1L’étude de l’évolution des effectifs de la Fédération Nationale des Prisonniers de Guerre présente un atout majeur. Contrairement au cas des Organisations d’Anciens Combattants de 1914 – 18, nous pouvons entamer cette analyse en nous basant sur des données systématiques, précises et fiables1.

2Les Associations Départementales déclaraient, en effet, à la veille de chaque Assemblée Générale, le nombre exact de leurs adhérents s’étant acquitté de leur cotisation annuelle. Cette donnée définissait, il est vrai, l’importance de la délégation départementale au Congrès National et les A.D. auraient pu, éventuellement, avoir tendance à l’exagérer. Toutefois, les statuts forçaient les Associations à transférer immédiatement 25 % des sommes ainsi perçues à la Fédération2. Une telle politique risquait donc de porter atteinte à leurs ressources exposant leurs cadres à des critiques, voire à des scandales, au moment de l’examen du budget des A.D. par les Congrès Départementaux.

3Nous n’avons donc aucune raison de douter de l’exactitude des statistiques établies par la F.N.P.G. pour des besoins internes. Ces données, recensées par les services fédéraux dans le cadre d’un « Tableau des Effectifs de la Fédération de 1945 à 1958 . », retracent l’évolution annuelle des effectifs de chaque A.D. – méthode qui permet à la fois l’étude de l’évolution générale, des fluctuations du nombre d’adhérents des associations spécifiques ainsi que des paramètres influençant ces variations.

A. evolution générale du nombre d’adhérents

4La grande réussite initiale de la Fédération Nationale des Prisonniers de Guerre consiste dans sa capacité de réunir en son sein la quasi-totalité des associations formées par des P.G. rapatriés ainsi qu’une partie des organisations créées pour veiller au sort des prisonniers et de leur famille. Cet état de fait lui permit d’attirer, dès le début, dans ses rangs, un nombre important d’anciens Prisonniers rapatriés avant la fin de 1944, en vertu de la Convention de Genève ou par suite de négociations bilatérales. La fusion des Centres d’Entraide et du M.N.P.G.D. rassembla, dans le cadre d’un seul organisme, tous les responsables et les militants du petit monde si particulier des rapatriés lui conférant l’omniprésence.

5L’absorption des services de la « Famille du Prisonnier » par l’appareil fédéral ainsi que l’attribution de fonds de gestion importants de la part de l’Etat permirent à l’Organisation de développer rapidement, à partir de l’infrastructure des C.E.A., un filet serré d’Associations Départementales, parfois de Sections Locales, disposant de locaux et de permanents.

6La Fédération naissante put, dès l’hiver 1944-45, faire appel à un grand nombre de recrues potentielles. En effet, les libérations progressives de certaines catégories de Prisonniers de Guerre français par le Reich ainsi que les évasions permirent à plus d’un tiers de captifs de regagner la France avant le débarquement allié (voir table 1).

7629 000 prisonniers rapatriés se trouvaient donc en France à la fin de 1944. La F.N.P.G. réussit, dès le début, à regrouper 37 % d’entre eux. Ainsi à l’heure où elle tenait son Congrès Constitutif, l’Association encadrait déjà 235 000 adhérents, préparant un peu partout l’infrastructure destinée à absorber les rapatriés3.

8Le retour massif de tous les P.G. détenus en Allemagne jusqu’à la fin de la guerre permit à l’Organisation de quadrupler, en quelques mois, ses effectifs. Le prisonnier rentrant faisait souvent connaissance avec sa fédération sur le quai de la gare. Plus tard, le besoin d’aide, la détresse ou l’envie de retrouver un milieu amical et familier lui apprenaient le chemin menant à sa Section Locale et à son A.D.4. L’existence d’une seule organisation prétendant représenter la totalité des P.G. de France et de l’Empire, sans faire entre eux aucune distinction, disposant de représentants dans tous les départements et cantons, ainsi que dans la majorité des villes et villages du pays, lui permit d’intégrer sur-le-champ l’énorme majorité des rentrants.

9Pendant les deux premiers mois du rapatriement, la F.N.P.G. double ses effectifs, prétendant déjà, lors de la manifestation du 2 juin 1945, représenter près de 500 000 adhérents. En novembre de cette année, à l’heure où elle tenait son Premier Congrès, l’Association ne comptait pas moins de 952 000 membres et le chiffre d’un million fut atteint au courant de 1946. Au zénith de sa force, l’Organisation regroupait cette même année 1 027 111 membres cotisants ; soit 66,7 % du total des P.G. rapatriés5. Toutefois, dès l’automne 1945, les A.D. ne constituèrent pratiquement plus de nouvelles sections, se contentant d’étoffer les structures existantes.

10La Fédération Nationale des Prisonniers de Guerre devint de ce fait la deuxième association de France, précédée uniquement par la C.G.T. (avant la scission de celle-ci) et sa plus grande Organisation d’Anciens Combattants.

11792 000 nouveaux membres adhérèrent à la F.N.P.G. depuis le début du rapatriement. Si l’on considère le fait que 925 000 prisonniers captifs depuis la Campagne de France furent libérés en 1945, il s’avère que la Fédération intégra 85 % d’entre eux, dans ses rangs, pendant la première année de son existence. Une adhésion si unanime ne s’explique que par la détresse et le besoin d’aide et d’assistance de ce groupe. Le rapatrié avait besoin de tout. Son Association disposait d’une permanence dans son voisinage immédiat. Elle lui servait, dès le début, de cadre social tenant le rôle de syndicat, de guide, d’intermédiaire dans ses contacts avec les administrations, d’organisation de bienfaisance et de coopérative6. Cependant, l’importance de ces aspects diminuait avec la réinsertion de l’ancien prisonnier dans la société, changeant le caractère de ses rapports avec la Fédération.

12La réintégration progressive des rapatriés, leur déception devant l’échec provisoire que connurent certaines luttes revendicatives menées par la F.N.P.G. ainsi que les tensions internes que connut l’Association firent fondre les effectifs. Ainsi, une baisse du nombre d’adhérents, de l’ordre de 5,4 % en 1947 et de 8,5 % en 1948, paraît toute naturelle. Il ne s’agit là probablement que du résultat direct de la réinsertion définitive d’une partie d’anciens prisonniers dans la société française, provoquant chez certains d’entre eux une perte d’intérêt envers leur Fédération. Par contre, la baisse de 17,6 % des effectifs au courant de 1949 fut provoquée par la répercussion de l’échec provisoire de l’Association dans sa lutte pour l’octroi de la Carte de Combattant ainsi que le manque de succès de son action revendicative (marks, pécule, soldes, majorations d’ancienneté). Cette situation fut aggravée par la lutte interne que se livraient, au sein de l’Organisation, communistes et non communistes, aboutissant à la grande crise de 1950 (Congrès d’Aix-les-Bains). La Fédération perdit cette année encore 7,4 % de ses effectifs et ne déclara plus que 677 854 adhérents, soit 34 % de moins qu’en 19467.

13Le règlement des problèmes internes, la publication du décret d’attribution de la Carte, son assouplissement progressif, le vote de crédits destinés au paiement du pécule et le rôle d’intermédiaire que joua désormais l’Association, dans ce cadre, entre les pouvoirs et les postulants aboutirent, dès 1951, au retour d’un certain nombre d’adhérents (+ 4,3 %) – tendance qui s’amplifia en 1952 (+ 14,7 %). La Fédération compta cette année-là 811 216 membres. La perte d’effectifs reprit dès 1953. Elle fut toutefois plus lente que la baisse enregistrée entre 1947 et 1950. Quatorze ans après la fin du grand retour, la F.N.P.G. rassemblait encore 564 000 membres : soit 55 % des effectifs de 1946.

TABLE 1 Captivité libérations évasions et décès de P.G. frança , , 1940-19458

Graphique 1 EVOLUTION DES EFFECTIFS FEDERAUX 1945-1

B. A. D. Rurales et A. D. Urbaines : deux modèles d’évolution d’effectifs

14L’évolution progressive du nombre d’adhérents que connurent les Associations Départementales fut certainement influencée par des facteurs purement locaux. Des problèmes spécifiques, qui nous échappent le plus souvent, provoquèrent des fluctuations brutales des effectifs de certaines A.D. Nous ignorons pourquoi l’A.D. du Rhône perdit au courant de 1948 les deux tiers de ses membres, phénomène qui reparut deux ans plus tard dans l’A.D. du Lot10. Par contre, il nous semble que le caractère d’une région influence très souvent l’évolution des effectifs de ses Associations. Ainsi, en général, les A.D. constituées dans des départements caractérisés par une grande densité de population (moyenne au km² supérieure à la moyenne nationale), vivant dans des communes urbaines et employée surtout dans l’industrie et les transports (pourcentage de la population active employée dans l’industrie et les transports nettement supérieure à la moyenne) connurent une perte d’effectifs beaucoup plus importante que les A.D. des départements faiblement peuplés dont les habitants vivaient surtout de l’agriculture. (Voir tables 3 et 4 ainsi que le graphique 2).

15Ce phénomène s’explique facilement si l’on considère que les membres d’une association comme la F.N.P.G. y adhèrent pour deux raisons distinctes. La Fédération constitue, en effet, aux yeux de ses membres une sorte de syndicat représentant leur groupe social, défendant fidèlement ses intérêts face aux pouvoirs, servant d’intermédiaire entre ses adhérents et les administrations, tout en luttant pour concrétiser leurs revendications. En même temps, ces Associtions représentent pour nombre d’entre eux un lieu de sociabilité. La Section Locale tisse souvent entre ses adhérents des liens de camaraderie, constitue un point de rencontre, un cadre de réunions, de banquets, de manifestations patriotiques, tout en attribuant à ses membres une certaine respectabilité, voire un prestige.

16L’importance du rôle social permit aux Associations à caractère rural de retenir la majorité de leurs effectifs, se préservant des fluctuations brutales. La réintégration des P.G. rapatriés et les échecs que connut la F.N.P.G., dans le cadre de ses luttes revendicatives, ne provoquèrent pas chez elles une réduction du nombre d’adhérents de la même importance que chez les A.D. à caractère urbain. La crise politique de 1950 les laissa presque indifférentes et les adhérents réintégrèrent leurs rangs à partir de 1950. Les A.D. de régions industrielles et urbaines durent, par contre, attendre encore un an (et le règlement du conflit) avant de connaître, à leur tour, une hausse de leurs effectifs. (Voir graphique 2.)

17L’anonymat que procure la foule des grandes villes ainsi que le sentiment d’indifférence et de distance qui caractérise le comportement des habitants de centres urbains réduisirent, aux yeux d’adhérents de ces A.D., l’importance de leur fonction sociale. Elles furent donc plus exposées aux répercussions des échecs des activités syndicales de la Fédération. En même temps, l’impact de luttes politiques auxquelles fut mêlée la tendance communiste fut évidemment plus fort dans les régions industrielles. Cet état de choses explique probablement pourquoi, en général, les A.D. rurales perdirent beaucoup moins de membres que les A.D. urbaines et industrielles, évoluant pendant cette période d’une façon plus harmonieuse.

18Le même phénomène se manifeste plus distinctement encore si l’on examine les données à partir d’une approche différente : Onze Associations seulement perdirent moins de 15 % de leurs adhérents pendant la première décennie de l’existence fédérale – (la moyenne fut 33 %). Il s’agit des A.D. constituées dans les départements de l’Aube, l’Aude, l’Aveyron, la Charente-Maritime, la Dordogne, l’Eure, l’Eure-et-Loir, le Gers, l’Indre et la Meurthe-et-Moselle. Or, dix d’entre eux (à l’exception de la Meurthe-et-Moselle) possèdent à l’époque une population dont la densité au km² est nettement inférieure à la moyenne nationale. Moins de 50 % de la population de ces départements habite des communes urbaines (communes comptant 2 000 habitants ou plus, agglomérés en chef-lieu). De plus, dans neuf de ces départements le pourcentage de la population active employée dans l’agriculture est de loin supérieur à la moyenne française – (sauf dans l’Aude où elle est conforme et en Meurthe-et-Moselle qui est une région typiquement industrielle)11.

19Les quinze Associations suivantes perdirent pendant la même période plus de 40 % de leurs effectifs : l’Aisne, les Alpes-Maritimes, l’Ariège, les Bouches-du-Rhône, le Finistère, la Haute-Garonne, les Landes, le Lot, la Lozère, la Marne, l’Oise, le Rhône, la Seine, la Seine-ét-Oise et le Var.

20Dix de ces départements répondent à un ou plusieurs des critères suivants :

1. population active employée dans l’agriculture inférieure à la moyenne nationale,

2. densité de population supérieure à la moyenne nationale,

3. plus de 50 % de la population habite des communes urbaines.

21Seuls les départements de l’Aisne, de l’Ariège, des Landes, du Lot et de la Lozère ne répondent à aucune de ces conditions. Des circonstances locales y provoquèrent sans doute une chute d’effectifs ne correspondant guère à la moyenne fédérale et moins encore à l’évolution typique des Associations de caractère rural12.

22La perte rapide d’effectifs que subit un certain nombre d’associations à caractère rural ne peut cacher le fait qu’elle caractérise surtout l’évolution des associations à caractère urbain. Selon le recensement de 1962, seulement 17 départements métropolitains possédaient une population dont plus de 60 % habitaient dans des communes urbaines. Dans 11 d’entre eux, les A.D. de la F.N.P.G. connurent une baisse du nombre d’adhérents supérieure à la moyenne fédérale13.

23L’A.D. de la Seine connut un sort tout à fait exceptionnel, cumulant à la fois toutes les caractéristiques de l’évolution d’une association on ne peut plus urbaine et des circonstances locales particulièrement défavorables à la stabilité d’effectifs. Rassemblant en 1945 et en 1946 plus de 100 000 adhérents, soit plus de 10 % du total des effectifs fédéraux, elle constituait la plus grande des associations affiliées à la F.N.P.G.

24L’érosion de ses effectifs commença dès 1946 pour se traduire, en 1947, par une chute brutale de 30 %. Il est évident que les luttes politiques contribuèrent au départ de nombreux adhérents refusant de rester dans une association identifiée avec la ligne du P. C. D’autres, attachés à la conception d’une organisation apolitique, quittèrent, exaspérés par les heurts permanents à caractère politique entre la majorité et une minorité rebelle. Les conflits brutaux qui opposèrent, entre 1948 et 1950, le Comité Directeur départemental au Comité Fédéral se soldèrent par des départs massifs de membres. En 1950, à l’heure où l’ A.D. connut la première scission de l’histoire fédérale, la Seine ne conservait plus que 36 126 adhérents, soit 33,6 % seulement des effectifs de l’année 1946. Les années suivantes, l’A.D. et l’Amicalc, constituée lors de la scission, récupérèrent une partie de leurs membres, mais les effectifs de l’Association ne purent jamais, par la suite, se rapprocher de la moyenne fédérale. (Voir table 5 et graphique 2).

25Les fluctuations des effectifs fédéraux octroyèrent aux A.D. rurales un impact grandissant sur le caractère de la Fédération ainsi qu’une influence sur son évolution. Cet état de choses explique probablement le grand fait de l’existence fédérale postérieure à 1955 : l’adhésion d’Anciens Combattants d’Algérie, de Tunisie et du Maroc à la F.N.C.P.G. Ce phénomène surprenant constitue un événement exceptionnel dans l’histoire des Organisations d’Anciens Combattants. Qu’avaient donc de commun les vétérans de guerres coloniales d’Afrique du Nord avec les Anciens Prisonniers de Guerre ? Toutefois, il faut se souvenir qu’entretemps les sections locales de la F.N.C.P.G., constitutées dans les régions rurales, étaient devenues la seule Association d’Anciens Combattants ayant préservé dans ce milieu une existence réelle. Il n’est donc guère surprenant que leurs membres aient voulu accueillir dans leurs rangs leurs fils et leurs gendres.

TABLE 3 Evolution des effectifs des Associations Départementales Régions à caractère industriel et urbain14

TABLE 4 Evolution des effectifs des Associations Départementales Régions a caractère rural15

TABLE 5 Evolution des effectifs de l’A.D. et de F Amicale de la Seine16

Graphique 2 COMPARAISON DE L’EVOLUTION DES A.D. « RURALES » ET « URBAINES » AVEC L’EVOLUTION DES EFFECTIFS FEDERAUX 1945-1959

2. CADRES

26Plus que l’expression fidèle de ses adhérents, une grande organisation sociale est avant tout l’incarnation directe de la personnalité de ses cadres.

27La F.N.P.G. jouit dans ce domaine, dès le début, d’un avantage certain. La fusion des C.E.A. et du M.N.P.G.D. lui procura, dès sa fondation, un grand nombre de cadres de tous niveaux. La Fédération naissante hérita de dirigeants de grande valeur formés, rodés, aguerris et expérimentés, jouissant d’un prestige considérable dans le milieu qu’ils représentaient, tout en possédant les relations nécessaires et une habitude de contacts avec les pouvoirs locaux et les administrations.

28En effet, seule la solidité de structures existant, depuis un certain temps déjà, ainsi que la présence de cadres de qualité possédant une expérience des problèmes P.G. peuvent expliquer le fait que l’essort phénoménal de la Fédération en 1945 n’handicapa en rien les capacités d’action du mouvement. L’effort d’organisation qu’elle dut fournir, en ce temps, se poursuivit sans gêner en quoi que ce soit l’action de l’accueil, la mission représentative, les luttes revendicatives ou l’action sociale.

29Notre analyse du profil de ces cadres qui firent la Fédération est quelque peu handicapée par la qualité de nos sources. Indifférente à son historique, la F.N.P.G. négligea pendant les vingt premières années de son existence le recensement de données quelconques concernant ses dirigeants nationaux et locaux. Ce n’est qu’à partir de 1970 que les élus à des postes fédéraux furent priés de remplir des questionnaires retraçant partiellement leur C.V. Plusieurs « relèves » de responsables s’étant opérées entre-temps, une partie des cadres qui dirigèrent l’organisation, durant l’époque qui nous intéresse, disparurent sans laisser aucune trace dans les archives de la Fédération.

30L’élection de certains dirigeants fondateurs de l’Association comme « Membres d’Honneur » de la F.N.P.G. permit de récupérer une partie mineure, mais essentielle, des renseignements manquants. Pour le reste, nous fûmes obligés de compléter nos données, puisant dans le « Dossier » de J. Védrine, – hélas ! aussi dans les articles nécrologiques conservés par l’Organisation – faisant appel à la mémoire de quelques membres fondateurs bienveillants afin de combler les lacunes17.

31Même ainsi, nos problèmes ne furent que partiellement résolus. Les questionnaires fédéraux qui constituent l’ossature de nos données négligent systématiquement les activités P.G. qu’entamèrent les intéressés, avant la fondation de la F.N.P.G. Notre tableau ne put donc reconstituer les responsabilités qui incombèrent à certains de ces hommes dans les camps (Hommes de Confiance) et qui furent à l’origine de leur engagement dans l’action en faveur de leurs pairs. Il en est trop souvent de même en ce qui concerne leurs activités à la tête des C.E.A. Notre expérience nous porte pourtant à croire que la grande majorité des Présidents et des Secrétaires Généraux fondateurs des Associations Départementales, dont nous possédons les renseignements biographiques et qui furent presque tous rapatriés avant 1944, exerça des responsabilités dans le cadre des C.E.A. locaux. Hélas ! les questionnaires qu’ils remplirent restent muets sur ce point.

32Une grande organisation, imbue d’une conception la portant à préserver une neutralité absolue, se refusa évidemment à poser à ses cadres des questions concernant leur religion ou leurs options politiques. Nous dûmes donc nous baser dans ce domaine sur des confidences bienveillantes. L’activité professionnelle de ces dirigeants est aussi parfois difficile à retracer. La majorité précisa le caractère de leur activité du moment. Ainsi, certains questionnaires portent la mention : « pensionnaire ». Par contre, une minorité préféra conserver sa profession d’origine marquant : « ouvrier », alors qu’elle avait connu entre-temps une ascension sociale certaine.

