Le docteur Simone Sédan et la protection de l’enfance à Marseille

1Une rue de Marseille a reçu le nom du Docteur Simone Sédan : c’est l’ancienne rue Autiq, où logeait autrefois le Comité de la Croix Rouge, et où l’on trouve encore une clinique et une école d’infirmières appartenant à cette société. La délibération du Conseil Municipal, en date du 14 mai 1956, faisait suite à une proposition émanant du Conseil Départemental de l’ordre des Médecins et du Comité départemental de la Croix Rouge. Il s’agissait de rendre hommage « à celle qui s’est distinguée à l’attention de nos concitoyens par ses remarquables oeuvres sociales en faveur de l’enfance ».

2Simone Sédan était morte le 27 août 1954 âgée seulement de 56 ans. Les notices nécrologiques qui accompagnent sa disparition expriment l’affection et l’admiration les plus ferventes ; on est bien au-delà des éloges conventionnels. « Certaines vies peuvent être mises en parallèle avec celles des héros et des saints » écrit le docteur Louis Montagnier dans le Bulletin de la Croix Rouge. « La grandeur et la noblesse d’une âme se montrent dans le choix qui commande une belle vie », déclare le docteur Charles Mattei1. « Toux ceux qui ont approché le docteur Simone Sédan s’accordent à proclamer que ce fut une femme exceptionnelle », confirme Lucien Fredenucci2 Et quand, de nos jours, on questionne ceux qui l’ont connue ils trouvent spontanément le ton de l’hagiographie.

3Simone Sédan fut en effet un être exemplaire. Ses contemporains ont loué ses vertus et ses actes. L’historienne des femmes admire, en plus, la signification symbolique de cette vie : Simone Sédan a vécu une mutation capitale de la condition féminine, et elle l’a assumée de la façon la plus parfaite qui soit. A une époque où les classes dominantes hésitaient encore à laisser « travailler » leurs filles, elle a choisi une profession exigeante, jugée encore peu féminine, et elle s’y est consacrée avec élan : vocation lumineuse devant laquelle sa famille et la société ont dû s’incliner. Elle est sans doute une des premières femmes à avoir su concilier une vie familiale et une vie professionnelle également réussies.

4Elle est née à Grenoble en 1898. Mais c’est à Marseille où son père, le Colonel Bauby, avait été muté, qu’elle a commencé ses études de médecine, pendant la guerre de 1914-1918. Les femmes médecins étaient encore rares car elles avaient eu du mal à se faire accepter. On composerait un sottisier de belle taille en rassemblant les arguments employés pour les détourner des études, pour les écarter de l’externat, et surtout de l’internat. Mais pendant la « grande guerre » les tâches du corps médical s’étaient considérablement alourdies. Il n’y avait pas seulement les blessés, mais aussi les nombreux « réformés n° 2 », atteints de maladies graves : la tuberculose, la syphilis ; de retour dans leurs familles ils infectaient leurs proches. D’ailleurs les foyers modestes ne disposaient que de ressources précaires, réduites par la mobilisation du père : la morbidité, la mortalité remontaient de manière inquiétante. En même temps les dames des milieux aisés, révélaient dans l’épreuve des aptitudes, des compétences, une efficacité, jusqu’alors insoupçonnées : du coup, les barrières se sont abaissées devant elles, on les a laissé entrer de plein pied dans l’art de soigner. Ces circonstances exceptionnelles expliquent sans doute à la fois la vocation de Simone Bauby et le consentement de ses parents.

