Chapitre I. Les origines
p. 11-22
Texte intégral
I – LES ORIGINES LOINTAINES
1Les origines lointaines du Parti Démocrate Populaire sont donc à rechercher dans une évolution historique complexe qui remonte en particulier au XIXe siècle et s’inscrit dans un ensemble de courants qui sont ceux notamment du Catholicisme Social, du Catholicisme Libéral et de la Démocratie Chrétienne. Le nouveau Parti est au terme de cette évolution au début du XXe siècle comme au croisement de ces divers courants. Même si ce n’est qu’avec un retard relatif par rapport à l’organisation en forces politiques des autres grandes tendances idéologiques qu’il naît en 1924, c’est en puisant sa sève dans ces racines profondes et anciennes que cette maturation va alors s’opérer. Celle-ci s’est ainsi réalisée par la réunion d’un faisceau de traditions intéressant certains des principaux courants du Catholicisme français depuis la Révolution et ce sera grâce au P.D.P. que pour la première fois ce que l’on peut appeler la "tendance démocrate d’inspiration chrétienne” va pouvoir s’incarner. Mais celle-ci était liée depuis longtemps à d’autres courants fondamentaux. L’évolution avait commencé depuis l’apparition face à l’idéologie libérale de l’idéologie contre -révolutionnaire et traditionaliste. "L’Intransigeantisme Catholique" avait ainsi révélé ses tendances anti-libérales, notamment sur le plan économique, dans le cadre des "défis" politiques et sociaux auxquels l’Église et le Catholicisme avaient eu alors à répondre. Les réponses apportées à ces défis avaient commencé à introduire des clivages multiples et les origines lointaines du P.D.P. sont à trouver largement dans des réponses diverses à des problèmes complexes.
2"L’Intransigeantisme Catholique" continue au début du XIXe siècle à s’opposer à l’émergence d’un "Libéralisme Catholique". La "Démocratie Chrétienne" elle-même, du moins dans ses premières formes est très largement issue de cet "Intransigeantisme", tout comme d’ailleurs le Catholicisme Social face aux conséquences du libéralisme économique. Cependant, l’évolution historique sur près d’un siècle va tendre à rendre les clivages originels plus complexes et plus flous, des rapprochements et des recoupements se produisant entre les rameaux intransigeants, catholiques sociaux, catholiques libéraux. La "Démocratie Chrétienne" elle-même peut apparaître largement comme au confluent de ces deux derniers courants. De plus le P.D.P. se qualifiera lui-même de "Parti Démocrate d’inspiration chrétienne", mais il ne recueillera qu’une partie de l’héritage de ces courants et de ces traditions. Malgré tout il y aura bien une "revendication d’héritage" de la part des principaux doctrinaires du Parti, notamment d’un Robert Cornilleau à l’égard de cette évolution antérieure. Le souci sera net, ainsi en 1924 quand le P.D.P. surgira sur la scène politique de justifier cet événement par l’arrivée à maturation d’une longue gestation historique. On parlera de "filiation intellectuelle" et d’acte de reconnaissance à l’égard de tout un courant jusqu’ici surtout intellectuel, idéologique et social dont le P.D.P. sera le premier aboutissement politique.
3Cette "recherche des origines" sera parfois même un peu éclectique, voire contradictoire dans ses composantes, mais elle intégrera notamment la postérité du "Ralliement" dans laquelle on voudra se situer, tout autant que celle du "Libéralisme Catholique" et du "Catholicisme Social". Dans la "tradition récente", où il voudra s’inscrire, le P.D.P. fera figurer en particulier le courant de la "Seconde Démocratie Chrétienne" des années 1890, préférentiellement même à celui du "Sillon" de Marc Sangnier. Celui-ci ne sera pas toujours présenté comme un des éléments de cet héritage, alors qu’une part importante sera réservée à une organisation plutôt liée au Catholicisme Social, c’est-à-dire à "l’Association Catholique de la Jeunesse Française". Cette "synthèse" revendiquée par les doctrinaires eux-mêmes du Parti englobera ainsi des éléments idéologiques qui, après un siècle d’évolution, viendront à la fois de la "Démocratie Chrétienne", du Catholicisme Social et du Catholicisme Libéral, mais avec des éléments seulement de ces trois courants. Malgré tout le problème de la "Démocratie Chrétienne" au sens idéologique est central pour les origines du P.D.P., le débat sur sa signification étant du reste non clos. Il y a en tout cas fondamentalement pour celle-ci l’idée d’un rôle nécessaire des chrétiens dans la vie politique, la Démocratie Chrétienne pouvant s’insérer comme une des idéologies en concurrence dans le jeu démocratique. On a toujours aussi la conception d’un "peuple chrétien" organisé et pré-existant, intervenant en tant que tel dans la vie de la Cité, la véritable démocratie en ce sens ne pouvant être que chrétienne... L’accent a été mis de plus par l’historiographie récente sur les origines à trouver dans le vieux fonds de l’Intransigeantisme : doctrine "pure” qui refuse un certain libéralisme, avec l’idée de parvenir à une "Restauration Chrétienne" de la société. Le problème des sources "archaïques" de la Démocratie Chrétienne, notamment médiévales, a été posé par certains doctrinaires du P.D.P. Ces complexités dans l’évolution historique ont par ailleurs été accentuées par les interventions pontificales visant à limiter l’emploi de l’expression de "Démocratie Chrétienne" à une certaine forme de Catholicisme Social, aboutissant à une certaine dépolitisation de cette notion qui ne pourra être entièrement acceptée du reste.
