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Paul Ramadier (1888-1961)

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Aline Fonvieille-Vojtovic

Quatrième partie. 1948 -1961. La rançon du succès : une personnalité nationale déstabilisée dans son fief

Chapitre I. L’homme de la troisième force (1948-51)

Texte intégral

1Jusqu’en 1950 la SFIO participe aux gouvernements, Ramadier sera encore deux fois ministre. Mais l’œuvre gouvernementale à laquelle il est associé lui aliène une partie de son électorat. Le ministre dessert l’élu local.

Une stature nationale et internationale confirmée

2Ramadier participe encore à plusieurs ministères, dont le plus important est celui de la Défense nationale, et il entre au Bureau International du Travail.

  • 1 Voir Colloque Queuille. Ramadier et Queuille étaient très amis.
  • 2 Ramadier était chargé d’assurer la liaison entre le gouvernement et les Assemblées et de présider l (...)
  • 3 Déclaration du 29 août. Année politique 1948.
  • 4 8 socialistes – 9 MRP – 7 radicaux – 4 UDSR – 6 droite classique.
  • 5 Voir R. Poidevin : « R. Schuman ; homme d’Etat » (a rendu visite à De Gaulle à Colombey le 4 avril  (...)

3Le prestige qui reste attaché au passage à Matignon, la qualité de médiateur qui lui est reconnue et sa capacité à assumer la gestion d’un département ministériel expliquent ses nouvelles responsabilités. Après la chute de son successeur Robert Schuman le 20 juillet 1948, le président de la République charge le radical André Marie de former un nouveau gouvernement. Celui-ci élargit au maximum la coalition modérée puisque Paul Reynaud, indépendant, arrive aux Finances et que Léon Blum devient vice-président du Conseil. Deux hommes qui se ressemblent assez par leur carrière et leur tempérament, Henri Queuille dont c’est la rentrée politique après la guerre1, et Paul Ramadier, sont ministres d’Etat sans portefeuille2. Mais le cabinet ne dure qu’un mois, victime de son hétérogénéité ; les socialistes et une partie des chrétiens populaires refusent le plan Reynaud jugé trop réactionnaire. Les socialistes étant les « tombeurs » la balle est dans leur camp ; V. Auriol pressent le 28 août Ramadier, qui se désiste rapidement n’espérant pas aboutir : « J’ai rencontré dans tous les groupes que j’ai consultés le même accueil plein de sympathie personnelle. J’ai recueilli l’adhésion entière et loyale du MRP. J’ai reçu de la part du groupe radical un témoignage de préjugé favorable. Ces éléments, toutefois, ne me paraissaient pas suffisants pour qu’un gouvernement puisse faire face aux obligations que j’ai indiquées »3. Ramadier avait jugé que le gouvernement devait être assuré de la durée pour appliquer une politique financière rigoureuse dont les inconvénients devaient être équitablement partagés. Le balancier penchant plutôt vers la droite et de plus en plus, Auriol se tourne à nouveau vers le MRP et son leader Robert Schuman. Après bien des difficultés, il forme un cabinet qui, investi le 5 septembre, est renversé le 7 ! Le mal commence à attaquer la République. Auriol et Herriot, le président de la Chambre, se mobilisent et fixent leur choix sur Henri Queuille. Pour aboutir, celui-ci doit se charger du ministère des Finances dont personne ne veut ! (M. Petsche l’acceptera en janvier 1949). Le gouvernement est un des plus nombreux et de large coalition4. Ramadier détient le ministère de la Défense nationale, aux côtés de ses amis socialistes Jules Moch, toujours à l’Intérieur, Christian Pineau aux Travaux publics, Robert Lacoste à l’industrie et au Commerce, Daniel Mayer au Travail. Ce sera un assez long gouvernement (11 septembre 1948 – 4 octobre 1949) qui, en pleine Guerre froide, devra lutter contre la dégradation financière et les assauts répétés des gaullistes et des communistes. En effet, malgré la visite secrète de R. Schuman à De Gaulle, celui-ci continue de jouer la chute du régime5. Mais la IVe République sera défendue avec calme et fermeté par Queuille, Moch et Ramadier.

Ramadier, ministre de la Défense nationale

  • 6 AD 52J69 et suivants...
  • 7 Seuls Le Troquer dans le cabinet Blum de 1946 et J. Moch dans le cabinet Pleven de 1950 en sont ave (...)
  • 8 Voir p 38.

4C’est un de ses plus longs ministères, et qui laisse de plus de traces dans les archives (23 dossiers)6. Peu de socialistes ont occupé ce poste, chasse gardée du MRP avant 1947 et des radicaux ou de l’UDSR après7 ; quant à François Billoux communiste, il ne régna en 1947 que sur un décor vide ! La gauche n’inspire toujours pas confiance dans sa capacité à défendre le territoire. L’idéologie internationaliste et pacifiste paraît contradictoire avec les intérêts de la Nation aux yeux de la droite, plus belliqueuse dans son discours. Il n’est pas sans intérêt de connaître les idées et les actes de Ramadier, ancien socialiste antimilitariste avant 1914, qui fut qualifié par la droite aveyronnaise de fauteur de troubles au 122e régiment de Rodez !8.

  • 9 Pour ce chapitre se reporter aussi au colloque Ramadier. Maurice Vaisse : « Ramadier et les problèm (...)

5A la tête du ministère de la Défense nationale, il doit gérer une difficile situation matérielle, et faire des choix politiques qui prolongent en fait l’engagement dans le camp occidental fait dans des circonstances déjà analysées9.

La gestion de l’armée : grands besoins et petits moyens

  • 10 AD 52J70.

6Ramadier succède à P.H. Teitgen (ministère Schuman) et René Mayer (ministère Marie). Dans la présentation du budget 1949 qui lui incombe à l’automne, le ministre parle de sincérité et de clarté nécessaires devant le Parlement. Les impératifs économiques et financiers doivent être respectés, si bien que la contradiction est flagrante entre les souhaits des militaires et les réserves des financiers. Les besoins de l’armée sont énormes : il faut reconstituer son potentiel détruit par la guerre, mais aussi réduire les tâches un peu trop ambitieuses élaborées dans l’euphorie de la Libération, d’autant plus que les dépenses en Indochine et la coopération internationale (Pactes futurs) introduisent de nouveaux éléments. Il est nécessaire de réaliser des économies en réduisant les effectifs et en comprimant les services. Déjà, en tant que président du Conseil, Ramadier avait reclassé les militaires dans l’échelle de la fonction publique, ce qui avait provoqué leur grogne. Le général Revers, chef d’état major général des Forces armées adresse le 5 février 1949 une lettre à son ministre désapprouvant les réductions d’effectifs qui risquent de provoquer des conflits intérieurs et de manquer pour l’Indochine10. Mais le ministre tient bon. Les militaires ne sont pas partis pour faire bon ménage avec la IVe République et surtout pas avec la gauche.

  • 11 Rapport de Ramadier au Conseil national socialiste de février 1949. Bulletin Intérieur – OURS.

7Le ministre juge « qu’il y a une limite qu’on ne peut pas dépasser. Il n’est pas possible que l’Etat dépense plus de 25 ou de 30 % de son budget en temps de paix à la préparation de la Défense nationale... Il faut que nous fassions l’armée de nos moyens et il faut que nous la concevions à la mesure de ces moyens »11. Langage réaliste sans doute mais qui suppose des choix judicieux de programmation militaire.

  • 12 Témoignage de Ph. Huet membre de son cabinet qui participera à l’élaboration des programmes et AD 5 (...)

8Le budget qu’il prépare pour 1950 fait porter essentiellement les efforts sur l’armée de l’Air et la réorganisation de l’industrie aéronautique ; une loi-programme est déjà présentée le 28 juillet 1949. Aux yeux de ses collaborateurs, Ramadier a eu le mérite de mettre de l’ordre dans un domaine qui en manquait12.

9Gérer la Défense nationale est donc une lourde affaire dans la mesure où la sécurité du territoire et le maintien de l’ordre dans les colonies exigeraient bien d’autres moyens. Quelle est donc dans ce contexte la politique suivie ?

Les choix politiques

  • 13 Revue « Socialisme démocratique » Genève – Février 1953 « La guerre : mal absolu ».

10La philosophie générale est celle d’un socialiste, c’est-à-dire d’un pacifiste de tempérament mais que l’épreuve de la première puis de la deuxième guerre mondiale a convaincu que la défense du territoire national reste un impératif. Ce « socialisme patriotique » est d’ailleurs la doctrine de Guy Mollet et de la SFIO. Un article un peu postérieur à l’époque envisagée ici, résume tout à fait son point de vue13. Remontant aux sources, il cite Robert Owen qui décrétait catégoriquement que la guerre est un mal absolu. Se plaçant dans une perspective socialiste et tirant les leçons du passé, Ramadier constate en effet que, si l’« Europe de 1914 était fort éloignée de la justice, deux guerres cependant ne nous ont pas conduits vers le progrès ». Au contraire, elles ont amené fascisme, nazisme, bolchevisme, dictactures. « La paix ou pour le moins de longues périodes de paix sont nécessaires à l’essor du socialisme », si l’on considère qu’il s’établira progressivement et par des réformes ; « la catastrophe capitaliste, l’apocalypse du Grand Soir ne sont pas les conditions nécessaires à l’évolution socialiste »... « Le véritable socialisme n’est pas destruction mais libération ». Or la guerre entraîne la suspension des libertés offrant « des chances inespérées aux apprentis tyrans ». De ce fait « un socialiste ne peut pas sans trahir son idéal faire entrer la guerre dans ses desseins » (d’où pour lui la grande vertu du pacte Briand-Kellog en son temps).

11Cependant les socialistes ne sont pas maîtres du monde, parfois, ils doivent « accepter la lutte pour se défendre du mal des autres », (cf. 1914 et 1939), donc ils doivent préparer la défense de leur pays. Depuis 1947, quel est le danger principal pour la France ? C’est le bolchevisme stalinien, contre lequel on doit se prémunir car « le socialiste n’est pas un gribouille qui se jette dans le mal communiste pour fuir le mal capitaliste », moindre mal semble sous-entendre Ramadier. Voilà pour la théorie.

  • 14 Bulletin Intérieur, février 1949 – OURS.