5Bien des gens restaient persuadés que les jeunes filles entraient dans l’enseignement supérieur avant tout pour trouver un mari, pour « se caser ». A l’école de médecine, Simone Baudy a rencontré Jean Sédan, démobilisé en 1919 après sept années de service. Les deux jeunes gens décidèrent bientôt de se marier. Leurs amis rapportent à ce sujet quelques anecdotes significatives. Jean Sédan s’attendait à ce que sa future épouse mit un terme à ses études, décision qui semblait aller de soi. Il le lui dit. A la suite de cette conversation Simone Baudy sans doute profondément bouleversée, écrivit une lettre de rupture et la confia à un couple d’amis communs, chargés de la remettre au destinataire ; elle y joignit, comme ultime souvenir, le stylo qui avait servi à écrire la lettre. Lejeune homme reçut le choc avec une émotion intense ; la mort dans l’âme, il courut au domicile de celle qu’il considérait comme sa fiancée ; après une longue conversation avec le père de celle-ci, il céda : il la voulait pour femme, elle ferait ce qu’elle voudrait3. Ce consentement n’allait pas sans arrières pensées : Jean Sédan espérait que l’amour maternel triompherait là où l’amour tout court échouait. Le mariage eut lieu le 13 septembre 1920, et le premier enfant Henry naquit le 22 juillet 1921. Mais la jeune mère ne renonça pas à ses études, pas plus qu’elle n’abandonna ses activités, quand son second fils, Robert, vint au monde, le 2 octobre 1928. Quelques signes laissent deviner la déception, l’irritation de son mari : un jour que, dans une salle d’hôpital Simone Sédan examinait un malade sous le regard de son « patron », ce dernier voyant entrer le docteur Jean Sédan se précipita vers la porte pour le détourner, afin de lui épargner un spectacle qu’on savait lui être fort désagréable.

6Ces épisodes donnent un aperçu des sacrifices alors demandés aux filles qui voulaient faire des études : il fallait en principe qu’elles renoncent à se marier et donc à être mères. C’était le prix à payer pour accéder à des métiers, à des initiatives, à des responsabilités jusque là réservés aux hommes. La fermeté de Simone Bauby montre que les meilleures étaient alors déterminées à payer ce prix. Mais l’épreuve imposée aux hommes de cette génération n’était pas moindre : laisser sa femme exercer la médecine c’était, pour Jean Sédan, affronter la réprobation de sa famille, de ses amis, de tout son milieu ; c’était piétiner des traditions vénérables, renoncer au prestige du « chef de famille », protecteur du foyer ; c’était accepter une transformation radicale des rôles dans le couple, entrer dans un monde nouveau et inconnu... La résignation inquiète de Jean Sédan ne manquait ni de courage ni de mérite.

7Sa femme le savait. Aussi veilla-t-elle à apaiser cette souffrance, à désarmer un éventuel ressentiment. C’est du moins ce que suggèrent certaines orientations de sa vie professionnelle. Elle a travaillé bénévolement, toujours et partout, sans jamais accepter aucune rémunération, laissant à l’homme la charge et l’honneur de nourrir la famille. Aussitôt qu’elle a pu, c’est-à-dire quand ses fils ont grandi, elle est devenue l’assistante (bénévole) du docteur Jean Sédan, elle a servi de son mieux la carrière de celui-ci. Il s’était spécialisé en ophtalmologie, et exerçait notamment à l’hôpital Saint Joseph. La consultation commençait le matin à 7 h. Madame Sédan était là dès 6 h 30 : jamais elle n’a fait attendre ni un patient, ni le personnel. Les religieuses et les infirmières qui l’ont vue à l’oeuvre, louent à qui mieux mieux son dévouement et sa compétence. Elle était une opératrice habile, mais aussi une organisatrice de premier ordre : elle a dirigé quelque temps le service d’ophtalmologie de l’hôpital Saint Joseph. Dans les Congrès scientifiques où elle accompagnait son mari, elle parlait peu, mais avec une sagacité remarquée. Le couple a atteint une notoriété nationale et internationale.

8Tout en accomplissant scrupuleusement ses devoirs d’épouse dévouée, Simone Sédan s’exprimait aussi de manière originale et autonome : elle a été à Marseille, une pionnière en matière de protection de l’enfance. Deux forces l’ont poussée vers là. D’abord sans doute la conscience d’être une femme et une mère, le désir d’aider les autres mères. Il faut rappeler ici que les premières femmes n’avaient été admises, dans les facultés de médecine, en 1869, que pour ménager la « pudeur du sexe » : on espérait que des femmes médecins arriveraient plus aisément à soigner les autres femmes, à approcher leurs enfants. Certes, après Pasteur, les médecins hommes ont envahi la gynécologie et l’obstétrique, la pédiatrie et la puériculture, reléguant aux orties l’antique partage des tâches. Toutefois, ils ne refusaient pas l’aide de leurs consœurs pour soigner les enfants, car il y avait là un chantier dont l’ampleur les accablait au lendemain de la grande guerre. C’est le deuxième facteur qui a déterminé madame Sédan : on assiste au seuil des années 1920 a un prodigieux essor de l’hygiène sociale, dont l’un des objectifs majeurs était la lutte contre la mortalité infantile.