4C’est ainsi que triomphera pendant un temps la notion de "Partis démocratiques d’inspiration chrétienne" à laquelle voudra se référer en particulier le P.D.P., même si cette appellation pose par ailleurs le problème plus vaste des "Partis catholiques" qui n’ont jamais pu se constituer en France du fait d’une évolution historique originale, un Parti "démocrate chrétien" étant apparu lui-même avec un grand retard. La "tradition démocrate-chrétienne" avait dû se frayer un chemin dans une conjoncture historico-politique originale pour aboutir à une force politique. En fait l’expression de "Démocratie Chrétienne" n’a été vraiment utilisée qu’à partir de 1848 et du journal L’Ère Nouvelle. Lamennais dont beaucoup ont fait avec L’Avenir en 1830 le père fondateur de la "Démocratie Chrétienne" n’avait jamais employé l’expression, et il doit être plutôt rattaché avec son école au "Libéralisme Catholique" au sens large. Mais une division s’était bientôt produite à l’intérieur de celui-ci. Une tendance s’était durcie dans un sens conservateur sur le plan social et une autre avait accepté la démocratie politique et sociale qui est un des éléments constitutifs de la "Démocratie Chrétienne" que l’on voit surgir en 1848 autour de L’Ère Nouvelle et de l’Abbé Maret.
5Un autre courant s’était également développé depuis les années 1820, celui du "Catholicisme Social", dont les origines "intransigeantes" ont été souvent démontrées, liées à des aspects anti-libéraux sur le plan économique. Il s’exerce d’abord comme une critique du monde moderne issu de la Révolution et ce n’est que plus tard qu’il se divisera, une tendance acceptant d’évoluer vers un modèle plus "démocratique". Cela pourra entraîner une acceptation partielle du libéralisme lui-même. Cette aile "démocratique" se rallie ensuite à la Seconde République même s’il connaît sous le Second Empire une certaine éclipse et une évolution plus conservatrice symbolisée par l’école de Le Play. Le P.D.P. d’ailleurs se reconnaîtra plutôt dans les "dissidents" de cette école, et on voudra toujours montrer de ce côté les différences existant entre la "Démocratie Chrétienne" et le "Catholicisme Social", celle-là voulant d’abord réaliser la justice dans la société en insistant aussi sur la notion de droits individuels. Mais le "Catholicisme Social" a évolué lui aussi après 1870 parfois dans un sens démocratique grâce à un Léon Harmel qui fait la transition avec la "Démocratie Chrétienne". Car c’est dans les années 1890 qu’apparaît le mouvement que l’on a appelé celui de la "Seconde Démocratie Chrétienne" où les démocrates populaires ont voulu voir une de leurs origines fondamentales. Il naît des groupes régionaux multiples qui décident en 1895 de former un "parti démocratique chrétien". Mais une certaine hétérogénéité des tendances et des apports s’y révèle bientôt, ainsi que des complexités doctrinales fondamentales. Malgré tout les démocrates populaires noteront que pour la première fois s’y était affirmée la notion d’un "parti chrétien non confessionnel", en dépit de la présence des "abbés démocrates". C’est surtout l’Abbé Six qui exprime sa doctrine à travers la revue "La Démocratie Chrétienne" en laquelle Cornilleau voudra voir "le moniteur officiel des démocrates chrétiens", son programme étant une des bases essentielles de celui des démocrates populaires. Néanmoins une certaine tonalité "cléricale” demeurait dans ce courant contre laquelle le P.D.P. voudra par la suite réagir, du fait de la présence de l’Abbé Lemire, de l’Abbé Desgranges, mais aussi des Abbés Lugan, Roblot, etc...
6Cette "Seconde Démocratie Chrétienne" avait ainsi connu tout un foisonnement d’initiatives dispersées qui fit en partie sa faiblesse, mais qui témoignait d’une incontestable vitalité au niveau de petits groupes locaux et de toute une presse également : groupes du Nord, de la région lyonnaise, du Sud-Est, de l’Ouest, etc... Toute une génération de jeunes penseurs catholiques s’était également plus ou moins reliée à ce courant (Georges Goyau, Georges Fonsegrive), le plus important par son influence sur les futurs Démocrates Populaires. Certains groupes s’étaient d’autre part plus ou moins détachés, appartenant à la pré-histoire récente de ces derniers comme par exemple celui de L’Espérance autour de l’Abbé Roblot (Jacques Debout), plus ou moins lié au "Sillon", mais qui a tenté un moment d’asseoir les bases d’une nouvelle force politique avec le "groupe d’action démocratique” en 1906. Ce fut également le cas pour le mouvement créé autour de l’Abbé Garnier, la "Ligue d’Union Nationale" où l’on a pu voir une "Démocratie Chrétienne assagie" autour du Journal Le Peuple Français. Quant à la Chronique Sociale alors "chronique des comités du Sud-Est", née en 1892 à Lyon, elle a eu dans ses débuts une histoire liée à celle de la Seconde Démocratie Chrétienne, puis à celle du "Sillon" avant de se séparer, à la frontière du "Catholicisme Social" et de la "Démocratie Chrétienne". On avait ainsi assisté à un bouillonnement et à un foisonnement complexe, mais qui, sur le plan politique avait abouti à un échec manifeste.
