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Marseille et la Provence

Réflexions et digressions sur l’art et le militantisme ouvrier en Provence autour de l’année 1934

Antoine Olivesi

Texte intégral

1Combien de colloques et de publications historiques, littéraires ou scientifiques ont eu pour support ou pour origine la célébration d’un anniversaire important ou la commémoration d’un événement majeur ?

2Ainsi 1982 fut l’année Proust, 1983 l’année Colbert, Marx, et Stendhal, et, si, tout au long de l’année 1985, pour le centenaire de sa mort, domine l’ombre géante de Victor Hugo, elle n’éclipse pas, pour autant, celle, plus modeste, d’un autre Victor, chantre du petit peuple marseillais, Victor Gelu décédé, lui aussi, il y a un siècle. Un grand colloque s’est tenu dans sa ville natale à la fin octobre 1985. On pourrait évoquer aussi le centenaire de la naissance de François Mauriac, d’André Maurois et de Jules Romains ; nous retrouverons, plus loin, d’ailleurs, ce dernier.

  • 1 Cf. B.O. du 9 mai 1985, n° 19, p. 1539, texte adressé aux Recteurs, inspecteurs d’Académie, chefs d (...)

3La rubrique du cinquantenaire n’est pas moins riche, sur le plan politique et technologique surtout, avec les accords de Stresa, le pacte franco-soviétique (Laval-Staline), les débuts de la guerre d’Ethiopie et – manifestation de prestige français – le lancement du « Normandie ». Plus près de nous, enfin, il y a 25 ans qu’est mort Albert Camus. En remontant trois siècles, au contraire, c’est le souvenir de la Révocation de l’Edit de Nantes qui mobilise beaucoup de nos collègues modernistes, et fait même l’objet d’une circulaire commémorative dans le B.O. de l’Education Nationale1.

4L’année 1984, qui vient de s’achever, ne l’a cédé en rien à sa suivante par sa richesse événementielle : Tricentenaire de la mort de Corneille, Centenaire de la loi Waldeck-Rousseau sur les syndicats et cent-vingtième anniversaire de la loi autorisant le droit de grève en France alors que se créait, à Londres, la Première Association Internationale des Travailleurs ; 1984 fut aussi l’année du 80ème anniversaire du prix Nobel de Mistral, et du 70ème anniversaire de sa mort qui coïncida avec celui de l’assassinat de Jaurès et du déclenchement en 1914, de la Grande Guerre. Le vingtième rappel de la crise qui précéda cette dernière hécatombe sensibilisa beaucoup l’opinion publique française, au coeur de l’été 1934. Nous comprenons d’autant mieux cette émotion quand on se souvient qu’il y a un demi-siècle, cette année 1934 est écrasée par l’avènement total d’Hitler au pouvoir, alors que disparaissent Raymond Poincaré et le maréchal Lyautey. Une commémoration particulièrement dramatique pour Marseille, le 9 octobre, est celle de l’attentat mortel qui frappe Alexandre de Yougoslavie et Louis Barthou. C’est aussi le prix Nobel de littérature pour Pirandello et la création de la Loterie Nationale, d’une tonalité plus rassurante. Mais, avec 1944, ce sont, de nouveau, les souvenirs empreints à la fois, de tristesse et de joie, de la Libération de la France dont le 40ème anniversaire a stimulé les cérémonies officielles et multiplié les publications et colloques, notamment celui de Saint-Tropez, en octobre, pour la Libération de la Provence.

  • 2 La ville de Marseille vient de donner officiellement le nom de Pierre Mendès-France à une partie de (...)

5Le 30ème anniversaire de la mort de Colette et du ministère Mendès-France2 ou le 20ème anniversaire de l’attribution du Prix Nobel de la Paix au pasteur Martin Luther King et de Littérature à Jean-Paul Sartre (qui le refuse), alertent encore notre mémoire. En revanche, le 100ème anniversaire de la naissance de Félix Gouin, le 4 octobre 1884, à Peypin, où ses parents étaient alors instituteurs, mais de vieille souche istréenne, est passé presque aussi inaperçu que, par exemple, celui de la mort de Rouher. Sauf à Istres, évidemment, où ce long périple à travers la chronologie a pour but avoué de nous conduire à la date, très précise cette fois, du 22 juillet 1934.

6Si l’on abuse trop souvent, en Histoire, du mot « tournant », ce dernier se justifie pleinement pour cette année 1934. Non seulement sur le plan politique mais même, ce qui est, en général, beaucoup plus difficile à déterminer, dans le domaine culturel, et plus particulièrement dans celui de la culture ouvrière.

  • 3 M. KELLER, professeur de Sciences sociales et politiques aux Universités de Genève et de Lausanne, (...)

7Notre propos n’est pas ici de nous aventurer dans un nouveau débat sur la culture, sa définition, son contenu, les dérivations linguistiques de l’adjectif culturel ou l’extension contemporaine de son domaine. Pas plus que d’opposer et de comparer culture bourgeoise et culture ouvrière – voire prolétarienne ou encore d’étudier « les influences réciproques entre haute culture et culture des masses au sein des sociétés industrielles »3.

8Tout au plus pourrait-on s’interroger sur l’accélération de l’évolution culturelle dont les premiers signes paraissent se manifester au milieu des années 30. Toute une série de facteurs convergents : meilleure protection sociale, démocratisation accrue de l’enseignement secondaire, progrès des nouveaux médias (cinéma parlant, radio) – bien que la presse demeure encore reine – coïncident avec l’abandon de l’ouvriérisme et du « Proletkult », par les communistes français, notamment, qui redécouvrent, dans tous les secteurs, y compris celui de la culture éducative et ludique, toutes les valeurs du patrimoine national.

9Un autre problème intéressant consisterait à s’interroger sur l’engagement politique et le militantisme de l’artiste, par rapport à celui de l’écrivain ou du savant Il nous semble que cet engagement présente une certaine spécificité, quelques degrés de différenciation, ne serait-ce, peut-être que par la pratique manuelle de la matière. Pour le sculpteur, le dessinateur, le peintre, le graveur, le médailleur, le « chef d’oeuvre » n’est il pas plus proche, sur le strict plan linguistique, là encore, du vocabulaire du compagnonnage ?

10De plus, vis-à-vis de certains intellectuels trop enclins à se considérer tantôt comme les guides éclairés du peuple, ou, a contrario, à se mettre humblement « au service de la cause prolétarienne », les artistes auraient plutôt tendance à préserver comme un îlot d’indépendance. C’est pourquoi on les trouve souvent plus à l’aise dans des groupements libertaires, marginaux ou dissidents que dans les cadres rigides des grands partis.

  • 4 Le 8 mars 1953.
  • 5 D’après une photo de 1903 ! Cf. Pierre DAIX, J’ai cru au Matin, Paris, 1976, Robert Laffont, pp.317 (...)

11Pour ne choisir qu’un seul exemple, peut-on situer sur un même plan Aragon et Picasso ? Lorsque ce dernier publia dans Les Lettres Françaises4 après la mort de Staline, un portrait de ce dernier, juvénile et abondamment moustachu5, ce fut un beau scandale au sein de l’appareil politique du P. C.F. Jamais Aragon ne se serait permis une pareille liberté, lui, dont certains poèmes glorificateurs méritent plutôt l’oubli tant ils ont contribué à renforcer le culte de la personnalité, alors à son apogée, au début des années 50.

  • 6 N° 131, avril-juin 1985 : L’expression plastique au XIXe siècle. Regards d’aujourd’hui, préfacé par (...)

12Un récent numéro du Mouvement Social6, vient aborder ce thème passionnant des liens entre les arts plastiques, le mouvement ouvrier et les historiens.

13Pour notre modeste part, et dans les limites de cet article, nous aimerions évoquer le souvenir de quelques artistes marseillais ou provençaux qui, dans la première moitié du XXe siècle, furent proches par leur action ou par leurs oeuvres, des partis, des syndicats et autres groupements dits « ouvriers ».

* * *

  • 7 Numéro d’avril 1914 (journal alors mensuel). U.C.S.O. signifie : Union des Chambres Syndicales Ouvr (...)
  • 8 Syndicaliste révolutionnaire à la C.G.T., mais aussi membre de la S.F.I.O. à Marseille.

14Quelques exemples au hasard de nos rencontres biographiques : déjà, peu avant la guerre de 1914, le Syndicat des Inscrits Maritimes marseillais exprime un véritable manifeste dans L’Ouvrier Syndiqué7, journal de l’U.C.S.O., sous la plume de son secrétaire, Louis Réaud8 à propos de l’érection d’un « Monument pour les Héros et les Victimes de la Mer » à Marseille et du choix de son réalisateur. « Si le syndicalisme – écrit-il – se limitait à des débats purement corporatifs... s’il ne se préoccupait point de son rôle éducatif, il ne faudrait point que l’on se passionne pour son avenir. Nous pensons au contraire que, de toutes les manifestations humaines, rien ne doit lui rester étranger ».

  • 9 Que ce dernier édifiera, beaucoup plus tard, au Pharo, après la guerre.

15Réagissant ensuite contre l’abus des monuments consacrés « aux individualités plus ou moins marquantes... au moindre tyranneau disparu », il estime « autrement intéressant de glorifier les victimes du Travail » et il soutient, contre le projet d’Auguste Carli, celui d’André Verdilhan9.

  • 10 Valère BERNARD, l’auteur de Bagatouni, poète populaire provençal, mais aussi peintre et graveur rem (...)
  • 11 Dessins et lithographies, exemplaire numéroté, 49 p.
  • 12 Cf. sa biographie in D.B.M.O.F., t. 14, pp.243-244 et notre article in revue Marseille, n° 65, octo (...)

16Faut-il rappeler les multiples facettes du talent de Valère Bernard ?10 Peut-être connaît-on moins Albert Perrin, disciple de Jaurès, graveur-lithographe de par sa formation, et qui fut l’auteur de remarquables gravures, dans Les Arbres enchantés11 en même temps que romancier et auteur de pièces de théâtre « sociales » avant et après la Grande Guerre ?12.

  • 13 Cf. Marie MAURON, Antoine Serra, sa vie, son oeuvre (préface du professeur Audier), Catalogue avec (...)

17C’est à partir de 1926 qu’Antoine Serra, peintre dont le talent est aujourd’hui légitimement reconnu13, commence à exposer, après une dure existence de jeune travailleur immigré, à Saint-Mauront, et grâce à une inscription gratuite – due à Flaissières, alors maire de Marseille – à l’Ecole des Beaux-Arts, où il rafle tous les prix.

  • 14 Cf. la thèse inédite de René BIANCO, Le Mouvement anarchiste à Marseille et dans les Bouches-du-Rhô (...)
  • 15 Cf. P.P., 15 novembre 1934. Le groupe a été créé par les peintres Louis Toncini et Léon Cadenel, en (...)
  • 16 Le 12 juillet 1985, à la Galerie Berlioz.