12En février 1949, comme ministre de la Défense nationale il déclarait donc sans détour, devant le Conseil national de la SFIO : « Il faut que le parti socialiste ait une politique de Défense nationale. Le temps où nous pouvions penser que les simples et ardentes paroles de paix auraient un retentissement universel est malheureusement passé. Un rideau de fer s’est abattu à travers lequel ne passe aucune parole »14. Soyons certes pacifistes mais pas naïfs, dit-il en somme à ses camarades, qui du reste en sont persuadés au sortir de la dernière guerre, après s’être bercés d’idéalisme au lendemain de la précédente. D’après le ministre, l’ennemi est donc à l’Est et il est redoutable, car la stratégie soviétique ne s’en tient pas seulement à la guerre classique mais recourt aussi à l’action subversive intérieure (Europe de l’Est, Grèce et France). Par toutes sortes de moyens l’URSS se constitue un glacis. Il est alors dangereux de suivre les tendances profondes des socialistes qui sont le pacifisme, car l’URSS, elle, conduit une politique d’expansion.

  • 15 Voir : colloque G. Mollet de Lille – Communication de Patrice Buffotot.

13Il faut ensuite sortir du cadre national qui ne suffit plus car l’URSS est une trop grande puissance par rapport aux pays européens devenus puissances moyennes. Il s’agit donc de faire une armée à la mesure de nos forces économiques, mais il faut se répartir les tâches à l’échelle internationale et arriver à une « coordination de la défense qui est maintenant la nécessité pratique la plus directe ». C’est difficile, mais il faut poursuivre et réussir la politique des pactes. On parlera bientôt du « socialisme atlantique »15. Ramadier semble donc aller très loin dans la construction d’une défense collective puisqu’il parle de « spécialisation, de division du travail », ce qui suppose aussi une entente politique et sans doute l’acceptation d’une certaine supranationalité. C’est donc un vaste ensemble géopolitique qu’il appelle de ses vœux ; la construction européenne d’abord et l’alliance atlantique ensuite trouveront en lui un défenseur. Ces choix stratégiques découlent de la nouvelle donne internationale issue des ruptures de l’année 47 que Ramadier a vécues en première ligne, ils sont aussi ceux du MRP et des radicaux, les partenaires gouvernementaux des socialistes. Ils déplaisent en revanche à la droite classique par réaction nationaliste, et bien sûr aux communistes qui ne vont cesser de les combattre.

  • 16 AD 52771.

14Ramadier défendra fermement ces thèses devant le Parlement mais aussi devant les diplomates, américains notamment. Il approuve donc tout à fait les différentes missions fixées aux armées par le Comité de la Défense nationale du 30 novembre 194816.

15Trois missions essentielles incombent aux forces armées françaises : la sécurité du territoire national, l’intégrité de l’Union française, la lutte contre l’ennemi intérieur.

1) La sécurité du territoire

  • 17 AD 52J85. Compte rendu de l’entretien Forrestal – Ramadier.

16La préoccupation essentielle du ministre français, qu’il formule nettement et à plusieurs reprises à son homologue américain John Forrestal le 11 novembre 1948, est avant tout la protection de la frontière du Rhin, c’est-à-dire pouvoir se garantir de l’Allemagne mais surtout des chars soviétiques. « La défense du Rhin c’est la voie de l’invasion »17. Or, « si les pays de l’Ouest européen se trouvent envahis par le communisme, jamais ils ne réapparaîtront avec la forme qu’on leur a connue ». Les forces françaises ne suffisent pas à protéger cette frontière, l’aide américaine est nécessaire, et elle devrait même être accrue car « l’ensemble des divisions occidentales ne représente pas une force valable en face de l’URSS. En quelques jours tout le dispositif occidental peut être emporté ». Ramadier estime qu’il faudrait le doubler. Ainsi la protection de la frontière du Rhin n’est pas seulement un problème français mais bien européen (sauver les démocraties libérales) et américain (contenir le communisme). D’où des négociations et des alliances à deux niveaux, d’abord européen puis « atlantique ».

  • 18 AD 52J85. Conversation entre Ramadier et Alexander.

17On sait que les responsables politiques français, à l’exception des communistes et des gaullistes, souhaitaient une « construction européenne » pour redonner de la force au vieux continent ; mais si les Français conçoivent cet édifice relativement autonome, les Anglais, eux, le préfèrent assez formel, ne voulant ni renoncer à leurs intérêts mondiaux, ni à une alliance étroite avec les Etats-Unis. Disons que l’emblée les Français sont plus « européens » et les Anglais plus « atlantistes ». Mais les positions vont se rapprocher après le « Coup de Prague », sorte d’électrochoc pour les démocraties. Et le 17 mars 1948, les ministres des Affaires étrangères de la France, de la Grande-Bretagne et du Bénélux signent le Pacte de Bruxelles, valable pour cinquante ans, qui prévoit l’assistance automatique en cas d’agression contre l’un des signataires en Europe et Outre-mer. Un état-major commun s’intalle à Fontainebleau, dirigé par Montgomery et De Lattre, dont la mésentente obligera leurs ministres respectifs à se rencontrer le 9 octobre 194918. L’entente franco-britannique est toujours aussi difficile ! Pourtant la crainte de la menace soviétique accélère l’union, puisque bientôt les signataires du Pacte parleront même d’en élargir les effets au plan économique, social et culturel ; la construction européenne est en marche (Congrès de la Haye, conseil de l’Europe vont suivre) ; le règlement du problème allemand aussi, puisque les trois partenaires occidentaux optent pour l’unification de leurs trois zones d’occupation, ce qui signifie pour quelque temps une recrudescence de tension, avec le blocus de Berlin décrété par les Soviétiques.

  • 19 Voir l’analyse de Pierre Melandri : « 1948-1950. L’Europe et l’Amérique : une relation dissymétriqu (...)

18Mais si l’Europe de l’Ouest organise sa défense, celle-ci ne peut être crédible que renforcée d’une aide américaine substantielle. Anglais et Français s’emploient à convaincre les Américains dont l’opinion publique et le Congrès sont traditionnellement réticents à un engagement de leur pays en temps de paix. Ainsi, comme pour la reconstruction économique, l’Europe occidentale se sentant trop faible compte sur l’aide américaine pour assurer sa sécurité. Mais, comme pour l’attribution des crédits, l’Europe devra se plier aux exigences américaines tant la « relation est dissymétrique » entre les deux interlocuteurs19. Les conversations ne commenceront qu’à l’automne 1948 après que, le 11 juin, le Sénat américain eut voté la résolution Vandenberg autorisant le gouvernement à conclure des alliances militaires en dehors du continent américain et en temps de paix. C’est la rupture du traditionnel isolationnisme.

19Ramadier, ministre de la Défense depuis septembre 1948, participe donc aux discussions sur l’élaboration du Pacte Atlantique, à Londres et à Paris, au même titre que les principaux artisans reconnus Bidault et Schuman qui se sont succédés aux Affaires étrangères.

20Le 4 avril 1949, le traité de l’Atlantique-Nord est signé à Washington ; il organise militairement le camp occidental. Il est le résultat de la demande européenne acceptée par les Etats-Unis, mais à leurs conditions.

  • 20 Melandri : « l’Europe et l’Amérique… » – Historiens-Géographes N° 134.

21Ainsi le gouvernement Queuille, avec Robert Schuman aux Affaires étrangères et Ramadier à la Défense nationale, s’est fait l’artisan de la consolidation du camp atlantique face au camp communiste. Mais en même temps, certains responsables veulent hâter l’entente européenne, ne voyant dans les deux constructions aucune contradiction, bien au contraire. C’est le cas de Ramadier, de Guy Mollet et des leaders MRP. En somme le Pacte rassure des dirigeants inquiets mais qui entendent bien garder une liberté de manœuvre dans l’intérêt de leur pays20.

22Le ministre français de la Défense doit en outre, au-delà de la frontière du Rhin, se préoccuper de la sécurité de l’Empire.

2) L’intégrité du territoire de l’Union française

23C’est toujours le but officiel approuvé peu ou prou par toutes les forces politiques sauf le parti communiste. Distinguons deux ensembles dont les situations sont différentes : Afrique et Indochine.

  • 21 AD 52J70.

24L’Afrique apparaît indispensable à la sécurité française même. L’importance stratégique de l’AFN ressort dans tous les rapports remis au ministre de la Défense21. C’est « une terre de l’Union française dans laquelle la France a le devoir de faire respecter l’ordre » car « base d’opérations essentielles pour le cas où la sécurité extérieure de notre territoire métropolitain serait menacée ». Les militaires se souviennent de la seconde guerre et de l’Algérie comme plateforme de la reconquête, mais est-ce une bonne base de réflexion pour l’avenir ? En tout cas Ramadier fait tout à fait sienne cette analyse, comme le confirment ses écrits et ses collaborateurs.

  • 22 AD 52J84.

25L’Afrique noire fait l’objet d’une surveillance attentive, particulièrement à l’égard des mouvements de couleur qui s’appuient sur les communistes, tel le RDA d’Afrique centrale22. En cas de guerre contre l’URSS, les noyautages communistes peuvent créer, estime-t-on, des zones insurrectionnelles, d’autant que la population est armée (pour la chasse et par la contrebande). Donc des potentialités de révoltes existent. Pour le ministre de la Défense, l’Afrique entière mais surtout l’AFN fait partie du dispositif de sécurité français ; c’est la base arrière essentielle dans le cas de figure (seul envisagé) de l’invasion du territoire national par les forces soviétiques.

  • 23 J. Dalloz : « La guerre d’Indochine ». Il estime que le rôle majeur est tenu par le MRP et Coste-Fl (...)
  • 24 Composé de 3 Etats associés.

26Il en va autrement de l’Indochine, plus lointaine ; avec Queuille et Coste-Floret (ministre MRP de l’Outre-mer), Ramadier retrouve ce dossier. Après les négociations manquées en 1947 avec Hô Chi Minh, les gouvernements successifs et les ministres MRP ont proposé la « solution Bao Daï », les socialistes suivent23. Après un an de tractations et de manœuvres, l’issue survient en mars 1949 et Bao Daï entre en Indochine, proclamée « Etat du Vietnam »24, le 2 juillet 1949. C’est un Etat indépendant mais étroitement contrôlé ! La SFIO n’était pas très satisfaite de la solution Bao Daï et pressait Queuille de revoir la question. Ramadier avait envoyé, au printemps de 1949, le général Revers en mission spéciale pour l’éclairer sur la situation qui l’inquiétait lui aussi. Cette initiative louable va provoquer un scandale énorme quelques mois plus tard, et l’on sait que la solution Bao Daï ne sera pas la bonne ; l’indépendance refusée en 1947 sera finalement accordée en 1954 après sept ans de guerre et une défaite cuisante. Mais le sort de la presqu’île indochinoise sera encore loin d’être vraiment réglé.

