1La Fédération s’employa, dès le début, à défendre l’honneur du groupe. En effet, les prisonniers virent, à leur retour, leur honneur de combattants attaqué, leur patriotisme soupçonné et leur comportement dans les camps vivement critiqué1.

2L’Association comprit très vite que les procès en diffamation intentés aux auteurs de propos malveillants et la propagande ne pourraient sauvegarder l’image du groupe. Pour lever les soupçons pesant sur leur passé, on ne pouvait se contenter de narrer l’héroïsme des P.G. insistant sur leur intransigeance, face à l’ennemi, et leurs activités de résistance dans les camps et dans la France occupée. Il fallait, au contraire, que leur société démontre clairement que si certains prisonniers faillirent à leur honneur, il ne s’agissait que de cas individuels et isolés. Ces hommes qui négligèrent leur devoir patriotique par incompréhension, bêtise, faiblesse, calculs méprisables et, plus rarement, par trahison et sympathie pour l’ennemi, devaient être mis au ban de leur société. Leurs pairs, dont la conduite avait été irréprochable, avaient le droit et le devoir de leur demander des comptes et étaient les seuls capables d’apprécier leur comportement en captivité.

3L’auto-épuration et l’exclusion de « brebis galeusès » de leurs rangs devaient permettre aux anciens Prisonniers de porter la tête haute. A long terme, il était impensable que la responsabilité de la défaite soit imputée aux « soldats de l’ An quarante ». Quant aux traîtres et aux hommes ayant failli à leur devoir patriotique, quel groupe social dans la France de l’après-guerre pouvait s’enorgueillir d’en être exempt ? Les prisonniers n’étaient sur ce point « ni meilleurs ni pires que leurs compatriotes ». Mais la poursuite acharnée et inconditionnelle d’hommes ayant trahi leur honneur de P.G. pouvait préserver la dignité de leur société, améliorer son image, donner l’exemple, susciter l’estime et permettre à leurs associations d’entreprendre « le grand rôle qu’ils s’étaient assigné pour relever le pays »2.

4D’autre part, les procès d’hommes, chargés par le gouvernement collaborationniste de Laval de reprendre en main les administrations s’occupant des prisonniers, devaient démontrer qu’il ne s’agissait que d’une poignée de traîtres qui avaient été repoussés, avec intransigeance, par ses administrés. Le procès de Masson (l’homme par lequel Laval remplaça Pinot) et de ses acolytes était censé prouver que leur propagande bruyante en faveur du régime déchu, qui avait tant nui à l’image des P.G., n’était que l’œuvre d’un groupuscule profondément méprisé, haï et totalement isolé du groupe. Scapini devait être voué au même sort3.

5Il fallait enfin que personne ne puisse porter soupçon sur le passé d’un des dirigeants des Associations de Prisonniers. L’intérêt suprême de la Fédération exigeait que les hommes qui en tenaient la barre soient au-dessus de tout soupçon. Il était donc nécessaire de créer un organe capable de vérifier le comportement des anciens prisonniers, valider leurs cadres, excluant des rangs de l’Association ceux qui en auraient été déclarés indignes.

6La Fédération Nationale des Prisonniers de Guerre s’employa, dès sa création, à mettre au point une procédure et à constituer une institution capables d’assurer ces tâches.

A. Les Jurys d’Honneur Prisonnier

7L’importance et l’ampleur de la mission encouragèrent la Fédération à « voir grand », envisageant son action dans un cadre particulièrement vaste, lui procurant des moyens importants et une autorité officiellement reconnue.

8La première commission de l’Honneur Prisonnier réunie dès juillet 1945 par les « Hommes de Confiance des Camps » trouva tout naturel que des explications soient demandées aux rapatriés « sur la façon dont ils ont été faits prisonniers et sur leur attitude au cours de leur captivité ». Mais les P.G. « restés les derniers sur les champs de bataille, ayant subi l’épreuve intégrale de la captivité (avaient) aussi des comptes à demander ».

9La Commission s’adressa donc au Ministre des P.D.R. le priant « d’user de toute son influence pour obtenir la promulgation rapide du projet d’ordonnance sur les « Tribunaux d’Honneur ». Elle avait l’intention d’obtenir de la Justice que tout prisonnier, appelé à répondre de son comportement pendant la captivité, comparaisse d’abord devant un Tribunal d’Honneur, composé exclusivement d’anciens Prisonniers de Guerre. Ayant instruit l’affaire, le Tribunal devait rendre sentence aboutissant soit à la classer, soit à renvoyer l’inculpé devant les juridictions prévues par la loi : Tribunaux Militaires, Cours de Justice ou Conseils de Discipline Administratifs4.

10La Fédération reprit cette proposition à son compte poursuivant les démarches. Les contacts avec le Garde des Sceaux et son Ministère se prolongèrent toute la seconde moitié de l’année 1945 sans aboutir. La Justice ne tenait apparemment pas à reconnaître officiellement une juridiction d’exception privée, échappant à son contrôle5.

11Le Comité Fédéral qui désirait constituer rapidement le Jury d’Honneur National se heurta, à son tour, à des difficultés et à des questions de principe telles qu’il préféra différer leur solution au premier Congrès de l’Organisation6.

12Le Congrès, tirant la conclusion de l’échec de la tentative de créer un système de jurys P.G. par décret, posa les principes de l’action future dans ce domaine :

1. Les actes qu’un P.G. a commis en captivité ne pouvant être jugés que par des P.G., la Fédération créera une institution interne afin de procéder à l’examen du comportement de ses adhérents dans les camps et après leur libération. Cette institution sera composée d’un Jury d’Honneur National et de Jurys d’Honneur départementaux.

2. Les Jurys ne feront pas de procès d’opinion se bornant à juger des actes tout en tenant compte des circonstances.

3. « Il est nécessaire de voir juger Masson et Scapini, pour lever toutes les équivoques, pour nettoyer la maison ».

4. Une enquête sera menée sur le comportement des membres de la « Mission » (Scapini) et du Commissariat aux P.G. (de Vichy).

5. « Les officiers P.G. qui ont perdu leur honneur en allant volontairement travailler pour l’ennemi » seront poursuivis.

6. Les collaborateurs du journal Trait d’Union (diffusé par les Allemands dans les camps) seront poursuivis7.

13Les Associations Départementales furent invitées à créer au plus vite leurs jurys. Mais le premier règlement les concernant ayant été soumis au Procureur Général de la Seine, celui-ci fit à son sujet des remarques telles que le Comité Fédéral dut surseoir à leur lancement.

14La Fédération se contenta donc de mettre immédiatement sur pied un Jury National qui valida ses élus. La création des instances départementales dut attendre la solution de deux problèmes juridiques : la prévention de poursuites en diffamation et des recours pour excès de pouvoir8.

15Le règlement parut finalement en juin 1946. Les jurys d’honneur furent limités à n’examiner que des affaires concernant les adhérents de leur A.D. Un ancien P.G. non adhérent ne pouvait être jugé que sur sa demande écrite. Le jury d’honneur ne devait se prononcer que pour les cas caractérisés de manquement à l’honneur prisonnier, invitant dans les autres cas les plaignants à déposer en justice une plainte personnelle.

16Le Jury d’Honneur Prisonnier Départemental (J.H.P.D.) se compose de deux membres permanents : un président et un secrétaire-rapporteur, et de six membres tirés au sort sur une liste de vingt à trente anciens P.G. dressée à la diligence du Comité Directeur Départemental.

17Il est saisi soit par une plainte signée, émanant d’un tiers quelconque, soit à la demande d’un ancien prisonnier désirant y comparaître en justifiant d’attaques portées contre son honneur. Le jury peut également se saisir d’office d’affaires de son ressort.

18L’instruction d’une affaire doit être close au plus tard au cours des deux mois qui suivent l’enregistrement de la plainte. Le dossier complet est alors mis à la disposition de l’intéressé qui dispose de huit jours afin d’en prendre connaissance.

19L’intéressé a le droit d’être entendu par le jury et d’y faire entendre ses témoins. Il est autorisé à se faire assister d’un avocat ou d’un ancien prisonnier et, s’il est présent, à avoir la parole le dernier.

20Le jury peut délibérer avant de voter. Le vote lui-même est secret et se fait en l’absence de l’intéressé.

21L’institution a le droit de prendre cinq types de décision commençant par la reconnaissance du mal fondé de l’accusation avec félicitations du jury et aboutissant, dans les cas les plus graves, à l’exclusion temporaire ou à vie de tout organisme dépendant de la Fédération9.

22L’appel des décisions du J.H.P.D. peut être porté devant le Jury d’Honneur Prisonnier National (J.H.P.N.) qui fonctionne suivant les mêmes règles. Ce jury examine aussi les décisions prises par les instances départementales et a le pouvoir de les casser pour vice de forme ou d’en faire appel10.

23Le Premier Congrès de la F.N.P.G. décida de constituer au sein de la Fédération un Secrétariat de l’Honneur Prisonnier (S.H.P.). Le Secrétariat, devenu organe permanent, dépendait directement du Président du Jury d’Honneur National et avait mission d’organiser l’action fédérale sur le plan de l’honneur. Ses tâches consistaient à rechercher et à classer toute information utile, à maintenir les liaisons avec les Jurys départementaux et à entretenir des relations avec toutes les autorités touchant de loin ou de près aux questions de l’honneur. Le Secrétariat n’attendit pas la solution de problèmes juridiques pour entamer son action. Il s’appliqua, en premier lieu, à constituer les listes des P.G. dont le comportement en captivité éveillait des soupçons, et à collecter toute information les concernant11.

24Accomplissant un vrai travail de Bénédictin, le Secrétariat commença à compiler des fiches exploitant l’information que lui apportaient ses investigations et celles des A.D., les plaintes, les délations, le hasard et... ses relations. Voltaire Ponchel, un ancien du Commissariat et de la résistance P.G., organisateur du F. LA., devenu après la Libération un des créateurs de la Sûreté française en Allemagne et le Chef de son fichier central, fut dans ce domaine d’une grande aide, permettant à la Fédération l’accès à ses archives12. Le S.H.P. prépara l’épuration des rangs fédéraux, dressant les listes d’officiers volontaires pour le travail en Allemagne, de libérés spéciaux et de « salopards ». Parallèlement, il entreprit de constituer à la Fédération une collection du Trait d’Union l’exploitant afin de rédiger la liste de ses collaborateurs et de personnes ayant accepté d’y faire paraître leurs articles13. Cette action fut progressivement étendue à tous les « écrivains » de la presse collaborationniste des camps.

25Le Secrétariat de l’Honneur Prisonnier prit profit du caractère intime des Amicales de Stalags et d’Oflags afin de compléter ses informations. Les Amicales ayant constitué à leur tour des Jurys d’Honneur, les Associations collaborèrent dans ce domaine échangeant listes de suspects et renseignements14.

26Une fois les listes constituées, le S.H.P. obtint, par l’intermédiaire de la Fédération, le droit de consulter le fichier central du Ministère des Anciens Combattants afin d’y déceler les adresses des intéressés15.

27Les listes et les adresses complétées par les renseignements fournis par les Amicales furent enfin envoyées aux Présidents des Jurys d’Honneur Départementaux. Cependant, ceux-ci furent priés de traiter ces renseignements avec précaution, se livrant à des enquêtes sérieuses. Les accusations, bien que s’étant révélées en général fondées, provenaient en partie d’origines inconnues16.

28Le Secrétariat ne put, toutefois, se contenter d’attendre l’aboutissement de la préparation de ses listes pour fournir du travail aux J.H.P.D. Se saisissant d’accusations concrètes, il constituait immédiatement des dossiers, les complétait par des témoignages suscités, les dirigeant ensuite soit vers le Jury National, soit vers des Jurys Départementaux.

29Notons, toutefois, que le point de vue de la majorité qui orienta à la Fédération l’action de Jurys d’Honneur n’était pas partagé par toutes les associations.

30Le comportement de l’A.D. de la Haute-Loire caractérise sur ce point une conception totalement différente du même problème. L’Association repoussa la demande du Secrétariat de l’Honneur de constituer une liste d’officiers volontaires pour le travail en Allemagne. Elle refusa de devenir la dénonciatrice de fautes commises par ses membres, justifiant sa position à M. Bellan, Président du J.H.P.N. dans les termes suivants : « ... ces années ont vu s’accumuler une telle quantité de boue qu’il est préférable de ne pas la remuer. Il y aurait trop de sanctions à prendre et nous irions contre le but que nous poursuivons : prouver aux Français que les anciens P.G. n’ont pas failli à l’honneur »17. La réponse de Bellan à cette lettre en dit long sur l’existence de cet état d’esprit à la Fédération : « Je vous avoue que je préfère votre refus net et sincère au silence d’un certain nombre d’A.D. »18.

31Parfois, l’opposition qu’éveillait la constitution des Jurys d’Honneur et leur action se concrétisait en réactions bien plus radicales. Un lecteur de Solidaires (organe de l’A.D. de l’Eure), horrifié par les projets d’épuration, brandit dans sa lettre au journal l’épouvantail d’une activité politique. A ses yeux, vouloir juger les anciens P.G., départageant ceux qui collaborèrent avec l’ennemi et ceux qui se refusèrent à le faire, alors « qu’il existait une divergence d’idées » à ce sujet, ressemblait étrangement à faire de la politique. L’idée même de déférer des anciens prisonniers, reconnus coupables de délits sanctionnés par la loi, devant des Chambres Civiques, révoltait ce P.G. : « Est-ce que la moitié des prisonniers est digne déjuger l’autre moitié ? Et le Comité Directeur est-il une constituante qui valide la qualité prisonnier ? Et, en somme, quand on remue la m... ça pue, et celui qui la remue est le mieux placé pour s’en apercevoir »19.

32Cette approche était incontestablement minoritaire bien qu’on puisse supposer que ceux qui l’approuvaient n’étaient pas toujours prêts à exprimer ouvertement leur avis. On ne peut cependant s’empêcher de se demander quelle influence elle eut sur le fonctionnement des Jurys Départementaux. Etait-elle complètement étrangère au nombre restreint d’affaires que traitèrent ces institutions ?

33L’action fédérale se poursuivit pourtant avec intransigeance. Les Jurys d’Honneur Prisonnier des Associations Départementales commencèrent à se constituer dès le début de 1946 et les A.D. accélérèrent ce processus après la publication de leur règlement. A la fin de 1946, des Jurys fonctionnaient déjà dans presque tous les départements20. Toutefois, leur action ne prit sa pleine envergure qu’en 1947. Jusque-là, la majeure partie du travail fut fournie par le Jury d’Honneur National.

34Le bilan de l’action des Jurys d’Honneur pour l’année 1946 était peu important. Le J.H.P.N. siégea pendant cette période à cinq reprises, valida les cadres de l’organisation mais n’examina que onze dossiers. Six affaires seulement vinrent devant lui en appel des décisions rendues par les Jurys d’Honneur Départementaux ; ce qui démontre les faibles dimensions de leur action pendant cette année21.

35Au courant de 1947, les Jurys accélérèrent leur activité qui, à son apogée, resta toutefois fort restreinte. La « Commission de l’Honneur Prisonnier », une nouvelle institution créée par le Congrès de Clermont-Ferrand afin de veiller à l’exécution de ses décisions examina, en vue d’un appel « à minima », toutes les décisions des J.H.P.D. Ayant vérifié en 1947 quarante-six jugements, elle décida de faire appel de dix d’entre eux. Le J.H.P.N. siégea cette année cinq fois, examinant vingt-trois affaires dont quatre en saisie directe, dix sur appel de la Commission de l’Honneur, huit sur appel des intéressés et une affaire sur appel de l’A.D.22.

36Il ne nous est guère possible de nous faire une idée précise de l’importance du travail de l’institution pour les années 1948-1949. Le Rapport d’Activités Fédérales préparé en vue du quatrième congrès de la F.N.P.G. ne contient aucune donnée numérique et les archives de la Fédération ne nous sont sur ce point d’aucune aide (ce qui indique probablement une baisse d’activité).

37Notons cependant que le troisième congrès (1948) supprima les Jurys d’Honneur, les remplaçant par des Commissions de l’Honneur fonctionnant selon des règles analogues. Il semble toutefois que celles-ci centrèrent leur activité sur les oppositions à formuler au sujet de demandes de Cartes de Combattants, émanant de P.G. considérés comme indignes23.

38Quant à l’action pour l’Honneur de l’année 1949, le Rapport d’Activités constate : « La Commission de l’Honneur P.G. à l’échelon national n’a pas eu une activité bien grande au cours de l’année, sans doute parce que les problèmes de l’honneur, à l’intérieur même de la Fédération, sont épuisés ; sans vouloir prétendre pour autant avoir eu à examiner le cas de tous les P.G. dont l’attitude n’aurait pas été irréprochable »24.

39Les Commissions de l’Honneur Prisonnier continuèrent leurs activités, au début des années cinquante, et on peut retrouver les traces de leurs sessions jusqu’en 1953. Toutefois, les Rapports d’Activités Fédérales taisent, à partir de 1952, totalement leur action.

401947 fut donc l’année de l’activité intense des Jurys d’Honneur. N’ayant pu consulter que les archives du Jury National, nous avons constaté qu’il jugea ses dossiers sans aucune complaisance, comme le prouvent ses sanctions émises sur appel, au courant de deux sessions de 194725 :

41Certains jugements du Jury d’Honneur tels que l’affaire B. paraissent même particulièrement sévères. B. fit appel devant le J.H.P.N. contre la décision du Jury d’Honneur de son association. Libéré à la suite d’une intervention du Consulat Général Allemand de sa ville, sans qu’il en ait eu connaissance en captivité, il reprit son travail dans l’entreprise dont l’intervention avait motivé sa libération. Son acte fut interprété comme la ratification de cette mesure de faveur. « Bien que B. justifie trois tentatives d’évasion et que ses camarades de captivité lui aient délivré des attestations sur son attitude irréprochable au camp, bien que B. ait rendu à ses camarades Prisonniers de Guerre des services importants, le Jury d’Honneur prononce l’interdiction à vie de toute fonction de direction dans un organisme dépendant de la F.N.P.G. »26

42Parfois les documents préparés en vue des sessions du J.H.P.N., renferment d’authentiques drames humains que le langage administratif et la rédaction abrégée et sèche des rapports ne font ressortir qu’avec plus de vigueur :

43Affaire H

44Oflag Z Travailleur volontaire

45Demandeur – première instance

46J.H.A.D. – Circonstances atténuantes – Blâme.

47Dossier J.H.D. :

– Rapport H :
jeune marié – ne connaît pas son enfant
déprimé
rentré en France avec permission irrégulière
fin 1943 – clandestinité
a été transformé.
– Amicale Oflag – 3 pièces
Témoignage X – en sa faveur – Anti-Vichy
Témoignage Y – en sa faveur – Anti-Allemand
Témoignages « résistance » Y – Z.

48Une main a marqué au crayon en travers de l’abrégé : « exclusion à vie »27.

49L’activité des Jurys d’Honneur avait été, semble-t-il, handicapée par le manque d’enthousiasme de certains envers l’épuration. Toutefois, ses dimensions restreintes étaient surtout dues au fait que les J.H.P. s’interdirent déjuger les P.G. ne faisant pas partie de leurs associations. Il suffisait donc aux prisonniers ayant quelque chose à se reprocher de se retirer des rangs de la Fédération, pour se soustraire à leur emprise.

50Les Commissions de l’Honneur déployèrent par contre une action particulièrement vaste et numériquement importante sur la question de l’opposition à l’octroi de la carte de combattant.

B. Constitution de Listes de P. G. Indignes

51Concentrant, à partir de 1947, son action revendicative sur le combat pour l’octroi de la Carte de Combattant aux P.G., la Fédération entreprit aussitôt les démarches destinées à empêcher son attribution à des P.G. jugés indignes. « La Carte dont la Fédération (appréciait) la valeur morale ne (pouvait) être accordée qu’à ceux qui, à aucun moment, n’avaient failli à l’Honneur Prisonnier »28.

52Cette fois, la constitution de listes se fit en sens inverse. Les Commissions Départementales de l’Honneur furent déclarées compétentes pour examiner et, éventuellement, formuler des oppositions concernant les demandes de Cartes établies par des postulants indignes. Toutes les informations se rapportant aux P.G. dont la conduite méritait une telle sanction furent transmises à la F.N.P.G. – seule habilitée à présenter à l’Office National des Anciens Combattants les listes de noms des prisonniers contre lesquels il était fait opposition29. Le caractère de cette entreprise ne limita plus la Fédération à l’examen du comportement de ses adhérents. Elle put donc étendre son action à tous les P.G. susceptibles de postuler la carte – ce qui explique l’ampleur de son action.

