Quelques mots sur la presse royaliste en provence au début de la IIIe République

1Dans la brochure parue en mai 1873 chez Joseph Roumanille « libraire-éditeur » en Avignon, le jeune journaliste légitimiste Charles Garnier insistait sur ce qu’il considérait comme un des plus puissants leviers pour agir sur la mentalité de ses contemporains : à savoir la presse : « La presse est l’arme essentiellement moderne qui a précédé les chassepots et leur survivra. Pour le bien, comme pour le mal, on ne saurait pas plus se passer de la presse qu’on ne pourrait faire disparaître l’imprimerie, la vapeur, l’électricité... » et il ajoutait : « Opposer partout la presse honnête, à la presse révolutionnaire, voilà l’oeuvre la plus urgente, la plus efficace que nous ayons à recommander aux classes riches ».

2En réponse à cet appel, les notables royalistes de la région pouvaient aligner un nombre non négligeable de journaux.

3Le plus ancien et le plus influent restait la « vénérable » Gazette du Midi1. Lancé en octobre 1830 par un enseignant Timothée Patôt, et un imprimeur, au nom bien marseillait de Marius Olive, cet organe fut publié trois fois pur semaine à partir du 1er janvier 1831 et devint quotidien – sauf le dimanche et les jours de fêtes religieuses – le 1er janvier 1835.

4 Depuis 1851 c’est un journal du soir dont la première édition paraît à 17 heures. La mise sous presse se fait vers midi, ce qui permet d’avoir les dernières nouvelles du matin, au moins pour la région.

5Paraissant sur 4 pages de grand format et vendu 15 centimes le numéro au début de la IIIe République, il brandit fermement son drapeau, mais écarte le plus souvent les polémiques trop violentes ou le style trop « populaire ». Un conseil de surveillance vérifie autant la ligne politique que la bonne administration.

6Le marquis de Foresta, président du comité royaliste des Bouches du Rhône et représentant personnel dans la région du comte de Chambord en assume la plupart du temps la présidence. A ses côtés les noms les plus fréquemment prononcés sont ceux de Gaston de Flotte, du marquis de Clapier Collongue, de Léon Roubaud, de Rostan d’Ancezune, d’Ernest Rondel, de Victor Roux et d’Alfred Jauffret.

7Mais les animateurs véritables de la Gazette ont été, au moins jusqu’en 1880, leurs rédacteurs en chef : Henri Abel, de 1830 à 1860, Eugène Roux de 1860 à 1877 et Henri Olive de 1877 à 1880. Le premier, membre d’une famille aixoise qui avait fait commerce longtemps des « denrées de Provence » et avait eu l’honneur « d’en servir la cour de France » s’assura une collaboration brillante où l’on relève les noms d’Armand de Ponmartin, de Joseph Autran, de Séraphin de Rémusat, des abbés Bayle et Timon-David, de François Poujoulat et de Justin Cauvière. Le second né lui aussi en 1811 dans l’ancienne capitale de la Provence où son père était conservateur des hypothèses, était devenu le principal collaborateur d’Abel avant de lui succéder. Selon Justin Cauvière il avait acquis une grande influence dans les milieux catholiques et royalistes :

« des princes, les Bourbon d’Espagne entre autres, recouraient à ses lumières... des députés, des sénateurs le consultaient et entretenaient correspondance avec lui... des cardinaux, des prélats distingués de la cour pontificale... avaient avec lui de fréquentes communications... ».

8Le troisième, n’était autre que le fils de l’imprimeur fondateur ; mais une fluxion de poitrine l’enleva prématurément le 3 novembre 1880, à 42 ans.

9Lorsqu’il disparaît, le journal connaît des difficultés. Le tirage qui avait atteint cinq à six mille exemplaires à la fin du Second Empire tendait à baisser depuis l’échec de la restauration monarchique. Tombé à 4000 exemplaires en 1874, il se maintient à peine autour de 3000 à partir de 1876 ce qui le situe à la limite de la rentabilité.

10La disparition à trois ans d’intervalles de deux rédacteurs en chef, la mort de Timothée Patôt en 1878, l’effacement progressif, à cause de leur âge, de deux « piliers » comme le baron Gaston de Flotte et Justin Cauvière ne contribuèrent pas à rendre plus facile la vie du quotidien. Le nouveau rédacteur en chef, Emile Sumien, condisciple d’Henri Olive sur les bancs de l’institution Patôt, ne disposait que d’une audience et d’une autorité limitées : compromis dans une affaire immobilière pour le moins douteuse et menant une vie privée pas très « catholique », il est plus ou moins contraint de démissionner en août 1882.

