De l’histoire militaire aux études de défense

1Est-il nécessaire de justifier la présence d’une contribution axée sur l’histoire militaire et les études de défense, dans un recueil d’hommages consacré à un maître de la pensée politique ? Si tel était le cas, il suffirait de rappeler que, pour l’historien, la réflexion ne se sépare pas de l’action et la pensée d’une pratique. Ceux qui ont eu la chance de suivre l’enseignement de Pierre Guiral en ont été très tôt convaincus.

2D’autres raisons expliquent ce choix : le rôle de Pierre Guiral dans l’acquisition de la Bibliothèque Norton Cru à Aix-en-Provence et l’établissement à Salon-de-Provence d’un Musée Militaire constitué par les inestimables collections Raoul et Jean Brunon ; l’attention portée aux archives de la Légion Etrangère installée à Aubagne et la direction de travaux consacrés à cette formation comme d’ailleurs à d’autres corps de l’Armée d’Afrique ; ses tentatives pour obtenir à Aix-en-Provence ou à Avignon la création d’une chaire d’Histoire Militaire et l’ouverture d’un cours de Défense, toujours existant à l’institut d’Etudes Politiques. Sans oublier le soutien apporté à la création du Centre d’Histoire Militaire et d’Etudes de Défense Nationale de Montpellier.

3Il a donc semblé qu’un « état de la question » plairait à celui qui avait été l’un des premiers à encourager l’ouverture de ces nouveaux chantiers. Le moment s’y prête d’ailleurs. D’une part la Commission française d’Histoire Militaire que préside le général d’armée Fernand Gambiez, membre de l’Institut, vient de publier le numéro 61 de la Revue Internationale d’Histoire Militaire Comparée intitulé « Trente ans d’Histoire Militaire en France ». D’autre part une Histoire Militaire de la France en trois tomes doit paraître prochainement sous la direction du professeur André Corvisier, professeur émérite à la Sorbonne, président de la Commission Internationale d’Histoire Militaire Comparée. Par ailleurs en 1986, la revue Défense Nationale a accordé une attention particulière aux études de Défense dans l’enseignement supérieur comme dans l’enseignement secondaire illustrant ainsi une des préoccupations du Secrétariat Général de la Défense Nationale1.

4Les deux ordres de recherche ne se confondent pas mais, parfois à leur corps défendant, se stimulent et découvrent progressivement leur interdépendance. Juristes, politologues, sociologues, économistes ont en effet admis, pour la plupart du moins, qu’ils ne pouvaient se passer de l’histoire, ni la considérer comme un simple magasin d’accessoires, même après la « mutation » stratégique provoquée par le choc nucléaire de 1945. Comment, en effet, étudier des cas, élaborer des hypothèses, bâtir des scenarii... analyser en bref le présent dans un but prospectif sans prendre en compte les permanences et les structures sur lesquelles opèrent les faits et les données du moment ? Comment ignorer que, par-delà l’équilibre de la terreur entre les superpuissances, se poursuivent des conflits ethniques, religieux, nationaux dont les causes et les modalités remontent loin dans le temps ? Comment surtout ne pas être attentif aux méthodes d’analyse des situations qui caractérisent l’école historique française sans qu’elle néglige pour autant les classements thématiques ou typologiques ?

5En retour le concept et la praxis de Défense, tels qu’ils ont été définis et mis en oeuvre depuis 1958, ne peuvent qu’inciter l’historien militaire à « revoir sa copie » en fonction des acquis politiques, financiers, institutionnels, sociaux récents. Sans être dupe de la nouveauté des mots ou de leur agencement, il a dû s’interroger sur la manière dont les intérêts à défendre avaient été perçus en fonction des menaces décelées et le couple ennemi-allié établi. Et, plus encore, se demander si la fonction Défense de tout Etat souverain n’avait pas toujours été implicitement globale, permanente, immédiate comme le veut l’ordonnance de 1959. Cheminement qui a conduit l’historien militaire à retrouver le lien, parfois négligé, entre l’affirmation de la souveraineté nationale (qui est volonté communautaire d’existence spécifique) et les moyens qui l’assurent, les forces armées en premier. L’itinéraire de Raoul Girardet est exemplaire de cette complémentarité ; en 1953, son essai sur La société militaire dans la France contemporaine fait date. Depuis, à la Fondation des Sciences Politiques, il n’a cessé d’observer son évolution avec un courage civique et une liberté d’expression jamais démentis. En 1974, il publie Problèmes contemporains de Défense Nationale, Etudes politiques, économiques et sociales.

6Les clivages institutionnels n’en ont pas moins conduit à des cheminements parallèles et des implantations séparées, qu’il est préférable d’évoquer avant de rappeler les oeuvres-jalons. Au risque, habituel dans ce type d’approche, de ne pas citer tous ceux qui mériteraient de l’être.

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7Cinq ans après l’étude de Raoul Girardet, paraissait L’armée et ses problèmes au XVIIIe siècle sous la signature d’Emile G. Léonard, davantage connu comme historien du protestantisme. Il s’agissait d’un cours que l’auteur, mutilé de la Première Guerre mondiale et compagnon d’armes d’Apollinaire, avait préparé en 1942-1943 à l’intention des candidats clandestins à l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr à Aix-en-Provence. Il l’avait repris dans l’après-guerre, dans cette même faculté où P. Guiral était alors son assistant. Certains étudiants, dont je suis, n’ont jamais oublié telle ou telle leçon sur Vauvenargues, Maurice de Saxe ou le chevalier d’Arc.