7Quant au "Sillon", s’il doit être rappelé aussi bien sûr dans les origines du P.D.P., c’est dans le cadre d’une histoire et de relations complexes et de ce qu’on peut appeler un "schisme fondamental". Cependant toute une tendance qui adhérera au P.D.P. avait été formée au "Sillon" et Cornilleau lui-même reconnaîtra ce qu’il devait à celui-ci et à Sangnier, tout en mettant en cause son emprise personnelle excessive. La revue Le Sillon a été fondée en 1894. Ce mouvement refuse de collaborer avec la "Démocratie Chrétienne" et connaît par ailleurs par ses "Cercles d’Études" une rivalité avec l’A.C.J.F. Cornilleau incriminera l’ignorance du côté du "Sillon" des efforts doctrinaux de la "Seconde Démocratie Chrétienne". Mais celui-ci subit des scissions, comme celle du groupe lyonnais de la Chronique. Même si ce mouvement tente d’élaborer une doctrine de la "Démocratie Sillonniste", il se distancie des efforts de la "Démocratie Chrétienne". Cette évolution aboutit rapidement à de nouveaux départs qui se révèleront important pour le P.D.P. puisque beaucoup de ces "dissidents" le rejoindront par la suite, ("groupe d’Hellencourt", Sillon limousin et Abbé Desgranges, groupe dijonnais etc...). Le Sillon pour sa part aborde de plus en plus le domaine politique et évolue vers le "plus grand Sillon", ce qui va conduire à la condamnation pontificale, exigeant de former des "Sillons Catholiques” par diocèses. La confusion politico-religieuse autant que l’évolution pontificale avaient conduit à ce résultat Sangnier fonde en 1912 un nouveau mouvement qui se situe uniquement sur le plan politique, "La Jeune République". Il avait formé des groupes et des hommes qui vont connaître des évolutions autonomes qui en conduiront beaucoup après guerre au P.D.P.
8En effet de puissants "Sillons” s’étaient fondés au niveau local, dessinant une implantation des forces disponibles : Sillons du Nord, de l’Est, Sillon lorrain, Sillon de Bourgogne, Sillon de Bretagne etc... Une œuvre importante de propagande avait été également entamée par la presse et le "Sillon" avait ainsi réussi à occuper une partie du terrain laissé par la "Démocratie Chrétienne" en allant plus loin par exemple pour les alliances politiques à envisager. "L’esprit du Sillon" allait compter pour le P.D.P. par l’évolution vers la laïcisation et la decléricalisation, une acceptation plus franche de la démocratie parlementaire, à côté de l’appoint fondamental en hommes. Il avait été une étape originale de l’histoire de la Démocratie Chrétienne française, et une des racines du P.D.P., malgré des méfiances qui se perpétueront. Sangnier constitue en 1912 son mouvement de la "Jeune République" qui connaît dès lors une évolution vers la Gauche plus accentuée. Il ne rassemble pas tous les anciens sillonnistes et une nouvelle configuration des groupes tend à apparaître... C’est alors aussi que vont naître à côté de la "J.R." les premiers groupes de "Républicains-Démocrates", issus, soit d’anciens du "Sillon”, soit de dissidents de celui-ci ou d’éléments n’en ayant jamais fait partie et qui seront parmi les origines immédiates et principales des démocrates populaires : c’est le cas pour la Fédération des Républicains-Démocrates du Finistère créée en 1919 par d’anciens sillonnistes et dont l’action est bientôt soutenue par le quotidien de Rennes fondé en 1899, L’Ouest Éclair. Un autre pôle s’affirme aussi en région parisienne autour de petits groupes de "Républicains-Démocrates" et d’hommes comme Cornilleau, Alfred Bour, Georges Thibout, qui seront parmi les éléments moteurs de la création du P.D. P Des liens commencent à s’établir entre ces noyaux qui constituent comme l’embryon d’une force politique dans la tonalité d’une "Démocratie Chrétienne modérée" prête à un rapprochement avec des éléments catholiques sociaux et libéraux "évolués". La "tradition démocrate chrétienne" avait donc déjà une histoire longue et complexe à la veille de la guerre, aboutissant à un rapprochement des tendances fondamentales et pouvant poser le problème à la limite d’un certain "abâtardissement" et d’un "oubli des origines". En tout cas à la racine d’un parti "démocrate chrétien" comme le P.D.P., il est indispensable de resituer aussi ces racines catholiques sociales et catholiques libérales.
9Le Catholicisme Social avait commencé à se diviser sur les questions du Ralliement, de l’évolution démocratique, du corporatisme, du syndicalisme. Un nouveau point de départ avait été l’Encyclique "Rerum Novarum" de 1891, à côté de celle sur le Ralliement. Mais les divisions s’étaient néanmoins concrétisées entre une aile proche des thèses corporatistes et une autre plus favorable à l’intervention de l’État. De nombreux centres d’impulsion étaient apparus, comme "L’union d’Étude des Catholiques Sociaux" fondée en 1902, les "Semaines Sociales" à partir de 1904 qui en devinrent une des principales institutions, mais aussi "l’Action Populaire", les "Caisses Rurales", les "Jardins Ouvriers", etc... Un syndicalisme patronal catholique s’était développé aux côtés d’un syndicalisme ouvrier chrétien qui avait connu les premières phases de son développement. En même temps l’évolution s’était faite plus nette vers l’acceptation des "syndicats séparés". Un "environnement" du syndicalisme chrétien avait commencé à apparaître dans ces milieux qui avaient posé