9L’hygiène sociale, sœur cadette de l’hygiène privée et de l’hygiène publique, met l’accent sur la prévention, la « prophylaxie », le « dépistage ». Elle vise à empêcher, ou du moins à limiter les contagions et les infections, non plus seulement grâce aux vaccins, mais aussi grâce à un vaste effort de surveillance et d’éducation auprès des masses populaires. Les pouvoirs publics étaient d’autant plus disposés à soutenir les médecins dans cette entreprise qu’ils étaient obsédés par la dénatalité. Déjà affaiblie avant 1914 par la réduction des naissances, la France avait perdu dans la guerre plus d’un million et demi de jeunes hommes en âge de procréer ; d’autres étaient revenus infirmes ou grravement malades ; le nombre des naissances continuait à décliner, la mortalité infantile restait très élevée dans les classes pauvres, l’avenir démographique s’annonçait désastreux. Il devenait urgent de « sauver la graine » comme avait dit Pasteur à propos des vers à soie. A la suite d’un Congrès de l’enfance, tenu à Genève, et qui avait élaboré une déclaration des droits de l’enfant, un Comité National de l’enfance avait été créé en France, en 1923, dans le but « de coordonner les activités scientifiques et sociales qui s’occupent des questions d’hygiène infantile, et d’organiser l’effort commun en faveur de l’enfance par le concours de toutes les organisations publiques et de toutes les initiatives privées ». Des sections départementales relayaient le Comité national.

10Le patriotisme venait donc renforcer le sentiment de solidarité maternelle pour intéresser Simone Sédan à cette noble croisade. En s’y engageant, elle assumait une autre mutation des moeurs et des mentalités. La lutte contre la misère changeait d’objectif et de méthode : désormais la misère physiologique passait au premier plan, et ceux qui s’y attaquaient devaient posséder une compétence scientifique et technique. L’ancienne charité chrétienne ne suffisait plus. Il fallait arracher les pauvres à une résignation millénaire devant la maladie et la mort, il fallait leur donner l’espoir et le désir de la santé, il fallait enseigner aux jeunes mères les gestes qui sauveraient leurs petits. Avec l’hygiène sociale, l’action médicale prenait l’allure d’un apostolat laïque4.

11Simone Sédan avait sans doute été attirée vers cet apostolat par son maître, Constantin Oddo, fondateur, dès 1903, d’une « oeuvre antituberculeuse » où l’on s’occupait de la « préservation de l’enfance ». Le professeur Oddo avait déjà expérimenté les instruments de l’hygiène sociale : le dispensaire, où l’on donnait aux pauvres des consultations gratuites, et l’infirmière visiteuse, à la fois soignante et éducatrice, qui expliquait aux patients les consignes d’hygiène et allait voir à domicile si ces consignes étaient bien comprises et bien respectées. Au seuil des années 1920, le professeur Oddo avait provoqué la création d’une école privée d’infirmières visiteuses de la tuberculose, grâce aux subsides de la mission Rockefeller, et avec le concours de son épouse5. Mais pour la protection de l’enfance, il n’existait encore rien d’aussi organisé. L’oeuvre des nourrissons, fondée par les professeurs d’Astros et Cassoute en 1906 n’offrait guère que des consultations gratuites et des secours d’urgence.