8La nouveauté et le défi étaient doubles : des universitaires employaient ouvertement le mot « militaire » dans le titre d’ouvrages scientifiques et ils appliquaient à ce grand corps les méthodes de la sociologie politique. L’histoire militaire réapparaissait ainsi sous son nom après une période d’intense activité non pas voilée mais réorientée. Il est vrai que cet effort était passé volontiers sous silence par une Nouvelle Histoire dont Hervé Coutau-Bégarie a récemment retracé l’itinéraire conquérant et démontré les mécanismes impérialistes (1983). Allergique à l’événement et à l’Etat, l’école des Annales considérait volontiers que seuls l’économique et le social conduisaient le monde et que le fait national à quoi renvoie toute étude militaire n’était qu’un épiphénomène.

9A cet ostracisme collégial, s’ajoutait la méfiance des pratriciens. Traumatisés par la défaite de 1940, les militaires accusaient l’enseignement de l’histoire à l’Ecole Supérieure de Guerre d’avoir préparé les officiers au conflit précédent (voire aux conflits antérieurs) et non à l’affrontement proche. Ayant manquée le rendez-vous de l’aviation et des blindés, l’armée française ne voulait plus se tromper d’époque et désirait entrer de plain-pied dans l’ère atomique. La guerre d’Indochine, que la nation laissait faire aux seuls professionnels, leur réapprenait de plus que la guerre classique n’était sur le terrain même qu’une composante d’une guerre révolutionnaire totale. De 1954 à 1962, la guerre d’Algérie confortait cette découverte au travers de la mise en pratique d’une action psychologique qui attendait davantage des nouvelles sicences économiques, sociales et humaines, que de l’étude des campagnes napoléoniennes... Il est vrai que l’histoire coloniale était elle-même tombée en désuétude, emportant dans l’oubli une féconde tradition d’analyse des rencontres de civilisations.

10L’étude des deux conflits mondiaux avait pourtant totalement rénové l’étude des guerres et de ceux qui la font, soldats de métier et soldats de mobilisation, combattants en uniformes ou combattants de l’ombre comme de ceux qui en subissent les effets et en soutiennent l’effort.

11Revenue de la Grande Guerre, toute une génération d’historiens s’était interrogée sur les causes et le déroulement d’un conflit mondial et total. Maurice Baumont, Marc Bloch, Henry Contamine, Jules Isaac, Pierre Renouvin... pour ne citer que ceux qui directement mirent leur expérience au service de leurs recherches, n’en étaient plus à l’histoire bataille. Mais ils ne refusaient pas sa place à la bataille, comme condition de l’issue de la guerre, victoire ou défaite.

12Après avoir renouvelé l’histoire de la guerre, P. Renouvin (✝ 1974) créait une école française d’histoire des Relations Internationales, qui redonnait souffle à l’histoire diplomatique en élargissant ses assises. Il n’est pas question ici d’en exposer les bases, mais simplement de rappeler qu’elle se voulait étrangère à tout déterminisme pour étudier chaque crise, chaque conflit, chaque situation dans la spécificité que lui valent le temps, l’espace, les hommes et le jeu des structures, de la conjoncture et du moment. J.B. Duroselle tôt associé à cette entreprise l’a poursuivie et la confirme à l’institut d’Histoire des Relations Internationales Contemporaines patronné par l’Académie des Sciences Morales et Politiques dont il est membre. La revue Relations Internationales en témoigne.

13Beaucoup plus qu’il n’y paraissait, P. Renouvin était resté soldat dans l’âme. Tout en poursuivant son oeuvre maîtresse, il soutint, avec l’efficace discrétion qui le caractérisait, l’effort de ceux qui tentaient la rénovation de l’histoire militaire. A l’Académie des Sciences Morales et Politiques, à la Fondation des Sciences Politiques, à la Sorbonne, au Comité Consultatif des universités, au Centre National de la Recherche Scientifique son appui, presque toujours décisif, ne leur fit jamais défaut.

14Henri Michel ( ߙ 1986) appartenait lui à la génération suivante, et aux combattants de l’ombre. Pionnier de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale il fut l’âme et l’animateur d’un Comité national, puis d’un Comité international. Le plus souvent ceux qui siégeaient dans les organismes voués à l’étude de ce conflit participaient aussi aux instances d’histoire militaire. Mais les années 1939-1945 avaient redonné au mot « mondial » une autre dimension et à la guerre totale une connotation « idéologique » et « civile » particulière. La Commission d’Histoire Militaire du Comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale n’était sans doute pas celle qui tenait le plus à coeur à H. Michel. Mais ce dernier, dans sa Seconde Guerre mondiale (1968 ; 1969) mit à leur place les batailles qui avaient provoqué le tournant de 1942-1943 : Mer de Corail, El Alameïn, Stalingrad et Koursk...

15Parmi les oeuvres maîtresses de ce double courant, quatre méritent d’être rappelées car elles s’imposent comme autant de testaments intellectuels et spirituels. Dès 1940 Marc Bloch, fusillé en 1944 par les Allemands pour faits de résistance, confrontait son expérience des deux guerres mondiales et s’interrogeait sur L’étrange défaite. Refusant le jeu stérile de la désignation des coupables immédiats, il cherchait à comprendre pourquoi le peuple français n’avait pas été capable de faire face à la menace. Henry Contamine dans La victoire de la Marne, (1970, reprise de la Revanche, 1957), montrait comment le sursaut de septembre 1914 résultait du sens national, de la solidité paysanne, de la capacité de l’état-major, de la lucidité décisionnelle du chef. Pierre Renouvin, en 1968, donnait une dernière leçon de méthode dans l’Armistice de Rethondes. Non, la chronologie ne permettait pas d’avancer que les troubles intérieurs avaient entraîné l’effondrement militaire allemand ; elle montrait le contraire. Henri Michel, à son tour, bousculait les récupérations partisanes dans La libération de Paris (1980), et tout en restituant l’événement, éclairait les enjeux et les forces.