11La vieille garde légitimiste animée par le marquis de Foresla et Rostun d’Ancezune imposa alors Charles Garnier, directeur de « la Décentralisation de Lyon »« homme de talent et de fidélité » et une sévère politique d’économie qui entraîna l’éviction du secrétaire administratif Alfred Jauffret « ancien sous-préfet du 16 mai qui veut jouer les mentors » ainsi que de jeunes collaborateurs comme Michel Savon, Joseph Dubosc et Auguste Giry2.

12Certains des évincés avaient déjà pris leur distance à l’égard d’un quotidien qu’ils jugeaient de moins en moins adapté aux luttes présentes. Ils envisageaient la fondation d’un nouvel organe, plus dynamique et plus proche du peuple.

13Cette idée n’était cependant pas neuve et d’autres royalistes l’avaient mise en pratique douze ans plus tôt, mais avec une tonalité fortement cléricale. En effet le 27 mai 1871 avait vu la naissance du Citoyen « journal du peuple » à « un sou »3 dont les fondateurs tous membres de la Société des intérêts catholiques, pensaient faire un équivalent légitimiste du « Petit Marseillais ».

14Les deux propriétaires et directeurs étaient les deux industriels Henri Bergasse et Henri Paranque. Ils avaient parmi leurs associés le banquier Bonnasse, le courtier Barthélémy Caune et les frères Emmanuel et Guillaume de Sabran-Pontevès.

15Le nouveau quotidien était imprimé également chez Marius Olive. Il se plaçait sous le triple patronnage d’Henri V, de Pie IX et de don Carlos. Le principal rédacteur était l’abbé Jean-Baptiste Magnan, né à Aubagne le 4 septembre 1824, aumônier du lycée de Marseille entre 1868 et 1880 qui signait tantôt Auguste Clément tantôt Félix Dupont.

16De cet ecclésiastique, ami du père Timon David qui donna plusieurs articles, Horace Bertin, chroniqueur bien connu de la vie marseillaise nous trace un portrait significatif :

« C’est bien là une de ces têtes d’inquisiteur comme on en trouve dans les tableaux d’Herrera le vieux... ce teint bilieux, ces yeux sombres, ces lèvres pincées et pleines de dédain, trahissent bien le prêtre fanatique absolu. Ce sont des pages brûlantes et froidement haineuses qui sortent de la plume de ce défenseur du passé ».

17 Ce texte fait bien ressortir le cléricalisme intransigeant de l’abbé dont les éditoriaux provoquaient souvent l’irritation des républicains laïques (il se verra d’ailleurs révoqué de son aumônerie en 1880 pour « propagande antirépublicaine ») et « gênaient » considérablement les catholiques « libéraux » comme la marquise de Forbin d’Oppède ou l’évèque, Mgr Place.

18Les autres rédacteurs comme le jeune et sage Etienne Jouve qui signait Henri Rolland ou Horace Lours ou l’avocat Courbet qui utilisait comme pseudonyme, tantôt Victor Lecourt, tantôt Xavier Prévot défendront avec moins de hargne le bas clergé, les patronages populaires et les cercles catholiques d’ouvriers qui formaient l’essentiel de la clientèle du journal.

19Son tirage, difficile à évaluer au début, semble s’être ensuite fixé aux environs de 5000 exemplaires.

20Pratiquement les deux quotidiens légitimistes étaient plus complémentaires que concurrents. Imprimés dans la même maison de la rue Sainte, ayant chacun à leur tête des membres du comité royaliste ils envisagèrent plusieurs fois la fusion. Toutefois celle-ci ne devait se réaliser que le 16 septembre 1883, trois semaines après la mort du comte de Chambord.

21Essentiellement marseillais ils avaient cependant étendu leur diffusion sur le plan régional. Une enquête portant sur un échantillon de 500 lecteurs de la Gazette nous montre que 54 % – soit 270 – étaient domiciliés à Marseille et dans sa banlieue, 23 % – soit 115 – dans le reste du département (33 à Aix, 14 à Salon, 7 à Tarascon, 6 à Arles, 5 à St Rémy...), 14 % – soit 70 – dans les départements limitrophes (dont 44 dans le Var mais seulement 15 dans le Vaucluse, 7 dans les Basses Alpes et 4 dans le Gard) et 9 % répartis dans le reste de la France, les colonies et l’étranger (6 lecteurs en Algérie, 2 à la Réunion, 3 en Turquie, 3 en Suisse, 2 en Egypte, 2 à Rome...).

22Quant au Citoyen une lettre adressée le 22 mai 1877 par Etienne Jouve à Henri Bergasse4 nous apprend qu’il arrive à vendre 350 exemplaires dans le secteur d’Avignon malgré le « chétif et dérisoire appui » des notabilités légitimistes locales, une centaine à Cavaillon « où le dépôt marche très bien, peut-être parce qu’il a été fondé par un prêtre et non point par nos coreligionnaires politiques », 390 exemplaires à Nîmes « grâce au soin des légitimistes catholiques de fait ». Par contre il reconnaît un échec à Montpellier devant l’hostilité des notables royalistes de l’Hérault qui soutenaient « l’Union nationale ».