18D’abord attiré par le Groupe anarchisant d’Etudes sociales14, il s’inscrit ensuite à la Jeunesse communiste, fait partie aussi du Groupe des Peintres Prolétariens, fondé en 1933, auquel la galerie Détaillé, toujours très ouverte aux courants les plus variés, permet de monter une exposition en novembre 193415. Il y rencontre un autre peintre, natif, également, de Saint-Mauront, François Diana, que nous avons eu la chance et le plaisir de rencontrer lors de sa récente exposition16 à Marseille.

  • 17 Association des Ecrivains et Artistes Révolutionnaires.
  • 18 En présence d’Aragon, Giono et autres intellectuels ou artistes. Si l’entrée de la Maison de la Cul (...)
  • 19 « Le Daumier – Facteur », comme on le surnommait à l’époque. Sur cette période, ce quartier, ces pe (...)
  • 20 A l’exception des cinq premiers exemplaires. L. Cadenel fut, avec Jean Lartigue (mort en 1987), le (...)
  • 21 Op.cit., page 190. Le chapitre XXV, consacré à Diana, s’intitule : « Un philosophe ».

19Diana est le fils d’un ouvrier chaudronnier qui se spécialisa, pour la construction navale, dans la soudure-autogène. Très jeune, il suivit son père dans les milieux portuaires de Marseille à Bilbao, ce qui marquera une grande partie de son oeuvre. Etudiant à l’Ecole des Beaux Arts de Marseille de 1920 à 1925, il fait aussi, très tôt, de la peinture « buissonnière » sur le Vieux-Port et autour du bassin du Carénage en exerçant, comme Serra, des métiers manuels, apprenti électricien ou peintre en bâtiment. Il expose pour la première fois au Salon des Artistes de Provence en 1929, puis devient, avec Serra, l’un des deux leaders du Groupe « des peintres du peuple ». Tous deux militent en même temps aux A.E.A.R.17, et, pendant quelques années, au Parti Communiste. En 1936, après la consécration du Salon de Provence et de la Galerie Jouvène, ils participent, dans l’élan printanier du Front Populaire, à la création de la première Maison de la Culture de Marseille, inaugurée au 68 de la rue Sainte18 où ils rejoignent tous « les artistes de gauche ». Parmi eux se trouvent, outre Louis Toncini, deux personnalités originales : Pierre Ambrogiani, alors à ses débuts19 et Léon Cadenel, dont l’atelier est le plus réputé. Lui-même, artiste aux dons multiples, relieur xylographe, dessinateur, peintre en gouaches, Cadenel est surtout, alors, l’animateur de cette entreprise, le fondateur de la revue mensuelle Peuple et Culture, organe de cette première Maison de la Culture ouverte en province dont la collection a malheureusement été détruite sous l’occupation20. Une occupation que Serra, comme Diana, combattront dans la Résistance, puis, tandis que le futur « Maître des Baux », en « délicatesse », de surcroît, avec son propre parti, s’éloigne progressivement, Diana – « s’il est un artiste qui mérite bien le nom de bohème, c’est bien Diana », écrit Louis Blin21, tout en baptisant en même temps, ce dernier : « de philosophe »– Diana, donc se stabilise enfin sur le plan professionnel et inaugure à l’Ecole des Beaux-Arts, une chaire « d’Art Populaire ». Il enseignera, place Carli, jusqu’à sa retraite, en 1973.

  • 22 Ibid., p. 191.

20Dans ces années d’immédiate après-guerre, années de privations encore, et de reconstruction, particulièrement dans le port dévasté de Marseille, F. Diana reste fidèle à certains de ses thèmes : tableaux de navires, de chantiers navals, de docks, et l’une de ses plus belles toiles, exposée de nos jours, prend aujourd’hui la valeur d’un témoignagne quasi-ethnologique : Les dockers, peints en 1945, chargeant ou déchargeant des balles de farine. Ces dockers, qui avaient fait disparaître, au siècle précédent, la corporation des portefaix, sont eux-mêmes en voie d’extinction devant la généralisation des containers. Des métiers qualifiés, tel celui de grutier, par exemple, cessent peu à peu, d’exister. Le tableau de Diana, en teintes où dominent les gris et les bleus sombres, traduit à la fois l’effort collectif et la dure condition de ces travailleurs du port. Tableau naturaliste rigoureux, mais qui n’est plus dans le style du « réalisme socialiste » de la décennie précédente. Il va sans dire que les thèmes, comme le style, évolueront chez Diana qui demeure sans doute le plus marseillais des peintres du Vieux-Port, et qui a toujours su placer, même dans les moments les plus difficiles, « sa liberté et son indépendance au-dessus de tout »22.

  • 23 D’après les souvenirs de François Diana.
  • 24 Tous deux Grand Prix de Rome, Elie-Jean Vezien dirigea l’Ecole des Beaux-Arts de Marseille pendant (...)
  • 25 Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs, nouvelle édition en dix volumes, P (...)
  • 26 Le Méridional – La France, 26 juin 1961, Botinelly vient d’obtenir le Grand Prix de l’Institut pour (...)

21Dans l’euphorie culturelle de 1936, on vit arriver un autre artiste, encore plus indépendant, à tous égards. Il appartenait à une génération plus ancienne, de vingt ans. Aussi bon peintre que sculpteur, Oscar Eichacker, vint offrir à la Maison nouvelle une grande fresque d’inspiration révolutionnaire, mais cessa très rapidement d’y retourner23. Eichacker’était, alors, assez connu mais il n’atteignit jamais la notoriété d’un Louis Botinelly ou d’un Elie Vezien24, bien qu’il aît été considéré, un temps, comme le rival du premier et qu’il fut toujours l’ami du second. Son nom, assez injustement oublié, ne figure pas dans le « Bénézit »25, ni dans d’autres dictionnaires, même locaux, et il est difficile de retrouver, aujourd’hui, des catalogues de ses expositions. Sa mort à Marseille, le 23 juin 1961, ne fut même pas mentionnée par les grands quotidiens qui, au contraire, par une coïncidence ironique de l’actualité se réjouissent des plus hautes récompenses obtenues par Louis Botinelly « l’un des plus remarquables sculpteurs français, et qui n’a jamais quitté notre ville »26.

  • 27 Renseignements communiqués par les Services de l’Etat-Civil de Marseille et d’Avignon que nous teno (...)
  • 28 Antoine Sartorio a été récompensé en 1980 par l’Académie de Marseille pour l’ensemble de son oeuvre (...)

22 La carrière d’Eichacker apparaît, en regard, plus discontinue. Né à Avignon, le 21 janvier 1881, ce fils d’un capitaine au 141ème27 arriva de bonne heure à Marseille où il fut étudiant à l’Ecole des Beaux-Arts, en même temps qu’Antoine Sartorio. Tous deux y préparèrent le concours destiné à obtenir une bourse triennale permettant de « monter à Paris, lui comme peintre, moi comme sculpteur » (Témoignage récent, par lettre, d’Antoine Sartorio)28.

  • 29 Cf. Louis BLIN, op.cit., pp.47-48.

23Ces concours sont confirmés dans l’ouvrage cité plus haut de Louis Blin. Ils offraient aux étudiants des garanties, moins aventureuses que la première odyssée tentée, en 1900, dans la capitale, par Louis Audibert et Mathieu Verdilhan qui durent, pour subsister pratiquer toutes sortes de métiers manuels : porteurs dans les gares, travailleurs aux Halles, décorateurs, au mieux, dans les chantiers multiples que suscitait l’Exposition Universelle en gestation. La consécration ne viendra que plus tard, pour nos deux méridionaux29.

  • 30 Cf. André-M. ALAUZEN, op.cit., nouvelle édition, p. 373.
  • 31 Ex-trésorier fédéral S.F.I.O. avant la guerre, puis conseiller municipal, Léon Baudou, qui est décé (...)

24Ce fut aussi à Marseille qu’Eickacker se maria le 13 mars 1903 avec Marie Thomasson. Vers 1905, il appartenait à un groupe d’artistes dit « groupe des Poteau »30 car ils avaient l’habitude de se rencontrer au pied d’un lampadaire situé à l’angle de la Canebière et du Cours Saint-Louis. On peut citer, parmi eux, le tandem Mathieu Verdilhan -Louis Audibert, Ernest Rouvier, et aussi des écrivains et des hommes politiques, en général de gauche, jeunes et désargentés, tous passionnés de discussion en plein air – sur les thèmes les plus variés : art, littérature, philosophie et politique. Un autre témoignage, celui de Léon Baudou31, confirme l’existence de ce groupe où des anarchistes, Chaumel (futur théosophe). Théodore Jean, Léon Mouche, qui était, par ailleurs, Franc-Maçon et grand ami d’Eichacker – dont on ne peut affirmer avec certitude sa propre appartenance à la F M. .˙.–, côtoyaient le poète guesdiste et provençal Louis Roux, les jauressistes Albert Perrin et Baudou lui-même, des enseignants tel Wolber, professeur au lycée Thiers etc... L’un des grands débats de l’actualité portait sur les problèmes posés par l’unification des divers courants socialistes...

* * *

  • 32 Catalogue que nous avons pu consulter chez notre confrère de l’Académie de Marseille, Albert Détail (...)

25Quinze années passent et, juste après l’armistice, à la mi-décembre 1918, fut inaugurée à la galerie Nadar-Detaille, sur la Canebière, ou, plus exactement, à l’époque, 21 rue Noailles, une exposition de peinture moderne, qui dura du 18 janvier au 18 mars 1919, mais dont la presse quotidienne ne fit pas mention. Sur le catalogue de cette exposition figure le nom d’Eichacker qui présenta cinq de ses oeuvres : « Dormeuse, Toréador, Fleurs », un portrait au pastel et un dessin en sanguine, oeuvres cotées entre 300 et 400 francs, sur le même plan que celles d’Utrillo, de Suzanne Valadon, de Vlaminck, Kisling, Dufy, Max Jacob, Camoin etc... Les tableaux de ces autres peintres exposants étaient en effet cotés entre 300 et 700 francs au maximum. Seuls un Renoir et un Cézanne (8.000 francs) sont nettement au-dessus de cette moyenne d’ensemble32.

26Eichacker participa à une autre exposition publique à Marseille en 1925, mais le fait est plutôt exceptionnel, car sa production artistique semble, selon les périodes et les variations politiques locales, parfois proche de l’Ecole officielle des Beaux-Arts, ou, au contraire, franchement repliée dans la plus totale indépendance.

27Le jugement d’Albert Détaille sur l’oeuvre d’Eichacker confirme celui des sculpteurs Louis Arnaud et Antoine Sartorio : « Un très grand talent lié à son beau caractère et à sa très forte personnalité », selon ce dernier. Pour Détaillé, Eichacker était un peintre « au style vigoureux, brutal même, parfois, correspondant bien à sa nature plutôt bourrue, voire sauvage ». Naturel et réservé à la fois, direct, robuste et alerte, vif et sportif, Eichacker fut volontairement, semble-t-il, isolé, presque marginal, soucieux avant tout de préserver sa liberté. Sa sculpture apparaît, en revanche, d’un style plus classique, mais toujours puissante.

  • 33 « Eichacker... un personnage extraordinaire... très secret au caractère entier... fermé, sauvage, s (...)