33Malgré ces difficultés, nous avons pu regrouper des renseignements concernant 104 cadres qui exercèrent, entre 1945 et 1952, des responsabilités au Bureau, au Comité, dans leurs A.D. et S.L. Malgré les mentions « U.N. » (inconnu) qui parsèment trop souvent notre liste informatisée, les données connues nous suffisent pour analyser la personnalité et le caractère socioprofessionnel de ces dirigeants qui bâtirent la Fédération.

A. Le Profil des Cadres P.G.

34Qui est donc cet ancien P.G. qui accède aux postes de commande de son groupe, qu’ils soient nationaux ou seulement locaux ?

35Il s’agit, tout d’abord, d’un homme relativement jeune, ayant déjà accumulé une grande expérience de la vie et ayant acquis une maturité certaine mais dont la carrière professionnelle est encore devant lui. Ayant, en moyenne, à peine 30 ans quand on le mobilisa en 1939, il en a 36 quand se termine la guerre. Cette jeunesse et les forces qu’elle lui procure lui sont indispensables pour mener parallèlement à bien une vie familiale qu’il ne fait souvent qu’entamer, une vie professionnelle qui l’accapare et qu’il veut à tout prix réussir, tout en militant au sein de la Fédération ou de l’Association qu’il dirige.

36Le cadre P.G. est un officier ou, du moins, un gradé. Sur 95 hommes dont le grade nous est connu, 35 (37 %) portèrent les épaulettes d’officier (surtout lieutenants ou capitaines), 42 (44 %) furent des sous-officiers et seulement 16 (17 %) des hommes de troupe.

37A première vue, rien de plus normal dans le fait qu’un groupe se choisisse comme dirigeants des hommes ayant une certaine habitude du commandement ainsi qu’une expérience de l’organisation. Ceci explique, sans doute, la présence de tant de sous-officiers parmi les dirigeants. Pourtant, l’élection d’un si grand nombre d’officiers étonne quand on sait qu’ils étaient souvent issus de couches sociales différentes de celles auxquelles appartenaient les hommes de troupe et qu’ils gardaient, par tradition, leurs distances envers leurs subalternes. De plus, enfermés dans des Oflags, ils avaient connu une captivité d’un caractère tout différent de celle subie par les sous-officiers et les hommes de troupe dans leurs stalags et commandos.

38Le phénomène s’explique peut-être par le fait que la F.N.P.G. ne fut pas une association de Prisonniers mais bien d’Anciens Prisonniers de Guerre. Or, il semble que quelle que fut la captivité, les problèmes essentiels suscités par le retour et la réintégration des P.G. libérés – raison d’être de l’Organisation – étaient les mêmes pour tous. Dans ce cas, rien d’exceptionnel dans le fait que la société des anciens P.G. fit appel aux hommes les mieux qualifiés, les plus expérimentés, les plus instruits et représentatifs pour tenir la barre de ses associations.

39La majorité des cadres qui dirigèrent la Fédération et ses Associations, pendant les premières années de son existence, rentrèrent en France bien avant la fin de la guerre. Sur 100 d’entre eux dont la date du retour nous est connue, seulement 44 furent libérés en 1945. Pouvait-il en être autrement ? Seuls les rapatriés d’avant 1944 étaient là pour créer les infrastructures, s’occupant en France des P.G. et de leurs familles, préparant l’accueil des camarades détenus en Allemagne jusqu’à la fin de la guerre. A l’heure du grand retour, les rentrants les trouvèrent déjà aux postes de commande, aguerris et expérimentés. Fort heureux de rencontrer des hommes prêts à s’occuper d’eux, se pencher sur leurs problèmes, leur marquer de la sollicitude, endossant la responsabilité de la représentation du groupe, ils ne tentèrent nullement, au début, de remettre en question le « leadership » des cadres qui tenaient les rênes de leurs Associations.

40Il semble d’ailleurs que les rapatriés d’avant 1944 étaient, à l’origine, bien plus conscients du besoin de rééquilibrer la représentativité des dirigeants de l’organisation que les P.G. libérés en 1945. Déjà au moins d’août 1945, le Comité National décida de coopter 6 nouveaux rapatriés. L’un d’entre eux, Jean Bertin, fut même élu, à ce moment, Président de l’Organisation, remplaçant à ce poste Louis Devaux dont la vie professionnelle exigeait l’abandon de ses responsabilités à la tête de la F.N.P.G.18.

41Notons au passage la grande proportion d’évadés parmi les cadres prisonniers, rentrés au pays avant la fin de 1944. Sur 56 dirigeants revenus en France, au cours de cette période, 15 s’étaient évadés de leur camp. Cette proportion surprend quand on sait que les évadés ne représentaient que 11 % du total des P.G. rapatriés avant la Victoire. Peut-être les traits de caractère qui poussèrent ces hommes à refuser de subir leur sort et leur permirent de réussir leur évasion les rendaient-ils plus aptes à s’imposer à leurs camarades ? Il est du moins certain que le prestige émanant de leur action leur octroyait un certain ascendant sur leur milieu.

42Le fait qu’au moins 10 de ces évadés aient rejoint ensuite la résistance P.G. en dit certainement long sur leur état d’esprit.

43Nous sommes persuadés du fait que la grande majorité des dirigeants de la Fédération, rapatriés avant 1945, et, en particulier, les cadres fondateurs des Associations Départementales, assumèrent auparavant des responsabilités dans les C.E.A. ou au M.N.P.G.D. Cet état de choses est flagrant. La grande majorité des A.D. fut constituée avant le début du rapatriement des P.G. d’Allemagne19. Leurs fondateurs et leurs premiers cadres devaient donc être, à ce moment, sur place, ayant déjà accumulé des activités au sein du groupe P.G. et un certain prestige indispensable à leur élection.

44La carrière de militant de M. Pierre Verrier est de ce point de vue exemplaire. Rapatrié en juin 1941, il entame, dès l’hiver 1942, dans sa localité, des activités en faveur des camarades restés dans les camps ainsi que de leurs familles. Au printemps de cette année, il participe à la fondation du C.E.A. d’Enghien dont il devient, dès l’été, le responsable – fonction qu’il gardera jusqu’à la Libération. Les C.E.A. se dotant alors d’une structure nationale. P. Verrier est élu Secrétaire Général des C.E.A. de la Seine-et-Oise. Il préservera le même poste à l’Association Départementale de la F.N.P.G., créée dans son département, au début de 1945, par suite de la fusion des C.E.A. avec le M.N.P.G.D. ; il participera comme délégué au Congrès Constitutif de la Fédération20.

45Bien d’autres responsables élus Présidents, Vice-Présidents et Secrétaires de leur A.D. en 1945 et, parfois même, 1944 (sic !) ont, d’après nous, milité auparavant aux C.E.A. et, pour une minorité, au M.N.P.G.D. Hélas ! Ces renseignements n’étant pas recensés par le questionnaire, nous ne pouvons le prouver avec certitude.

46Sur 56 dirigeants rapatriés avant le débarquement, 17 ont milité aux C.E.A., 10 furent membres du M.N.P.G.D. et 10 eurent des responsabilités dans les deux organisations à la fois. Nous ne savons rien de l’origine de l’action en faveur des P.G. de 19 autres, ce qui, répétons-le encore, ne veut nullement dire qu’ils n’en eurent pas.

B. Origines Socio-PRofessionnelles

47L’analyse de l’origine socio-professionnelle de notre échantillon de responsables P.G. démontre que les « indépendants » et les personnes exerçant des « professions libérales » (avocats, architectes, docteurs, commerçants, notaires, etc...) fournissaient près de 40 % de l’encadrement de la Fédération et de ses associations. Les « employés de la fonction publique » (enseignants inclus) constituaient le deuxième groupe au sein duquel l’Organisation recruta ses responsables (+ 25 %). Les « employés et les cadres du privé » ne représentaient que ± 15 % des dirigeants de la F.N.P.G., suivis par les « travailleurs manuels » (± 10 %) et les « agriculteurs » dont la proportion baisse jusqu’à 2 % en 1950.

48Deux métiers surtout furent largement sur-représentés. Il s’agit des enseignants (instituteurs et professeurs) et des professions juridiques (avocats, avoués et notaires) qui fournirent chacun près de 15 % des cadres nationaux et locaux.

49Notre échantillon tend probablement à exagérer quelque peu la représentation des « indépendants » et des « professions libérales ». En effet, sur les 104 dirigeants recensés, 31 furent membres du Bureau Fédéral – instance suprême de l’Organisation – et beaucoup d’autres siégèrent, un certain temps, au Comité Fédéral. Cet état de fait entraîne évidemment une certaine sous-représentation des couches inférieures des dirigeants locaux.

50Heureusement, nous disposons, sur ce plan, d’une source d’informations complémentaires. En effet, les « Commissions des Mandats » des congrès fédéraux comptabilisèrent systématiquement la composition socio-professionnelle des délégués dont les mandats avaient été validés, publiant par la suite leurs données. Nous possédons de ce fait des renseignements fiables, portant sur plusieurs centaines de cadres locaux recensés pendant quelques années consécutives. Ces statistiques rendent possible un examen plus approfondi de l’appartenance sociale des cadres d’A.D., permettant en même temps de suivre leur évolution dans le temps21.

51Parmi les dirigeants des A.D. choisis pour représenter leur association aux congrès fédéraux, on ne trouve que très peu de travailleurs manuels et leur nombre décroît chaque année. Agriculteurs, artisans, mineurs, ouvriers, viticulteurs ne furent jamais très nombreux parmi les cadres des A.D. Mais en 1950, au Congrès d’Aix-les-Bains, leur représentation est simplement dérisoire. Le pourcentage des employés diminue considérablement au fil des années, créant un état de sous-représentation certaine. Curieusement, la représentation des commerçants et de représentants de commerce, bien que loin d’être négligeable, est moins importante que nous n’aurions pu le supposer et tend à décroître. De l’autre côté de l’échelle sociale, les industriels et les directeurs d’usines désertent peu à peu les Comités Directeurs des Associations.

52Il existe plusieurs possibilités de regroupement des professions recensées par la table 7. Aucune ne nous satisfait entièrement. Toutefois, les conclusions suggérées par les tentatives des tables 8 et 9 sont similaires. Selon la table 8, la F.N.P.G. fut dirigée surtout par des hommes exerçant des professions libérales et des indépendants ainsi que des employés de la fonction publique. Ces catégories regroupent à elles seules près de 2/3 de délégués aux congrès. A croire la table 9, la direction de l’Organisation se trouvait surtout aux mains des cadres supérieurs et professions libérales, des cadres moyens et des indépendants. La différence n’est donc pas bien grande. Avocats, médecins, cadres de sociétés et de banques, enseignants, fonctionnaires, commerçants, tels étaient surtout les dirigeants que les A.D. avaient trouvés dignes de les représenter aux Congrès Fédéraux.

53Si l’on veut bien prendre en compte les changements profonds que connut la société française pendant le quart de siècle qui sépare la génération d’Anciens Combattants à laquelle appartiennent les A.P.G. de celle de leurs pères, nos conclusions ne semblent pas fort différentes de celles auxquelles aboutit notre Directeur de thèse dans le cadre de ses recherches exhaustives consacrées aux A.C. de 1914-1822. Nous retrouvons devant nous un mouvement encadré par les classes moyennes qui ont connu entre-temps un essor considérable. De nouveau, parmi ses dirigeants : peu d’industriels, de grandes fortunes, de grands bourgeois ou de propriétaires fonciers. Par contre, beaucoup de personnes issues de couches relativement modestes qui travaillèrent dur pour assumer leur promotion dans une société où s’accroît la mobilité sociale.

54Les responsabilités endossées au sein de la Fédération font probablement partie de cette ascension vers la notabilité. Elles confirment un prestige, un rang, un titre, le droit d’interpeller les autorités locales et de prendre la parole. Par la suite, elles débouchent plus d’une fois sur des fonctions électives dans les communes et les municipalités. Ainsi le départ d’ouvriers, d’artisans et d’agriculteurs, et leur remplacement par des avocats, des notaires et des fonctionnaires balisent la voie d’une organisation prise en mains par les petits notables locaux.

55Les éléments radicaux au sein de la Fédération ne se trompèrent guère sur l’impact inévitable d’une telle tendance. Ainsi, ils lancèrent incessamment des appels exigeant un encadrement plus représentatif de la base23.

TABLE 8 Répartition Socio-Professionnelle des Délégués aux Congrès Nationaux Tentative de Regroupement I

TABLE 9 Répartition Socio-Professionnelle des Délégués aux Congrès Nationaux Tentative de Regroupement II

C. Les Dirigeants Nationaux

56Si nous avons dû analyser le profil de l’ensemble des cadres de la F.N.P.G. à partir d’un échantillon aléatoire, nous possédons, par contre, des renseignements concernant 31 des 33 dirigeants qui siégèrent, entre 1945 et 1952, au Bureau Fédéral.

57Or, l’étude des hommes qui constituaient cet organe est d’une, importance primordiale. Le Bureau était, en effet, l’instance permanenté dirigeant la Fédération. Les premiers congrès ayant élargi ses pouvoirs, il avait non seulement le devoir d’appliquer la stratégie fixée par le Comité National mais aussi, fatalement, de l’interpréter, prenant parfois, de ce fait, des décisions cardinales. De plus, le Bureau dirigeait l’appareil permanent de la Fédération, disposait de toute l’information existante, maintenait des contacts permanents avec les administrations et autres organes dont les activités intéressaient la Fédération, assumant la représentation de l’Association25.

58Il est donc évident que les hommes qui siégeaient au Bureau eurent un impact personnel sur l’évolution de l’Organisation, bien plus que n’importe quels autres cadres de la Fédération.

59A notre étonnement, il s’avère que les membres du Bureau furent, en moyenne, presque de deux ans plusjeunes que l’ensemble des responsables qui dirigèrent la F.N.P.G. et ses associations. Ces hommes avaient 28 ans lors de leur mobilisation et 33 à peine quand s’acheva la guerre. Ils n’avaient que rarement eu l’occasion d’entamer une véritable carrière et la captivité et ses suites constituaient le grand fait de leur vie. La majorité d’entre eux fonda une famille seulement après la fin des hostilités. C’était donc des hommes jeunes et libres, particulièrement dynamiques et doués, dotés d’une forte personnalité et de qualités oratoires. Ils jouissaient au sein de l’Organisation d’un grand prestige, nécessaire pour se faire élire par un congrès au Comité, puis par ce Comité au Bureau.

60Curieusement, les officiers y furent moins nombreux que dans l’ensemble des cadres P.G. (25 % seulement), alors qu’un peu plus d’un tiers avait porté un grade de sous-officier. Les hommes de troupe y représentaient quelque 30 %.

6180 % étaient rentrés en France avant la fin de la guerre, ce qui leur avait octroyé l’occasion d’entamer très tôt des activités au sein des rapatriés ou de rejoindre la Résistance, de s’y faire connaître et de se distinguer aux yeux du groupe.

62Sur 35 personnes qui siégèrent pendant les 7 premières années au Bureau Fédéral, nous ne savons pas si 6 exercèrent des responsabilités P.G. dans les camps ou dans les organisations de rapatriés de la France occupée (ce qui est fort probable). Pour les autres, 6 avaient entamé leurs activités P.G. dans les camps, 2 avaient servi au Commissariat et milité dans les Centres d’Entraide et 3 autres avaient exercé des fonctions au Commissariat, dans les C.E.A. et au M.N.P.G.D. à la fois. 6 n’étaient passés que par les C.E.A., 5 par le M.N.P.G.D. et 6 furent cadres de ces deux mouvements à la fois. Résumant cette énumération, quelque peu dépourvue de clarté, nous obtenons le tableau suivant :

63Près de 80 % des membres du Bureau avaient donc assumé des responsabilités P.G. bien avant la constitution de la Fédération. Il en est probablement de même pour au moins la moitié des autres. 50 % d’entre eux furent cadres des C.E.A. et un tiers appartint à la Résistance P.G. Mais il est très important d’insister sur le fait que près de la moitié de ces hommes avaient milité dans plusieurs organisations à la fois, amortissant, de ce fait, au sein de l’instance suprême, les frictions et les heurts entre les anciennes composantes de la nouvelle fédération.

64Les cadres supérieurs de l’industrie et des entreprises commerciales forment au Bureau le plus grand groupe social (33 %), suivis de près par les professions libérales (30 %), et les cadres supérieurs de la Fonction publique (23 %). Les enseignants, par contre, n’y ont qu’un seul représentant (3 %). Il s’avère donc que les hommes siégeant au Bureau appartiennent aux mêmes couches sociales que la grande majorité des cadres de l’Organisation. Cependant, l’importance numérique des groupes a été changée. Les cadres supérieurs du privé y sont beaucoup plus nombreux, tandis que les cadres supérieurs de la Fonction publique fournissent maintenant un quart de l’encadrement supérieur.

65On serait tenté de conclure que la Fédération recrutait les cadres des S.L. et des A.D. aussi bien dans la petite bourgeoisie que dans la bourgeoisie, tandis qu’elle faisait appel surtout à cette dernière couche afin de lui fournir l’encadrement national. La réalité est loin d’être aussi simple. En effet, les données sur lesquelles nous basons notre analyse ne reflètent souvent que l’aboutissement de carrières professionnelles postérieures au passage de ces hommes à l’échelon suprême de la Fédération. Elles constituent le fruit d’une ascension sociale dont les responsabilités, endossées à la direction de la F.N.P.G., représentent souvent un échelon-clé.

66Le grand impact qu’eut le catholicisme sur l’Organisation est plus voyant ici qu’ailleurs. Au moins 40 % des membres du Bureau de cette époque sont considérés par leurs anciens collègues comme catholiques pratiquants. Leur nombre réel fut indiscutablement plus important26. De plus, il s’agit de personnes ayant détenu des postes-clés comme les trois premiers Présidents de l’association, et deux de ses quatres Secrétaires Généraux, ou bien d’hommes ayant exercé une grande influence personnelle, tel le trésorier fédéral L. de Tinguy du Pouët. Inspirés, en général, par une foi renforcée de fortes convictions sociales, ces hommes imprégnèrent de leurs conceptions l’Organisation qu’ils dirigeaient, prolongeant d’une certaine façon, au sein de la Fédération, l’importance qu’eut la vie religieuse dans les camps27.

67La possession de renseignements concernant la personnalité des hommes qui siégèrent au Bureau Fédéral et la connaissance de sa composition, entre 1945 et 1952, nous permettent de suivre l’évolution que connut cette instance et les relèves qui y eurent lieu.

68Le bureau élu par le Congrès Constitutif (4-1945) était composé, à l’origine, de 11 membres rapatriés, évidemment, avant 1944. Tous avaient exercé des responsabilités dans les organisations qui avaient donné naissance à la Fédération. Six d’entre eux appartenaient directement à ce groupe d’anciens cadres du Commissariat qui, ayant évolué à travers les C.E.A. vers la Résistance P.G., formaient le noyau autour duquel s’était cristallisée la Fédération.

69Déjà au Premier Congrès (9-1945), la direction changea de mains. Le Président et le Secrétaire Général fondateurs quittèrent leur poste, estimant avoir accompli leur mission, persuadés de la nécessité de céder la place à d’autres. Toutefois, leurs remplaçants étaient encore issus du même groupe28.

70La vraie relève s’effectua au Congrès de Clermont-Ferrand (11-1946). Seulement 2 des 9 membres du Bureau, élu cette année-là, avaient siégé auparavant au sein de cet organe. Les rapatriés de 1945 n’y détenaient encore que deux sièges (dont celui de Président) et les anciens cadres des C.E.A. ou du M.N.P.G.D. occupaient toujours la moitié des places – tendance qui persista par la suite. Cependant, il s’agissait d’hommes nouveaux ayant exercé dans le passé des responsabilités locales qui accédaient à présent à la direction nationale de leur Organisation.

71A partir de 1948 il ne reste au Bureau qu’un seul membre de l’équipe des fondateurs – P. Bugeaud – qui en fut exclu en 1950, au Congrès d’Aix-les-Bains.