27Comme ministre de la Défense nationale en 1948-49, Ramadier est entré de plain pied dans la Guerre froide ; le seul ennemi répertorié de la France en Europe mais aussi dans les colonies c’est le communisme et son bras séculier, l’URSS qui agit soit directement, soit indirectement en aidant les mouvements subversifs. Incombe donc au ministre, dans le cadre de la sécurité, la lutte contre un ennemi intérieur : les menées communistes.

3) L’ennemi intérieur

  • 25 AD 52J70.
  • 26 Voir p 405…

28« Participer en temps de paix et de guerre au maintien de l’ordre public intérieur » est la deuxième mission des armées, ce qui entraîne l’opposition du PC mais aussi de la SFIO. En 1947, Ramadier président du Conseil avait proposé d’introduire « à titre exceptionnel »25. Les gouvernements Schuman et Queuille tiennent à cette assignation au maintien de l’ordre. C’est ainsi qu’à l’automne 1948, l’armée interviendra pour réprimer les grèves jugées subersives26. Mais alors le « coup de Prague » est dans tous les esprits, y compris chez les socialistes. J. Moch et Ramadier conduiront sans état d’âme culpabilisant cette répression et y gagneront aux yeux des communistes et d’une partie de la classe ouvrière une réputation de Noske français. Nous y reviendrons.

  • 27 AD 52J85.
  • 28 J . J. Becker : « Le Parti communiste veut-il prendre le pouvoir ? ».
  • 29 Voir p 405..., l’attitude au moment des grèves.
  • 30 AD 52J73.

29L’état des forces communistes françaises inquiète toujours Washington, et Forrestal Secrétaire américain de la Défense pose la question à Ramadier le 11 novembre 1948,au cours d’un entretien. Celui-ci le rassure : « la cause essentielle de l’agitation communiste, c’est l’augmentation des prix ; mais quand le but politique de l’agitation apparaît (il apparaît nécessairement en raison des ordres reçus de l’extérieur) les dirigeants communistes sont peu à peu abandonnés par leurs troupes. Cela s’est vérifié en décembre 1947 et se vérifie encore aujourd’hui »27. Il ressort nettement de l’analyse de sa carrière que Ramadier n’a jamais exagéré le péril communiste intérieur parce qu’il connaît fort bien les réactions et l’état d’esprit de la classe ouvrière française ; ainsi il explique à Forrestal que le PCF « bénéficie de tout le passé de lutte de la classe ouvrière. Mais dès que l’ouvrier français constate que ses revendications sont utilisées à des fins de politique intérieure ou extérieure, des réticences se font jour ». En somme, la classe ouvrière est expérimentée, et non gagnée aux idées communistes en profondeur. Ce n’est peut-être pas si mal vu compte tenu de l’évolution historique que nous, nous connaissons. Mais on peut aussi penser qu’après la guerre, la politique même du PCF était le harcèlement plus que la subversion28. Cependant, dans le feu de l’action, Jules Moch et Ramadier savent prendre des dispositions rapides et musclées29. Le ministre de la Défense a en outre, fait mener une enquête sur le noyautage communiste dans l’armée30 d’où il ressort que les officiers communistes sont loyaux et que de toute façon ils sont connus, donc surveillés. Ainsi, comme partout dans le monde, la Guerre froide pénètre la vie intérieure des Etats où l’ennemi supposé est censé exercer ses ravages par d’autres moyens que l’attaque directe. Et Ramadier, qui ne semblait pourtant pas surestimer le péril intérieur, en raison des postes ministériels qu’il a occupés devient aux yeux des communistes un des principaux artisans de leur persécution et un des grands valets de l’impérialisme américain maintement déployé.

Un ministre attaqué

30Comme ministre socialiste, Ramadier devra répondre aux attaques parlementaires prévisibles -plus formelles que réelles- des députés MRP et radicaux qui ont perdu provisoirement ce poste, mais aussi à celles, virulentes, du parti communiste qui s’oppose sur le fond à la politique suivie. Mais il devra en outre faire face aux attaques sournoises qui prospèrent en démocratie et notamment depuis 1945. Ramadier avec Jules Moch et Queuille seront victimes d’un scandale « l’affaire des généraux », qui est peut-être une sombre machination contre eux.

  • 31 Par exemple celle du général Préaud affecté en Algérie suscite l’émotion du MRP (Année Politique 19 (...)

31Les attaques parlementaires surviennent au moment du vote du budget et du débat sur les questions militaires. En décembre 1948, certains députés montrent leur humeur à l’égard du socialiste, soupçonné peut-être de vouloir s’en prendre au personnel militaire et de l’épurer. On relève dans l’Année Politique (décembre 1948) que « Paul Ramadier, dont la personnalité inspire déjà quelques réserves à certains éléments de la majorité, prend coup sur coup plusieurs initiatives qui ont le don de réveiller les méfiances assoupies ». Il s’agit d’abord de l’attribution à Paul Béchard, haut-commissaire en A.O.F. et ancien parlementaire socialiste, de pouvoirs étendus pour la défense de l’Afrique noire. Cette délégation de pouvoirs exceptionnels inquiète les militaires (le général Juin serait venu à Paris pour cela) et les modérés (M. Anxionnaz radical, président de la Commission de la Défense nationale en appelle au président de la République et au président du Conseil !). Le 7 décembre, Ramadier fait approuver par le Conseil des ministres un décret réglementant l’affectation des officiers généraux en surnombre (une quarantaine), que son prédécesseur P.H. Teitgen avait placés en disponibilité, ce qui n’avait pas plu ! Ramadier arrête donc des dispositions pour les reclasser dans les administrations civiles, ce qui soulève aussi des protestations. De plus le ministre opère des mutations et des nominations dans le haut-commandement, qui dérangent31.

32Enfin la réorganisation du Conseil supérieur de la Guerre contribue encore à renforcer les soupçons d’une volonté de politisation du corps des officiers. Ramadier est donc un ministre étroitement surveillé, mais plutôt pour la forme, car il a la confiance de Queuille et parce que le gouvernement ne peut se payer le luxe de tomber pour des broutilles ou des suppositions d’intentions.

33Les attaques parlementaires se renouvellent en juin 1949 à l’occasion du vote des crédits pour l’Indochine et les constructions aéronautiques. Les communistes s’opposent vigoureusement aux premiers, tandis que les radicaux et le MRP jugent les seconds insuffisants. Ramadier maintient fermement son chiffre de 9 milliards 900 millions (contre les 16 sollicités) qui correspond aux possibilités financières du pays.

34Les débats parlementaires, même violents, mettent en général des politiques en cause plus que des hommes. Cependant certains qui ont une forte personnalité ou une grande influence inspirent antipathie voire haine ; pensons à Léon Blum par exemple. La politique suivie en matière de défense et d’ordre intérieur en 1948, soutenue sans concession par les ministres concernés, ajoutée au bourbier indochinois attire sur eux les feux croisés de diverses oppositions qui souhaiteront s’en prendre à leurs personnes. Jules Moch surtout mais aussi Ramadier vont alimenter des foyers de haine à leur égard. Et à l’automne 1949 ils seront au centre de « l’affaire des généraux », véritable complot semble-t-il, monté contre eux et le gouvernement. Nous nous en tiendrons aux récits classiques faits par G. Elgey ou J. Dalloz, à celui de R. Wybot patron de la DST à l’époque, aux articles de presse, faute d’archives précises dans le fonds Ramadier.

35Le 18 septembre 1949, à l’occasion d’une bagarre apparemment banale aux abords de la gare de Lyon, la police découvre sur l’un des pugilistes, un Vietnamien, un document estampillé « très secret ». Il s’agit d’une partie du « rapport Revers » remis le 29 juin à l’imprimerie de l’armée et dont une mouture a été extraite à destination du gouvernement et de quelques hauts responsables français. Le général Revers avait reçu de Ramadier la mission de se rendre en Indochine et de lui rapporter un tableau de la situation. Devant l’importance du document, la DST est saisie de l’affaire et de fil en aiguille elle remonte une filière de fuites et de trafic d’influence compromettant semble-t-il directement deux hauts responsables militaires : les généraux Revers (chef d’Etat major) et Mast (directeur des hautes études de défense nationale).

36D’autre part les conclusions du général Revers condamnaient en fait la politique suivie et suggéraient qu’il fallait se pencher sur la vraie question : comment quitter le Vietnam qui, dans sa quasi-unanimité, rejette la présence française ? La menace communiste est le prétexte pour rester, mais le problème est plus économique que diplomatique et militaire. Pour l’instant, Bao Daï est la seule solution, mais très précaire ; il faut se hâter de faire naître un Etat indépendant doté de pouvoirs réels et d’une force armée autochtone.

  • 32 « Aveyron libre », avril 1950 et 20 mai 1950, articles donnant la position officielle de Ramadier.
  • 33 « Wybot et la bataille pour la DST » p 219-222.

37C’est évidemment un document sulfureux en 1949, qui peut conforter les positions communistes et socialistes mais qui va épouvanter tout le reste de la classe politique qui criera à la trahison : veut-on brader l’empire ? Or la divulgation de ce rapport destiné d’abord à rester secret pose, on s’en doute, un épineux problème au gouvernement : Jules Moch en a connaissance dans la nuit du 21 au 22 septembre et dans un premier mouvement de colère veut faire arrêter les généraux coupables à première vue des fuites. Tôt le matin du 22, il rencontre Queuille et Ramadier ; avec les responsables de la Sécurité ils réfléchissent. Ramadier semble peu enclin à porter le scandale au grand jour comme son fougeux ami J. Moch ! Après tout, dit-il, la divulgation du rapport Revers ne concerne pas les faits militaires mais seulement une appréciation politique de la situation32. Il n’y a donc pas trahison ; il est donc inutile de traîner le chef d’Etat-major devant les tribunaux car un scandale de cette taille desservirait l’armée mais aussi le régime et la France aux yeux de ses alliés. Donc d’abord la raison d’Etat. Ramadier convoque aussitôt (22 septembre) le capitaine Missoffe juge d’instruction auprès du Tribunal militaire de la Seine qui instruit le dossier des Vietnamiens pour lui préciser que les documents divulgués ne sont pas soumis au secret militaire. Cependant comme dans cette affaire de fuites il y aurait peut-être aussi pots-de-vin et trafic d’influence, Ramadier est décidé à prendre des sanctions administratives contre les généraux jugés imprudents et véreux. Le 22 septembre au soir, en l’absence de J. Moch retardé en province, Ramadier et Queuille s’arrêtent à cette solution. L’incident ne sera pas ébruité ; le non-lieu sera prononcé. Interrogés par Ramadier, les deux généraux supposés coupables nieront tout ; mais le général Revers est invité à présenter sa démission et le général Mast est mis à la retraite33. Tout paraît terminé, réglé d’une façon qu’on peut contester, mais habituelle en pareilles circonstances.