28J’ai pu apprécier en effet, dans la collection personelle d’Albert Détaillé, que je tiens à remercier également ici, d’autres oeuvres d’Eichacker, une très belle « Bohémienne » en bois gravé, notamment, ainsi que de nombreux portraits et autoportraits. L’un deux, où il s’est représenté « en centurion », frappe par l’énergie des muscles du visage, fortement accentués (cf. annexe 1)33, et confirme bien cette inpression de volonté presque farouche.

29Une indépendance de caractère, indéniable donc, dûe à une forte personnalité, une indépendance artistique puisqu’il apparaît tantôt comme l’un des sculpteurs attitrés d’une sorte de mécénat qu’exerce, dans les Bouches-du-Rhône, une S.F.I.O. dominante, surtout entre les deux guerres, tantôt un créateur isolé dans son atelier du Quai de Rive-Neuve, quartier préféré, comme on le sait – surtout avant le comblement du canal de la Douane – du petit monde des artistes marseillais. Les écrivains des Cahiers du Sud, qui s’ouvraient alors au surréalisme, étaient leurs proches voisins.

  • 34 Voir dessin en annexe 2.
  • 35 Avec Jean Giono et Marcel Brion, entre autres. Cf. Bibliographie de la presse française politique e (...)

30Indépendance politique aussi, car si son orientation à gauche s’affirme précoce et durable, ses liens avec le Parti Socialiste S.F.I.O. ne l’empêchent pas de collaborer, après la guerre, en même temps qu’Albert Perrin dont il trace, vers 1925, un vigoureux portrait34 au journal La Criée, magazine marseillais mensuel35, très critique, agressif même, tant au plan artistique et littéraire que dans le domaine politique. Cette indépendance explique sans doute aussi ses articles ultérieurs dans Massalia, hebdomadaire de gauche mais refusant de s’inféoder à aucun parti. Eichacker collabora également au Mondain, au Bavard et aux Cahiers du Sud, ainsi qu’à la revue Arts et aux Taches d’Encre de Léon Cadenel.

  • 36 Cf. D.B.M.O.F., t. 23, p. 374 et, pour CHAUSSABELLE, t. 22, p. 189.
  • 37 Renseignements communiqués par Pierre Broué, professeur à l’Université de Grenoble II. Cf aussi, D. (...)

31 Plus marquant encore est son engagement trotskiste. Eichacker est, en effet au milieu des années 30, le responsable officiel du P. C.I., c’est-à-dire des trotskistes, à Marseille à la tête d’un petit groupe de militants où l’on retrouve Léon Cadenel, Paul Cruchandeau36 musicien, lui, Chaussabelle, et quelques autres. Eichacker faisait même partie, en 1936, du Comité central du P. C.I. pour l’ensemble de la France37.

  • 38 Cf. Jean-Paul JOUBERT, Révolutionnaires de la S. FJ. O., Presses de la Fondation Nationale des Scie (...)

32C’est l’époque, il est vrai, où, sur l’ordre de Trotsky lui-même, qui vit en France, semi-clandestin, au cours de l’année 1934, ses partisans pratiquent « l’entrisme », c’est-à-dire l’adhésion à la S.F.I.O. où ils vont renforcer l’aile « gauche révolutionnaire » de ce parti qui a pour leader Marceau Pivert38. Quoiqu’il en soit, Eichacker fut l’objet, en raison de son adhésion au trotskisme, de quelques tracasseries policières ; elles furent peut-être responsables de certaines éclipses dans son cursus artistique et professionnel tout à l’opposé, là encore, de ceux de Botinelly ou de Vézien.

33Cependant, le nom d’Eichacker reste attaché à de nombreuses réalisations publiques ou privées où ses qualités de sculpteur, mais aussi de peintre et de médailleur, ont pu s’exprimer.

  • 39 Architecte en chef du département, entre les deux guerres.
  • 40 Raoul BUSQUET et Emile ISNARD, in revue Marseille, n° 16, janvier-mars 1952, p. 6. Frise remise à n (...)
  • 41 Il est ministre des Travaux publics dans le gouvernement Poincaré.
  • 42 Eichacker travaille avec cinq autres sculpteurs, Marseille, revue citée, p. 74.
    Cf. aussi, ibid., n (...)

34Il participa ainsi, aux côtés de Gaston Castel39 et de Carrera, de Sartorio et de Bourdelle à la décoration de l’Opéra de Marseille, reconstruit après l’incendie de 1919 et inauguré, sous la municipalité Flaissières, le 4 décembre 1924. On lui doit la frise allégorique qui orne le hall d’entrée « et fait honneur au talent original de cet artiste »40. Trois ans plus tard, toujours sous Flaissières, dont Léon Bon est alors le premier adjoint, tandis que les hasards des changements ministériels nous permettent de trouver en même temps à Marseille, Gaston Doumergue et André Tardieu41, c’est l’inauguration du grand escalier de la gare Saint-Charles. Eichacker qui est membre de l’équipe chargée de la sculpture ornementale, a exécuté pour sa part, les vases d’amortissement en pierre de Lens42.

35Enfin, entre 1931 et 1933, toujours avec Castel et Sartorio, il contribue à la décoration de l’annexe du Palais de Justice.

  • 43 Ibid., n° 16, p. 84. Eichacker était en bons termes avec Henri Tasso.

36Une autre de ses oeuvres importantes fut le buste d’Henri Tasso, sculpté du vivant de ce dernier, entre 1935 et 1939, puis intégré, en 1951, au monument édifié par l’architecte Crozet43, place de Lenche, dans une belle perspective débouchant sur le Vieux-Port, ce Vieux-Port qui inspira tant de peintres locaux et « étrangers », de Mathieu Verdilhan et F. Diana à Kisling, et dont Eichachker, lui aussi, lors des jours sombres de la guerre et de l’occupation, sut faire revivre l’animation permanente, en dépit de tout.

37 Eichacker fut aussi un enseignant. Il assurait surtout des cours de modelage et de dessin, notamment des cours du soir, de 18 heures à 20 heures, à l’Ecole des Beaux-Arts, avant et après la deuxième guerre mondiale.

  • 44 Mes remerciements s’adressent également à Ello Castel.

38Le fils de Gaston Castel, Ello Castel, architecte lui-même, fut son élève et a conservé de lui, outre un souvenir ému, plusieurs oeuvres inédites que ’j’ai pu admirer dans sa collection privée, notamment un buste de toréador et des tableaux « en sanguine », c’est-à dire dessinés au fusain44.

  • 45 Cf. Le Provençal du 18 octobre 1959 (photo d’Eichacker).

39La dernière réalisation notable, d’Eichacker – du moins en tant que sculpteur – fut un bas-relief représentant le profil de Victor Gelu et, là encore, nous retombons, en cette année 1985, sur une commémoration en cours. Cette effigie fut effectuée en 1959, à la demande d’un Comité qui se constitua, alors, pour réédifier la statue de l’écrivain marseillais, victime comme beaucoup d’autres, des vicissitudes de la guerre, et, dans ce cas précis, de la destruction des quartiers du Vieux-Port45.

40Mais il fallut attendre juin 1979, bien après la mort d’Eichacker, pour que son plâtre fût – si l’on peut dire – converti en bronze. Plus imposante et mieux en vue, avec sa fontaine, « la statue de Victor Gelu », familière aux vieux Marseillais, fut immortalisée – entre autres – par une célèbre réplique de César dans la pièce de Marcel Pagnol, Marius (et le film qui en a été tiré). Cet édifice en bronze sculpté par Clastrier dès 1891, six ans seulement après la mort de Gelu, près de l’Hôtel de Ville, a fait place à un assez grand médaillon, de bronze, également, portant la signature d’Eichacker, sur l’un des deux terre-pleins du Quai des Belges qui y facilitent la régulation de la circulation. Mais le portrait de Gelu est plus ou moins masqué par de nombreux arbustes, aussi bien pour les piétons que pour les automobilistes qui débouchent sans cesse sur un Vieux-Port décidément toujours aussi animé que changeant.

41Cette oeuvre posthume rappelle, dans notre ville, la production abondante et discrète à la fois, d’Oscar Eichacker. Sa mort fut tout aussi discrète quoique peu banale, au point que je n’ai pu, par des recoupements divers, qu’esssayer de la reconstituer ; sur son acte de décès figure en effet la mention : « est décédé le vingt trois juin mil neuf cent soixante un, à dix sept heures, Promenade de la Corniche à la hauteur du Bain du Pavillon, Oscar... Eichacker etc... ».

  • 46 Entretien avec M. Emile la croix, expert en tableaux, dont le vaste atelier, cours d’Estienne d’Orv (...)

42Mort accidentelle, brutale ? Mais sur terre ou en mer ? J’avais appris par d’autres sources46, qu’Eichacker avait l’habitude de prendre un bain de mer chaque jour, été comme hiver. Alors, s’agit-il d’une hydrocution, d’une noyade, à l’âge de 80 ans ? Personne n’a pu, jusqu’ici, m’en dire davantage.

43 Arrêtons-nous sur deux moments de l’oeuvre artistique d’Eichacker, très rapprochés dans le temps et d’un intérêt inégal, du moins quant à leur environnement politique. Car dans quelle mesure la pierre peut-elle exprimer, si l’on peut dire, plus ou moins consciemment, les instantanés d’une actualité particulièrement mouvante – et mouvementée – comme celle de cette année 1934 dont, avec un demi-siècle de recul, l’historien a pu mesurer toute l’importance ?

44A trois mois d’intervalle, en effet, Eichacker est « mis en vedette », dans le courant de cette actualité, par l’inauguration de deux bustes : celui de Léon Bon, à Marseille, et, surtout, celui de Jean Jaurès, à Istres, le 22 juillet 1934.

  • 47 Série d’articles signés GY, dans le P.P., en mai-juin 1934.
  • 48 Au Salon de Provence, grande manifestation artistique officielle et mondaine organisée chaque année (...)
  • 49 Cf. D.B.M.O.F., t. 19, pp.363-366, pour la biographie de Leon Bon.
  • 50 Charles Baron (1876-1940) est le type même du savant devenu homme politique. D’une vieille famille (...)
  • 51 Avec des maxima de 30° à l’ombre, à 13 heures, selon les bulletins météorologiques publiés par les (...)

45La mode était alors aux bustes, et toute personnalité possédant une certaine notoriété se faisait immortaliser grâce au ciseau d’un sculpteur. Les choses avaient bien changé depuis 1914... et il n’est pas inutile de se référer, dans la série d’articles consacrés par le chroniqueur du Petit Provençal47 au Salon de l’Opéra48, à celui du 14 mai 1934 sur la sculpture. Il insiste longuement sur le buste de Léon Bon, alors sénateur et Président tout puissant du Conseil général des Bouches-du-Rhône49, buste sculpté par Eichacker « que nous tenons pour un des meilleurs statuaires de ce temps » comme pour « l’un des meilleurs graveurs » aussi, et qui, grâce à Léon Bon, trouve ainsi « l’occasion de manifester son grand trop rare talent ». Car le buste de Léon Bon ne figure pas au catalogue, lequel recense, en revanche, les oeuvres d’Elie Viezien – dont une tête d’enfant, « autre chef d’oeuvre de grande classe »– et celles de nombreux sculpteurs. Mais Antoine Sartorio, comme Eichacker, expose – également hors catalogue, le buste de Charles Baron50 dont l’article sur la guerre chimique, publié dans Le Petit Provençal du 28 juillet nous reporte brutalement vers l’actualité brûlante de l’été 1934. Un été aussi chaud, au propre et au figuré51, que l’été 14, immortalisé par R. Martin du Gard, dans Les Thibault.