72A l’origine, le Bureau connut des changements fréquents et radicaux des hommes qui en faisaient partie. Les 2/3 de ses membres furent remplacés en novembre 1945, les 3/4 en 1946 et presque la moitié en 1948. Ce dynamisme disparut peu à peu et, pendant les 4 années suivantes, 2 nouveaux membres seulement y entrèrent à chaque congrès. Il en fut de même en ce qui concerne les postes principaux. Les premiers Présidents Fédéraux (L. Devaux, J. Bertin) et les premiers Secrétaires (J. Védrine, Ph. Amaré) quittèrent leurs postes au bout d’un an. L’équipe Lepeltier-Perrin se maintint, à la satisfaction de tous, durant cinq années consécutives. P. Cuisinier conserva, par contre, le poste de Président pendant les 17 années suivantes. Quatre Présidents, entre 1945 et 1951, un Président de 1952 à 1969 ; peut-il y avoir meilleure illustration du fait qu’un mouvement se fige ?

D. La relève

73Fondée et dirigée par les Anciens Prisonniers rentrés de captivité pendant la guerre, la F.N.P.G. passe progressivement aux mains de cadres rapatriés après la fin des hostilités. Le processus est lent, progressif et l’intégration des deux groupes se fait sans grands heurts. Les dirigeants fondateurs garderont souvent assez longtemps la barre de leur Association, passant la main une fois fatigués, promus ou appelés à d’autres responsabilités.

74A l’origine, la volonté d’associer les nouveaux rapatriés à la direction du mouvement vient surtout de la part des responsables en place, soucieux de rééquilibrer la représentativité des Comités Directeurs de leurs Associations. Plusieurs rapatriés sont ainsi cooptés au Comité Fédéral et Jean Bertin désigné même comme Président de la Fédération. Toutefois, ces nominations sont aussi une opération de relations publiques, tentant de rehausser le prestige des cadres fédéraux, accréditant une thèse chère aux P.G.

75En effet, parmi les six hommes cooptés, trois sont des anciens rapatriés qui, s’étant engagés dans la Résistance P.G., furent arrêtés par la Gestapo et déportés vers des camps de concentration. Un quatrième fut un homme de confiance – organisateur du mouvement de Résistance de son bloc29. Quant à J. Bertin, personnage héroïque et prestigieux, il s’agit d’un homme qui, engagé volontairement dans l’infanterie, reçut déjà plusieurs citations pendant les combats de 1940. Evadé en mars 1941 de son Stalag, il s’engagea dans la Résistance à Nancy avant de rejoindre le R.N.P.G. Il devint un permanent de ce mouvement et le correspondant de la F.A.C.E.A. pour la zone nord. Arrêté par la Gestapo et déporté à Buchenwald, il venait de rentrer, profondément éprouvé dans sa santé. Cet homme qui « marquait en sa personne l’honneur du M.N.P.G.D. clandestin (et) l’honneur des C.E.A. dans la résistance officielle et officieuse », était le symbole vivant de l’unité des deux composantes de la F.N.P.G. et la figure de proue idéale en cette époque30. Prisonnier évadé, ayant repris les armes, payé de sa personne et connu une deuxième déportation, encore plus terrible que la captivité ; pouvait-il y avoir meilleur Président pour un groupe luttant pour sa réhabilitation ?

76Nous n’avons cependant aucune raison de douter de la sincérité des cadres d’association de Prisonniers aspirant à remettre les organisations qu’ils ont fondées aux mains de rentrants. En ces jours de printemps 1945, où un convoi de P.G. rapatriés en suit un autre, les propos tenus par les dirigeants fondateurs reflètent incontestablement le sentiment de non-représentativité qui anime la « vieille équipe ». Le Président. L. Devaux, annonce déjà dans une allocution radiophonique, adressée aux rapatriés, ce désir de passer la main : « Dès que vous serez tous rentrés, et cela sera très bientôt, des élections générales auront lieu dans les Associations et à la Fédération pour que toutes les équipes de camarades qui ont assumé jusqu’à présent les tâches de direction de vos Associations puissent vous les (transmettre) et en confier la direction générale à ceux de vos camarades, tout récemment rentrés de camps que vous aurez désignés »31.

77Le même thème apparaît dans les propos des dirigeants locaux et se retrouve dans les journaux des A.D. Partout, les « anciens » semblent aspirer à une relève, vouloir passer les commandes ; estimant terminer, avec le retour, la tâche qu’ils s’étaient assignée32.

78L’exemple du Comité Fédéral est suivi par des nombreuses Associations qui font entrer aussitôt les rapatriés dans leurs comités directeurs, tandis que les journaux des A.D. appellent les rentrants à s’engager à leur tour dans l’action, acceptant des responsabilités. La réalisation de ce vœu crée, toutefois, dans quelques associations des problèmes33. D’ailleurs, les prisonniers rentrant d’Allemagne ont, en général, des tâches plus urgentes que celle-là et ne sont guère portés à briguer des postes détenus par les fondateurs. Comment donc s’étonner du fait que sur les 429 délégués élus au Premier Congrès de la F.N.P.G., dont la date du retour nous est connue, seulement 175 furent rapatriés en 1945 (40 %). Malgré les vives critiques que cet état de choses éveilla à l’époque, trois mois après la fin du rapatriement, c’était pourtant déjà un signe précurseur du succès de l’intégration de rapatriés à la direction de la Fédération et de ses Associations34.

79L’intégration des rapatriés de 1945 fut d’autant plus facile que les cadres détenant les fonctions cardinales n’avaient aucune intention de s’agripper à leur poste. Au contraire, il semble qu’au début, le principe d’une relève fréquente de dirigeants, destinée à éviter l’éclosion d’une couche de cadres professionnels, était une des conceptions faisant l’unanimité parmi la grande majorité des responsables fédéraux. J. Cornuau qui refusa de représenter en octobre 1945 sa candidature à la présidence de l’A.D. de la Seine et du Bureau Fédéral exprima clairement cette idée dans son message d’adieu. Selon lui, les fondateurs devaient donner l’exemple, « passant le flambeau » à des prisonniers récemment rapatriés d’Allemagne « afin qu’ils puissent y apporter non seulement un sang nouveau mais aussi le véritable esprit de camp ». Ce changement était justifié et nécessaire afin d’empêcher une permanence et une continuité de direction, risquant d’aboutir à un certain fonctionnarisme35.

80Un autre Vice-Président fédéral – F. Mitterrand – qui refusa de représenter au 1" Congrès de la F.N.P.G. sa candidature au Bureau Fédéral, appréhendait, semble-t-il, ce même danger : ... « On doit redouter de voir la Fédération et les Associations dirigées par ces professionnels maniaques de la chose « prisonnier » (ce type n’est pas rare parmi les Anciens Combattants) et que nous retrouverons pareils à eux-mêmes dans vingt-cinq ans, toujours hargneux, jaloux de leur spécialité, toujours à l’affût du mécontentement et pourtant toujours prêts aux compromissions minuscules qui feront d’eux un président, un trésorier, un secrétaire perpétuel, un personnage considéré, admis de droit à la tête des défilés du 14 juillet »36.

81Cette peur du fonctionnarisme, du professionnalisme de la cause prisonnier et de la possibilité d’une coupure entre des dirigeants sourds aux critiques et leur base, reparaît dans les allocutions et les articles d’adieu de J. Bertin et de Ph. Amaré, quittant en novembre 1946, au bout d’un an, leur fonction à la tête de la Fédération. Les mêmes arguments se retrouvent dans l’article par lequel G. Lepeltier explique, un an plus tard, aux membres de l’A.D. du Calvados les raisons qui l’obligent de démissionner de son poste de Président de cette association37.

82Cet état d’esprit explique incontestablement les changements fréquents de membres du Bureau Fédéral, intervenus pendant les premières années de l’existence de l’Organisation.

83Dans les A.D., le processus de changement de direction fut beaucoup plus lent et progressif. Il est intéressant de constater que les Présidents fondateurs de certaines associations détenaient encore le même poste au début des années soixante-dix. Par contre, une poignée de P.G. rapatriés en 1945 furent élus immédiatement comme présidents de leurs A.D. Il semble toutefois que l’étape essentielle de la relève des fondateurs eut heu seulement au début des années cinquante. Un grand nombre de P.G. rapatriés, après la fin des hostilités, dont nous possédons le questionnaire accède, en effet, à cette époque, aux postes de Secrétaires Généraux, de Vice-Présidents et de Présidents des Associations Départementales.

84L’analyse de ces questionnaires démontre qu’à partir du début des années cinquante, la direction des Associations se fige. Les changements de responsables deviennent de moins en moins fréquents et l’on détient le même poste de longues années ; certains dirigeants n’étant remplacés qu’après avoir quitté ce monde.

E. L’Encadrement F.N.P.G. – Tremplin D’Ascension Sociale

85Les responsabilités exercées par les cadres nationaux de la Fédération constituent souvent une étape essentielle de leur carrière, débouchant sur une ascension professionnelle rapide. Ne nous trompons surtout pas sur le sens de ces mots. Les cadres P.G. n’acceptent certainement pas des postes de direction au sein du groupe afin de s’assurer une promotion personnelle ou des débouchés professionnels. Cependant, la gestion d’une Association regroupant près d’un million de membres, représentée dans toute la France, permet aux hommes qui endossent les responsabilités de faire leurs preuves, de nouer des relations précieuses, accumulant une expérience hors pair.

86Quelle autre fonction attribuerait, en effet, la direction d’un mouvement si vaste, exigeant une coordination entre des échelons établis dans tous les départements, l’administration d’un appareil permanent et la gestion de budgets fort importants ? Où un cadre pourrait-il organiser des manifestations de masses, haranguer des foules, présider aux débats des congrès, manœuvrant dans leurs coulisses ? Quel autre poste lui permettrait-il d’avoir des contacts avec des parlementaires, dialoguer avec des Ministres ou être reçu par des Présidents du Conseil ?

87Rien d’étonnant, dans ce cas, si les hommes qui se firent remarquer à la tête de l’Organisation furent rapidement promus par la suite à des postes importants requérant le dynamisme, les qualités et l’efficacité dont ils venaient de faire preuve.

88Le « cursus honorum » d’un cadre supérieur de la F.N.P.G. débute, en général, dans un milieu modeste ne pouvant assurer que des études partielles et l’espoir d’une carrière effacée ne réservant aucune surprise. Paradoxalement, la captivité procure à ces hommes la grande chance de leur vie, leur octroyant la possibilité de faire leurs preuves, de se distinguer, d’acquérir une place. Les responsabilités P.G. qu’ils endossent les propulsent sur l’avant-scène. Sélectionnés par l’action, ayant acquis la confiance du milieu, la voie vers les échelons supérieurs de la F.N.P.G. leur est ouverte. S’étant faits apprécier à ces postes, ils n’auront aucune difficulté à se convertir en cadres supérieurs du privé, à entreprendre une ascension rapide dans l’administration publique, parfois à entamer une carrière politique.

89Si la carrière de F. Mitterrand et de L. de Tinguy du Pouët n’est pas totalement conforme à ce modèle, il est incontestable que leurs activités au Bureau de la F.N.P.G. constituent l’échelon initial de leur carrière politique. De Tinguy du Pouët reconnut d’ailleurs volontiers ce fait à l’époque où il devint Secrétaire d’Etat aux Finances, rappelant aux congressistes, rassemblés à Aix-les-Bains, que c’est à la Fédération qu’il « fit ses classes ». A l’en croire, il n’était pas le seul38.

90Nos sources ne nous permettent pas d’affirmer que le même phénomène d’ascension caractérisait aussi les carrières des dirigeants des Associations Départementales. Les responsables locaux possédaient déjà souvent un certain statut social. Il est donc probable que leurs fonctions à la tête des A.D. leur octroyèrent surtout une audience, un rang officiel, une notoriété et un prestige certains dans leur localité. Ce capital fut souvent converti, par la suite, pour conquérir des fonctions électives – rien de surprenant, dans ce cas, si plus tard les cadres de certaines A.D. se retrouvèrent Conseillers ou Maires39.

91Nous soupçonnons aussi quelque peu le fait que tous les membres de professions libérales qui portèrent des responsabilités dans le cadre des A.D. et des grandes sections locales n’étaient pas totalement insensibles à l’aspect « relations publiques » émanant de telles activités. N’oublions pas qu’il s’agissait surtout d’hommes jeunes, débutant ou reprenant leur activité professionnelle.

92N’exagérons toutefois point cet aspect. On venait militer à la Fédération au nom d’un idéal et non pour se faire une situation. On n’hésitait peut-être pas de joindre à la mission endossée un côté utile et agréable. Mais rien ne permet de penser qu’on tendait à renverser ces rôles.

TABLE 10 Ascension Sociale - Membres du Bureau

3. LA F.N.P. G. ET LA POLITIQUE OU LE DÉBAT SUR « L’ORIENTATION »

93Les Prisonniers de Guerre français furent bercés, tout au long des années interminables de leur captivité, par la foi dans le rôle qui leur serait réservé, après leur retour en France. Cette aspiration classique et quasi-instinctive de toute génération d’Anciens Combattants refusant de concevoir ses souffrances et son sacrifice comme un acte vain et gratuit fut soigneusement cultivée par la propagande officielle de Vichy : « On avait promis aux P.G. en exil une place importante dans la vie française40. » Comment donc s’étonner de l’empressement dont ils firent preuve à leur retour pour l’occuper ?

94Le désir d’une action cohérente des P.G. au sein de la société française avait provoqué dans le groupe une telle impatience que le Comité Fédéral dut définir les grandes lignes de « l’Orientation » de l’Organisation, de façon hâtive, en pleine période de rapatriement, sans attendre la convocation d’un congrès national. L’approche des élections à l’Assemblée Constituante exigeait, en effet, une prise de position immédiate et impérative par rapport aux pressions d’un certain courant souhaitant la participation directe de l’Organisation à la vie politique. Réuni du 4 au 6 août 1945, le Comité vota, à l’issue d’une longue discussion, un texte de résolution qui allait devenir « la Charte du 8 août » – pierre angulaire de l’orientation fédérale.

95Rédigée dans un langage où l’on retrouve encore une certaine empreinte de la terminologie et du moralisme de la « révolution nationale », la résolution déclarait les P.G. décidés à contribuer puissamment au relèvement moral de la France. Leur réussite serait assurée par l’expérience acquise dans les camps et par la conversion de leurs associations en « centres de ferveur » qui rayonneront dans leur vie publique et privée.

96« Les prisonniers – prônait la résolution – ne constituent pas une catégorie spéciale de la Nation... et ils entendent surtout apporter la force de leur unité au redressement du pays. »

97Ayant condamné le passé et accusé le régime, la classe politique et les chefs militaires d’avant-guerre, de la responsabilité de la défaite, tirant les conclusions des enseignements de la captivité, la Charte concluait comme suit :

98A – Organisation de la Paix : pour éviter le retour de la guerre et de la débâcle, les P.G. demandent « le châtiment des responsables de la défaite, la sécurité collective dans le maintien de l’indépendance nationale, une information rapide et honnête par une presse libre et indépendante, un statut international du Prisonnier de Guerre et la responsabilité personnelle de tous les hauts fonctionnaires des Affaires étrangères ».

99B – Forme de l’Etat : pour éviter les erreurs passées, les prisonniers préconisent « un gouvernement fort, stable et responsable qui soit l’émanation de la Nation ainsi que l’obligation de fidélité des élus à leur programme ».

100C – Conditions de Vie : pour empêcher le renouvellement des situations déplorées d’avant-guerre, ils exigent le respect de la personne humaine, des libertés et des conditions de vie suffisantes assurées à tous pour permettre l’épanouissement de la personnalité.

101D – Reconstruction du Pays : ayant pris connaissance de la situation du pays, ils demandent : la nécessité de faciliter le développement d’un idéal individuel qui inspire l’action de chacun dans l’intérêt général, l’accroissement de la production, l’organisation rationnelle de l’économie en subordonnant les intérêts particuliers à l’intérêt général, l’élimination du marché noir par l’amélioration de la production, le souci constant de la formation de la jeunesse, une politique du peuplement et de la protection de la famille, le maintien du prestige et de l’influence de la France dans tous les pays de l’Empire.

102Le Comité Fédéral insistait dans sa résolution sur le fait que la Fédération avait été constituée pour la défense des intérêts moraux et matériels de tous les Prisonniers de Guerre. Le maintien de l’unité entre les P.G. était une condition essentielle de sa réussite dans ce domaine où il restait tant à faire. Le Comité estimait donc que la Fédération et les Associations devaient éviter toute attitude qui pourrait les faire considérer comme des organismes politiques et ceci pour les raisons suivantes : « Les prisonniers, dans leur ensemble, ne doivent pas être séparés du reste de la Nation – La Fédération doit rester, conformément à ses statuts, au-dessus de tout particularisme car la captivité ne constitue pas une communauté d’intérêts économiques, ni un lien idéologique suffisant à une action politique. »

103Cependant, le Comité estimait que les P.G. ont le devoir impérieux de faire bénéficier la France de leur expérience acquise en captivité. Il préconisait donc l’intégration des prisonniers dans tous les domaines de la vie de la Nation afin de contribuer à son relèvement et à sa reconstruction. Il importait qu’ils participent activement à la vie économique, intellectuelle et politique du pays dans le cadre des partis ou organismes de leur choix pour la diffusion et l’application des principes définis par le Comité.

104En conséquence, il ne convenait pas que la F.N.P.G. participe aux élections nationales. Le Comité interdisait aux P.G. qui se présenteraient individuellement de faire état de leurs fonctions dans les organisations P.G. Par contre, il estimait qu’il était essentiel de faire connaître les positions de la Fédération et ses revendications à tous les candidats, en demandant leur accord préalable41.

105Malgré les termes volontairement si imprécis du texte, il s’agit là d’un document auquel la F.N.P.G. attacha désormais la plus grande importance. Il constitue, en effet, sa prise de position la plus nette sur le plan politique et l’énonciation des principes-clés de l’action future de la Fédération.

106Le texte vague et ambigu, rédigé en des termes si évasifs qu’il pût être adopté sans la moindre difficulté par les représentants de tous les partis prenant part aux élections, n’était que le reflet direct du caractère de l’Association42. Une Fédération Nationale de plus d’un million d’adhérents désirant préserver, à tout prix, son unité ne pouvait se permettre de clarifier davantage ses positions, préciser les moyens de matérialiser les grands principes énoncés et donner à ses membres des directives spécifiques quant à leur participation à la vie politique du pays. Le civisme P.G. restait donc la seule voie d’expression accessible à la Fédération et le seul thème où elle pouvait tenter de rassembler ses membres dans une action concrète.

107La décision du Comité Fédéral sur l’orientation ne fut d’ailleurs pas approuvée à l’unanimité par ses A.D. Une vingtaine d’entre elles protestèrent, demandant la convocation d’une réunion de Délégués Départementaux. Les Associations des Basses-Pyrénées, du Loiret, de la Seine-et-Marne et du Rhône transgressèrent même la discipline fédérale, adressant aux autres Associations des télégrammes ou des circulaires en opposition avec la circulaire du 8 août43.

108Le débat sur l’orientation fédérale se poursuivit jusqu’à la réunion du Premier Congrès Fédéral, le 15-11-1945. L’exposé ardent que Gabriel Chapotat y présenta au nom du Comité, lors de l’ouverture du débat consacré à ce sujet, prit de ce fait l’allure d’un véritable plaidoyer pro domo 44.

