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Le plan Monnet

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Philippe Mioche

Troisieme partie. Les commissions de modernisation du plan Monnet

Chapitre IX. Les commissions de modernisation : présentation générale

Texte intégral

1Le cadre général du travail des commissions de modernisation est peu contraignant. Les participants ont pu donner libre cours à leurs conceptions sur l’avenir des activités concernées.

2Un document en date du 23 juillet 1946 est présenté aux rapporteurs en vue de leur fournir le plan de leur rapport. L’introduction doit définir les faiblesses et les avantages de l’industrie par rapport aux industries étrangères concurrentes, l’objectif général est de mettre l’activité sur une base de concurrence internationale. La conclusion doit présenter la physionomie de l’industrie au terme de l’effort projeté. Le rapport doit comporter six points : les objectifs de production ; les équipements à réaliser ; les mesures particulières (formation professionnelle, modernisation des méthodes, recherches, mesures fiscales) ; l’augmentation de la productivité ; les besoins en matières premières, énergie et main-d’œuvre ; enfin, l’évolution des prix de revient. Les commissions doivent présenter en outre un chapitre sur le bilan des importations et des exportations et un troisième sur le financement. « Étant donné la valeur des investissements à réaliser » :

  1. Autofinancement à l’exclusion de l’entretien.
  2. Dommages de guerre.
  3. Appel à l’épargne1.

3L’étude de la productivité est placée en troisième position. Elle n’est pas ignorée dans ce schéma proposé par le Commissariat ; autre chose est la place effective qu’elle occupe dans le débat des commissions.

  • 2 Entretien avec P. Weill.
  • 3 Profession fonctionnaire, p. 106-107.

4Les commissions n’ont pas à traiter du financement – éventuellement nécessaire – en complément des trois modalités citées ci-dessus. Les entretiens réalisés sont sur ce point unanimes, les commissions n’ont pas véritablement abordé les questions de financement. P. Weill, rapporteur de la commission des transports intérieurs, insiste sur la créativité de la réflexion où ne pesait aucune contrainte budgétaire2. A l’échelle du plan tout entier, F. Bloch Lainé écrit qu’il « a foncé les yeux fermés ». « Si on avait attendu d’avoir en poche des ressources saines et certaines, on ne serait jamais sorti des habitudes antérieures de la vie française »3.

5Les commissions qui ne disposaient pas d’un plan préalablement établi ont travaillé à partir de la documentation fournie par le Ministère de la production industrielle et les organisations professionnelles.

  • 4 Lettre de J. Monnet au Président du Conseil Économique, le 21 février 1950.

6La période pendant laquelle les commissions se sont réunies n’est pas la même pour toutes. Un premier groupe s’est réuni seulement au printemps et à l’été 1946. Un second a cessé de se réunir dès la mise en exécution du Plan, en janvier 1947. J. Monnet cite le cas de l’électricité dont la dernière réunion s’est tenue le 20 mars 19484. Cependant une commission comme celle des carburants s’est réunie régulièrement jusqu’en 1951.

7Le nombre de participants aux commissions varie de 9 (Houillères) à 31 (Territoires d’Outre-Mer). La liste établie par le Commissariat est publiée par décret. La commission est animée par un président, un ou deux vice-présidents et un ou deux rapporteurs. Elle peut décider la création de sous-commissions dont elle choisit elle-même la composition. Cette méthode de travail a permis d’associer de façon plus ou moins éphémère de nombreux spécialistes provenant des ministères ou des entreprises. J. Monnet utilise le chiffre approximatif de 1000 participants. Le nombre de membres officiellement désignés dans les commissions est d’environ 300 dont la répartition socio-professionnelle s’établit comme suit (voir les trois tableaux des pages suivantes).

  • 5 Remarques sur ce tableau : CGT : y compris les cadres confédérés. CFTC : de même ; Administration : (...)

8 1) Répartition des participants aux commissions de modernisation5

9 2) Répartition des participants aux commissions de modernisation (pourcentage)

10 A. Ensemble des 18 commissions de modernisation

CGT 17 %
CFTC 3 % ensemble 20 %
Patronat 31 %
Administration 29 %
Experts et divers 20 %
100 %

11 B. Les commissions industrielles + BTP (Sans agriculture, main-d’œuvre,

12consommation et territoires d’Outre-Mer) soit 12 commissions.

CGT
CFTC
20 %
3 %
ensemble 23 %
Patronat 37 %
Administration 26 %
Experts et divers 14 %
100 %

13 C. Les sept commissions de base (y compris carburants).

CGT
CFTC
20 %
4 %
ensemble 24 %
Patronat 33 %
Administration 31 %
Experts et diver s 12 %
100 %

14 3) Répartition des responsabilités (Présidents, Vice-Présidents, Rapporteurs) (18 commissions)

15A) Présidents = 18

Patrons = 6 + 3 chefs d’exploitations agricoles
Administration = 1 (Min. Agriculture)
CFTC = 0
CGT = 4
Experts et divers = 4 (1 expert, 2 conseillers d’État, 1 député).

16B) Vice-présidents = 24

Patrons = 0
CGT = 1
CFTC = 0
Administration = 23 dont :
Production Industrielle 9
Agriculture 3
Travaux Publics et Transports 3
Travail 2
Éducation nationale 1
Santé 1
Information 1
Outre-Mer 2
Reconstruction et Urbanisme 1

17C) Rapporteurs = 23

Patrons = 5
CGT = 3
CFTC = 0
Divers = 2 experts
Administration = 13 dont :
Production Industrielle 3
Reconstruction Urbanisme 3
Agriculture 2
Finances 1
Colonies 1
Travaux Publics et Transports 1
Commissariat général au Plan 1
Population 1

18 La présence quantitative des composantes sociales et des organisations est commentée dans notre seconde partie. L’aspect qualitatif de l’influence de chacun est beaucoup plus difficile à cerner. Nous tenterons de le faire à propos de la commission des carburants. Les biographies des 26 hommes qui détiennent une responsabilité dans les 7 commissions de base (y compris carburants) ne permettent pas d’esquisser un portrait robot mais de préciser quelques traits communs.

19Les postes de responsabilité dans les 6 +1 commissions de base (carburants)

20A) 7 présidents = 1 CGT

3 patrons
1 ministère de l’Agriculture
1 expert
1 conseiller d’État.

21B) 8 vice-présidents = 2 ministère Travaux Publics et Transports

6 Production industrielle.

22C) 11 rapporteurs et rapporteurs adjoints = 2 CGT

3 patrons
4 Production industrielle
1 Reconstruction et urbanisme
1 SNCF.

23L’échantillon comporte 26 hommes au total : 5 patrons, 3 cégétistes, 1 expert, 17 représentants de l’Administration (dont 9 de la Production Industrielle, 2 de l’Agriculture, 1 de la Reconstruction et urbanisme).

  • 6 C’est-à-dire, dont le nom est présent dans la liste des Comités d’organisation, office central de l (...)

24Leur moyenne d’âge s’établit aux alentours de 48 ans. Ces hommes sont nés avec le siècle, sauf exception, ils ont achevé leur formation avant que la crise de 1929 ne soit manifeste. Ils étaient trop jeunes pour devoir participer aux combats de la première guerre, trop âgés pour devoir nécessairement combattre au cours de la seconde. Ils avaient commencé leur carrière avant 1939 et si trois d’entre eux sont médaillés de la Résistance 10 ont participé aux organismes économiques de Vichy6. Il ne s’agit pas là de la liste des collaborateurs et des résistants, mais d’un repère pour mesurer l’influence des expériences économiques de la période de Vichy.

25Sur ces 26 hommes, 16 sortent de l’École Polytechnique, 1 de l’École Centrale (De Kergolay), 1 de l’École d’Agronomie. 4 « x » sur 16 sont diplômés d’avant 1914, 9 entre 1919 et 1929, 3 après 1929. Les diplômés des Ponts et Chaussées sont nettement majoritaires.

26Deux conclusions peuvent être dégagées : les hommes des commissions sont plus âgés que ceux du Commissariat ; le rôle des polytechniciens et des « anciens » de Vichy est bien plus important dans les commissions que dans l’entourage de J. Monnet. La présence importante des polytechniciens est le reflet de la très forte représentation du Ministère de la production industrielle.

Les commissions non industrielles

Les deux commissions horizontales

  • 7 Julien Raynaud dit Henri, contrôleur des PTT, secrétaire de la CGT, président de la fédération des (...)
  • 8 Lettre de P. Laroque, le 11 février 1982.