  • 52 C’est « La Nuit des Longs Couteaux ».

46Qu’on en juge par les éphémérides de la deuxième quinzaine de juillet et des tous premiers jours d’août : le 25 juillet, le chancelier Dollfuss est assassiné en Autriche par les nazis. Le 28 meurt le Maréchal Lyautey. Ses obsèques nationales sont célébrées à Nancy le 2 août. Le lendemain, 3 août, on apprend la mort du Maréchal von Hindenburg dont les funérailles non moins solennelles, auront lieu, le 4, à Tannenberg. Chacun s’attend à ce que le chancelier Hitler, qui a éliminé dans le sang, quelques semaines plus tôt, Roehm, les S.A., Von Schoelcher et bien d’autres52, concentre entre ses mains tous les pouvoirs du Reich, vingt ans après, jour pour jour, la déclaration de guerre officielle de l’Allemagne à la France.

  • 53 Le 1er août 1934.

47Quelques jours plus tôt, le dimanche 29 juillet 1934, pour la première fois depuis 1921, les forces de Gauche ont commémoré ensemble, à Paris, le vingtième anniversaire de la mort de Jaurès, le matin au Panthéon, le soir devant le café du Croissant et le siège voisin de L’Humanité où ont été placardés avec celui de Jaurès, les portraits de Lénine et de Trostky, d’après le compte-rendu du Petit Provençal citant L’Humanité elle-même53.

48Cette ombre sinistre de la guerre, qu’on tente d’exorciser, semble-t-il, par une chronique quotidienne, dans Le Petit Provençal, qui fait revivre les étapes de la marche à la guerre, au cours de l’été 1914, plane sur une France et une Europe plongées dans l’actualité d’une crise, économique, cette fois, d’une nature, d’une ampleur, et d’une durée sans précédents devant laquelle s’interrogent les hommes politiques, les économistes, les intellectuels.

49Sur ce fond de crise économique mondiale et de tension européenne, la France demeure secouée par les retombées du 6 et du 12 février. L’âpreté des affrontements et des polémiques traduit aussi bien les hésitations et les tâtonnements que les tentations et les audaces ; le désarroi n’exclut pas du reste, un grand bouillonnement idéologique où toutes les valeurs traditionnelles et morales de la République démocratique et parlementaire sont remises en cause.

50De même, les doctrines les plus solides, comme le marxisme internationaliste, se voient à leur tour contestées, ce qui entraîne un reclassement des forces politiques et le choix de nouvelles alliances pour combattre la crise. Deux mots-clés émergent de toutes ces controverses : le Front et le Plan.

  • 54 Cf. sur ces problèmes, notamment Philippe ROBRIEUX, Histoire intérieure du Parti Communiste, t. 1 e (...)
  • 55 L’expression est de Trotsky, dans un article publié en juillet 1934. Cf. J. P. JOUBERT, op.cit., pp (...)
  • 56 Dont on a fêté, en 1986, le cinquantième anniversaire ! Le trentième évoque pour Pierre Guiral et m (...)

51Le premier de tous, Gaston Bergery, alors en rupture de radicalisme, a lancé le terme et l’idée d’un « front commun contre le fascisme », dès le printemps 1933, dans le cadre du Mouvement Amsterdam-Pleyel. Mais, après le 6 février 1934, son sens n’est plus le même pour Doriot ou Thorez, puis, dans les mois qui suivent, pour le Komintern54 et pour Trotsky, pour le P. C., la S.F.I.O. enfin, et, plus tard, les radicaux, ainsi que pour Bergery lui-même, avec le frontisme. D’où les variations sur les conceptions d’un front unique à la base, ou au sommet, d’un front unique ouvrier contre le fascisme, d’un front unique révolutionnaire, des « illusions du front unique »55, puis d’un front commun qui débouchera sur le Rassemblement populaire, et, finalement sur le Front populaire dont la formulation l’emportera sur toutes les autres56.

52Mais dans l’immédiat, c’est-à-dire en 1934, faire front contre « le fascisme », c’est également s’opposer au gouvernement Doumergue et à son projet de révision de la constitution.

53Derrière Doumergue, en fait, c’est Tardieu qui représente, pour la gauche, le danger d’un pouvoir « fasciste »– ou présenté comme tel. Nous savons aujourd’hui, que ce péril était surestimé, mais la menace et la crainte qu’il suscite ont autant d’effet mobilisateur dans le camp opposé.

  • 57 Dans son discours d’Aurillac où le Président de la République inaugure un monument sculpté dans le (...)
  • 58 C’est le titre de l’article de Joseph Barthélémy, qui évoque, le 13 novembre 1934, les précédents d (...)

54 Etrange destinée que celle de Gaston Doumergue, président du Conseil radical, encore, au début de l’année 1914, Président de la République – déjà plus modéré – grâce, pourtant, au Cartel des Gauches, en 1924. Président du Conseil d’un Cabinet d’Union nationale en 1934, « ce pilote expérimenté avisé et prudent », comme le dit Albert Lebrun dans son discours d’Aurillac57, rassure par sa bonhommie souriante. Son âge suggère en outre, déjà, « l’image du père » à certains éditorialistes du « Temps » qui préconisent une plus grande « personnalité nous dirions, de nos jours, personnalisation – du pouvoir »58. En contrepartie, Doumergue inquiète aussi par un fond d’autoritarisme, un appel direct – et nouveau – à l’opinion par ses discours radiodiffusés, et ses objectifs de renforcement du pouvoir exécutif.

  • 59 Tardieu attaque Chautemps à la commission d’enquête sur l’affaire Stavisky. Les ministres radicaux (...)

55Cependant la popularité familière de « Gastounet » est déjà ébranlée par la mini-crise interne qui affecte son gouvernement à partir du 18 juillet et révèle son manque de cohésion59, au moment même où la S.F.I.O. et le P. C. concluent, entre le 15 et le 27, leur pacte national d’unité d’action.

  • 60 En 1935, Sur Bouisson.cf. D.B.M.O.F., t. 11, pp. 14-15.

56Elle s’évanouit avec la fin de l’année 1934 où son ministère est renversé ; alors, il évolue franchement vers la droite et coiffe le béret des ligueurs de l’époque. Eernard Bouisson connaîtra le même échec60. Mais un autre personnage – ministre dans ces deux gouvernements – détient une « aura » de plus grande envergure pour jouer, éventuellement « ce rôle du père salvateur » c’est le Maréchal Pétain dont la prestance et le grand discours qu’il prononce à Nancy, le 2 août 1934, lors des obsèques nationales de Lyautey, rendent plus effacée encore, ce jour-là, la présence d’Albert Lebrun.

57Le nom de Pétain, le plus glorieux des maréchaux survivants de la Grande Guerre, est d’ailleurs cité, dès 1934, dans cette perspective.

  • 61 Discours cité.
  • 62 Ministre des Finances dans le cabinet Doumergue, qui est vivement accroché, à la Chambre, par un je (...)
  • 63 Qui régente pendant 30 ans, l’orthodoxie monétaire en France de Poincaré à de Gaulle. En revanche, (...)

58La même incertitude, les mêmes discussions passionnées s’ordonnent autour du plan, du planisme, de la planification. D’aucuns s’opposent totalement à toute régulation planifiée de l’économie et défendent les valeurs du libéralisme économique, que ce soit le président de la République Albert Lebrun61, le ministre des Finances de l’époque, Germain Marint62 ou des économistes réputés comme Jacques Rueff63.

  • 64 Le plan des grands travaux contre le chômage d’Adrien Marquet, député-maire « néo » de Bordeaux, mi (...)
  • 65 Sur tous ces problèmes, cf. Claude PAILLAT, Dossiers secrets de la France contemporaine, tome 3, «  (...)
  • 66 « La Révolution Roosevelt », c’est le titre du livre que Georges BORIS vient de publier chez Gallim (...)
  • 67 Jacques Duboin, Jean Nocher, notamment.

59En revanche, beaucoup de responsables politiques ou d’intellectuels, venus d’horizons les plus divers, cherchent dans « le plan » un remède à la crise. Mais quel plan ? Celui d’Henri de Man, d’Adrien Marquet64, de Léon Jouhaux, de Georges Lefranc et de son groupe « Révolution Constructive », de Jules Romains, de plusieurs « technocrates » du groupe « X Crise » ?65. Faut-il se référer aux modèles étrangers, eux-mêmes si dissemblables, : corporatisme mussolinien, plans quinquennaux soviétiques, plan de grands travaux instauré par le New Deal, avec Roosevelt, aux Etats-Unis ?66. Tous inspirent autant, sinon plus, de méfiance que d’espoir. On ne saurait omettre, par ailleurs, la résurgence des utopies abondancistes67.

  • 68 Surtout du côté des « néos » auxquels Le Petit Provençal ouvre largement ses colonnes (vingt tribun (...)

60Quoiqu’il en soit, le plan est encore très éloigné de son caractère futur « d’ardente obligation », et ce sont ses interprétations idéologiques ou ses sous-entendus politiques qui suscitent, pour les contemporains le plus de commentaires, voire de polémiques68 ».

  • 69 Cf. un rebondissement récent de la polémique à propos de la planification, in Cahier et Revue de l’ (...)

61Alors, le plan mythe, mystique ou mystification ? La controverse de l’époque rebondit cinquante ans plus tard69 alors que la notion et le mot même de plan ont été entièrement banalisés mais qu’une autre crise, longue et dure, elle aussi, pèse sur le monde entier.

62Sur tous ces problèmes, c’est la gauche française qui est la plus sensibilisée et ses positions ne sont pas les mêmes, par exemple, le 13 mai 1934, alors qu’Eichacker expose, au Salon de Provence, le buste de Léon Bon, et le 22 juillet, lorsqu’on inaugure, à Istres, le monument qu’il a conçu et réalisé en hommage à Jean Jaurès.

  • 70 P.P., 14 mai.
  • 71 Cf. intervention de Rémi ROUX in Compte-rendu imprimé des débats du XXVIe Congrès national S.F.I.O. (...)

63Or, le 13 mai, précisément, Léon Bon se trouve à Istres où se tient le congrès fédéral S.F.I.O. des Bouches-du-Rhône en prévision du congrès national du Parti qui va se réunir à Toulouse à partir du 20 mai. Au cours des débats, il est critiqué par plusieurs militants qui lui reprochent de ne pas s’être désolidarisé, au Conseil général, des décrets-lois gouvernementaux. Parmi eux on remarque Joseph Devoti, responsable de la Jeunesse Socialiste, trotskiste, en fait, et le congrès adopte la motion du nouveau secrétaire fédéral, Rémi Roux : « Le Parti se déclare prêt à continuer la lutte entreprise par lui dans les comités antifascistes »70. A Toulouse, où les hésitations sur la conduite à adopter vis-à-vis du P. C. sont manifestes, Rémi Roux intervient au nom des Bouches-du-Rhône pour choisir clairement l’alliance avec le P. C. et la rupture avec les radicaux71.