  • 34 G. Elgey : « La République des illusions » p 482.

38En réalité, l’« Affaire » commence car les faits vont peu à peu transpirer. Paul Coste-Floret, dans un rapport remis le 27 septembre au président Queuille, s’indigne du classement de l’affaire et dénonce la corruption des milieux socialistes34 ; deux jours plus tard, la « lettre confidentielle » de M. Deheme, informateur attitré des milieux politiques, y fait allusion ; le général Revers, s’estimant innocent, refuse de démissionner. Le ministère Queuille qui a beaucoup duré tombe le 4 octobre 1949, suite à la publication d’une lettre pourtant confidentielle de Daniel Mayer adressée au président du Conseil critiquant sa politique salariale. La République fuit de toutes parts ! Queuille démissionne. Pendant qu’on cherche à lui donner un successeur, l’affaire dite des Généraux va se développer au grand jour devant l’opinion nationale et internationale.

39Passons sur les péripéties, trop complexes et auxquelles nous ne pouvons rien apporter de plus, et retenons seulement sa portée politique.

40Pour Coste-Floret et le MRP, il s’agit d’une machination socialiste pour aboutir au sabotage de leur politique indochinoise.

41Pour les socialistes, il s’agit justement du contraire : certains hommes veulent barrer la route à la politique socialiste en compromettant leurs dirigeants ; dès le 24 novembre 1949, Ramadier est accusé d’être l’auteur même de la fuite, puisqu’il l’a couverte en quelque sorte.

  • 35 Voir Wybot… p 227.

42Cette machination s’accompagnerait d’autre part d’une guerre des polices entre DST qui serait à la botte des socialistes et SDECE à celle du MRP35 et d’un trafic de piastres destiné à renflouer les caisses du parti socialiste. Jean Nocher, fervent gaulliste et journaliste à « l’Espoir de Saint-Etienne », devient le chef d’orchestre d’une campagne anti-parlementaire où encore une fois l’armée apparaît trahie par les politiciens. La presse étrangère parle de l’affaire et les Etats-Unis, toujours méfiants à l’égard de la France, la soupçonnent d’être une passoire vers l’URSS ; le 26 décembre, un article du Times « France scandal » provoque l’indignation de l’opinion américaine.

43Les communistes depuis le début se frottent les mains devant autant de miasmes. Le député Kriegel – Valrimont s’acharne d’abord contre J. Moch, le ministre briseur de grèves. Il est accusé de traîtrise et, le 28 novembre 1949, il est menacé d’être traduit devant la Haute cour ; communistes et gaullistes y poussent ; pourtant la Chambre ne suit pas mais de justesse ! Une commission d’enquête parlementaire est formée. Le déballage continue et le propre fils du président de la République est mis en cause. Cependant l’examen du rapport Delahoutre, issu de la commission, innocente Ramadier et Queuille le 17 janvier 1950 (par 349 voix contre 200).

44Retenons de cette « affaire des généraux » qu’elle discrédite après d’autres la IVe République et son personnel, qu’elle accroît le malaise entre l’armée et le gouvernement, qu’elle donne des arguments aux partis extrêmes .

  • 36 AD 52J73 et Dalloz : « La guerre d’Indochine » p 164-165.
  • 37 AD 52J73.

45Notons aussi le déchaînement des communistes contre Ramadier et J. Moch ; le PCF semble vouloir régler des comptes ; ces attaques couronnent toute une campagne entreprise contre le ministre de la Défense nationale depuis qu’il est à ce poste : dès octobre 1948, les journaux communistes, « l’Humanité », « France nouvelle » et « Avant garde », dénonçaient massacres et tortures infligés aux Vietnamiens par l’armée36. Le 1er novembre 1948, l’Humanité titrait un article : « Le peuple de France ne fera jamais la guerre à l’Union Soviétique » ; le 4 janvier 1949, Frédéric Joliot-Curie, directeur communiste du CNRS, déclarait qu’un communiste ne devait pas trahir son pays, mais le 5 avril il précisait « jamais les scientifiques progressistes ne donneront une parcelle de leur science pour faire la guerre contre l’Union Soviétique » ; paroles qui firent scandale mais qui visaient bien sûr à s’opposer à la politique atlantiste de Ramadier et du gouvernement. Du reste, articles et caricatures paraissent régulièrement dans la presse du parti, faisant de Ramadier le sergent recruteur aux ordres des Américains37. Devant cette offensive contre sa politique et sa personne, il avait demandé le 5 mai 1949 la levée de l’immunité parlementaire à l’encontre de certains députés communistes pour démoralisation de l’armée et de la nation ; un an plus tard il poursuivra en justice le journal communiste aveyronnais « le Patriote ».

46L’histoire apportera sans doute un jour la vérité sur cette « affaire des généraux », retenons qu’elle fut un scandale de plus dans les milieux politiques, qu’elle empêcha dans l’immédiat tout infléchissement de la politique indochinoise, et qu’elle fit de Ramadier -déjà l’homme du 4 mai 1947- le bouc émissaire privilégié des communistes ; dans l’Aveyron de dures retombées électorales se préparent...

47Pourtant depuis 1944, plusieurs fois ministre et une fois président du Conseil, Ramadier a acquis une stature internationale.

Un représentant de la France à l’étranger

48Préoccupé de la sécurité française, Ramadier défend la politique des pactes et la construction européenne, mais aussi celle de la sécurité collective dans le cadre de l’ONU. C’est pourquoi on le verra à La Haye et à New York. De plus, à Genève, au BIT, il poursuit l’œuvre de A. Thomas.

Promoteur de la Construction européenne

  • 38 Duroselle : « Histoire diplomatique et 1939 à nos jours » p 482.
  • 39 « Aveyron Libre », 15 mai 1948 – Compte rendu des travaux et photographie de Ramadier aux côtés de (...)

49Depuis la fin de la guerre existent de nombreux mouvements, surtout, d’inspiration démocrate-chrétienne et socialiste, favorables à la création d’une Europe fédérale38. Le début de la Guerre froide les pousse à s’unir ; les divers mouvements se réunissent en congrès à La Haye du 7 au 10 mai 1948 sous la présidence de W. Churchill ; Ramadier préside, lui, la première séance et y prononce une allocution39. De ce congrès naîtra le Mouvement européen en octobre 1948, parrainé par Churchill, Blum, Spaak et De Gaspéri, groupe de pression sur les gouvernements et l’opinion qui aboutira le 5 mai 1949 à la création du Conseil de l’Europe, première organisation internationale issue d’une volonté propre des Européens eux-mêmes. Si les résultats à court terme furent décevants, car l’Europe « américaine » prévalait largement (OECE), cette première tentative, on le sait, a ouvert la voie vers le but recherché.

  • 40 Aveyron libre.
  • 41 Aveyron libre, janvier 1950.
  • 42 Colloque Ramadier, P. Guillen « P. Ramadier et l’Europe ».
  • 43 Rouergue Républicain – 6 février 1950.

50Ramadier n’apparaît pas comme un père fondateur et pourtant... Il croit l’union européenne indispensable pour faire entendre une troisième voix et par souci de sécurité collective contre l’URSS ; « faisons l’Europe ou faisons la guerre », « notre sort est écrit : l’Europe s’unira ou l’Europe périra » titre-t-il ses articles en janvier 194840. Mais s’il se félicite du Pacte de Bruxelles, il soutient que l’union doit dépasser le cadre militaire et déboucher sur l’entente économique et politique qui sont liées. Le 4 mai 1948, à Bruxelles justement, il a donné une conférence au Palais des Beaux-Arts où il parle du nécessaire abandon de souveraineté si l’on souhaite faire vivre une véritable organisation internationale ; il est à l’origine du Conseil de l’Europe. Un peu plus tard il écrit que l’Allemagne doit se relever, qu’on ne peut la maintenir longtemps écrasée sans danger et que l’Europe unie permet de contrôler ce redressement41. Après quelques réserves (sur les dangers d’un fonctionnement technocratique42 il approuve la création de la CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier) dont le projet fut lancé officiellement le 9 mai 1950 par R. Schuman et J. Monnet, première tentative d’une coordination économique entre six pays européens, les futurs signataires du traité de Rome fondant la CEE, moins de dix ans plus tard. A Stockholm, en novembre 1950, il développe l’idée que l’armée européenne ne peut être la simple juxtaposition des armées nationales mais vraiment une armée européenne obéissant à un gouvernement européen43. La proposition de la CED (Communauté Européenne de Défense), commence à être discutée depuis que R. Pleven, président du Conseil, en a fait l’exposé le 24 octobre 1950 devant l’Assemblée nationale.

  • 44 Colloque Ramadier, communications de J.C. Gegot et P. Guillen.
  • 45 Aveyron libre 2 décembre 1950.

51Comme on peut donc en juger, Ramadier allait loin dans la construction européenne aux côtés de R. Schuman consacré père légitime, tout en préconisant une édification prudente, par étapes, qui ne mettrait pas en péril les équilibres nationaux et qui intégrerait l’Angleterre travailliste44. A travers l’Europe, de 1948 à 1952, il fut un pélerin lucide du Mouvement européen : « L’Europe ne se fera pas en un jour mais elle se fera parce que nous travaillerons inlassablement à sa réalisation »45.

Avocat du désarmement à l’ONU

  • 46 Aveyron libre 23 octobre 1948.
  • 47 Aveyron libre 20 novembre 1948.

52Dans le droit fil des négociations sur le désarmement entreprises à Genève entre les deux guerres et de la politique de Briand qui reste pour lui une référence, il intervient à l’ONU où se discute l’opportunité de la destruction de l’arme atomique, demandée par les Soviétiques qui ne l’ont pas encore. Pour Ramadier, pas d’hésitation possible, il faut détruire cette arme redoutable qui compromet la paix et l’existence même de l’ONU46 ; la destruction nécessite cependant un contrôle clair et efficace, ce qui revient à admettre une limitation de souveraineté. A l’Assemblée générale du 4 novembre 1948, comme ministre de la Défense, il déclare : « il y a un cauchemar dont il faut que l’humanité soit délivrée47.

53Ramadier est un fidèle continuateur de la grande tradition internationaliste des socialistes depuis Jaurès, seule pour lui porteuse de paix et de cet « esprit de Genève » auquel crurent tant de démocrates dans les années 20.

54Mais c’est au Bureau International du Travail (BIT) à Genève que, pendant treize ans (1948-61), Ramadier tentera de mettre en pratique son idéal internationaliste et socialiste, reprenant le flambeau de son maître Albert Thomas, et aux côtés de son ami Léon Jouhaux.