27La commission de la consommation et modernisation sociale et la commission de la main-d’œuvre ont une origine commune. Elles sont demandées par Benoît Frachon pour étudier les problèmes de l’immigration et de la formation professionnelle. Elles sont créées les 24 et 30 avril 1946. J. Monnet n’aborde pas a priori les questions sociales. Pour lui c’est la modernisation industrielle qui débouchera sur une amélioration des conditions d’existence, la CGT ne dissocie pas les deux aspects de la question. Ces commissions sont créées pour elle, elles sont présidées par des cégétistes. H. Raynaud et A. Tollet7. La commission de la consommation et de la modernisation sociale s’est réunie sept fois, elle n’a pas publié de rapport. Les titres de ses sous-commissions indiquent l’objet de ses travaux : démographie, natalité et enfance, jeunesse, habitat, alimentation, équipement médico-social, pouvoir d’achat. C’est la seule commission du plan qui compte des femmes parmi ses membres. A leurs côtés siègent des personnalités comme A. Sauvy et le Professeur R. Debré. Cette commission présente la particularité unique de ne compter aucun représentant du patronat. Il est peu probable que cette absence ait été voulue par le Commissariat. Il s’agirait plutôt d’une absence de motivation, ou d’un refus de cette commission trop cégétiste aux yeux du patronat. Les travaux ne semblent pas avoir été au-delà d’un échange de point de vue. P. Laroque, Directeur général de la Sécurité Sociale au Ministère du Travail était vice-président de cette commission. Interrogé sur ces travaux, ce témoin dont la réputation d’une solide mémoire n’est pas à faire a répondu : « S’il est exact que j’ai été vice-président de cette commission, je n’ai conservé aucun souvenir des travaux de cette Commission qui n’ont pas dû être poussés très loin »8. M. Cepède, membre de la sous-commission alimentaire, ne conserve aucun souvenir à ce sujet.

  • 9 Les procès-verbaux de la commission n’ont pas été retrouvés à ce jour. Nous utilisons le rapport de (...)

28Les travaux de la commission de la main-d’œuvre ont acquis une certaine célébrité fondée sur la décision – adoptée antérieurement – de porter à 48 heures la durée de la semaine de travail. Outre cette mesure l’accord est unanime pour rechercher par tous les moyens possibles une augmentation de la main-d’œuvre disponible9.

  • 10 Biographie détaillée dans Histoire de la France Contemporaine, Tome VI, Éditions Sociales, 1980, p. (...)
  • 11 De Bellescize (Diane) op. cit. et entretien avec Jacques Maillet.

29Le CNPF est peu représenté dans la commission (3 membres sur 23 participants). A. Tollet dit de ces trois patrons « Qu’ils étaient comme des petits garçons ». La CGT et le PCF sont dominants. A. Tollet est président10. Elle compte cinq membres en tout dont Arrachard secrétaire de la fédération du bâtiment et Costes des métaux. Le Ministère du travail dirigé par A. Croizat a proposé plusieurs personnalités, dont Le Rollant, Directeur de l’Enseignement technique, vice-président de la commission et membre du Parti communiste. On compte au total au moins huit membres du PCF. Jacques Maillet est aussi vice-président. Il a accompli plusieurs missions pour la Résistance et il a préparé pour Londres un plan d’approvisionnement d’urgence en 194311. C’est A. Parodi qui l’a nommé au poste de Directeur du Travail où il reste de 1945 à 1948. Il n’est pas communiste, tout comme R. Magron, seul membre du Commissariat à occuper les fonctions de rapporteur d’une commission.

  • 12 Il y est revenu comme Président depuis 1961. C’est à ce titre qu’il siégeait en 1979 dans les commi (...)

30Noël Pouderoux a joué un rôle important dans les débats de la commission de la main-d’œuvre. Il est président de la sous-commission « productivité ». Directeur de la Commission générale d’Organisation Scientifique (CEGOS). Cet ingénieur des mines, né en 1912, a commencé sa carrière en 1934 au BICRA, un organisme d’étude et de conseil de l’organisation scientifique du travail ou il a cotoyé Jean Coutrot. Noël Pouderoux est demeuré Directeur du Cegos pendant la guerre, il le quitte en 1947 pour l’AOIP12. Son rôle dans le Plan Monnet est pédagogique, il initie les militants ouvriers aux concepts et au vocabulaire de l’organisation scientifique du travail. Son influence transparaît dans la présentation du rapport de la commission publié en octobre 1946. Le concept de productivité est l’objet d’un long exposé et il est analysé d’une façon très didactique à travers ses éléments « d’économie générale, technique et humaine ». Les responsables syndicaux qui ont participé à ces travaux ont acquis des instruments d’investigation économique et sociale nouveaux pour certains d’entre eux.

  • 13 Rapport sur les résultats obtenus dans la réalisation du Plan de modernisation et d’équipement au c (...)

31La commission a travaillé rapidement. Elle n’a pas attendu l’évaluation des besoins en main-d’œuvre émanant des autres commissions. Elle a formulé ses propositions à l’issue de six réunions, sur la base des hypothèses adoptées en février 1946. Elle a traité les problèmes de la main-d’œuvre aussi bien en quantité qu’en qualité. Ses propositions en matière de formation professionnelle méritent d’être soulignées. En juillet 1946, on comptait 3.000 stagiaires en formation professionnelle accélérée, ils étaient 12.600 en 194713. La formation, entamée en 1946 pour les travailleurs du bâtiment, est à l’origine de celle actuellement en place.

32En dépit de ces résultats et de « l’acquis » de la semaine de 48 heures, le CNPF s’oppose à certaines conclusions du rapport.

  • 14 Lettre de la commission économique générale du CNPF à J. Monnet le 5 janvier 1947, AMF 12/8/2.

« Notre commission sociale s’est déclarée hostile à certains passages du rapport de la commission de la main-d’œuvre et conteste absolument qu’ils aient fait l’objet d’un accord de la délégation patronale lors de la rédaction du rapport. Ces points litigieux sont jugés importants pour notre position en matière de législation sociale (...) mais ils sont fort peu de chose pour l’économie générale du Plan »14.

33Ces points sont au nombre de quatre :

  1. Le rapport proposait : si un vieux travailleur souhaite continuer ou reprendre du travail, la direction ne peut refuser qu’avec l’avis du comité d’établissement. Le CNPF considère qu’il s’agit là d’un contrôle des embauchages individuels par le Comité d’entreprise.
  2. Le CNPF refuse la critique que fait le rapport des apprentissages « maison ».
  3. Le CNPF veut jouer un rôle plus important dans le Conseil supérieur de la formation professionnelle.
  4. Le CNPF refuse la généralisation des primes de rendement. Cette lettre, signée de P. Ricard s’achève sur une ultime critique du rapport qui est en fait le fond du problème :
  • 15 Idem, souligné dans le texte.

« De même, s’il est évident que toute organisation du travail doit être effectuée en faisant appel au maximum au concours du personnel, nous ne sommes pas d’accord pour admettre qu’elle soit faite obligatoirement en accord avec lui : il serait temps de reconnaître que les responsabilités de gestion propres au chef d’entreprise se situent sur un tout autre plan que les simples responsabilités d’exécution du personnel de l’entreprise »15.

34Le CNPF refuse toutes formes, même mineures, de partage du pouvoir dans l’entreprise. L’intransigeance de l’organisation patronale contraste avec les risques que prennent les représentants syndicaux vis-à-vis de leurs mandants sur les problèmes de la main-d’œuvre.

35Cette commission « d’initiation » au vocabulaire et aux méthodes de l’organisation du travail a-t-elle exercé une influence sur l’analyse et le discours syndical ? La réponse à long terme est vraisemblablement positive. Le bilan immédiat de ses travaux est important et il ne se résume pas à la prolongation de la durée du travail en dépit du fait que les représentants patronaux se soient désolidarisés des conclusions du rapport.

36Les commissions de la consommation sociale et de la main-d’œuvre sont les seules commissions horizontales du Plan Monnet (une question ou une activité nationale par opposition aux commissions verticales = un secteur d’activité). Le nombre de ces commissions horizontales augmente dès le deuxième plan. Elles supposent une conception de longue haleine de la planification, moins pragmatique que celle mise en œuvre par J. Monnet.

Les commissions agricoles

37En comptant la commission du machinisme agricole dans les commissions industrielles, trois commissions créées simultanément le 4 mars, sont consacrées à l’agriculture : production végétale, production animale, équipement rural. Elles se distinguent des autres commissions par de nombreux aspects.