  • 72 Cf. 1934, op.cit., pp.5 et 83.

64Mais le Parti Communiste lui-même traverse une période de crise et d’incertitude « dominée par le cas Doriot »72. Les articles violents contre « le social-fascisme » prolongent jusqu’en juin la stratégie « classe contre classe », ce qui n’exclut pas les négociatiosn avec la S.F.I.O. et la multiplication des comités antifascistes unitaires. Ces hésitations reflètent elles-même les débats contradictoires qui se déroulent entre les dirigeants du Komintern, à Moscou, et la prudente lenteur avec laquelle Staline reconsidère la position jusqu’alors adoptée par l’U.R.S.S. à l’égard d’Hitler.

  • 73 Ibid., p. 45.

65Quoiqu’il en soit lors de la conférence d’Ivry, « les conclusions de Maurice Thorez... marquent le tournant en matière de Front unique de façon plus nette que ne l’avait fait le discours introductif ». Et c’est la formulation décisive du 28 juin : « Nous voulons à tout prix l’unité d’action avec les ouvriers socialistes contre le fascisme ; nous voulons à tout prix aboutir à l’unité syndicale dans une seule C.G.T.... entraîner les classes moyennes en les arrachant à la démagogie du fascisme »73.

66Ce discours traduit donc bien davantage un tournant qu’un ajustement et accélère le processus vers l’unité d’action qui se réalise, dans les Bouches-du-Rhône, avant même l’accord national S.F.I.O.-P. C.

  • 74 P.P., 14 mai, article cité, avec la photographie du buste de Léon Bon.

67Mais revenons à Eichacker et au buste de Léon Bon, exposé à la place d’honneur, au foyer de l’Opéra. Le journaliste exalte « sa beauté virile et grave où le charme le dispute à l’énergie »... qui évoque pour lui le « ferme visage de quelque tribun ou empereur romain de la grande époque... Sans défaillance, sans la moindre erreur, net et puissant » tel est « le dessin du profil frappé en médaille, l’heureux ovale d’une face léonine (sic) aux plans harmonieux, et, surtout, cet air d’autorité intelligente, de résolution réfléchie, de prompte hardiesse, de distinction naturelle, cette sérénité teintée de fine ironie et ce rayonnement souverain qui confère à M. Léon Bon un si sûr prestige »74.

  • 75 Ex-place Cheylan. Cf. P.P., 4 juin 1934 ; le médaillon à l’effigie de Cadenat ne sera sculpté qu’ap (...)

68Le culte de la personnalité qui triomphe dans les états dictatoriaux de l’Europe, ne serait-il pas en train de gagner la France démocratique ? A Marseille, il est vrai, une autre personnalité a déjà compris et exploité cette forme de propagande, c’est Simon Sabiani qui « tient toujours la mairie » en 1934, reléguant les socialistes dans l’opposition, et qui utilise à son tour, à des fins politiques, car les éléctions cantonales approchent, l’inauguration de la place Bernard Cadenat, à la Belle de Mai, le 3 juin 1934, en l’absence des élus S.F.I.O.75.

69C’est pourquoi celle-ci se sent plus à l’aise dans le reste du département dont elle a progressivement, en trente années, assuré la conquête aux dépens des radicaux.

  • 76 Où quelques semaines plus tard, de même, par ordre de la municipalité sabianiste, le grand meeting (...)

70Et c’est à Istres, beaucoup plus qu’à Marseille76, que le vingtième anniversaire de la mort de Jean Jaurès, dans cette fin du mois de juillet 1934 lourde de souvenirs et de périls à la fois, connaît sa commémoration la plus solennelle.

  • 77 En date du 17 juillet 1934. Il est vrai que Gouin milite alors depuis plus de trente ans.
  • 78 P.P., 17 et 21 juillet.
  • 79 Avec en sous-titre : Douze années de gestion socialiste, Marseille, 1935, 184 p. (imprimerie Mistra (...)

71Là encore, anniversaires et préoccupations électorales se conjuguent fort opportunément. Outre la mémoire de Jaurès, et l’évocation, jour après jour, des semaines dramatiques de l’été 1914, c’est aussi le trentième anniversaire de l’unité socialiste dont deux des promoteurs, dans les Bouches-du-Rhône, sont Léon Bon et Félix Gouin. Or, ce dernier, député-maire d’istres, qualifié de « vieux lutteur » par Le Petit Provençal77, alors que l’essentiel de son ascension politique reste à faire, a soigneusement préparé, depuis des semaines, le douzième anniversaire de l’élection partielle, qui, en 1922, « l’a porté triomphalement à la mairie d’Istres »... ce charmant petit village devenu cité moderne aux proportitions harmonieuses et vastes », grâce à un plan d’urbanisme « ambitieux par son ampleur, sa logique et ses prévisions ». L’hygiène, le confort urbain, et aussi « le sens de la beauté, le désir de l’esthétique par des réalisations susceptibles d’embellir l’existence afin de la rendre digne d’être vécue »... ont fait « d’Istres la perle incomparable de l’Etang de Berre »78. Avec un style plus mesuré, Gouin fera paraître, en 1935, le bilan de son action municipale dans une brochure publiée par Les Cahiers du Sud : « Istres, bel Istres »79.

  • 80 Une vingtaine, parmi lesquels Sixte-Quenin, Albertin, Tasso, Léon Bon, Rémi Roux, etc...

72Le 22 juillet 1934, donc, un dimanche, Istres est le rendez-vous non seulement des élus S.F.I.0. du département80, mais le centre d’un rassemblement de fête populaire dont le programme détaillé énumère les manifestations : Concert public par la musique municipale, grand « banquet démocratique », bal nocturne pour la jeunesse, sans oublier – délicate attention – « le concert de gala offert aux dames d’Istres ».

  • 81 Cf. sur cette cérémonie le programme et le compte-rendu dans le P.P. des 17, 21 et 23 juillet. Plus (...)
  • 82 Le dimanche 23 novembre 1924, à l’époque du Cartel des Gauches.

73Mais le temps fort de la journée, c’est la double inauguration prévue en fin de matinée. A dix heures, les deux plus jeunes militants de la section socialiste d’Istres retirent le voile qui couvre « le buste en pierre de Jeun Jaurès dû au ciseau prestigieux du sculpteur Eichacker, aux arêtes vives et nettes, au torse aussi puissant que le verbe.... le premier consacré dans les Bouches-du-Rhône » à la mémoire du leader socialiste81. A l’apparition de « ce pur chef d’oeuvre », éclate « une Internationale vibrante », puis, après deux brèves allocutions, « notre talentueux camarade Jean Dorgel » déclame « le pur poème de la comtesse de Noailles sur la mort de Jaurès et lit la page splendide qu’avait écrite Léon Blum à l’occasion du transfert des cendres du grand tribun au Panthéon »82.

  • 83 Cf. P.P., 23 juillet ; F. GOUIN, op.cit., p. 149, et photos dans les annexes 4 et 5).

74Or, pendant que se déroule cette cérémonie d’une « sobriété toute athénienne », Léon Blum en personne, est présent à Istres. Cette présence constitue l’événement majeur de cette journée, ainsi que le grand discours qu’il prononce, l’après-midi, dans la nouvelle salle des fêtes, inaugurée en même temps que le monument Jaurès. C’est l’oeuvre de Gaston Castel, « conçue dans un style vigoureux et ample », dont le livre de Félix Gouin décrit, l’année suivante : « les lignes pures, la masse harmonieuse, les proportions heureuses et hardies »83.

  • 84 L’oeuvre de René Seyssaud (1867-1952) qu’un critique du Temps saluait déjà, le 27 avril 1901, comme (...)

75L’architecture de Castel est agrémentée par la décoration d’un autre sculpteur régional, Antoine Sartorio dont on admire « les panneaux finement ciselés » et par celle des peintres, Poggioli, professeur à l’Ecole des Beaux-Arts, et, surtout, par le « Maître Seyssaud »84.

  • 85 P.P., 23 juillet.

76Mais, dans l’immédiat, c’est le discours de Blum qui retient l’attention générale. De sa voix toujours un peu « assourdie »85, le chef de la S.F.I.O. évoque tout naturellement ses liens privilégiés avec Jaurès, ses souvenirs personnels depuis l’Affaire Dreyfus jusqu’au jour où il le vit pour la dernière fois, le 29 juillet 1914, à la gare du Nord, lors de son départ pour Bruxelles.

  • 86 Enterinée, à une large majorité, par le Conseil National S.F.I.O., siégeant à Paris, à huis clos, e (...)

77Bien sûr, après cet hommage, c’est l’actualité politique du moment qui permet à Blum de faire preuve de sa dialectique et de sa virtuosité par le jeu des parallélismes historiques : 1904 – 1914 – 1934 apparaissent ainsi comme des jalons répétitifs de l’unité socialiste et de la lutte contre la guerre. L’allusion au Congrès d’Amsterdam et aux querelles de l’époque entre Guesde et Jaurès est très claire. Elle concerne aussi bien la dissidence encore récente des « néos », que, surtout, la réconciliation, encore plus proche, entre socialistes et communistes, le 15 juillet86.

  • 87 P.P., 23 juillet.

78Quelles que soient ses réticences et celles de beaucoup d’autres dirigeants socialistes sur cet accord, Léon Blum accepte cependant cette dynamique unitaire parce qu’elle est indispensable dans la lutte contre le fascisme inséparable elle-même de la lutte pour les libertés, contre la crise et pour la paix. « Jaurès, conclut-il, disait que l’arme la plus sûre contre la réaction c’est l’unité prolétarienne. Nous ne disons pas autre chose »87.

  • 88 C’est le sous-titre de l’article publiée dans le P.P. du 23 (p. 10).
  • 89 Ibid., Jaurès lui-même avait fait une conférence sur « L’Art et le Socialisme », le 18 avril 1900 a (...)

79Dans cette cérémonie placée « sous le signe de Jaurès »88 de l’unité et de la paix, la politique, toutefois, ne prime pas tout et Léon Blum, dont il ne faut pas oublier qu’il fut, dans sa jeunesse, l’esthète raffiné de La Revue Blanche, ne manque pas d’apprécier publiquement, et pas seulement par courtoisie, les oeuvres de Castel et d’Eichacker ainsi que, d’une façon générale, toute l’oeuvre d’urbanisme réalisée par Gouin qu’il félicite d’avoir démontré, à Istres, « que le Socialisme, quoique on en dise, n’était pas l’ennemi du beau »89.

  • 90 Bien que le terme n’y figure pas.

80Et Félix Gouin, lui-même, dont la véritable modestie et la familiarité politicienne à la fois, ne laissaient pas deviner, au premier abord, sa profonde culture – Gouin lisait les classiques grecs dans le texte et était passionné de problèmes théologiques – insistera longuement sur ce thème, que nous appellons aujourd’hui couramment culturel, dans sa brochure citée plus haut90.

  • 91 Dans le chapitre XVII.