le problème de "l’Organisation Professionnelle", thème caractéristique autour de la formule du "syndicat libre dans la profession organisée". Le Catholicisme Social s’était enrichi en connaissant des évolutions "démocratiques" qui faciliteront les rapprochements avec les "démocrates chrétiens". Le groupe lyonnais de la Chronique Sociale avait manifesté les liaisons et les passages possibles. Ces évolutions avaient été significatives pour un mouvement également reconnu par la suite dans les origines du P.D.P., "l’Association Catholique de la Jeunesse Française" ou A.C.J.F., fondée en 1886 par Albert De Mun, dans un esprit au départ assez proche du Catholicisme Social et la mouvance de l’Œuvre des Cercles, l’effort devant porter surtout ici sur les élites. Mais avec la présidence d’Henri Bazire, la formule "sociaux parce que catholiques” et l’introduction de la notion d’"action civique", les évolutions s’étaient accélérées. Malgré une rivalité avec les "Cercles d’Études" du Sillon, l’A.C.J.F. avait développé ses propres cercles et son implantation, tout en rendant plus effective son orientation "sociale" et l’action "civique" qui va conduire à l’acceptation du "fait démocratique". L’A.C.J.F. est ainsi dès 1914 comme à la latitude d’une "démocratie chrétienne modérée", ce qui pourra faciliter les futurs rapprochements. Cependant, même si on s’est demandé si l’A.C.J.F. pouvait soulever la question de la formation autour d’elle d’un éventuel "parti catholique", le problème pourrait aussi être posé de la situation minoritaire de toutes ces tendances dans l’ensemble du Catholicisme français. On constate de même la permanence du troisième apport possible, celui d’un certain Catholicisme Libéral autour d’organes comme la revue Le Correspondant. Ces milieux s’étaient pour la plupart ralliés à la République autour d’hommes comme Jacques Piou et de la "Droite constitutionnelle" et le "Ralliement" avait trouvé en eux sur le plan parlementaire certains de ses meilleurs soutiens. Ses partisans, au départ minoritaires, avaient fini par former une force importante, dans les trois tendances évoquées. Mais la réalisation d’un "parti catholique" avait échoué et ce n’est qu’en 1902 qu’on avait assisté à un effort plus important autour de "l’Action Libérale Populaire". Celle-ci était constituée, essentiellement de catholiques libéraux et de Ralliés divers, accrus d’apports catholiques sociaux. Là encore son importance dans les origines indirectes du P.D.P., ne doit pas être négligée. Malgré une certaine hétérogénéité, on avait affaire à une véritable force politique s’appuyant sur une presse, un réseau d’institutions et d’œuvres sociales. Elle a développé un programme dont certains éléments seront repris par le P.D.P. Elle a connu cependant un certain déclin avant 1914, fut minée par des divisions et s’est heurtée à l’hostilité à la fois des monarchistes et des sillonnistes. Mais le P.D.P. voudra en reconnaître les mérites politiques comme ayant été la force principale des catholiques constitutionnels, si les sillonnistes en avaient condamné les insuffisances sociales. En tout cas, on ne saurait en nier l’importance comme premier modèle d’un rassemblement des catholiques républicains, modérés, libéraux et sociaux. Même si ce ne fut pas un parti "démocrate chrétien", le P.D.P. y verra l’exemple d’une pénétration possible des milieux républicains, avec en tout cas un héritage qui lui reviendra partiellement. Mais ce qui apparaissait aussi à la veille de la guerre, c’était une division fondamentale des catholiques français au niveau politique et une faiblesse des tendances "démocrates" et sociales également marquées par une division que le P.D.P. va tenter de faire disparaître durant sa gestation immédiate en 1919-1924.
II – LES ORIGINES IMMÉDIATES 1919-1924
10On assiste en effet dans cette période à la préparation de la naissance du Parti Démocrate Populaire. En 1919 il y a malgré tout une série d’échecs concernant la volonté déjà affirmée par certains de constituer une nouvelle force politique d’inspiration démocrate-chrétienne. Les conditions générales semblaient pourtant favorables sur les plans religieux et politico-religieux après une guerre où l’on avait constaté une réintégration des catholiques dans la vie de la nation. En 1919, les problèmes ont changé de dimension et la question de la Laïcité est relativisée au milieu de problèmes plus urgents. Pour les catholiques et l’Église, il se produit une évolution vers ce qu’on a appelé le "Second Ralliement", après la phase d’affaiblissement du premier avant 1914 et dont une des premières illustrations sur le plan politique est l’adhésion des catholiques au compromis du "Bloc National". Ce "Second Ralliement" s’inscrit dans un renouveau religieux visible sur tous les plans, même si l’intégration n’est pas totale et si elle s’accompagne de la permanence de réflexes de "défense religieuse". Dans ce contexte, les divisions fondamentales du catholicisme français se révèlent sur tous les terrains et les clivages multiples se recoupent d’ailleurs de façon complexe. Il subsiste des éléments qui ne sont ni libéraux, ni démocrates, ni républicains, ni peut être très sociaux, et de plus se pose le problème de "l’Action Française" et de son influence, la formation d’un "parti catholique" étant toujours restée impossible.