109Plusieurs délégués critiquèrent vivement l’aspect « nébuleux » de la résolution fédérale, le désordre de sa présentation et le flou de ses concepts, exigeant l’adhésion de l’Association à un document beaucoup plus précis : la Charte du Conseil National de la Résistance45. Le long débat qui s’ensuivit déboucha sur l’adoption d’une motion rédigée avec une certaine absence de modestie qui déclarait d’une façon détournée l’approbation du programme du C.N.R. :

« Le Congrès confrontant la Charte des Prisonniers de Guerre à celle du C.N.R. exprime sa joie de constater que par des voies séparées et dans des circonstances différentes, la résistance métropolitaine d’une part, les prisonniers de guerre d’autre part, soient parvenus aux mêmes conclusions sur les points essentiels... et ainsi achève de s’affirmer la jonction de toutes les forces vives de la nation quant aux grandes idées directrices de la reconstruction française46. »

110L’adoption de la Charte du 8 août par le Congrès Fédéral ne conclut pas ce débat et ne put mettre fin au désir de certains anciens prisonniers de faire participer leurs associations à la vie politique. Un début de prise de conscience de l’existence du danger d’un noyautage de la Fédération par une minorité habile et dynamique, brillamment encadrée, ne cachant guère son appartenance à un courant politique radical, donna à cette controverse une dimension nouvelle la dotant d’une importance accrue.

111Cadres et militants des Associations se rendirent progressivement compte du fait que les agissements de l’Association de la Seine épaulée par quelques A.D., de moindre importance, attribuaient à leur Organisation une étiquette politique qu’elle tenait tant à éviter. La F.N.P.G. reçut, en effet, aux yeux du public, l’image d’un Mouvement inféodé au Parti Communiste47. De ce fait, la lutte du P. C. contre Frenay, par l’intermédiaire d’organisations de P.G., avait provoqué chez les cadres nationaux possédant déjà une certaine expérience politique un sentiment de danger et d’urgence.

112A la fin de 1945, on pouvait déjà trouver dans une brochure puliée par F. Mitterrand le passage suivant :

« Il n’y a pas eu de politique de la Fédération. Ou plutôt il y en eut plusieurs... ; il y eut aussi celles que certains de ses membres ont sourdement préparées. Je yeux dire par là qu’au sein de notre organisation, secrètement, des opérations ont été montées afin que les prisonniers de guerre soient un jour, par surprise et avec leur apparent consentement, soumis à des mots d’ordre extérieurs... Dès que la Fédération sera considérée comme un MOYEN et les prisonniers de guerre comme des instruments utiles à une politique partisane, l’unité sera rompue, l’efficacité disparaîtra. Nos revendications ne seront plus qu’un moyen de chantage. Nos manifestations de masse qu’un camouflage tendancieux. Or, à quoi bon se dissimuler que ce risque existe ? Le Congrès de la Seine ne démontre pas le contraire...48. »

113Ce ressentiment se mua lors du premier congrès de la F.N.P.G. en un climat de méfiance, presque d’hostilité envers la délégation de la Seine que beaucoup de congressistes trouvaient trop nombreuse. Certains délégués parlèrent même à la tribune d’un « conflit larvé » opposant la Seine à la province. Les accusations personnelles portées par l’association parisienne à l’encontre de L. Devaux (Président fondateur de la F.N.P.G.) et L. de Tinguy du Pouët (Trésorier fédéral) et leur implication ne firent qu’aggraver l’animosité que nourrissait la majorité des délégations envers l’A.D. de la capitale49.

114Les dirigeants fédéraux commencèrent à parler désormais de l’Organisation, non comme d’un corps monolithique mais comme d’un mouvement au sein duquel s’affrontaient une majorité et une minorité, tentant chacune d’occuper un maximum de place. Vu cet état d’esprit, il n’était que normal que des mesures de compression du personnel aboutissent à la fin de 1945 à la suppression du poste de permanent qu’occupait à la Fédération le Président de l’A.D. de la Seine, P. Bugeaud, et au licenciement de quelques autres cadres de son Association50.

115L’accès de Laurent Casanova au poste de Ministre d’Anciens Combattants et Victimes de Guerre (1-1946) ne fit qu’aggraver les craintes de la majorité, anxieuse d’éviter la soumission de l’Organisation à une influence extérieure. Les nominations de P. Bugeaud et de A. Tanneur, cadres de l’A.D. de la Seine et membres du Comité Fédéral (Bugeaud était aussi membre du Bureau) à des postes très influents des Services Prisonniers du Ministère de tutelle, n’était pas faite pour calmer, dans ce contexte, les esprits. Ces nominations actualisaient aussi le débat sur la question délicate du cumul de fonctions de dirigeant d’une A.D. ou de cadre fédéral avec celles d’un élu politique.

116La question avait déjà été soulevée lors du premier Congrès Fédéral. La majorité des délégués avait estimé alors qu’on ne pouvait pas interdire aux P.G. de participer à la vie publique. Une telle approche risquait de castrer la Fédération, chassant ses meilleurs éléments.

117Du point de vue pratique, l’Organisation ne devait d’ailleurs pas renoncer aux services que pouvaient lui rendre les camarades ayant des responsabilités dans les partis51.

118La nomination de Bugeaud et de Tanneur, l’élection de quelques dizaines d’anciens P.G., dont des membres du Comité Fédéral, à des postes de députés à l’Assemblée et l’accession de nombreux cadres et militants des Associations à des fonctions représentatives locales et régionales, rouvrirent ce débat52. Les consultations électorales de 1945-1946 ne permirent guère d’éluder le problème qui garda son actualité grâce aux agissements des partis. Ceux-ci, ayant pris connaissance de l’importance numérique du groupe des anciens Prisonniers de Guerre, tentèrent de courtiser cette clientèle, œuvrant en sa faveur et faisant à des rapatriés des places de choix sur leurs listes53.

119La réadaptation des prisonniers rapatriés à la France et leur réinsertion au sein de sa société engendrèrent dans le groupe un sentiment de déception et de désillusion. La Patrie ne leur avait pas réservé la place attendue, ils ne purent avoir l’influence désirée sur l’évolution du pays et la société nationale n’était guère réceptive au message qu’ils croyaient lui rapporter des camps54.

120Analysant en 1946 les causes de ce qui leur paraissait être un échec relatif de leur action, les cadres de l’organisation ne firent pas encore la part de rêve, de mythe et d’irréalisme que véhiculaient leurs aspirations, au rôle qu’ils croyaient dû aux P.G. dans la rénovation et la reconstruction de la France. Mus par le mythe qu’ils s’étaient forgé, les prisonniers tardèrent à s’apercevoir du fait qu’une fois réintégrés ils devenaient des citoyens français à part entière, motivés par les mêmes sentiments, passions et intérêts que leurs voisins. L’opinion publique cessait de les considérer comme une catégorie particulière. Leurs souvenirs, leur esprit spécifique, leur passé à jamais évanoui, n’avaient pas l’emprise souhaitée sur la vie de tous les jours et les valeurs qu’ils portaient ne pouvaient être diffusées par les moyens envisagés par leurs dirigeants.

121Refusant de revoir les objectifs qu’ils s’étaient assignés, les cadres de la Fédération eurent tendance à se croire coupables de certaines faiblesses qui freinaient le développement de l’action civique fédérale.

122Le rapport sur l’orientation diffusé à l’intention des congrès départementaux commençait par le constat d’un échec relatif de l’action civique suivi d’un mea culpa du Comité :

« Nous avons pensé qu’il fallait d’abord commencer par faire notre autocritique... et si nous avons marché à grands pas sur les voies traditionnelles que nous nous étions fixées, à savoir : la défense des intérêts matériels et moraux de tous les prisonniers de guerre, nous avons par contre à peine osé nous risquer sur une voie toute nouvelle, assurément plus hérissée d’obstacles, mais orientée vers l’avenir le plus fécond... l’action civique55. »

123« Reconnaissant que “la charte du 8 août” reste la base solide sur laquelle (la Fédération) devait continuer à s’appuyer », le Comité crut déceler deux causes de sa faiblesse dans ce domaine : primo, une contradiction apparente entre la charte qui appelait la F.N.P.G. à apporter la force de son unité au redressement du pays et les statuts s’interdisant toute action politique. Secundo, une méthode de travail défectueuse au sein du comité fédéral qui n’octroyait aucune latitude au Bureau pour faire face immédiatement aux problèmes urgents ayant trait à l’application de la charte56.

124Les tendances qui s’étaient cristallisées au sein du Comité fédéral présentèrent aux S.L. et A.D. préparant le congrès fédéral trois thèses distinctes définissant l’orientation de l’Association et ses modalités d’application.

125A. La thèse de l’engagement politique : fidèle au maximum au désir d’un apport P.G. et la plus originale des trois fut présentée par une minorité peu influente. Elle conseillait une intervention directe de l’Organisation dans l’arène politique en invitant les P.G. à donner l’exemple d’un regroupement au-dessus et en dehors des partis. Il ne s’agissait toutefois, en aucun cas, de la création d’un nouveau parti, ni dans la structure ni dans les méthodes de travail. L’Organisation devait avoir une forme souple et mal définie, la majorité du travail se faisant à la base. Les comités directeurs locaux ainsi que le Comité fédéral n’y auraient que des rôles d’animateurs mais aucun pouvoir politique. Les décisions seraient prises partant d’un vaste débat entrepris à la base, aboutissant à une synthèse à l’échelon national. Les « centres de formation technique » pour l’éducation de masses et la formation de cadres, les « commissions d’études » fournissant l’effort de recherche sur tous les problèmes en vue et la diffusion de travaux d’information devaient fournir les moyens de l’action.

126La thèse accusait l’ingérence des partis d’avoir abouti à la neutralisation de l’action fédérale. Elle préconisait donc l’interdiction du cumul d’un mandat politique avec un mandat électif dans une association départementale ou à la Fédération Nationale.

127B. La thèse de l’action civique fut présentée par le groupe qui s’était cristallisé autour de F. Mitterrand. Ces cadres s’étaient montrés en 1946 particulièrement sensibles au danger du noyautage de la Fédération et leur texte reflète, on ne le peut mieux, leur hantise.

128La thèse accusait « certains partis politiques » d’avoir voulu coloniser les Associations de la F.N.P.G. et, si la chose n’était pas possible, de les neutraliser. Une fédération forte et entreprenante risquait en effet d’échapper à leur contrôle. Ils travaillaient donc à la désintégration de l’organisation, bloquaient son action et noyautaient, peu à peu, ses organismes dirigeants.

129Les rédacteurs de la thèse préconisaient la préservation d’une indépendance absolue de la F.N.P.G. et la lutte sans relâche contre toute tentative de mainmise politique sur l’Organisation. Le cumul d’un mandat politique et d’un poste représentatif dans un bureau (local ou fédéral) devait être interdit. La possibilité d’une participation de la F.N.P.G. ou de ses instances à des élections devait être repoussée d’avance par manque de doctrine commune. Les agissements du Ministère des Anciens Combattants (Casanova) étaient déclarés suspects.

130Afin de donner à la Fédération une activité à la fois conforme à ses statuts et aux aspirations des prisonniers, la deuxième thèse réclamait l’entreprise immédiate d’une action civique profitable au redressement du pays et la création d’une Fédération de Combattants de 1939-1945. Elle exigeait aussi une intervention constante de la F.N.P.G. chaque fois que la liberté et la dignité humaine seraient menacées et une prise de position régulière devant les problèmes de l’heure.

131Les rédacteurs du document n’hésitaient pas à accuser dans leur texte, la troisième thèse, appuyée par l’A.D. de la Seine, d’avoir comme but dissimulé la neutralisation de la Fédération.

132C. La thèse de l’apolitisme intégral fut présentée comme la défense inconditionnelle de l’esprit de la « Charte du 8 août ». Ses rédacteurs rappelèrent aux adhérents que les P.G. eurent en tout temps un but suprême : réaliser puis préserver leur unité. Ils ne devaient encourir, à présent, en aucun cas, le danger d’une division.

133La Charte avait été acceptée par la totalité des partis. Grandes étaient les chances qu’ils l’appliquent, au fur et à mesure que les événements le permettraient. Par contre, si la Fédération tente de l’imposer par ses propres moyens elle « se mettra les partis politiques à dos » en les concurrençant et les leçons de la captivité seront perdues pour le pays. D’ailleurs, l’expérience et les échecs subis dans le passé démontraient la vanité de toute tentative d’organiser un parti P.G.

134La troisième thèse réfutait la proposition d’interdire le cumul des mandats. Cette conception était en contradiction flagrante avec l’esprit de la Charte qui recommandait à tous les anciens P.G. d’adhérer aux partis de leur choix et d’y faire triompher leurs principes. Elle risquait, entre autres, d’éliminer des rangs de l’Organisation tous ceux qui étaient aptes à remplir un rôle.

135Les rédacteurs de la troisième thèse repoussaient aussi l’idée de la création d’une Fédération de Combattants de 1939-1945 qui aurait eu pour résultat la division du monde des Anciens Combattants et appelait la Fédération à adhérer à l’U.F.A.C.57

L’Interdiction des « Cumuls »

136Les débats préparant le congrès furent particulièrement agités et les délégués des A.D. se réunirent le 14.11.1946 à Clermont-Ferrand, sachant que l’orientation était le sujet cardinal qu’ils étaient appelés à régler.

137Tous savaient très bien que les décisions qu’ils allaient prendre détermineraient le caractère futur de l’Organisation, établissant un rapport de force entre les groupes antagonistes58.

138Les cadres fédéraux, connaissant l’importance de l’enjeu, craignaient, semble-t-il, un affrontement des plus graves, appréhendant même une scission. J. Bertin, le Président sortant, s’employa dans son discours inaugural à calmer les esprits, assurant les délégués : « Il n’y a pas de noyautage politique à la Fédération, la Fédération n’est pas en péril, elle n’est pas à sauver. » Mais, rentrant dans le rang, il trouva nécessaire d’adjurer les camarades à rester unis. Il exhorta les délégués à respecter le principe fondamental de leur Fédération ne faisant pas de politique, à conserver en toute occasion le ton de courtoisie et de camaraderie, une tenue digne, à se garder d’attaques personnelles et à ne pas s’attarder sur le passé59.

139Le journal spécial que la rédaction du P.G. publia chaque jour, durant la session, reflète un malaise profond et une tension aiguë. Les débats débutèrent d’ailleurs par une rude discussion sur des questions de procédure ayant pour but de créer des mécanismes capables d’endiguer les excès60.

140Le débat sur l’orientation commença par une attaque virulente contre les responsables nationaux membres du P. C. Les agissements de Bugeaud, de Tanneur, de Thévenin et de Verrier, au sein du Comité Fédéral, furent dénoncés par leurs adversaires et l’on vit renaître le climat d’« anti-Seine » qui s’était déjà manifesté lors du premier Congrès Fédéral61.

141Les dirigeants les plus écoutés de l’Organisation dénoncèrent avec véhémence son noyautage et sa passivité face à ce genre de tentatives : « Cela ne me scandalise pas du tout, le noyautage ; ce qui me scandalise, c’est qu’on le laisse faire : qu’il y ait du noyautage, c’est normal, pour quiconque a une idée... partout où il se trouve, il est le défenseur de cette doctrine... c’est normal, c’est évident, mais là où c’est grave, là où c’est moins évident, c’est d’avoir vu un organisme tel que le nôtre laisser faire, se laisser gangrener et ne pas prendre les mesures de défense pour qu’on puisse combattre ce noyautage62. »

142Un débat engagé dans une telle perspective éclipsa quelque peu la discussion de solutions préconisées par les trois thèses, pour se fixer sur la question des cumuls. La raison de sa mise à l’ordre du jour devint évidente lorsque les adversaires des cumuls y ajoutèrent une clause supplémentaire et jusque-là inédite : l’interdiction du cumul de fonctions de direction au sein du Ministère de tutelle de la F.N.P.G. avec celle de membre du Bureau Fédéral et avec celle de Président ou de Secrétaire Général d’Associations de Prisonniers de Guerre. L’enjeu devenait clair : la majorité tentait tout d’abord d’éliminer Bugeaud et Tanneur du Comité Fédéral, les forçant à abandonner leur fonction à la tête de l’A.D. de la Seine.

143A long terme, elle songeait à endiguer par ce procédé l’influence du Ministère des Anciens Combattants, colonisé à cette époque par le P. C., se soustrayant à l’avance à toute tentative de mainmise de sa part.

144L’impact de cette administration, aux mains d’hommes du parti de L. Casanova, sur la F.N.P.G., hantait en effet les dirigeants de la majorité :

« Le parti qui détient, a détenu ou détiendra le Ministère des Anciens Combattants, bénéficie d’un atout considérable dans le noyautage de la Fédération... Et ceci s’applique aussi bien au Ministère actuel que vraisemblablement à tous ceux qu’on verra parce que le rôle d’un ministre, c’est aussi... d’être le maître de l’organisation qui se trouve en face de lui et qui risque de le gêner si elle proteste trop fort ou si elle n’est pas d’accord avec lui...
Pour ma part, j’en suis persuadé... il y a à l’heure actuelle, sur tout le territoire, un réseau qui s’étend et qui tend à donner aux fonctionnaires ministériels les postes de commande des associations de Prisonniers de Guerre63. »

145La démonstration était pertinente. Il est toutefois curieux de constater que, par ironie du sort, le dirigeant qui mit tant d’ardeur à lutter pour l’indépendance de la Fédération face aux hommes détenant le Ministère de tutelle allait devenir, quelques semaines plus tard, à son tour, Ministre des Anciens Combattants et des Victimes de Guerre.

146Le débat sur l’interdiction de cumuls s’avéra beaucoup plus complexe que prévu et on s’aperçut qu’il ne pouvait être réglé par une simple décision de principe. En effet, de nombreux cadres des S.L. et A.D. de la Fédération exerçaient déjà ou aspiraient à des responsabilités électives locales ou régionales. La majorité dut donc manœuvrer de façon à atteindre ses objectifs, tout en respectant les ambitions légitimes de ces dirigeants qui étaient d’ailleurs en accord parfait avec la conception du civisme P.G.

147A la suite d’un débat passionné et violent qui accapara plusieurs séances et que nous ne pourrons relater ici, le Congrès confia à la Commission de l’Orientation le soin de préparer les propositions de décisions statuant sur les questions débattues. La Commission, présidée par G. Lepeltier, qui devint de ce fait le personnage le plus en vue du (Congrès, siégea du 16.11 à vingt-et-une heures jusqu’au 17.11 à midi et ne termina définitivement son travail qu’à l’heure de la présentation de son rapport.

148Pas moins de 96 délégués participèrent à cette séance de nuit qui s’était, paraît-il, déroulée dans une atmosphère « sympathique » – sympathie qui ne put toutefois empêcher la minorité de quitter la séance à quatre heures du matin, claquant la porte, en signe de protestation64.

149Finalement, la majorité, atténuant quelque peu ses positions, put présenter le rapport de la commission au Congrès.

150Le texte, adopté par l’assemblée, précisait que la Charte du 8 août établit la limite entre les problèmes auxquels l’esprit P.G. permet d’apporter des solutions acceptées par tous les prisonniers et les problèmes sur lesquels il n’a pas d’emprise. La charte et le programme du C.N.R. étaient et devaient rester la base même de l’orientation fédérale.

151Tentant d’actualiser le premier de ces documents, le Congrès demanda la constitution d’un pouvoir fort, stable, efficient et responsable pour gouverner la France. Il condamna d’une seule traite le libéralisme et l’étatisme, exigeant la préparation d’un plan général et cohérent de la reconstruction de la France. Sur le plan social, il réaffirma le droit de chaque Français au travail, la nécessité d’assurer à tous des conditions de vie décentes et demanda une politique cohérente de peuplement et de protection de la famille. Sur le plan local, il protesta contre les trafics, les scandales et la spéculation, exigeant la poursuite des responsables de ces pratiques.

152Les statuts fédéraux furent modifiés, imposant désormais l’apolitisme : « La Fédération s’interdit toute activité politique, philosophique ou religieuse. Son action civique s’exerce sur les points déterminés par la charte d’orientation adoptée par les congrès fédéraux. Elle est et demeure indépendante de tous les partis politiques et de tout gouvernement. »

153La question de cumuls fut réglée comme suit :

• Le mandat municipal est déclaré compatible avec toutes les fonctions au sein de la Fédération ou des A.D.