38Le CNPF n’y est pas représenté, la CGT fort peu. La CGA et le ministère de l’Agriculture ont soigneusement composé ces trois commissions : le président est un professionnel, le vice-président un fonctionnaire responsable du ministère, le rapporteur un fonctionnaire technique mis à la disposition du Plan par l’Agriculture.

  • 16 Cépède M. Agriculture et Alimentation en France durant la IIème guerre mondiale, pp. 473-481.
  • 17 Ibid., p. 476.
  • 18 R.O. Paxton, La France de Vichy, p. 202.
  • 19 Henri Smotkine, « La question du dirigisme agricole, réflexion sur le Plan Monnet », Action, le 17  (...)

39Les orientations du Plan Monnet s’inspirent largement des travaux antérieurs dans le domaine agricole16. Il prend pour base les études de 1945 du Ministère de l’Agriculture et du Conseil national de l’économie. Ces études prévoyaient un plan d’investissement sur 30 ans. Le Plan Monnet ne retient que l’investissement nécessaire à la mécanisation de l’agriculture en reléguant au-delà de 1950 les dépenses à caractère social. « La période du Plan Monnet est, en effet, une période de pénitence, une période où la consommation est délibérément sacrifiée à l’investissement »17. Dans le domaine agricole, le Plan Monnet n’a guère innové. Le Commissariat s’est crédité du résultat du remembrement réalisé en 1947, obtenu grâce à la loi du 9 mars 194118. Le plan proclame avoir fait deux choix : la motorisation et l’orientation des cultures, mais il ne s’est pas donné les moyens administratifs et financiers de réaliser ces choix19.

40L’agriculture n’est pas au premier plan des préoccupations de J. Monnet et du Commissariat. Certaines conclusions des commissions agricoles sont en contradiction flagrante avec celles d’autres commissions. Il en est ainsi du problème de l’alcool-carburant, la commission des carburants dénonce la perspective d’utiliser les produits de distillation comme carburants. J. Monnet ne résoud pas cette contradiction, laissant à d’autres le soin de le faire.

La Commission de modernisation des territoires d’outre-mer

41La commission de modernisation des territoires d’outre-mer a par nature un statut particulier, ni horizontale, ni verticale. Compte tenu des difficultés de la métropole et de l’état des communications, la planification des territoires est assez théorique. Au niveau des principes, le Plan Monnet affirme la nécessité d’inclure l’Union Française dans ses prévisions.

  • 20 Rapport Général du premier plan, novembre 1946, p. 174 et s.

« Un plan pour la France métropolitaine qui ne serait pas conçu dans le cadre de l’Union Française et qui ne serait pas assorti de plans pour l’Afrique du Nord et pour les territoires d’outre-mer serait vicié à la base et incomplet »20.

42Mais dans les faits, le Plan pour 1947 ne mentionne pas les TOM. Ceux-ci sont évoqués dans des tableaux généraux pour la période 1947-1950. Lesquels tableaux sont les reflets à peu près exacts de ceux réalisés en 1941 par la DGEN. La commission créée dès le 29 avril 1946, organise sa première réunion le 7 mai, mais ne publie son premier rapport qu’en janvier 1948.

  • 21 Procès-verbaux des réunions des 30 janvier, 27 mars et 9 avril 1947, AN F60 1003. Le témoignage d’A (...)

43La composition de cette commission est particulière, elle comporte de nombreux représentants élus des territoires. La participation de la CGT est prévue. Mais A. Tollet, membre de la commission des territoires d’outre-mer, a refusé d’y participer. Le rapport de la commission, daté de janvier 1948, précise (p. VIII) que la sous-commission « Problèmes sociaux » a été présidée par A. Tollet, mais que cette présidence est passée à M. Planes, secrétaire CGT de la fédération postale à partir de novembre 1946. De fait les procès-verbaux de quelques sous-commissions et commissions attestent de l’absence des représentants syndicaux21.

44La commission a tenu trente-trois réunions entre mai 1946 et juin 1947. Les procès-verbaux de trois d’entre elles fournissent l’image d’un débat technique, il s’agit d’étudier quels sont les types de machines agricoles nécessaires à certaines plantes tropicales. L’autorité de R. Pléven, président de la commission, domine les débats. C’est à lui que revient l’explication des difficultés de la commission à participer véritablement aux travaux du Plan.

  • 22 Procès-verbal de la commission de modernisation des Territoires d’Outre-Mer, le 27 mars 1947, p. 8, (...)

« En matière de plan colonial, il s’agit de concilier deux idées qui sont fondamentales mais qui ont entre elles-mêmes une certaine contradiction. D’une part, la commission se trouve en présence de la définition donnée de son activité par les textes et qui doit permettre de faire un plan qui corresponde exactement aux besoins, aux intérêts de chaque territoire. D’autre part, le plan colonial est lié à l’ensemble du plan français et ne pourra être satisfait que dans la mesure où la France acceptera de retarder le sien pour donner les ressources nécessaires aux TOM »22.

45L’existence d’une commission de modernisation des territoires d’outre-mer ressort d’une volonté politique : signifier que l’on ne veut pas laisser les colonies à l’écart de la modernisation, devant les dangers que représentent pour les intérêts métropolitains la perspective d’un libre échange mondial. Mais au-delà de cette intention, l’intégration des territoires d’outre-mer dans le Plan de modernisation et d’équipement n’est pas véritablement réalisée.

Les commissions industrielles et le bâtiment

La commission de modernisation du Bâtiment et des Travaux Publics

46De janvier à décembre 1946, le Ministère de la Reconstruction est détenu par F. Billoux, « le ministre du plan » pour le PCF. La commission fait double emploi avec ce ministère, ce qui en limite le champ de manœuvre. Elle est par ailleurs concurrencée sur le terrain de la planification par la commission des matériaux de construction qui est classée dans les secteurs de base. Elle est présidée par Arrachard secrétaire de la fédération CGT.

47Cette commission est parfois créditée de l’accord de la CGT sur le principe du salaire au rendement. Mais, de même que pour la durée du travail, les prises de position de la centrale sur cette question sont antérieures. Le 26 novembre 1945 Arrachard déclare à R Dautry,

  • 23 Lettre fédérale d’information. Fédération nationale des travailleurs des industries du bâtiment, du (...)

, .
« Nous proposons concrètement : a) d’étudier, avec les représentants des organismes patronaux et des administrations ministérielles, les principes pouvant déterminer la rémunération ouvrière sur la base du rendement (...),
b) de faire nous-mêmes la preuve des possibilités de construire plus vite et à meilleur marché (...) »23.

  • 24 Procès-verbaux de la commission de modernisation du bâtiment et des travaux publics, 1ère réunion l (...)

48La commission débute ses travaux le 22 mars 1946. Devant ses membres et le Commissariat largement représenté (Marjolin-Hirsch-Vergeot-Dumontier-Delouvrier), Arrachard fait un exposé d’ouverture remarqué24. « L’important est de reconstruire et de créer une France nouvelle sur une base moderne ». Fidèle à la ligne communiste et cégétiste, il veut que les travaux soient rapides et concrets.

« Nous ne devons pas tomber dans l’erreur des mesures à trop longue échéance, prendre garde aux solutions utopiques, nous garder d’exagérer les possibilités réelles. (...) Il faut donner la preuve au pays que nous ne sommes pas des rêveurs, mais des hommes au courant et au contact des réalités ».

49Son ambition est d’abaisser les prix de revient par l’amélioration de la productivité. Il confirme sa position sur les salaires. « Le salaire basé sur le rendement est capable de donner des résultats intéressants ». Il souhaite la normalisation des éléments de construction, la concentration des bureaux d’études. La commission doit établir un programme de fabrication, d’importation, de réparation en Allemagne et de répartition. Il n’entend pas que la reconstruction des bâtiments soit sacrifiée. « La compression excessive des crédits risque d’être pis que le mal, puisqu’elle aboutirait à faire payer à l’État de fortes indemnités de chômage pour des travailleurs improductifs ».

50Cette déclaration, y compris ce qui peut être entendu comme une défense de la part budgétaire de la reconstruction est bien accueillie par E. Hirsch. Il demande que le rapport d’Arrachard reçoive toute la publicité souhaitable, Arrachard ajoute, lors de la seconde réunion qu’il souhaite un appel à l’épargne et suggère la création d’une caisse autonome. P. Delouvrier repousse cette suggestion car pour lui l’épargne sera réticente et il ajoute. « C’est un problème de politique générale qu’il semble peu opportun de traiter en période électorale ».