16En 1969, paraissait un Guide bibliographique sommaire d’histoire militaire et coloniale française préparé par le Service historique de l’armée de Terre. Il permettait de relever quelques titres qui manifestaient la vitalité de l’histoire militaire. Cinq ans plus tôt, le colonel Suire, sous le pseudonyme d’E. Muraise, avait publié une Introduction à l’histoire militaire. D’autres officiers l’avaient précédé depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale : L.M. Chassin avec une Anthologie des classiques militaires français de Monluc à Rougeron (1950), E. Carrias par une thèse pénétrante La pensée militaire française du Xe siècle à 1958 (1960). Ch. Alleret, avant de devenir l’un des pères de l’arme nucléaire française et l’historien de L’aventure atomique française (1968), avait consacré un essai à l’Art de la Guerre et la technique dès 1950. La jeune collection « Que sais-je ? » avait fait preuve d’originalité en confiant à un universitaire, G. Castellan, une Histoire de l’Armée (298). A cette seule exception près, l’histoire militaire était restée l’apanage des militaires tandis que, on y reviendra, les universitaires s’étaient déjà tournés vers la polémologie ou la stratégie.

17Pourtant un changement se manifestait. Autour du général F. Gambiez, en 1968, se regroupaient des historiens civils et militaires désireux de redonner vie à une Commission Française d’Histoire Militaire, associée au Comité International d’Histoire Militaire Comparée qui publiait une Revue d’Histoire Militaire Comparée toutes créations françaises de l’immédiat avant-guerre auxquelles il convient d’associer les noms d’A. Dépreaux (✝ 1950) et A. Desfeuilles ( ߙ ). Un premier colloque français international d’histoire militaire se tenait en 1969 à Paris à l’Ecole Militaire suivi en 1974 et 1981, de rencontres internationales à Montpellier.

18En 1970, une importante délégation française participait au XIIIe Congrès des Sciences Historiques de Moscou. Depuis lors, il n’est guère d’années où les historiens militaires français n’aient activement participé à des colloques internationaux, notamment à Stockholm (1973), Washington (1975), Téhéran (1976) et Ottawa (1979). La présidence internationale confiée au professeur A. Corvisier en 1980 à Bucarest, le renouvellement de son mandat à Stuttgart en 1985 ont renoué avec la tradition d’une prééminence française jadis consacrée par l’élection d’A. Depréaux, du général Blanc, du professeur H. Contamine et consacrée par l’élection du général F. Gambiez à la présidence d’honneur en 1975.

19La lente maturation, qui avait précédé le regroupement, avait été perçue et signalée. En février 1958, L’actualité de l’Histoire proposait un numéro spécial sur ce domaine de recherche. En 1962 le lieutenant-colonel Vial présentait « L’armée français et l’histoire » dans la Revue Historique (1962/2). L’année suivante, les Annales E.S.C. donnaient la parole à l’historien italien P. Pieri « Sur les dimensions de l’histoire militaire » (1963/3). En 1970, le lieutenant-colonel Jean Delmas, dont le rôle est allé croissant, évoquait dans la Revue Historique de l’Armée « L’histoire militaire et ses problèmes » (1970/2). Dans ce contexte, le doyen P. Renouvin me demanda de dresser pour le numéro de janvier-mars 1971, de la Revue Historique, un premier bilan de « renouveau de l’histoire militaire en France ». D’autres mises au point ont été publiées depuis. André Corvisier, en 1973, a préfacé un numéro spécial de la Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine consacré aux « Aspects divers de l’histoire militaire ». En 1977, il a donné dans la Revue Historique, « L’étude de la guerre entre la sociologie et l’histoire ». En 1980, dans le numéro 49 de la Revue Internationale d’Histoire Militaire, il a expliqué ce qu’était « L’association des chercheurs militaires et non militaires, problèmes de pluridisciplinarité ; le cas français ». Enfin, en introduction à deux ouvrages fondamentaux Armées et Société en Europe de 1494 à 1789 (1976), Les Hommes, la Guerre et la Mort (1985), il a jalonné le développement de l’histoire militaire et l’a marquée par son Louvois (1983).

20Cette même année 1985, paraissait le numéro 61 de la Revue Internationale d’Histoire Militaire, dont le général F. Gambiez m’avait chargé d’assurer la direction avec le concours de J.-M. d’Hoop, ancien président de Société des professeurs d’Histoire et de Géographie et proche collaborateur de H. Michel, et du colonel S. Laroche son adjoint. Les historiens les plus représentatifs de ce mouvement ont bien voulu, chacun pour leur époque, retracer le parcours des trois décennies écoulées : Jean Le Gall, Philippe Contamine, Jean Chagniot, Jean-Paul Bertaud, William Serman, Jules Maurin, Guy Pedroncini, Patrick Façon, Charles Christienne.

21Dans l’espace institutionnel et géographique, cet épanouissement s’est plus particulièrement manifesté par la confirmation ou l’apparition de pôles de recherche et d’enseignement.