• Le mandat de conseiller général ne peut être cumulé avec des fonctions de membre de Bureau de Section Locale ou de membre de Bureau Départemental qu’après l’approbation des Comités locaux concernés. Il n’est pas incompatible avec les fonctions de membre du Comité Fédéral.

• Tout membre du Bureau Fédéral ou Départemental qui postule ou obtient un mandat parlementaire devra remettre sa démission.

• Tout membre occupant des fonctions de direction au sein du Ministère dont dépendent les P.G. ne pourra cumuler ses fonctions avec celles de membre du Comité Fédéral ou celle de Président ou Secrétaire d’Association de Prisonniers.

154Toutefois, « dans le but d’union et voulant bien montrer qu’il n’y a pas d’attaques personnelles contre quiconque », la Commission proposa la motion additive suivante :

155« Les dispositions concernant le cumul avec des fonctions de direction au Ministère entrent en vigueur seulement après la clôture du Congrès, sans effets rétroactifs et ce à titre exceptionnel en faveur de ceux qui occupent actuellement les fonctions mentionnées 65. »

156Le Congrès pouvait se montrer magnanime. En fait, il permettrait, en tout et pour tout, aux personnes mises en cause d’achever leur mandat de dirigeants de leurs A.D. et d’être élus une fois au plus au Comité Fédéral.

157Le débat interne bouleversa le caractère du Bureau. L’instance fédérale suprême avait fonctionné jusque-là de façon plutôt harmonieuse. La relève de dirigeants intervenue à Clermont-Ferrand aboutit à un changement profond de sa composition (changement de 3/4 de ses membres) et à la cristallisation de deux camps.

158F. Mitterrand, que son rôle de député forçait à abandonner désormais toute activité à la F.N.P.G., s’employa, avant son départ, à faire élire comme Président Fédéral Georges Lepeltier. Le dynamique Président de l’A.D. du Calvados venait de se distinguer, dirigeant avec fermeté et brio les travaux de la Commission de l’Orientation – fonction qui lui procura aux yeux des congressistes un prestige incontestable. La tendance majoritaire put aussi élire au poste de Secrétaire Général, Joseph Perrin, fidèle compagnon de route du noyau des fondateurs (C.E.A.-M.N.P.G.D.) et futur Secrétaire Général de l’U.D.S.R.

159La Direction Fédérale devint de ce fait « Mitterrandiste » et entretint pendant les 18 mois suivants les relations les plus cordiales avec « son Ministre »66.

160Toutefois, l’adoption de cette ligne provoqua au Bureau la cristallisation d’une opposition ferme et l’instance directrice de la F.N.P.G. fut scindée jusqu’au Congrès de Nancy (1948) de la façon suivante :

161L’appartenance à la majorité ou à l’opposition correspondait donc, en général, aux options politiques des membres du Bureau. Cet état de fait devait incontestablement influencer la stratégie de l’Organisation et le choix de sa tactique de combats revendicatifs ainsi que ses prises de position sur les grands débats du temps67.

162Cependant, l’existence d’une opposition ferme et dynamique imposa une lutte incessante. De ce fait, l’évolution de la F.N.P.G. entre 1947 et 1950 est aussi l’histoire d’un vif combat interne entre deux conceptions diamétralement opposées concernant aussi bien le but, le rôle et les possibilités de la Fédération, que son « modus operandi ».

163Le débat sur l’orientation riva l’attention des cadres et d’adhérents de la F.N.P.G. dès sa création jusqu’au Congrès de Clermont-Ferrand. Il recélait, en effet, plusieurs éléments de la plus haute importance pour l’avenir, le caractère et l’image de la Fédération.

164Il s’agissait tout d’abord de trouver un dénominateur commun à tous les P.G. permettant d’énoncer les concepts minimum acceptés par le groupe tout entier afin de rendre possible une action de leurs Associations sur le plan national :

• Il fallait ensuite envisager les moyens de concrétiser le désir profond des prisonniers d’influencer, par leur apport, le caractère et le destin de la Nation.

• Toutefois, la voie choisie par l’Association devait respecter son caractère pluraliste, indépendant et unitaire.

• Il s’agissait, enfin, de défendre l’autonomie de la Fédération, la préservant de noyautages, de tentatives de mainmise et d’entreprises de neutralisation à des fins politiques.

165Le débat sur l’orientation prit donc la forme d’une lutte pour l’élaboration d’un texte commun et la définition de principes d’une action civique des anciens Prisonniers de Guerre, aux niveaux individuel et fédéral. Il eut en même temps l’aspect d’un combat acharné contre la neutralisation de l’Organisation ou sa colonisation par des éléments politiques extérieurs.

166Ce débat prit fin à Clermont-Ferrand aboutissant à la consécration de la Charte du 8 août, à la proclamation de l’apolitisme et à la mise en place d’un dispositif ayant pour but d’empêcher la mainmise du P. C. sur la Fédération, préservant son indépendance par rapport aux hommes politiques et à tous les partis68.

167Le temps aidant, cadres et adhérents réalisèrent la part d’illusions que véhiculait le désir d’un apport direct du groupe d’anciens P.G. à la société. Le rêve de prisonniers purifiés par leurs souffrances et mûris par leurs réflexions, rentrant au pays, porteurs d’un message nouveau et rédempteur, afin de devenir l’élément même de la reconstruction et du redressement de la patrie, s’évanouit comme un mirage.

168La Fédération comprit que la diffusion des leçons de la captivité ne pouvait se faire par les moyens envisagés et la contribution P.G. par l’intermédiaire d’une action directe s’avéra impossible. Toutefois, les anciens Prisonniers de Guerre ne s’affranchirent jamais de la conception d’un devoir qu’ils avaient envers le pays, d’un exemple qu’ils devaient donner et d’un apport que le pays avait droit d’attendre de leur part.

169Cette prise de conscience ne changea en rien les principes de l’orientation établis en 1946. Cependant, la terminologie des documents acquit un sens nouveau. Le centre d’intérêt se déplaça des Associations vers l’individu. L’Organisation misa désormais sur ses adhérents, espérant que l’apport des prisonniers se ferait grâce à leur dévouement, à la bonne volonté, et au sentiment du devoir dont ils feraient preuve dans leur vie publique et privée.

4. LA F.N.P. G. ET LA GUERRE FROIDE : LES DERNIERS GRANDS COMBATS INTERNES

170Les décisions de Clermont-Ferrand, érigeant un barrage qui prévenait une mainmise directe d’éléments politiques sur la Fédération, ne pouvaient cependant atténuer les antagonismes latents ou mettre fin aux tentatives de noyautage.

171Mises à part les luttes internes que menèrent, au sein du Bureau, les deux tendances, l’année 1947 fut pourtant dans les annales de la Fédération une période relativement paisible. Le départ de L. Casanova et son remplacement par F. Mitterrand calmèrent les appréhensions qu’avait provoquées le passage d’un Ministre communiste à l’administration de tutelle. Si l’on accepte de considérer comme une méthode « courante » les tentatives de discréditer le Président de la F.N.P.G. et le « Ministre camarade », entreprises afin d’abattre des hommes que les militants du P. C. ne tenaient pas à cœur, les relations majorité-minorité paraissent somme toute acceptables69.

172Au troisième Congrès Fédéral (Nancy 4.1948), la majorité parvint à maîtriser définitivement l’appareil fédéral. S’appuyant sur les délégués provinciaux, elle élimina du Bureau tous ses membres appartenant à la minorité. Désormais, le seul représentant de cette tendance à l’instance suprême de la Fédération fut P. Bugeaud, le tout-puissant Président de la Seine. Les sortants furent, en effet, remplacés par un Général en retraite (Loizeau), un Cadre de l’appareil fédéral, fidèle du Président (L. Beaudoin) et un Cadre Supérieur de la Fonction publique du département d’Oran (Dubus).

173Consciente de sa force et soucieuse d’éviter des luttes intestines, la majorité tenta de parvenir à un « modus vivendi » avec la tendance radicale, réagissant avec indolence aux attaques personnelles et aux vives critiques concernant la mollesse des démarches revendicatives ou sa complaisance à l’égard du nouveau Ministre de tutelle70.

174Cependant, la révocation des Ministres communistes du gouvernement, en mai 1947, le passage progressif de ce parti à une opposition inconditionnelle, la détérioration permanente des relations soviéto-américaines et le début de la guerre froide perturbèrent, avec un certain décalage, le caractère des relations internes au sein de la F.N.P.G. Le partage définitif du monde en deux blocs et l’appui intransigeant du P. C. à la conception de la « paix stalinienne » ne pouvaient en effet laisser une organisation sociale si importante à l’écart de la plus grande controverse du temps.

175Déjà au Congrès de Nancy, les délégués de la Seine tentèrent d’infléchir les décisions sur l’« Orientation », conformément aux thèses défendues par le Parti. R. Bossus, un des cadres éminents de la Seine, siégeant alors au Comité Central du P. C., prononça lors du débat un discours fustigeant la politique allemande des Anglo-Saxons. Il y dénonça le report du paiement des réparations allemandes, l’autorisation d’une reprise d’activités industrielles dans la zone occupée par les occidentaux qui risquait de concurrencer la production française ainsi que la dénazification, très partielle, qui y était menée. Il s’éleva contre l’octroi de priorité au relèvement et à la reconstruction outrc-Rhin sur celui de la France, se prononçant contre le plan Marshall « hypothéquant l’indépendance française »71.

176P. Cuisinier, le Président de la Commission, refusa de laisser « entraîner le Congrès sur un terrain fort brûlant (qu’ils avaient) évité et qu’il faut nécessairement éviter... ». Il insista de nouveau sur la nécessité d’écarter désormais tout débat, intérieur ou international, sous peine de danger grave pour l’unité de l’Organisation72.

177Le Président fédéral appuya de toute son autorité ce point de vue, confiant aux congressistes que chaque fois que l’Association s’engageait dans un débat sur l’« Orientation » il éprouvait la sensation « d’un élan brisé au départ ».

178Un élan, parce que les P.G. ne voulaient pas être absents de ce qui se passait. Mais un élan brisé, car s’opposer aux événements exigeait la définition d’une politique et des choix que la F.N.P.G. ne pouvait se permettre, désirant sauvegarder son unité pour la défense de sujets essentiels qui représentaient sa raison d’être73.

179Le débat sur l’orientation aboutit, en ce début de 1948, à une série de décisions vagues reflétant la hantise d’un nouveau conflit mondial. Le Congrès exprime sa confiance dans les forces de paix présentes dans tous les pays et dans le refus de peuples, ayant tant souffert de la dernière guerre, de se laisser entraîner dans un nouveau conflit armé. Le Comité Fédéral est mandaté pour intervenir auprès du gouvernement en faveur d’une conférence internationale de désarmement et d’un règlement du problème allemand dans le sens des intérêts permanents de la France, incluant le désarmement, le contrôle de l’industrie lourde et le paiement de réparations de la part du pays voisin. Enfin, « s’adressant par-delà les frontières à tous les hommes, à toutes les femmes, à tous les combattants... (le congrès) leur demande d’être chacun dans sa sphère l’inlassable défenseur des solutions pacifiques et l’infatigable propagandiste des idées de liberté, d’égalité et de paix »74.

180A première vue, ces décisions constituent un ensemble d’indications extrêmement banales, dénuées de toute implication pratique, fait qui déçut d’ailleurs plusieurs congressistes75. Toutefois, justement le flou de ce texte, l’emploi de quelques clichés apparentés à un discours communiste de l’époque et la possibilité d’interprétations qu’offrait un tel credo satisfirent la minorité. Le Front des Barbelés porta une appréciation positive sur les travaux et l’atmosphère du congrès, se félicita des décisions qui y furent prises et se prononça pour « un soutien critique de la ligne fédérale » (n° 72, 10.4.1948).

181Le climat des débats sur l’orientation fut à cette époque encore fort serein. L’auditoire, très inquiet pourtant au sujet de camarades n’ayant pas été rapatriés d’U.R.S.S., sut même écouter avec patience et politesse le Colonel Marquié, Chef de la Mission de Rapatriement à Moscou. Celui-ci défendit, en bon membre du Parti qu’il était, la thèse soviétique sur le rapatriement de P.G. français ainsi que d’Alsaciens et Lorrains se trouvant à la fin de la guerre sur le territoire soviétique76.

A. Ferons-Nous la guerre à nos libérateurs ?

182Hélas ! La tempête qui se levait à l’extérieur ne permettait pas au baromètre des relations internes de la Fédération de se figer au beau fixe. Bientôt, les mesures unilatérales adoptées dans la zone d’occupation occidentale, la cristallisation des alliances qui devait aboutir, au début de 1949, à la constitution de l’O.T.A.N., le blocus de Berlin-Ouest, la peur devant l’approche d’une guerre et les grèves déclenchées en France par la C.G.T. devaient créer dans le pays une tension interne qui eut fatalement des répercussions graves au sein de la grande majorité de scs organisations sociales. La question était trop cruciale et la controverse trop intense pour permettre aux individus ou aux associations de rester à l’écart, sans prendre parti.

183La majorité, maîtrisant désormais la F.N.C.P.G., aurait pourtant souhaité ne pas aborder ce débat. La minorité estima par contre qu’une telle attitude était profondément hypocrite, masquant derrière des prétentions de neutralisme une prise de position pro-gouverncmcntale. La constitution du « Mouvement de la Paix » à Wroclaw en août 1948, l’extension de ses activités en France et l’adoption de la « défense de la paix contre l’impérialisme américain », comme un des thèmes dominants de la propagande communiste, devaient hâter le mûrissement de ce conflit au sein de la F.N.C.P.G.

184Le « Mouvement de la Paix » – auquel étaient affiliées des organisations actives dans tous les pays occidentaux – n’était qu’un instrument de choix de la politique extérieure soviétique qui le considérait comme une arme stratégique défensive. Dirigé dans les coulisses par des hommes des P. C. locaux, il permit en ce temps à l’U.R.S.S. de faire pression sur les pays occidentaux, limitant la liberté d’action de leurs gouvernements et freinant leurs programmes militaires77.

185Le Parti Communiste Français entreprit dans ce contexte une politique de constitution de grandes coalitions de forces sociales s’opposant à la guerre. Il savait toucher par ses thèmes des publics beaucoup plus étendus que sa clientèle habituelle et s’appliqua à attirer vers ces organisations des milieux imperméables jusque-là à sa propagande. Le mode d’action choisi laissait délibérément le P. C. à l’arrière-plan, poussant vers l’avant-scène des associations noyautées ou satellites (Combattants de la Paix et de la Liberté, Union de la Jeunesse Républicaine de France, Union des Femmes Françaises, etc...).

186L’échec de la grève des mineurs précipita l’engagement du Parti sur cette voie. Curieusement, l’homme qui joua dans ce domaine un rôle prépondérant n’était autre que Laurent Casanova, l’ex-Ministre d’A.C.V.G. Ses anciens collaborateurs, fidèles à la ligne imposée, tentèrent de réaliser à la F.N.C.P.G. cette « alliance des éléments ouvriers appartenant aux sphères non-prolétariennes de la population et de classes moyennes avec la classe ouvrière dans les luttes pour la paix » que prônait désormais leur parti78.

187R. Bossus qui personnifiait plus que quiconque les intérêts du Parti à la Fédération déclencha le 9.10.1948 l’offensive publiant, en guise d’éditorial du Front des Barbelés (n° 77), un article intitulé : « Les Anciens Prisonniers de Guerre ne feront pas la guerre à leurs libérateurs. » Le membre du Comité Central rappelait aux P.G. que c’est vers l’Est qu’ils portaient dans les camps leurs espoirs de libération et que c’est à l’Est qu’ils apprenaient les désastres successifs de l’armée hitlérienne79. « Et maintenant », déclarait-il, « c’est encore de l’Union Soviétique que nous parviennent les raisons de croire dans la paix future. Et cela malgré les fauteurs de guerre de tous les pays qui sont actuellement à la remorque de l’impérialisme américain ».

188Ayant attaqué le Pacte Atlantique annulant l’indépendance militaire française, Bossus vilipendait la soumission du gouvernement français aux « diktats de Marshall », concluant par une comparaison pour le moins hardie :

189« Les Prisonniers de Guerre, Anciens Combattants qui ont connu les méfaits de la politique de la Kollaboration, se rangeront dans les rangs de tous les Français qui veulent l’indépendance de la France et la paix... En soutenant les amis et les défenseurs de la paix et en condamnant les fauteurs de guerre qui sont aussi les ennemis de la liberté, ils démontreront qu’il ne faut pas compter sur eux pour faire la guerre à leurs libérateurs. »

190Le bulletin de l’A.D. de la Seine publiait en même temps le texte des décisions du Bureau et du Comité directeur de l’A.D., affirmant leur volonté « de ne pas faire la guerre contre les libérateurs d’hier, pour des intérêts qui ne seraient pas ceux de la France ». La résolution appelait le gouvernement « ... à lutter contre la guerre et, sous toutes ses formes, contre sa préparation ».

191L’amorce du « débat sur la paix » dans la Seine, loin d’être une initiative particulière à cette A.D., faisait probablement partie d’une entreprise plus large, tentant d’entraîner sur cette voie la Fédération tout entière. Quelques bulletins des A.D. de province, dirigés à cette époque par des cadres militant au P. C., imprimèrent à la fin de 1948 des articles semblables, intitulés de façon identique80. Manifestement, la minorité venait de déclencher une action de longue haleine. Peu après la publication des textes en question, les A.D. de la Seine et de la Seine-et-Oise appelèrent leurs adhérents à se réunir le 30 octobre à « la Mutualité » afin de manifester pour « l’obtention du pécule et pour la paix ». Associant fort habilement ces deux thèmes afin d’assurer la mobilisation des adhérents, les cadres de ces Associations, bien connus pour leurs sympathies politiques, critiquèrent violemment, de la tribune, la politique gouvernementale à l’égard des revendications P.G., exposant leur thèse sur la « défense de la paix ». La minorité non-communiste, qui tenta d’exprimer son désaccord fut rapidement réduite au silence et le Secrétaire Fédéral, que l’on avait pourtant invité, se vit refuser le droit à la parole. A l’issue de la séance, les organisateurs désirant lui octroyer le maximum de retentissement formèrent un cortège qu’ils voulaient diriger vers le Ministère des Finances, mais celui-ci fut très vite dispersé par la police81.

192Battant le fer pendant qu’il était chaud, l’organe de l’A.D. de la Seine entama, dès le début de novembre, un débat sur les textes publiés en octobre. En « bons démocrates », la rédaction publiait sur deux pages les critiques véhémentes d’adhérents et de sections s’opposant à sa ligne, pour mieux les noyer ensuite sous une avalanche de lettres de félicitations, d’appui et de soutien. La manœuvre ne put cependant cacher la violence des réactions des opposants. Des militants exigèrent l’interruption de l’envoi du journal qu’ils considéraient désormais comme un organe politique défenseur des intérêts de l’U.R.S.S. Des S.L. condamnèrent de la façon la plus catégorique les textes, criant au noyautage et à l’entreprise politique. Décidément, un climat propice à une scission interne mûrissait au sein de l’A.D. de la Seine82.

193La vigueur de la riposte des dirigeants fédéraux et l’intransigeance dont ils firent preuve lors de cette controverse témoigne du long chemin parcouru depuis 1945. Les cadres dirigeant désormais la F.N.C.P.G. s’étaient totalement libérés de la pusillanimité qui avait caractérisé l’attitude de ses dirigeants fédéraux lors de la lutte contre Frenay. Les frictions fréquentes avec la minorité communiste avaient immunisé la majorité, lui permettant d’en tirer les enseignements.

194Le 26.10, l’organe de la F.N.P.G. publiait en première page la lettre de protestation adressée par le Président de la Fédération à P. Bugeaud. G. Lepeltier reprochait, sans lésiner sur les termes, au Président de la Seine et au Comité Directeur de l’Association d’avoir « bafoué de la façon la plus insolente tous ceux qui depuis des années s’attachaient à préserver la rigoureuse indépendance de la Fédération ».