  • 25 MRU DG 1294.
  • 26 AMF 6/1/1.

51Le 31 juillet le rapport de la commission est prêt, un additif du 7 août évalue à 1239,5 milliards de francs de 1946 les sommes à investir de janvier 1946 à 195025. Ce montant est légèrement inférieur à celui retenu par le rapport de novembre (1550 milliards). Ce rapport ne semble comporter aucune divergence avec le rapport général du Commissariat publié en novembre. Pourtant il ne sera jamais publié. A la réunion des présidents de commission, le 26 novembre 1946, Arrachard fait état du retard de la commission, car il y a des difficultés internes et des problèmes de répartition dans le secteur de la reconstruction26.

52Les archives du Ministère de la reconstruction et de l’urbanisme contiennent une série de vœux émis par la sous-commission « questions techniques » de la commission de modernisation. Ces quatre vœux sont émaillés de considérations philosophiques et rédigés dans un style surprenant.

  • 27 Série de quatre vœux émis par la sous-commission, le 8 mai 1946, MRU DG 1294.

« L’évidente nécessité d’ordonner les besoins légitimes du voyageur, de l’industriel, du soldat, du malade, de l’écolier, du touriste, de l’agriculteur, de l’ouvrier, de tous ceux en un mot qui nous entourent et constituent les éléments de la vie sous la dépendance de celui qui les résume et les domine tous : « L’homme » aboutit à la création d’un organisme coordinateur qui sera chargé de la mise en application des principes définis par le MRU comme il vient d’être dit »27.

53Le troisième de ces vœux s’intitule : « De la nécessité d’un organisme chargé d’établir le plan de la France ». Il réclame, sous l’autorité du Ministère de la reconstruction et de l’urbanisme, la création « d’un Commissariat permanent du Plan de la France ».

« Il sera étudié dès maintenant, la création d’un organisme doué de la permanence, contrôlé par le Gouvernement quant aux programmes à attaquer, muni d’une très grande liberté et pourvu de tous les moyens d’action nécessaires quant aux modalités d’exécution (...) ».

  • 28 Lettre du cabinet du Ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme, le 11 mai 1946, MRU DG 1294.

54Le cabinet de F. Billoux prête attention à ces vœux, il les adresse aux délégués départementaux et aux préfets. « En attirant votre attention sur l’importance réelle qu’il faut attacher à ces vœux (...) Il me serait en outre agréable d’être tenu informé des observations qu’ils vous inspireraient et des commentaires que vous jugerez utiles d’y apporter »28.

  • 29 AMF 5/2/30, doc. cité.

55En lisant le rapport général de novembre, P. Le Brun s’étonne du passage consacré aux problèmes de la reconstruction. « Arrachard est d’accord en ce qui concerne les objectifs limités de reconstruction ? »29.

56La non-publication du rapport pourrait s’expliquer par la réticence des syndicalistes du bâtiment à accepter le rythme de la reconstruction immobilière prévu par le plan.

La commission des matériaux de construction

57Classée parmi les secteurs de base, la commission réunit quatre chefs d’entreprise dont F. Lambert, qui siégeait au comité consultatif du comité d’organisation chaux et ciments en 1941. L’un d’entre eux H. Lefèvre est présenté en novembre 1945 comme un « industriel dissident » dans un document du Ministère de la reconstruction et de l’urbanisme.

  • 30 Rapport de la Direction du Plan du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme à R. Dautry, le (...)

« La fabrication des matériaux de construction est encore trop lente à démarrer. On est obligé de découvrir et d’épauler les industriels dissidents : Lefèvre dans la pierre de taille, Bailly et Delecourt dans la brique, etc. Ceci pour briser les intérêts privés souvent coalisés dans les comités d’organisation »30.

58La participation commune de F. Lambert et de H. Lefèvre aux travaux de la commission de modernisation est à l’image de la diversité de la représentation patronale dans le Plan Monnet.

  • 31 Première réunion de la commission, le 21 mars 1946, exposé introductif de A. Caquot, MRU DG 1294.

59Les travaux de la commission partent du principe que « Les matières premières existent et nous permettent sans achat à l’étranger de faire face aux besoins »31. L’objectif de la commission est d’inventorier les mesures techniques susceptibles de diminuer les besoins en main-d’œuvre (exemple : abandon de l’utilisation des ardoises) et en charbon. Le rapport de la commission précise ces mesures techniques.

  • 32 Idem.
  • 33 AMF 6/11/1, doc. cité, le 26 novembre 1946.

60Certains patrons ne font pas preuve d’enthousiasme dans la commission, ainsi Paquin (office professionnel des céramiques) affirme : « Ayant subi la crise depuis 1930, les industriels manquent de foi, dans l’aide que pourra leur apporter l’État »32. Le Président, A. Caquot, ne se fait guère d’illusion sur les résultats de la commission « Pour les matériaux de construction, les suggestions ne sont pas suivies, le programme ne sera pas tenu »33.

  • 34 Brochure de la fédération nationale des travailleurs des industries du bâtiment et du bois, Archive (...)

61Mais la commission a donné lieu à une collaboration active entre les experts en matériaux et le syndicat CGT. A l’automne 1946, la fédération syndicale organise des journées ouvrières d’études techniques de la reconstruction. Les auditeurs peuvent suivre par exemple l’exposé d’Albert Caquot, membre de l’institut et président de la commission de modernisation sur l’utilisation moderne du béton armé. Cet exposé très technique est un véritable cours de formation professionnelle34. Ce genre d’initiative peut être rangée parmi les retombées indirectes du Plan Monnet, ce sont des formes de modernisation en profondeur.

La commission du cinéma

62La place de l’industrie du cinéma dans l’activité économique ne justifie pas l’existence d’une des dix-huit commissions du Plan. Cette commission répond à un double objectif : rechercher des parades techniques aux résultats des accords Blum-Bymes qui provoqueraient une augmentation du nombre des films américains projetés en France. Ainsi, elle est éventuellement susceptible de désamorcer le mécontentement de l’ensemble de la profession.

  • 35 Reuter P., « L’organisation professionnelle de l’industrie cinématographique », Droit Social, 1946, (...)

63La création de la commission de modernisation, réclamée par J. Monnet, au cours des négociations Blum-Byrnes, s’est faite aisément car la profession a une longue expérience de l’organisation. Les structures héritées de Vichy se sont prolongées sous des noms différents : Comité d’organisation de 1942 au 28 août 1945, puis office professionnel jusqu’au 16 avril 1946 ; création du Centre national du cinéma le 25 octobre 194635, de la commission de modernisation les 3 et 15 juin 1946.

  • 36 Entretiens avec Claude Degand et Fred Orain, 12 juin 1981 et 13 février 1982.

64A. Malraux (Ministre de l’information) a mis en place en septembre 1945, la Commission supérieure technique du cinéma. Cette commission est présidée par Fred Orain. C’est à lui que G. Deferre, Secrétaire d’État à l’information confie la présidence de la commission et le soin de la nommer. Quelques jours plus tard, son successeur R. Bichet (MRP) entérine le choix fait par F. Orain. Il fait néanmoins ajouter à la liste quelques membres du MRP pour compenser la forte présence cégétiste36. La commission présidée par F. Orain a pour vice-président M. Fourre Cormeray, préfet du Maine-et-Loire en 1944, membre du MRP et proche de Michel Debré, Directeur de la Cinématographie de 1945 à 1947 et Claude Jaeger, assistant réalisateur de L. Daquin, commissaire de l’office professionnel au cinéma, communiste. Le rapporteur est Henri Lavorel, technicien cégétiste.

  • 37 Notes prises au cours de la réunion des présidents de commissions, le 1er juillet 1946, AMF 5/5/4.
  • 38 Réunion des présidents de commission, le 26 novembre, AMF 6/1/1.

65Paradoxalement la commission a travaillé dans d’excellentes conditions, tous les participants et la profession d’une façon générale condamnaient les accords Blum-Byrnes. La commission a étudié la possibilité de faire des films couleurs en France ce qui supposait un investissement considérable37. Elle souhaitait aussi ne plus détruire les décors, s’inspirant de l’exemple de Cinecitta38. Le bilan des travaux de cette commission est particulièrement mince. Le seul actif pourrait être la proposition de créer le Fond d’aide du cinéma français. Il s’agit d’une taxe parafiscale prélevée sur toutes les entrées de salle et réservée aux seules industries françaises. Il s’agit clairement d’un système de compensation des Blum-Byrnes.