Représentant du gouvernement au BIT

55L’Organisation Internationale du Travail (OIT), dont le BIT est le bureau, est le seul organisme né de la SDN qui subsiste toujours aujourd’hui. Albert Thomas en a été l’inspirateur et le premier directeur général jusqu’à sa mort en 1932 ; pour lui il s’agissait d’améliorer les conditions de travail et de promouvoir plus de justice dans le monde. L’OIT s’est remise à fonctionner en 1948.

56Elle est formée d’une Assemblée générale des Etats, dont le président change régulièrement ; cette assemblée élit un conseil d’administration dont le président élu tous les ans se charge de l’exécutif. Ces organismes siègent à Genève ; l’Assemblée générale se réunit au moins une fois par an. Au Conseil d’administration sont représentées trois catégories : employeurs, syndicats et Etats. Au début des années 50, Mr Waline représentait le patronat fiançais, Léon Jouhaux les syndicats et Ramadier le gouvernement, nommé à ce poste en juillet 1948 par D. Mayer. En 1951-52, étant chef de la délégation gouvernementale, il est élu président du C.A. pour un an (30 juin 1951 – juin 1952). En 1954, il sera élu président de l’Assemblée générale. Il sera membre de la délégation gouvernementale jusqu’à sa démission, le 10 mars 1961, en raison de son état de santé. Les activités du BIT l’amènent à des déplacements à l’étranger (Inde et Ceylan en janvier 1950, Amérique Latine en 1952).

  • 48 ACR : quelques traces de leur correspondance.

57Promouvoir une législation internationale concernant le monde du travail a été le grand rêve des socialistes avant la guerre ; au même titre que Briand pour la sécurité collective et le désarmement, A. Thomas a symbolisé la lutte pour la défense des travailleurs exploités souvent honteusement, et la solidarité par delà les frontières. Il a donc commencé l’élaboration d’un droit international du travail qui se concrétise par des conventions que les Etats sont invités à ratifier. A. Thomas a consacré dix ans de sa vie à cette tâche ; nous connaissons les liens qui, dès avant 1914, se sont noués entre lui et Ramadier, et leur identité de vue sur un socialisme réformateur, d’où l’action pour les coopératives et leur appartenance au courant participationniste de la SFIO. Ramadier a toujours considéré A. Thomas comme un maître et leur entourage a vu en lui un disciple et un héritier. C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’il accepte sa fonction à l’OIT en 1948 . Ainsi Ramadier, ami d’A. Thomas mais aussi juriste patenté, était-il apte et compétent pour représenter le gouvernement français à l’OIT. Dès les années 20, il était très informé de ses travaux par A. Thomas lui-même, qui le consultait sur les problèmes de droit coopératif dont on se souvient que Ramadier était un spécialiste48. Les deux hommes se rencontraient régulièrement à Paris à l’occasion des passages d’A. Thomas dans la capitale.

58Les conventions internationales proposées à la ratification avant 1940 portent sur la législation du travail (durée, chômage, repos hebdomadaire, travail des femmes et des enfants, salaires, recrutement des travailleurs indigènes dans les colonies, droit d’association...) et la protection sociale (accidents, santé, maladies professionnelles, vieillesse...) ; les catégories sociales concernées sont les ouvriers de l’industrie, les agriculteurs et les gens de mer. Après 1946, cette législation est révisée et complétée. Mais à ces thèmes s’ajoutent d’autres préoccupations nées du monde présent, auxquelles Ramadier s’attache particulièrement : la liberté d’association mobilise toute son ardeur et les inégalités de développement l’inquiètent.

59Il sera le moteur de la lutte pour les libertés syndicales, devenant en 1951 membre de la Commission de ces libertés, qui doit examiner les plaintes relatives aux atteintes à ce droit. La convention N° 98 (1949) établit en effet le droit d’organisation et de négociation collectives. Elle n’est pas ratifiée par tous les pays membres, même encore aujourd’hui. Le BIT s’efforce de convaincre les gouvernements de la respecter.

  • 49 ACR – dossier BIT.

60L’évolution géopolitique du monde attire aussi l’attention de Ramadier. Le jeudi 19 janvier 1950, à Ceylan où se déroule la Conférence régionale asienne, il intervient sur la situation économique et sociale de l’Asie dont plusieurs pays nouvellement indépendants ont rejoint l’OIT (Birmanie, Pakistan, Inde, Indonésie, Philippines, Vietnam). La situation a fait l’objet d’un rapport général que Ramadier commente. Le problème social en Asie se présente, dit-il « sous une forme singulièrement dramatique. Il y a disproportion évidente entre la masse de la population de l’Asie et la masse de sa production. La production s’élève certes mais s’élève-t-elle aussi vite ou plus vite que la population ne s’accroît ? »49. Il a tout à fait saisi l’enjeu du problème démographique : « Si le taux de mortalité était ramené en Asie au taux de l’Europe ou de l’Amérique, on se trouverait en présence du plus effroyable problème économique et humain qui se soit jamais posé. La situation de l’Asie semblerait confirmer la démoralisante loi de Malthus ». Or la misère est intolérable et porteuse de troubles. Le problème asiatique est grave, il dépasse le cadre de l’OIT car pour Ramadier c’est un problème de production avant même un problème de répartition, d’où des conseils de développement : « Tout effort qui ferait passer la production industrielle ou la production d’exportation avant la production de consommation aurait pour conséquence fatale l’ouverture d’une crise... Il appartient à l’OIT de montrer que rien ne pourra être fait si d’abord la production et particulièrement la production agricole n’est sensiblement développée ». Il faut avant tout résoudre le problème du développement.

61L’historien ne peut que noter ici l’existence et la perspicacité de l’analyse des déséquilibres naissants dans ce que bientôt les observateurs appelleront le Tiers Monde. La prise de conscience générale du phénomène sera bien plus tardive, après la conférence de Bandoung de 1955 ; mais déjà en 1950, les responsables internationaux voyaient venir les dangers.

62Donc sur la scène internationale Ramadier s’efforce d’agir pour la paix, pour la concertation entre les peuples, pour le développement économique et social, pour la construction européenne. Il le fait surtout fort d’une expérience de combats socialistes plus ou moins idéalistes mais dont certains semblent vouloir porter leurs fruits. Il est l’homme de la persévérance et des conquêtes à petits pas...

Un élu déstabilisé

63De 1944 à 1949, Ramadier est devenu une personnalité de la IVe République. Au carrefour de choix nationaux il a, avec les socialistes et les démocrates-chrétiens, conduit la France sur le chemin du redressement en passant par l’aide américaine, dans le cadre d’un libéralisme mâtiné d’Etat-Providence. Ce choix fait entrer la France dans le camp occidental qui entend se protéger du communisme. Mais la Guerre froide pénètre aussi l’intérieur des Etats. Ramadier, dont le système électoral reposait avant tout sur le vote ouvrier et commerçant, risque au plan local de souffrir de l’exclusion des communistes du pouvoir, du choix de la Troisième force et de l’atlantisme. Ainsi son œuvre gouvernementale va contribuer à scier la branche sur laquelle il était assis.

64Mesurons d’abord par un retour en arrière l’impact de son passage à la présidence du Conseil, fonction prestigieuse s’il en est.

Les retombées mitigées de la présidence du Conseil

65Toute localité et département tire fierté de voir l’un des siens promu au premier rang de la nation et sa cote de popularité se renforce, tout au moins dans un premier temps. Elus et électeurs font preuve de contentement et de déférence, espérant glaner çà et là quelques avantages de la nouvelle promotion de leur concitoyen. Ramadier n’échappe pas à la règle et l’Aveyron lui fera fête ; mais, pris par les affaires gouvernementales, il passera surtout à Paris les dix mois de sa présidence. Chose inhatibuelle pour lui, il ne se rendra « au pays » qu’en coup de vent et n’assistera vraiment qu’à un conseil municipal sur trois (le 15 septembre 1947). C’est Robert Lhez qui assure le suivi des affaires locales en entrant en contact téléphonique quotidien avec Melle Pinquié, secrétaire de mairie. Le président du Conseil sera cependant fêté à plusieurs occasions par ses concitoyens.

Visites officielles et accueil populaire

  • 50 Témoignage de R. Lhez (30 avril 1985).
  • 51 Le Rouergue Républicain du 15 février 1947 rend compte de la manifestation, sous ce titre.
  • 52 Danseuse de bourrée.
  • 53 Voir l’histoire et l’importance de la colonie rouergate à Paris dans R. Béteille : « Les Aveyronnai (...)
  • 54 R. Lhez pense que ce fut sans doute un des rares films que dut voir Ramadier qui ne s’intéressait p (...)

66Ce sont tout d’abord les Aveyronnais de Paris qui lui rendent hommage le 13 février 1947, lors d’une cérémonie un peu insolite et haute en couleur dont l’initiative revient à son chef de cabinet, R. Lhez, préposé aux affaires aveyronnaises50 ; il organise à l’Opéra une soirée folklorique, invite cent amicales « du pays », et vend 2 500 places à des Aveyronnais. Ce sera le « Rouergue à l’Opéra »51. Le président du Conseil en grande tenue est accueilli solennellement par une haie d’honneur au son de la bourrée ; une pastourelle52 lui offre une gerbe de fleurs et lui présente les compliments de toute la colonie rouergate ; puis retentit la Marseillaise. Tout le Rouergue était à l’honneur ce soir-là : Ramadier et sa famille, son ami Emile Borel, mais aussi les cafetiers et les charbonniers, les nombreux « bougnats » de la capitale53. La soirée commence par la projection du film « Farrebique » de Georges Rouquier, étude ethnographique de la paysannerie rouergate et morceau de choix54, puis se poursuit par les danses folkloriques exécutées par les principaux groupes aveyronnais. Ce fut un grand moment de bonheur collectif dont les retombées ne furent pas négligeables pour l’élu : à la suite de cette manifestation une fédération des amicales aveyronnaises fut fondée, dont R. Lhez sera pendant 37 ans le président ; désormais, Ramadier sera mieux introduit dans le milieu aveyronnais parisien qui garde des contacts très étroits avec le département et il sera très souvent par la suite invité par les associations à des banquets fraternels. Le sobriquet « Farrebique » lui sera parfois attribué, qui signfie en patois homme de la Terre.

  • 55 Rouergue Républicain 18 février 1947 ; La Dépêche du 20 octobre 1981 rappelle l’événement.