22La Commission Française d’Histoire Militaire que préside le général F. Gambiez, assisté de Madame M.-A. Hepp, se confond avec l’Institut d’Histoire Militaire Comparée de la Fondation pour les Etudes de Défense nationale. Elle se rattache à la Commission internationale d’Histoire Militaire, elle-même reconnue par le Comité International des Travaux Historiques. Tous ceux qui, peu ou prou, se consacrent à l’histoire militaire s’y rattachent ou la fréquentent. Elle propose mensuellement des communications-débats, participe à la publication de la Revue Internationale d’Histoire Militaire Comparée par des numéros « nationaux », publie un bulletin de liaison.

23Installée au château de Vincennes, elle y voisine avec les services historiques des trois armées : Terre, Mer, Air. Ces institutions, directement rattachées aux états-majors, ont une vocation diversifiée : recueil, conservation, classement, catalogage des archives et bibliothèques ; exploitation de cette documentation au profit de la hiérarchie militaire et des instances gouvernementales, rédaction et publication d’études historiques ; mise à la disposition des chercheurs civils et militaires, des fonds dans les limites de la réglementation générale de consultation. Conservateurs et officiers y collaborent institutionnellement, associés à des chercheurs recrutés par contrat, principalement pour la Marine et l’Air2. Chacun des services a sa collection et participe à la publication de La Revue Historique des Armées3 dont le Comité de lecture accueille des universitaires tout comme la « Commission des Archives de la Défense »4.

24Comment ne pas souligner l’exemplaire collaboration qui existe entre les membres de ces services, à tous les niveaux, et les enseignants-chercheurs ? Depuis plus de dix ans, elle est symbolisée par des co-directions de recherche et une coparticipation aux jurys de thèse. « L’habilitation à diriger les recherches » reconnue au général J. Delmas à Montpellier en 1986, tout en consacrant les capacités scientifiques et pédagogiques de l’impétrant, a symbolisé cette coopération déjà avalisée par l’attribution solennelle, sous la présidence de Madame la Secrétaire d’Etat à la Défense E. Avice, du doctorat Honoris Causa de l’Université de Montpellier, au colonel d’état-major général de l’Armée suisse, D. Reichel éminent historien francophone.

25La Fondation pour les Etudes de Défense Nationale gère également l’institut d’Histoire des Conflits Contemporains, que dirige le professeur G. Pedroncini assisté de Cl. Carlier, lui-même directeur de l’institut d’Histoire de l’Aéronautique et de l’Espace. Deux centres de recherches et d’enseignement implantés aux Invalides et à Vincennes et que reconnaît l’Université Sorbonne Panthéon (Paris I). Héritier de la Revue d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale devenue Revue d’Histoire des Guerres Mondiales et Conflits Contemporains en 1986, l’I.H.C.C. anime de nombreuses commissions où se retrouvent la plupart des historiens de la fin du XIXe et du XXe siècles et organise régulièrement des colloques internationaux en liaison avec les Services historiques des trois armées.

26Appartenant tous deux au C.N.R.S., l’institut d’Histoire Moderne et Contemporaine et l’institut d’Histoire du Temps Présent, celui-ci plus que celui-là, n’ignorent pas l’histoire militaire. Deux directeurs de recherches du C.N.R.S. dirigent également des centres importants. Le Centre de Sociologie de la Défense Nationale de la Fondation Nationale des Sciences Politiques et le Centre d’Etudes et de Recherches sur les stratégies et les conflits de l’Université Paris-Sorbonne qui ne dédaigne pas l’étude des stratégies du XVIIIe siècle, ou de l’âge d’or arabe5. Pour l’époque moderne, le séminaire « Armées et Sociétés en Europe du XVe au XIXe siècles » du professeur A. Corvisier de l’Université Paris-Sorbonne reste le haut lieu de la recherche. Il serait injuste de ne pas citer aussi le Centre d’Etudes Germaniques de Strasbourg et le Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Armée de Toulouse ou encore les travaux conduits à Metz, Nancy et Verdun où se tiennent, tous les cinq ans, des rencontres internationales6.

27A Montpellier, le Centre d’Histoire Militaire et d’Etudes de Défense Nationale, créé en 1968, se caractérise par sa volonté d’associer recherches et enseignements dans ces deux domaines complémentaires. Il publie une revue, Histoire et Défense, les Cahiers de Montpellier, et diffuse dans une collection « Histoire Militaire », les meilleures des thèses et maîtrises de ses chercheurs7. Là, comme à Paris et dans les autres villes où existent des Ecoles Militaires, les Universitaires participent régulièrement à la formation des officiers des armes et des services et font appel aux militaires, en activité ou à la retraite, pour l’enseignement... sans qu’on puisse encore parler en France de complexe militaro-universitaire.

28Ces remarques valent pour les centres d’enseignement et de recherches spécifiquement orientés vers les problèmes politiques, juridiques, économiques, sociologiques de la défense. La plupart résultent d’une réflexion née de la logique de la constitution de 1958, explicitée par l’Ordonnance portant organisation générale de la Défense Nationale qui rend cette fonction de l’Etat souverain consubstantielle à la Ve République. Cependant, c’est au tournant des années 60/70 que ces initiatives s’institutionnalisent à Montpellier et à Paris-Panthéon sur fond d’agitation. La lente maturation institutionnelle a-t-elle pris forme de réaction aux événements ? Les deux processus sont indissociables. Toutefois, soit qu’ils passent inaperçus, soit qu’ils apparaissent comme des archaïsmes condamnés, soit encore qu’ils soient jugés pour ce qu’ils sont, des lieux ouverts à la réflexion pluraliste, les centres d’Etudes de Défense comme ceux qui se réclament de l’Histoire Militaire ne sont pas remis en cause. Lorsqu’en 1976 s’achève la phase violente de la contestation, la plupart sont assis : à « Sciences Po » (et à l’E.N.A.), à Toulouse, à Lille, à Grenoble, à Lyon, à Nice.