81Bien évidemment, cette brochure n’est pas dépourvue, non plus, de préoccupations électorales puisqu’elle dresse un bilan de la gestion de Gouin à la veille des élections communales de 1935. Mais certains passages méritent d’être cités à partir du projet et de la réalisation de la salle des fêtes et du plan, plus global, des grands travaux urbains91.

  • 92 Deux salles privées.

82Abordant le chapitre des salles publiques, Félix Gouin rappelle l’exiguité des deux locaux antérieurs92 dont disposait Istres et il ajoute :

  • 93 C’est nous qui soulignons ce terme utilisé par Gouin.
  • 94 Op.cit., pp.147 à 155.

« Ici, encore, fidèles à nos méthodes, nous avons voulu faire grand... Ce qui nous a valu d’acerbes critiques et d’amères récriminations...
Nous permettra-t-on de donner nos raisons ? [...]
Istres est un centre rural qui présente certaines particularités qui ne ressemblent à aucune autre.
D’abord sous le rapport de sa vitesse d’accroissement, il ne peut être comparé à aucun village de notre région.
Nous avons même déjà franchi ce stade, puisque l’on peut dire aujourd’hui qu’Istres n’est plus un village mais une vraie petite ville.
La population de 7.000 habitants qui l’habite est de plus une population de qualité.
Nos concitoyens ont toujours été d’esprit ouvert, d’intelligence vive ; leurs sens de la sociabilité93 est très aigu.
Ajoutons à cela que la présence continue d’un nombre respectable d’officiers et sous-officiers de l’Aviation, gens instruits et généralement de condition aisée, fait de notre pays un centre dont l’intellectualité est très certainement au-dessus de la moyenne que l’on observe même dans les communes plus importantes que la nôtre..
A ces divers points de vue, on conçoit combien il était nécessaire de doter Istres d’une Salle des Fêtes, qui soit au diapason d’une population délicate et fine. [...]
Il importait que cette salle soit de vastes proportions car Istres peut encore prospérer et grandir [...]
Dira-t-on que nous avons eu tort, ayant vu grand, de faire trop beau...
Réponse facile et justification aisée.
Le peuple a droit à la beauté et ceux qui ont l’honneur de le représenter ne doivent jamais hésiter à donner aux oeuvres consacrées à la collectivité ce cachet d’art qui constitue la plus belle parure de nos Cités. Nous sommes les fils de la Grèce antique ; dans notre sang bouillonne encore le génie latin : c’est de cette double origine que nos populations tirent le goût très sûr des belles choses ; le sens élevé de ce qui est noble et pur : le besoin en quelque sorte physique de la beauté plastique [...]
C’est enfin pour notre population la joie et l’orgueil de montrer à nos visiteurs étrangers qu’à Istres, on a conçu pour le peuple de grandes et belles choses, qui témoignent que le Socialisme n’est pas seulement une question de ventre, mais qu’il fait aussi leur part aux sentiments les plus nobles et les plus élevés.
J’ose dire : que pèse devant tout cela, le côté pécuniaire et matériel, et comment ne rougirait-on pas d’abaisser à cette seule question, un problème aussi élevé ?
Aussi bien, j’ai trop confiance dans le bon sens et l’esprit clair de nos concitoyens pour insister davantage : Istres n’est pas mûre encore pour devenir la capitale de la Béotie ! »94.

  • 95 Dans les cabinets Blum et Ramadier, à l’époque même où le premier plan français entre officiellemen (...)
  • 96 Qui fit enlever la statue de Jaurès, une deuxième fois victime de la guerre ! Après la Libération, (...)

83Ainsi Félix Gouin, « Paulfauriste » et pacifiste, soucieux de ne choquer aucune tendance de son parti, puisqu’il fait baptiser du nom de Jules Guesde la place qui s’orne désormais du Monument Jaurès, demeure, comme Blum, dont il ignore encore qu’il sera, quelques années plus tard, l’avocat à Riom puis le porte-parole à Londres, fidèle à la doctrine socialiste orthodoxe, mais démontre, dans un cadre municipal, les bienfaits d’une planification bien comprise étalée sur douze ans. Il ignore aussi, lui-même, que douze ans plus tard, il participera à la tête du gouvernement provisoire, au grand effort planificateur amorcé par Jean Monnet, et qu’il sera peu après, en 1947, ministre du Plan95. Quant à sa magistrature istréenne, elle se prolongera jusqu’en 1958, ce qui représente une gestion de 32 ans, compte-tenu évidemment de l’interruption du gouvernement de Vichy96. Rappelons, à ce sujet, que Félix Gouin fut le seul des parlementaires des Bouches-du-Rhône à voter contre les pleins pouvoirs accordés au Maréchal Pétain en juillet 1940.

  • 97 D’après le dernier bulletin municipal. A la croissance urbaine et à la promotion administrative, s’ (...)
  • 98 Cf. E. BENEZIT, op.cit., t. 7, p. 734 : Paysage provençal : Bords de l’Etang de Berre coucher de so (...)

84Ses efforts inspirés par un amour réel du pays natal porteront leurs fruits : Istres, qui dépasse aujourd’hui les 30.000 habitants97, a obtenu la consécration, aux dépens de Martigues, d’être érigée en nouvelle sous-préfecture des Bouches-du-Rhône. La rive Nord de l’Etang de Berre, fort différente de celle que peignait précisément, en mars 1934, René Seyssaud98, l’a emporté sur la rive Sud, elle-même aux antipodes des paysages vus par Ziem !

  • 99 Yves DAUTIER et Geneviève NEGREL « Berre, Istres, Martigues, éléments d’analyse urbaine et architec (...)
  • 100 Op.cit., pp.167 et 156 (photo aérienne).
  • 101 « Cité modèle » disait déjà Léon Bon, le 22 juillet 1934, comme en écho aux slogans actuels.

85L’urbanisme moderne, comme le souhaitait Félix Gouin, s’est heureusement agencé autour du village perché originel d’Istres « dont la remarquable qualité de l’architecture » est soulignée par des spécialistes99 tant pour la vieille ville que pour ses prolongements contemporains, « la manière, par exemple, dont les H.B.M. construits en 1927-1928 s’inscrivent dans le site »100. Modèle de « réussite »101, en tant que cité, Istres l’est aussi pour l’importance et la qualité de sa vie associative. Celle-ci s’épanouit mieux, sans doute, dans le cadre d’une ville moyenne.

* * *

86Pour revenir, après tant de détours, à notre propos initial, on peut affirmer sans exagération que le militantisme souvent contestataire d’Eichacker et le militantisme à la fois doctrinaire et gestionnaire de Félix Gouin – sans oublier les autres maîtres d’oeuvre, Gaston Castel, en premier lieu, ont pu heureusement s’harmoniser dans le cas précis de la ville d’Istres.

  • 102 Dont nous remercions particulièrement le président, M. René GIROUSSENS. Notre gratitude va égalemen (...)

87Nous nous garderont bien, cependant d’en tirer des conclusions catégoriques, car il faut faire la part évidente des amitiés politiques, des relations personnelles, du vécu quotidien de l’époque et aussi des aléas de la postérité. Ainsi, en raison de sa croissance et des « besoins culturels » nouveaux liés aux progrès ultra-modernes de la technique audio-visuelle, la jolie salle des fêtes de Castel, devenue trop petite a été remplacée par l’actuel Théâtre de l’Olivier, au grand regret, du reste, de la Société des Amis du Vieil Istres102.

  • 103 Cf. 1848, Les Utopismes Sociaux, volume publié sous la direction de Maurice AGULHON par la Société (...)

88Tout au plus pourrait-on s’interroger, d’une façon générale, sur les fonctions et les responsabilités de l’architecte. Ce dernier serait-il le plus apte, peut-être, à synthétiser le matériel et le conceptuel, soucieux de bâtir en même temps la meilleure habitation concrète pour l’homme et d’imaginer les plans de la société idéale pour l’humanité ? Sans proclamer comme Victor Considérant, que c’est « l’architecte qui construit l’Histoire », on ne peut ignorer cette double aspiration qui, du fouriériste César Daly au progressiste Le Corbusier, du Palais Ouvrier, cher à Flora Tristan, jusqu’à la Cité Radieuse, n’a jamais cessé de se manifester dans l’évolution de la pensée politique et sociale française103.

89Qu’on me permette d’apporter une note personnelle, en terminant cet article où l’hommage amical a plus d’importance que l’érudition historique. Ces journaux que je feuillette si fréquemment au fil d’une recherche précise ou d’une simple vérification, je les ai déjà lus, sans doute, à l’âge de dix ans, en 1934 – leurs pages jaunes de la chronique sportive surtout – et les noms d’Antonin Magne, de René Vietto ou de Goerges Speicher m’étaient certainement plus familiers à cette époque que ceux de Doumergue, de Tardieu, de Blum, d’Herriot et même de Jaurès. A plus forte raison ceux de Gouin ou de Bergery dont Pierre Guiral, que j’imagine alors jeune professeur passionné par cette actualité, m’a souvent parlé, mêlant lui-même ses souvenirs à ses préoccupations ultérieures d’historien de la presse, d’historien biographe, d’historien de la pensée politique et de la vie culturelle, d’historien de la Provence, enfin.

  • 104 Cf. le tome XX, Le Monde en devenir, Histoire évolution, prospective, 1ère partie : L’Histoire, cha (...)

90Et comme le hasard – inséparable en Histoire comme ailleurs de la nécessité – fait décidément bien les choses, voici que je découvre dans Le Petit Provençal du 23 juillet 1934, un article en première page intitulé « Un bilan de la Civilisation contemporaine » : L’Encyclopédie française, et signé par un certain Jean Mélène – dont j’ignore tout. Il présente le premier volume de la vaste collection entreprise à l’intiative d’Anatole de Monzie, dont Pierre Guiral, futur collaborateur de cette Encyclopédie104, écrira son chapitre, bien des années plus tard, en 1958-1959, dans une conjoncture également tourmentée où, à travers le drame algérien, le problème de la révision de la Constitution et du renforcement de l’exécutif, qui effrayait tant les parlementaires de 1934, fut radicalement tranché.

91L’auteur de l’article faisait, il y a un demi-siècle, l’éloge d’une oeuvre qu’il présentait comme « un modèle de l’humanisme démocratique., aux antipodes d’un fascisme régressif pour qui l’anéantissement de l’originalité individuelle est l’essentielle condition du despotisme... La société ne doit pas écraser l’individu mais, au contraire, l’affranchir ».

92Pierre Guiral ne sera pas, je pense, en désaccord avec cette conclusion que je fais mienne, non seulement par un artifice de commodité rédactionnelle, mais aussi et surtout par adhésion profonde à son principe même.

Annexes

Abréviations :

P.P. : « Le Petit Provençal ».

D.B.M.O.F. : « Dictionnaire Biographique du Mouvement Ouvrier Français ».

Notes

1 Cf. B.O. du 9 mai 1985, n° 19, p. 1539, texte adressé aux Recteurs, inspecteurs d’Académie, chefs d’établissements du second degré, directeurs d’écoles.

2 La ville de Marseille vient de donner officiellement le nom de Pierre Mendès-France à une partie de la Promenade de la Plage (8 juillet 1985).