67Quelques jours plus tard (le 16 février), il accomplit sa première visite officielle et la réserve à Decazeville ; à cette date l’atmosphère est encore euphorique à Paris et bien davantage en Aveyron ! Bien qu’il eût demandé une cérémonie simple, elle fut grandiosement organisée par un comité de réception créé à cet effet. Toute la population avait été conviée à pavoiser, à balayer les trottoirs et à se rendre dans la rue dès 9 h du matin. On s’était mis en frais comme pour accueillir Herriot en 1924. Par wagon spécial Ramadier arriva à Capdenac vers 7 h du matin, salué par le préfet qui le transporta ensuite dans sa voiture jusqu’à son domicile. La cérémonie de bienvenue commença à la Vitarelle où « la commune libre » de ce quartier lui offrit fouace et vin blanc ; puis un cortège se forma pour parcourir toute la ville par les rues Gambetta et Cayrade jusqu’à l’hôtel de ville. Les enfants des écoles, les pompiers, les gendarmes et la musique accompagnaient le président, Madame et Sosso leur chien qui caracolait aux côtés du préfet et des diverses personnalités : les parlementaires tout d’abord (les députés, De Boysson communiste, Solinhac, MRP, et Temple URD ; les conseillers de la République, Bonnefous et Jayr), les amis politiques (Briançon, Pécourt, Espinasse), les militants socialistes (Albouy, Germes, Stanus), le comité de Libération, les maires du canton, etc. La presse régionale couvre l’événement55. A la mairie, Rieux, premier adjoint et vieux camarade, prononce le discours de bienvenue : « librement la démocratie française s’est choisie un chef. Au coude à coude nous ferons un rempart autour de sa personne pour qu’il lève très haut dans un ciel fier et pur la flamme des destinées françaises ». Des hauts-parleurs retransmettent aux Decazevillois les allocutions des uns et des autres. Du balcon de la mairie, leur maire et président rappelle que chassé de l’hôtel de ville par le régime de Vichy, il a répondu à cette intimidation en faisant construire une maison ; il évoque aussi les nombreuses luttes politiques menées ensemble ; il remercie ses camarades de la SFIO, toutes les sociétés de la ville, toutes les organisations ouvrières, et les représentants des autres partis . Mais il termine en rappelant fermement les objectifs de son gouvernement : lutte contre l’inflation et appel à l’effort ; « la France sera libre si ses enfants savent accepter l’épreuve d’aujourd’hui dans le silence et la discipline, comme nous avons accepté et subi la discipline et l’effort national quand nous étions sous la servitude ».

  • 56 ACR dossier 1947.

68Un mois plus tard (le 30 mars), il revient en Aveyron pour honorer son arrondissement : à Capdenac, étape ferroviaire inévitable, il répond à De Gaulle qui la veille, à Bruneval, a lancé un défi à la République : « Il n’est point de sauveur suprême... ». A Villefranche de Rouergue, chef-lieu de son fief électoral, il reprend le thème de l’effort commun et de la patience nécessaires au redressement mais se laisse aussi aller à quelques propos plus sentimentaux56. Il évoque l’esprit frondeur et libre des Villefranchois au cours de l’histoire, mais aussi le fonds culturel commun qu’il partage avec les électeurs de son « camarade Jayr », élu MRP ! Son humanisme en effet plonge ses racines dans la morale chrétienne et « ce n’est pas parce que je suis devenu le vénérable de votre loge... que je renie ce que j’ai pu puiser aux sources du christianisme. Il faut que nous sachions, nous Français, que nous avons puisé notre formation dans le christianisme et nous ne cherchons pas à le nier... De St Thomas d’Aquin à Descartes et à Voltaire il y a un courant continu. Chrétiens et libres penseurs nous avons puisé aux mêmes sources et c’est pour cela sans doute qu’à certaines heures nous nous retrouvons pour agir ensemble. Le vénérable ne renie pas l’enfant de chœur… » ! Discours révélateur de cet état de grâce œcuménique qui suivit la Libération. Ramadier est sincère ; avec Teitgen à Paris et avec ses partenaires MRP en Aveyron, il recherche loyalement un terrain d’entente, mais cette politique ne manque pas de surprendre à la base, quand on connaît le long passé de luttes anticléricales ! Cet accord volontaire des états-majors sera-t-il vraiment soutenu par les militants des deux bords profondément marqués par les habitudes quasi ancestrales ? Nous verrons que non. La Troisième force aura, dès le départ, du plomb dans l’aile en Aveyron !

  • 57 Revue du Rouergue, juillet-septembre 1947.

69Le 27 juillet 1947, le président du Conseil se rend dans le département voisin du Tarn pour assister aux cérémonies à la mémoire de Jean Jaurès dont il était coutumier avant guerre ; il était rapidement passé le matin par Decazeville puis Rodez où il avait fait une apparition au congrès départemental de la SFIO57.

70Le 3 août, nouvelle visite : Capdenac, Decazeville (avec un bref passage au Conseil municipal) puis Espalion où il exhorte les habitants à ne pas compter exclusivement sur l’aide étrangère mais plutôt sur l’effort de la population toute entière ; et enfin Rodez, où l’accueille le maire, son ami, le radical Georges Subervie ; à la Chambre de commerce il écoute les doléances des commerçants et industriels, il constate alors que l’esprit de concurrence est mort, victime de la facilité des ventes en période de pénurie, de la hausse des prix, de l’enchevêtrement des circuits commerciaux. Avant de regagner Decazeville et le Conseil municipal qui l’attend patiemment, un détour par Cransac lui a permis d’inaugurer une installation d’eau pour l’arrosage des jardins ouvriers du quartier des Clots.

71Ainsi, comme on peut le constater, aux prises avec les difficultés économiques et sociales les plus grandes, Ramadier tient chez lui le même langage ferme et sans concession qu’à Paris ; il n’y a pas trace ici de promesses démagogiques électoralistes ; la même ligne de conduite le guide partout, défense de la République et effort national de redressement.

  • 58 Samedi soir, 20 septembre 1947 (AD 52J227).

72Début septembre, à l’occasion de la fête votive et dans la perspective des élections municipales prochaines, il fera un séjour un peu plus long à Decazeville. La presse nationale s’en fait écho, surtout « Samedi soir » qui rend compte de l’évènement sur un ton sympathique mais plein d’humour58. En première page, une photographie de Ramadier en pied donne le ton : « A Decazeville, Ramadier gouverne en pantoufles » ; on le voit en effet en bras de chemises, la pipe à la main et les charentaises aux pieds ! Le journaliste plante le décor : le président continue à travailler chez lui avec ses fidèles compagnons : sa secrétaire Yvette et son chien Sosso ; une photo de son ancienne voiture, l’antique B 14 surnommée la « Trépidante », véritable trophée de ses campagnes électorales de 1928 et 1932, une vue de la rue Cayrade encombrée de vaches un jour de foire complète ce décor, combien rustique pour un journaliste parisien ! Et comme un Persan en province, le journaliste ironique constate que sur le plan municipal « Paulou » est encore beaucoup moins élégant que sur le plan national ! Il a débarqué en retard et en tenue ordinaire devant le préfet et le Conseil municipal sur leur trente et un !

  • 59 Claude Ramadier doute de la chose !
  • 60 Voir IIe partie.

73La maison, jugée de style basque ( !), est ouverte comme un moulin ; même les enfants y entrent avec leurs balles ; les domestiques auraient la bride sur le cou et la longue absence du maître a été, dit-on, fatale à sa cave ! Le chien Sosso tout ragaillardi par la visite de son maître a retrouvé sa place officielle dans les cortèges où il serait allé jusqu’à s’abandonner contre le pantalon du préfet !59. Vérités ou rumeurs, peu importe, l’image de Ramadier à Decazeville est conforme à ce tableau, et ce style plaît à ses électeurs qui colportent complaisamment toutes ces anecdotes. On ira même plus loin : pour être sur, à mon avis, que le président du Conseil reste toujours le même et ne perd pas son âme dans les salons parisiens, une histoire circule racontant que Ramadier, gourmand et gros mangeur, ne peut se passer à Matignon du plat typiquement Decazevillois : « l’estofinado » ; il s’en fait donc préparer régulièrement par sa femme ; mais comme ce plat est à base de morue séchée qu’il faut faire dessaler plusieurs jours (dans de grands baquets à Decazeville), n’étant pas équipé, il aurait trouvé une astuce efficace : le poisson était mis dans le réservoir d’une chasse d’eau. On imagine le système...! Les Decazevillois croient dur comme fer, encore aujourd’hui, à cette histoire qui, bien sûr, laisse son fils sceptique ; il n’a jamais vu pareille chose à Matignon ! Véritable légende, l’histoire est jolie, pittoresque et sentimentale. Il suffit ; elle sert de lien entre l’élu propulsé bien loin et bien haut et ses électeurs. Le ramadiérisme fonctionne toujours60.

L’hommage des élus locaux

  • 61 Procès-verbal de séance. A.D.

74La stature désormais nationale de Ramadier force la considération des élus locaux, amis ou adversaires. C’est au Conseil général, qu’il préside depuis 1945, qu’on mesure le mieux le phénomène. Lors de la première session annuelle, le 24 avril 1947, en son absence, le président de séance Bouscayrol (radical) lui rend hommage, il exprime sa fierté d’Aveyronnais « de voir pour la première fois un des (nôtres) placé à la tête du gouvernement »61. Le duc Decazes, premier ministre de Louis XVIII, ne fut pas une personnalité politique locale ; Emile Maruejouls, Eugène Raynaldy, Emile Borel ont accédé à des fonctions ministérielles « mais il a été donné à M. Paul Ramadier d’être quatre fois ministre avant de devenir vice-président du gouvernement Léon Blum en décembre 1946, puis chef du gouvernement de la République ». Le doyen de l’Assemblée, Emile Borel, rend un hommage à son ami de longue date et propose la motion suivante : « Le Conseil général de l’Aveyron adresse ses vives félicitations et ses meilleurs vœux au président Ramadier. Le plein succès avec lequel son courage, son intelligence et son patriotisme lui ont permis de mener à bien la tâche difficile de constituer un gouvernement dans les circonstances actuelles autorise les meilleurs espoirs pour le relèvement du pays... Je vous demande simplement de prendre acte du fait que le Conseil général a voté ceci à l’unanimité et que cela figure en tête du procès-verbal de la présente session ».

75Le lendemain 25 avril, Emile Borel accueille Ramadier en personne par un vibrant hommage qui insiste sur deux points de sa politique, essentiels à ses yeux : le salut du franc et le salut de l’Union française ; deux thèmes non représentatifs du socialisme mais plutôt du radicalisme de Borel.

76Si la considération des élus est importante, c’est cependant le vote populaire qui reste capital. Les élections municipales seront la première mesure de sa popularité après l’expérience gouvernementale qui touche à sa fin, dans un contexte politique et social beaucoup plus tendu.

Une victoire municipale honorable dans un climat tendu (19 octobre 1947)

  • 62 Allusion au « plan bleu », complot de nostalgiques de Vichy dont les préparatifs ont été découverts (...)