53Les archives du Secrétariat de l’Honneur Prisonnier conservent 10 de ces listes dont la longueur témoigne de l’importance du travail qui leur fut consacré30 :

54La lecture des motifs des oppositions permet au chercheur de contempler les fins fonds de la bassesse et de l’avilissement humains, engendrés par une vie de malheur, de souffrances, d’incertitude et de manque d’espoir. 120 noms inscrits sur quelques pages, choisies au hasard sur une de ces listes, y paraissent pour les motifs suivants :

55Gardons-nous, toutefois, de pousser des cris d’indignation ou d’émettre des jugements hâtifs. La captivité de 1940-45 fait partie intégrante de ces situations exceptionnelles qui restent à jamais partiellement inintelligibles à ceux qui ne les ont pas vécues. Nulle société n’est exempte d’hommes faibles de caractère, dépourvus de foi, prêts à plier l’échine, à se vendre, à exploiter le malheur des autres. Pourquoi donc s’étonner qu’un certain nombre de prisonniers succomba à l’épreuve ?

56Par contre, le fait que la société P.G. trouva en elle, au bout de cinq années de captivité et de souffrances, la force, la volonté et la détermination de traiter sans complaisance tous ces éléments, les excluant de ses rangs, éveille l’estime. Seuls les anciens prisonniers étaient vraiment capables de comprendre, d’apprécier et déjuger le comportement de leurs compagnons de malheur. Leur groupe ne tenta jamais de se soustraire à ce devoir.

57L’activité fédérale, sur le plan de l’honneur, ne se limitait guère à des opérations internes. La F.N.P.G. entretint des contacts avec le Ministère de la Guerre, veillant à ce que des sanctions soient prises envers les officiers d’active ayant failli à leur honneur. Jean Bertin, le Président du Jury d’Honneur National, fit aussi pression sur le Ministère des Armées afin qu’il ne néglige pas les poursuites à l’encontre d’officiers de réserve volontaires pour le travail en Allemagne31.

58Les renégats P.G. ne furent pas oubliés. La Fédération toucha la Cour de Justice pour appuyer les plaintes déposées par ses associations contre Hulot, éditorialiste du journal Toute la France et Dautun, journaliste aux gages de Masson. Elle remit au commissaire du gouvernement des documents contre Scapini, se réjouissant du fait que le procureur de cette affaire fut un ex-P.G. « pensionnaire de l’Oflag de représailles de Lubeck ». Parlant au nom de la Collectivité P.G., elle demanda au Juge commis de l’affaire Masson déjuger celui-ci sans retard, même « contumax »32.

59Le Secrétariat de l’Honneur se consacra aussi à la constitution de dossiers destinés à aider les autorités françaises et les Alliés à rechercher et à punir les criminels de guerre. 112 de ces dossiers furent transmis par ses soins, avant la fin de 1946, au Service de Recherche des Crimes de Guerre du Ministère de la Justice. Ils furent complétés par la suite par des listes de personnes pouvant fournir des renseignements au sujet de ces individus33. Des représentants de la Fédération témoignèrent même devant le Tribunal de Nuremberg34.

C. Epuration et Luttes Politiques

60Hélas ! Le climat d’une période d’épuration, l’autorité morale de l’action pour l’Honneur, les pouvoirs octroyés aux commissions qui en prenaient soin et le discrédit porté sur les personnes accusées de comportement indigne étaient tels qu’on ne pouvait les soustraire aux tentatives d’exploitation à des fins partisanes.

61On assista donc à des tentatives de règlement de comptes et à des actes de vengeance, certains mettant à profit les circonstances pour accuser leurs ennemis d’activités déshonorantes en captivité. L’affaire T. fournit dans ce domaine un exemple typique.

62T., agriculteur P.G. libéré avant 1945, fut accusé de commerce actif avec les Allemands, de propagande en leur faveur et de collaboration avec l’ennemi. Toutefois, lejury d’Honneur de son A.D. s’aperçut qu’il s’agissait surtout d’une querelle de clocher ; les témoignages et les attestations portés aux dossiers émanant de personnes parlant de vengeance et de voisins ayant des raisons d’en vouloir à T.35.

63L’affaire T. n’était pas, loin s’en faut, unique en son genre. Cependant, la lecture de nos sources démontre que les tentatives les plus fréquentes et les plus graves de l’utilisation de l’action pour l’Honneur P.G. à des fins partisanes furent entreprises dans des buts politiques.

64La majorité des dirigeants qui fondèrent la Fédération avait exercé dans le passé des fonctions de responsabilité dans les camps, aux C.E.A. et au Commissariat aux Prisonniers de M. Pinot. Ils avaient parfois tenu, dans le cadre de leurs activités, des propos rendant hommage au Maréchal, ou approuvant son action. Rien n’était désormais plus facile que de les accuser de pétainisme ou d’allégeance à Vichy, et de demander leur épuration.

65Les tentatives pour discréditer les responsables nationaux de la Fédération furent entamées à son premier congrès, dans le cadre du débat sur l’honneur. Désirant déconsidérer le groupe dirigeant, originaire des C.E.A. et du R.N.P.G., leurs adversaires frappèrent à la tête, s’en prenant directement à Louis Devaux, Président Fondateur de l’Association. Celui-ci, ayant démissionné de ses fonctions pour des raisons professionnelles, avait été élu, à l’ouverture du congrès, Président d’Honneur de l’Association.

66Vu la nature du combat, il n’est guère surprenant de constater qu’il fut engagé par l’A.D. de la Seine.

67Un violent débat s’étant engagé au sujet de la lenteur avec laquelle se développait l’action pour l’honneur, certains congressistes prétendirent que cette situation permettait à certains de se dérober à des enquêtes sur leur comportement en captivité36. Ils citèrent en exemple le nom de L. Devaux, l’accusant d’avoir été le Président du cercle Pétain de son oflag et d’avoir accepté un poste à la Mission Scapini et exigèrent qu’il comparaisse au plus tôt devant un Jury d’Honneur37.

68La délégation de la Seine introduisit aussitôt la motion suivante :

69« La délégation de la Seine demande que ceux qui ont fait de la propagande dans les camps en faveur du traître Pétain ne puissent pas être candidats au Comité Fédéral afin de ne pas voir se renouveler le scandale du premier Président Devaux dont l’élection néfaste vient d’être dévoilée au congrès38. »

70La question de l’éligibilité d’anciens membres de cercles Pétain à des postes de responsabilité fédéraux ayant été posée, les congressistes en délibérèrent avec passion. Un autre membre du Bureau Fédéral y fut impliqué personnellement. Il s’agissait cette fois de Lionel de Tinguy de Pouët, rapatrié en 1945, coopté à son retour au Bureau et nommé Trésorier Fédéral39.

71Personne ne pouvait désormais se leurrer sur les dimensions réelles du débat. La thèse présentée par « La Seine » tentait purement et simplement de barrer l’accès des postes de direction fédéraux au groupe des anciens du Commissariat et des C.E.A. ainsi qu’à leurs alliés naturels parmi les rapatriés de 1945 (hommes de confiance et autres responsables des camps). Qui d’entre eux pouvait, en effet, prétendre de bonne foi n’avoir jamais été « à un moment, abusé par le rayonnement de ces sept étoiles auxquelles était accolé le prestige de Verdun »40.

72La quasi-totalité des cadres fondateurs se mobilisa pour défendre leurs camarades. D’ailleurs, les rapports de force au sein de la F.N.P.G. et de son assemblée vouèrent à l’échec les tentatives de dénigrement. Le congrès repoussa la motion de la Seine et confirma L. Devaux dans sa fonction de Président d’Honneur41. Lionel de Tinguy de Pouët fut élu en tant que délégué national au Comité et devint Vice-Président de la Fédération. Quelques mois plus tard, le Jury d’Honneur National se prononça définitivement sur les cas d’adhésion aux cercles Pétain. Cette appartenance, lorsque son activité fut irréprochable sur le plan national, ne constituait désormais plus une faute contraire à l’honneur prisonnier42.

73« La Seine » ne baissa pourtant pas les bras et, quelques semaines après la clôture du congrès, on pouvait déjà lire dans le journal de l’A.D. un article daubant sur les membres du Bureau Fédéral43.

74Les méthodes tendant à discréditer les personnalités gênantes ne furent jamais totalement abandonnées. Le troisième Président Fédéral qui s’efforça, dès son élection, d’endiguer l’influence de la tendance communiste au sein de la Fédération se vit accusé par un cadre de l’A.D. de la Seine d’avoir exercé dans son camp des activités pétainistes et Vichyssoises.

75Le Jury d’Honneur, devant lequel il exigea de comparaître, constata toutefois que le plaignant ne pouvait présenter aucune preuve et se basait sur des ouï-dire. Il va sans dire que : « le Jury conclut au mal-fondé de tous les chefs d’accusation portés contre l’honneur du lieutenant L., ancien P.G. », rendant hommage à l’attitude qu’il adopta dans son oflag44.

76La plus compliquée des opérations de ce genre fut engagée contre le premier Secrétaire Général de la F.N.P.G., J. Védrine, tendant à toucher, à travers lui, la personne de F. Mitterrand. Ce dernier, ayant été nommé en janvier 1947 Ministre des Anciens Combattants, entretint avec la Fédération des relations privilégiées et particulièrement chaleureuses. Cet état de choses inquiéta probablement les éléments communistes craignant de perdre tous les acquis du passage de L. Casanova à ce même poste. D’autre part, le jeune Ministre entreprit une sévère compression des effectifs de son administration, donnant leur congé à un grand nombre de membres du Parti, engagés par son prédécesseur – ce qui lui attira leur colère.

77J. Védrine ayant obtenu à cette époque la Rosette de la Résistance, l’événement fut célébré par Le Front des Barbelés d’une façon pour le moins étrange. L’organe de l’A.D. de la Seine publia tout à coup des extraits tendancieux de deux articles écrits en 1941 par l’ancien Secrétaire Fédéral dans le journal de son stalag. J. Védrine, devenu entre-temps Directeur Adjoint du Cabinet de F. Mitterrand, fut accusé de pétainisme et de collaboration active45.

78Un article publié par R. Paumier, Cadre de l’A.D. de la Seine dans Le Travailleur du Loir-et-Cher, explique, on ne le peut mieux, la raison pour laquelle l’Association Parisienne s’attaquait au collaborateur du Ministre qui avait pourtant abandonné depuis deux ans toutes ses responsabilités à la Fédération :

79« Il était une fois un personnage ambitieux qui voulait à tout prix un jour être ministre...

80Cet homme, c’est M. Mitterrand, ami de Frenay et gaulliste impénitent, appartenant à cette équivoque formation politique qu’on appelle le Rassemblement dit de Gauche, M. Mitterrand est aujourd’hui ministre des A.C.

81Comme il se doit, il a meublé son ministère avec ses amis personnels... (l’article cite les passages publiés par le Front des Barbelés)...

82Qu’après avoir écrit cela Védrine soit devenu directeur adjoint du Cabinet de M. Mitterrand, cela ne nous étonne pas quand on connaît les rapports de Mitterrand avec Frenay et de ce dernier avec Pucheu46. »

83L’affaire se termina selon une procédure qui commençait à devenir classique. J. Védrine s’étant mis à la disposition du Jury d’Honneur National, celui-ci examina les charges concluant à la reconnaissance du mal-fondé de l’accusation avec félicitations du Jury47.

84Cette fois, le comportement de l’A.D. de la Seine avait dépassé toutes les bornes. Les membres du Jury, outrés par ses agissements, envoyèrent au Bureau Fédéral une motion accusant ce journal de s’écarter du souci d’impartialité, de vouloir exercer une pression sur le J.H.P.N., de semer la suspicion sur ses décisions, de créer la division au sein d’organismes P.G., de lancer des campagnes de presse inspirées par des considérations d’ordre politique empreintes d’un esprit sectaire, hypocrite et partial.

85Les membres du Jury, indignés aussi par la méthode de publication, formèrent le vœu « que le Comité Fédéral fasse preuve de fermeté pour éviter la possibilité de renouvellement d’articles tels que celui du Front des Barbelés et ceux qui s’en sont inspirés »48.

86Le Front des Barbelés réagit à cette publication avec dédain. « Le Jury d’Honneur Prisonnier », proclama le journal, « n’a plus à nos yeux, depuis longtemps, de l’importance »49. Qui peut s’en étonner ? A quoi donc servait le J.H.P.N., s’il ne pouvait profiter aux desseins de « la Seine » ?

87La méthode du dénigrement d’adversaires n’était pas une nouveauté. Pourtant, on ne peut qu’être déçu, la voyant pratiquée par des hommes qui avaient, paraît-il, redécouvert dans les camps les sentiments de fraternité, d’amitié profonde, l’amour de la vérité, la tolérance et la vanité des idées qui les avaient dressés dans le passé en groupes antagonistes. R. Paumier, qui publia l’article attaquant J. Védrine, avait siégé avec lui au C.D. du M.N.P.G.D.P. Bugeaud, le Président de l’A.D. de la Seine, avait collaboré à la constitution de la Fédération avec l’homme qu’attaquait son journal. Pouvait-il y avoir meilleure preuve que certaines allégeances étaient beaucoup plus fortes que les liens unissant les anciens prisonniers ? Et peut-être n’était-ce que les symptômes de l’aboutissement du processus d’intégration des ex-P.G. à la société nationale ?

88La Fédération a-t-elle réussi son épuration ? Pouvait-il y avoir dans la France de l’après-guerre une épuration réussie ? Il semble que tout jugement d’ensemble de l’action pour l’honneur ne peut être pertinent que dans sa comparaison avec la tentative d’épuration nationale.

89L’action pour l’Honneur Prisonnier avait, évidemment, l’avantage de se développer dans un cadre précis et relativement facile à délimiter. Un code militaire définissait, en effet, le comportement d’un soldat captif et la vie des camps dispensait les P.G. des ambiguïtés auxquelles devait faire face, à la même époque, la majorité des Français. D’autre part, le peu d’influence qu’eurent les concepts et les prises de position idéologiques des prisonniers sur leur vie dans les camps empêcha, en général, la concrétisation d’un certain climat « révolution nationale » répandu à une époque dans les stalags et oflags. Etre pétainiste n’avait d’ailleurs pas le même sens dans les camps qu’en France.

90Il nous semble qu’une fois les « délits d’opinion », non suivis d’actes, absous, la société P.G. se sentit nettement moins impliquée dans la collaboration avec l’ennemi que la société française dans son ensemble. Ceci explique peut-être un désir d’épuration plus répandu (mais non unanime).

91Contrairement à l’épuration nationale, l’action pour l’Honneur Prisonnier fut entreprise à la Fédération dans un climat et avec des moyens qui permirent une action sereine, réfléchie et équitable. L’Association définit les délits d’abord, constitua des jurys ensuite, jugeant en dernier lieu. L’action, une fois entamée, fut exempte de « l’indulgence feutrée des tribunaux administratifs », de compromis, de pressions et d’injustices qui caractérisaient l’entreprise nationale50.

92N’oublions toutefois point combien les conditions étaient différentes. L’action pour l’honneur P.G. fut partiellement exempte des ressentiments et des passions qui caractérisèrent la première étape de l’épuration en France, lui servant perpétuellement de toile de fond. Les P.G. sanctionnés par leurs jurys étaient certes méprisables. Mais il semble que leurs compagnons de malheur ne purent se défaire d’un certain sentiment de pitié et d’un brin de compréhension. Finalement, tous faisaient partie du même groupe uni par un passé commun de souffrance et de misère, inspiré du même espoir. Aucune guerre civile n’avait déchiré le tissu de leur société en camps ennemis se vouant une implacable haine. Leurs mains étaient propres du sang de frères et ils étaient libres de tout sentiment de vengeance.

93L’Action pour l’Honneur subit cependant les effets de l’intégration progressive des P.G. rapatriés à la société. Dès 1947, les Associations manifestèrent les premiers symptômes de lassitude devant le prolongement du processus d’auto-épuration. Et, inévitablement, quelques années plus tard, la F.N.P.G. entama des révisions de décisions prises par les Commissions de l’Honneur51.

94La Fédération tourna définitivement la page de l’épuration au début des années cinquante. Paradoxalement, les résultats de l’Action pour l’Honneur P.G. furent beaucoup plus durables que les sentences des tribunaux officiels. Jugés par une institution privée, les prisonniers ayant failli en captivité à leur honneur ne purent être grâciés par la loi d’amnistie du 6.8.1953. Ainsi, les peines infligées en leur temps par les Jurys d’Honneur ont gardé, à ce jour, toute leur vigueur.

2. L’ACTION SOCIALE DE LA FÉDÉRATION

95Assurant dès sa création l’accueil des rapatriés, la Fédération entreprend progressivement une action sociale de longue durée et de grande envergure. Cet aspect de son activité rive l’attention de ses associations devenant petit à petit le centre de leurs préoccupations. Les dirigeants de l’organisation comprennent d’ailleurs rapidement qu’une fois l’action revendicatrice épuisée, « la Fédération devra son existence à la permanence de l’effort qu’elle a entrepris et qu’elle poursuivra au service social de ses adhérents les plus déshérités »52.

96A l’évidence, il s’agit là de la continuité dans le changement. Le souci du destin des P.G. défavorisés par le sort et de l’état de leur famille caractérise, depuis leur origine, l’action de toutes les organisations créées par des prisonniers. Il s’agit là, tout d’abord, de la concrétisation d’un certain état d’esprit. En effet, le concept de base adopté par le groupe l’incite à croire que l’assistance prodiguée à ses membres, ainsi que l’aide accordée à leur foyer est d’abord et avant tout un devoir incombant à la société P.G.

97La création de la Fédération perpétue cet état de choses. Les C.E.A. constituant en général les noyaux autour desquels se créent les Associations Départementales transmettent leur mode d’action aux nouvelles associations P.G. qui héritent, de ce fait, d’une tradition de l’action sociale et de l’expérience de leurs cadres.

98La solidarité, quasi instinctive, du milieu P.G. cimente les rangs des A.D. submergées, dès leur création, par le flot des rapatriés de 1945, leur fournissant immédiatement un thème d’action faisant l’unanimité. Les cadres des associations saisissent fort bien cet état d’esprit qu’ils glorifient dans leurs discours et qu’ils emploieront par la suite comme levier. Ecoutons donc ce dirigeant de « la Seine » parler des tâches que les rapatriés assignent à leur Fédération :

99« Ils veulent développer cette solidarité qu’ils ont pratiquée là-bas et qu’ils ont manifestée dans leur association, dès leur rapatriement. Ils savent que parmi eux bien des misères sont à soulager, ils savent que c’est à eux qu’il appartient de veiller à la défense des enfants et des veuves des camarades restés en terre ennemie et c’est pourquoi le développement de la solidarité reste une des tâches essentielles qu’ils assignent à leur Fédération53. »

A. Transfert de L’Action Sociale aux A.D.

100La F.N.P.G., disposant dès le début d’un siège, d’un appareil administratif et de budgets, commence par centraliser la gestion de certains aspects de l’action sociale entre ses mains. Toutefois, la structuration rapide de ses Associations en organisations efficaces et dynamiques l’incite à se désister progressivement de ces activités au profit des A.D.

101L’amélioration de la situation des rapatriés ainsi que le transfert du centre du poids de l’action sociale vers le plan local sont rapides. Les compressions draconiennes du personnel du service social de la Fédération témoignent de cet état de choses : plus de quarante employés assuraient son fonctionnement en 1945. Dix y travaillent encore à la fin de 1946. Ce nombre est ramené à cinq, un an plus tard, pour n’être plus que trois à la fin de 194854.

102Toutefois, ces chiffres n’indiquent guère un fléchissement de l’action sociale mais plutôt une redistribution des tâches. La Fédération se consacre désormais à la définition de la politique générale de cette action et à l’entretien de rapports avec les différents services techniques de grands organismes sociaux, comme la Croix-Rouge et l’Entraide Française. Elle intervient au niveau ministériel sur les questions intéressant la totalité des P.G., telles que les recherches des disparus et le transfert des corps et assure une liaison permanente avec les services de différents Ministères intéressés par les problèmes sociaux découlant de la captivité. La Fédération coordonne aussi l’action de ses A.D. la soutenant par l’octroi de fonds obtenus de sources diverses55.

103En même temps, les Associations Départementales organisent de véritables services sociaux, capables de joindre par l’intermédiaire des Sections Locales tous les P.G. en besoin d’aide. Citons, par exemple, l’A.D. du Puy-de-Dôme qui possède, dès le début de 1946, un service social modèle :

104Un délégué du Bureau Départemental assisté de deux délégués-adjoints y ont pour charge d’organiser, diriger et contrôler les activités sociales de l’A.D. Le service qu’ils supervisent emploie une assistante sociale départementale, deux assistantes sociales et un secrétaire, rémunérés par l’association. L’appareil permanent permet une gestion efficace, la constitution d’un fichier central, le maintien de liaison avec les services sociaux du département, l’ouverture de permanences, les visites à domicile et dans les hôpitaux, ainsi que la constitution des dossiers.