11Cependant il pouvait apparaître dès 1919, une problématique d’un regroupement éventuel des diverses tendances existantes dès avant la guerre. En tout cas la tendance "démocrate d’inspiration chrétienne" constituait désormais une "gauche" du Catholicisme "politique", même si elle était déjà divisée entre la "Jeune République" et les "Républicains-Démocrates". Divers types de regroupements étaient envisageables, soit entre ces deux rameaux, soit plus au centre-droit entre les "Républicains-Démocrates" et certains catholiques sociaux et catholiques libéraux "démocrates". C’est cette évolution qui va se produire pour aboutir à la formation du P.D.P. par un rapprochement entre l’aile "modérée" des démocrates chrétiens et l’aile "avancée" des catholiques sociaux et libéraux. Des interpénétrations avaient déjà commencé avant 1914, s’il y avait alors pour les catholiques sociaux un fondamental rejet du "politique", qui s’atténue pour certains du moins après 1919. Pourtant on avait assisté à une situation fondamentale de déclin et de désunion de ces tendances avant 1914, cet "élan brisé" ayant été comme symbolisé par la condamnation du Sillon. La "Démocratie Chrétienne" semblait avoir échoué à la fois face à l’Église et aux "républicains laïcs". Cependant dès la guerre, des germes de renouveau avaient commencé à resurgir, des initiatives diverses et des contacts avaient été pris dans le sens d’une volonté de rapprochement plus vaste. Des publications comme Notre Étoile et surtout L’Âme Française s’étaient révélées d’une grande importance pour les origines mêmes du P.D.P. En 1917 L’Âme Française met en contact des éléments issus du Sillon, de la Démocratie Chrétienne, et d’autres du Catholicisme Social (A.C.J.F., C.F.T.C., Semaines Sociales). On déclare qu’il faut concilier "l’idéal politique" des ex-sillonnistes et "l’idéal social" des catholiques sociaux, autour d’hommes comme Pezet, Raymond-Laurent, Cornilleau. Dans ces conditions au cours de l’après-guerre, réapparaissent un certain nombre de groupements politiques qui vont continuer l’action des "Républicains-Démocrates", notamment celui de la région parisienne : création de la Fédération des Républicains-Démocrates de la Seine en juin 1919 qui aura Le Petit Démocrate comme organe. Ce sera un des noyaux principaux pour la formation du futur Parti, aux côtés de la Fédération des Républicains-Démocrates du Finistère qui reprend son action politique. C’est aussi le cas pour des groupes divers du même esprit comme la "Fédération des Républicains-Démocrates du Sud-Est", ou celle du Nord, fondées en 1919. D’autres groupes existent encore dans le Pas-de-Calais, la Somme, la Seine-inférieure, ("Fédération des Républicains-Démocrates de Normandie"), le Limousin ("Association des Démocrates du Centre" issue de la scission du "Sillon de Limoges"), le Puy de Dôme. De petits noyaux analogues existent également dans la Côte d’Or, les Savoies, la région Drôme-Ardèche, la Vendée, le Loiret, la Sarthe...
12Mais par ailleurs à côté ou en face de ces groupes de "Républicains-Démocrates", il y a toujours la "Jeune République" de Marc Sangnier qui se reconstitue et d’autres forces à resituer dans ce tableau comme L’Ouest Éclair autour de l’abbé Trochu et de Desgrées du Lou, le groupe autour de Paul Archambault et de la revue La Nouvelle Journée. A ces potentialités de la "Démocratie Chrétienne" au sens large viennent s’adjoindre les éléments nouveaux venus des "provinces recouvrées" d’Alsace et de Moselle : dès 1919 sont jetées en Alsace les bases de "l’Union Populaire Républicaine d’Alsace" ou "U.P.R.A." et en Moselle se forme l’U.R.L. ou "Union Républicaine Lorraine". Le problème pouvait se poser des contacts entre ces partis régionaux et les forces d’inspiration voisine de l’intérieur. A côté encore c’est toute la force du Catholicisme Social qui se restructure. La question pouvait donc être celle en 1919 d’une éventuelle reprise de contact entre les groupements reconstitués ou en voie de reconstitution, et d’abord entre ceux représentant l’héritage de la Démocratie Chrétienne. Mais on aboutit ici à un échec en plusieurs étapes, et tout d’abord à celui de la Pentecôte 1919, malgré un effort dont l’initiative revient à L’Âme Française qui pense à Marc Sangnier pour "patronner" un début de regroupement. Mais celui-ci se dérobe à ces invites et la déception est vivement ressentie par certains. En fait, de façon profonde, des divergences demeuraient entre les "Jeunes Républicains" et les "Républicains-Démocrates", ceux-ci pensant désormais plutôt à un rapprochement avec certains catholiques sociaux. Les démocrates chrétiens se trouvent ainsi face à la conjoncture des élections de 1919 qui vont être importantes pour la "Question Religieuse". "L’Action Libérale" n’est pas alors vraiment reconstituée en vue de ces élections, mais elle est néanmoins un des interlocuteurs privilégiés dans les négociations qui s’engagent pour l’élaboration du "Bloc National", dont la cheville ouvrière est cependant "l’Alliance Démocratique" qui s’adresse aux catholiques sur sa droite et aux radicaux sur sa gauche. Un compromis est élaboré sur le plan religieux qui tente de concilier le rappel de la Laïcité et les exigences des catholiques. Mais il n’est pas accepté par toutes les tendances chez ces derniers. "L’Action Libérale" y adhère, de même que les Républicains-Démocrates de la région parisienne. Dans l’Ouest, L’Ouest Éclair joue également un rôle important en faveur de ce compromis que la "Jeune République" aussi finit par accepter. Les élections au scrutin de liste, favorables à la Droite au sens large voient un certain nombre de "démocrates chrétiens" et de "catholiques sociaux" être élus sur les listes du Bloc, dans le Finistère, la Région parisienne, aux côtés d’un certain nombre d’élus issus de "l’Action Libérale".