12Madame Sédan a soutenu sa thèse de médecine à Montpellier6, le 30 avril 1926, sur le sujet : Projet d’une organisation méthodique de la protection de l’enfance à Marseille. Ce « projet » exprimait une résolution très ferme : l’auteur savait ce qu’elle voulait et le voulait fortement. Elle était allée à Lyon étudier sur place un modèle déjà rodé depuis 7 ans. En effet, Lyon, choisie comme ville pilote, avait bénéficié, dès 1919, d’une aide substantielle, en argent et en conseillers, de la Croix Rouge américaine ; des institutions rationnelles avaient été mises en place, et elles avaient fait leurs preuves puisque la mortalité avait baissé. Simone Sédan voulait transplanter le modèle à Marseille. Sa thèse expliquait comme on pouvait imposer une surveillance médicale aux femmes enceintes, aux nourrissons, aux enfants du 2ème âge (de 2 à 6 ans) aux enfants d’âge scolaire. La clé de voûte de son projet c’était une association (loi 1901), d’infirmières visiteuses, fondée le 20 janvier 19267, association qui se mettait au service de toutes les initiatives privées ou publiques, en s’adaptant à leurs objectifs pour préserver leur indépendance, en s’efforçant d’éclairer et de coordonner leurs actions. Marseille était divisée en 8 districts (dessinés en tenant compte des difficultés de déplacement), chaque district en 4 ou 5 secteurs. A chaque secteur était affecté une infirmière visiteuse à laquelle devaient être « signalées » les familles à « prendre en charge ». « Signalées » par qui ? Les femmes enceintes le seraient par les Caisses de Compensation ou le service municipal de la loi Strauss8, les nourrissons par l’état civil, les enfants d’âge scolaire par les infirmières scolaires ou les instituteurs. « Prendre en charge » qu’était-ce ? La visiteuse devait aller visiter la famille à domicile, observer les conditions matérielles d’existence, éduquer la mère, et même la « diriger »« impérieusement », conduire, s’il le fallait l’enfant en consultation, ou appeler un médecin, veiller à l’exécution des ordonances, etc. Cette démarche et ce langage semblent de nos jours terriblement inquisiteurs9 : en 1926 une médicalisation autoritaire et contraignante paraissait justifiée par l’urgence. – Une fois par semaine toutes les visiteuses d’un district se réunissaient, sous la direction de leur chef de district : elles rendaient compte de leur travail, et recevaient les nouveaux « signalements ». Les chefs de district se réunissaient elles aussi chaque semaine au « Central ». Tout un système de fiches à volets et de carnets de santé permettait de « suivre » chaque enfant. L’Association des infirmières visiteuses ne distribuait elle-même aucun secours, elle aidait seulement les familles dociles à obtenir tel ou tel subside, telle ou telle prestation : c’est pourquoi elle se tenait en relation avec toutes les oeuvres privées et publiques.

13 Madame Sédan recrutait avec soin ses collaboratrices. Membre du Conseil d’administration de l’école fondée par le Professeur Oddo, elle avait fait ajouter une formation de visiteuse de l’enfance à celle de visiteuse de la tuberculose. Elle était examinatrice à l’examen de sortie de cette école, ce qui lui permettait de choisir parmi les lauréates. Chaque semaine elle présidait les réunions du « Central » : elle s’occupait de tout, aucun détail ne lui échappait. Dans l’immédiat, elle aidait à faire face aux urgences, médicales ou sociales. Mais au-delà du quotidien, elle s’efforçait d’évaluer les besoins, de discerner les causes profondes de la misère et de la maladie, afin de proposer aux pouvoirs publics des mesures ou des réformes utiles. Celles qui ont travaillé avec elle se rappellent sa claivoyance, la sûreté de son jugement, la précision de ses directives.

14Bientôt la généralisation des allocations familiales et des assurances sociales développa le rôle social des infirmières visiteuses. En 1938 un décret sépara les deux professions d’infirmière et d’assistante sociale : presque toutes les visiteuses devinrent des assistantes sociales. L’association créée par Madame Sédan prit le nom de Service Social familial, et travailla en relation avec les mouvements familiaux.