23Il est vrai qu’une fraction des dirigeants légitimistes jugeaient le Citoyen trop lié à une forme de cléricalisme populaire à mi-chemin entre Albert de Mun et Louis Veuillot.

24 Il existait aussi parmi les éléments les plus « exaltés » du parti des gens qui ne se retrouvaient ni dans le « modérantisme » des « moussus » de la Gazette, ni dans l’«ensoutanement» du Citoyen. C’est pour essayer de les satisfaire qui furent lancés une série de feuilles dont l’existence devait être éphémère faute d’argent et d’expérience. Tels furent successivement « Le Légitimiste » de Jules Bernon en 1871-72, le « catéchisme du vrai légitimiste » (3 numéros en août 1873) le « Droit national » en septembre 1873 ou le « Mérovingien » destiné un mois plus tard à répandre « les idées populaires et libérales du comte de Chambord ».

25Plus riche d’avenir devait être l’apparition, le 3 février 1877, du premier numéro de la Vedette « politique sociale et littéraire » vendue 15 centimes au numéro et 8 francs pour un abonnement annuel, il est vrai que cet hebdomadaire « satirique » et « mondain » se voulait, face au « Bavard » républicain l’organe des conservateurs de toutes nuances. Imprimée par Marius Olive, puis par Jean Doucet, elle fut d’abord animée par Charles Chataud, bonapartiste comme son père qui n’en avait pas moins été le condisciple et l’ami de Thiers. Après sa mort, en janvier 1880, à l’âge de 26 ans, c’est le légitimiste Henry Durbec qui en devint le directeur. Ce changement fut symbolisé pendant quelques mois par le remplacement en première page de l’image d’un dragon « en vedette » par celle d’un chouan, puis en 1883 on revint au dessin initial qui réalisait plus facilement l’unanimité des lecteurs. En fait la réunion des « diverses familles » du « monde conservateur » contribua à donner à certains articles un ton « agressif » qui annonce le style de la droite révisionnsite et nationaliste de la fin du siècle5. Cette tonalité nouvelle se retrouve à partir de mars 1882 dans un périodique d’abord bi-mensuel, puis hebdomadaire, paraissant le jeudi et s’intitulant le Balai « organe » de la salubrité publique », puis, peu de temps avant la mort du comte de Chambord dans la Trique « organe de la jeunesse ouvrière de Provence ». Le premier, imprimé chez Blanc et Bernard au 26 de la rue Sainte, est la propriété d’un des « jeunes » notables du parti royaliste, Louis Gay et s’adresse à un public plutôt bourgeois, le second, lancé le 29 juin 1883, est rédigé par Jean-Frédéric Digne, fils d’un sacristain de Barbentane, et s’efforce de toucher les milieux populaires. Ces deux feuilles se caractérisent comme la Vedette, par une combativité plus grande ; en même temps elles préparent l’« après Henri V » car si elles s’affirment nettement « monarchistes », elles se refusent à distinguer légitimistes et orléanistes6.

26A ces feuilles marseillaises diffusées sur l’ensemble des Bouches-du-Rhône et dans les régions environnantes il faut ajouter à un étage inférieur, des publications d’intérêt purement local, à un étage « parallèle » des journaux des départements voisins et à un étage « supérieur » la presse « nationale », essentiellement parisienne.

27 Au premier de ces étages on trouve la Prouence d’Aix, hebdomadaire, propriété de l’imprimeur Joseph Nicot, lancé en 1870, la Gazette des Bouches-du-Rhóne « journal littéraire, agricole, commercial et d’annonces » hebdomadaire dirigé dans la ville d’Arles par A. Goudal de la Goudalie, et financé notamment par Auguste Arnaud, propriétaire de la Caisse Agricole et commerciale de la cité et royaliste modéré, publié de juillet 1871 à août 1879 et remplacé en septembre de la même année par l’« Etoile du Midi » qui subsistera jusqu’en 1892, enfin le Moniteur méridional de Tarascon de l’imprimeur Lagrange collaborateur de M. de Cadillan.

28Le second étage comprend des journaux d’Avignon, Nîmes et Montpellier.

29Dans la cité des Papes les royalistes disposent de l’Union de Vaucluse, lancé en 1870, animé par deux anciens élèves des jésuites : l’imprimeur François Seguin et le publiciste Augustin Canron, il mènera une vie assez cahotante, à l’image du comité légitimiste d’Avignon jusqu’à son remplacement en février 1888 par l’« orléaniste » Courrier du Midi.