66La commission n’a pu que constater ses besoins en investissements tout en sachant qu’elle n’était pas prioritaire. Le rapport de la commission rédigé par P. Delouvrier et Henri Lavorel n’a jamais été publié. Le constat d’échec est confirmé par Monnet lui-même dans le rapport du premier semestre 1947 (p. 45).

« Dans le courant de ce semestre, la commission de modernisation du cinéma a achevé son travail et déposé les éléments d’un rapport d’ensemble. Il a été récemment créé à la Présidence du Conseil une commission interministérielle chargée d’établir un bilan de l’industrie cinématographique française et de proposer au gouvernement les mesures administratives, financières et d’organisation professionnelle susceptibles d’assainir sa situation et de favoriser son essor. C’est seulement, quand cette commission aura déposé son rapport et fait adopter ses conclusions par le gouvernement que la commission de modernisation pourra utilement définir son programme d’équipement ».

67Sans rejeter les premiers travaux de la commission, J. Monnet considère en 1947 qu’ils n’ont pas été encore véritablement entrepris.

La commission du textile

68Si la commission du cinéma se distinguait par la forte influence de la CGT, celle du textile apparaît comme un bastion patronal. Sur 23 membres, 12 sont des industriels. Cinq d’entre eux, dont le président de la commission ont participé aux Comités d’organisation ou à l’OCRPI du textile. La CGT compte trois représentants.

  • 39 Entretien avec J. De Précigout.

69La biographie de J. De Précigout, membre de la commission est un exemple des permanences qui prévalent dans cette profession39. Avocat avant-guerre, prisonnier, J. De Précigout fait connaissance de responsables de la fédération. Dès 1941, il est employé au Comité d’organisation, répartiteur du textile, il devient commissaire provisoire de l’Office professionnel en 1945 et siège à ce titre dans la commission du Plan Monnet ; de 1948 à 1974, il est Président du syndicat français des textiles artificiels. Le président de la commission, André Deschamps est conseiller d’État en 1944. Il était directeur adjoint des textiles et des cuirs au Ministère de la production industrielle pendant la guerre. A ce titre il était commissaire du gouvernement à l’OCRPI des textiles et des cuirs. Après 1948, il sera tour à tour administrateur de l’institut de recherche du coton, vice-président du Conseil national des Assurances et Président du Conseil supérieur de la Marine marchande. Membre enfin, du Conseil constitutionnel. Le vice-président est changé en 1947. M. Do, nommé au Ministère de la production industrielle par Marcel Paul est remplacé par JP. Lévy du même ministère. Le rapporteur E. Senn est un expert en fibres exotiques, ancien collaborateur de J. Monnet à la mission d’achat de Washington.

  • 40 Introduction, rapport de la commission, octobre 1946.

70La commission a tenu quatre réunions en deux mois. C’est sans grand enthousiasme qu’elle a travaillé. Le Commissariat du plan a demandé de mettre en avant les chiffres de production et les investissements qu’il serait nécessaire de réaliser. « Nous avons décidé de répondre, même mal, parce que l’industrie textile, en tant qu’une des premières industries nationales, se doit de figurer dans tout travail d’ensemble portant sur l’économie du pays »40. Les industriels du textile se tiennent sur leur réserve. Le gouvernement et pas seulement le Plan Monnet, porte trop d’attention aux industries d’équipement à leur goût. Le rapport de la commission affirme une problématique inverse de celle du Commissariat. « C’est par des satisfactions données aux consommateurs que le plan pourra gagner l’adhésion de la masse rendue sceptique par les déceptions de plusieurs années de guerre » (p. 33). En second lieu le rapport défend la libre entreprise. « L’industrie textile française qui s’est développée par l’initiative privée risquerait de perdre une forte partie de son dynamisme si, à la suite de profondes réformes de structure, elle perdait ce stimulant » (p. 18). Le rapport signale aussi que les chiffres qu’il mentionne sont souvent inexacts du fait de l’absence de données statistiques précises. Enfin, la profession considère que sur le plan technique, cette industrie est à la veille de profondes mutations. « Un matériel neuf aujourd’hui pourrait être soudainement démodé demain. La modernisation du matériel de l’industrie textile doit donc, en toutes circonstances, être une évolution » (p. 21).

71Définie comme une industrie de consommation, donc non prioritaire, inquiète des nationalisations, limitant l’investissement par crainte d’être obsolète, la commission du textile est bien loin de l’esprit du Plan Monnet. Sa collaboration au plan est d’autant plus formelle que son problème n’est pas l’investissement mais l’approvisionnement. Elle estime que le potentiel de production est supérieur dans l’ensemble au niveau de 1938. Le rapport se propose de respecter l’engagement des « 1929+25 % ». Les propositions de la commission sont en nombre limité et visent surtout à des transformations de la fiscalité. L’argument utilisé pour dénoncer le système de taxation vaut d’être noté. « Certains patrons sont plus tentés d’exploiter à fond toutes les possibilités de bénéfices que leur offrent les contradictions de la taxation en vigueur que d’exploiter rationnellement les ressources industrielles de leur matériel, pour la meilleure satisfaction des besoins essentiels » (p. 38). Si le Plan Monnet a pu rencontrer des échos auprès de certains patrons, il ne semble pas que l’industrie du textile ait été sur les rangs.

La commission du machinisme agricole

72Bien que classée dans les secteurs de base, elle est créée tardivement. Cette commission dispose du plan de 10 ans du machinisme agricole préparé par le Commissaire d’industrie du machinisme agricole (il s’agit de l’équivalent du commissaire du gouvernement auprès de l’office professionnel). C’est en effet le même homme, Pierre Olivier, qui assurait cette fonction avant d’être rapporteur de la commission de modernisation.

73Le plan élaboré à l’automne 1945, dans le cadre de l’Office professionnel du machinisme agricole, offre un bon exemple de la greffe de la démarche de J. Monnet sur les formes de planification préexistantes. Les termes utilisés par P. Olivier sont proches de ceux employés par J. Monnet.

« Une conclusion s’impose – Notre industrie est à la veille d’une des plus profondes transformations qu’elle ait jamais connues. La charrue, vieille de deux mille ans, symbole de notre industrie, va bientôt céder la place au tracteur moderne. Mais contrairement à tout ce qui s’est passé précédemment, sous l’empire de nécessités impérieuses, la transformation va être à la fois radicale et rapide. Que deviendra notre industrie française ? Sortira-t-elle de cette épreuve de force, vivifiée, régénérée comme nous l’espérons, sortira-t-elle au contraire définitivement diminuée, écrasée sous la concurrence sans pitié des colosses étrangers ».

74Modernisation ou décadence, pour être de J. Monnet la formule n’en recouvre pas moins des sentiments et des analyses partagés par d’autres que lui.

75P. Olivier a procédé dès septembre 1945 à l’évaluation des besoins, puis il a dans un second, temps affirmé la nécessité de réorganiser le secteur du machinisme agricole.

  • 41 Exposé de P. Olivier au Comité consultatif de la mécanique, le 26 mars 1946, 26 pages + le plan de  (...)

« Ce premier travail effectué, une deuxième tâche a été entreprise, celle d’une spécialisation des entreprises – tâche dont il n’est nul besoin de souligner le caractère délicat, si l’on songe à l’individualisme parfois outrancier des constructeurs de machines agricoles. Il est bien certain, qu’une tâche aussi difficile ne pourra être réalisée qu’avec l’appui des différents syndicats tant patronaux, qu’ouvriers, car le problème comporte un aspect social dont il importe de souligner l’importance – (...). Comment pratiquer cette sélection des firmes, sélection qui en fait, sera pour certaines un arrêt de mort, mesure infiniment grave. Je crois que, seuls, les Pouvoirs Publics, auront l’autorité et même le courage nécessaire pour prendre de pareilles mesures »41.

76Le rapport général du Commissariat est très concis sur le machinisme agricole. Le problème des structures de la branche n’est pas évoqué et les travaux de la commission n’ont – semble-t-il – jamais été publiés sous forme d’un rapport.

77La CGT approuve globalement le plan du machinisme agricole présenté par P. Olivier à l’automne 1945.

  • 42 Rapport de la Conférence de la sous-section de branche « machine-agricole » de la fédération des tr (...)