13Dans l’absolu il pouvait se constituer un groupe à la Chambre sur lequel certains comptaient et rassemblant certains de ces éléments. Mais cette entente parlementaire ne se réalise même pas. Cet échec est le second des tentatives d’union en 1919, à défaut de la formation d’un Parti. Les élus "d’inspiration démocrate-chrétienne" n’adhèrent pas à un même groupe, si l’on retrouve un grand nombre d’entre eux à "l’Entente Républicaine Démocratique". Mais la période du "Bloc National", pourtant favorable à ces tendances se déroule avec l’absence de Parti et de groupe d’inspiration catholique, démocrate et sociale, dans une Chambre où pourtant les catholiques et les "Ralliés” n’avaient jamais été aussi nombreux. Cependant la période 1919-1924 est celle de la maturation progressive vers la création du P.D.P. Elle s’opère de façon complexe en plusieurs étapes : échec de la "Ligue Nationale de la Démocratie", puis succès du "Bureau d’Action Civique”. C’est ici semble-t-il tout d’abord la "Jeune République" qui prend les devants par des contacts établis du côté des groupes Républicains-Démocrates comme celui du Finistère. En fait on parle seulement d’un "espoir d’entente" et c’est en juin 1920 qu’est déclaré conclu un accord visant à la formation d’une Ligue et non d’un Parti, la "Ligue Nationale de la Démocratie". Les Républicains-Démocrates acceptent de participer à sa commission exécutive et elle s’organise comme un groupement de fédérations régionales, comprenant en théorie des représentants des deux grandes tendances. Mais cette fusion est prise plus ou moins au sérieux suivant les régions. Un "Conseil National" se tient en mars 1921 où les divergences commencent à se faire jour. Le prétexte en est le domaine international où Sangnier prend des initiatives spectaculaires dans le sens du rapprochement franco-allemand au sein de son "Internationale Démocratique". Mais les désaccords sont plus larges sur l’ensemble du programme politique et social qui n’est adopté qu’en juin 1921 et qui est souvent plus "avancé" que celui des Républicains-Démocrates. Les oppositions grandissent au sein de la Ligue où beaucoup de fédérations sont en fait mort-nées.
14Lors d’une assemblée générale extraordinaire en juin 1922, la rupture est consommée dans des conditions complexes. Une majorité pour des raisons diverses refuse la dissolution, et une minorité en revanche autour de Marc Sangnier quitte la Ligue avec la majorité de la J.R., une minorité de celle-ci y restant Elle est désormais contrôlée par les Républicains-Démocrates. Si Sangnier par le d’une "situation nette" après cette rupture, cet essai de rassemblement n’avait été pris au sérieux que par certains "Républicains-Démocrates" comme ceux du Finistère. Du côté des "Parisiens", on préfère conserver la Ligue "nouvelle manière" en tant qu’un des instruments du futur regroupement. En fait, la L.N.D. n’avait pu avoir aucune action effective et l’issue de 1922 a été accueillie avec un certain soulagement des deux côtés. Le primat de l’action internationale de la J.R. pouvait gêner les R.D., mais la différence des tonalités politico-sociales fut sans doute déterminante, la J.R. ayant conservé une certaine méfiance à l’égard d’un rapprochement avec les catholiques sociaux. Mais du côté des R.D., on reprochera à la J.R. cet ostracisme à l’égard d’une ouverture vers ceux-ci et les républicains modérés. C’était malgré tout un échec pour "l’union des démocrates", même si la tentative n’avait pas été conduite assez vigoureusement.
15Désormais les Républicains-Démocrates se tournent de façon plus franche vers un rassemblement avec les catholiques sociaux, et cela notamment à partir de la Semaine Sociale de Strasbourg en 1922 où Raymond-Laurent est contacté à titre privé par certains représentants du Catholicisme Social (Flory de l’A.C.J.F., Tessier de la C.F.T.C., Boissard des Semaines Sociales) qui lui demandent si, face à l’Action française l’action entreprise dans la région parisienne ne pourrait pas être étendue au niveau national. Cette entrée en scène est importante, même si elle n’engage pas les organisations, et des journaux comme Le Petit Démocrate, L’Âme Française, La Nouvelle Journée, y font largement écho. Cette impulsion est en effet décisive pour la création du "Bureau d’Action Civique" ou "B.A.C." que l’on peut considérer comme la matrice du P.D.P. car il est conçu comme un organe de liaison entre les Républicains-Démocrates et les catholiques sociaux. Les réunions se multiplient à l’automne 1923 avec publication d’un bulletin et un but qui est désormais clairement de préparer l’élaboration d’une nouvelle force politique. Le mot "civique" permet alors de réaliser la synthèse entre la notion politique et la notion sociale et pour les "sociaux" autorise une évolution vers l’acceptation du "politique". Cependant la période reste confuse sur le plan de l’organisation des groupes qui vont bientôt fonder le P.D.P., le maintien de la L.N.D. ayant pu être souhaité par certains R.D. comme un moyen de conserver des liens entre les fédérations existantes et débarrassées de la J.R., malgré le maintien d’éléments qui y créeront bientôt des problèmes. En tout cas on y aborde la question de ce que l’on appelle un "Cartel Social” et la Ligue est associée à la gestation du B.A.C. Mais dès lors on a affaire à deux organismes, l’un en perte de vitesse, la L.N.D., et l’autre en situation dynamique et qui dispose d’appuis puissants, le B.A.C. s’orientant vers le Centre-Droit. Face à cette évolution le groupe de la "J.R. minorité" et de "l’Action Démocratique" essaie de réagir, en alertant des éléments supposés être plus à gauche chez les R.D. Mais la Ligue est largement privée de son rôle initial et c’est en dehors d’elle que se fait l’essentiel de l’élaboration du nouveau parti.