« Ce n’est certes pas d’aujourd’hui qu’on triche avec la discipline fédérale, soit dans les colonnes... du Front des Barbelés, soit dans les motions du Comité Directeur de votre Association... Mais il ne suffit plus cette fois de murmurer que nous ne sommes pas dupes ; il s’agit de proclamer que nous ne serons pas complices. J’élève donc la plus ferme protestation contre l’éditorial du Front des Barbelés d’octobre, prétendant mobiliser l’ensemble de nos camarades au service des thèses et slogans de politique étrangère d’un parti politique. »

195Ayant accusé les cadres de la Seine de servir des buts étrangers aux intérêts de la Fédération, le Président récusait fermement les thèses qu’ils défendaient : « ... si des armes étrangères menaçaient à nouveau l’indépendance nationale (aucun P.G.) ne saurait se demander s’il faut combattre, ou demander à d’autres qu’au seul authentique gouvernement français qui sont ceux qu’il faut combattre ».

196Loin de se contenter d’une protestation platonique, G. Lepeltier concluait par un avertissement ferme : « ... aucun P.G. conscient des exigences qui s’imposent à notre Fédération ne consentira à voir nos Associations se muer en satellites de personnalités ou organisations politiques quelles qu’elles soient »83.

197La réponse de P. Bugeaud ne fut qu’une fin de non-recevoir. Eludant le problème posé, il se contenta de reprendre les arguments de R. Bossus qu’il défendit âprement. Imperturbable, il fit meme preuve d’un certain humour, répliquant au Président Fédéral : « Vous me permettrez de rejeter tout le côté de vos accusations qui s’efforcent d’accréditer l’idée que, parce que ce débat arrive dans le même temps où le Parti Communiste Français a condamné la préparation de la guerre contre l’U.R.S.S., l’attitude du Comité Directeur de la Seine serait déterminée par ce parti84. »

198Le litige fut donc porté devant le Comité Fédéral lors de sa session des 26-28.11. Le Président prononça devant l’instance un réquisitoire violent contre le Comité Directeur de la Seine, l’accusant d’infraction à la discipline fédérale et de violation de statuts fédéraux. Ayant demandé à chaque membre du Comité de prendre personnellement ses responsabilités, il exigea, vu l’historique des relations avec la Seine, d’obtenir cette fois « des engagements précis qui permettront de s’assurer que ce qui s’est produit dans le passé ne pourra se renouveler dans l’avenir »85.

199Le Secrétaire Général enchaîna, relatant les événements qui se sont succédés depuis la publication des textes en cause. Il apprit aux membres du Comité qu’il existait désormais dans la Seine une minorité se trouvant en désaccord total avec la ligne du Comité Directeur de cette Association et dont les dirigeants envisageaient, à l’heure présente, la rupture et le rattachement direct de leurs sections à la Fédération86.

200Bugeaud et Bossus s’étant montrés intransigeants, le Comité décida qu’il était inutile de discuter davantage. Passant aux voix, il approuva, à la majorité, le principe et les termes de la lettre du Président Fédéral au Président de l’Association de la Seine. Il décida aussi que « les formes de l’initiative prise par le Comité Directeur de la Seine concernant la Paix ainsi que l’éditorial du Front des Barbelés du 9.10 constituent une violation certaine des statuts de la Fédération, relativement à sa neutralité et à son indépendance et des décisions des Congrès fédéraux relativement aux problèmes d’orientation ». Trente-deux membres votèrent ce texte, cinq s’abstinrent et seuls les quatre représentants de la Seine s’y opposèrent.

201A l’issue du vote, le Président Fédéral « proposa » aux dirigeants de cette Association « l’adoption » d’un texte ayant tout l’aspect d’une amende honorable. Ils étaient priés de s’engager sur-le-champ « à mettre fin, sans délai, aux discussions actuellement en cours », de veiller désormais au respect intégral des exigences des statuts, d’observer la discipline fédérale et de s’abstenir d’initiatives susceptibles d’interprétations politiques sans accord préalable du Bureau National ou du Comité Fédéral. Ce texte devait être publié au numéro suivant du Front des Barbelés aux lieu et place de l’éditorial du 9 octobre. Le document fut approuvé à l’unanimité, moins les quatre représentants de la Seine.

202Ceux-ci réagirent avec indignation devant l’ultimatum qui leur était imposé, brandissant même des menaces de scission. Mais le temps où ce genre d’arguments pouvaient porter était révolu. La scission interne menaçait désormais la Seine, bien plus que l’organisation mère87.

203Lors de séances suivantes, le Comité Fédéral mit fin aux tentatives de louvoiement des représentants de la capitale. Faisant des concessions sur la forme, il accorda un délai de 15 jours pour recevoir la réponse de l’Association. Intransigeant sur le fond, il refusa d’amender son texte. Le Président Fédéral leva d’ailleurs toute équivoque, précisant que « compte-tenu de ce délai, soit l’absence de réponse... soit une réponse négative ou faite en d’autres termes... signifierait que l’Association de la Seine entend se placer et demeurer en dehors de la Fédération »88.

204Le Comité Directeur de l’A.D. parisienne tenta une dernière manœuvre. Il publia dans le Front des Barbelés du 11.12.1948 un texte accusant le Comité Fédéral de « choisir un moment grave de la vie nationale pour diviser le puissant mouvement des prisonniers ». Il rejeta le texte qui lui était imposé, mais conscient d’avancer désormais sur le fil du rasoir, il s’engagea à respecter les décisions du Comité Fédéral du 26-28.11, arrêtant sur-le-champ les discussions sur le problème de la paix. Adjurant le Bureau de « tenir compte de la volonté d’unanimité qui anime tous les Prisonniers de Guerre de la Seine »... il le pria de s’abstenir d’adopter une attitude qui porterait le plus grand préjudice à l’ensemble du Mouvement Prisonnier.

205Le 13.12, G. Lepeltier faisait connaître aux dirigeants de la Seine son refus d’accepter un texte différent de celui auquel il avait demandé au Comité Directeur de la Seine de souscrire.

206Menacés d’exclusion imminente, les dirigeants de l’A.D. capitulèrent en décidant de souscrire à l’engagement qui leur était imposé. Le conflit réglé, les deux parties antagonistes se répandirent en déclarations apaisantes, exaltant leur fidélité à l’unité du Mouvement Prisonnier et le désir de défendre les intérêts du groupe89. De son côté, tenant la promesse donnée lors de la session du Comité, le Bureau s’attacha à apaiser les tensions au sein de l’A.D. de la Seine, persuadant la minorité de demeurer dans le cadre de cette Association.

207La crise aiguë que venait de vivre, en cette fin de 1948, la F.N.C.P.G. avait permis aux deux parties antagonistes de se mesurer, tirant de leur confrontation des enseignements d’une grande importance pour le futur.

208Le conflit prouva tout d’abord que la minorité d’extrême gauche ne pouvait compter, au sein des instances fédérales, que sur elle-même – c’est-à-dire sur une poignée de représentants écrasés par le nombre d’élus qui leur étaient hostiles. Il suffisait donc, dorénavant, de porter devant le Bureau ou le Comité Fédéral tout litige pour imposer, le plus démocratiquement du monde et sans possibilité de contestation aucune, les solutions souhaitées par la majorité.

209Les dirigeants fédéraux qui engagèrent la lutte contre les manœuvres de la Seine avec intransigeance, acceptant à l’avance l’éventualité d’une scission interne, constatèrent que la minorité tenait beaucoup à ne pas être bannie du Mouvement. En effet, la possibilité d’une exclusion lui avait fait entrevoir les perspectives de son cantonnement dans le cadre d’une organisation squelettique, n’ayant d’existence réelle qu’à Paris, dans quelques rares centres urbains et dans un département ou deux – démunie de tout impact sur le milieu, d’emprise sur son organisation et coupée du gros de la société P.G. Son bastion même, dans la capitale, risquait d’être menacé, le cas échéant, par une A.D. rivale disposant de tout l’appui de la Fédération. Par contre, l’appartenance intégrante à la F.N.C.P.G. lui permettait l’espoir d’une évolution future en sa faveur. Elle lui octroyait d’autre part une influence et un contrôle certains et immédiats sur l’évolution et les prises de position d’une organisation de masse, comptant près d’un million d’adhérents. Certes, la minorité devait se résigner à ne pouvoir entraîner la Fédération sur la voie qu’elle aurait souhaitée. Par contre, elle était capable de neutraliser l’Association, l’empêchant, sous prétexte d’apolitisme, de prendre des initiatives contraires à ses conceptions.

210La majorité, ayant assené un coup de semonce, ne demandait que la reprise de la coexistence avec sa mouvance d’extrême gauche, sous condition toutefois du respect d’un modus vivendi préservant la neutralité de l’Organisation dont s’accordait fort bien son hétérogénéité politique. Une telle issue lui permettait le contrôle de sa minorité, la préservant d’un débordement sur sa gauche ainsi que de la concurrence perpétuelle d’un mouvement rival, dynamique et activiste qui lui aurait imposé, à la longue, l’alignement sur des positions radicales qu’elle préféra toujours éviter.

211Les protagonistes constatèrent aussi que la base même sur laquelle s’appuyaient les dirigeants de la Seine n’était pas stable – l’unité de l’A.D. dépendant de la bonne volonté des dirigeants fédéraux.

212Une fois de plus, majorité et minorité confondues, les cadres s’aperçurent de l’impact du mythe de l’unité sur les adhérents. La perspective d’une scission avait éveillé l’inquiétude des militants de base – les Anciens Prisonniers de Guerre désirant à tout prix rester unis. On préserva donc l’unité du Mouvement par intérêt réciproque mais aussi parce que les adhérents s’opposaient à l’éclatement de leur Organisation en associations rivales et antagonistes90.

213Il est curieux d’observer le lien direct que s’efforça de créer désormais la tendance communiste entre les revendications matérielles des P.G. et le combat pour la paix. L’efficacité de l’action exigeait de persuader les anciens prisonniers qu’ils avaient un intérêt direct dans cette entreprise, afin de les attirer dans la voie désirée. On ne se lassa donc plus de répéter que seules cette lutte et les réductions des budgets militaires sauraient satisfaire leurs demandes, dénonçant le manque de désir des dirigeants d’appuyer le Mouvement de la Paix comme lié à leur manque de fermeté dans le combat revendicatif.

B. Les Retombées Du 3 Septembre 1949

214La deuxième phase de la lutte entre les dirigeants de la Seine et le Bureau Fédéral fut engagée immédiatement après la grande manifestation du 3 septembre 1949.

215Une manifestation de masse, réunissant dans la capitale des dizaines de milliers de prisonniers, venus de toute la France, prévue dès le Congrès de Nancy, représentait l’arme décisive de l’arsenal fédéral. Une fois cette salve tirée, l’Organisation risquait de se retrouver démunie. Rien d’étonnant donc si elle hésita longtemps avant de s’en servir. Une telle entreprise, exigeant une longue préparation logistique, entraînant des dépenses considérables, ne pouvait d’ailleurs être renouvelée de si tôt. Son efficacité dépendait d’autre part de sa rareté.

216Le débat sur l’opportunité d’une action de ce genre fut porté devant le Congrès Fédéral de Saint-Malo (avril 1949) par des délégués désapprouvant le manque d’énergie, la timidité et la retenue avec lesquels avait été menée jusque-là la lutte revendicatrice de la F.N.C.P.G. La Seine qui n’avait rien perdu de sa combativité et qui préférait, par principe et par aptitude, les luttes dures, mandata sa délégation d’intervenir au Congrès dans ce sens91.

217Défendant la politique de la Direction Fédérale, le Président s’efforça d’expliquer aux congressistes les considérations qui avaient poussé les instances nationales à ne pas faire usage d’un moyen aussi précieux qu’unique. Toutefois, ses propos reflétaient aussi l’appréhension de voir un tel rassemblement exploité dans des buts politiques que partageaient d’ailleurs certains délégués de province. Estimant qu’une opération de ce genre serait probablement nécessaire dans le futur proche, G. Lepeltier exigea des Associations représentées de s’engager à « respecter très fidèlement et avec discipline les recommandations du Comité Fédéral et du Bureau à ce sujet »92.

218La décision d’organiser une manifestation de masse dans Paris fut finalement prise après l’annulation par le Conseil d’Etat du décret du 29.1.1948 qui avait accordé la Carte du Combattant aux anciens P.G. Le comportement du nouveau Ministre (M. Betolaud) qui ne respecta pas les promesses faites à l’Association lors du Congrès de St-Malo, s’alignant sur les positions de l’U.F.A.C., balaya finalement toutes les hésitations. La base était arrivée à bout de patience. La direction engagea donc les grands moyens.

219Commençant par l’organisation de manifestations locales, la F.N.C.P.G. appela, dès la fin de juin, ses militants à se réunir le 3 septembre à Paris. La date choisie était hautement symbolique. On désirait, en effet, commémorer le 10^e anniversaire de la mobilisation de 1939 – date à laquelle « les P.G. ont commencé... une guerre qu’ils ont poursuivie tout au long de leur captivité, jusqu’à la victoire »93.

220Les dirigeants fédéraux demandèrent le 27.7 à la Préfecture l’autorisation de manifester sur la voie publique, désirant organiser un cortège qui se rendrait du Vélodrome d’Hiver – place du meeting – à l’Arc de Triomphe, par les Champs-Elysées. Une brève cérémonie devait alors y avoir lieu, la manifestation se dispersant après le dépôt rituel de la gerbe sur le tombeau du Soldat inconnu et après avoir ravivé la flamme.

221Le gouvernement, appréhendant probablement le débordement d’une assemblée si nombreuse organisée par une Association exaspérée et à bout de patience dont le noyau dans la capitale était contrôlé par le P. C., interdit le défilé dans les rues. Malgré les pourparlers inlassables avec la Préfecture de Police, avec le Ministre de l’intérieur (J. Moch) et le soulèvement de la question au conseil, l’interdiction ne put être levée94.

222Le Comité Fédéral, réuni le 2 septembre, décida d’entreprendre une dernière démarche pour infléchir la décision du Ministre. Toutefois, devant l’éventualité du maintien de l’opposition, il se résolut à refuser l’épreuve de force en raison des incidents sanglants qu’elle pouvait provoquer. La solution alternative préconisée fut donc conforme aux décisions de la Préfecture : tenue d’un meeting monstre au Vél’ d’hiv’ puis transfert des participants par bus et métro à l’Etoile pour la cérémonie commémorative95.

223Espérant jusqu’au bout un changement d’attitude de la part du gouvernement, soucieux de ne pas démobiliser leurs militants, les membres du Bureau veillèrent à ce que l’interdiction de la manifestation ne soit pas publiée. L’annonce d’un changement du programme, faite seulement à la tribune du meeting devant 80 000 hommes, provoqua la colère. Des cris « à pied, à pied » jaillirent de la salle. Il s’avéra alors que certains éléments ne désiraient nullement renoncer au défilé prévu, indifférents (ou peut-être intéressés) aux incidents et aux violences qu’il pouvait provoquer. Le service d’ordre organisé par la Seine fit curieusement preuve d’une certaine inefficacité. On le soupçonna même d’être à l’origine des premiers cris d’« à pied ». Plus loin, les manifestants qui tentèrent de gagner la Place de l’Etoile en métro s’aperçurent que l’accès des stations était obstrué par des femmes et des jeunes, étrangers à la manifestation qu’on avait apparemment placés là afin de canaliser les manifestants vers les barrages de police96.

224Finalement, malgré l’exaspération et la colère des P.G., ainsi qu’un déploiement massif et voyant des forces de l’ordre, tout se termina par des bousculades, l’enfoncement d’un ou deux barrages et quelques bagarres. Les cas de violence furent heureusement fort rares. La cérémonie à l’Arc de Triomphe se déroula dans l’ordre et les manifestants rentrèrent chez eux pressentant qu’ils venaient de remporter une victoire97.

225Le Président de l’A.D. de la Seine, qui était un des organisateurs principaux de la manifestation, fit preuve le long de cette journée d’un loyalisme parfait. Il usa de son autorité pour appuyer le Président et le Secrétaire Fédéral, afin de persuader l’assemblée de s’abstenir de défiler dans les rues de la capitale. Plus tard, il tenta d’éviter les violences, s’interposant à plusieurs reprises entre la foule et la police98.

226Dès le lendemain, il changeait d’attitude. Avait-il été blâmé par son parti ? Plusieurs dirigeants P.G. de cette époque le croient fermement. En tout cas, nous le voyons faire, dès le début de 1950, une autocritique en bonne et due forme de son comportement lors de la manifestation :

... « l’assemblée des Prisonniers de Guerre présents cria son indignation. C’est alors qu’en tant que membre du Comité directeur de la Fédération Nationale des Prisonniers de Guerre, je fis cette erreur opportuniste qui consiste à ne pas me placer résolument à la tête des masses, mais en partie à laisser faire les dirigeants réactionnaires d’accord avec Jules Moch.
Quelle est la racine de cette erreur ?
– Le manque de courage politique qui aurait dû consister à démasquer ces éléments devant les masses.
– Le souci mal placé de l’unité au sommet, de l’unité à tout prix, c’est-à-dire, en définitive, une position contraire à l’unité réelle et voulue par les P.G. pour lutter plus énergiquement pour leurs revendications »99.

227Les responsables nationaux de la F.N.C.P.G. s’aperçurent immédiatement que la manifestation avait donné lieu à une tentative d’exploitation politique qui s’amplifia les jours suivants. Certains parlementaires présents, en signe de soutien au Vél’ d’hiv’, rentrèrent chez eux persuadés qu’ils venaient d’assister à un rassemblement noyauté par le P. C.100. Bientôt, la Direction Fédérale se vit accuser de faiblesse, voire de sabotage et l’on tenta de dresser contre elle les adhérents des Associations101.

228Le Front des Barbelés publia évidemment un compte-rendu très hostile au Bureau National. Quant au Comité Directeur de la Seine, analysant les événements de cette journée, il blâma de façon voilée l’attitude de son Président. Il attaqua ensuite avec violence le comportement du Président et du Secrétaire Fédéral qu’il accusa de complaisance et de faiblesse face au pouvoir, regrettant qu’ils aient pu prendre l’engagement d’utiliser les cars et le métro. Il chargea donc Bossus, Bourgoin et Bugeaud d’obtenir qu’une discussion critique soit poussée à fond lors de la session suivante du Comité Fédéral.

229Le déroulement pacifique de la manifestation n’arrangeait décidément pas tout le monde.

230Le Comité Fédéral, siégeant du 14 au 16 octobre 1949, s’efforça de tirer les enseignements relatifs à l’organisation et au déroulement de la manifestation ainsi qu’aux pourparlers avec les autorités.

231Les délégués de province firent un tour d’horizon, rendant compte des impressions, des critiques et des échos rapportés de Paris par leurs militants. Somme toute, le bilan était « globalement positif ». Bien sûr, les critiques ne manquaient pas. On était revenu déçu de ne pas avoir pu manifester dans les rues de la capitale et choqué par le dispositif mis en place par les forces de l’ordre. On contestait la décision de ne pas informer à l’avance les participants de l’interdiction de manifester. On regrettait la mollesse du discours du Président, etc. Mais les adhérents de province avaient tout à coup pris conscience de la puissance et de l’envergure de leur Mouvement et en avaient retenu un sentiment de puissance et de fierté. La Fédération – notion abstraite et lointaine jusque-là – s’était soudain matérialisée et le militant de base qui ne connaissait auparavant que les structures locales s’aperçut qu’il appartenait réellement à une très grande organisation, présente dans tout le pays.

232Somme toute, on était en général revenu enchanté, se déclarant prêt à « remettre ça », si nécessaire.