3 M. KELLER, professeur de Sciences sociales et politiques aux Universités de Genève et de Lausanne, in La Gazette de Lausanne, 31 juillet-1er août 1982.

4 Le 8 mars 1953.

5 D’après une photo de 1903 ! Cf. Pierre DAIX, J’ai cru au Matin, Paris, 1976, Robert Laffont, pp.317 et suivantes, ainsi que le chapitre intitulé « Don Pablo », à partir de la page 320.

6 N° 131, avril-juin 1985 : L’expression plastique au XIXe siècle. Regards d’aujourd’hui, préfacé par Madeleine REBERIOUX qui avait déjà, dirigé, il y a dix ans un numéro spécial (91) de cette revue sur le thème Militantisme et Culture Ouvrière.
On retiendra notamment les articles de Gérard VINCENT : « L’historien face au tableau », de Marie-Claude GENET-DELACROIX : « Esthétique officielle et art national de la IIIe République », celui de Chantal MARTINET : « Les historiens et la statue », qui rejoint plus particulièrement notre sujet.

7 Numéro d’avril 1914 (journal alors mensuel). U.C.S.O. signifie : Union des Chambres Syndicales Ouvrières, liée à la Bourse du Travail, car l’U.D.-C.G.T. vient à peine de naître.

8 Syndicaliste révolutionnaire à la C.G.T., mais aussi membre de la S.F.I.O. à Marseille.

9 Que ce dernier édifiera, beaucoup plus tard, au Pharo, après la guerre.

10 Valère BERNARD, l’auteur de Bagatouni, poète populaire provençal, mais aussi peintre et graveur remarquable, dont un Comité a célébré en 1986, le cinquantième anniversaire de la mort. Cf. : G. RICARD et P. NOUGIER, Approche de la vie et de l’oeuvre de Valère Bernard (1987).

11 Dessins et lithographies, exemplaire numéroté, 49 p.

12 Cf. sa biographie in D.B.M.O.F., t. 14, pp.243-244 et notre article in revue Marseille, n° 65, octobre-décembre 1966, pp.97-99.

13 Cf. Marie MAURON, Antoine Serra, sa vie, son oeuvre (préface du professeur Audier), Catalogue avec la reproduction de 47 de ses oeuvres exposées, sous les auspices des « Amis de Serra », du 23 au 25 novembre 1984, à l’Institut italien de Marseille ; sur son activité militante, cf. les thèses inédites de Madeleine BAUDOIN : Témoins de la Résistance en R.2, Aix-en-Provence, 1978, et Marcel BERNARD, Les Communistes dans la Résistance, Marseille et sa région, Aix-en-Provence, 1982. Serra fut condamné aux Travaux forcés à perpétuité par la Justice de Vichy et traqué par sa police.

14 Cf. la thèse inédite de René BIANCO, Le Mouvement anarchiste à Marseille et dans les Bouches-du-Rhône, 1880-1914, Aix, 1977.

15 Cf. P.P., 15 novembre 1934. Le groupe a été créé par les peintres Louis Toncini et Léon Cadenel, entre autres. Il se transforma – en 35-36 – en « groupe des peintres du peuple », appellation moins agressive ; cf. PP., de nouveau, en février 1936, et aussi, Rouge-Midi, 22 mai.

16 Le 12 juillet 1985, à la Galerie Berlioz.

17 Association des Ecrivains et Artistes Révolutionnaires.

18 En présence d’Aragon, Giono et autres intellectuels ou artistes. Si l’entrée de la Maison de la Culture était rue Sainte, on communiquait par des couloirs avec l’atelier de Léon Cadenel ; ce dernier est mort en 1985.

19 « Le Daumier – Facteur », comme on le surnommait à l’époque. Sur cette période, ce quartier, ces peintres, cf. Louis Blin, La Bohème à Marseille, Ed. Aubanel, Avignon, 1946 (216 p.). Cf. surtout : André-M. ALAUZEN, La Peinture en Provence du XVIe siècle à nos jours, nouvelle édition en 1984, et du même auteur : son livre sur Ambrogiani et son Dictionnaire des peintres et sculpteurs de Provence Alpes-Côte-d’Azur (1986) ainsi que le Fonds Alauzen aux Archives Départementales des Bouches-du-Rhône, (31 F).

20 A l’exception des cinq premiers exemplaires. L. Cadenel fut, avec Jean Lartigue (mort en 1987), le pionnier de cette Maison et de son journal. Très engagé politiquement à l’extrême-gauche, il fut en même temps "un chercheur, animateur, explorateur des arts plastiques " : A. M. ALAUZEN, La peinture en Provence..., op.cit., p. 381. Sur Cadenel et les peintres marseillais, nous remercions également pour ses informations précieuses, M. Francis-J.P. Chamant, directeur de la Revue Marseille et secrétaire perpétuel de l’Académie de Marseille.

21 Op.cit., page 190. Le chapitre XXV, consacré à Diana, s’intitule : « Un philosophe ».

22 Ibid., p. 191.

23 D’après les souvenirs de François Diana.

24 Tous deux Grand Prix de Rome, Elie-Jean Vezien dirigea l’Ecole des Beaux-Arts de Marseille pendant une vingtaine d’années jusqu’en 1961. Membre de l’Académie de Marseille, il est mort le 7 septembre 1985.

25 Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs, nouvelle édition en dix volumes, Paris, 1976, Gründ.

26 Le Méridional – La France, 26 juin 1961, Botinelly vient d’obtenir le Grand Prix de l’Institut pour l’ensemble de son oeuvre et le Prix Paul Chabas, « récompense exceptionnelle », généralement réservée à un peintre. Le Mercure de France (25 juin) approuve également cet « exemple le plus valable de la décentralisation artistique ». Cf. aussi, Le Provençal du 24 juin, et la revue Marseille, n° 46, octobre-décembre 1961.

27 Renseignements communiqués par les Services de l’Etat-Civil de Marseille et d’Avignon que nous tenons à remercier ici. Eichacker était sans doute d’origine alsacienne ou suisse.

28 Antoine Sartorio a été récompensé en 1980 par l’Académie de Marseille pour l’ensemble de son oeuvre de sculpteur qui est importante. Notons seulement sa contribution au monument érigé à la mémoire des Morts d’Orient, à Marseille. Sartorio, qui avait fêté son centenaire en 1985, dans sa retraite de Jouques (Bouches-du-Rhône) nous avait adressé une lettre très émouvante sur ses souvenirs, concernant, notamment, Eichacker. Il est décédé, à 103 ans, le 18 février 1988.

29 Cf. Louis BLIN, op.cit., pp.47-48.

30 Cf. André-M. ALAUZEN, op.cit., nouvelle édition, p. 373.

31 Ex-trésorier fédéral S.F.I.O. avant la guerre, puis conseiller municipal, Léon Baudou, qui est décédé en 1971, nous avait aimablement guidé, en 1954, dans nos premières recherches ! Pour tous les autres militants politiques cités, cf. D.B.M.O.F. (t. 29 paru en 1987). Pour Baudou, cf. t. 18, pp.246-247.

32 Catalogue que nous avons pu consulter chez notre confrère de l’Académie de Marseille, Albert Détaille.

33 « Eichacker... un personnage extraordinaire... très secret au caractère entier... fermé, sauvage, se liant difficilement, refusant toute familiarité », tels sont les souvenirs de François Diana qui a rencontré souvent, mais, finalement, peu connu, son aîné de vingt ans dont il appréciait, lui aussi, le talent.

34 Voir dessin en annexe 2.

35 Avec Jean Giono et Marcel Brion, entre autres. Cf. Bibliographie de la presse française politique et d’information générale, 1865-1914, 13 Bouches-du-Rhône par Jean WATELET (préface de P. Guiral et A. Olivesi), Paris, Bibliothèque Nationale, pp.64 et 256. La Criée parait entre 1921 et 1925 et Les Taches d’Encre jusque vers 1930.

36 Cf. D.B.M.O.F., t. 23, p. 374 et, pour CHAUSSABELLE, t. 22, p. 189.

37 Renseignements communiqués par Pierre Broué, professeur à l’Université de Grenoble II. Cf aussi, D.M.B.O.F., t. 27, pp. 16-17.

38 Cf. Jean-Paul JOUBERT, Révolutionnaires de la S. FJ. O., Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, Paris, 1977, chapitre IV.

39 Architecte en chef du département, entre les deux guerres.

40 Raoul BUSQUET et Emile ISNARD, in revue Marseille, n° 16, janvier-mars 1952, p. 6. Frise remise à neuf dans le cadre des travaux effectués pour célébrer le Bicentenaire de l’Opéra. Cf. sur ce point, L’Opéra de Marseille, 1787-1987, ed. Jeanne Laffitte, ainsi que C. HARRIS et P. TACUSSEL, Opéra à Marseille, 1685-1987.

41 Il est ministre des Travaux publics dans le gouvernement Poincaré.

42 Eichacker travaille avec cinq autres sculpteurs, Marseille, revue citée, p. 74.
Cf. aussi, ibid., n° 136, deuxième trimestre 1984, l’article de G. MONNIER : « Deux chantiers de sculptures monumentales à Marseille en 1925 », pp.20 à 51.

43 Ibid., n° 16, p. 84. Eichacker était en bons termes avec Henri Tasso.

44 Mes remerciements s’adressent également à Ello Castel.

45 Cf. Le Provençal du 18 octobre 1959 (photo d’Eichacker).

46 Entretien avec M. Emile la croix, expert en tableaux, dont le vaste atelier, cours d’Estienne d’Orves est tout proche de celui qu’occupa longtemps Eichacker.

47 Série d’articles signés GY, dans le P.P., en mai-juin 1934.

48 Au Salon de Provence, grande manifestation artistique officielle et mondaine organisée chaque année par Brémond alors directeur de l’Ecole des Beaux-Arts et président du Groupe des Artistes de Provence.

49 Cf. D.B.M.O.F., t. 19, pp.363-366, pour la biographie de Leon Bon.

50 Charles Baron (1876-1940) est le type même du savant devenu homme politique. D’une vieille famille provençale, très lié à Henri Tasso, cet ingénieur chimiste devenu un inventeur de réputation internationale était alors député S.F.I.O. des Basses-Alpes. Cf. sa biographie in D.B.M.O.F., t. 18, pp.151-152.

51 Avec des maxima de 30° à l’ombre, à 13 heures, selon les bulletins météorologiques publiés par les quotidiens locaux, le 21 juillet 1934, à Marseille, après plusieurs semaines de chaleur intense et de sécheresse.

52 C’est « La Nuit des Longs Couteaux ».

53 Le 1er août 1934.

54 Cf. sur ces problèmes, notamment Philippe ROBRIEUX, Histoire intérieure du Parti Communiste, t. 1 et 4, Paris, Fayard, 1980-1984 ; cf. aussi 1934 Fascisme ou Front Populaire, n° 18 des « Cahiers d’Histoire de l’I.R.M. », Paris, juillet août-septembre 1984, notamment l’introduction de Roger MARTELLI sur « Le P. C.F., l’internationale et la France » et des extraits des « Archives communistes » présentés par Danielle TARTAKOWSKY, ainsi que l’article de Jocelyne PREZEAU sur « Le mouvement Amsterdam-Pleyel (1932-1934), un essai de Front unique » ; cf. aussi Branko LAZITCH, « La stratégie du Komintern », in L’Histoire, n° 58, « Les années trente de la crise à la guerre », juillet-août 1983, pp.30 à 38.