105Cinq commissions assurent l’action sociale départementale :

• La Commission de l’Organisation veille à l’organisation des services et à la documentation, assure les liaisons, dresse des statistiques et rédige les comptes rendus.

• La Commission du Ravitaillement gère le magasin, veille aux achats et aux ventes, organise les collectes et les distributions de vivres, et maintient la liaison avec le service du ravitaillement général.

• La Commission des Secours examine les demandes d’aide, de prêts, de remboursement de frais médicaux et de bourses de démarrage.

• La Commission Enfance et Famille recense les cas sociaux, s’occupe du placement d’enfants, organise les colonies de vacances, les centres de plein air, l’action en faveur de l’enfance délinquante, les parrainages scolaires, l’octroi de bourses scolaires, les arbres de Noël et procure arbitres et conciliateurs aux couples en instance de divorce.

• La Commission des Hôpitaux recense les P.G. hospitalisés, assure les visites, les distributions de denrées, effets, livres et jeux, organise les sorties, le parrainage des hospitalisés et contrôle les conditions de vie hospitalières.

106Toutefois, les moyens financiers de l’A.D. sont relativement modestes et son service social ne dispose que de 200 000 Francs par mois, la moitié provenant de subventions56.

107Toutes les A.D. ne possèdent probablement pas un service aussi bien organisé. Mais un service social occupe une place de choix dans l’appareil de chaque Association Départementale.

108L’action sociale, entreprise désormais à un niveau plus proche des intéressés, s’organise selon trois axes principaux : l’action en faveur de l’enfance, l’action en faveur des malades et l’entraide.

B. L’Action pour l’enfance

109La captivité prolongée des pères et les difficultés qu’engendre leur absence se répercutent impitoyablement sur l’état de leur progéniture. Les conditions économiques difficiles éprouvent parfois la santé des enfants de prisonniers. Leurs études en pâtissent souvent. Plus grave encore, l’absence de l’autorité paternelle engendre dans des cas, hélas trop fréquents, la délinquance juvénile57.

110Toutefois, la majorité de ces problèmes peut trouver une solution dans le cadre familial. Par contre, les cas d’orphelins, d’enfants abandonnés par leur mère, ou de mineurs devant être soustraits d’urgence à l’influence néfaste de leur foyer, exigent la prise en charge totale de ces catégories d’enfants par l’Organisation.

111La F.N.P.G., estimant qu’elle est le représentant légitime des pères de ces enfants, endosse sans la moindre hésitation cette responsabilité58.

112Ayant incorporé les services.de la « Famille du Prisonnier », la Fédération « hérita » de plus de 12 000 enfants que cette organisation avait éloignés, pendant la durée de la guerre, du foyer maternel. S’opposant à cette conception de l’éducation qui poussait trop souvent les parents à se détacher de leurs enfants tout en se désintéressant de leur sort, la F.N.P.G. entreprit de rendre, toutes les fois que la chose s’avérait possible, les enfants à leur famille. La réduction de subventions gouvernementales accéléra ce processus. De nouvelles demandes de prise en charge lui étant soumises, le service social décida de limiter l’action fédérale à des cas déterminés59.

113La Fédération restreignit donc son action en faveur de l’enfance délaissée aux orphelins et aux « enfants dont la présence au sein de leur famille n’était pas conseillée, soit pour des raisons de santé des parents, ou désunion de ces derniers, ou nécessité pendant un certain temps de placer l’enfant afin de permettre aux parents de se refaire un foyer ». Le sort des enfants de familles sinistrées et de ceux dont l’état de santé exigeait un traitement dans des institutions spécialisées fut aussi pris en considération60.

114L’Organisation opta pour cinq modes de placement susceptibles de répondre aux besoins de l’éducation des enfants pris en charge :

1. Placements familiaux offerts dans des familles rurales détectées par les A.D. aux enfants de 11 à 13 ans ayant besoin d’un séjour à la campagne.

2. Placements collectifs d’enfants au-dessus de 13 ans dans des établissements surveillés par la F.N.P.G.

3. Placements sanitaires d’enfants munis de certificats médicaux déterminant la nécessité pour les intéressés d’un séjour en colonie sanitaire. Ces placements se firent dans des établissements spécialisés appartenant à des organismes tels la Croix-Rouge.

4. Placements d’enfants en danger moral remis aux mains d’une série d’œuvres privées contrôlées par le Ministère de l’Education comme les Centres de Formation Professionnelle.

5. Placements dans des Maisons de Repos destinées aux familles entières de P.G. à santé déficiente61.

115Rendant les enfants à leur famille, la Fédération réussit à ramener, à la fin de 1946, le nombre des enfants dont elle avait la charge à moins de 2 000, répartis comme suit62 :

116La F.N.P.G. poursuivit la réintégration de ces enfants à leur famille au courant de 1947, s’assurant d’abord, par enquêtes, de leur moralité ou effectuant des recherches afin de retrouver leurs traces. A la fin de cette année, l’Association n’assurait plus que le sort de 91 enfants dont les parents étaient introuvables ou étaient tombés à un tel degré de déchéance morale qu’il interdisait la restitution des enfants. L’adoption par des familles et la prise en charge financière d’une partie de ces mineurs par l’Office National des Anciens Combattants soulagèrent la Fédération d’une lourde charge financière qu’elle n’était plus en mesure de supporter, vu l’arrêt des subventions. En effet, la prise en charge des enfants délaissés lui avait coûté, en 1946, 12 000 000 de Francs63.

117Les Associations de P.G. ne se désintéressèrent guère du sort de ces enfants, même quand le fardeau de leur entretien matériel incomba à d’autres. D’ailleurs, il semble que l’Organisation dut constamment faire face à de nouvelles demandes de prise en charge. Elle s’employa à faire supporter le financement de leur entretien par l’Office National, mais veilla à leur éducation. Ses Associations Départementales fondèrent rapidement des établissements destinés à accueillir des enfants de prisonniers, orphelins ou abandonnés par leurs familles. En 1947, les A.D. ne géraient pas moins de 11 Maisons d’Enfants veillant à leur éducation. Certaines d’entre elles fonctionnèrent par la suite jusqu’au début des années 197064.

118Le « Foyer de l’Absent » de Sorbiers patronné par l’Association Départementale de la Loire fournit un exemple de ce type d’établissement. L’institution fut fondée en 1943 par des P.G. rapatriés et ne ferma ses portes qu’en 1972, à la suite d’un projet d’alignement65. Cinq cents enfants y séjournérent entre ces dates. Le Foyer prenait en charge des enfants de un à douze ans. Au début, le manque d’orphelinats destinés aux fils de P.G. provoqua une grande diversité d’origines des pupilles. Un fort contingent fut notamment fourni entre 1948 et 1950 par la région parisienne. Par la suite, le recrutement devint plus spécifiquement régional.

119Le but de l’institution étant d’élever « ses » enfants dans un cadre ressemblant autant que possible à « une famille nombreuse », elle restreignit dès 1950 le nombre des pupilles à vingt-cinq.

120Le « Foyer de l’Absent » s’efforça de permettre aux enfants confiés à sa charge d’atteindre leur niveau d’instruction le plus élevé. Un éducateur, ancien P.G., veillait aux orientations scolaire et professionnelle des élèves répartis dans les écoles primaires, secondaires et techniques de Sorbiers et de Saint-Etienne, ou placés éventuellement en apprentissage surveillé chez des artisans amis de l’Oeuvre.

121Le soutien matériel de l’institution fut assuré par des subventions publiques (Sécurité Sociale, Allocations Familiales) complétées par un apport substantiel de l’Association Départementale de la Loire et une subvention de la Fédération. L’A.D. collecta les fonds nécessaires sollicitant des dons individuels, organisant un lâcher de ballonnets traditionnel pour la fête de la Pentecôte, ou encore assurant l’entretien de certains jardins par ses Sections Locales. Les femmes de P.G. prirent en charge l’habillement des enfants. Des sections se cotisèrent pour fournir au « Foyer » des repas de fête et des familles d’anciens Prisonniers de Guerre accueillirent les pupilles de l’institution pour les vacances66.

122La prise en charge de l’enfance délaissée ne constituait pas, tant s’en faut, la totalité de l’action fédérale en faveur de l’enfance. Il n’est que normal que les rapatriés ayant réintégré leurs foyers prodiguent toute l’attention possible à leurs petits. Séparés de leur progéniture pendant de longues années et probablement culpabilisés par cet abandon involontaire, les anciens prisonniers s’emploient à donner, autant que possible, à leurs enfants une compensation pour les années où ils n’eurent pas de père.

123La Fédération procure dans ce domaine l’appareil permettant de concrétiser cette volonté. La plus importante des tâches entreprises par ses Associations en faveur des enfants de leurs membres est l’organisation de colonies de vacances. L’opération reçoit dès le début un haut degré de priorité car elle permet la réalisation de deux idées chères aux parents : celle d’offrir des loisirs, la joie et le bonheur à leurs enfants, leur procurant en même temps un changement d’air, un séjour dans la nature et l’épanouissement de leur santé.

124L’activité n’est pas nouvelle en elle-même. Déjà, la « Famille du Prisonnier » assurait, pendant les années de guerre, un séjour en colonie à 1 500 enfants de P.G. par an. La Fédération est capable, dès sa création, de multiplier ce chiffre par six. Près de 10 000 filles et fils de prisonniers bénéficient en 1945 de séjours de vacances organisés par les A.D.67 L’année d’après, la F.N.P.G. procure aux enfants des principaux centres industriels, par l’intermédiaire de leurs A.D., 4 352 places en placements familiaux ou collectifs68. Toutefois, sur ce plan aussi, le centre de l’activité se déplace vers les Associations.

125L’A.D. de la Seine, si souvent turbulente, fait preuve, dans ce domaine, de grandes capacités d’organisation de ses cadres et du dynamisme bien connu de ses militants. L’opération ayant reçu un haut degré de priorité, les Sections entreprennent dès le printemps 1946 des quêtes, faisant du porte à porte, appuyées par des voitures munies de haut-parleurs qui sillonnent la ville et ses banlieues. L’Association ouvre, dans ce but également, une souscription qui fournit près de 80 000 Francs69.

126Les plus déshérités des enfants de prisonniers du département ont droit à des conditions privilégiées. Cent d’entre eux partent avec le « Secours Populaire » en colonie dans un château de la Creuse. Un enfant de chaque section a droit à un séjour de deux semaines dans un placement familial en Belgique. Quinze petits, choisis parmi les plus déshérités, sont envoyés pour quatre mois en Angleterre. Cinquante enfants partent pour la même période au Danemark. En tout, l’association organise en 1946 les colonies de près de 3 000 enfants70.

127En 1947, quarante A.D. répondent au questionnaire de la Fédération déclarant avoir envoyé 7 795 enfants en colonie. 2 498 placements sont encore assurés par la F.N.P.G. dont 450 à l’étranger, les A.D. s’étant organisés pour placer la majorité d’entre eux par leurs propres moyens.

128Le nombre d’enfants partant en colonie augmente chaque année. En 1948, 69 A.D. organisent le départ de 8 850 petits. Mais la Fédération n’intervient plus que pour le placement de 1 600 d’entre eux. L’année d’après, le « Compte rendu d’Activité Fédérale » annonce encore un accroissement de ce nombre, mais le concours de la F.N.P.G. n’est nécessaire que pour 400 enfants71.

129La raison principale de la réduction constante de l’intervention fédérale dans ce domaine est la création par les Associations de leurs institutions propres dans le but d’assurer les colonies de « leurs » enfants.

130Les premières acquisitions de propriétés destinées à devenir les centres de colonies sont contractées en 1946. L’A.D. de la Seine-et-Oise devient alors le propriétaire de l’Abbaye de Belhommert et celle de la Seine du domaine d’Albiès dans l’Ariège. L’A.D. de l’Eure acquiert à la même période un château situé dans le département, qu’elle se propose d’utiliser comme maison de repos, convertie aux mois de l’été en colonie de vacances. A ces institutions s’ajoutèrent jusqu’à l’été 1947 les colonies des A.D. de l’Ardèche, du Calvados, d’Ille-et-Vilaine, de la Manche, de la Vienne, etc. En 1948, quinze Associations disposent déjà de leurs propres maisons qu’elles mettent en partie à la disposition d’autres A.D. Cet état de choses permet d’entamer des opérations d’échange d’enfants entre les Associations qui seront pratiquées, par la suite, à une grande échelle72.

131L’acquisition de ces biens, contractée en général dans des conditions particulièrement avantageuses, engage cependant des frais considérables. Une partie des ressources nécessaires est fournie par la Fédération qui dispose à cette époque d’avoirs très importants provenant de la liquidation de comptes du C.C.A.P.G.73. En effet, les sommes collectées pendant la guerre en Zone Sud par la Croix Rouge et le Comité Central d’Assistance aux P.G. qui lui était rattaché, pour la confection de colis destinés aux prisonniers, n’avaient pas été totalement employées. Le 26.6.1946, la F.N.P.G. signe avec la Croix Rouge un accord au terme duquel ces fonds sont destinés au seul bénéfice des P.G. 57 millions de francs sont disponibles à cette date sur le plan national. 15 millions sont accordés aussitôt aux créations des A.D. qui disposent aussi des excédents restés aux mains des Comités Départementaux des C.C.A.P.G. Les Associations s’emploient à compléter ces sommes par des subventions locales, font appel à la solidarité de leurs membres et à la générosité des habitants de leur département, organisent bals, loteries, s’ingéniant à trouver par tous les moyens les sommes nécessaires. Ce faisant, la F.N.P.G. et ses A.D. posent les premiers jalons de la constitution d’un patrimoine immobilier considérable qui s’accroîtra maintenant d’année en année74.

132L’action fédérale en faveur de l’enfance a aussi des aspects supplémentaires, bien que moins onéreux et plus faciles à entreprendre. Les A.D. organisent aux enfants de leurs membres goûters et arbres de Noël. Elles octroient aussi des bourses scolaires aux fils de familles nécessiteuses. Le Comité Fédéral prend d’ailleurs à ce sujet une décision d’avant-garde, réfutant la thèse tendant à interdire cet avantage aux enfants de P.G. qui fréquentent les écoles privées. L’Association estime, en effet, que, représentant les pères, elle se doit de ce fait d’apporter aux enfants une aide strictement conforme aux désirs paternels. Cette prise de position n’a rien d’étonnant vue la dimension exceptionnelle qu’avait atteinte la vie religieuse dans les camps, son impact sur la mentalité P.G. et l’importance de la tendance catholique à la Fédération à laquelle appartenait un grand nombre de dirigeants75.

133L’Organisation envisagea de résoudre les problèmes des enfants de prisonniers faisant des études médiocres par l’intermédiaire de « parrainages scolaires ». Mais il semble que la concrétisation de ces projets se révéla difficile et fut abandonnée quelques mois après le rapatriement des pères76.

134Quant au problème douloureux de la délinquance juvénile des enfants de P.G., la Commission d’Action Sociale du Congrès de Clermont-Ferrand préconise : « la prise en charge morale des enfants délinquants de prisonniers par les associations départementales et locales et souhaite toutes initiatives dans ce domaine (tutelle, maisons de rééducation, surveillance discrète...) ». Nos sources ne nous permettent pas de savoir si ce vœu fut exaucé77.

C. L’Action en faveur des malades

135Les milliers de prisonniers dont l’état sanitaire exigeait, à leur retour, une longue hospitalisation, eurent droit à toute la sollicitude de leurs camarades. Il est vrai que la majorité des P.G. rapatriés à la fin de la guerre revint en France dans un état sanitaire relativement satisfaisant78. Pourtant, des milliers d’entre eux emplirent dès 1945 hôpitaux et sanatoria.

136Une grande partie de ces malades se remit progressivement des lésions provoquées par les conditions de la captivité. Mais, même guéris, ces hommes ne pouvaient reprendre immédiatement une vie active. Libérés souvent trop vite, par manque de place, ils avaient besoin d’abord d’une postcure dans une maison de repos, afin de reprendre des forces. Par la suite, il fallait reclasser ces rapatriés, coupés de la vie civile, par sept à neuf ans d’armée, de captivité, de maladie et d’hôpitaux. Physiquement diminués par ces longues épreuves, ils n’étaient que rarement capables de reprendre leur ancien métier – quand ils en avaient eu un. Une rééducation professionnelle s’imposait donc avant de pouvoir rendre ces hommes définitivement à la vie.

137L’action fédérale en faveur des malades s’avéra d’ailleurs être un vrai travail de Sisyphe. Des malades guérirent définitivement et reprirent leur place dans la société. Cependant, ils ne furent que trop souvent remplacés par des anciens P.G. qui, rentrés de captivité apparemment bien portants, virent apparaître quelques mois, voire quelques années plus tard, des maladies jusque-là latentes.

138De combien de personnes s’agissait-il ? Le nombre de P.G. hospitalisés immédiatement après leur retour restera, semble-t-il, à jamais inconnu, les administrations qui s’en occupèrent à l’époque ne possédant aucune information à ce sujet79. Il ne nous reste donc qu’à nous fier aux statistiques de la F.N.P.G. qui, sans être complètes, nous semblent relativement fiables. En effet, la Fédération, octroyant aux A.D. une subvention pour chaque malade assisté, vérifiait scrupuleusement les données que lui fournissaient ses associations. Celles-ci, à leur tour, entretenaient des contacts directs avec les anciens P.G. hospitalisés dans des institutions médicales se trouvant dans leur département.

139Le P.G. du 10.11.1946 cite le nombre de « vingt-cinq mille malades graves, donc quinze mille camarades hospitalisés dans des sanas ». Le journal ne précise évidemment pas l’origine de ses données. La même année, les A.D. déclarèrent secourir 12 000 P.G. hospitalisés dans leur région. Cependant, la Fédération s’aperçut vite que ce nombre ne reflétait pas fidèlement la situation sanitaire de ses adhérents. Les chiffres avaient été artificiellement gonflés par les Associations qui comptabilisèrent entre autres les P.G. hospitalisés pour des périodes relativement courtes. Une enquête approfondie, renouvelée trimestriellement, fit ressortir que près de 5 000 anciens Prisonniers de Guerre avaient été hospitalisés en 1947, par suite de leur captivité, pour des périodes excédant six mois 80. Le problème préoccupa constamment la Fédération et ses A.D. Le nombre des malades ne décroissant que très lentement ; 3 000 P.G. hospitalisés pendant une longue période étaient encore recensés en 1951 par les Associations Départementales81.

140L’action sociale destinée à assister et à réconforter ce groupe se développa parallèlement selon deux axes différents. Les A.D., subventionnées par la Fédération, prodiguèrent leurs soins directement aux anciens prisonniers hospitalisés dans les institutions médicales de leur département. En même temps, la Fédération et certaines Associations s’employèrent à remédier au manque chronique d’institutions spécialisées dont souffraient leurs malades, fondant maisons de repos et postcure, sanatoria et centres de rééducation.

141Les Associations Départementales adoptèrent « leurs malades » essayant de subvenir au mieux à leurs besoins. Les visites des assistantes sociales et de bénévoles dans les hôpitaux permirent le maintien d’un contact permanent avec les hospitalisés. Les organisations se chargèrent aussi des distributions traditionnelles de friandises, livres et jeux. S’étant rapidement aperçue de l’état déplorable de l’approvisionnement de certaines institutions, la Fédération tenta d’améliorer la situation alimentaire des hospitalisés. Elle employa, dans ce but, des vivres qu’elle avait obtenues d’Argentine et du Canada distribuant, dans la seule seconde moitié de 1946, 20 000 colis de 5 kilos à ses membres séjournant dans les hôpitaux et sanas. Cette source d’approvisionnement se tarit en 1947. L’Organisation s’adressa alors aux A.D. des départements agricoles riches, n’assumant pas la charge d’un sanatorium sur leur territoire, leur demandant de parrainer des établissements situés ailleurs. Les Associations en question ne répondirent que partiellement à l’appel. Par contre, la lecture des journaux des A.D. nous apprend qu’un gros effort fut fourni par les organisations locales en faveur des P.G. hospitalisés dans leur voisinage direct82.

142Les Associations Départementales endossèrent également la responsabilité de l’habillement de « leurs malades », achetant jusqu’en 1947 des trousseaux vestimentaires à leur intention. Par la suite, elles intervinrent auprès des Offices Départementaux d’Anciens Combattants afin qu’ils se chargent de cette tâche83.