77Fin septembre, nous l’avons vu, les difficultés du gouvernement sont à leur comble, les attaques des extrêmes se déchaînent à l’occasion de la campagne électorale. De Gaulle clame qu’il n’y a plus d’Etat et que l’avenir est à lui. Les communistes, faisant feu de tout bois, multiplient leurs imprécations à tout propos, comme par exemple quand des péniches chargées de sucre américain à destination de la zone d’occupation française en Allemagne sont bloquées par des militants, tandis qu’à l’Assemblée un député communiste assure « le sucre ne passera pas ». La « Voix du peuple » en Aveyron écrit le 27 septembre : « Pendant que la cagoule complote62 et incendie nos récoltes, Ramadier expédie le sucre en Allemagne mais nos enfants n’auront pas de lait et nos vieillards pas de charbon cet hiver » ; « faire payer les pauvres », voilà la politique conduite assure Guy de Boysson, le député communiste.

  • 63 Rouergue Républicain – 30 septembre 1947.
  • 64 Idem – 8 octobre 1947.

78A Decazeville, Ramadier doit subir les dures attaques communistes. Le MRP qui présente une liste soutient le gouvernement. Il n’y a pas de gaullistes dans la commune ; donc, en octobre 1947, l’ennemi est unique mais violent ! Face aux assauts, Ramadier imperturbable répond : tenir bon « sous la mitraille »63, prendre des mesures draconiennes d’économies, compter sur les dollars et le blé américain ; en somme faire le contraire de ce que prônent les communistes ! Socialistes et Républicains populaires dénoncent avec vigueur le regroupement des partis communistes à la conférence de Pologne (22 au 27 septembre) et la création du Komintern64. Ainsi en octobre le climat se durcit et les enjeux deviennent plus larges que ceux d’une simple consultation municipale.

  • 65 « La Voix du peuple » 18 octobre 1947 (je n’ai pu recouper tout cet épisode par d’autres documents)

79Le 5 octobre, alors que Ramadier séjourne à Decazeville, le PC organise une grande manifestation qui réunit 6.000 personnes d’après la « Voix du peuple », avec l’appui de Lecœur, De Boysson et Ginestet qui dénoncent la politique de faillite, de misère et d’inféodation aux trusts américains du gouvernement Ramadier – Bidault. Une lettre est adressée au maire – chef du gouvernement qui a refusé de recevoir une délégation de mineurs réclamant une augmentation de salaire. Le 9 octobre, la délégation est reçue à Paris car, dit le journal communiste, une menace de grève est brandie pour le 17. Le 16, Ramadier aurait informé le préfet de son accord sur la revendication ; les communistes commentent : Ramadier ne veut pas de grève chez lui avant les élections car ce n’est pas dans son intérêt personnel, mais à Paris il envoie la police contre les grévistes des transports65 ; donc c’est un politicien sans scrupules.

80Le soir du 5 octobre, une petite bombe avait éclaté près de la maison du président. On accuse les communistes ; ceux-ci répondent que c’est une provocation et De Boysson demande au préfet d’ouvrir une enquête ; le mystère reste entier.

81Fin octobre, l’organe communiste rend compte de la conférence de Pologne et résume en trois points sa teneur : création du Komintem, existence de deux camps ennemis et trahison des socialistes (Blum – Attlee – Bevin).

82Désormais les jeux sont faits : Ramadier et les communistes appartiennent à des camps ennemis ; la fracture se forme clairement en octobre 1947.

83Le paysage politique decazevillois est devenu beaucoup plus complexe qu’avant la guerre où Ramadier régnait en maître : le phénomène communiste s’est amplifié, mais d’autres forces aussi sont apparues. Quatre listes sont en présence en octobre, du jamais vu !

  • 66 Témoignage de V. Martinez lui-même.

84Une liste MRP représente la droite catholique plus ou moins progressiste, conduite par Emile Mercadier, employé, Vincent Martinez, de parents immigrés espagnols, agent de l’EDF et adhérent au Mouvement populaire des familles issu de la JOC66 et Yvonne Moncet, assistante sociale. Dans le contexte decazevillois, sa tare essentielle, ou au contraire sa vertu, est la défense de l’école privée ; elle est ressentie par la majorité des habitants comme une liste de classe même si les préoccupations et les actions sociales de certains de ses membres sont sincères.

85A l’opposé, le parti communiste voit son audience renforcée depuis la Libération ; la liste d’Union républicaine et résistante et de Défense des intérêts communaux qu’il présente est menée par Guy de Boysson, parachuté nous l’avons vu et déjà député. Les autres candidats sont surtout des mineurs et des ouvriers métallurgistes. Le PC, seul à disputer vraiment l’électorat populaire à Ramadier, devient dans le contexte de cet automne 47 un adversaire dangereux et déterminé ; fini l’intermède souriant de 1944 à mai 1947 ; les luttes fraticides d’avant guerre et de la Résistance sont des plaies ouvertes singulièrement réactivées par la conjoncture internationale.

86La liste d’Union socialiste et républicaine conduite par Ramadier est traditionnellement composée de socialistes et de sympathisants. L’instituteur et militant René Rouquette y gagne des galons ; commerçants, ouvriers et employés reflètent toujours la sociologie de la ville et de l’électorat.

  • 67 Voir IIe partie.
  • 68 « La Voix du peuple » 25 octobre, 1er novembre 1947.
  • 69 Témoignage d’H. Boyer, qui ne peut être vérifié mais qui semble vraisemblable.

87Mais un empêcheur de tourner en rond vient un peu compliquer le jeu, toutefois plutôt au profit de Ramadier et aux dépens des communistes. Il s’agit d’Henri Boyer, à la tête d’une liste démocratique et d’union républicaine pour l’organisation des intérêts locaux. Ce personnage, car il en était un, mérite une présentation : originaire de Decazeville, droguiste, il fut avant guerre secrétaire régional du PC et délégué au Comité central ; plusieurs fois candidat aux législatives67, il était conseiller municipal de Capdenac, et aux côtés de Ramadier en 1936 dans le Front populaire. Sincèrement démocrate mais avant tout individualiste, il dénonce vigoureusement le pacte germano-soviétique et démissionne du parti en 1939 ; arrêté comme prisonnier politique par les hommes de Vichy, il échappe de peu à la déportation ; puis, libéré, il gagne les maquis du Lot dans les FTP. Passionné par le combat politique et installé en 1945 à Decazeville, il continue la lutte ; qualifié par les communistes et pêle-mêle de : rénégat, trotskyste, agent de la réaction, valet de Ramadier et de Truman, agent ramadiériste, diviseur de la classe ouvrière68, il provoque leur fureur quand il parle en public, ce qu’il fait facilement et avec fougue. H. Boyer séduit par sa personnalité et son éloquence certains non-conformistes comme lui. Malgré de nombreux accrochages au sujet de la politique municipale, Boyer et Ramadier, dont les maisons voisinaient, sont en bons termes. H. Vigroux, libraire et éminence grise du maire, serait venu lui proposer une place sur la liste socialiste69. Il l’aurait refusée pour capter des voix sur son nom et diminuer ainsi le score communiste. Voilà donc un allié inattendu pour le maire et, comme nous le verrons, débordant d’imagination et d’originalité, mais assez contraire à la sagesse ramadiériste !

88Le scrutin se déroule suivant un mode complexe : les électeurs s’expriment par suffrages mais aussi par signes préférentiels, ce qui permet de cerner l’électorat propre de chaque liste mais aussi le rayonnement, le capital de confiance et de sympathie des candidats, surtout des principaux leaders. La liste Ramadier arrive en tête avec 47 % des suffrages devant les communistes (29 %), le MRP (15 %) et Boyer (6,9 %). Le score personnel du maire est satisfaisant : avec 52 % des suffrages, il est au premier rang des élus ; il reste donc l’homme de Decazeville. Les électeurs ont ensuite donné leur préférence à René Rouquette (2e rang), Emile Lacombe, Jean Pradels, Henri Rivière, Auguste Loupias, et boudé H. Vigroux pourtant représentant des commerçants (dernier rang) ; il ne sera jamais très populaire. Parmi les Républicains populaires Mercadier, Moncet, Martinez se détachent nettement ; H. Boyer a fait à lui seul le double de sa moyenne de liste, qui est faible ; l’électorat communiste a plébiscité Raoul Froment, G. de Boysson, Marcel Raynal, Aurélie Laurent et Auguste Dumoulin. Les résultats des signes préférentiels accordés aux candidats distinguent nettement sur chaque liste deux ou trois noms seulement qui ne sont pas toujours les mêmes que ceux dégagés par le nombre des voix. Si Ramadier et Rouquette sont les plus populaires, au MRP, Martinez l’est plus que Melle Moncet, et au PC Aurélie Laurent plus que Raoul Froment ; quant à Boyer, il est clair qu’il ne représente que lui-même.

89De nouveaux bureaux de vote ont été installés au centre ville. La géographie électorale n’a pas varié ; on peut distinguer d’après les résultats (voir tableaux) : des quartiers « rouges », St Michel, Cantagrel, place Decazes, une partie du centre ; des quartiers « ramadiéristes », Fontvergnes, une partie du centre ; et des quartiers « calotins », St Roch et une partie du centre. Commme on peut facilement le constater, Decazeville n’a rien d’une ville « hausmanienne », la ségrégation sociale n’existe pas ; au centre cohabitent pêle-mêle ouvriers, commerçants, employés, patrons ; seuls les petits faubourgs accentuent légèrement une tendance sociale, donc politique.

90H. Boyer a mordu sur un électorat modéré (puisque son score est faible dans les quartiers rouges), ce vote est difficile à interpréter ; pour les uns c’est sans doute un vote d’humeur, pour les autres, l’expression d’un attachement à une personnalité originale.

  • 70 2 institutrices (Mes Nomblot et Laurent) PC ; 1 assistante sociale (Melle Moncet) MRP ; 1 directric (...)

91Les 27 conseillers élus se répartissent en 13 socialistes, 8 communistes, 4 chrétiens populaires et 2 de la liste Boyer. Quatre femmes font leur entrée, ici comme ailleurs souvent, dans ce Conseil municipal70, deux communistes, une socialiste et une du MRP ; onze avaient au total sollicité les suffrages. Les résultats sont originaux par rapport à ceux du pays tout entier, mais tout à fait conformes au microcosme local : Decazeville ne connaît pas le raz de marée gaulliste que beaucoup de villes découvrent (le RPF remporte 35 % des suffrages en moyenne). Ici, au contraire, le phénomène brille par son absence. Le MRP comme un peu partout se tasse ; la gauche résiste et la SFIO particulièrement. Néanmoins, Ramadier se retrouve au milieu d’un Conseil municipal profondément différent de ceux qu’il a connus jusque là ; alors qu’auparavant sa liste entière emportait tous les sièges, elle n’obtient même pas la majorité absolue. Son titre de maire serait-il en danger ? A l’évidence il a désormais besoin d’une alliance, ce qui entraîne une position beaucoup plus inconfortable. Toutefois sa personnalité et le nombre de voix qu’il représente lui assurent une avance sur ses rivaux.