« Si l’on peut reprocher à ce plan son manque de hardiesse en ce qui concerne la mise sur pied d’usines nationales modernes, il faut lui rendre cette justice qu’il correspond aux possibilités de notre industrie et nous pensons qu’il donne satisfaction dans son ensemble »42.

78Les difficultés de la commission dont témoigne la non-publication du rapport n’ont pas la CGT pour origine.

79Il y a lieu de penser que les agriculteurs sont satisfaits des objectifs du Plan Monnet en matière de tracteurs. Le programme du comité d’organisation du machinisme agricole prévoyait la mise en circulation de 10.000 à 15.000 tracteurs par an, le congrès de la CGA évalue à 10.000 le nombre nécessaire et le Plan Monnet fixe l’objectif à 12.500 par an.

80La commission a entrepris ses travaux en bénéficiant de circonstances particulièrement favorables : travail préalable, personnalité du rapporteur, approbation de la CGT. On doit cependant conclure à l’échec de ses travaux. Le commentaire ultérieur de J. Monnet souligne l’inertie de la branche dans le domaine de la restructuration des activités.

  • 43 Rapport du Commissariat pour le premier trimestre 1947, p. V.

« Enfin si le Comité Directeur du machinisme agricole institué au début du semestre a davantage précisé le programme de fabrication à exécuter, rien n’a pratiquement été fait pour créer la puissante industrie de tracteurs et d’engins d’accompagnement dont notre agriculture et notre pays ont besoin (...). La situation est encore plus inquiétante pour les outils portés ou tractés dont la fabrication est très insuffisante et pour lesquels il n’y a pas encore de programme de développement »43.

81L’industrie du machinisme agricole ne s’est pas présentée au rendez-vous de la modernisation.

La commission de l’automobile

  • 44 Entretien avec F. Picard le 20 septembre 1978.
  • 45 F. Picard : L’épopée Renault.
  • 46 Lettre de J.A. Grégoire, le 24 octobre 1979.
    P. Fridenson signale que J.A. Grégoire est entré à Sim (...)
  • 47 Entretien avec F. Picard, P. Fridenson indique que c’est dès novembre 1945, que P. Lefaucheux a obt (...)

82Alors que les commissions de modernisation sont évoquées avec nostalgie comme un haut lieu de l’esprit de concertation, celle de l’automobile se distingue semble-t-il par l’âpreté de ses débats. Une séance aurait même connu une provocation en duel entre Lefaucheux et Dolfuss, PDG de Ford, le duel toutefois n’a pas eu lieu44. La cause principale de ce fonctionnement défectueux est l’opposition d’une partie des participants – essentiellement les représentants de Renault – au « Programme quinquennal de l’industrie automobile française » élaboré par P.M. Pons, vice-président de la commission de modernisation. Le plan envisageait la spécialisation de chacun des constructeurs dans la fabrication d’un modèle. Il limitait considérablement la liberté d’action des entrepreneurs. Pour F. Picard, il s’agissait d’une véritable machine de guerre contre la nationalisation45. Le plan de rationalisation aurait été bâti à partir des travaux du Comité d’Organisation de l’automobile présidé en 1942 par De Sèze ingénieur chez Peugeot qui siège à la commission de modernisation. Sa mise en œuvre a été partiellement entreprise. Ainsi, il prévoyait que le prototype : « Aluminium Français-Grégoire » soit fabriqué en grande série par Simca, J.A. Grégoire écrit à ce sujet. « Le gouvernement De Gaulle m’a mis, fin 1945, à la tête de la Société Simca pour fabriquer ce programme. Malheureusement, Monsieur Pigozzi, l’ancien patron qui était alors poursuivi comme collaborateur put rentrer et torpilla ce projet »46. Les Renault avaient pour objectif en participant à la commission d’amender ou d’annuler le Plan Pons. P. Lefaucheux est aidé dans cette tâche par A. Liscoat, le rapporteur de la commission, Directeur commercial des automobiles Renault, jusqu’en 1939, gestionnaire pendant la guerre des concessions et des filiales, il poursuit ensuite sa carrière à la Régie. Ils ont réussi et le Plan Pons a été réduit, Renault a pu entreprendre des fabrications plus diversifiées. « Le Plan Monnet a balayé tout cela »47.

83Cette opposition témoigne d’une double fracture d’une part entre Renault et le Ministère de la Production Industrielle en 1945 et d’autre part entre l’entreprise nationalisée et les firmes privées de la branche. Opposition qui se superpose avec un antagonisme entre les projets et les hommes de la libération et ceux de la période de Vichy.

  • 48 Rapport de la commission, résumé des travaux.

84Ces différends sont matérialisés par les débats autour de la répartition des matières premières entre les entreprises. L’industrie automobile n’est pas prioritaire dans la stratégie du Plan Monnet ce qui mécontente la commission. Le seul texte qui recueille l’unanimité est celui rédigé le 1er août 1946. Cette déclaration réclame une augmentation de 30 % des contingents de matières premières attribuées à cette industrie48.

  • 49 40 p., AMF 9/7/2.
  • 50 Document d’un groupement dans l’industrie automobile, le 10 avril 1947, Bernard, Delahaye-Delage, L (...)

85Peugeot (2 représentants) et Citroën (1 représentant) désapprouvent le principe d’une planification de l’industrie automobile. P. Peugeot théoriquement membre de la commission ne participe pas aux réunions. Il délègue Nicolas, directeur des usines de la Garenne. Le représentant de Citroën affirme que son entreprise ne se reconnaît en rien dans les conclusions de la commission. Citroën ne veut pas se trouver lié par le plan et le fait inscrire dans la préface du rapport. Liscoat présente le 18 février 1947, un rapport relatif à la modernisation de l’industrie automobile49, qui est favorablement commenté par le représentant de Berliet, mais qui fait l’objet d’un document contradictoire, le 10 avril 1947, émanant de plusieurs constructeurs50. Le document définitif de la commission n’est publié que le 9 décembre 1948.

86Le Plan Monnet est une étape dans la partie de bras de fer, à laquelle se livrent les pouvoirs publics, Renault et les firmes privées à la Libération. Cette phase d’intégration de la Régie a commencé avant le Plan Monnet, et se poursuit après le début de son exécution. Il ne semble pas que le Plan marque un tournant décisif de ce point de vue.

La commission des Transports Intérieurs

87Cette commission ressemble à celle de l’automobile. L’entreprise nationalisée, la SNCF côtoie le privé, les transporteurs routiers. Cette coexistence a été particulièrement orageuse.

  • 51 Entretien avec D. Mayer, Cahiers Léon Blum, cité.

88La commission est présidée par Grunebaum-Ballin, Président de section honoraire du Conseil d’État. Connu pour ses sympathies à l’égard du monde ouvrier, il remplira le rôle d’arbitre lors des grèves des électriciens51. Symboliquement, la commission est dotée de deux rapporteurs. P. Weill ingénieur à la SNCF et Érik d’Ornhjelm, Directeur de la revue la Vie des Transports qui exprime le point de vue des organisations professionnelles des transporteurs. Cet homme dirige la revue depuis 1945.

  • 52 La Vie des Transports, année 1946, numéros 10 à 55.

89Le dépouillement de la Vie des Transports donne le point de vue de la profession sur les travaux de la commission52. L’annonce du Plan Monnet est salué avec enthousiasme par l’hebdomadaire. C’est d’abord l’espoir de voir liquider le Plan Pons (n° 10).

« Nous tenons à rendre hommage à ceux qui ont pris l’initiative de préparer en six mois un plan d’équipement technique de la France (...). Nous rendons également hommage à l’intention du Commissariat général de rendre public les résultats » (n° 12).

90Les loueurs de véhicules revendiquent le privilège d’être modernisés par la commission (n° 23).

91Le ton change totalement en août, le numéro 40, porte en manchette : « Fabricants, entrepreneurs et salariés s’élèvent unanimement contre les décisions du gouvernement ». C’est un arrêté du Ministre des finances qui provoque ce tollé. Il implique une augmentation de 70 à 80 % du prix de l’essence du fait de l’élévation des droits de douane. Conformément au titre, les protestations émanent de plusieurs organisations, l’une d’entre elles est signée par la CGT.

92En octobre, un numéro spécial met en cause la SNCF qui est accusée de profiter du Plan Monnet pour contrôler la plus large part du marché.

« Songeons seulement à la façon lamentable dont la SNCF a mené ses affaires. Par elle l’essor du camion a été brisé ; aussitôt le déficit des chemins de fer a augmenté, puis il a atteint un chiffre effarant. La SNCF se présente à nous comme un « trust » mal dirigé, ruineux pour la communauté, incapable d’assurer la vie économique de la France ».