143Les représentants de la Fédération visitèrent systématiquement hôpitaux et instituts médicaux où séjournaient les anciens Prisonniers afin de contrôler la qualité du service médical et les conditions de vie. Ils y constatèrent que les malades attachaient un grand intérêt sentimental à tout ce qui les reliait au cadre qu’ils avaient momentanément perdu. La F.N.P.G. demanda donc aux A.D. d’origine de garder le contact avec les adhérents hospitalisés dans d’autres départements, soulageant ainsi les Associations d’accueil84.

144L’action en faveur des malades fut particulièrement onéreuse et draina une partie considérable de ressources fédérales. La F.N.P.G. subventionna l’action des A.D. en fonction de ses moyens :

1451946 – subvention de 750 Frs par malade,

1461947 – subvention de 2 000 Frs par malade,

1471948 – subvention de 400 Frs par malade, octroyée aux A.D. supportant la plus lourde charge85.

148Cependant, des sommes beaucoup plus importantes furent investies à la même époque dans les institutions fondées par la Fédération.

D. Les Institutions Médicales de la F.N.P.G.

149Les P.G. rapatriés souffrirent, dès le début, du manque de maisons de repos. L’état de certains d’entre eux n’exigeait pas, à leur retour, une hospitalisation immédiate. Ils ne pouvaient cependant entamer leur réintégration qu’après une période de convalescence. D’autres, rétablis et libérés des hôpitaux, avaient besoin d’une période de repos avant de reprendre une vie active. Toutefois, de telles institutions manquaient en France et le nombre de places qu’elles proposaient ne put nullement satisfaire la demande. La situation s’aggrava encore au courant de 1946-1947, à la suite de la compression de budgets destinés aux rapatriés, ce qui entraîna la fermeture de plusieurs de ces « maisons ».

150Les Associations, conscientes de cet état de choses, tentèrent d’y remédier, créant elles-mêmes leurs maisons de repos. L’A.D. de la Seine inaugura le 15.10.1946 sa propre institution. Ouverte dans le château de Moyenbrie, à 20 km de Soissons, elle était destinée à recevoir des camarades convalescents ou titulaires d’un certificat médical attestant qu’un repos leur était nécessaire. A la même époque, l’A.D. des Pyrénées Orientales gérait déjà le sanatorium « Les Violettes » d’Ur et une maison de repos à Arles-sur-Tech86.

151L’attribution des fonds nationaux du C.C.A.P.G. à la Fédération lui permit d’octroyer aux A.D. des fonds permettant l’aménagement et le fonctionnement de leurs institutions. La liste des réalisations départementales subventionnées par la Fédération en 1947 témoigne du nombre des institutions que possédaient déjà les Associations à cette époque, de leur diversité et de l’importance des sommes qui leur furent allouées87. La somme de 23 700 000 Frs fut distribuée à cette époque comme suit :

152La guérison d’une partie des P.G. hospitalisés immédiatement après leur retour força la Fédération de centrer son attention sur les questions de postcure et de rééducation. Le manque de place contraignait, à cette époque, les hôpitaux à libérer les convalescents dont la santé venait d’être stabilisée. Les représentants des malades et les médecins protestèrent vivement contre cet état de choses qui acculait les malades à des situations angoissantes. Ils exigèrent des solutions urgentes impliquant des traitements de postcure et des stages de rééducation, citant l’exemple de résultats obtenus dans les rares institutions spécialisées existantes.

153Le Ministère du Travail se pencha sur cette question mais ne fut pas en mesure d’entreprendre rapidement l’effort nécessaire par manque de crédits. Cette fois-ci l’entreprise dépassait de loin les possibilités, les capacités et les moyens des Associations Départementales. La F.N.P.G. se résolut donc en mars 1947 à « suppléer de toutes (ses) forces à la carence de l’Etat dans ce domaine : (elle) allait créer (ses) maisons de postcure »88.

154Le budget nécessaire fut encore fourni par les fameux fonds de liquidation du C.C.A.P.G. La Fédération reçut dans ce cadre de la Croix Rouge le Château de Ponsonnas qu’elle entreprit d’aménager en centre de postcure et de rééducation. En même temps, elle convainquit l’A.D. des Pyrénées-Orientales de transformer dans le même but sa maison de repos d’Arles-sur-Tech, lui octroyant, à cette fin, des sommes importantes. Les travaux d’aménagement furent entamés au printemps 1948 et Ponsonnas ouvrit ses portes au milieu de 1949. L’institution fut rapidement reconnue par le Ministère de la Santé, la Sécurité Sociale et le Ministère du Travail et eut, de ce fait, droit aux subventions gouvernementales nécessaires à son fonctionnement. L’ouverture du Centre d’Arles-sur-Tech, prévue pour 1950, devait doter l’appareil sanitaire fédéral de 100 lits de postcure qui ne représentaient sur ce plan pas moins du quart du potentiel national89.

155Dès 1950, la F.N.C.P.G. réorienta son action décidant de reprendre d’aménager et de gérer le Sanatorium des Pins, situé dans le Loir-et-Cher90. Les deux fondations qui s’ajoutaient à une maison pour enfants déficients que la F.N.P.G. gérait depuis 1947 n’étaient qu’un premier jalon. Vingt-cinq ans plus tard, la Fédération entretenait encore les cinq institutions suivantes : l’institut Médico-Educatif « Joseph Perrin » et le Centre de Rééducation Professionnelle « Les Rhuets », situés à Vouzon (Loir-et-Cher) ; le Sanatorium et Centre de Cardio-Pneumologie « Les Pins » à Lamotte-Beuvron (Loir-et-Cher) ; la Maison de Santé et de Convalescence « l’Oasis » installée dans le château de Breteuil-sur-Noie (Oise) ; et le Château de Ponsonnas (Isère) destiné au même but.

156A la même époque, ses Associations Départementales possédaient 4 instituts médico-professionnels, un centre médical, 8 maisons de repos et de convalescence, 8 centres de colonies de vacances, 1 camping, 3 maisons de vacances et 3 maisons de retraite91.

157Il serait superflu de décrire ici le troisième plan de l’action sociale de la Fédération que constituait l’entraide. Cette entreprise n’était d’ailleurs que le prolongement direct de l’assistance octroyée aux rapatriés et à leurs familles, à l’époque du grand retour et de la réintégration des P.G.92 Cet aspect de l’activité sociale était évidemment totalement décentralisé et géré en toute indépendance par les A.D. en fonction de la situation locale et des besoins de ses adhérents.

158L’action sociale de la F.N.P.G. et de ses associations fut handicapée par l’arrêt total de subventions gouvernementales qu’elle ne perçut dans ce but que jusqu’à la fin de l’été 1947. Désormais, les fonds destinés au financement de l’assistance aux Anciens Combattants et aux victimes de guerre furent attribués aux Offices Départementaux du Ministère portant le même nom. La Fédération ne baissa pas les bras pour autant. Elle conseilla à ses cadres locaux, dont les représentants siégeaient aux Conseils d’Administration des Offices, d’utiliser l’institution et ses ressources pour assurer l’assistance à leurs membres nécessiteux. En même temps, elle entama une campagne nationale destinée à lui procurer les moyens de continuer son action sociale propre93. Par la suite, on fit ce qu’on put avec les moyens du bord. Toutefois, la F.N.P.G. et ses A.D. parvinrent toujours à assurer les fonds nécessaires au fonctionnement de leurs œuvres et à l’entraide prisonniers.

159L’action sociale devint désormais l’activité principale de la Fédération et l’une de ses raisons d’être. Elle représente à ce jour la plus belle de ses réussites. L’organisation s’assigna, dès le début, la mission de solidarité, d’entraide et de responsabilité réciproque. Elle sut incontestablement l’assumer avec brio, assistant constamment l’Etat, se substituant parfois à lui pour assurer le sort du groupe qu’elle représentait.

160L’action sociale de la F.N.P.G. s’inscrit dans la ligne directe de la tradition d’entraide des mouvements d’anciens combattants. Ceux-ci s’appliquèrent déjà, en effet, entre les deux guerres, à venir en aide par tous les moyens à des camarades en détresse. Toutefois, les dimensions, la place et l’importance des fonctions sociales endossées par ces derniers n’étaient pas les mêmes. Agissant au sein d’une société dont le système d’assurances et de sécurité ne se trouvait encore qu’à l’état embryonnaire, ils tentèrent de suppléer, par leur action, à une législation sociale qui ne faisait que naître94.

161La création, après la fin du deuxième conflit mondial, d’un système perfectionné de sécurité sociale libéra la F.N.P.G. du besoin de se charger de cette tâche de couverture de risques sociaux, qui eut une importance cardinale dans le cadre de l’action d’entraide des organisations d’anciens combattants. Les responsabilités de ce domaine incombant maintenant à l’Etat, la Fédération s’employa surtout à compléter son action.

162Toutefois, la misère, les souffrances et la détresse qu’avait engendrées le conflit étaient si grandes que l’organisation dut remplir malgré tout le rôle si important que nous venons de décrire ici. De plus, son action avait aussi l’avantage d’épargner aux P.G. nécessiteux les humiliations des assistés, l’anonymat ainsi que les frustrations de personnes se heurtant à une administration.

3. L’ACTION CIVIQUE

163L’action sociale ne put, malgré ses dimensions, entièrement satisfaire la F.N.P.G. Se croyant vouée à un destin national, la Fédération des Prisonniers de Guerre fut au début angoissée par l’éventualité d’une évolution qui se solderait par un repli sur elle-même, un comportement narcissique et son cloisonnement en un étroit égoïsme de groupe. Les prisonniers rentraient des camps porteurs d’un message, persuadés de l’importance du rôle qui leur incombait dans le redressement et la reconstruction de leur Patrie. Un comportement égocentrique risquait de vouer leur mission à l’échec. L’action revendicatrice et l’activité sociale étaient entièrement légitimées par le besoin de rendre au groupe sa capacité d’action. Elles ne pouvaient, en aucun cas, constituer un but en soi. La solidarité P.G. devait franchir les frontières de leur société pour s’étendre aux autres catégories de citoyens nécessiteux. La grande erreur des Anciens Combattants de 14-18 fut de prétendre sans cesse aux droits qu’ils avaient sur la nation. Les anciens Prisonniers de Guerre devaient l’éviter à tout prix, clamant avant tout les devoirs qu’ils avaient envers elle.

164Les cadres nationaux reprirent constamment ce thème dans d’innombrables discours et articles tels cet appel du Président Fédéral lors de l’ouverture de la semaine nationale de solidarité :

« Cependant, si chère que ne soit la communauté fraternelle que nous formons tous ensemble, nous savons qu’elle n’a pas sa fin en soi et qu’elle s’inscrit dans la communauté française pour laquelle pendant longtemps nous avons pu faire si peu de choses, à l’heure même où il eût fallu fournir les plus grands efforts... le rapatrié n’est pas seulement celui à qui sa Patrie est rendue, mais aussi l’homme qui est rendu à sa Patrie. Ce n’est pas un simple jeu de l’esprit... ; c’est un appel à l’action désintéressée au service du pays95. »

165Fidèle à cette conception, la Fédération ouvrit ses institutions médicales à tous les Anciens Combattants d’abord, aux autres catégories de nécessiteux ensuite.

166Le désir d’une action fédérale entreprise à une grande échelle, au profit du pays tout entier, se heurtait pourtant au refus catégorique de s’engager dans une action politique qui aurait pu offrir à l’organisation des moyens à la mesure de ses ambitions. La seule voie capable de permettre à la Fédération de contourner cette contradiction interne était l’action civique. Pour donner des leçons au pays lui indiquant la voie, il fallait chercher à être meilleurs que les autres, à donner l’exemple : ... « alors il (leur) sera possible d’en imposer à l’ensemble du Pays, et cela se fera sans manœuvres, mais simplement par le rayonnement de (leur) esprit et de (leur) cœur »96.

167Le P.G. avait le devoir de participer activement à la vie de la nation, lui apportant tout son concours. Il lui était défendu de vivre en marge des événements politiques, sociaux ou économiques, et il n’avait pas le droit de rester passif.

168La première occasion de donner l’exemple dépassant, dans le cadre de l’action sociale, les limites étroites du groupe, fut offerte à la Fédération lors de la « Campagne de Solidarité avec les Sinistrés. » Le Ministère de la Population et des Anciens Combattants accorda, au mois de mars 1946, à la F.N.P.G., comme il l’avait fait pour les autres organisations de son genre, une période de 25 jours, pendant laquelle elle aurait le monopole des manifestations et appels à la charité publique, pour subventionner ses œuvres sociales. Malgré la situation des rapatriés, entamant à peine leur réintégration, les représentants des P.G. refusèrent de faire appel à la générosité pour leur propre compte. Ils préférèrent consacrer les produits des quêtes, ventes, etc. à tous les sinistrés de France. L’exemple qu’ils désiraient donner était celui de « malheureux au secours de plus malheureux »97. Ce geste du don de « l’obble du pauvre » paraissait l’occasion attendue de délivrer le message rapporté des camps :

« Pour la première fois, le geste de plus d’un million de prisonniers, entraînant derrière eux la Nation tout entière dans cette campagne, rassurera les Français qui attendaient “quelque chose des prisonniers”. Nous ne sommes pas qu’une masse amorphe qui ne sait que quémander... Il faut que, grâce à notre action militante convaincue, le public comprenne dans les faits ce que signifie notre message98. »

169La majorité des Associations répondit à l’appel de la Fédération, déployant une activité intense et s’ingéniant à inventer des moyens permettant la collecte d’un maximum de fonds. L’A.D. du Calvados prépara, entre autres, la vente de 50 000 insignes, le placement de vignettes collantes et une grande tombola de 100 000 billets de 10Frs99. L’entreprise connut des résultats divers, en fonction de la situation des départements et de l’effort qu’accomplirent les membres des organisations. Ainsi, l’A.D. de l’Yonne collecta en moyenne 455 Frs par adhérent, alors que la « Seine » et la « Seine-et-Marne » ne parvinrent à fournir qu’une moyenne de 3 Frs par P.G. membre de leurs A.D. La F.N.P.G. réunit à cette occasion la somme de 35 743 537 Frs qui furent distribués par l’intermédiaire des A.D. aux départements sinistrés100.

170Les Associations de P.G., attirées par l’idée d’une action directe, au bénéfice de la société entière, s’attaquèrent en ordre dispersé, dès 1946, à ce qu’ils considéraient comme le plus grave des fléaux de l’époque : les spéculateurs, le stockage de denrées, les profits illicites et le marché noir. A Roubaix, les membres de la S.L. réquisitionnèrent des tonnes de pommes de terre chez des cultivateurs récalcitrants, les distribuant à la population au prix de la taxe. A Tourcoing, des anciens prisonniers débloquèrent 80 tonnes de nouilles stockées depuis plus de six mois chez des grossistes. Les bouchers furent mis en demeure de vendre leur marchandise au prix officiel. A Cambrai, la Section Locale réquisitionna du bétail qui fut abattu par des P.G. et vendu à la population au prix de la taxe. Ces « mesures », accueillies en général avec la plus grande satisfaction par le public furent pratiquées par plusieurs Associations Départementales101.

171Les entreprises locales destinées à faire respecter les prix, à supprimer la pénurie artificielle et à combattre les spéculateurs « empêchant la libre circulation des denrées essentielles à la vie des humbles provoquant la hausse du coût de vie » prirent bientôt une dimension nationale. Le Comité Fédéral décida, lors de sa session du 11-12 janvier 1947, d’appuyer, par tous les moyens dont disposait la F.N.P.G., la campagne de baisse de prix déclenchée par le gouvernement. Il ordonna donc à ses instances nationales, départementales et locales, de participer activement aux Comités d’assainissement de prix. Le journal de l’Association lança aussitôt un appel à ses membres, exigeant leur adhésion générale et inconditionnelle à cette entreprise :

« Tous, tous sans exception, commerçants, ouvriers, intellectuels, agriculteurs, viticulteurs, artisans, industriels, vous qui êtes d’anciens prisonniers, qui avez le sens aigu de grands intérêts nationaux, vous serez l’avant-garde disciplinée et enthousiaste du combat engagé contre la banqueroute menaçante...
Dans l’offensive générale déclenchée par le gouvernement pour faire baisser les prix, nous jetons le poids énorme et qui sera décisif de nos onze cent mille adhérents et tout ce que cette marée humaine représente d’allant, d’énergie et d’esprit de sacrifice à l’égard des intérêts supérieurs du pays102. »

172La circulaire D.G. n° 105, envoyée quelques jours plus tard aux Présidents des A.D., traduisait en directives précises les modalités de l’action à entreprendre. Les anciens P.G. industriels, agriculteurs, artisans, commerçants ou membres de professions libérales, étaient appelés à appliquer les baisses décrétées sur le montant de toutes leurs ventes, leurs factures et leurs honoraires. Les consommateurs P.G. recevaient la consigne de boycotter tous ceux qui refuseraient d’appliquer les baisses prescrites. Les instances locales de l’Organisation étaient priées de seconder les efforts tentés par les pouvoirs publics, faisant rentrer leurs représentants aux « Comités de Surveillance de Prix » et aux « Comités d’investigation ». Les A.D. devaient seconder ces tentatives, diffusant les directives fédérales dans la presse P.G., veillant à l’application de consignes par les anciens prisonniers, créant sur le plan local des « Comités d’Action » composés uniquement de P.G. représentant aussi bien les producteurs que les consommateurs103.

173Malgré l’enthousiasme initial, la Fédération prit rapidement conscience de la vanité d’une telle tentative en période de pénurie et son journal entama la publication d’articles tentant de familiariser cadres et adhérents avec les mécanismes et les problèmes économiques. La F.N.P.G., qui représentait aussi des centaines de milliers d’agriculteurs, prôna désormais la nécessité de trouver le juste milieu entre le dirigisme et l’économie de marché, entre les secteurs étatisés et les entreprises privées. Son journal préconisa en même temps la nécessité d’une politique de prix équitable des produits agricoles, seule capable d’encourager les agriculteurs à augmenter leur production104.

174La baisse de la production céréalière qu’avait provoquée la guerre fut aggravée en 1947 par la mauvaise récolte de blé, créant une situation critique. Cet état de choses poussa la Fédération à s’engager dans la « bataille du pain ». Le Comité Fédéral émit encore une fois un appel aux centaines de milliers d’anciens prisonniers cultivateurs, leur demandant « d’animer et de conduire dans les milieux ruraux cette collecte nécessaire ». Le Président de la F.N.P.G. fut nommé, par décret, membre du « Comité National du Pain. » Son Organisation s’engagea aussitôt dans l’action expliquant à ses adhérents que la responsabilité de la situation actuelle de la production de céréales n’incombait certes pas à l’ensemble de la paysannerie française. Toutefois, avant de consacrer l’attention à la question de la culture du blé, il était essentiel d’assurer la soudure. La Fédération appela donc ses associations, ses sections, ses membres, à ramasser dans tous les greniers de France les « quintaux de blé qui permettront de donner du pain à chaque Français »105.

175Une fois de plus, les anciens prisonniers étaient priés de faire un geste de fraternité et de solidarité, d’œuvrer au service du pays, de travailler au rapprochement des travailleurs des villes et des champs et de donner l’exemple. La Fédération, consciente du retentissement que pouvait avoir une telle entreprise sur l’opinion publique, tenta de mettre en relief l’action des P.G. dans un domaine susceptible de lui attirer la sympathie du public106.

Ammerschwihr

176La F.N.P.G. désirant vivement participer à la reconstruction de la France, on y vit naître, dès la fin de 1946, l’idée de concrétiser, au sens propre du terme, cette aspiration. La Patrie était couverte de ruines. La reconstruire, c’était tout d’abord rebâtir ses villes et ses villages détruits par la guerre. J. Bertin, F. Mitterrand et H. Passemard, voulant prouver la vitalité de l’Organisation et ses capacités de mener à bien une grande œuvre, prirent l’initiative de faire participer la Fédération à la reconstruction d’un village sinistré. Leur choix tomba sur Ammerschwihr, bourgade historique située à proximité de Colmar, qui fut pendant la guerre un foyer de passeurs assistant des prisonniers évadés. Le village avait terriblement souffert des opérations militaires (2/3 d’immeubles totalement détruits) et une assistance extérieure lui était nécessaire afin de se relever de ses ruines. La tâche à accomplir était immense et semblait exiger des ressources énormes107.

177Les modalités de la participation fédérale à l’entreprise furent étudiées avec les autorités locales dès 1947. Un « Comité d’Action pour Ammerschwihr » fut constitué sous le patronage du Président de la République, Vincent Auriol, avec la participation des Ministres d’Anciens Combattants, de la Reconstruction, de la Jeunesse et des Beaux-Arts.