29Presque partout les auditeurs des sessions nationales et régionales de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale créé en 1937 et réactivé en 1949 ont joué un rôle déterminant. La Fondation pour les Etudes de Défense Nationale l’a complété en 1973 en proposant des structures souples de réflexions prospectives susceptibles d’être diffusées dans sa collection des « Sept Epées » ou sa revue Stratégique qui a pris le relais de Stratégie8.

30En 1976 toujours, la création des Diplômes d’Etudes Approfondies et des Diplômes d’Etudes Supérieures Spécialisées favorise le regroupement déjà en cours des enseignants de Défense qui se dotent d’une association... rapidement somnolente. Mais en 1977, le Secrétariat Général de la Défense Nationale entreprend de recenser, d’harmoniser et de soutenir les formations existantes et se dote d’une « Mission des enseignements et études de Défense » qui, à partir de 1979, propose une rencontre annuelle à Paris et bientôt en province, Strasbourg (1985), Montpellier (1987). Le succès incontestable de la formule est dû au respect scrupuleux de la diversité des disciplines et des orientations intellectuelles9.

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31« Armée, Guerre, Société ». Ce titre, dû à Ph. Contamine, éclaire une approche qui a d’abord été celle des médiévistes et surtout des modernistes. L’objectif et les méthodes doivent beaucoup à l’Ecole des Annales même si celle-ci est restée distante, sans doute parce que le corps des militaires n’était pas réductible aux autres catégories socio-professionnelles et ne pouvait se caractériser que par sa finalité : le combat au service du principe de souveraineté.

32En histoire moderne, des maîtres attentifs avaient préservé un climat favorable : R. Mousnier, A. Dupront, V.L. Tapié, relayés par P. Chaunu et pour la Marine, J. Meyer, A. Corvisier avec L’Armée française de la fin du XVIIe siècle au ministère Choiseul : le soldat (1964) s’est tôt imposé, suivi par Anne Blanchard auteur des Ingénieurs du Roi de Louis XIV à Louis XVI (1973). En 1983, Jean Chagniot a présenté Paris et l’armée au XVIIIe siècle, suivi par Pierre Bois, Les anciens soldats dans la société au XVIIIe siècle (1986). A Zysberg, Les galériens du roi (1986). Parmi les thèses de 3e cycle, s’imposent les travaux de G. Bodinier, Les officiers de l’Armée Royale, combattants de la guerre d’indépendance des Etats-Unis (1982), de J.-F. Pernot, Au service de la construction de l’Etat moderne : Théorie et action, les techniciens de la Construction de la fortification... (1981). B. Deschard, Le bas officier... (1986). Parmi les thèses nouveau régime M. Lucenet, Les problèmes de santé dans l’armée française au XVIIIe siècle (1986). A ce courant se rattache l’historien américain Cl. Sturgill, spécialiste du XVIIIe siècle français.

33La Révolution et l’Empire n’ont jamais cessé de susciter des travaux sur les citoyens-soldats devenus parfois des prétoriens. Prolongeant l’oeuvre de J. Godechot et M. Reinhard, J.-P. Bertaud a présenté La Révolution armée, les soldats-citoyens et la Révolution française (1979) ; C. Petitfrère, Blancs et Bleus d’Anjou, 1789-1793 (1979) ; F. Buttner, Les compagnies de réserve départementale du I° Empire (1987). A ces thèses d’Etat, il convient d’ajouter les travaux de Marc Martin sur la presse militaire. J.-L. Quoy-Bodin sur la maçonnerie, B. Peschot sur la petite guerre ou d’inspiration plus régionale, de J.-M. Levy, P. Jacquot, A. Crépin.

34Mêmes préoccupations de sociologie politique chez C. Chalmin L’officier français (1957), J. Vidalenc (✝ 1986), avec Les Demi-Soldes (1955) Les émigrés (1963) et L. Girard, La Garde Nationale (1964). W. Serman a introduit lui, dans la dialectique recrutement-comportement la rigueur quantitative qui caractérise Le corps des officiers français sous la IIe République et le Second Empire. Aristocratie et Démocratie (thèse d’Etat soutenue en 1970 et publiée en deux volumes, en 1979 et 1982). Marcel Spivak s’est intéressé à Education physique, sport et nationalisme en France du Second Empire au Front Populaire (1983).

35Revenant à l’approche politico-institutionnelle, Jean-Charles Jauffret, élève de P. Guiral, soutient en 1987 Gouvernement-Parlement. Commandement, l’armée de métier en France 1872-1914. Autre Aixois, G. Guggliota, s’emploie à renouveler, dans la même veine, un genre trop souvent délaissé en France avec une biographie du Général de Cissey, après une thèse de 3e cycle intitulée La loi de 1902-1905 (1975). A. Andréani a consacré la sienne à Armée et Nation en Languedoc méditerranéen 1905-1914 (1974). Dans son doctorat ès-lettres, J.-J. Becker a étudié : 1914, Comment les Français sont entrés en guerre (1977). Tandis que J. Maurin présentait Armée Guerre Société : soldats languedociens 1889-1919 (1982), équilibrant l’approche traditionnelle, toujours nécessaire, par une exigeante analyse informatique.