93Un titre enfin exprime les sentiments de la revue au moment même où le Plan Monnet est adopté. « Le dirigisme engendre l’anarchie » (n° 55). Le gouvernement, la SNCF, le « dirigisme » suscitent l’opposition de la profession au Plan Monnet.

  • 53 La politique économique de la France, op. cit.
  • 54 Entretien avec E. Corbin.
  • 55 AN F14 12861.

94Messieurs Delouvrier et Nathan constatent qu’en 1938, 55 % du trafic était assuré par le chemin de fer contre 70 % en 1946. Ils estiment que l’héroïsme des cheminots dans la Résistance a favorisé la SNCF53. Edmond Corbin, Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, membre de la commission, pense que les besoins en locomotive ont été surestimés et que les machines commandées ont été sous-employées. Cependant les décisions et les commandes de locomotives et de wagons aux États-Unis sont antérieures au Plan Monnet et datent de 194554. Ainsi le Conseil d’Administration de la SNCF du 12 décembre 1945 prévoit la commande de 84.554 wagons (dont 38.250 aux États-Unis)55. Le rapport du Plan Monnet retient le chiffre de 85.250. Il semble que la SNCF soit parvenue à faire prendre en compte sa propre programmation – qui était ambitieuse – dans la commission du Plan Monnet, alors que l’investissement prévu dans le rapport général a été fortement diminué (voir plus haut).

  • 56 Entretien avec P. Weil.

95Pierre Weil présente une version plus optimiste de ces travaux56. Le jour même de sa nomination au Commissariat, Monnet déjeune avec R. Dautry. Il lui parle des commissions et le ministre suggère le nom de P. Weil ; Monnet le reçoit à l’hôtel Bristol, puis il est nommé rapporteur en avril. Dans la commission P. Weil travaille avec des représentants directs de la direction de la SNCF et du Ministère (Armand, Boyaux, Dargeou, Dugas, Dorges). P. Weil deviendra ensuite Directeur du cabinet de L. Armand, puis Directeur général de la RATP. Les commissions de modernisation et « le système relationnel » de J. Monnet ont favorisé la promotion de certains cadres de l’industrie et de l’administration. Ce faisant, le Plan Monnet n’a-t-il pas contribué à un certain renouvellement du personnel ?

96Pour P. Weil, les travaux de la commission ont été très positifs en dépit de discussions parfois vives et d’indiscrétions des transporteurs routiers. « Le Plan a certainement vu beaucoup plus large que tout ce qui a été fait auparavant ». Cette remarque vaut peut-être pour la SNCF, mais pour J. Monnet la modernisation coordonnée des différents moyens de transports n’a pas été planifiée dans cette commission.

  • 57 Rapport sur le premier semestre 1947, p. V. Commissariat général du Plan.

« C’est seulement lorsque la question primordiale de leur coordination aura été réglée qu’il sera possible à la SNCF, à la navigation fluviale et aux transporteurs routiers de voir au-delà de 1948 »57.

97Si les problèmes à long terme n’ont pas été réglés, la commission de modernisation a favorisé l’action de la SNCF qui semble disposer ici d’un véritable groupe de pression.

Les commissions des houillères et de l’électricité

  • 58 Houillères : rapport de la commission, série AMF 9/2. Électricité : rapport de la commission. Entre (...)

98Ces deux commissions présentent de nombreuses similitudes. Constituées très tôt, dès le 5 et le 12 février, elles se sont inscrites dans le prolongement d’organismes antérieurs. Elles sont toutes deux influencées par la CGT qui détient les deux postes de rapporteur. Secteurs en cours de nationalisation, les syndicalistes et l’administration y travaillent dans une intimité que ne perturbent guère quelques représentants patronaux. Ces deux secteurs sont l’objet de nombreux travaux de recherche et les sources du plan ne permettent pas une approche détaillée des travaux de ces commissions58.

  • 59 Thuillier J.P., Les Houillères du Nord-Pas-de-calais 1944/52. Nationalisation et planification d’un (...)

99En 1941, le Comité d’organisation des combustibles minéraux solides, présidé par A. Lepercq a préparé un plan visant l’objectif des 65 millions de tonnes59. Cet objectif est proposé à la commission de modernisation par le Conseil du Plan. La présence de Georges Louis Parisot à la vice-présidence de la commission ajoute un élément de cette continuité. Polytechnicien, ingénieur des mines né en 1904, il est en 1942, chef du service des métaux et minerais à la Production industrielle. En 1944-1946, il est directeur des mines. Il quitte le Plan Monnet en 1946, pour présider la commission de contrôle du charbon en Allemagne. Il est alors remplacé par G. Perrineau, qui, dès 1942 était son adjoint, tant au Ministère qu’à la commission. Tous deux poursuivent à partir des années 50 une carrière dans l’industrie privée.

  • 60 Les plans français d’équipement, Notes documentaires et études n° 268, nous donnons les chiffres en (...)
  • 61 Rapport de la commission des Houillères, p. 69.

100Un plan quinquennal des Houillères du Nord-Pas-de-Calais, rédigé en 1945, prévoit un investissement de 27 millions de francs60. Le rapport de la commission retient le chiffre de 30 millions61.

  • 62 AMF 9/2/8.

101Il semble que la commission ait eu pour première tâche de réunir ensemble les différents plans des houillères. Lorsqu’un représentant du Commissariat résume les travaux de la commission, il parle de « rafistolage ». Pour lui, le travail sérieux ne peut être accompli avant le début de 194762.

  • 63 V. Duguet, réunion du 26 novembre, AMF 6/1/1.
  • 64 Idem.
  • 65 Onzième réunion de la commission, le 3 février 1947, AMF 9/2/9.

102La commission est unanime pour réclamer l’importation rapide d’équipement63. Par contre des divergences apparaissent à propos de l’estimation des rendements. Jean Monnet pense en novembre que la commission a été trop modeste dans ses objectifs. V. Duguet en convient, mais ajoute qu’il y a déjà beaucoup de monde à convaincre64. Le 3 février 1947, la situation est inversée. Face à J. Armanet qui doute sérieusement des prévisions de la commission à propos de la main-d’œuvre et des rendements, V. Duguet affirme que les objectifs pourront être atteints65.

  • 66 Rapport sur la réalisation au cours du premier semestre 1947.
  • 67 Mouvement économique de la France de 1938 à 1948, p. 154.

103Jean Monnet considère ultérieurement que le fléchissement de l’activité des Houillères, qui se traduit par un rendement de 960 kilos au lieu des 1.045 prévus, est le principal responsable du retard général du plan66. Les effets des réflexions et des mesures envisagées au cours des travaux de la commission de modernisation ne doivent-ils pas être observés à plus longue échéance ? De 1949 à 1952, le rendement passe de 1.095 à 1.361, soit une augmentation de 25 % ce qui fait écrire aux observateurs de l’INSEE : « En définitive, le plafonnement de la production au cours des dernières années fait contraste avec l’augmentation continue des rendements »67.

104Les travaux de la commission de l’électricité prolongent ceux des commissions antérieures. Les plans pour un développement important sont prêts. S’il fallait désigner un personnage symbolique pour illustrer la continuité des efforts de planification de 1941 à 1946,Roger Boutteville pourrait, autant que Frédéric Surleau jouer ce rôle. Pourtant la commission du Plan Monnet n’a pas simplement rassemblé les plans antérieurs, elle est allée plus loin.

  • 68 Notes documentaires et études, n° 268. « Les plans français d’équipement ».

105En 1945, l’Office professionnel de l’énergie électrique établit un programme décennal. Il prévoit une consommation de 38 milliards de KWH soit 24 milliards en hydraulique et 14 milliards en thermique68. En quatre ans de moins, le rapport de la commission prévoit que la consommation sera de 39,5 milliards de KWH dont 23 en hydraulique. En 1945 on envisageait un rythme annuel de 1 milliard de KWH supplémentaire en hydraulique ; avec le Plan Monnet on passe à 1,5 milliard.

106Comme l’affirme A. Caquot à la réunion des présidents de commission, l’électricité ne marche pas au même rythme que les autres. Le rapport sur les résultats du plan note que dès juin 1947, l’électricité a engagé son programme à plus de 80 %.