178La F.N.P.G. s’assigna comme but immédiat de réédifier des édifices municipaux tels que le groupe scolaire, l’Hôtel de Ville et la Maison Forestière. Des sommes considérables, provenant du reliquat de la campagne en faveur des sinistrés et des dons des Associations, furent investies dès le début dans le projet. Des fonds beaucoup plus importants furent collectés à l’occasion de la « Semaine Nationale de la Solidarité » (20-26.10.1947). Le Comité d’Ammerschwihr eut en effet droit à 35 % des recettes qui étaient pourtant destinées en premier lieu, à assurer l’action sociale des Associations Départementales108.

179La Fédération investit finalement dans l’entreprise de la reconstruction d’Ammerschwihr la somme de 30 millions de francs. La Maison Forestière fut achevée au début de 1949. Le groupe scolaire fut inauguré à la rentrée de 1952. Les travaux de construction ne représentent d’ailleurs pas la totalité de la contribution fédérale à la réédification du village. L’Association employa aussi ses relations particulières avec les pouvoirs pour faciliter les contacts de la municipalité avec les administrations, elle fournit, par l’intermédiaire des A.D., des matériaux de construction difficiles à acquérir et participa à l’élaboration d’un plan d’urbanisation du site. Les travaux entrepris par la F.N.P.G. encouragèrent les habitants à accélérer la reconstruction de leurs demeures, abrégeant la réédification du village.

180La F.N.P.G. ne limita pas son assistance à une entreprise de travaux publics. Des relations particulières se nouèrent entre la municipalité de la « ville filleule » et les Associations, et Ammerschwihr devint un lieu de pèlerinage pour anciens P.G. Des dons affluèrent de la part des A.D., permettant d’équiper l’école maternelle, de doter les deux écoles et mêmes de placer des vitraux à la chapelle Saint-Eloi.

181Au début de 1953, la F.N.P.G. estimant avoir atteint les objectifs qu’elle s’était assignés, se prépara à arrêter ce qu’elle estimait être « la plus belle manifestation de l’esprit civique des P.G. »109.

L’Action Civique – Tâche Individuelle

182L’action civique de la Fédération eut aussi des aspects internationaux. L’Organisation se considéra toujours concernée par tout ce qui touchait aux prisonniers de guerre sans distinction de pays ou de conflits. Elle participa donc activement, dès mars 1947, à la « Commission de Révision de la Charte de Genève. » Désirant travailler pour assurer au monde une paix durable, elle entreprit aussi de regrouper les associations de prisonniers de tous les pays ayant pris part à la Deuxième Guerre mondiale, au sein d’une Confédération Internationale d’Anciens Prisonniers de Guerre110.

183Mais il serait erroné d’insister uniquement sur l’action civique entreprise par la Fédération et ses associations. La F.N.P.G. estima toujours que le civisme des P.G. ne pouvait se limiter aux agissements de leurs organisations. Il était, avant tout, le devoir individuel de chaque ancien prisonnier, qui rentré des camps, porteur de valeurs nouvelles, devait prendre par tous les moyens une part active à la vie de la société, l’enrichissant de son apport. La Fédération souhaita que des P.G. de plus en plus nombreux acceptent des responsabilités dans la cité, les assumant avec toute leur compétence – qu’elles relèvent du plan professionnel, social, syndical, municipal ou régional. Leur captivité et les leçons qu’ils en avaient tirées prescrivaient aux P.G. de pratiquer une politique de présence partout où se faisait un travail dont dépendait l’avenir français111.

184Ce point de vue fut largement partagé par les rapatriés et, deux ans après le retour, on pouvait déjà trouver des P.G. à de nombreux postes de responsabilité. Au 2^e Congrès Fédéral, le délégué des « Pyrénées-Orientales », citant l’exemple de sa région, mentionna 24 maires, 4 conseillers généraux, 1 député et de nombreux camarades siégeant aux Conseils Municipaux, aux Chambres de Commerce, Tribunaux de Commerce, Conseils de Prud’hommes et Syndicats Agricoles112.

185Se retranchant dans une attitude strictement apolitique, la Fédération considéra cependant que la participation active de ses adhérents à la vie politique du pays faisait partie intégrante du civisme P.G. Le journal de l’Organisation et les bulletins des A.D. rappelèrent à la veille de chaque épreuve électorale à leurs militants qu’ils devaient prendre leurs responsabilités de citoyens français, selon le libre choix de leur conscience. La vie en marge des événements ou de la société était interdite aux anciens prisonniers. La prise de position était un devoir : « Je ne te demande pas pour qui tu votes. Je te demande de voter ! » clamait à ses lecteurs le journal d’une A.D.113.

186L’action civique de la F.N.P.G. n’atteignit jamais les dimensions ni l’importance de son action sociale. Pourtant, il ne faut nullement sous-estimer ses conséquences. Les deux types d’activités étaient profondément ancrés dans l’esprit P.G. et puisaient leurs « conceptions idéologiques » dans cette partie de la mentalité que les anciens prisonniers appelaient « les leçons de la captivité »114.

187L’action sociale constituait le premier aspect des devoirs du P.G. : la solidarité inconditionnelle et sacrée due aux membres nécessiteux de son groupe. L’action civique représentait l’autre face du même concept car le prisonnier rapatrié avait, en même temps, des obligations envers la Nation et le pays tout entier. Les deux axes d’activité étaient d’ailleurs, en principe, intimement liés. Le but annoncé de l’action sociale étant, en effet, de rendre le groupe apte à engager l’action civique.

188Le civisme P.G. joua le rôle d’une porte perpétuellement ouverte par l’Organisation vers l’extérieur. Même prenant la forme d’un mythe, il rappela sans cesse aux adhérents et à leurs cadres que leur Association n’avait pas été constituée et n’avait pas le droit de devenir un monde clos, replié sur lui-même.

189La campagne de solidarité, la reconstruction d’Ammerschwihr n’étaient finalement que des opérations relativement limitées qui n’atteignirent même pas, dans le cas d’Ammerschwihr, tous les buts premiers que s’était assignés l’Organisation. Toutefois, l’importance de ces entreprises était située ailleurs. N’oublions pas qu’à l’heure où le groupe tentait de mobiliser la totalité de ses ressources pour satisfaire aux besoins urgents de ses membres, il sut se défaire d’un égoïsme naturel, facilement justifiable, pour accorder une partie de ses fonds à des activités extérieures.

190La Fédération n’abandonna jamais son action civique et la F.N.C.P. G .-C.A.T.M. – héritière directe de la F.N.P.G. – la poursuit systématiquement à ce jour. Cependant, l’évolution du monde a changé entre-temps ses buts. Aujourd’hui, l’Association participe à des projets éducatifs et à des entreprises de coopération dans des pays d’Afrique115.

191Dans ce domaine aussi la F.N.P.G. avait été précédée par les organisations d’anciens combattants de 1914-18. Ses prédécesseurs s’étaient employés, avant elle, à tirer leurs « leçons de la guerre », exprimant leur désir de faire passer l’intérêt général avant l’intérêt particulier. Dans les deux cas, les associations entreprirent la sensibilisation de leurs membres aux grands problèmes de l’heure, encourageant une réflexion politique d’ordre général, tout en prenant les précautions de ne pas paraître s’aligner sur les propositions d’un parti. Rien d’étonnant donc si, à un quart de siècle d’écart, nous retrouvons les deux mouvements préoccupés par les problèmes démographiques, les questions de justice sociale et de société, par la forme de l’Etat ou l’organisation de la paix (115a).

192Une telle approche fut apparemment engendrée par la logique même des situations. Dans les deux cas, les mouvements refusèrent de s’enfermer dans les limites d’un corporatisme étroit, restreignant leurs activités au rôle d’un groupe de pression.

193Cependant, il semble que la Fédération s’engagea plus loin dans cette voie que ses prédécesseurs, tâchant de concrétiser, ne serait-ce que modestement, ses aspirations de reconstruction, de régénération et de renouveau par des actes.

4. L’ACTION REVENDICATIVE

194L’action sociale et l’action civique de la Fédération, malgré l’importance qui leur fut accordée, furent primées les premiers temps par l’action revendicative. Cet aspect de l’activité fédérale présente indiscutablement la raison d’être principale de l’Organisation, concernant directement tous les adhérents. Il permet, en effet, la concrétisation des deux thèmes primordiaux des préoccupations de ses membres : leurs besoins et leurs droits.

195Mouvement d’Anciens Combattants, la F.N.P.G. fut constituée par un groupe pour ce groupe. Rien d’étonnant, donc, si elle défendit tout d’abord les intérêts de la société dont elle était l’émanation.

196L’expérience des A.C. de 14-18 ainsi que la tradition des institutions chargées de veiller, pendant la guerre, au sort des prisonniers et de leur famille, apprirent au Mouvement que les charges matérielles, provoquées par les besoins de ses adhérents, relevaient du ressort des pouvoirs publics. La pratique avait clairement démontré que l’aide d’associations de bienfaisance ainsi que l’entraide du milieu avaient une grande importance et des avantages considérables. Toutefois, vu l’envergure et la complexité des problèmes, seul l’Etat était capable de procurer au groupe les fonds nécessaires lui apportant les solutions législatives et administratives indispensables à la réinsertion des rentrants.

197Le P.G. libéré de captivité avait besoin d’assistance immédiate pour surmonter les difficultés du retour d’abord ; pour réintégrer la société et y reprendre sa place, ensuite. Ses yeux et les regards de l’Organisation qui le représentait se tournèrent donc tout naturellement vers les pouvoirs.

198L’Exécutif français endossa, dès le début, cette charge ; les gouvernements de Vichy comme d’Alger constituant des Ministères chargés de veiller au rapatriement et à la réintégration des captifs.

199Toutefois, les difficultés économiques de l’époque d’après-guerre, les problèmes financiers et la nécessité de venir en aide à d’autres catégories de citoyens, victimes de la guerre, avaient forcé l’Etat à distribuer son aide avec parcimonie.

200La Fédération, adoptant à l’égard des besoins et des droits de ses membres une approche égocentrique, refusa l’ordre des priorités gouvernementales. Elle engagea donc, dès ses débuts, une lutte sans répit afin d’arracher aux pouvoirs les moyens nécessaires pour satisfaire ce qu’elle considéra comme les droits élémentaires de ses ressortissants. Ainsi, l’histoire de la F.N.C.P.G., considérée à travers le prisme de cette activité, prend l’apparence d’un inlassable combat revendicatif.

A. La Carte du Combattant

201Les premières revendications présentées par la Fédération furent destinées à faciliter le retour au foyer, la réintégration professionnelle et la réinsertion sociale des rapatriés116. La majorité des Anciens P.G. reprenant progressivement une vie active et routinière, la F.N.P.G. changea de stratégie, dès le début de 1946, s’engageant par étapes dans une action revendicative à long terme. Elle se fixa désormais pour but la réparation des préjudices matériels et moraux dont souffrirent les prisonniers, à leur retour, et la liquidation des litiges opposant, depuis ce temps, le groupe à l’Etat.

202Symboliquement, la première lutte de longue haleine qu’engagea le Mouvement des Prisonniers fut celle dont l’impact matériel immédiat était le moindre. Les P.G., estimant ne pas avoir démérité ou trahi, exigèrent d’être reconnus officiellement en tant que « Combattants ».

203Les hommes, rentrant des camps au bout de dures années de captivité, refusèrent de porter la responsabilité de la défaite ou le surnom de « chevaliers de la crosse en l’air », exaspérés par le dédain des autres groupes de combattants et le mépris des Anciens de 14-18. La lutte pour la carte prit donc aux yeux des anciens captifs, tout d’abord, une dimension morale. Elle signifiait un rejet catégorique de ce que l’on considérait comme calomnies ainsi qu’un défi lancé aux hommes ayant osé mettre en doute l’honneur des P.G.

204Mejoly, représentant en 1949 la F.N.C.P.G. au Conseil d’Etat, termina sa plaidoirie sur ces paroles intransigeantes qui illustrent fidèlement l’état d’esprit des militants et de leur organisation :

205« Les Prisonniers de Guerre n’éprouvent de leur captivité ni honte, ni remords, parce qu’ils ont le sentiment que cette épreuve a eu des causes qui les dépassent singulièrement. Ce qu’ils veulent c’est qu’on leur rende le seul bien qui compte à leurs yeux ; ce bien, c’est l’honneur. Ils ont le moyen de l’obtenir et ils ne se feront pas faute de l’obtenir117. »

206Ne pouvant infléchir en leur faveur des pans entiers de l’opinion publique ou intenter des procès en diffamation à d’innombrables groupes et organisations d’Anciens Combattants, la Fédération s’engagea dans la seule voie pouvant servir son dessein : l’obtention du titre officiel de « Combattant », chargé de tant d’associations glorieuses.

207L’efficacité d’une telle démarche peut paraître douteuse. Un titre arraché à la classe politique par luttes et pressions peut-il laver la souillure, effacer le stigmate, rehausser l’image de marque ? La chose semble peu probable. Cependant, les Anciens Prisonniers ne disposent d’aucune alternative. Seul le titre pouvait être obtenu ; pour le reste, on ne pouvait qu’attendre le verdict de l’Histoire. Toutefois, emporter cette lutte, n’était-ce pas infléchir déjà son jugement ? L’octroi de la Carte ne signifierait-il pas que la République, ayant envoyé les soldats de l’année 40 au combat, estimait qu’ils avaient accompli, somme toute, leur devoir ? N’était-ce pas un moyen d’influencer la version officielle des faits ainsi que l’enseignement de ces événements aux générations futures ? Les Dirigeants de l’Organisation avaient à ce sujet une idée très précise :

208« Il faut détruire cette légende qui existe en France d’une armée de 1940. Il n’y a pas d’armée de 40. Il n’y a qu’une armée française. Nous ne voulons pas que les enfants apprennent plus tard sur les bancs de l’école que des hommes ont abandonné le pays alors qu’ils ont fait leur devoir118. »

209Les Prisonniers luttant pour l’obtention de la Carte ne défendaient pas seulement leur honneur. Ils réclamaient aussi la justice. Justice pour ceux qui firent ce qu’ils purent dans un combat inégal, qui, vaincus, ne plièrent pas l’échine et qui souffrirent alors que la majorité de leurs compatriotes sut se tirer d’affaire, se parant souvent, par la suite, d’une gloire qu’elle n’avait guère méritée :

210« Les pouvoirs publics ont d’autres chats à fouetter que de traiter cette affaire d’Honneur et de Justice !

211Honneur ! oui ! pour nous différencier des chevaliers de la crosse en l’air de la Bidassoa.

212Justice ! oui ! pour nos quelques semaines de combat inégal ! Pour nos quelques années de lutte et de résistance face à l’ennemi :

213Nous exigeons Justice face aux heureux qui avaient rechaussé leurs pantoufles, face aux collaborateurs du porte-monnaie, face aux traîneurs de sabre du mois de septembre 1944, face aux partis trop pressés souvent de laver tant d’outrages à la Patrie119 ! »

214L’obtention de la Carte devint avec le temps la principale revendication de la F.N.P.G. et ses dirigeants n’hésitèrent pas à annoncer au Chef de l’Etat « qu’ils ne connaîtr (aient) jamais, en effet, de plus grave souci que celui de voir reconnue (leur) qualité de Combattant »120.

215La lutte ayant été engagée sur un plan purement moral, les aspects matériels du titre furent expressément négligés. L’Organisation se montra toutefois intransigeante sur un point : elle ne voulait pas d’une Carte de Combattant de 39-45 ou d’une Carte de Prisonnier, mais uniquement de la « Carte du Combattant » ; la même que celle accordée en son temps aux Anciens de 14-18, octroyant strictement les mêmes droits et les mêmes avantages. Les bénéfices matériels immédiats n’avaient pas d’importance et on était prêt à les différer, à une condition : le report serait général et de principe. Les P.G. ne devaient constituer en aucun cas un groupe à part121.

216L’Organisation des Prisonniers attendit un certain temps avant d’inscrire cette revendication à son ordre du jour. La réalité de 1945 força les associations P.G. à accorder leur attention aux problèmes strictement matériels et juridiques, s’efforçant d’assister les rapatriés et leurs familles d’une manière concrète et immédiate. Le « Rapport d’Activités Générales » présenté au 1" Congrès de la F.N.P.G. par son Secrétaire Général (J. Védrine) ainsi que les décisions qui y furent adoptées dans ce domaine ne concernent encore que l’« Assistance Médicale », des questions juridiques, le pécule, l’échange de billets de banque et de Marks, les priorités d’attribution de marchandises, l’habillement, les problèmes d’alimentation et les questions professionnelles et agricoles. Une requête de reconnaissance de la qualité de « Combattant » aux P.G. paraissait, à ce stade, loin de leur esprit122.

217Elle fut pourtant présentée avec vigueur dès le début de 1946, remontant très vite au Ministère de tutelle. Invité au meeting des adhérents des A.D. de la Seine et de la Seine-et-Oise, Laurent Casanova annonça déjà, le 9.2.1946, aux milliers de participants, rassemblés au Vél’ d’Hiv’, son désir d’accorder aux Prisonniers le titre de « Combattants »123. Dès le printemps de cette année, la F.N.P.G. porta cette exigence en bonne et due forme au « Bilan de l’Action Revendicative de la Fédération » présenté par sa Commission de Revendications124.

218La démarche ministérielle intentée afin de régler la question fut des plus classiques : Casanova réunit au mois de juin une commission ministérielle composée de représentants de l’U.F.A.C., de la F.N.P.G. et d’autres Organisations de Combattants de 1939-1945, la chargeant d’étudier les modalités d’attribution de la Carte à la nouvelle génération d’A.C.

219Dès le début des travaux, les participants s’aperçurent qu’ils se heurtaient à un problème insoluble, les revendications de la F.N.P.G. étant incompatibles avec les positions de l’U.F.A.C. Cette dernière, dominée en ce temps par les Organisations de Combattants de 14-18, refusa tout changement significatif des conditions d’attributions originales de la Carte125. Obligée de considérer le caractère totalement différent de la II^e Guerre mondiale, l’U.F.A.C. accepta finalement son octroi, sous condition d’appartenance, pendant une période définie, à une unité combattante. La Fédération, insistant sur l’énorme différence entre le déroulement des deux conflits, estimait par contre que la captivité n’était que la suite et la prolongation du combat. Elle exigea donc l’octroi du titre à tous les Prisonniers de Guerre : « Hier c’était tous ou pas un ! Aujourd’hui c’est tous et tout de suite ! » résuma un journal d’A.D. à propos de cette demande intransigeante126.

220La F.N.P.G. ayant refusé, pour des raisons de principe, d’adhérer à l’U.F.A.C., la controverse prit aussi des dimensions de lutte entre associations rivales. Le point de vue de la Fédération fut repoussé par ses partenaires, Organisations de Combattants de 39-45 incluses. L’activité de la Commission s’en trouva paralysée et son rapport contesté par les P.G.

221Ministre de tous les Anciens Combattants, Laurent Casanova ne s’empressa guère d’arbitrer ce litige, refusant de trancher un problème aussi épineux. L’Organisation se prépara donc à une longue campagne.

222Le Congrès de Clermont-Ferrand accorda en novembre 1946 à cette existence la priorité sur les autres revendications de l’Organisation. Il repoussa vigoureusement le projet de la commission ministérielle qui préconisait l’attribution de la Carte aux militaires qui pourraient prouver leur présence, durant 45 jours consécutifs, dans la zone des combats. L’assemblée réclama par contre l’octroi de la qualité d’« Ancien Combattant » à « tous les anciens prisonniers n’ayant pas eu une attitude antipatriotique dans les camps d’Allemagne ou après leur retour, durant l’Occupation »127.

223Quelques semaines plus tard, L. Casanova quittait son poste et, après un éphémère passage de Max Lejeune, le Ministère était repris, en janvier 1947, par François Mitterrand, dont la nomination fut saluée avec enthousiasme et joie par l’Organisation128.

224Rencontrant « leur Ministre » dès le 24 janvier, les représentants de la F.N.P.G. abordaient, en premier lieu, ce problème qui leur tenait à cœur. Espérant aboutir à un accord de principe, négocié entre-temps avec l’U.F.A.C., les dirigeants fédéraux désiraient que la nouvelle loi élaborée par l’administration de tutelle garantisse les droits de leurs adhérents. Ils aspiraient à une définition de l’« unité combattante » dans un sens non restrictif et à la reconnaissance de la captivité comme la suite du combat.

225Lejeune Ministre répondit à cette demande d’une façon on ne peut plus satisfaisante. Il se déclara « désireux de faire aboutir cette revendication essentielle par un texte de loi qui présentera des garanties suffisantes pour les anciens prisonniers ». De telles paroles dans la bouche d’un homme au passé de F. Mitterrand n’avaient rien d’une vague promesse bienveillante129.