36A. Prost, Les Anciens Combattants (1977), prolonge l’examen dans l’Entre-Deux-Guerres. Puis, si l’on excepte Y. Durand, Les prisonniers de guerre (2e ed. 1981), la Seconde Guerre Mondiale et les guerres de décolonisation ont suscité surtout des essais politiquement engagés qui n’ont pas encore place parmi les travaux à label universitaire. Ce qui n’enlève rien à leur intérêt. Tous relèvent peu ou prou de dialectiques polémiques : collaboration-résistance, maquis-milice ; armée d’armistice-F.F.L. ; soldats perdus et soldats « disciplinés ». A noter l’essai de P. Caries, Des millions de soldats inconnus, la vie de tous les jours dans les armées de la IVe République (1982) et la thèse d’Université de R. Bonnafous, Les prisonniers de guerre du Corps Expéditionnaire Français dans les camps du Viet Minh (1985).

37« Les forces et les opérations ». Tel pourrait être le titre de la seconde voie en histoire militaire : celle qui se consacre aux armées outils de la politique et de la diplomatie et donc à leur préparation et à leur engagement. Ce courant, plus directement dérivé de l’histoire-bataille, a paru moins novateur que le précédent. Jugement partial, si l’on veut bien se souvenir qu’il procède du renouvellement de l’histoire des guerres auquel il a déjà été fait allusion.

38A ce thème se rattachent les thèses de P. Carles, L’organisation militaire du royaume de Naples, 1806-1813 (1967), J. Nouzille, Le Prince Eugène de Savoie et les problèmes de la frontière militaire de 1683 à 1739 (1979), Los Tercios españoles 1567-1577 (1979) de R. Quatrefages dont on attend la traduction en même temps que le développement dans une thèse d’Etat en cours d’achèvement, Le renouvellement du système militaire espagnol au XVIe siècle. N’est-il pas superflu de rappeler que les travaux à dominante sociologique déjà cités, ceux d’A. Corvisier ou de J.-P. Bertaud par exemple, n’ignorent ni les institutions, ni les opérations, ni la stratégie. C’est vrai aussi pour les synthèses de J. Tulard Napoléon (1977 ; 1979), Murat (1983). En revanche, la thèse de D. Reichel Davout et l’Art de la Guerre (1975) procède d’une autre démarche, proche de celle de J.-P. Charnay étudiant Guibert (1977 et 1981) ou de L. Poirier, Les voix de la stratégie Guibert et Jomini.

39Le XIXe siècle est davantage celui des campagnes coloniales, sur lesquelles on reviendra, que des conflits européens qui n’ont pas suscité de thèses, même si les centenaires de la guerre de 1870 et de la Commune ont donné lieu à d’estimables travaux dont ceux de Rougerie. Cependant en Sciences politiques, G. Carrot a soutenu une thèse d’Etat sur Maintien de l’ordre en France 1789-1966 (1984). Nabil Mourabet présente la sienne en 1987 sur Le Corps Expéditionnaire de Rome 1848-1870.

40La connaissance de la Première Guerre Mondiale a surtout bénéficié des thèses de G. Pedroncini sur Les mutineries de 1917 (1967) et Pétain, commandant en chef (1974). Y.H. Nouailhat et A. Kaspi ont respectivement intitulé leur thèse d’Etat, Les Rapports franco-américains de 1914 à 1917 (1975) et Le Temps des Américains (1976). De même, pour la thèse d’Etat de Ph. Masson, La Marine française et la Mer Noire (1982). La place et le rôle de l’Outre-Mer dans l’effort de guerre ont fait l’objet de deux thèses d’Etat : G. Meynier, L’Algérie Révélée, la Guerre de 1914-1918 (1982), et M. Michel, L’appel à l’Afrique... 1914-1918 (1982).

41Le Désarmement..., doctorat ès-lettres de M. Vaïsse (1980), introduit à l’histoire militaire de l’Entre-Deux-Guerres pour laquelle R. Nayberg propose une base économique : Pétrole et défense nationale 1914-1928. On dispose des thèses du colonel Dutailly, Les problèmes de l’armée française de 1935 à 1939 (1983), du général Y. Salkin Présence et influence militaires françaises en Amérique latine 1919-1940, de Madame Levisse-Touzé, L’Afrique du Nord dans la stratégie française 1919-1939. H. Coutau-Bégarie a remis en mémoire Castex Le stratège inconnu, (1985) ; Y. Salkin, Les attachés militaires.

42La plupart des thèses dites d’histoire coloniale, et qui furent préparées au temps de la décolonisation, traitent des rapports entre gouvernement et commandement, officiers et administrateurs, conquérants et conquis. Elles relatent, et surtout analysent les campagnes de conquête, de repression, de pacification. On ne saurait les citer. Il suffit de rappeler leurs auteurs en précisant qu’elles ont surtout porté sur l’Afrique du Nord : Ch. R. Ageron, J. Ganiage, P. Guillen, A. Martel, J.L. Miège, A. Nouschi, Y. Person, A. Reg. Goldzeiguer, X. Yacono. Disciples pour la plupart de C.A. Jullien ou de P. Renouvin (et tout autant des géographes P. Capot-Rey et J. Despois), ils sont devenus à leur tour directeurs de travaux. A. Le Révérend a publié sa thèse sur Lyautey écrivain (1974). Celle de D. Rivet, sur le Protectorat marocain (1985) est à l’impression. J. Frémeaux soutient en 1987 un doctorat ès-lettres consacré à L’administration militaire française en Afrique, Maghreb, Soudan 1830-1930.

