Conclusion

1Le titre de cette première partie « Le grand œuvre de la propriété » annonçait une lente élaboration foncière dans le « temps long » ; le détail a insisté sur les limites qui l’enserraient, « la résistance aux changements », jusqu’à ce que soient affirmés par les assemblées révolutionnaires le droit de propriété, les libertés de culture et de commerce.

2Au XVIII^eme siècle, la permanence des liens fonciers et personnels, hérités des IX-XV^eme siècles mais dénaturés en Roussillon depuis leur origine même, avait produit une double résultante : enracinement de la petite exploitation et sous-développement de l’exploitation capitaliste, la grande propriété bourgeoise s’étant adaptée au schéma néo-seigneurial fondant son destin dans celui de la noblesse foncière aux XVII^eme et XVIII^eme siècles. La force de cette construction était telle, qu’elle avait réussi à neutraliser les pulsions lancées par la conjoncture : lors des hauts cours du vin et de la pression démographique, la reconversion fut le fait des pauvres par la voie du défrichement. A souligner toutefois que la politique royale a pu apporter dans ce domaine un frein supplémentaire aux ambitions de la grande exploitation, en s’opposant au développement de la vigne. Les structures agraires apparaissent donc dépendantes, simultanément et à des degrés croissants, des décisions politiques, de la conjoncture économique et des liens hiérarchiques établis entre les exploitants et les propriétaires, mais aussi entre les hommes et la terre.

3Lorsque la Révolution supprime ce qui restait en Roussillon d’une féodalité anachronique, l’orientation tendantielle de la construction foncière héritée du passé se trouve débarrassée des entraves politiques et des liens seigneuriaux. Allait-elle se faire en faveur de la grande ou de la petite propriété ?

4Selon A. Soboul, les conditions d’un vrai et libre essor de la société bourgeoise passent par la solution radicale de la question agraire, par la suppression de la rente foncière traditionnelle1 : de l’attitude de la propriété bourgeoise d’une part, et de la plus ou moins grande résistance des servitudes collectives d’autre part, dépend l’allure de la marche foncière dans le cadre français. A la limite, la persistance de la communauté paysanne traditionnelle apparaît à A. Ado, historien russe et éminent spécialiste de la Révolution française cité par A. Soboul, moins dangereuse pour les progrès agricoles ultérieurs, que la permanence d’une grande propriété de type « rétrograde » ; il attribue un caractère plus dynamique dans le domaine de la production marchande à la petite et moyenne propriété indépendante2. En Roussillon, en raison du caractère modéré de la question agraire, et du peu d’ampleur des grandes propriétés des types « passéiste » et « capitaliste », pouvait se développer une démocratie rurale. Le tandem propriété de rapport – servitudes collectives pèse peu à l’avantage du tandem grande propriété – propriété populaire, la première se diversifiant par les nouveaux propriétaires issus de la Révolution : ceux-ci s’aligneront-ils sur les propriétaires aristocratiques ou deviendront-ils des propriétaires bourgeois ? Mais, en même temps, les structures foncières entraient dans la dépendance des facteurs conjoncturels, puisque délivrées des liens seigneuriaux et assurées d’une totale liberté économique.

5Il s’impose de tenter d’établir les corrélations qui peuvent se créer entre conjoncture agro-économique et structures agraires dans le cadre du libéralisme forgé par la Révolution française et sur la base de la propriété privée dogmatisée par le Code civil.