226Ancien Prisonnier et « Père Fondateur » de la F.N.P.G., le Ministre était parfaitement conscient de l’importance accordée par les P.G. à l’octroi de la Carte et de la signification qu’ils prêtaient à cette mesure. N’ayant rien perdu de sa sympathie et de son attachement envers ses anciens camarades, préservant d’excellentes relations avec les Cadres de l’Association, dont il fut le Vice-Président, il conservait une influence certaine sur sa direction. Ministre de fraîche date, il mesurait aussi, mieux que quiconque, le poids politique de la clientèle P.G. ainsi que la popularité que lui attirerait l’octroi de la Carte. Limité dans son action par des restrictions budgétaires, Mitterrand se préparait à investir les crédits qui lui seraient accordés pour rehausser de façon substantielle les pensions de ses ressortissants. L’attribution du titre de Combattant présentait donc à ses yeux un moyen sûr de remporter une grande victoire et de combler ses amis, s’assurant la reconnaissance des P.G. sans trop grever le budget de son administration. « Notre Ministre » s’employa donc, dès sa nomination, à promulguer un décret réglant définitivement la question. Ses efforts convergeaient sur ce plan avec l’activité de la direction fédérale stimulée par l’impatience grandissante de ses adhérents.

227Le 24 mars, le Ministre tentait une nouvelle expérience d’élaboration d’un consensus quant aux modalités d’attribution de la Carte. Il convoqua ce jour-là une réunion à laquelle furent invités les représentants de l’Assemblée Nationale, du Conseil de la République, de la Présidence du Conseil et des diverses administrations concernées. Ayant entendu un exposé historique concernant le décret d’attribution original (du 1.7.1930) et son application, les représentants des Organisations furent appelés à exposer leurs points de vue. Toutefois, le débat ne mena qu’au constat du refus de l’U.F.A.C. et de la F.N.P.G. de renier leurs positions de principe. Un an de pourparlers bilatéraux aboutissait à un refus réciproque de tout compromis130. Mitterrand se trouva de ce fait dans l’obligation de trancher un problème fort épineux dont la solution devait engendrer, dans tous les cas, le mécontentement d’une des parties.

228Constatant que sa revendication première se retrouvait de nouveau acculée dans une impasse, la Fédération tenta de mobiliser tous les appuis possibles. Elle entreprit alors de porter la discussion au sein de l’U.F.A.C. Contournant l’Union Française d’Associations de Combattants, le Secrétaire Général s’adressa directement à ces dernières et leur soumit le projet des modalités d’attribution de la Carte élaboré par la Fédération et rejeté par l’« Union ». Les Associations furent priées d’exprimer à la F.N.P.G. leur avis sur ces propositions. Le même texte fut envoyé aux membres de l’Assemblée Nationale auxquels l’on demanda d’en tenir compte lors d’un éventuel débat131.

229Eperonnée par l’impatience, le dépit et les critiques de ses membres, inquiétée par la fonte d’effectifs et le débauchage de ses adhérents par des organisations rivales, la Direction Fédérale s’engagea sur la voie d’une lutte ferme et bruyante. Elle entreprit donc l’organisation de manifestations de masses afin d’appuyer ses revendications : la Carte de Combattant, en premier lieu. Le 29 juin, 53 Associations tinrent des meetings rassemblant dans les chefs-lieux des départements des milliers de P.G. Les A.D. présentèrent à cette occasion des cahiers de revendications aux préfets tentant de sensibiliser l’opinion publique et de créer une pression sur les pouvoirs.

230Toutefois, cette manifestation de la puissance, de la capacité d’organisation et de mobilisation de la F.N.P.G. ne déboucha sur rien de concret. Quelques mois plus tard, un numéro du P.G. (5.10.1947) exprimait la déception et les ressentiments des cadres et des militants par cet en-tête dédié à M. le Ministre des A.C. et à MM. les parlementaires de la IV^e République : « La cigale ayant chanté tout l’été se trouva sans “carte” quand l’hiver fut arrivé”. »

231F. Mitterrand avait bien déposé un projet de décret réglant la question de l’attribution de la Carte aux Combattants de la II^e Guerre mondiale. Sans reprendre les suggestions de la F.N.P.G., la proposition incluait pourtant une clause permettant d’accorder la qualité de Combattant à la grande majorité des prisonniers, vu les épreuves endurées dans les camps. Toutefois, le Conseil des Ministres qui examina le texte le 8 et le 15 octobre ne put se décider à l’approuver. Les incidences financières, même à longue échéance, de ces libéralités effrayaient en effet plusieurs membres du Cabinet. L’examen du problème fut donc confié à un conseil ministériel restreint132.

232Deux crises ministérielles, enlevant puis rendant en l’espace de quelques semaines, la rue de Bellechasse à Mitterrand paralysèrent, au cours du dernier semestre de 47 toutes les démarches officielles relatives à ce sujet. Rencontrant le nouvel-ancien Ministre, lors de l’audience qui leur fut accordée le 8 décembre, les dirigeants fédéraux constatèrent que la situation était bloquée, que leur interlocuteur semblait dérouté, hésitant quant à sa stratégie future et incapable de promettre quoi que ce soit de concret pour l’avenir proche133.

2331947 s’achevait donc, malgré toutes les audiences, les démarches, les pourparlers, les manifestations et les débats, sans résultat. Les dirigeants des A.D. réunis en « Conseil National » décidèrent alors d’utiliser l’arme décisive de leur arsenal : la grande manifestation des P.G. de toute la France rassemblés dans la capitale. Toutefois, les pressions et la persévérance de l’Association et du Ministre rendirent cette mesure superflue. Le 29 janvier 1948, le Gouvernement signait le décret octroyant la Carte aux combattants de 39-45134.

234Le texte promulgué comblait la Fédération. Il n’était tout d’abord qu’un complément du décret du 1er juillet 1930 en exécution de la loi du 19.12.1926, fixant les conditions d’attribution de la Carte aux combattants de 14-18. La nouvelle génération obtenait de ce fait ses droits par la voie des mêmes textes qui avaient accordé la qualité de Combattant à leurs glorieux prédécesseurs. Conformément aux désirs des prisonniers, une seule carte devait être distribuée aux soldats ayant participé à l’un des deux conflits mondiaux.

235L’Article .c.3° du décret spécifiait l’attribution de la Carte aux « personnes qui, à la suite de circonstances issues de la lutte contre l’ennemi, ont encouru des risques ou subi des épreuves qui lui sont comparables, tels que la déportation ou la captivité, considérées comme prolongement de cette lutte elle-même »135.

236L’arrêté d’application du 3 mai était encore plus favorable. Son article premier stipulait : « La carte du combattant est attribuée pour les opérations commencées le 3 septembre 1939 – aux militaires mobilisés ou engagés dans les armées de terre, de mer ou de l’air, ayant combattu en France ou hors de France, ayant subi la captivité ou ayant été blessés »136.

237La captivité était considérée du fait de ces textes comme le prolongement du combat et les prisonniers obtenaient la qualité de Combattant pour cause de leur détention en pays ennemi et non pour leur participation aux combats de 1940. Ainsi, le décret Mitterrand adoptait le point de vue de la F.N.P.G. quant aux conditions d’attribution de la carte.

238F. Mitterrand devint, aux yeux des P.G., le plus populaire des Ministres d’Anciens Combattants acquérant la gratitude du groupe. La F.N.P.G. prit bien soin de lui manifester ses sentiments de reconnaissance lors du III^e Congrès de l’Association et la lettre d’adieu qu’adressa le Président Fédéral au Ministre quittant définitivement son poste est certainement un texte unique en son genre137.

239Le texte donna aussi raison à la majorité des Dirigeants Fédéraux que leurs sentiments de camaraderie et d’amitié portaient à faire confiance à l’ex-Vice-Président Fédéral et ce malgré les déceptions, les critiques des opposants et l’impatience de la base.

240Le décret Mitterrand arrivait à temps. Les palabres interminables et les innombrables démarches stériles avaient sapé, entre-temps, la patience des adhérents et leur confiance dans la Direction Fédérale. Constatant la vanité des tentatives du Bureau, les militants et les cadres d’A.D. devinrent extrêmement critiques vis-à-vis de la ligne adoptée par leurs représentants. Ils reprochèrent aux Dirigeants Nationaux la mollesse de leurs démarches, leur manque de fermeté et de vigueur face aux Pouvoirs ainsi que la complaisance, la confiance exagérée, la duplicité même dont ils faisaient preuve envers le Ministre. On contesta même la stratégie de la lutte pour la Carte, n’hésitant pas à accuser F. Mitterrand, lui-même, de mauvaise foi138.

241L’exaspération de la base provoqua des manifestations de colère comme la « Lettre ouverte à M. Le Président » (de la F.N.P.G.) publiée par le Bureau de l’A.D. des Ardennes. Ce dernier accusa le Bureau National de mollesse et exigea la convocation exceptionnelle du Comité Fédéral, menaçant, en cas de refus, de faire appel directement aux A.D.

242Le désir du titre de Combattant était tel qu’il poussa l’Organisation à changer sa dénomination. Adoptant la proposition de la « Commission de l’Organisation », le Comité Fédéral décida, lors de sa session des 18-20.7.1947, d’ajouter le terme « Combattant » au titre de la Fédération. Le fait que la démarche fut entreprise dans un esprit purement défensif est significatif quant à l’atmosphère régnant dans certaines A.D. :

243« Des témoignages assez nombreux font penser que bon nombre de ceux de nos camarades qui ont adhéré individuellement à des associations d’Anciens Combattants ont été surtout dans les milieux ruraux attirés par le terme de « Combattant », inclus dans le titre des associations en question.

244Ce serait nous prémunir contre la persistance de cet état d’esprit et, en même temps, affirmer d’une nouvelle manière notre qualité de combattants que de substituer au titre actuel de notre fédération celui de la Fédération Nationale des Combattants Prisonniers de Guerre »139.

245La recherche de cette qualité prit parfois des aspects grotesques qui auraient pu faire sourire s’il ne s’était agi de manifestations de détresse d’un groupe touché dans son amour-propre140. Les Associations d’Anciens Combattants en quête d’adhérents exploitèrent cette humeur, mettant à profit le penchant des anciens prisonniers pour leur titre et leur prestige afin de débaucher des adhérents à la F.N.P.G. Riches de leur expérience, elles décuplèrent leurs efforts après la publication du décret, tentant d’être celles qui procureraient les cartes aux P.G.

246Cet état de fait explique pourquoi la Fédération, regagnant la confiance en elle-même et l’assurance, quelque peu ébranlées par les échecs de 1947, ressentit à l’heure de sa victoire le besoin d’appeler ses adhérents à rester unis :

247« Après vos aînés de 1914-1918, en même temps qu’à vos compagnons en uniforme ou sans uniforme de la lutte contre l’envahisseur, le Gouvernement vient de reconnaître VOTRE QUALITÉ DE COMBATTANTS...

248La Fédération Nationale de Combattants Prisonniers de Guerre est, dès aujourd’hui, la plus grande des associations de combattants dans votre pays...

249Votre place est toujours dans ses rangs et nulle part ailleurs. C’est elle qui donnera à chacun d’entre vous la CARTE DE COMBATTANT.

250Son succès aujourd’hui, son union et sa force de toujours valent mieux que toutes les promesses de ceux qui étaient hier parmi vos détracteurs et qui voudraient maintenant vous enrôler pour vous diviser.

251Aujourd’hui comme hier, dans vos sections comme aux camps, la consigne est la même : P. G. RESTONS UNIS !141. »

252La F.N.P.G. fêtant sa victoire ne soupçonnait guère qu’elle n’avait emporté qu’une bataille. Dès le printemps 1948, l’U.F.A.C. mettait à profit le départ de Mitterrand, entamant une « campagne révisionniste » dans le but de modifier l’arrêté ministériel. La F.N.C.P.G. riposta violemment, exigeant que les A.C. de 14-18 entreprennent chez eux l’épuration menée par les P.G. depuis leur libération, retirant la carte aux membres ayant eu, lors de l’occupation, un comportement indigne142.

253Entre-temps, la Fédération organisait, avec son efficacité coutumière, les démarches de ses adhérents pour l’attribution de la Carte. Elle diffusa à cette fin plus d’un million de formulaires. Toutes ces activités furent suspendues dès décembre, à la suite de l’introduction d’un pourvoi en cassation contre l’arrêté du 4 mai.

254Préférant se cacher derrière un homme de paille, l’U.F.A.C. choisit de présenter ce pourvoi au Conseil d’Etat par un combattant de 39-45, à l’honneur au-dessus de tout soupçon. La procédure fut donc engagée par le Lieutenant-Colonel Bourgoin, héros de guerre et ex-commandant du 2^e régiment de chasseurs parachutistes143.

255Le nouveau Ministre des A.C.V.G., M. Bétolaud, décida de suspendre sur le champ toute opération et activité engagées par l’octroi de la Carte aux nouveaux bénéficiaires. Vivement attaqué, à la suite de cette mesure, par la F.N.C.P.G. et subissant des pressions du « lobby Prisonnier », il commit par la suite l’imprudence de faire des promesses, quelque peu hâtives, au Congrès de St-Malo. Prononçant à cette occasion le rituel discours ministériel, Bétolaud prit envers les anciens P.G. un engagement ferme : en cas d’annulation du décret, il saisira le Parlement d’un projet de loi. Toutefois, « les critères qui se trouveront dans ce projet concernant l’attribution de la Carte de Combattant aux Prisonniers seront rigoureusement les mêmes que ceux qui figuraient dans le décret de (son) prédécesseur »144.

256L’évolution de la conjoncture exigea l’application imminente de ses engagements. Le 13 mai, la Haute Assemblée supprimait l’article 4 de l’arrêté du 4.5.48. Même ce texte permettait l’attribution de la Carte à la grande majorité des P.G., du fait de leur participation à la Bataille de France. Toutefois, le Comité Fédéral refusa de « mettre en cause, par le seul biais de la procédure, l’unité depuis longtemps acquise de tous les anciens des camps »145. La F.N.C.P.G. se tourna donc vers le Ministre, attendant la concrétisation de ses promesses.

257Grande fut la colère lorsque l’Organisation s’aperçut que son interlocuteur reniait ses engagements. Ce dernier revint tout d’abord à la procédure de décret qui venait d’échouer devant le Conseil d’Etat. Il engagea ensuite la préparation d’un texte constituant une nette aggravation de la législation précédente. Les protestations de la F.N.C.P.G. et la tentative de rédaction d’une proposition de loi par les Parlementaires anciens P.G., ne purent infléchir la détermination du Ministre. Le 2.8.1949 R. Bétolaud publiait un décret modifiant uniquement l’article 2.c.3° du décret Mitterrand abrogé par le Conseil d’Etat.

258Le nouveau texte stipulait l’octroi de la Carte aux militaires ne remplissant pas les conditions de durée prévues par le texte précédent (appartenance durant 90 jours à une unité combattante) s’ils ont été faits prisonniers :

1. « Alors qu’ils appartenaient aux unités définies au 1° (liste d’unités combattantes), ou à défaut ;

2. Alors qu’ils participaient à des opérations de combat dans les zones prévues au 2° (liste de zones de combat) ;

259A condition, soit d’avoir été détenus et gardés militairement pendant au moins six mois en territoire occupé par l’ennemi, soit d’avoir été immatriculés comme prisonniers de guerre dans un camp en territoire ennemi et d’y avoir séjourné au moins 90 jours ».

260Ces conditions n’étaient pas imposées aux prisonniers ayant été rapatriés pour blessures ou maladie et aux évadés. La Carte était décernée d’office aux captifs internés pour des actes qualifés de résistance dans un des camps de représailles146.

261La publication du décret Bétolaud provoqua une riposte particulièrement violente de la F.N.C.P.G. Le Ministre fut accusé de favoriser les desseins de l’U.F.A.C., de mauvaise foi et de duplicité envers les anciens prisonniers. Son texte reçut l’épithète d’« inique » et l’Organisation exprima son refus catégorique par une manifestation de masse.

262Le 3 septembre, 80 000 P.G. venus de toute la France crièrent dans Paris leur déception et leur colère. 213 Parlementaires représentant tous les partis assistèrent au meeting géant organisé par la Fédération au Vél. d’Hiv.’, tandis que la police déployait dans les rues un impressionnant service d’ordre147.

263Cette fois, la classe politique ne put ignorer le courroux d’un groupe social de cette importance venant de prouver avec éclat sa force, sa cohésion et son intransigeance. Le Président du Conseil (Queuille) reçut donc, quelques jours plus tard, une délégation de la F.N.C.P.G. et écouta avec bienveillance leur thèse sur l’octroi du titre aux prisonniers. Il demanda à ses visiteurs de lui présenter un mémorandum sur l’historique de la question de la Carte. L’initiative, entamant probablement une révision de la position gouvernementale, fut stoppée par la chute du gouvernement ; ce qui eut toutefois l’avantage de soustraire le Ministère des A.C.V.G. à R. Bétolaud148.

264Le nouveau Ministre (M. Jacquinot) reconsidéra la question dans son ensemble. Menacé d’un dépôt de proposition de loi par des membres de l’Amicale des Parlementaires Anciens P.G., il publia le 23.12.1949 un troisième décret d’attribution de la Carte, le doublant sur-le-champ d’un arrêté d’application. Le texte abrogeait les décrets du 29.1.1948 et du 2.8.1949 reprenant la rédaction de leurs clauses dès le début.

265Le décret Jacquinot attribuait la Carte aux militaires détenus comme prisonniers de guerre pendant six mois en territoire occupé par l’ennemi, soit immatriculés dans un camp en territoire ennemi, à condition d’avoir appartenu à une unité combattante définie comme telle, sans exiger une durée de séjour minimum. L’appartenance à l’unité devait avoir lieu soit au moment précis de la capture, soit lui être antérieure. La reconnaissance de la qualité de Combattant était étendue, quels que soient l’unité d’origine et le temps de détention, aux P.G. ayant obtenu la Médaille des évadés, à ceux qui furent dans les camps l’objet de mesures de représailles pour actes qualifiés de résistance et à ceux qui, par des actes de même nature, pourront se prévaloir des dispositions en faveur des combattants volontaires de la résistance. Les Anciens Prisonniers ne répondant pas aux conditions requises verraient leur demande faire l’objet d’un examen selon la procédure dite de l’article 4 du décret du 1.7.1930149.

266Les instances dirigeant la Fédération comprirent que le gouvernement ne pourrait aboutir à un compromis plus favorable à leurs intérêts. Piégé entre deux thèses en présence, à savoir : celle de la F.N.C.P.G. : qu’« un prisonnier de guerre est un combattant, sauf preuve du contraire » et celle de l’U.F.A.C. estimant qu’« un prisonnier n’est pas un combattant, sauf preuve du contraire », le pouvoir ne pouvait que louvoyer. Le refus des parties intéressées d’aboutir à un compromis le condamnait à rechercher des solutions partielles ne pouvant satisfaire entièrement personne, sans trop mécontenter les organisations antagonistes150.

267Examinant le décret du 23 décembre, le Comité Fédéral y porta donc un jugement « globalement positif ». Il constata que ce texte avait l’avantage d’abroger « l’inique décret » de Bétolaud, qu’il apportait une interprétation plus équitable pour les P.G. de la notion d’« appartenance » à une unité combattante et qu’il reconnaissait explicitement la résistance collective et individuelle dans les camps. Il n’apportait toutefois qu’une satisfaction incomplète à la « juste thèse que persist (ait) à soutenir la Fédération : (la) “captivité a été le prolongement du combat” »151.

268Les Prisonniers de Guerre et leurs dirigeants, las d’un combat sans fin, se résignèrent à accepter le nouveau texte qui attribuait la Carte à près de 9/10^e des leurs. Ils présumaient, à juste titre, obtenir dans l’avenir des améliorations souhaitables et des assouplissements des conditions d’attribution152.

269Le problème légal résolu, les services de l’Office du Combattant s’employèrent de leur mieux à hâter l’examen des demandes. A les croire, ils distribuaient déjà au printemps 1950 les cartes à la cadence de 50 à 60 000 par mois153.

270Dès lors, la F.N.C.P.G. œuvra sans relâche à infléchir les conditions d’attribution spécifiées par le décret du 23.12.1949 et à accélérer les procédures de l’Administration. Cette dernière éprouva, en effet, de grandes difficultés à se mesurer à une tâche de cette envergure, butant sur des problèmes engendrés par l’insuffisance de documentation et les lenteurs bureaucratiques.