30Le Gard possède la vénérable Gazette de Nîmes, patronnée par la famille de Bernis et soutenue par le duc de Blacas ; en novembre 1875 on y avait vu poindre une éphémère « Extrême droite » rédigée par le publiciste Adrien Peladan qui entendait réaliser « l’union heureuse et féconde du pouvoir héréditaire et légitime et de la liberté ».

31A l’opposé, dans ce que l’Union (de Paris) appelait « les souterrains parlementaires du centre droit », le Voeu national se frayait difficilement un chemin depuis juillet 1875. Mais, tous ces organes furent balayés par le succès, dans le milieu « blanc », du Journal du Midi créé en 1873 en Avignon pour défendre la République mais passé à la fin de 1876 dans le camp conservateur en même temps qu’il émigrait vers Nîmes dans l’imprimerie d’Olivier Dubois. Ce quotidien qui devait survivre jusqu’en 1944 lia son ascension à celle de Louis-Numa Baragnon qu’il contribua à faire entrer au conseil général puis au Sénat ; soutenu par le père d’Alzon, fondateur des Assomptionnistes, il tirait en 1880 à plus de 12.000 exemplaires et servait 4.000 abonnés répartis dans onze départements du Sud Est. Il débordait alors largement sur la « Vendée provençale » et profitait également des difficultés de la presse blanche de Montpellier. En effet, dans cette ville, l’Union nationale, incapable de s’adapter aux nouvelles conditions de la presse populaire achevait de mourir le 8 décembre 1881 après 13 années d’existence. Mais dès le 10 décembre paraissait un nouveau quotidien vendu 5 centimes comme son principal concurrent républicain, le Petit Méridional ; il s’agissait de l’Eclair promis à un bol avenir7.

32A l’étage « supérieur », il reste la « bonne presse » parisienne. Il faut d’abord signaler que la presse légitimiste régionale utilisait fréquemment la correspondance Saint-Chéron8 et faisait d’abondantes citations des organes catholiques et conservateurs de la capitale. Ensuite, il est probable que les membres des comités royalistes aient reçu l’Union, ou, tout au moins, l’aient lu dans leurs cercles ou chez leurs amis. Quelques notables continuaient aussi à être abonnés à la très vénérable Gazette de France où écrivait l’avignonnais Armand de Pontmartin et dans laquelle Barthélémy Caune assurait une correspondance marseillaise. Les « libéraux » du parti lisaient quelquefois le Journal des Débats ou le Français, les « mondains » étaient abonnés au Figaro nettement plus répandu que le Gaulois encore trop marqué par le bonapartisme. Mais pour les éléments les plus intransigeants le véritable défenseur du Drapeau blanc était l’Univers des frères Veuillot dont plusieurs exemplaires atteignaient les milieux populaires souvent par l’intermédiaire du bas clergé.

33Naturellement, après la mort du comte de Chambord et l’avènement généralement accepté, sans grand enthousiasme, du comte de Paris, la presse légitimiste eut du mal à s’adapter.

34A Marseille, si le Balai et surtout la Vedette adhéraient sans trop de problèmes à la nouvelle situation, le Citoyen et la Gazette paraissaient de plus en plus déphasés. L’aile la plus libérale du parti songea un moment à faire du Sémaphore le nouvel organe du parti ; mais le quotidien d’Edouard Barlatier était beaucoup trop « bleuet » et trop « affairiste » pour la majorité des Blancs du Midi. Aussi, décida-t-on, sur les conseils d’Eugène Dufeuille et Lambert de Sainte Croix, alors principaux porte-paroles de la famille d’Orléans, de lancer un nouveau journal. C’est ainsi que naquit le 4 mars 1885, le Soleil du Midi.

35Son conseil d’administration regroupait des vieux légitimistes comme Marius Olive, Jules de Barbarin ou François Latil, des membres du nouveau comité royaliste comme Charles Hornbostel, Arthur Le Mée, Félix Fournier, Albert Aronand, Louis Gay ou Auguste Giry et des libéraux ralliés comme le négociant Marius Ripert, l’avoué Louis Bernard ou l’avocat Ailhaud. Après une série de crises internes, opposant libéraux et conservateurs, le nouvel organe de la rue Sainte devait trouver son équilibre à la fin de 1886 en adoptant une voie moyenne. Tirant à environ 10.000 exemplaires ce qui était nettement inférieur au Petit Marseillais et au Petit Provençal, il prit le 14 mai 1886 le sous-titre de « Nouvelliste de Marseille » et absorba le Citoyen et la Gazette en juillet de la même année.

36Soutenu essentiellement par l’industriel Félix Fournier puis par son fils Paul, il devait maintenir une présence royaliste jusqu’à la guerre de 1914.

37Avec lui seules la Provence nouvelle d’Aix, l’Etoile du Midi d’Arles continuèrent avec le Courrier du Midi d’Avignon9 à défendre difficilement les principes monarchiques en Provence10.