15Mais ce service, qui fonctionnait activement, à la satisfaction de tous, fut fonctionnarisé le 1er avril 1941, à la demande de sa fondatrice elle-même. Ce qui s’est passé là est assez exceptionnel et montre l’étonnante abnégation de Madame Sédan. Sur l’ordre de l’Etat français qui tenait à protéger la famille, le Préfet des Bouches-du-Rhône avait créé sur le papier un service départemental de Protection maternelle et infantile, dont l’organisation et la direction étaient confiées au docteur Yvette Dufour. Celle-ci vit un jour entrer dans son bureau Simone Sédan qui venait lui « faire cadeau » (le mot est d’Yvette Dufour) de son service déjà si parfaitement organisé et si bien rodé. « Le gouvernement fait son devoir, disait, en substance, Simone Sédan ; c’est bien à lui de prendre en charge cette lourde et belle tâche. Il faut lui faire confiance ». Pourtant un tel ralliement n’allait pas de soi : beaucoup d’oeuvres privées voyaient au contraire d’un mauvais oeil la concurrence de l’Etat et des pouvoirs publics. Mais Madame Sédan ne voulait connaître que l’intérêt général : pour faire face à des besoins immenses elle pensait qu’un service public disposerait de ressources plus larges et plus sûres qu’une oeuvre privée. Elle était sans doute déjà gagnée au principe de la Sécurité Sociale qui devait triompher en 1946.

16Dans la suite, son activité au service de l’enfance ne s’est pas ralentie, mais on en discerne moins nettement les perspectives. Il faut dire qu’on bute là sur un obstacle majeur, qui cache aux historiens toutes les entreprises de Simone Sédan : elle a laissé peu de traces ; on ne trouve sur elle aucun document, aucun dossier un peu nourri. Cela tient à son refus absolu de faire carrière, à son désir d’effacement. Et les témoignages qu’on peut recueillir, émanant de personnes âgées, elles-mêmes fort modestes et désintéressées, manquent souvent de précision.

17Il semble que pendant l’occupation, Simone Sédan ait commencé à donner un peu de son temps à ce qui s’est ensuite appelé la Sauvegarde de l’enfance, institution fondée par Germaine Poinso-Chapuis, auprès des tribunaux, pour s’occuper de la délinquance juvénile. C’est peut-être aussi à cette époque qu’elle est devenue la cheville ouvrière de la section départementale du comité national de l’enfance, se dépensant sans compter pour des distributions de lait dans les crèches, les écoles, les familles. A ce titre elle est entrée à l’état-major de l’UDOPSS (Union Départementale des Oeuvres Privées Sanitaires et Sociales). Chaque année depuis lors, elle organisait une Semaine de l’enfance destinée à procurer des ressources à toutes les oeuvres s’occupant d’enfants. Mais c’est sans doute à la Croix-Rouge qu’elle a donné le meilleur d’elle-même. Elle en dirigeait la section enfance. C’est là qu’on la retrouve, au lendemain de la Libération, attelée à une entreprise nouvelle : la création d’un aérium pour enfants à Méreuil, près de Serres, dans les Hautes Alpes.

18En octobre 1946, les services sociaux de Marseille, avaient demandé à la Croix-Rouge d’ouvrir un aérium de montagne destiné aux enfants de 3 à 6 ans. Ce voeu était justifié : nombreux étaient les enfants sous-alimentés, les cutiréactions positives ; les enfants de Marseille, vivant au bord de la mer toute l’année, avaient besoin de montagne. Une grande maison dite « Château de Méreuil » se trouvait libre ; la propriétaire accepta une location, ce qui permit à la Croix-Rouge de faire un essai de fonctionnement avant de prendre une décision définitive. Au bout d’un an, l’expérience était concluante. Les enfants déficients se rétablissaient à Méreuil avec une étonnante rapidité. Trois mois de séjour permettaient à la plupart d’entre eux de récupérer un excellent état général. La Croix Rouge adopta définitivement le projet. L’ouverture de l’aérium eut lieu le 2 août 1947, avec 35 lits. Simone Sédan avait pris la chose en main et conduisait les opérations avec la douce énergie et la vigilance qu’on lui connaissait. Elle allait souvent à Méreuil pour voir les enfants ; elle accompagnait sur le quai de la gare le départ de chaque cohorte, même aux heures de nuit. Le succès était si évident que le nombre des places apparut vite insuffisant et madame Sédan se mit à étudier des plans d’extension des bâtiments. En mars 1948, la Croix-Rouge suédoise connaissant les immenses besoins crés par la guerre et l’occupation en France, envoya une mission auprès de la Croix-Rouge Française. Nombreux étaient les Comités sollicitant un don suédois. Mais la Croix-Rouge amie fut séduite par le cadre de Méreuil et par les projets de la principale responsable. Un don de 15 millions permit à la Croix-Rouge de Marseille d’acheter le château de Méreuil, de construire et d’équiper le pavillon Foke-Bernadotte, ce qui portait le nombre de lits à 50. Mais les demandes d’admission augmentaient sans cesse, si bien que Simone Sédan se remit à préparer un nouveau programme d’extension, en 1953. Elle est morte avant d’en avoir vu la réalisation. La Croix-Rouge a donné son nom au nouveau pavillon, inauguré en juillet 1956 par l’Ambassadeur André François-Poncet, alors président de la Croix-Rouge Française.