271S’obstinant à accomplir l’œuvre qu’elle s’était assignée, la Fédération réussit à assouplir progressivement les modalités de la législation, ouvrant petit à petit l’accès à la Carte de la quasi-totalité de ses ressortissants. Il faudra attendre 1977, pour que le Ministre des Anciens Combattants, J.J. Beucler – qui avait subi cinq années de captivité en Indochine – décide d’assurer l’attribution de la Carte à tous les Anciens Prisonniers de Guerre, sans provoquer aucune objection.

272L’opposition acharnée de l’U.F.A.C. à l’octroi de la Carte aux anciens prisonniers de guerre perturba pendant des années les relations entre la F.N.C.P.G. et l’Union Française des Anciens Combattants. La Fédération avait refusé à l’origine d’adhérer à l’U.F.A.C. pour préserver son indépendance et sa capacité de représenter le groupe social des Anciens Prisonniers. Cependant, les ressentiments et l’amertume qu’éveilla chez les P.G. le comportement des Organisations d’A.C. de 14-18 retardèrent par la suite, pendant de longues années, l’aboutissement de l’unification des Mouvements d’Anciens Combattants Français154.

273La lutte pour l’attribution de la Carte constitue probablement le plus grand combat revendicatif jamais entrepris par la Fédération Nationale des Combattants Prisonniers de Guerre. La priorité accordée, en ce temps, par l’organisation à un but éthique sur toutes ses revendications matérielles illustre, on ne peut mieux, l’état d’esprit du groupe social qu’elle représentait. La captivité avait certes amoindri physiquement les P.G., les lésant matériellement. Cependant, la grande blessure essuyée par ces hommes était morale. Cette plaie ne se referma jamais tout à fait. Paradoxalement, la libération et le retour apportant progressivement des solutions aux problèmes médicaux, familiaux, professionnels et matériels rouvrirent cette cicatrice. Le combat revendicatif commença donc par une action purement défensive. Avant d’exiger de l’argent, les Prisonniers réclamèrent à la France leur Honneur. Morne démarche marquant tout l’abîme qui séparait ce groupe des autres catégories d’Anciens Combattants, si proches par leur nature et pourtant si distants par leur humeur et leur état d’esprit.

274En soi, le combat pour la Carte permit à l’organisation d’acquérir des enseignements et une expérience hors pair. La Direction Fédérale y apprit la patience et la persévérance indispensables à ce genre de luttes. Elle perfectionna l’art du dialogue avec les pouvoirs, expérimentant des moyens de pression et les techniques du « lobbying », dont l’emploi de cercles parlementaires favorables à ses thèses.

275Toutefois, le principal ennemi se dressant sur la voie de la Fédération vers l’obtention de la Carte n’était que les Associations de Combattants de 14-18 confédérées au sein de F U.F.A.C. Dans ce cadre, le rôle d’arbitre incomba au gouvernement que son représentant, le Ministre des A.C.V.G., exécuta souvent avec hésitations, partialité et maladresse.

276Les luttes ultérieures opposèrent la F.N.C.P.G. à un adversaire d’une toute autre envergure : le Ministère des Finances. Le futur prouva combien il savait être redoutable, acharné et intransigeant.

B. Le pécule

277La République, mobilisant en 1939 son armée, fit preuve envers les hommes qu’elle appelait sous les drapeaux d’un manque de prévoyance et d’une irresponsabilité choquants. Incapable de prévoir la durée d’un conflit qu’il espérait encore éviter, son gouvernement omit d’assurer aux soldats rappelés dans leurs unités une solde équitable. Le pouvoir resta indifférent à ce problème, même après la reddition des armées et le début de ce qui allait devenir une interminable captivité de leurs hommes.

278La législation de l’époque accorda aux P.G. français une rétribution symbolique d’un franc par jour, du 10.5.1940 au 30.6.1943 ; soit un total de 1 154 Frs. Par la suite, on augmenta ce montant à 4 Frs, du 1.7.1943 à la Libération ; c’est-à-dire un maximum de 2 604 Frs. Le gouvernement devait donc à un homme de troupe, au bout de 5 ans de captivité, une solde maximale de 2 758 Frs155.

279Comment qualifier cette somme journalière quand on sait qu’elle était nettement inférieure au prix du pain ? Comment y réagir lorsque l’on constate qu’à l’époque où un prisonnier avait droit à une solde journalière de 1 Fr, les soldats de l’Armée d’Armistice percevaient une somme 10 fois supérieure ?156

280La méthode qui dispensa le gouvernement d’assurer aux soldats qu’il avait mobilisés des revenus minimaux engendra immédiatement des injustices flagrantes. En effet, les officiers et les sous-officiers de réserve perçurent une rétribution en fonction de leur grade ; les fonctionnaires et les assimilés continuèrent à recevoir leurs traitements, certaines entreprises payèrent à leurs employés rappelés en service actif une partie de leurs salaires. En même temps, plus de 500 000 hommes de troupe et caporaux n’avaient droit qu’à 1 Franc par jour.

281Le montant dérisoire de ces soldes, sapé par l’inflation d’une époque de guerre, permit au gouvernement de ne verser aux hommes libérés en 1945, au terme d’une captivité de 59 mois, que des sommes minimes ne pouvant même satisfaire les besoins immédiats créés par leur retour à une vie indépendante et active. Le paiement d’un pécule aux soldats privés de tout revenu, pour chaque mois passé en captivité, fut donc une des premières revendications de la Fédération157.

282L’Organisation entreprit cette lutte sans complexe aucun. Ce qu’elle exigeait pour ses adhérents n’avait rien d’une aumône. Selon la conception de la F.N.P.G., « le pécule n’ (était) pas une indemnité, encore moins une compensation pour réajustement ; il (était) la solde de ceux pour qui on a injustement omis de prévoir ». Le pécule n’était donc rien d’autre qu’une rétribution honnête et due des « sans-grade ». A ce titre, son paiement était une « obligation de caractère contractuel à laquelle l’Etat ne (pouvait) se soustraire sans se mettre au niveau de tous ceux que la justice poursuit pour n’avoir pas respecté leur engagement »158.

283La question du pécule préoccupa les Associations de P.G. rapatriés bien avant la création officielle de la F.N.P.G. Celle-ci décida dès son congrès constitutif que les prisonniers ne pourraient se satisfaire d’une somme inférieure à 250 Frs par mois, payée à chaque P.G. libéré qui n’avait pas perçu de rétribution durant sa captivité. P. Bugeaud qui dirigeait les démarches revendicatives de l’Organisation estimait que le gouvernement devrait assumer dans ce cadre des dépenses de l’ordre de 6 milliards de Francs. Toutefois, les Dirigeants Fédéraux ne se faisaient pas beaucoup d’illusions sur les capacités de l’Etat de trouver à cette époque une telle somme. Le Ministre des P.D.R., Henri Frenay, confronté à cette exigence qu’il approuvait en principe, dut lever les bras devant l’opposition des autres membres du gouvernement. Le Comité Fédéral se contenta d’élever une protestation énergique contre l’insuffisance des moyens prévus par l’Etat pour les P.G. libérés, préférant se focaliser sur des revendications plus faciles à concrétiser159.

284Cependant, le pécule ne disparut jamais de l’ordre du jour. Le Premier Congrès Fédéral se pencha de nouveau sur ce sujet, adoptant la motion présentée par sa « Commission de Défense des Droits des Prisonniers », qui devint désormais la base des revendications concernant le pécule : « La Commission tenant compte de l’augmentation du coût de la vie demande une indemnité de 400 Frs par mois de captivité. Elle demande que soient attribués aux veuves des camarades décédés en captivité tous les avantages pécuniaires réservés aux rapatriés »160.

285Cette exigence, portée en bonne place sur la liste des revendications, réapparut lors des audiences ministérielles accordées aux représentants de la F.N.P.G. et fut réintroduite aux congrès par les commissions de revendications. Toutefois, la situation du pays et l’état de ses finances forcèrent la Fédération à hiérarchiser ses revendications, définissant un degré d’urgence en fonction des intérêts de ses adhérents. L’Organisation présenta donc tout d’abord des demandes nécessitant des solutions immédiates (habillement, reclassement professionnel, prêts, procédures de divorce, etc.). Elle engagea, par la suite, la lutte pour la reconnaissance de la qualité de Combattant aux Prisonniers de Guerre. L’ordre de ces priorités ne fut redéfini qu’après la publication du décret Mitterrand.

286En effet, le Congrès de Nancy, réuni en avril 1948 « demand (a) à la Fédération d’inscrire le pécule comme revendication n° 1 de 1948 et de mettre tout en œuvre, y compris une manifestation nationale de masses, pour la faire aboutir dans les moindres détails »161.

287La F.N.C.P.G. entama sa lutte, disposant d’un atout considérable. Le bien-fondé de cette revendication était reconnu par tous ses interlocuteurs. Les objections qui lui furent opposées ne concernaient jamais son principe mais portaient plutôt sur des difficultés circonstancielles. S’appuyant sur la reconnaissance de la légitimité de sa demande, le Bureau Fédéral multiplia ses démarches. Il rencontra à plusieurs reprises son Ministre de tutelle, obtint une audience au Ministère des Finances, fut reçu par les groupes parlementaires des principaux partis politiques et parut devant la Commission des Pensions de l’Assemblée Nationale162.

288Les résultats furent bien maigres. Les Dirigeants Fédéraux eurent droit à beaucoup de bonnes paroles et de promesses, sans que l’on entreprenne quoi que ce soit de concret. Toutefois, l’activité intense de l’Amicale des Parlementaires Anciens P.G., animée par Lionel de Tinguy du Pouët, ainsi que la volonté des députés et de leurs partis de s’attribuer le rôle de défenseurs des droits lésés des Prisonniers de Guerre influencèrent le caractère des discussions de l’Assemblée. Désormais, ses débats, consacrés à l’examen du budget du Ministère d’Anciens Combattants, se transformèrent en manifestations d’humeur envers le gouvernement et d’appui aux revendications des P.G. En août 1948, l’Assemblée vota même un amendement, demandant la prise en considération par le gouvernement du paiement du pécule163.

289Exaspérés par les promesses non tenues, par l’interminable jeu parlementaire et par la demande de patienter à l’infini avec des revendications dont on ne contestait guère la légitimité, les Dirigeants Fédéraux décidèrent de passer aux actes.

290L’abrogation du Décret Mitterrand permit à l’Organisation de mener les deux luttes à la fois. La manifestation du 3 septembre 1949, débouchant sur une victoire partielle dans la lutte pour l’octroi de la Carte, convainquit aussi les milieux parlementaires de l’opportunité de prévoir des mesures financières destinées à satisfaire, ne serait-ce que très partiellement, la demande du pécule. Les choses commencèrent donc à bouger164.

291La Fédération, faisant preuve de pragmatisme, accepta l’idée d’un échelonnement des échéances de paiement du pécule. Pressentant l’aboutissement proche de cette revendication, le Congrès d’Aix-les-Bains demanda au gouvernement « d’admettre d’abord au bénéfice de la mesure consentie leurs veuves et leurs orphelins aux lieu et place de nos camarades décédés ». Ce vœu fut rapidement exaucé. Le 8 août était publiée la « loi relative à l’amélioration de la situation des Anciens Combattants ». Son article n° 12 spécifiait l’allocation d’un pécule dont le taux et les modalités d’attribution seraient fixés ultérieurement aux ayants cause des prisonniers de guerre décédés en captivité165.

292Le gouvernement désirait, à l’origine, apaiser l’Organisation des Anciens Prisonniers de Guerre par un paiement exceptionnel et unique. Toutefois, grâce à l’appui efficace de l’Amicale des Parlementaires, il accepta finalement l’idée du règlement par tranches d’un pécule général. Incluse dans le budget, cette clause portait déjà le libellé : « Première tranche du pécule aux Prisonniers de Guerre : 500 millions »166. Les Finances eurent beau retarder les versements, réduire les crédits déjà accordés, soulever des difficultés bureaucratiques, la brèche était ouverte et l’attribution de crédits supplémentaires n’était plus qu’une question de temps et de pressions. La Direction Fédérale continua donc, inlassable, ses démarches, brandissant de temps en temps la menace d’une nouvelle manifestation de masse. Elle expérimenta même en automne 1950 un nouveau moyen de pression : la pétition générale des P.G.167.

293Vu l’énorme travail de recensement et de préparation qu’exigeait l’opération du paiement, le gouvernement reconnut dès 1951 les Associations Départementales de la F.N.C.P.G. comme intermédiaires qualifiés entre l’Administration et les intéressés. Des lenteurs administratives et le manque d’empressement du pouvoir retardèrent le début des paiements aux « ayants droit » jusqu’à la parution de l’arrêté du 22.5.1952. Toutefois, ce texte avait l’avantage d’élargir la catégorie bénéficiaire, accordant le pécule aux ayants cause des Anciens P.G. décédés aussi bien en captivité qu’après leur retour168.

294Nous nous dispensons de relater ici les interminables rebondissements de cette lutte qui vit des crédits accordés, supprimés puis rétablis, des décrets publiés pour être remplacés par d’autres, un grand conflit portant sur les conditions de l’échelonnement et l’emploi de pressions de toutes sortes169.

295Le texte principal réglant cette question est la loi du 19.6.1952 qui prévoit par un crédit provisionnel de 10 milliards, imputable sur plusieurs exercices, l’allocation d’un pécule de 400 Frs par mois de captivité aux P.G. de 1939-1945 et à leurs ayants cause. Il écarte du bénéfice de cette mesure les prisonniers qui percevaient, durant leur captivité, une solde militaire d’un montant supérieur à l’allocation militaire ou les 3/4 du traitement ou du salaire qu’ils recevaient avant leur mobilisation.

296Le conflit concernant les modalités du règlement dura encore 3 ans. Les échéances du paiement ne furent définies une fois pour toutes que par la loi du 3 avril 1955 qui préconisait le règlement du pécule « au fur et à mesure de la liquidation des dossiers, un tiers en espèces, le solde par remise d’un titre divisé en deux tranches égales remboursables respectivement en deux et quatre ans, à compter du 1^er janvier 1954. Ainsi, toutes concessions faites, le gouvernement ne s’engageait à régler définitivement sa dette envers les P.G. qu’en 1958, soit 13 ans après la libération de ses créanciers, (il avait envisagé à l’origine de différer ce paiement jusqu’en 1963)170.

297L’affaire du pécule connut un dernier rebondissement en 1957. Le Gouvernement Bourgès-Maunoury, faisant face à des difficultés financières, décida de reporter à 1959 le versement de la 3^e tranche du pécule. Le conflit qu’engendra cette façon d’agir, sans tenir compte des suggestions de la F.N.C.P.G., obligea, un an plus tard, le Gouvernement du Général de Gaulle de le payer sans plus attendre. Il est vrai qu’on était alors à la veille d’un référendum constitutionnel.

298Le XIV^e Congrès Fédéral, tenant ses assises en septembre 1959 à Metz, put enfin voter la motion suivante : « Le Congrès se félicite que l’action entreprise par la Fédération ait abouti au paiement effectif de la dernière tranche du pécule171.

299Bien que l’action ferme et inlassable de la F.N.C.P.G. eut forcé finalement le gouvernement à payer aux prisonniers leur dû, il est difficile de considérer le résultat de cette lutte revendicative comme une grande victoire du Mouvement P.G.

300Tout d’abord, la somme accordée était dérisoire en comparaison de celles que versèrent les alliés et les anciens ennemis de la France à leurs prisonniers de guerre. Ainsi, un P.G. belge fut rétribué à raison de 4 000 Frs par mois de captivité, un Allemand eut droit à 4 800 Frs, un citoyen du Royaume-Uni reçut 6 000 Frs et un Américain 15 000 Frs. Pourtant, au milieu des années 50, le gouvernement français n’avait même plus l’excuse d’une situation économique désastreuse172.

301Il est aussi vrai que la somme de 400 Frs, exigée par le Premier Congrès Fédéral, était déjà très modique. Le règlement du pécule dès leur retour, selon cette modalité, aurait permis aux prisonniers rapatriés, au bout de 5 ans de captivité, de percevoir une somme égale à 5 salaires mensuels moyens nets d’un célibataire parisien. Vu l’inflation galopante de cette époque, le montant du pécule dû au même prisonnier en 1952, à l’heure où commencèrent les paiements, était déjà inférieur à un salaire mensuel moyen payé dans la capitale. En 1958, alors que le gouvernement réglait la dernière tranche de sa dette, cette somme ne valait plus que 50 % du même salaire.

302Evidemment, le montant du pécule ne fut pas indexé. Ainsi, menant contre leur Organisation une guerre d’usure et des combats d’arrière-garde, le gouvernement réussit à saper, par le biais de l’inflation, une grande partie de ses redevances envers les Anciens Prisonniers.

303Aussi le gain de cause était symbolique bien plus que matériel. Le gouvernement paya un pécule. Le P.G. reçut une somme dérisoire payée en monnaie dépréciée.

C. Le paiement de la solde de captivité

304Analysée à partir d’une approche strictement légale, l’attitude des pouvoirs envers la revendication du pécule ne peut être qualifiée de malhonnête. Le gouvernement français perd même cet alibi quand on aborde la façon dont il traita le problème des soldes de captivité.

305Les officiers et les sous-officiers de l’active ainsi que des réserves avaient droit à une solde mensuelle en fonction de leur grade. Leur captivité n’influençait nullement cet état de fait. Certains de ces hommes déléguèrent de leurs camps une partie de leur allocation à leurs proches. Tous devinrent créanciers de l’Etat qui leur devait, au bout de plusieurs années de détention, des sommes considérables. Jusqu’au 28.2.1945 les gouvernements successifs de la France respectèrent intégralement tous leurs engagements envers les officiers et les sous-officiers P.G.

306Le retour massif de prisonniers libérés entraînait au printemps 1945 le changement de cette attitude. A partir du 1.3.1945, leurs créances furent réglementées de façon arbitraire par l’ordonnance du 11 mai et le décret du 29.6.1945.

307Le premier de ces textes est l’« Ordonnance réglant la situation des Prisonniers de Guerre, Déportés Politiques et Travailleurs non volontaires Rapatriés ». Son article 14 préconise le paiement par les centres de libération d’une avance dans la limite maximum établie par le texte pour liquidation de leurs droits à solde aux officiers et sous-officiers libérés dès le 1.3.1945. Le montant de cette avance variait de 1 500 Frs, payés aux Caporaux-Chefs, à 4 000 Frs avancés aux Officiers Supérieurs et Généraux pour chaque année de leur captivité. Le décret promettait aux cadres de l’armée un complément dont les limites et les modalités de paiement seraient fixées ultérieurement173.

308En effet, dès le 29 juin, paraissait le « décret relatif à l’application de l’Ordonnance du 11 mai 1945 ». L’article 4 du texte stipulait la liquidation par les Centres d’Administration Territoriaux des droits à la solde et aux indemnités accessoires acquis au cours de la captivité par les officiers, sous-officiers et gradés à solde mensuelle de l’active et des réserves. Le versement des sommes ainsi déterminées était effectué dans les limites des maxima indiqués par année de captivité ou fraction d’année de captivité :

309L’avance perçue aux termes de l’arrêté du 11.5.1945 était déduite des sommes versées aux intéressés, de même que les sommes touchées en contrepartie du dépôt des Reichsmarks dans les Centres de Rapatriement174.

310Le Gouvernement Provisoire publia ces textes dans le but de freiner l’inflation et de réduire les dépenses de l’Etat, faisant preuve d’indifférence envers l’injustice flagrante engendrée par sa démarche. La procédure même était plus que douteuse vu son caractère rétroactif, contraire aux principes de la législation française. Elle causait aux intéressés une perte très sensible des sommes auxquelles ils avaient droit. L’amputation forfaitaire des soldes mensuelles ne frappait d’ailleurs qu’une catégorie de militaires : les Prisonniers de Guerre. Elle spoliait délibérément des créanciers de l’Etat, reniant les termes d’un engagement contractuel. De plus, cette législation créait une situation illogique pénalisant des hommes détenus jusqu’au bout dans leurs camps, par rapport à leurs bienheureux collègues qui avaient retrouvé leur liberté avant la fin du conflit.

311L’Administration elle-même fit preuve de beaucoup de réticences à l’égard des textes, infligeant une « perte très sensible » par rapport à ce qui constituait incontestablement une redevance de l’Etat envers les intéressés. La Direction Générale de l’intendance attira plusieurs fois, en 1945, l’attention du Cabinet du Ministre des Armées sur les incidences de ces mesures. Sa note du 21.12.1945 suggérait même au Ministre de proposer au gouvernement d’« honorer dans son intégralité la dette de l’Etat à l’égard (de ces P.G.) » car :

312« Les considérations d’ordre budgétaire qui ont été mises en avant à l’époque sont relativement peu de chose en effet ; économie d’un milliard 800 millions environ, à côté du caractère regrettable d’une mesure qui constitue un véritable manquement de l’Etat à ses engagements »175.

