Une leçon de politique : une lettre de Louis-Philippe à Dupin (1825)

1 Collection particulière. Signalons une autre lettre de Louis-Philippe de 1828, passée également en vente (Charavay, février 1983, 38917), qui est intéressante sur le « stoïcisme » de Louis-Philippe (sans doute est-elle aussi adressée à Dupin, nous n’avons pu le vérifier) : « Vous parlez en homme sensible et profond quand vous dites que ce que l’on conserve ne console pas de ce que l’on perd, et malheureusement il faut que ce que l’on perd donne des craintes nouvelles de perdre ce qu’on a conservé. Plus on vieillit, plus on voit mourir, plus on sent à quel cheveu tient la vie, et que plutôt ou plutard, il faut bien que ce cheveu soit coupé (...) Malherbe l’a dit :
« et la garde qui veille aux barrières du Louvre, n’en défend pas nos rois ».

2 L’écriture de cette annotation est de Dupin. Il est regrettable que la correspondance de Dupin et de Louis-Philippe ait été dispersée par ses héritiers.

3 Recueil composé pour la commodité des fonctionnaires publics et des citoyens, suivant le plan tracé par l’Avis du Conseil d’Etat du 7 janvier 1813, Paris, Guillaume, janvier 1825 (2 volumes). La préface avait fait l’objet d’un tirage à part. Ce livre peut rendre encore des services à l’historien, en rappelant des textes bien oubliés, notamment de l’époque révolutionnaire, considérés comme toujours applicables en 1825.

4 La lettre indique bien que le Prince a poussé Dupin à définir des règles générales.

5 Suivant le mot de Dupin annotant la lettre.

6 Dupin aîné n’a pas encore eu la grande monographie qu’il mérité et on ne possède pas a notre connaissance – d’étude sur sa philosophie politique. Peut-être cette préface mériterait-elle d’être étudiée et republiée.

7 Pour définir le pouvoir de fait qui, « ne se trouvant contenu par aucune règle et ne reposant que sur l’emploi indéfini de la force physique, peut s’étendre indifféremment à tout ce qui est possible en soi », Dupin fait appel à ses souvenirs de la Révolution :
« Dans les sociétés (bien que civilisées), ce pouvoir du loup peut être exercé par une masse aveugle qui se jette avec fureur sur une classe innocente et désarmée : il peut aussi être exercé par une minorité compacte qui, forte de son union, fait peloton contre chaque individu pris isolément, et l’opprime sans autre forme de procès. Ce genre de pouvoir domine par la force et la violence ; il n’a pour borne que l’impossibilité physique ; il règne, il commande, il pèse, tant qu’une force supérieure ne parvient pas à le surmonter ou à l’intimider » (Préface, pp.10-11).

8 « En présence d’un tel pouvoir, les citoyens sont sujets, mais ils ne sont point esclaves. Des devoirs leur sont imposés, mais ils ont aussi des droits ; et, si les magistrats, parlant au nom des lois, ont le pouvoir d’exiger d’eux l’obéissance, les citoyens, au nom de ces mêmes lois, ont réciproquement le droit d’invoquer la protection du Souverain et l’appui de la Société tout entière contre les excès de pouvoir dont on voudrait les rendre victimes, et l’oppression que l’on essaierait de faire peser sur eux. Ici commence la responsabilité des fonctionnaires » (Préface, p. 12).

9 Dupin est gêné sur ce point, mais ayant vécu sous la Révolution et l’Empire, ne pouvait ignorer l’efficacité de ce pouvoir moral : « Il semblerait que le pouvoir moral ne doit exister qu’en présence du pouvoir de droit ; car un pouvoir illégal n’obligeant point la conscience, ne peut agir sur elle pour lui commander l’obéissance, et n’inspire aux coeurs généreux que le désir de la résistance ; mais tous les hommes ne sont pas des stoïciens ; et (...) ce pouvoir, tel que je l’ai défini, n’opère pas seulement sur les esprits par l’opinion qu’on a de sa légitimité, mais (...) il agit sur les imaginations par l’opinion surtout que l’on s’est faite de la certitude et de la rapidité de ses effets ». (Préface, p. 14).

10 On voit également Dupin développer une théorie de l’intérêt comme fondement du pouvoir moral d’un gouvernement (et l’on sait que cette doctrine eut par la suite une grande influence) :
« Mais il est un autre genre de pouvoir moral encore plus puissant : il n’agit point dans la crainte, mais par l’amour, il n’a pas seulement pour appui l’opinion de sa légalité ; il a pour stimulant le grand mobile de l’intérêt. Faites qu’un gouvernement soit modéré, qu’il soit humain, qu’il soit juste : qu’il respecte les droits publics en même temps que les intérêts privés ; qu’il n’agisse ni dans l’intérêt d’une caste, ni sous une influence étrangère, mais par le sentiment intime du bien public, et de l’intérêt général du pays : un tel gouvernement sera le plus puissant de tous Le gouvernement dont le pouvoir ne repose que sur des moyens étrangers à l’amour des peuples est un gouvernement faible ; s’il froisse les intérêts du plus grand nombre, il doit craindre que ces intérêts ne saisissent la première occasion qui s’offrira pour eux de prévaloir ; s’il règne par la terreur, il doit redouter à son tour que la fidélité ne recule devant une terreur plus forte. Mais l’amour ne cède pas ; loin de là, il se raidit contre les obstacles. Ceux qu’on a sincèrement, aimés dans la prospérité, on les aime davantage encore lorsqu’ils sont tombés dans le malheur ; et c’est à la veille de se voir privés d’un gouvernement protecteur de leurs vrais intérêts que les peuples déploient ordinairement, pour le soutenir, toute la puissance et toute l’énergie de leurs moyens », etc.

11 Dupin, élève d’élite du département de la Nièvre, obtenait deux premiers prix à la distribution solennelle des prix de l’Académie de législation, le 26 Fructidor an XIII, et Regnault de Saint Jean d’Angély l’avait couronné, en présence de M. de Champagny et François de Neufchfâteau. Il avait suivi à l’Académie les cours de Daniels (ancien professeur de droit à Bonn), de Pigeau et de Lanjuinais (Ortolan, Notice biographique sur M. Dupin, 1840, p. 11). Le 12 novembre 1806 l’Ecole de droit reçut Dupin « le premier docteur depuis son installation » et on rappelle qu’il était « ancien élève de l’Académie de législation » (Courrier français, 16 novembre 1806).

12 Il semble bien que ce sont les réflexions de Dupin sur le pouvoir moral qui ait intéressé le Prince. Notons que Dupin avait introduit, à l’appui de sa théorie de l’utilité (note 10), dans une note une réflexion sur l’inertie des Français lors de la chute de Napoléon : « S’il a succombé, ce n’est point que l’étranger l’ait traversé, mais le peuple français n’a plus voulu le soutenir ; on l’a laissé tomber de son propre poids : on n’avait pas d’intérêt à le défendre... » (Préface, p. 18, n.1).

13 Louis-Philippe n’avait pas encore exercé le pouvoir, mais il avait beaucoup réfléchi sur les conditions d’exercice du pouvoir – comme De Gaulle avant 1940.