16Du côté du B.A.C. une déclaration en juin 1923 est signée à la fois par des catholiques sociaux et des Républicains-Démocrates qui affirment leur intention de faire se rapprocher les hommes et leur organisation. Un "Comité d’initiative" invite ceux que l’on appelle "nos amis" à mettre en place soit des organisations à caractère nettement politique, soit des "cartels sociaux" avec des catholiques sociaux et des syndicalistes chrétiens. Le B.A.C. se met en marche en utilisant l’appui de certains dirigeants catholiques sociaux qui tiennent à rester discrets et à ne pas engager directement leurs organisations. On assure en décembre 1923 qu’il ne saurait être question d’un "parti catholique", ni même "catholique social", s’il est demandé cependant aux "groupements du même esprit" d’adhérer au B.A.C. Celui-ci esquisse un programme qui, malgré tout, est assez en retrait par rapport à la L.N.D. Mais le B.A.C. s’attache déjà à mettre en évidence des exemples d’"action civique et politique", au niveau local. Un premier congrès du B.A.C. se tient en janvier 1924 à Paris. Dans l’immédiat, il ne provoquerait aucune action électorale avant les élections législatives qui décideront si la formation d’une groupe parlementaire est possible. Mais l’évolution est décrite comme inévitable vers le "Parti Nouveau". Le Petit Démocrate et L’Âme Française suivent ces efforts avec attention, les instruments principaux de cette action étant bien les Républicains-Démocrates de la Seine et certains catholiques sociaux. Des dirigeants jouent le rôle essentiel de "courtiers" pour ces contacts comme Jean Lerolle, Philippe De Las Cases, dans le cadre d’un "soutien indirect" des grandes organisations a un effort politique, pour la première fois accepté de ce côté. Ce soutien a pu lui-même être accentué par l’intervention de divers "groupes" comme le "Groupe Pératé". La volonté politique essentielle avait été le fait des R.D. de la Seine vers une orientation politique dès lors très nettement marquée au Centre-Droit. Cet effort national est d’autre part épaulé par des efforts importants au niveau local et qui comptent dans les origines du P.D.P., et par des rapprochements entre catholiques sociaux et démocrates chrétiens. C’est le cas tout d’abord pour la Fédération des R.D. de la Seine qui joue un rôle à la fois national et local autour de quelques-uns des futurs principaux leaders du P.D.P. Elle conserve une structure fédérative et des "comités" répandus dans toutes la banlieue parisienne, organise des congrès cantonaux et fédéraux, s’occupe de "réalisations sociales" dans une symbiose avec le Catholicisme Social, si elle a des buts essentiellement politiques. Elle oriente son effort vers les républicains modérés du Bloc et espère être un "agent de liaison entre les diverses fractions de l’opinion républicaine". Son action est appuyée par Le Petit Démocrate dont la vocation devient de plus en plus nationale, La Nouvelle Journée d’Archambault se fondant avec lui en 1923. Elle aide à la formation de Fédérations similaires en Seine-et-Oise, en Seine-et-Marne tout en affirmant de plus en plus nettement sa vocation à un rôle de coordination nationale. Tout se passe comme si on lui en avait fourni les moyens. Son programme se réfère explicitement à celui de la "Seconde Démocratie Chrétienne" des années 1890, marquant une évolution vers une "Démocratie Chrétienne modérée" qui doit s’orienter en particulier vers les "bourgeois catholiques" à conduire en direction d’un "idéal social". Sur le terrain religieux, c’est la formule du "Bloc National" que l’on veut perpétuer afin d’aboutir à la "Paix Religieuse" qui doit être maintenue en vue des élections de 1924. Pour cela, il faut une "union du parti républicain", ébauche de ce qui sera plus tard la "concentration" préconisée par le Parti. Tout cela ne pouvait conduire qu’à la rupture avec la J.R. et au rapprochement avec certains catholiques sociaux. Tous les caractères du futur P.D.P. se trouvent déjà dans cette Fédération de ces années.
17La Fédération des R.D. du Finistère s’affirme comme le second pilier du mouvement Républicain-Démocrate. Elle élabore dès 1919 un programme qui se veut régionaliste et qui est sur de nombreux points plus avancé dans le domaine social que celui des R.D. de la Seine. Son organe Le Petit Breton a le soutien de L’Ouest Éclair, ce qui marque le début du soutien du grand journal de Rennes aux origines du Parti et dans sa vie elle-même. Mais, fait original, les Finistériens conservent des relations plus marquées du côté de la "J.R." et des solidarités "sillonnistes" et toute une pléiade de leaders de valeur s’y révèlent (Simon, Trémintin, Jadé, Balanant, etc...). La F.R.D.F. s’intègre de plus en plus au courant qui conduit à la création du P.D.P. et elle est aussi une des premières à établir des contacts directs avec les Alsaciens de l’U.P.R. Elle se distingue encore par une action sociale importante et elle est dès cette époque un des noyaux solides pour une future force politique. D’autres pôles surgissent comme autant de Fédérations du Parti à créer, malgré une histoire complexe des relations avec la L.N.D. et la J.R. C’est le cas pour "l’Association des Démocrates du Centre" à Limoges autour de l’Abbé Desgranges qui salue les efforts du syndicalisme chrétien. C’est là encore la tendance d’une "Démocratie Chrétienne modérée" qui se manifeste. Dans de nombreux départements, on assiste aussi à la réalisation de ces "cartels sociaux" préconisés par le B.A.C. C’est le cas en Seine-Inférieure pour la "Fédération des Républicains-Démocrates de Normandie" créée en 1920 qui est une des premières à répondre aux appels à l’union avec les catholiques sociaux. En 1923 on aboutit à la formation de "l’Union des Chrétiens Sociaux et des Républicains-Démocrates". Le "cartel social" affirme la nécessité de s’engager désormais sur le terrain de la politique militante. En Provence aussi ces méthodes d’action ont une influence sur la base d’une "Fédération Démocrate du Sud-Est" créée à la L.N.D. et qui conserve des relations avec la J.R. Mais le problème d’une liaison avec les catholiques sociaux est posé en 1923-1924, l’action de ceux-ci remontant largement avant 1914. C’est notamment dans les Bouches-du-Rhône que s’opère une première symbiose autour des groupes de Marseille, Salon, Aix et du journal Le Petit Régional de Raoul Francou. Une action liée essentiellement au B.A.C. pourrait être également décrite en Vendée avec la "Fédération vendéenne d’Union Nationale Républicaine", groupement politique ouvert au Centre-Droit dans l’esprit d’un Catholicisme Social et Libéral face aux tendances monarchistes. Les futurs députés Durand et Gallet y commencent une action. Dans le Sud-Ouest aussi, une activité se manifeste autour de la "Fédération du Sud-Ouest" de la L.N.D. et de ses noyaux girondins. Mais des centres d’impulsion y existent encore, liés au Catholicisme Social républicain et démocrate et au B.A.C. C’est le cas à Toulouse, dans le Tarn autour du Journal du Tarn, dans les Basses-Pyrénées grâce au Patriote des Pyrénées, tout un réseau de presse commençant à se révéler. Parmi les groupes existants et qui donneront naissance à des Fédérations du P.D.P., on peut également indiquer ceux du Loiret, du Puy-de-Dôme où la Fédération des R.D. essaie de se maintenir à distance égale de la J.R. et des autres R.D.