43Les guerres de décolonisation entrent à leur tour dans le champ de la recherche universitaire au rythme de l’ouverture des archives dont l’exploitation permet progressivement de vérifier, de confronter, de compléter et de corriger les mémoires, récits et essais des auteurs et témoins. L’histoire de la guerre d’Indochine (1979) du général Y. Gras offre une synthèse solide que prolonge la même année La guerre du Viet Nam (1945-1975) de A. Teulières. En 1987, Jacques Dalloz publie une mise au point : La guerre d’Indochine.

44Déjà le colonel P. Rocolle a soutenu une thèse : Pourquoi Dien Bien Phu ? (1968) à laquelle fera écho un Pourquoi Cao Bang ? du colonel Cl. Hesse d’Alzon déjà docteur pour La présence militaire française en Indochine 1940-1945 (1985). Déjà citée, la thèse de R. Bonnafous sur les prisonniers du Viet Minh a permis de compléter les témoignages existant sur un douloureux problème occulté. F. Joyaux a éclairé dans sa thèse d’Etat La Chine et le règlement du premier conflit d’Indochine (1979). Marcel Bénichou vient de soutenir la sienne, décapante, Une destruction d’idées reçues, le Viet-Nam 1972-1982 (1986).

45Plus récente, la guerre d’Algérie bénéficie d’une approche universitaire critique. B. Droz et E. Lever, Histoire de la guerre d’Algérie (1982). La même année, le colonel H. Lemire a publié Histoire militaire de la guerre d’Algérie et en 1984, P. Montagnon propose une Histoire de la guerre d’Algérie que consultent volontiers ses anciens adversaires algériens. La thèse d’université de H. Féraud Les commandos parachutistes de l’Air rouvre la voie de l’histoire (et non des historiques) des unités adaptées aux théâtres d’opérations extérieurs. Josiane Criscuolo a associé, dans sa thèse d’Etat, linguistique et histoire pour analyser Armée, nation, défense, développement dans les discours du colonel Nasser (1984).

46On doit à R. de Belot et A. Reussner, La puissance navale dans l’histoire (1968, 1971, 1974) dont le titre donne l’orientation dominante des études consacrées à la mer même si le propos s’élargit avec Ph. Masson Histoire de la Marine (1981, 1983) qui publie également De la Mer et de sa stratégie (1986). Cette préoccupation anime également l’amiral P. Lacoste Stratégies navales du présent (1985) et H. Coutau-Bégarie, La puissance maritime. Castex et la stratégie navale (1985) qui établit la continuité entre stratèges.

47L’armée de l’Air n’a fait l’objet de travaux approfondis que depuis peu : général Hebrard 25 années d’aéronautique, général Chambe, Histoire de l’aviation. Deux revues ont accompagné cette ouverture, Forces armées françaises et Icare (1958). En 1976, P. Fridenson et J. Lecuir engagent une recherche orientée vers l’extérieur ; La France et la Grande-Bretagne face aux problèmes aériens 1935-1940. P. Laureau aborde, lui, L’aviation républicaine espagnole 1936-1939 (1978).

48Trois ouvrages constituent une solide base au développement des études. Le général Ch. Christienne, P. Lissarague, P. Buffotot, A. Degardin, Histoire de l’aviation militaire française (1980) et Ch. Christienne, P. Lissarague, P. Façon, M. Hodeir, Histoire de l’aviation militaire, l’armée de l’Air 1928-1980 (1981). Claude Carlier a consacré sa thèse d’Etat à L’aéronautique française 1945-1975 (1983), dont une deuxième édition, complétée jusqu’en 1987, paraîtra incessamment. En 1985, J.P. Marill a présenté une thèse de 3e cycle sur La naissance de la 5e arme : l’aéronautique militaire française de 1900 à 1950. Celle de P. Façon, L’armée de l’Air française de 1942 à 1962, de la reconstitution à la dissuasion est en cours d’achèvement. J. Blanc, Y. Debernardy, D. Hary, M. Hodeir poursuivent leurs travaux au sein du S.H.A.T.

49Les historiens n’ont été ni les seuls ni les premiers à réfléchir sur le phénomène guerre. Les philosophes, les sociologues, les psychologues, les politologues et les militaires ont fait passer leurs conclusions, nées des formes nouvelles des affrontements mondiaux, dans leurs publications et leurs enseignements. La plupart ont pris l’histoire pour support, ou pour prétexte.

50Raymond Aron, l’un des premiers s’est interrogé sur Les guerres en chaîne (1951), La société industrielle et la guerre (1958), Paix et guerre entre les nations et après le détour d’un débat avec Sartre sur la violence, s’est penché sur l’élaboration de la doctrine contemporaine des conflits, celle qui oppose les peuples : Penser la guerre, Clausewitz (1976). Démarche parallèle à celle de P. Renouvin ; les deux hommes se sont estimés, sans se rencontrer. L’Institut Français de Relations Internationales s’inscrit dans cette ligne.

51La Guerre (1953) est l’objet de la discipline qu’élabore Gaston Bouthoul : la polémologie : « si tu veux la paix, connais la guerre ». Quelques titres jalonnent son itinéraire. Sauver la guerre (1962), Traité de Polémologie (1971), La Paix (1973). Vient ensuite, en collaboration avec le général R. Carrière, en application à l’histoire Le défi de la guerre 1740-1974 (1976). La revue de Polémologie poursuit l’entreprise au sein de la Fondation pour les Etudes de Défense Nationale.

