d’un Régiment Colonial Etranger. L’ordonnance royale, en date du 16 décembre 1814, précise en son article 1^er que “seront placés (dans ce régiment) les militaires espagnols et portugais qui existent à la solde de la France et qui sont en état de servir”. L’expression utilisée signifie clairement que tous les réfugiés joséphins n’auront pas accès à ce régiment ; la qualité de militaires est requise ; les fonctionnaires de l’administration destituée, les policiers, les magistrats et les simples citoyens venus se mettre à l’abri des représailles sont exclus21..