18La situation est aussi confuse dans le Nord où existe depuis 1919 une "Fédération des Républicains-Démocrates" autour de Victor Diligent et qui refuse de même de choisir immédiatement entre la J.R. et les R.D. On y parle du "cartel social" avec les syndicalistes chrétiens. Un foisonnement complexe apparaît et au delà d’une confusion initiale dans les relations avec la J.R., une convergence se fait vers une action politique dans le sens voulu par les initiateurs nationaux. Cette convergence peut être encore facilitée par le rôle de L’Ouest Éclair lui-même en 1924-1924 qui accorde un soutien au Petit Démocrate qui devient grâce à lui dès 1923 un organe national. Par là il a nettement favorisé la naissance du nouveau Parti qui sera par la suite accusé d’être sa créature. Le journal se prononce en faveur d’un "grand parti Républicain National et d’une politique nettement orientée au Centre-Droit" contre les surenchères monarchistes. Il est indéniable qu’il bénéficie de soutiens dans l’Église, comme la politique des Républicains-Démocrates par ses relations avec Mgr Vanneufville ou l’Abbé Renaud avec qui Desgrées du Lou rédige le "Mémoire Confidentiel" en vue des élections de 1924 à l’Episcopat qui préconise une politique modérée et le refus des intransigeances. A côté de ces apports, un autre est en préparation aussi venant des Alsaciens et des Mosellans. L’U.P.R. alsacienne, malgré ses divisions internes a déjà des relations établies du côté des éléments démocrates chrétiens de l’intérieur comme ceux du Finistère. Ces contacts sont comme le prélude à la formation du groupe parlementaire Démocrate de 1924 composé aux trois quarts de Bretons et d’Alsaciens. Ceux-ci voient en tout cas parmi les tendances les plus proches d’eux ces Républicains-Démocrates liés au Catholicisme Social et au Syndicalisme Chrétien. Mais la "Démocratie Chrétienne" de ces années comprend aussi d’autres groupes dans une "mouvance" complexe comme celui autour de Francisque Gay qui lance La Vie Catholique en 1924, ou celui autour de Paul Archambault et de La Nouvelle Journée qui reste un de ces organes où continuent de se côtoyer des Républicains-Démocrates et des Jeunes Républicains et auquel collabore une partie de l’élite intellectuelle du temps. Archambault commence à y préciser sa notion de la démocratie, ce qu’il continuera plus tard autour du P.D.P. Un autre organe joue également un rôle intellectuel, Le Mouvement des Idées sous la direction de l’Abbé Lugan et dont l’effort est surtout orienté vers la lutte contre les tendances "intégristes". Quant à la "Jeune République", elle reste isolée, la dimension la plus importante de son action se situant alors sur le terrain international dans le cadre de "l’Internationale Démocratique". Des contacts sont établis avec les catholiques italiens et Luigi Sturzo qui tente de jeter les bases d’une "Internationale des partis démocrates chrétiens", mais qui ne trouve pas dans les structures élaborées par Sangnier les éléments nécessaires. Sur le plan intérieur celui-ci continue à affirmer qu’il pense à un "grand parti démocratique", mais aux caractères en fait différents du futur P.D.P. En effet, les catholiques sociaux continuent leur action même si leurs organisations demeurent toujours d’une très grande réserve à l’égard de l’action politique, comme l’Union d’Études des Catholiques Sociaux (U.E.C.S.) qui en reste un axe, les groupes parisiens et lyonnais l’animant. Mais c’est aussi le cas pour les "Semaines Sociales" et pour "l’union des Secrétariats Sociaux", où se trouvent de nombreux futurs "Démocrates"... Un autre élément fondamental est enfin la C.F.T.C. dont les relations se précisent avec l’ensemble des catholiques sociaux. Dans le domaine politique, elle préconise cependant une grande prudence et une attitude d’indépendance. Les mêmes problèmes se poseront pour l’A.C.J.F. qui avait développé dès avant 1919 ses positions "sociales et civiques”. Charles Flory en devient président en 1922 et Marcel Prelot anime la "commission des études" où il évoque la nécessité des "études civiques" que l’on a pu considérer comme une "propédeutique" à une action politique. La question du devoir "civique" et en fin de compte politique des jeunes à la sortie de l’Association est posée dans un sens qui pouvait être parallèle à celui du futur P.D.P. autour des "anciens de l’A.C.J.F.". Pour le "Catholicisme Libéral", ”l’Action Libérale" achève alors de se disperser. Mais des éléments issus de celle-ci pourront là encore s’orienter dans le sens souhaité par les initiateurs du P.D.P., même si ceux-ci affirment qu’il faut désormais aller plus loin.
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