233Seul le Président de l’A.D. de la Seine critiqua violemment l’attitude du Bureau Fédéral, insistant particulièrement sur les responsabilités du Président et du Secrétaire Général. Le débat s’étant échauffé, les deux dirigeants mis en cause ripostèrent, démontrant point par point la vanité des reproches qui leur étaient adressés. A leur tour, ils attaquèrent Bugeaud, l’accusant de vouloir se soustraire à ses responsabilités quant à la préparation et au déroulement de la journée du 3 septembre, se dissociant des décisions prises avec son consentement. A la fin du débat, le Président de la Seine, remplissant, imperturbable, le mandat dont l’avait chargé le Comité directeur de son A.D., déposa une motion de défiance à l’égard de Lepeltier et de Perrin.

234Les termes de ce texte étaient aussi stupéfiants qu’inattendus. Le litige de l’automne 1948 s’était effacé de la mémoire collective des dirigeants de la Seine et l’on était revenu au point de départ. Le débat sur la paix, pourtant totalement absent des thèmes du 3 septembre, qui était une action commémorative et revendicatrice, refaisait surface.

235La motion accusait le gouvernement d’engloutir des centaines de milliards dans le budget de la guerre, augmentant de ce fait les difficultés avec lesquelles se débattaient les anciens P.G., tout en refusant de donner satisfaction à leurs légitimes revendications.

236Le Comité était invité à blâmer Perrin et Lepeltier pour ne pas avoir abordé le problème de la paix lors de leurs interventions au meeting.

237Il était prié, d’autre part, de prendre acte de la déclaration du Président du Conseil qui avait expliqué quelque temps auparavant à la délégation de la F.N.C.P.G. qu’il était essentiel de ne pas décourager l’aide américaine en s’abstenant de dépenses, même légitimes. Ces propos signifiaient l’abandon de la conception d’indépendance nationale ainsi que le sacrifice de revendications d’Anciens Combattants. L’aboutissement de celles-ci dépendait donc d’une politique de paix chère à tous les P.G. « C’est pour quoi » – clamait la motion – « le Comité Fédéral regrette l’absention de la Fédération des C.P.G. en réponse aux interventions des mouvements qui prennent une part active à la défense de la Paix ».

238La motion désapprouvait aussi le fait que la Direction Fédérale n’avait pas protesté auprès du Président de la République contre l’éventualité d’inviter Jules Moch à former un gouvernement.

239Elle blâmait la direction d’avoir tu l’interdiction de la manifestation, d’avoir noué des pourparlers plus ou moins confidentiels avec les pouvoirs et de s’être inclinée devant les ordres de Jules Moch. Les dirigeants auraient dû, au contraire, prendre la tête de la manifestation, guidant le cortège aux Champs-Elysées.

240Le Comité était prié de saluer l’initiative du groupe communiste qui avait déposé un projet de loi tendant à trouver les ressources permettant le paiement du pécule et de veiller à la réorganisation du travail de l’amicale parlementaire des anciens P.G.

241D’autre part, la motion proposait de considérer la manifestation du 3 septembre « non comme une fin en soi mais comme le point de départ d’une accentuation de la lutte des P.G. pour la défense de leur honneur et de leurs revendications »102.

242Le texte sidéra les participants. Jamais l’on avait osé présenter, avec une telle désinvolture, une motion aussi politisée, s’alignant sans camouflage aucun sur les positions du P. C. et défendant ses intérêts. Jamais l’on ne s’était permis d’attaquer de cette façon la Direction Fédérale.

243La riposte fut immédiate et sa violence égale à celle de l’attaque subie. Le Bureau, serrant ses rangs, interpréta la motion comme dirigée contre tous ses membres, accusés de refuser la violation de la neutralité politique de la Fédération.

244Le Président déposa donc une motion de défiance à l’égard de P. Bugeaud. L’enjeu devenait clair : à l’issue du vote, soit Bugeaud, soit le Bureau National, moins Bugeaud, deviendrait démissionnaire de plein droit. L’issue ne faisait cependant aucun doute. 42 membres ayant droit au vote – 36 votèrent la motion de défiance appliquée au Président de la Seine. 2 membres s’abstinrent et seuls les 4 représentants de l’Association de la capitale votèrent contre103.

245Bugeaud, pris à son propre piège, se trouva destitué de son poste de Vice-Président Fédéral, ne préservant que son siège au Comité Fédéral.

246L’incident fut donc réglé avec une rapidité remarquable et l’on s’efforça d’apaiser les craintes qu’avait éveillé le conflit – procédé qui devenait coutume. Les représentants de la Seine se déclarèrent même plus attachés que quiconque à l’union et à l’unité de la Fédération.

247La contestation permanente de la ligne d’action du Bureau National de la part des dirigeants de l’A.D. de la Seine n’a rien d’exceptionnel. Quel autre comportement fallait-il attendre de la part d’hommes partageant des conceptions différentes quant aux raisons d’être et aux finalités de l’Organisation ? Par contre, la forme de l’attaque contre Lepeltier et Perrin, sa violence et son style nous déroutent.

248Certes, P. Bugeaud ne pouvait prévoir que la motion de défiance qu’il déposait aboutirait à son exclusion du Bureau. Ce procédé était unique et, jusque-là, inédit. Toutefois, l’intransigeance de la Direction Fédérale lors du « débat sur la paix » de 1948 aurait dû lui permettre de pressentir une réaction particulièrement dure, face à un texte aussi sectaire. De plus, fréquentant le Président et le Secrétaire Général, il savait fort bien qu’ils n’étaient pas hommes à se laisser faire.

249Le Président de l’A.D. de la Seine avait-il commis une erreur ? Pour notre part, nous ne le croyons pas. Il se peut que lui et les autres dirigeants de son Association crurent ferme avoir raison, persuadés qu’à long terme la base les soutiendrait, espérant que les masses trancheraient en leur faveur104.

250Il est probable également qu’ils crurent percevoir, le jour de la manifestation, l’exaspération et l’impatience des adhérents devant la temporisation et le manque de combativité de la direction fédérale105. Toutefois, un homme aussi expérimenté que Bugeaud ne devait pas se nourrir de trop d’illusions quant aux positions des adhérents d’une organisation à prédominance provinciale et rurale. Il nous paraît aussi peu probable qu’un cadre aguerri du Parti Communiste ignore le poids de l’appareil fédéral totalement hostile aux conceptions qui étaient siennes.

251Pourquoi avoir donc engagé le combat, sachant à l’avance qu’on serait battu et châtié ? Il nous semble que la seule explication plausible est que les dirigeants de l’A.D. de la Seine, le Président en tête, obéissaient à des mots d’ordre extérieurs, émis afin de servir des buts étrangers au Mouvement P.G., sans tenir compte le cas échéant des réactions possibles au sein de la F.N.C.P.G.

C. « La Fédération ne sera pas colonisée »106

252Contrairement à l’épisode de 1948, la session d’Octobre du Comité Fédéral ne constituait pas le dernier acte d’une controverse. Ce qui semblait être un épilogue se révéla comme prologue d’une lutte interne qui ne fut définitivement emportée que six mois plus tard, au Congrès d’Aix-les-Bains (4.1950). La responsabilité de cet état de choses incombe, paradoxalement, à la réussite de la manifestation du 3 septembre. Un mouvement capable de rassembler dans les rues de Paris 80 000 hommes venus de toute la France, à l’heure où des centaines de milliers d’autres défilaient dans les chefs-lieux de leurs départements, intéressa au plus haut point ceux qui cherchaient à déployer leurs activités dans les organisations de masses.

253La F.N.C.P.G. devint suffisamment importante pour qu’on en tienne compte lors de la session du Comité Central du P. C. du 9.12.1949 à Saint-Denis. Jacques Duclos la mentionna même dans son rapport, blâmant « nos camarades » actifs en son sein : « En ce qui concerne les prisonniers de guerre dont il a été question, on a assisté à des oscillations dans l’attitude de nos camarades faisant preuve de sectarisme... sombrant dans l’apolitisme comme ce fut le cas lors de la manifestation du 3 septembre à Paris ».

254Partant de cet axiome, les décisions du Comité imposèrent la nécessité : « d’apporter une amélioration décisive au travail des communistes dans les organisations de masses, notamment parmi les anciens combattants prisonniers de guerre... »107. Les agissements des militants P.G. membres du Parti allaient prouver que chez eux on ne prenait pas à la légère les directives du Comité Central.

255D’autre part, la Direction Fédérale se condamna, définitivement et sans appel, aux yeux de sa minorité, lorsque le Comité Fédéral adopta en janvier 1950 une résolution favorable à l’initiative de David Rousset. Cette instance demanda, en effet, la « constitution, à l’instigation de l’O.N.U., d’une commission d’enquête pour rechercher s’il existe encore dans certains pays des camps de concentration... ou s’il se trouve encore dans ces pays, cinq ans après la fin des hostilités, des prisonniers de guerre... » Rien d’étonnant donc si des militants, habitués à penser que ceux qui ne sont pas avec eux sont contre eux, virent là une adhésion inconditionnelle de la part de la majorité aux thèses gouvernementales. Il fallait donc noyauter la F.N.C.P.G., si possible, la neutraliser dans le cas contraire, abattre ou discréditer ses dirigeants, quoi qu’il arrive.

256La fermeté et l’obstination de ces hommes qui s’opposaient avec intransigeance et ténacité aux campagnes de la minorité menant la lutte avec talent, rendant coup pour coup, les désignaient comme cibles permanentes. Les croyant engagés dans une manœuvre destinée à attirer le Mouvement dans le camp adverse, on passa immédiatement à l’attaque.

257P. Bugeaud « ouvrit le feu » le premier, tirant à boulets rouges sur « la poignée de dirigeants s’align (ant) sur la pire réaction dans sa campagne contre l’Union Soviétique » : « Les prisonniers », clamait-il, « ont le droit de prendre position vis-à-vis de cette direction qui, en s’associant à David Rousset, participe à la préparation idéologique à la guerre et renonce à défendre énergiquement les revendications des prisonniers de guerre parce qu’elles mettent en cause la politique de misère, de réaction et de guerre du mouvement »108.

258R. Bossus fut encore plus violent dans ses termes : « L’acte politique de la majorité du Comité Fédéral de l’Association Nationale des Prisonniers de Guerre... est une prise de position tendant à venir en aide aux fauteurs de guerre. Les dirigeants de la Fédération rabâchant à longueur le mot « conscience » et l’affirmation d’indépendance ne sont que des hommes de partis obéissant à leurs appareils ainsi qu’aux ministres en exercice »... « Ces cadres, issus de la bourgeoisie, ont comme ligne de conduite l’application de la politique gouvernementale de préparation de la guerre et une conscience qui ne ressemble en rien à la conscience de l’immense majorité du million de prisonniers... L’anticommunisme... leur (sert) de paravent pour masquer leur attitude hostile aux intérêts des prisonniers de guerre dont le premier est incontestablement le maintien de la paix. Il explique aussi leur sabotage de l’action revendicative des P.G. qui ne pourra être satisfaite que par des prélèvements sur le budget de la guerre »109.

259La préparation du XII^e Congrès du Parti ainsi que la nette recrudescence de la campagne pour la paix poussèrent les dirigeants P.G., cadres de ce parti, à définir, avec clarté, le cadre idéologique de leur action dans l’organisation ainsi que ses modalités. Ils précisèrent donc leurs conceptions de l’action auprès de la masse des Prisonniers de Guerre dans deux articles publiés dans la rubrique « Problèmes du Parti avant le XII^e Congrès du Parti Communiste Français » de l’hebdomadaire France Nouvelle 110.

260P. Bugeaud y proclama de nouveau que les Prisonniers ne participaient pas à la campagne idéologique de préparation de la guerre. Au contraire : « Ils rappelleront à ceux qui ont oublié qu’ils devraient “chaque matin chanter un hymne de reconnaissance à l’U.R.S.S. qui nous a rendus à la vie, à nos femmes, à nos enfants, à la joie” ».

261Il exigea des communistes, anciens prisonniers de guerre, de militer dans leurs associations, car leur désaffection laisse ces organisations aux mains des adversaires. Ceux-ci, sous le prétexte d’« apolitisme » y mènent une politique pro-gouvernementale en opposition avec la ligne du Parti.

262Fidèle aux consignes de la session du Comité Central de Saint-Denis, le Président de l’Association de la Seine exhorta donc les communistes adhérant aux associations de P.G. à réagir contre l’insuffisance de leurs activités dans ce milieu. Pouvait-on y voir autre chose qu’un appel au noyautage ?111.

263R. Bossus précisa quelques jours plus tard le cadre de cette action dans les mêmes pages. Citant L. Mauvais, il rappela aux membres du Parti que : « se refuser à militer dans les organisations de masse, ou n’y développer qu’une activité insuffisante... aboutit parfois à abandonner pratiquement des couches importantes à l’influence des adversaires ». Analysant les dernières sessions de la direction du Parti, il s’emporta contre le désintérêt dont avaient fait preuve les Secrétaires des Fédérations envers les Anciens Prisonniers de leurs départements – et ce à quelques jours du 3 septembre 1949. Il conclut son exposé, empruntant – rituel oblige – une citation à M. Thorez :

264« Dans l’intérêt de la masse des anciens P.G. il est donc nécessaire : “Que le Parti, avec des bons combattants dans les usines, de bons cadres à tous les échelons, soit capable d’orienter, d’organiser, de diriger l’ensemble du mouvement des masses et de réaliser sa tâche avec un grand esprit de décision et de fermeté”. »

265Il appela les militants à « mener dans la juste voie de l’union et de l’action des centaines de milliers d’anciens P.G., de les soustraire à l’influence des dirigeants nationaux actuels. Ceux-ci ayant démontré... qu’ils sont au service... d’un gouvernement agissant pour le compte de l’étranger »... « Il s’agit de faire connaître aux centaines de milliers d’anciens P.G. “la politique de paix, sage, résolue et intransigeante, pratiquée par l’Union Soviétique. La politique de paix stalinienne... Les anciens P.G. doivent connaître la lutte que le Parti Communiste mène pour leurs revendications et pour le maintien de la Paix...”. »

266Bossus espérait évidemment, dans l’intérêt de la F.N.C.P.G., que la discussion portée dans ses S.L. et A.D. « permettra aux Prisonniers de démasquer leurs mauvais dirigeants, les remplaçant par d’autres – communistes ou non – dignes de leur confiance ».

267Le membre du Comité Central concluait allègrement : « A nous, communistes armés des enseignements de Lénine et de Staline, armés de conseils clairvoyants de Maurice Thorez, de nous placer hardiment à la tête des anciens P.G., place que nous obtiendrons par nos efforts, persévérant à nous montrer les meilleurs pour l’union, pour les revendications pour la paix »112.

268La campagne contre la Direction Fédérale prit très vite une envergure nationale. Les propos de Bugeaud et de Bossus furent largement repris par la presse communiste de province. Les journaux du Parti transposèrent à l’échelon départemental ou régional leurs arguments. Parfois, les articles de l’Humanité ou de France Nouvelle furent reproduits dans des versions démarquées, ressemblant mot à mot, presque à l’original. Ils étaient signés par un P.G. déclarant son matricule, mais inconnu en général à l’A.D.113.

269Ces attaques étaient synchronisées de façon à être publiées la veille des Congrès Départementaux et visaient souvent autant les dirigeants nationaux que les Comités Directeurs locaux114.

D. La scission dans l’a. d. de la Seine

270La campagne orchestrée par les cadres de la Seine se solda par un résultat immédiat. Le malaise permanent minant depuis plusieurs années cette Association, aggravé par le comportement de ses dirigeants après le 3 septembre, leurs publications sectaires et leurs appels au noyautage du Mouvement aboutit à une scission interne.

271Le congrès annuel de l’A.D. se tenant le 11 et 12 mars 1950, à Ivry, la Section Locale du VIII^e arrondissement refusa d’y envoyer des délégués. Estimant que tous les avertissements lancés depuis trois ans à la Direction avaient été ignorés et les engagements pris par les cadres de l’A.D. bafoués, elle se retira de ce fait de l’Association115.

272Les représentants d’autres S.L. se présentèrent à Ivry avec l’intention ferme de quitter l’A.D. sans porter la responsabilité de la dissidence. Dès le début du débat sur le rapport d’activités générales présenté par le Secrétaire Départemental (Vogler), M. Lambert, délégué du XVI^e, déposa une motion de défiance au bureau sortant, déclarant inéligibles les membres du Comité Directeur. Il fut suivi par les porte-parole de sections qui s’opposaient à l’orientation imposée par la Direction de l’Association. Celle-ci fut accusée de diffuser des mots d’ordre politiques à travers le bulletin de l’A.D., de ne pas respecter les décisions des congrès départementaux et nationaux quant à la neutralité de l’Association, et de provoquer par ses prises de position les départs de très nombreux membres, outrés par un tel comportement.

273Les articles de Bugeaud et de Bossus ayant décidément « fait déborder le verre », la minorité présenta au Congrès un ultimatum. Elle exigea la mise aux voix de la motion Lambert, précisant qu’elle quitterait l’Association au cas où celle-ci refuserait de désavouer une direction qui s’était permis une conduite aussi sectaire et politisée. Devant le refus du Secrétaire Général de mettre cette motion aux voix, 52 délégués (sur 420) quittèrent le Congrès, consommant ainsi la dissidence de 16 S.L. rejointes par plusieurs délégués minoritaires d’autres sections116.

274Les partants décidèrent de constituer sur-le-champ une nouvelle association baptisée « Association Amicale des Combattants Prisonniers de Guerre de la Seine ». Ils adressèrent sous forme de tract un bulletin d’adhésion aux P.G. du département, expliquant les raisons de leur rupture. Ils appelèrent les anciens P.G. de la Seine à adhérer à une Association qui entend rester en-dehors de toute activité politique, accentuant son action d’entraide et défendant les revendications du groupe117.

275Les cadres de la nouvelle organisation ne perdirent pas une minute. L’Association Amicale fut dûment déclarée à la Préfecture dès le 13.3. Le lendemain, le Président de son Bureau Provisoire, J. Pinton, adressait au Président de la F.N.C.P.G. une demande d’affiliation à la Fédération, fournissant à l’appui de sa requête un exemplaire des statuts déposés, conformes en tous points au modèle établi par les Congrès Fédéraux et une lettre exposant les motifs de rupture avec l’Association Départementale118.

276Le Comité Fédéral siégeant le 23 et le 24 mars examina la demande d’affiliation de l’Association Amicale, constatant que les statuts présentés étaient conformes au modèle établi. « Considérant que l’exposé des motifs de la création de ladite association est fondé, ses auteurs soulignent leur volonté d’observer à l’égard de la Fédération le loyalisme auquel, à maintes reprises, ont manqué gravement les dirigeants de (l’A.C.P.G.) du département de la Seine, faisant perdre ainsi, en quatre ans, à leur association les deux tiers de ses adhérents ».

277« Considérant qu’il serait injuste d’écarter des rangs des camarades qui n’y veulent servir d’autre cause que celle des P.G. » – il – « conclut à l’Admission de l’Association Amicale... comme membre titulaire de la Fédération...119.

278La scission de l’A.D. de la Seine était orchestrée et synchronisée avec une telle ponctualité qu’on ne peut s’empêcher d’y voir un acte sciemment préparé. Elle s’incrustait, d’autre part, si bien dans la stratégie de la direction fédérale, que nous ne pouvons nous dispenser de nous poser certaines questions quant au rôle de cette dernière.

279En effet, le Bureau National s’abstint, cette fois-ci pendant plusieurs mois, de toute réaction publique ou de riposte aux appels au noyautage ainsi qu’aux attaques personnelles que subissaient ses dirigeants. La Direction Fédérale estimait apparemment que l’attitude des cadres de la Seine et leurs propos étaient si flagrants qu’ils l’exemptaient de tout commentaire. Elle laissa donc la situation mûrir, attendant patiemment l’heure d’assener le coup décisif. Le Bureau se contenta d’informer systématiquement les Comités Directeurs Départementaux du développement de la campagne, diffusant les articles hostiles auxquels il joignait des documents complémentaires120.