52Jean Guitton, en philosophe, médite sur La pensée et la guerre (1969). A. Glucksman propose Le discours de la guerre (1976) et A. Philonenko, Essais sur la philosophie de la guerre (1976). D’autres choisissent un éclairage différent : F. Hacker donne Agression et violence dans le monde moderne (1972) et Michaux, La violence. On est tenté de leur joindre les analyses de M. Megret sur La guerre psychologique (1956), puis L’action psychologique (1959) que les colonels Trinquier et Lacheroy exposent après l’avoir pratiquée. Le général A. Beaufre théorise La guerre révolutionnaire, les formes nouvelles de la guerre (1972).

53La stratégie entre-t-elle à l’Université ? Les universitaires ne la dédaignent pas, on l’a vu pour P. Renouvin ou R. Aron, mais évitent souvent le mot. Les titres qui en font usage émanent plus souvent de « politiques », de « savants », ou de « militaires », d’abord sollicités par le fait nucléaire américain et russe et le tournant du spatial de 1957, puis presque simultanément par les implications, liées, de la doctrine Mac Namara et de la dissuasion nucléaire française. En 1949 paraît, en traduction, P.M.S. Blackett Les conséquences militaires et politiques de l’énergie atomique. Le général Jacquot publie La stratégie périphérique devant la bombe atomique (1954). Paraissent ensuite, J. Bloch-Morhange, La stratégie des fusées (1958) et D. Dolfus La force de frappe (1960).

54L’accession de la France à la capacité atomique et l’élaboration d’une stratégie nucléaire nationale viennent de faire l’objet d’une rigoureuse et sans doute exhaustive mise au point : L’aventure de la bombe, De Gaulle et la dissuasion nucléaire (1985). Actes d’un colloque organisé par l’Institut Ch. de Gaulle et l’Université de Franche-Comté en 1984 et qui avait réuni la quasi totalité des acteurs de cette épopée scientifique, technique et conceptuelle dont quelques publications permettaient déjà de suivre le parcours : B. Goldschmidt, L’aventure atomique (1962), Des rivalités atomiques 1939-1966 (1967), Le complexe atomique (1980), Ch. Ailleret, L’aventure atomique française (1968). Pour le général A. Beaufre (✝ 1975), frappé depuis l’entre-deux guerres par la pauvreté de la pensée stratégique française à laquelle il attribuait pour l’essentiel les défaites de 1940, 1954, 1956..., ce fut le moment de créer un Institut Français d’Etudes Stratégiques dont les travaux alimentèrent la revue Stratégie (1964-1976). Auteur d’une Introduction à la stratégie (1964), il publie alors Dissuasion et stratégie (1964), Stratégie de l’action (1966)... En 1974, son dernier ouvrage a pour titre Crises et guerres (1974). Membre de l’I.F.E.S., J.P. Charnay, en 1973 publie à son tour un Essai général de stratégie. M. Woignier dans la thèse qu’il a consacrée à cette entreprise (1985) en suit les étapes.

55C’est aussi l’époque où le Centre de Prospective et d’Evaluations du ministère des Armées affine la doctrine dont l’expression « achevée » paraît sous forme d’un Livre Blanc (1972). Le général Lucien Poirier, actuellement directeur d’études à la Fondation pour les Etudes de Défense Nationale, y participe. Deux livres permettent de suivre cette démarche Des stratégies nucléaires (1977), Essais de stratégie théorique (1983)) qui trouve tribune à l’I.H.E.D.N., à l’E.S.G. et dans diverses universités parisiennes.

56Praticien de l’aéronautique et penseur atomique, le général P.M. Gallois jalonne trois décennies par ses ouvrages, entre autres : Stratégie de l’ère nucléaire (1960), Les paradoxes de la paix (1967), L’adieu aux armées (1976), Le renoncement : de la France défendue à l’Europe protégée (1977). Face à l’I.D.S., La guerre des Cent secondes (1985) appelle aux révisions nécessaires pour lesquelles dans un autre domaine avait plaidé Léo Hamon dans Le sanctuaire désenclavé (1982).

57La notion et le terme Défense Nationale prennent, au tournant de la IVe et de la Ve République, une signification nouvelle. Attentifs, les juristes publient les Actes d’un colloque tenu à Nice et consacré à La Défense Nationale (1958). Les synthèses sont plus tardives. B. Chantebout publie en 1967 L’organisation générale de la Défense Nationale en France depuis la Seconde Guerre mondiale mis à jour et condensé en La Défense nationale (1972 et 1984). R. Girardet systématise son enseignement Les problèmes contemporains de la Défense nationale (1974). A. Martin-Pannetier propose La défense de la France, indépendance et solidarité (1985). H. Pac, dans Politologie de la Défense Nationale (1986), revient à une approche critique.

58J.P. Cointet, D. Colard, A. Coutrot (✝ 1987), J.P. Guilhaudis, s’y consacrent en politologues, tandis que Ch. Schmidt, J. Aben, J. Fontanel s’attachent davantage à l’aspect économique. Plus récemment à l’initiative du doyen Maire de Marseille, les scientifiques à leur tour s’y intéressent par-delà leurs recherches spécialisées.

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59Malgré toutes les précautions d’usage, une esquisse de ce type passe toujours par un palmarès et suscite souvent plus d’amertumes que de satisfactions. Telle est la loi du genre, même lorsque l’auteur, comme c’est le cas, a tenté d’éclairer toutes les orientations de recherches et de fixer les principaux repères sous forme de thèses. Que les lecteurs soient du moins persuadés que l’histoire militaire et les études de défense débordent largement ces quelques pages et que leur vitalité se traduit par des articles, des communications, des actes de colloques de plus en plus nombreux.