Conclusion de la deuxième partie
p. 201-202
Texte intégral
1Trop « libéral » pour être imposé aux industriels sous Vichy, trop « dirigiste » au gré du gouvernement d’union nationale avec Pierre Mendès France, le plan trouve-t-il sa forme idéale grâce à Jean Monnet ?
2Jean Monnet est convaincu très tôt que l’Amérique accordera un crédit d’un montant très important. Il n’y a pas de secret du Plan Monnet, l’appel aux crédits américains est énoncé dès l’origine, et repose sur la promesse de la participation de la France à l’ouverture économique (la porte ouverte) contre le financement de la modernisation. C’est un pari qui paraît jouable à toutes les parties prenantes en 1946. Il a pour limite le prix politique que l’on est disposé à payer. Or c’est à l’initiative des États-Unis et autour de la question allemande que les prix montent. Simultanément, de janvier à novembre 1946, certains éléments de la coalition gouvernementale, le PCF en particulier, évoluent négativement à l’égard des États-Unis.
3C’est alors que Jean Monnet est pris entre deux feux ; les exigences américaines qui se traduisent par l’insuccès des négociations Blum-Bymes et l’incrédulité croissante sur la possibilité de financer le plan. Il réussit cependant à sauvegarder son plan grâce à d’astucieuses innovations : les secteurs de base, les « priorités » du plan pour l’année 1947.
4On ne peut cependant réduire l’invention du plan à la transformation d’une programmation des importations et des crédits en planification. Car on ne comprendrait pas pourquoi le plan a obtenu son premier succès en janvier 1947 : le Commissariat n’est pas supprimé au bout de six mois comme prévu, et le plan est entrepris.
5Le Plan Monnet n’est pas une « réforme de structure » ; c’est plus tard que les politiques et les historiens lui attribueront ce label. En 1946, il aurait plutôt embarrasser Jean Monnet, qui d’ailleurs est totalement étranger à ce vocabulaire du projet politique. Le Plan esquive ces débats en se plaçant à l’aval, sur le terrain des objectifs de production, plutôt qu’en amont sur celui de la propriété. Son rôle à l’égard des nationalisations est ambivalent. D’une part, il proclame qu’il ne faut plus nationaliser et d’autre part, il permet une consolidation décisive des nationalisations récentes en leur accordant la part du lion dans les objectifs d’investissement du plan. Le Plan Monnet n’est pas une réforme de structure, mais comme ces mots ne veulent pas dire grand chose, il a pu avoir de faux airs de ressemblance avec les projets du planisme. Assez de ressemblance pour que Georges Boris, les planistes de la CGT, les socialistes qui s’intéressent à cette question du plan, puissent ne pas s’opposer publiquement au plan et l’acceptent en grimaçant parfois.
6Simultanément, il est présenté comme une mesure de bonne organisation aux ambitions limitées et il peut s’inscrire sans difficulté dans la logique immédiate de la bataille de la production, ce qui permet au Parti communiste de le soutenir de janvier à l’été 1946.
7De même qu’en photographie, l’impact du flou artistique est parfois plus fort que celui de la netteté des contours, l’habileté majeure du Plan Monnet est le sfumato qui entoure ses définitions politique et institutionnelle.
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