280L’offensive préparée devant constituer l’épilogue des manœuvres de la minorité communiste, mettant dorénavant fin aux tentatives de noyautage de l’Organisation, il est probable qu’on s’employa à affaiblir auparavant l’A.D. contestataire. Les Dirigeants Fédéraux avaient tout intérêt à démontrer les effets néfastes de la ligne de conduite des dirigeants de la Seine au sein même de leur Association. La scission devenait dans ce contexte un présage et un avertissement. Elle permettait aussi de prétendre, non sans raison, que la tendance radicale était minoritaire même dans le groupe des Anciens P.G. de la capitale. Les deux tiers des adhérents ayant déjà « voté avec les pieds », désertant l’A.D., une minorité fondait à son tour une association autonome121.

281De plus, projetant des sanctions graves, la Direction envisageait probablement l’éventualité d’une scission de la F.N.C.P.G. même et la fondation d’une association rivale. Dans ce cas, il fallait se préparer à récupérer l’A.D. de la capitale plaçant la minorité devant le vide, ne lui laissant que le choix d’être diminuée ou marginalisée.

282Nous n’avons toutefois aucune raison de penser que la Direction Fédérale manigança la scission dans « la Seine ». Un malaise profond y existait, nous l’avons vu, de longue date. Il fut incontestablement avivé par les événements internes de l’hiver 1949-50. Le Bureau National s’était jusque-là opposé à toute dissidence, persuadant la minorité de rester dans l’A.D. Il semble plutôt qu’il mit fin, au début de 1950, à cette opposition, faisant comprendre aux porte-parole de l’opposition qu’elle serait admise, le cas échéant, comme Association autonome à la Fédération.

283En tout cas, l’« Association Amicale » naissante reçut l’appui de l’appareil fédéral. Elle installa même son bureau dans l’immeuble de l’Organisation et compta parmi ses membres fondateurs un des membres du Bureau National122.

284La synchronisation de sa fondation constitue une mécanique de haute précision. Quittant le Congrès de la Seine le samedi 11 mars, l’ Amicale prit corps au courant de la semaine suivante. Le Comité Fédéral qui se réunit le 22 du mois fut placé devant le fait accompli. Il était désormais vain et futile de parler de réconciliation. La responsabilité de la Direction de la Seine était évidente. Il ne restait au Comité qu’à se prononcer en faveur de l’admission d’une Association, ne demandant qu’à respecter les statuts fédéraux ou bien exclure de la Fédération des milliers de membres dont la seule faute apparente était le refus intransigeant d’une ligne qu’il s’apprêtait à condamner lui-même de la façon la plus ferme.

285Le 23 février, le Président et le Secrétaire Général adressaient, en guise de « sommations d’usage », une lettre aux Vice-Présidents de l’A.D. de la Seine. Ils attiraient leur attention sur les articles publiés par P. Bugeaud, les priant d’examiner lors de la prochaine session du Comité Directeur de l’Association si ces publications plaçaient ou non leur Président sous le coup de l’article 8 des statuts des A.D. affiliées à la Fédération, article qui prévoit, rappelait-on, l’exclusion de tout membre se livrant à une activité contraire à l’objet de l’Association, notamment à une activité politique123.

286Cette requête ne reçut évidemment aucune suite. La Seine constitua une commission chargée d’établir un rapport sans avoir apparemment l’intention de la réunir. Constatant la vanité d’une telle démarche, le Bureau entama la riposte à laquelle il avait préparé de longue date les dirigeants des A.D. et les membres du Comité Fédéral124.

287La dernière session du Comité Fédéral eut lieu les 22 et 23 mars, à trois semaines seulement du V^e Congrès de l’Organisation. Elle fut consacrée essentiellement à l’offensive politique déclenchée par le P. C. dans la Fédération et à la scission de l’A.D. de la Seine. Ses débats furent concis et le compte rendu publié par le P.G. s’avère plus laconique que d’usage. La brièveté de l’affrontement était due au fait que les participants avaient largement eu le temps de définir leur position, établissant un consensus. D’autre part, tous savaient que l’affrontement Direction-minorité, au sein du Comité, n’était qu’une répétition générale, la première étant remise au Congrès National.

288Bugeaud et Bossus furent accusés par Lepeltier, Perrin et Cuisinier de servir d’intermédiaires appliquant la décision de coloniser la Fédération, prise par le Comité Central du P. C. à Saint-Denis. Ils furent inculpés de tenter de détruire même un mouvement dont ils ne pouvaient s’emparer, d’être les responsables du désintérêt des militants de la Seine de la vie de leur A.D. et d’avoir provoqué la dissidence dans leur Association. On leur reprocha de faire de la démagogie, accusant les dirigeants de mollesse dans les combats revendicatifs, alors qu’eux-mêmes n’avaient su satisfaire aucune des revendications essentielles des P.G. à l’époque où ils occupèrent des postes de haute responsabilité au Ministère des A.C.V.G. On rappela aussi aux deux cadres l’engagement pris en décembre 1948, qu’ils avaient signé de leur propre main, le violant ensuite avec tant d’impudence.

289Le Président Fédéral cita même Lénine, analysant les bases idéologiques du but véritable poursuivi par la Seine qui organisait la « lutte de masses dans une institution non révolutionnaire ».

290Bugeaud, Bossus et Thévenin, les dirigeants principaux de la minorité, répondirent aux attaques, reconnaissant qu’ils avaient en effet mené une offensive « contre les dirigeants politiques de la Fédération qui par leur jeu et leurs actes oublient les résolutions des congrès, la défense des revendications des P.G. et la lutte pour la paix ». Toutefois, « en aucun cas et sous aucune forme il ne s’est agi d’une offensive politique contre la Fédération Nationale ». Ils insistèrent sur les « carences fédérales dans le domaine de la défense de., revendications qui sont autant de positions politiques prises par la Fédération, sous l’impulsion de Lepeltier et de Perrin ». Quant à la publication de leurs articles dans la presse du Parti, elle était due au fait que les colonnes du P.G. n’étaient jamais ouvertes aux « oppositions bienfaisantes qui pourraient se manifester ». Les porte-parole de la minorité accusèrent la direction fédérale de manœuvrer de façon à exclure les communistes de ses rangs, ne laissant l’Organisation ouverte qu’à ceux des Anciens P.G. qui « pensent comme le gouvernement ». La scission dans l’Association de la Seine n’était qu’un aboutissement de cette stratégie. Elle fut préméditée par les Dirigeants Fédéraux qui en ont donné l’ordre, sachant que les dissidents ne partiraient pas sans être certains de recevoir l’appui inconditionnel des membres du Bureau. Finalement, les cadres de la Seine insistèrent explicitement sur leur attachement à l’unité du Mouvement Prisonnier et leur volonté d’empêcher à tout prix son éclatement.

291Apparemment peu impressionnés par ce plaidoyer, les membres du Comité examinèrent les motions présentées à l’unanimité par le Bureau National. Sensible au thème de l’unité, ce dernier insistait sur sa volonté de n’exclure personne. On ne remettait donc nullement en question la place de l’A.D. de la capitale. Toutefois, on proposait au Comité de « faire une place dans la Fédération à ceux des camarades de la Seine qui, refusant les mots d’ordre politiques, tiennent à rester fidèles aux statuts de notre Fédération ». Quant aux « camarades qui ont lancé l’offensive politique, il (n’était) pas envisagé d’exclure de la Fédération ces camarades, mais de leur marquer la défiance en les privant d’accéder à des postes de direction ».

292Une fois les mains levées, la majorité vint facilement à bout de l’opposition. Les deux motions furent approuvées, comme prévu, par 37 voix contre 5 (celles de la Seine)125.

293Les considérations tactiques qui poussèrent la direction à engager ce débat à 3 semaines seulement de la réunion du Congrès National d’Aix-les-Bains sont évidentes. Le Comité était un cadre bien plus intime, plus homogène et nettement mieux informé des problèmes internes de la Fédération qu’une assemblée réunissant quelques centaines de personnes, relativement ignorantes des tensions existant au Siège. Le souci d’efficacité et la volonté d’emporter rapidement le débat prescrivaient d’entamer cette discussion au Congrès, à la lumière d’un débat préliminaire du Comité Fédéral, y brandissant des résolutions prises à l’unanimité (moins la Seine).

294La Direction donna évidemment le maximum de publicité à la session du Comité ainsi qu’aux résolutions qui y furent prises et qu’elle publia juste à la veille de la réunion de l’Assemblée126.

295D’autre part, ces décisions octroyaient à l’Association Amicale l’indispensable légitimité, lui accordant le droit d’envoyer au Congrès National des représentants autorisés à plaider sa cause127.

E. Le Congrès D’Aix-Les-Bains

296La F.N.C.P.G. tint son V^e Congrès National à Aix-les-Bains du 13 au 16 avril 1950. La date s’avéra peu propice à une controverse opposant la majorité à une opposition communiste. En effet, le climat politique s’était considérablement détérioré les semaines précédentes et la tension interne atteignait de nouveau son paroxysme. Les consignes diffusées par la C.G.T. afin d’entraver l’envoi de matériel de guerre en Indochine donnèrent lieu, au mois de mars, à un débat parlementaire consacré à une proposition de loi contre le sabotage. Les délibérations de l’Assemblée Nationale dégénérèrent rapidement en conflit violent accompagné de rixes. Au début d’avril, le P. C. ayant tenu son XII^e Congrès se plaçait délibérément dans une position de guerre ouverte face au gouvernement et à sa politique de défense nationale. Quelques jours plus tard, une trentaine de députés soumettaient à l’Assemblée une proposition de résolution invitant le gouvernement à prendre des « mesures légitimes de défense active contre les entreprises du Parti Communiste et de ses organisations satellites ». La veille même de la réunion du congrès, l’arrivée des premières cargaisons de matériel militaire américain avait provoqué une série d’incidents graves et violents128.

297S’arrachant à la solennité et au rituel de la séance d’ouverture, le Congrès entamait le 13.4, dès 16 h, le débat cardinal consacré aux « conséquences de l’ingérence d’un parti politique dans la vie de l’association »129. La discussion consacrée à ce problème constitue un des grands moments de la vie de la Fédération. Elle se prolongea jusqu’à 3 heures du matin, aboutissant enfin à un règlement définitif des conflits qui avaient opposé jusque-là la Direction Fédérale à sa minorité.

298Malgré la dégradation du climat national et la tension, perceptible à travers chaque page du compte rendu sténographique de la séance, la haute tenue du débat impressionne le lecteur. Les antagonistes s’imposèrent un comportement correct malgré des échanges d’accusations extrêmement graves et des attaques personnelles. Les arguments furent pertinents et le ton ne monta que rarement ; les dérapages étant surtout provoqués par des acteurs de second rang. Sentiments de camaraderie persistants malgré tout ? Echos estompés d’un passé lointain, rappelant aux participants qu’ils avaient cru apprendre un jour à respecter l’opinion d’autrui ? Tension et ressentiments se limitant aux hautes sphères de l’Organisation, sans imprégner des couches intermédiaires des cadres ? Quoi qu’il en soit, les anciens P.G. surent préserver leur dignité. Un congrès de prisonniers n’était pas l’Assemblée Nationale. On n’échangea donc que très peu d’altercations, guère de coups et personne ne fut expulsé « manu militari » de la salle.

299Le débat lui-même n’apporta aucun élément nouveau. Tout avait déjà été dit et répété tant de fois. Dans le cadre de ce dialogue de sourds, on avait présenté tous les arguments, exposé les preuves, développé les raisonnements. On fit pourtant un dernier effort, jouant le jeu jusqu’au bout, même si les résultats ne faisaient que très peu de doutes.

300La dissidence d’une minorité dans la Seine indisposa beaucoup de délégués. Elle choqua ces hommes, imbus du mythe de l’unité, angoissés par un précédent dangereux130. Les représentants de l’A.D. de la capitale exploitèrent cette tendance, brandissant l’épouvantail de scissions dans d’autres départements, car : « Admettre cette scission serait admettre que demain, dans d’autres départements, plusieurs Associations peuvent exister »131.

301L’Association essaya d’ailleurs de faire pression sur le Congrès, ses sections inondant l’assemblée de télégrammes dont le texte identique mettait les délégués en garde devant des mesures pouvant mettre en cause l’unité des P.G.132.

302Pour le reste, c’était la litanie d’accusations bien connues : réaction, complaisance et servitude face au gouvernement, anti-communisme viscéral, trahison de décisions des Congrès sur la paix, bellicisme, sécessionnisme, abandon des revendications, refus de critiques, hypocrisie feignant l’apolitisme, servilité face à l’impérialisme américain – s’écriaient les délégués de la Seine et quelques sympathisants d’autres A.D.133.

303– Noyautage, politisation, propagation de désordre et de division, comportement antinational, perte d’adhérents, imposition des concepts de la paix stalinienne, désir d’entraîner la Fédération sur la voie de luttes antigouvernementales : répondaient les porte-parole de la direction appuyés par de nombreux congressistes134.

304Le Secrétaire, le Président surtout plaidèrent avec brio en faveur de la ligne qu’ils avaient contribué à définir. Toutefois, un autre orateur se fit remarquer par un long réquisitoire contre les agissements de la minorité. Paul Cuisinier de l’A.D. du Nord, membre du Comité Fédéral et spécialiste de problèmes d’orientation, gagnait dans cette lutte la considération qui allait lui permettre d’accéder à Aix au poste de Vice-Président avant de devenir, deux ans plus tard, le successeur de Lepeltier et de Perrin au poste de Président Fédéral135.

305Le débat touchant à sa fin, on passa aux votes dont le résultat ne surprit personne. Comprenant que malgré certaines menaces voilées la minorité ne désirait pas faire dissidence, 93 % des congressistes soutinrent la Direction Fédérale.

306Selon la motion votée, « le Congrès demand (ait) au Comité Fédéral : de suivre avec vigilance la situation de la Fédération dans le département de la Seine afin de rétablir, dès que les conditions nécessaires seront acquises et stabilisées, l’unité des Prisonniers de Guerre, dans le département de la Seine ».

307Elle limita à « l’échelon fédéral et à la durée qui s’écoulera jusqu’au prochain Congrès ordinaire les mesures demandées par le Comité Fédéral à l’égard des camarades Pierre Bugeaud et Raymond Bossus ».

« Cette restriction faite, le Congrès approuv (a) les dispositions votées par le Comité Fédéral dans sa session de mars 1950. »

308Les résultats du vote rendent fidèlement compte du rapport de forces dans la Fédération. 366 délégués votèrent la motion, 17 s’abstinrent, seulement 33 levèrent leur main contre136.

309Vu le soutien quasi unanime et cependant prévisible des congressistes, on ne peut qu’être stupéfait par le dogmatisme des hommes qui poussèrent la minorité à un comportement qui l’isola à ce point. Certes, la volonté de s’implanter profondément dans les mouvements de masses était légitime et la stratégie qui en découlait parfaitement logique ; mais, vu le déséquilibre des forces, quel manque de finesse et de doigté dans l’application ! En ce qui nous concerne, nous refusons de croire que des dirigeants possédant les qualités de P. Bugeaud, parfaitement conscients des réalités du Mouvement, furent ceux qui arrêtèrent cette tactique purement suicidaire.

310Le Front des Barbelés se leurrait encore, peu de temps après, prétendant que les camarades de province partageaient en fait les opinions des « Parisiens » et les différences de conceptions se manifestant aux congrès relevaient du fait que la « composition sociale des Congrès Nationaux ne reflète pas l’image des P.G. de France »137.

311En réalité, le Congrès d’Aix-les-Bains venait de mettre définitivement fin aux luttes internes dans la F.N.C.P.G. Depuis l’exclusion de Bugeaud, la minorité avait perdu toute représentation au Bureau National – situation qui devait se prolonger de longues années. Déclarés inéligibles, les deux dirigeants prééminents de la Seine furent évincés du Comité Fédéral et, à l’issue du Congrès de 1951, l’A.D. manqua même de représentant dans cette instance. A la même époque, les militants du P. C. perdirent le contrôle de l’A.D. de la Seine-et-Oise et la défaite subie par la minorité accéléra le remplacement des rares sympathisants du Parti qui occupaient des postes de responsabilité dans les Associations.

312Diminuée et décapitée, la minorité fit désormais preuve de beaucoup de prudence. Ayant atteint les limites du possible et acculée, elle apaisa son ardeur, atténuant son militantisme. Toutefois, elle continua à constituer au sein de la Fédération un groupe avec lequel il fallut toujours compter et qui préserva de façon permanente un certain contrôle de la ligne adoptée par la Fédération.

313L’évolution de l’Association Amicale ne combla pas ses fondateurs. Certes, elle réussit à attirer dans ses rangs plusieurs milliers de P.G. Toutefois, elle n’éclipsa guère l’A.D. de la Seine et ne put récupérer ses adhérents. Les départs massifs d’Anciens Prisonniers désertant l’Association de la capitale constituèrent probablement une sélection, laissant dans ses rangs une majorité d’adhérents qui partageaient les conceptions de leurs dirigeants. D’autre part, il faut reconnaître que ceux-ci surent toujours se montrer irréprochables sur le plan humain, faisant preuve de beaucoup d’efficacité et de compétence dans la gestion de l’Organisation. Ils manifestèrent également un dévouement total à la cause, aux besoins et aux intérêts de leurs adhérents.

314Les divergences entre les deux associations furent d’un caractère politique autant que social. Le fait que les premières sections de l’Amicale, fondées à Paris, furent celles des I^e, VIF, VIII^e, XIII^e, XV^e, XVI^e, XVII^e et XX^e arrondissements n’est pas un hasard pur. On peut donc facilement comprendre pourquoi la nouvelle association n’attira guère les adhérents des arrondissements et des banlieues ouvriers.

315Paradoxalement, la dissidence dans la Seine, quels que furent ses résultats, contribua à préserver l’unité de l’organisation, isolant au moment critique la minorité, tout en la confrontant au vide. Ainsi, ironiquement, une scission en prévint une autre.

316La controverse entre la direction et la mouvance communiste ne se limita point à une affaire purement interne. L’intensité du conflit engendré par la guerre froide dans la société nationale était telle que le public trouvait intérêt à toute manifestation de cette controverse dans les organisations sociales. Déjà, la scission dans l’A.D. de la Seine et la constitution de l’Amicale furent mentionnées par la presse qui relata ces faits en les accompagnant parfois d’un court commentaire138. Il en fut de même du Congrès. Plusieurs journaux publièrent, la veille de sa réunion, des articles expliquant à leurs lecteurs l’enjeu. Les débats du Congrès furent systématiquement couverts et les quotidiens réagirent aux résultats, selon leurs conceptions, faisant très souvent le rapprochement entre cette Assemblée et le Congrès de l’« Union Nationale des Etudiants de France » qui débattait au même moment des mêmes problèmes139.

317L’intérêt porté par les journaux parisiens au conflit interne dans la F.N.C.P.G. contraste avec l’approche des publications des A.D. qui préférèrent, le plus souvent, ignorer ces événements. En effet, un sujet auquel furent consacrés des numéros entiers du P.G. ne trouva qu’un faible écho dans la presse des A.D. Sur ce plan, le décalage entre la Fédération et ses associations relève du phénomène. Aussi stupéfiant que cela puisse paraître, le débat cardinal qui accapara à cette époque la Direction Nationale n’intéressa que très peu l’échelon local140.

318Ce contraste entre les réactions s’explique si l’on considère que l’Association Départementale constitue dans un certain sens un monde clos, se suffisant à lui-même. Elle organise et mène sa vie sociale, dispose d’un appareil, possède ses propres services et publie un journal. Une telle situation engendre le plus souvent une existence introvertie, primant les préoccupations locales. Or, la grande majorité des Associations était exempte des problèmes qui déchirèrent le Mouvement P.G. dans la Seine, d’où une certaine indifférence à ces conflits. Le militant de base ne lisait pas le P.G., connaissait très peu la Fédération et ignorait le plus souvent la composition des instances dirigeant son Organisation. Dans cette optique, les farouches luttes intestines étaient réduites à de lointaines querelles de ces messieurs de la capitale.

319Le grand conflit interne n’était donc qu’une tempête sur l’océan. Des énormes vagues déferlaient à la surface. Les profondeurs restaient sereines et imperturbables.