313Le paiement intégral des soldes de captivité devint donc immédiatement un thème de revendications de la F.N.C.P.G. Son 1" Congrès adopta à cet égard la décision suivante : « Le Congrès s’élève avec indignation contre la décision prise par les Pouvoirs Publics en ce qui concerne le non-paiement intégral des soldes mensuelles dues aux sous-officiers et officiers... ; il considère cette mesure comme une escroquerie manifeste, les soldes étant dues aux prisonniers en vertu de textes légaux. Il en exige le paiement intégral immédiat »176.

314La Direction Nationale de la Fédération s’engagea là aussi sur une interminable voie de démarches, audiences, requêtes et sollicitations. Jamais pourtant, personne ne contesta le bien-fondé de cette demande, inattaquable du point de vue légal. Le Ministre des Anciens Combattants proclamait à chaque Congrès Fédéral son appui à cette revendication, exprimant le regret de ne pas la voir aboutir. R. Betolaud, que les P.G. ne considéraient pourtant pas comme personne favorable à leurs thèses, déclara à St-Malo : « Je suis entièrement d’accord et je reconnais que cette revendication ne peut même pas donner lieu à critique, qu’elle est incontestable, qu’elle est assurément la plus justifiée du monde... ».

315Les promesses ne manquèrent certes pas. A plusieurs reprises, des Présidents du Conseil et des Ministres de la Défense Nationale annoncèrent la préparation d’un texte de loi destiné à abroger les conséquences de l’Ordonnance du 11 mai 1945. Le résultat fut toujours le même.

316Le Ministre de la Défense Nationale et des Forces Armées résuma cette situation, répondant en automne 1956 au vœu émis par la F.N.C.P.G., visant le règlement du reliquat de leur solde aux officiers et sous-officiers anciens prisonniers de guerre. Il précisa que « dès 1946, ses précédesseurs ont demandé au Ministre des Finances de rétablir en faveur de cette catégorie de prisonniers de guerre les droits à la solde qu’ils détenaient antérieurement à l’ordonnance du 11.5.45. D’autre part, diverses propositions d’initiative parlementaire avaient envisagé l’abrogation de ladite ordonnance, mais le Ministre des Finances opposa à ces propositions les dispositions qui interdisent de proposer des mesures génératrices de dépenses sans dégager les recettes correspondantes »177.

317Les années suivantes n’apportèrent aucun changement à la situation créée par la législation du printemps 1945. Les démarches de la F.N.C.P.G. se soldèrent par un échec total. Les officiers et les sous-officiers anciens prisonniers de guerre furent à jamais lésés du reliquat de leurs soldes de captivité.

D. Remboursement des Marks

318Les prisonniers rentrant d’Allemagne rapportaient avec eux quelques liasses de Reichsmarks ou Lagermarks provenant surtout des paiements d’une partie de leurs soldes et traitements par la puissance détentrice, en application de la Convention de Genève178.

319Le titre III de l’Ordonnance du 11.5.1945, portant sur les « Monnaies Allemandes détenues par les rapatriés », stipulait le dépôt aux Centres de Rapatriement de la totalité des coupures allemandes y compris les monnaies de camp que détenaient les rentrants. Ils percevaient en échange la contrevaleur de 100 R.M. maximum payée au taux avantageux de 20 Frs et un bon du Trésor, attestant la valeur des monnaies déposées. L’Office des Biens et Intérêts Privés centralisait par la suite ces reçus179.

320Le Bureau Fédéral étudiant cette question alors que commençait le rapatriement massif accepta l’idée « qu’il serait impossible pour le gouvernement français de rembourser sur la base de 20 Frs la totalité des Reichsmarks et Lagermarks en possession des prisonniers de guerre ». Toutefois, il déclara inadmissible la possibilité de considérer comme n’ayant aucune valeur les économies réalisées sur les quelques pfennings journaliers que reçurent les P.G. dans les camps. Le Bureau considérait donc que le Gouvernement Provisoire de la République se devait d’intervenir lors de la discussion du Traité de Paix pour que ces salaires soient honorés par l’Allemagne et, à ce titre, remboursés entièrement. Entre-temps, il déclarait « qu’il serait inacceptable que les prisonniers ne puissent percevoir ce à quoi ils ont droit ». Toutefois, compte tenu du cours forcé du mark, fixé arbitrairement à 20 Frs par les autorités allemandes, le Bureau Fédéral décid (a) de demander :

1. le paiement des Reichsmarks et Lagermarks détenus par les rapatriés sur la base de 20 Frs jusqu’à concurrence de 100 Marks.

2. Le paiement sur la base de 15 Frs de 100 R.M. à 250 R.M.

3. Le paiement sur la base de 6 Frs de 250 R.M. à 400 R.M.

4. Une enquête sur chaque P.G. possesseur d’une somme supérieure et, dans le cas où l’honnêteté de la provenance de cette somme serait démontrée, le remboursement sur la base de 6 Frs, cours approximatif du Reichsmark en 1939180.

321Cette décision devint désormais la base des revendications de la F.N.P.G. en ce qui concerne le remboursement des monnaies rapportées d’Allemagne et fut réintroduite dans les mêmes termes par les Congrès Nationaux suivants. Cependant, les démarches de la direction butèrent une fois de plus contre l’opposition du Ministère des Finances.

322La Fédération crut hâter la solution du problème en proposant au Gouvernement Français d’utiliser les monnaies allemandes déposées au Trésor pour effectuer ses paiements en Allemagne (règlement de frais d’occupation, paiement de sommes dues aux P.G. allemands, règlement des exportations allemandes). Les Finances rejetèrent toutes ces suggestions et le problème des Marks ne fut pas résolu malgré les inlassables démarches de la Direction Fédérale181.

323Toutefois, l’interlocuteur de la F.N.P.G. ne considérait pas l’affaire classée. En août 1950, le Ministère des Finances fit savoir à l’Organisation qu’il lui était impossible de procéder à l’échange des monnaies allemandes – dépourvues à l’heure présente de toute valeur. Cependant, ces avoirs constituaient une créance sur l’Allemagne... et le Gouvernement Français ne perdait pas de vue cette question, faisant tout ce qu’il pouvait pour sauvegarder les droits des intéressés.

324Anticipant la solution de la question, le pouvoir posa les principes de son règlement par l’intermédiaire de l’article 11 de la loi du 24.5.1951 : « Les anciens prisonniers de guerre, déportés politiques ou du S.T.O. qui ont déposé lors de leur retour en France... les marks en leur possession provenant de la rétribution de leur travail en Allemagne pourront en obtenir le remboursement sur leur demande, dans la limite d’un montant maximum de 450 marks et sous déduction de l’acompte reçu au moment du dépôt »182.

325Les problèmes des créances extérieures de l’Allemagne furent réglés par les travaux d’une commission internationale siégeant en 1950-51 à Londres. L’accord obtenu dans ce cadre fut publié le 2.11.1952 par le « Journal Officiel de la Haute Commission Alliée en Allemagne » comme « loi n° 73 relative à la conversion des billets de banque emportés hors d’Allemagne par des personnes rapatriées ».

326A l’issue d’un long dialogue portant surtout sur la base de calcul du taux de remboursement, le Gouvernement Fédéral versa finalement 2 milliards 69 millions de Francs en contrepartie des 240 millions de R.M. déposés par les rapatriés dans les caisses du Trésor183. Entre-temps, le Ministère des Finances, embrouillé par le problème du taux de change de deux monnaies ayant connu depuis 1945 des changements radicaux de leur valeur, envisageait d’entamer l’opération de paiement au taux de 3,50 Frs. Il se heurta immédiatement à une violente opposition de la F.N.C.P.G. qui s’éleva par les décisions du Congrès de Biarritz (29-31.5.1952) contre cette proposition, exigeant un remboursement dégressif conformément aux termes de la revendication originale184.

327Le règlement des monnaies allemandes fut différé, comme de coutume, en raison des problèmes de procédures bureaucratiques. Mais cette fois, les difficultés étaient considérables, l’Administration devant présenter une liste de 2 500 000 bénéficiaires au gouvernement allemand afin d’obtenir les crédits exigés.

328Les modalités de remboursement des marks furent enfin établies par l’arrêté du 26.1.1954 stipulant l’échange sur la base de 6 Frs jusqu’à concurrence de 500 R.M. Les paiements engagés en respect de ce texte furent lents et compliqués, vu la procédure exigée. Ainsi, à la fin de 1956, le Ministère des Finances n’avait utilisé que 300 millions de francs, soit un peu plus de 10 % des crédits dont il disposait à cette fin.

329Les pressions des organisations des rapatriés, dont la F.N.C.P.G. était de loin la plus grande, persuadèrent le Gouvernement à augmenter, par l’arrêté du 6.3.1957, le taux de remboursement à 15 Frs, prolongeant les délais de dépôt de demandes d’échanges jusqu’au 31.12.1958. Toutefois, même cette parité d’échange, avantageant les rapatriés, laissa aux mains des Finances le reliquat d’un milliard 600 millions de francs.

330La F.N.C.P.G. exigea encore d’élever le taux de remboursement d’un mark à 20 Frs. Cependant, elle se soucia désormais surtout de l’emploi futur du reliquat des sommes versées au gouvernement français par la République Fédérale afin de régler sa dette envers les rapatriés. Estimant que les sommes disponibles appartenaient, assurément, aux hommes auxquels on les avait destinées, la Fédération exigea le versement des crédits inutilisés à un fonds permettant le financement des créations sociales durables, contrôlées par l’Office National des Anciens Combattants. Malgré l’appui du Ministère des A.C.V.G., le reliquat des sommes payées par l’Allemagne, en échange de marks rapportés par les Français rapatriés en 1945 d’Allemagne, fut, en 1960, purement et simplement affecté au Trésor Public185.

331Un combat revendicatif de plus se soldait par un résultat ambivalent. L’action de la F.N.C.P.G. avait certainement hâté les démarches gouvernementales, accélérant les procédures. Ses pressions permirent aux anciens prisonniers de voir leurs marks remboursés à un taux, somme toute, acceptable. Cependant, le Gouvernement fit, dans ce cas, aussi preuve d’un manque de considération envers les rapatriés, s’accaparant des sommes qui ne lui revenaient pas de droit.

332L’action revendicative de la F.N.C.P.G. eut un impact considérable sur le processus de réintégration des Prisonniers de Guerre à la société nationale. L’Organisation accomplit avec fidélité et obstination la mission qui était sa raison d’être : la représentation des intérêts du groupe social par lequel et pour lequel elle fut constituée. Préservant l’unité des P.G., elle organisa, orienta et coordonna leur action, faisant usage, avec beaucoup de précaution et de sagesse, du poids, de son nombre et des tactiques de lobbying que ses dirigeants perfectionnèrent à l’infini. Maintenant par l’intermédiaire des A.D. un contact permanent avec sa base, elle sut toujours repérer et hiérarchiser les difficultés auxquelles se heurtaient ses adhérents, engageant une action destinée à y apporter des solutions.

333La liste des revendications relatives à l’accueil et à la réintégration des rapatriés qui aboutirent grâce aux démarches et aux pressions déployées par la F.N.C.P.G. est impressionnante : habillement, accélération des démarches juridiques, rapatriement des corps des P.G. décédés en Allemagne, conditions de l’assistance médicale, conditions des P.G. hospitalisés, réforme administrative des pensions et leur revalorisation, priorités d’attribution des moyens de production aux agriculteurs anciens prisonniers, priorités accordées aux P.G. sinistrés, etc. De plus, l’Organisation remplit fidèlement son rôle de « chien de garde », veillant à l’application de la législation favorisant ses adhérents tout en surveillant les agissements des pouvoirs. Sa présence même ainsi que son contrôle permanent de l’action gouvernementale forcèrent la classe politique et l’administration à accorder leur attention aux P.G. ne perdant pas de vue leurs besoins, ni leurs intérêts.

334Le succès rapide du processus de réintégration de ses membres amena la F.N.C.P.G. à reconsidérer sa stratégie revendicative, redéfinissant l’ordre de ses priorités. Dès le Congrès de Clermont-Ferrand, l’Organisation s’employa donc à réparer les préjudices causés aux P.G. en captivité et lors de leur retour ; tentant de liquider des litiges opposant depuis cette époque le groupe à l’Etat.

335Les résultats obtenus à l’issue de cette deuxième phase de l’action revendicative fédérale sont ambivalents et on ne peut porter sur elle de jugement non équivoque. Certes, les succès des luttes fédérales sont loin d’être négligeables et les mêmes résultats n’auraient probablement pu être acquis sans l’action énergique entreprise par la F.N.C.P.G. Ses luttes octroyèrent aux P.G. la Carte de Combattant, le paiement d’un pécule, le remboursement des marks.

336Toutefois, aucune réussite ne fut complète et les échecs n’y manquèrent pas. Malgré l’obtention de la Carte, la F.N.C.P.G. ne réussit pas à faire valoir sa thèse présentant la captivité comme le prolongement du combat. Le but primordial de sa campagne ne fut pas, alors, atteint et les P.G. eurent droit à ce titre du fait de leur participation à la Campagne de France et non, comme ils le concevaient, grâce à leur séjour derrière les barbelés allemands. Le Gouvernement consentit à payer aux anciens prisonniers leur pécule, mais la valeur réelle des sommes obtenues était minime. Les officiers et les sous-officiers furent à jamais lésés du reliquat de leur solde de captivité et les Finances s’approprièrent le solde des crédits destinés à rembourser les marks rapportés en France par les rapatriés.

337Ce bilan de luttes, entreprises dans le but de satisfaire des exigences dont la légitimité ne faisait souvent aucun doute, nous force à nous interroger sur la pertinence des critiques portées par l’opposition interne ainsi que certains cadres départementaux sur l’action revendicative de la Direction Fédérale. Il est évident que les Responsables Nationaux firent preuve de beaucoup plus de modération et de compréhension envers leurs interlocuteurs qu’il n’est d’usage.

338Il est vrai que la majorité des Dirigeants de l’Association était composée d’hommes de dialogue et de compromis que les éléments radicaux avaient tendance à qualifier de « centristes » et de « temporisateurs ». Cette attitude, correspondant à l’humeur de nombreux dirigeants locaux, influença incontestablement le caractère des combats revendicatifs de l’Organisation. Malgré l’importance des problèmes, la F.N.C.P.G. n’engagea que très rarement des luttes dures ; elle bannit la violence et ses dirigeants furent pointilleux en ce qui concerne le respect de la légalité. Ils firent constamment preuve d’une grande correction et même la violence de propos ou de style est exceptionnelle. Il est évident qu’une telle approche contribuait à l’image de marque de l’Organisation, lui octroyant une auréole de responsabilité, de modération et de respectabilité. Cependant, on peut se demander si elle ne nuisait pas à l’efficacité des campagnes.

339Il faut s’interroger aussi sur l’impact qu’eut l’identification de certains Dirigeants Nationaux avec des partis politiques de la majorité sur la stratégie des luttes revendicatives de la Fédération. Toutefois, là non plus, les conclusions ne peuvent être unilatérales. En effet, la logique de l’action de la F.N.C.P.G. exigeait l’entretien d’un dialogue permanent avec les pouvoirs. De plus, sa direction devait prendre garde à ne pas s’aliéner l’opinion publique qui ne lui était pas très favorable. Une stratégie d’attaques frontales et d’opposition de l’Organisation aux gouvernements, préconisée par la minorité, aurait-elle nécessairement apporté les résultats escomptés ? Rien n’est moins sûr !

340La minorité critiqua violemment la tactique de l’action adoptée par la Direction Fédérale et ce sujet provoqua plusieurs controverses internes. Toutefois, on ne peut oublier que malgré son désir sincère de voir aboutir les revendications présentées par la Fédération, l’opposition fut aussi motivée par son aptitude pour les luttes dures ainsi que par des arrière-pensées politiques.

341Le prolongement des campagnes revendicatives permit aux Dirigeants Nationaux de perfectionner leurs méthodes du « lobbying », diversifiant les moyens : présentation de documents, mémoires et propositions de lois, demandes d’appui présentées aux partis politiques, promesses obtenues des élus locaux, manifestations locales et nationales, propagande, pétitions, etc. L’arme la plus intéressante de cet arsenal fut l’« Amicale des Parlementaires Anciens P.G. ». Réunissant quelques dizaines des députés appartenant à tous les partis, elle entreprit et favorisa, de l’intérieur de l’Assemblée Nationale, des démarches législatives destinées à satisfaire les exigences du groupe.

342Les résultats de cette action eurent un impact immédiat sur l’évolution des effectifs de la Fédération. Les anciens prisonniers avaient placé beaucoup d’espoir dans les démarches entreprises par leur organisation. Les luttes se prolongèrent toutefois de longues années avant l’obtention du gain de cause. Ainsi, la prolongation de ce qui paraissait n’être que pourparlers stériles engendra bien des déceptions. La F.N.C.P.G. enregistra donc en 1948 et 1949 de nombreux départs de membres frustrés et désappointés par les échecs provisoires de l’Association. Par contre, l’attribution de la Carte, la publication des décrets concernant le paiement du pécule et l’annonce du remboursement des marks ainsi que le rôle d’intermédiaire officiel entre les pouvoirs et les intéressés, qui incomba dans ce cadre à la F.N.C.P.G., provoquèrent en 1951-1952 des retours massifs d’adhérents.

343L’attitude du Gouvernement envers les revendications P.G. est significative. Bien sûr, la classe politique ne put, en aucun cas, ignorer un mouvement de cette importance. On prit donc bien garde de ne jamais l’acculer à une opposition ferme, accordant progressivement ce qu’on ne pouvait plus repousser. Cependant, le peu de cas qu’on fit de certaines demandes parfaitement légitimes présentées par l’Organisation atteste certainement un manque de respect sinon du dédain. En effet, le remboursement du pécule se fit dans des conditions frisant la malhonnêteté. La procédure employée pour priver les officiers et les sous-officiers P.G. d’une partie de leurs soldes n’était rien d’autre qu’une escroquerie légale. La confiscation du reliquat des crédits destinés au remboursement des marks pilla des avoirs de provenance étrangère destinés à dédommager les intéressés.

344Le Gouvernement se serait-il permis d’agir avec tant de désinvolture envers un autre groupe social ? Son manque de considération, si manifeste, ne signifie-t-il pas qu’il savait l’opinion publique indifférente à ceux qui furent des anciens Prisonniers de Guerre et fatiguée par leurs revendications considérées déjà comme périmées ?

345L’action revendicative de la F.N.P.G. est le domaine d’activités présentant la plus grande ressemblance avec un aspect de l’action des organisations d’anciens combattants de 1914-18.

346La fonction de groupe de pression absorba dans les deux cas la plus grande part de l’énergie des associations. Mais la ressemblance ne se limite point à la similarité des rôles. La F.N.P.G. adopta, s’avère-t-il, la même stratégie et les mêmes tactiques de lutte que ses illustres prédécesseurs186.

347Dans les deux cas, les choix des priorités et de la stratégie des luttes étaient arrêtés au niveau national. Dans les deux cas, on fit usage des mêmes méthodes et des mêmes moyens : assiégeant les administrations et les pouvoirs, faisant pression sur le législatif, harcelant des parlementaires dans leur circonscription, organisant meetings et manifestations locales, présentant sans répit les listes de revendications aux préfets. Même l’Amicale des Parlementaires ressemble, à s’y méprendre, au Groupe de Députés Anciens Combattants.

348Pourtant, nos sources ne mentionnent aucune tentative des dirigeants de la F.N.C.P.G. de s’inspirer, dans leur action, de l’expérience de leurs prédécesseurs ou de tirer des conclusions de leur succès ou de leurs échecs. Il semble que les cadres de la Fédération s’engagèrent dans l’ornière d’une tradition de luttes revendicatives déjà établie, réinventant plutôt que copiant.

349La F.N.C.P.G. possédait, dans ce domaine, à la fois un atout et un handicap considérable. L’unité de l’organisation, des structures solides, un appareil administratif rodé et le respect d’une discipline fédérale rendaient possible une action soigneusement synchronisée, cohérente et efficace. Dans le domaine de l’organisation matérielle, elle surpassait donc les organisations de la génération précédente. Toutefois, elle ne disposait point de la même position morale forçant le respect et faisant taire les critiques – chose qui explique une certaine vulnérabilité.

350L’action pour l’honneur exceptée, nous retrouvons donc, dans notre cas, le triptyque classique des fonctions d’organisation d’anciens combattants : action morale, action revendicative, action civique – cette dernière ayant, dans les deux cas, une importance moindre que les deux autres – rendant la Fédération indispensable à la société dont elle était issue, tout en devenant la base de sa force187.