19La dernière réalisation de madame Sédan au Service de la section enfance de la Croix Rouge, ce fut la crèche du Boulevard des dames. Déjà malade, elle n’a pourtant pas épargné sa peine pour donner aux familles de ce quartier populaire une crèche moderne, accueillante, remarquablement équipée.

20Entre 1944 et 1954, la réputation de Madame Sédan est telle que beaucoup d’oeuvres sociales cherchent à l’attirer dans leur conseil d’administration. Elle devient l’âme de l’Entr’aide médicale : là elle se penche sur la misère souvent cachée des veuves de médecins et de leurs enfants et sa sollicitude trouve dans chaque cas la meilleure solution. Au profit de cette oeuvre, elle participe à l’organisation du Salon des Médecins en 1953 et d’un Lunch musical en 1954. D’un autre côté l’Entr’aide des Bouches-du-Rhône, spécialement vouée à s’occuper des viellards, lui a exprimé publiquement sa reconnaissance10.

« Lorsqu’elle présidait une réunion, elle était ponctuelle, l’ordre du jour était précis, elle exposait les questions avec la plus grande clarté (...). Elle laissait parler, écoutait attentivement et tenait le plus grand compte de tous les avis et suggestions (...) Par sa seule présence, elle arrêtait les bavardages intuiles et les discussions oiseuses. Incapable d’un mouvement d’impatience ou d’un mot de découragement, elle stimulait, encourageait, aidait, avec une charmante simplicité »11.

21Il reste à mentionner le courage de Simone Sédan face aux épreuves qu’elle a subies. Son fils aîné, Henry, a été tué au cours de la libération de Marseille le 17 août 1944, à 23 ans. Deuil atroce. Occupée à soigner les blessés, la mère n’a interrompu son travail que quelques heures. Mais aussitôt après, le 29 août, geste étrange et émouvant, elle a rédigé son testament. Elle y exprime notamment le désir que Bob, son second fils, veille à ce que les dispositions prises pour perpétuer le souvenir d’Henry (prix, dotations) soient bien observées et si possible complétées. Au-delà, elle a porté discrètement sa douleur : tant d’autres mères avaient donné leurs enfants à la patrie...12

22La maladie qui devait l’emporter était un cancer du sein . Elle en a connu tout de suite la gravité et le pronostic, alors fatal. Elle n’en a pas moins poursuivi toutes ses activités, aussi longtemps qu’elle a pu. Son entourage la voyait fidèle au poste, diminuée physiquement mais toujours aussi lucide, aussi dévouée. Le docteur Louis Montagnier qui lui a donné les derniers soins, témoigne ainsi sur sa fin :

« Ayant eu le douloureux privilège d’être de ceux qui l’ont accompagnée pendant ses dernières épreuves, je témoigne qu’il y eut rarement parmi nous de femme plus noble ».

23Jusqu’au moment où une grâce providentielle – lui épargnant les affres et les déchéances de l’agonie – lui permit de s’endormir dans la Paix du Seigneur, elle n’a cessé de penser aux autres : ne voulant donner aucun travail supplémentaire, acceptant avec un sourire les thérapeutiques désagréables, remerciant pour le moindre service rendu, minimisant sa peine pour nous aider à retenir l’expression de notre émotion, comme Socrate, elle nous encourageait à poursuivre un combat inégal afin de ne pas nous laisser le regret de ne point avoir tout tenté.

24Cette mort, prévue, acceptée, offerte, en toute sérénité, a été l’apothéose de sa vie »13.

25C’était le 27 août 1954, il y a juste 30 ans.