55 L’expression est de Trotsky, dans un article publié en juillet 1934. Cf. J. P. JOUBERT, op.cit., pp.50 et 280 (note 3).

56 Dont on a fêté, en 1986, le cinquantième anniversaire ! Le trentième évoque pour Pierre Guiral et moi-même, une série de publications, d’enquêtes et de conférences réalisée ensemble, il y a déjà vingt ans, dans le cadre marseillais. Quant à la postérité du mot front, nul n’ignore la multiplication, dans le monde entier, de fronts devenus, le plus souvent, nationaux. Mais, là encore, la signification n’est pas toujours la même !

57 Dans son discours d’Aurillac où le Président de la République inaugure un monument sculpté dans le granit à la mémoire de Paul Doumer, en ce même dimanche 22 juillet.

58 C’est le titre de l’article de Joseph Barthélémy, qui évoque, le 13 novembre 1934, les précédents de 1871 et de 1917. Cf. sur ce point, l’article de Judith-Danielle JACQUET, « La réforme de l’Etat vue par Le Temps », in 1934, op.cit., p. 138.

59 Tardieu attaque Chautemps à la commission d’enquête sur l’affaire Stavisky. Les ministres radicaux menaçent de démissionner. « Ce sera lui (Tardieu) ou moi ! » s’exclame Herriot (P.P., 19 juillet).

60 En 1935, Sur Bouisson.cf. D.B.M.O.F., t. 11, pp. 14-15.

61 Discours cité.

62 Ministre des Finances dans le cabinet Doumergue, qui est vivement accroché, à la Chambre, par un jeune député radical, Pierre Mendès-France. Cf. P.P., 28 juin et Jean LACOUTURE, Pierre Mendès-France, Seuil, Paris, 1981, pp.78-79.

63 Qui régente pendant 30 ans, l’orthodoxie monétaire en France de Poincaré à de Gaulle. En revanche, des libéraux lucides comme Paul Reynaud, qui défend la stratégie militaire de ce dernier, encore inconnu, et qui a le courage de demander une dévaluation du franc à un moment qu’il estime favorable, se trouvent isolés. Cf. son discours à la Chambre le 28 juin 1934.

64 Le plan des grands travaux contre le chômage d’Adrien Marquet, député-maire « néo » de Bordeaux, ministre du Travail, est voté par la Chambre le 5 juillet 1934 à la veille du décret de clôture. Mais il est jugé, en général, incomplet et décevant.

65 Sur tous ces problèmes, cf. Claude PAILLAT, Dossiers secrets de la France contemporaine, tome 3, « La guerre à l’horizon, 1930-1938 », Robert Laffont, Paris, 1981. En particulier les différents courants planistes français, l’influence d’Henri de Man, le plan du 9 juillet 1934, sous les auspices de Jules Romains – né il y a un siècle – la première conférence internationale des plans, à Pontigny en septembre, et surtout l’activité du « Groupe X Crise » où se rencontre la jeune génération des futurs technocrates, venus des horizons les plus divers (Chapitres 5, 6 et 12). Beaucoup se retrouveront, après la guerre, autour de Jean Monnet.

66 « La Révolution Roosevelt », c’est le titre du livre que Georges BORIS vient de publier chez Gallimard et que Vandervelde qualifie d’« excellent » dans une tribune libre qu’il publie dans le P.P. du 6 juillet.

67 Jacques Duboin, Jean Nocher, notamment.

68 Surtout du côté des « néos » auxquels Le Petit Provençal ouvre largement ses colonnes (vingt tribunes libres, environ en cinq semaines) ce qui n’empêche pas son directeur, Vincent Delpuech, d’être présent au banquet d’Istres. Ainsi Marcel Déat définit « le Socialisme en trois fomules » (27 juin 1934) tandis que Compère-Morel cherche une voie médiane autre que la république décadente « entre la dictature et la révolution » (2 août).

69 Cf. un rebondissement récent de la polémique à propos de la planification, in Cahier et Revue de l’Ours, n° 148, févirer 1984, où, dans un article intitulé Planification et socialisme, Philippe DEHAN dénonce « le rôle mystificateur... et le mythe de la planification socialiste » au début des années 30. Il met en cause, notamment. De Man et Goerges Lefranc (pp.57-61). Ce dernier lui répond longuement dans le n° 152 (juin-juillet 1984), pp.58-60, et la controverse se poursuit dans le n° 154 (octobre 1984), p. 71. G. Lefranc est décédé en 1986.

70 P.P., 14 mai.

71 Cf. intervention de Rémi ROUX in Compte-rendu imprimé des débats du XXVIe Congrès national S.F.I.O. de Toulouse, 20-23 mai 1934, pp.155-157, Bibliothèque de l’O.U.R.S., Paris.

72 Cf. 1934, op.cit., pp.5 et 83.

73 Ibid., p. 45.

74 P.P., 14 mai, article cité, avec la photographie du buste de Léon Bon.

75 Ex-place Cheylan. Cf. P.P., 4 juin 1934 ; le médaillon à l’effigie de Cadenat ne sera sculpté qu’après la guerre. Pour la biographie de Cadenat, cf. D.B.M.O.F., t. 22, pp.37 à 40.

76 Où quelques semaines plus tard, de même, par ordre de la municipalité sabianiste, le grand meeting prévu par les Mouvements de gauche pour commémorer, place Bernard Cadenat, le 20ème anniversaire de la mort de Jaurès – associé au quatrième de celle de Cadenat – est interdit au dernier moment, et oblige les manifestants à se regrouper dans un boulevard voisin (P.P., 4 août 1934).

77 En date du 17 juillet 1934. Il est vrai que Gouin milite alors depuis plus de trente ans.

78 P.P., 17 et 21 juillet.

79 Avec en sous-titre : Douze années de gestion socialiste, Marseille, 1935, 184 p. (imprimerie Mistral, Cavaillon) Cf. annexe 3.

80 Une vingtaine, parmi lesquels Sixte-Quenin, Albertin, Tasso, Léon Bon, Rémi Roux, etc...

81 Cf. sur cette cérémonie le programme et le compte-rendu dans le P.P. des 17, 21 et 23 juillet. Plusieurs photographies nous montrent notamment Blum en tenue estivale, pantalon clair et panama. Il est, après tout, député d’un départment méridional, l’Aude ! Seul, Gouin, en costume sombre, chapeau noir à la main, fait contraste. D’une façon plus générale, cf. M. AGULHON, « Une contribution au souvenir de Jean Jaurès, les monument en place publique », in M. REBERIOUX : Jaurès et la classe ouvrière, Paris, les Editions Ouvrières, 1981, pp.169-182.

82 Le dimanche 23 novembre 1924, à l’époque du Cartel des Gauches.

83 Cf. P.P., 23 juillet ; F. GOUIN, op.cit., p. 149, et photos dans les annexes 4 et 5).

84 L’oeuvre de René Seyssaud (1867-1952) qu’un critique du Temps saluait déjà, le 27 avril 1901, comme un « Maître »... un Provençal farouche et solitaire qui ne s’apparente à personne, qui ne fait partie d’aucun groupe, et qui ne doit rien qu’à lui-même, est devenu, à partir de 1902, « l’ermite de Saint-Chamas », ville voisine d’Istres. Précurseur du fauvisme, mais représentant le plus caractéristique, surtout, des indépendants, il a peint entre autres, « des travailleurs brûlés par le soleil » comme l’a écrit André VILLARD (Histoire de Provence, collection Univers de la France, Toulouse, 1969, Privat, p. 547). Ces travailleurs sont surtout des paysans ou des paysannes, bêchant ou labourant leurs champs, des ramasseuses de lavande ou des faucheurs de coquelicots. Cf. E. BENEZIT, op.cit., et André ALAUZEN, La peinture en Provence, où l’on trouve par ailleurs, des lignes consacrées à Antoine Poggioli, professeur, en 1934, à l’école des Beaux-Arts.

85 P.P., 23 juillet.

86 Enterinée, à une large majorité, par le Conseil National S.F.I.O., siégeant à Paris, à huis clos, et officiellement ratifiée le 27.

87 P.P., 23 juillet.

88 C’est le sous-titre de l’article publiée dans le P.P. du 23 (p. 10).

89 Ibid., Jaurès lui-même avait fait une conférence sur « L’Art et le Socialisme », le 18 avril 1900 au Théâtre de la Porte Saint-Martin à Paris.

90 Bien que le terme n’y figure pas.

91 Dans le chapitre XVII.

92 Deux salles privées.

93 C’est nous qui soulignons ce terme utilisé par Gouin.

94 Op.cit., pp.147 à 155.

95 Dans les cabinets Blum et Ramadier, à l’époque même où le premier plan français entre officiellement en vigueur (1er janvier 1947). Cf. biographie de Gouin (1884-1977) in D.B.M.O.F., t. 30, pp.168-173, par A. Olivesi.

96 Qui fit enlever la statue de Jaurès, une deuxième fois victime de la guerre ! Après la Libération, une plaque fut apposée pour mentionner ce fait, mais le buste sculpté par Eichacker, dégradé, plus ou moins bien restauré, fut, de surcroît, transféré par la suite aux actuelles Allées Jean-Jaurès.

97 D’après le dernier bulletin municipal. A la croissance urbaine et à la promotion administrative, s’ajoute la promotion sportive : Istres débute, en 1985-1986, dans le Championnat de France professionnel de 2ème division, en football, et y rattrape aussi Martigues ! Mais en 1987, Istres n’est pas épargné, non plus, par la crise économique.

98 Cf. E. BENEZIT, op.cit., t. 7, p. 734 : Paysage provençal : Bords de l’Etang de Berre coucher de soleil (collection privée).

99 Yves DAUTIER et Geneviève NEGREL « Berre, Istres, Martigues, éléments d’analyse urbaine et architecturale », in Inventaire général des Bouches-du-Rhône, numéro hors série de la revue Marseille, 1978, pp.154-172.

100 Op.cit., pp.167 et 156 (photo aérienne).

101 « Cité modèle » disait déjà Léon Bon, le 22 juillet 1934, comme en écho aux slogans actuels.

102 Dont nous remercions particulièrement le président, M. René GIROUSSENS. Notre gratitude va également à Robert MENCHERINI, Professeur d’Histoire au lycée d’Istres.

103 Cf. 1848, Les Utopismes Sociaux, volume publié sous la direction de Maurice AGULHON par la Société d’Histoire de la Révolution de 1848 et des Révolutions du XIXe siècle, Paris, Désès, 1981. On lira notamment l’article de Bernard MARREY, « L’esthétique et les Utopistes », pp. 193-218.

104 Cf. le tome XX, Le Monde en devenir, Histoire évolution, prospective, 1ère partie : L’Histoire, chapitre VIII, L’apport de l’histoire biographique, par Pierre GUIRAL, pp.20-16-8 à 20-16- 16, Paris, 1959, Larousse.

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