107Principale bénéficiaire du Plan Monnet, l’électricité a échappé à la diminution des investissements parce qu’elle représente la possibilité d’une moindre dépendance énergétique. Cette branche peut compter sur l’appui d’une fédération CGT hégémonique. La commission s’inscrit dans les limites de l’entreprise nationale, aucune rancœur patronale ne trouble l’application de ses travaux. Plus même elle bénéficie de l’expérience accumulée depuis fort longtemps par R. Boutteville. L’électricité a tout pour réussir, son succès est éclatant. A tel point que les électriciens se sentent à part dans le Plan Monnet. La réputation de succès du Plan Monnet doit beaucoup aux exploits d’EDF, seule la consultation des archives de l’entreprise permettra d’évaluer ce qu’EDF doit au Plan Monnet ; mais nous pouvons sans grand risque écrire que le Plan n’a pas entravé la réussite de l’entreprise.

D’un aperçu général à des études plus détaillées

108Ce rapide balayage des travaux des commissions de modernisation comporte des limites évidentes ; mais il permet de formuler des observations d’ensemble sur ces travaux qui seront présentées à la fin de cette troisième partie. Nous proposons dans les trois chapitres qui suivent troi monographies sur les commissions de la machine-outil, de la sidérurgie et des carburants. C’est le critère de la « réussite » des travaux qui a guidé ce choix. La commission de la machine-outil est un échec, celle de la sidérurgie montre la réalité et les limites de la modernisation d’une branche dans le Plan Monnet, celle enfin des carburants est un franc succès.

Notes

1 Réunion des rapporteurs et secrétaires du 23 juillet 1946, document préparatoire, SCFMO.

2 Entretien avec P. Weill.

3 Profession fonctionnaire, p. 106-107.

4 Lettre de J. Monnet au Président du Conseil Économique, le 21 février 1950.

5 Remarques sur ce tableau : CGT : y compris les cadres confédérés. CFTC : de même ; Administration : non compris les représentants du commissariat qui participent en plus des membres officiels des commissions. Patronat : représentants d’organisations professionnelles ou d’entreprises, y compris nationalisées. Experts : y compris des élus (Tom). Il y a quelques doubles présences. Par exemple le Ministère de l’Économie Nationale faisait siéger M. Le Paisant dans plusieurs commissions. De même pour la CGT le total réel d’individus se situe aux alentours de 300.

6 C’est-à-dire, dont le nom est présent dans la liste des Comités d’organisation, office central de la répartition industrielle ou organigramme du Ministère de la Production Industrielle.

7 Julien Raynaud dit Henri, contrôleur des PTT, secrétaire de la CGT, président de la fédération des mutuelles ouvrières, membre du Conseil économique et social en 64.

8 Lettre de P. Laroque, le 11 février 1982.

9 Les procès-verbaux de la commission n’ont pas été retrouvés à ce jour. Nous utilisons le rapport de synthèse et trois entretiens avec des participants : J. Maillet, N. Pouderoux, A. Tollet.

10 Biographie détaillée dans Histoire de la France Contemporaine, Tome VI, Éditions Sociales, 1980, p. 356.

11 De Bellescize (Diane) op. cit. et entretien avec Jacques Maillet.

12 Il y est revenu comme Président depuis 1961. C’est à ce titre qu’il siégeait en 1979 dans les commissions du 8ème plan.

13 Rapport sur les résultats obtenus dans la réalisation du Plan de modernisation et d’équipement au cours du premier semestre 1947, p. II.

14 Lettre de la commission économique générale du CNPF à J. Monnet le 5 janvier 1947, AMF 12/8/2.

15 Idem, souligné dans le texte.

16 Cépède M. Agriculture et Alimentation en France durant la IIème guerre mondiale, pp. 473-481.

17 Ibid., p. 476.

18 R.O. Paxton, La France de Vichy, p. 202.

19 Henri Smotkine, « La question du dirigisme agricole, réflexion sur le Plan Monnet », Action, le 17 janvier 1947.

20 Rapport Général du premier plan, novembre 1946, p. 174 et s.

21 Procès-verbaux des réunions des 30 janvier, 27 mars et 9 avril 1947, AN F60 1003. Le témoignage d’A. Tollet rapporté ci-dessus semble donc être confirmé.

22 Procès-verbal de la commission de modernisation des Territoires d’Outre-Mer, le 27 mars 1947, p. 8, AN F60 1003.

23 Lettre fédérale d’information. Fédération nationale des travailleurs des industries du bâtiment, du bois et parties similaires. Novembre-décembre 1945, p. 12, Archives de la fédération CGT du bâtiment.

24 Procès-verbaux de la commission de modernisation du bâtiment et des travaux publics, 1ère réunion le 22 mars, 2ème réunion le 5 avril 1946, MRU DG 1294.

25 MRU DG 1294.

26 AMF 6/1/1.

27 Série de quatre vœux émis par la sous-commission, le 8 mai 1946, MRU DG 1294.

28 Lettre du cabinet du Ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme, le 11 mai 1946, MRU DG 1294.

29 AMF 5/2/30, doc. cité.

30 Rapport de la Direction du Plan du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme à R. Dautry, le 9 novembre 1945. AN 307 AP 123.

31 Première réunion de la commission, le 21 mars 1946, exposé introductif de A. Caquot, MRU DG 1294.

32 Idem.

33 AMF 6/11/1, doc. cité, le 26 novembre 1946.

34 Brochure de la fédération nationale des travailleurs des industries du bâtiment et du bois, Archives de la fédération CGT du bâtiment.

35 Reuter P., « L’organisation professionnelle de l’industrie cinématographique », Droit Social, 1946, p. 367.

36 Entretiens avec Claude Degand et Fred Orain, 12 juin 1981 et 13 février 1982.

37 Notes prises au cours de la réunion des présidents de commissions, le 1er juillet 1946, AMF 5/5/4.

38 Réunion des présidents de commission, le 26 novembre, AMF 6/1/1.

39 Entretien avec J. De Précigout.

40 Introduction, rapport de la commission, octobre 1946.

41 Exposé de P. Olivier au Comité consultatif de la mécanique, le 26 mars 1946, 26 pages + le plan de 10 ans en annexe, Archives de la fédération CGT des métaux, carton 11, machinisme agricole.

42 Rapport de la Conférence de la sous-section de branche « machine-agricole » de la fédération des travailleurs de la métallurgie, 24 p., novembre 1945. Idem.

43 Rapport du Commissariat pour le premier trimestre 1947, p. V.

44 Entretien avec F. Picard le 20 septembre 1978.

45 F. Picard : L’épopée Renault.

46 Lettre de J.A. Grégoire, le 24 octobre 1979.
P. Fridenson signale que J.A. Grégoire est entré à Simca dès 1944.

47 Entretien avec F. Picard, P. Fridenson indique que c’est dès novembre 1945, que P. Lefaucheux a obtenu de Pons et du gouvernement le maintien de Renault dans la production de voitures particulières. L’Histoire, n° 9, février 1979, p. 35.

48 Rapport de la commission, résumé des travaux.

49 40 p., AMF 9/7/2.

50 Document d’un groupement dans l’industrie automobile, le 10 avril 1947, Bernard, Delahaye-Delage, Laffly Simca-Unic, Panhard-Somua-Willeme Hotchkiss, AMF 9/7/5a.

51 Entretien avec D. Mayer, Cahiers Léon Blum, cité.

52 La Vie des Transports, année 1946, numéros 10 à 55.

53 La politique économique de la France, op. cit.

54 Entretien avec E. Corbin.

55 AN F14 12861.

56 Entretien avec P. Weil.

57 Rapport sur le premier semestre 1947, p. V. Commissariat général du Plan.

58 Houillères : rapport de la commission, série AMF 9/2. Électricité : rapport de la commission. Entretien avec Marcel Paul.

59 Thuillier J.P., Les Houillères du Nord-Pas-de-calais 1944/52. Nationalisation et planification d’un secteur en déclin. Colloque, la France en voie de modernisation, FNSP, 1981.

60 Les plans français d’équipement, Notes documentaires et études n° 268, nous donnons les chiffres en francs 1946 = 1 franc 1946 = 1,728 franc 1945.

61 Rapport de la commission des Houillères, p. 69.

62 AMF 9/2/8.

63 V. Duguet, réunion du 26 novembre, AMF 6/1/1.

64 Idem.

65 Onzième réunion de la commission, le 3 février 1947, AMF 9/2/9.

66 Rapport sur la réalisation au cours du premier semestre 1947.

67 Mouvement économique de la France de 1938 à 1948, p. 154.

68 Notes documentaires et études, n° 268. « Les plans français d’équipement ».

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