92Le 26 octobre, il est élu maire par une coalition de Troisième force ; sur 26 votants dont un bulletin blanc (le sien probablement comme à l’habitude), 18 voix sont allées sur son nom, et le communiste Bessac en a recueilli 7 ; il y avait un absent (probablement un communiste puisqu’ils sont huit élus). Ramadier a obtenu le soutien des 12 socialistes, des 4 chrétiens populaires et de Mrs Boyer et Tambon.

93Plusieurs candidats se présentent ensuite à la fonction d’adjoints : Rouquette, Vigroux (socialistes), Mercadier (MRP) et Boyer ; aucun communiste. Les résultats confirment la coalition : Rouquette : 18 voix, Vigroux : 17, Mercadier : 16, Boyer : 15. Les communistes n’ont pas participé au vote et certaines réticences, à l’évidence, sont apparues dans les rangs à l’égard de Vigroux, Mercadier et Boyer. Mais les élus obtiennent une confortable majorité. Ramadier prend acte des diverses tendances qui composent le Conseil, mais déclare se faire un devoir d’administrer au mieux la commune. Ainsi, maire depuis 1919, il a gardé un solide capital de confiance malgré la guerre et l’année 1947 qui s’achève. Le phénomène du fief peut être mis en évidence par quelques chiffres.

94Score de la SFIO

95en France : 15 %

96à Decazeville : 47 %

97(Ramadier : 52 %)

98dans le canton : 33 %

99dans l’arrondissement : 17 %

100dans le département : 7,4 %

101Le sol est cependant plus glissant si la pente est encore douce. Mais les aléas de la vie politique nationale, dont Ramadier sera encore acteur, pèseront sur la vie municipale et départementale au point de lézarder le système.

Des lézardes dans le « système Ramadier » (1948-51)

102De 1948 à 1951, l’évolution des gouvernements de Troisième force vers une politique de plus en plus modérée et l’affrontement Est-Ouest creusent le fossé entre communistes et socialistes, tandis que ceux-ci ont parfois l’impression de perdre leur âme en restant au gouvernement. La SFIO s’affaiblit. Sur le terrain les choses se compliquent encore car elles sont vécues avec passion ; l’automne 48, alors que Ramadier est ministre de la Défense nationale, sera fatal à l’unité ouvrière mais le couple SFIO-MRP n’échappera pas, lui non plus, à des contradictions d’intérêts insurmontables, de sorte que Ramadier ne pourra en fin de compte que s’appuyer sur des forces strictement ramadiéristes. Seront-elles suffisantes ?

Le rétrécissement de la base électorale : l’aliénation définitive de l’électorat communiste

103Ce sont les mouvements sociaux des automnes 1947 et 1948 qui marquent le divorce entre Ramadier et une partie de l’électorat populaire, qui désormais prendra fait et cause pour le parti communiste dans le bassin houiller aveyronnais.

1) Les luttes fratricides des automnes 1947 et 1948

  • 71 L. Erignac : « De la révolte des croquants... ».

104« A bien des égards, l’année 47 fut dans la vie politique française un tournant qui agita violemment la France entière et secoua gravement par ses conséquences immédiates et lointaines le bassin houiller de l’Aveyron », ainsi s’exprime un militant communiste, témoin des événements, Louis Erignac dont nous utiliserons les écrits71, complétés par la presse de l’époque et les témoignages rétrospectifs.

105Nous avons déjà vu que les grèves déclenchées avant tout dès avril 1947 par la base elle-même, lasse de la pénurie, deviennent ensuite des enjeux politiques : à la CGT d’abord entre communistes et socialistes pour le contrôle de cette centrale, et pour les dirigeants politiques ensuite. Dans ce contexte, le Comité confédéral majoritaire de la CGT lance les 12 et 13 novembre 1947 un manifeste revendicatif et un appel à une consultation de tous les travailleurs, que la minorité F.O. refuse. Au même moment une grève commence à Marseille, suite à une augmentation du prix des transports urbains ; elle devient rapidement violente (plusieurs blessés et un ouvrier tué) et politique : les communistes sont accusés d’être les agitateurs volontaires. La fièvre gagne d’autres milieux et d’autres régions. Le gouvernement réagit fermement, Ramadier répond à Billoux : « Nous défendrons la République contre vous » ; E. Depreux, ministre de l’Intérieur, demande la levée de l’immunité parlementaire de Mrs Cristophol et David (députés communistes de Marseille) ; le ministre de la Production industrielle, R. Lacoste, renvoie Mr Delfosse, syndicaliste communiste, repésentant comme administrateur la CGT au CA des Charbonnages. C’est la guerre ; la grève s’étend chez les mineurs (touchés à 70 %), chez Renault dans la métallurgie, chez les dockers et les cheminots. Le 19 novembre, Ramadier a démissionné, au bout du rouleau ; la vacance du pouvoir jusqu’au 24 favorise la création d’un climat jugé révolutionnaire par les observateurs. Du 13 novembre au 10 décembre, 3 millions de salariés sont en grève.

106Le nouveau gouvernement Schuman continue à tenir le langage de la fermeté, appuyé par les ministres socialistes et la SFIO, Léon Blum en tête. Sur le terrain, les affrontements sont nombreux et violents entre forces de l’ordre et grévistes.

  • 72 L. Erignac : « De la révolte des croquants... » p 215.
  • 73 6 décembre 1947 – voir Ière partie.
  • 74 D. Reid : « The miners of Decazeville »...

107En Aveyron, le Bassin houiller est le théâtre des luttes sociales : le 24 novembre, le conseil syndical des mineurs de Decazeville se réunit, vote la grève à l’unanimité y compris les délégués F.O., et organise un Comité72. La grève est totale dans le bassin au matin du 25 novembre ; un appel à la solidarité est lancé envers les paysans et les classes moyennes. Le 6 décembre, le comité de grève compte 8 000 grévistes et 3 000 ouvriers du bâtiment. Le Conseil municipal communiste d’Aubin vote une subvention pour nourrir gratuitement les enfants des écoles. La « Voix du peuple » évoque la grève de 18 8 673. Cependant les ingénieurs CGT sont opposés à la grève, jugée préjudiciable au bassin74.

108Mais les passions sont à leur comble et les revendications originelles (indemnités et revalorisation des salaires) sont remplacées peu à peu par des slogans politiques ; la Voix du peuple – communiste – écrit le 6 décembre : « Le gouvernement aux ordres de l’Amérique compte sur la famine et sur la faim pour contraindre la classe ouvrière à reprendre le travail. »

  • 75 G. Elgey : « La République des illusions » p 365.

109« L’Aveyron libre », l’organe socialiste, répond que le syndicat ne doit pas être une arme de combat politique, que les événements de Marseille sont destinés à empêcher l’adhésion de la France au plan Marshall comme la Tchécoslovaquie le fut ; le 20 décembre, Ramadier juge : « nos bolcheviks n’ont pas réussi à torpiller le plan Marshall »... Le Palais Bourbon est devenue une véritable arène où l’on s’insulte à qui mieux mieux75.

  • 76 J.J. Becker : « Le PC veut-il prendre le pouvoir ? »... J.P. Rioux : « Nouvelle histoire de la Fran (...)

110Brusquement, le 10 décembre, la reprise du travail est ordonnée par la CGT : c’est que les violences physiques et verbales et les morts du train Paris-Tourcoing ont fait basculer l’opinion. Les grévistes qui ont débrayé sincèrement pour défendre leur pouvoir d’achat se sentent un peu floués et conduits sur des sentiers inattendus et peut-être dangereux ; les salariés veulent des réformes et des augmentations de salaires mais pas forcément la révolution. Comme les historiens s’accordent aujourd’hui à penser que le PC ne la voulait pas non plus mais que sa tactique consistait simplement à harceler la gauche non-communiste pour l’affaiblir76, on estime que sentant le vent touner la majorité communiste de la CGT se résoud à mettre fin à la grève et déclare avoir obtenu quelques satisfactions. Cette fin « en queue de poisson » illustre à elle seule le caractère particulier de ces événements qui prennent place dans la stratégie communiste nouvelle définie à la conférence de Pologne : feu roulant sur le plan Marshall, les Etats-Unis et leurs alliés.

111Les conséquences de ces jours de luttes sociales violentes sont graves et durables : elles conduisent à la scission de la CGT et à l’installation d’une haine tenace entre militants communistes et socialistes, désormais séparés.

112Le 22 décembre les militants FO du Bassin houiller envoient leur démission du Conseil syndical, suivant en cela les consignes parisiennes. Un syndicat CGT-FO voit donc le jour dans le Bassin, avec de faibles moyens, il regroupe 800 adhérents (sur 5 000 mineurs au total).

  • 77 Dans R. Quilliot : « La SFIO et l’exercice du pouvoir ».

113La base électorale ouvrière de Ramadier n’est plus ce qu’elle était. La CGT, qui le suivait fidèlement avant 1940, devient au contraire une force d’opposition ; le lien est maintenu avec FO mais son rayonnement est faible ; Henri Rivière, artisan, est à la fois responsable syndical, militant socialiste et conseiller municipal. Sur le plan national, la SFIO sort gênée de cette tourmente sociale ; G. Mollet n’ignore pas que le mécontentement est réel et que la répression fut parfois dure et à la limite de l’admissible pour un socialiste ! Le secrétaire général rejette « l’excessive énergie dans les propos » de J. Moch, qui restera à jamais le symbole du social-traître pour bon nombre d’ouvriers. Au lendemain du 10 décembre, G. Mollet met en garde contre tout triomphalisme : « la majorité de l’Assemblée nationale et du gouvernement ignore tout de la sensibilité ouvrière. Croyant avoir battu définitivement le parti communiste, ils veulent mettre à genoux ce même parti. Ils se trompent en premier lieu sur la portée de la défaite du parti communiste ; ils ignorent ensuite que le Parti socialiste ne pourrait les suivre là où ils veulent le mener car il se refusera toujours à participer à l’écrasement de la classe ouvrière »77. La porte est donc étroite pour les socialistes ; leur image est ternie aux yeux du monde ouvrier et ils sont désormais engagés totalement dans la politique de Troisième force. Enfin ces événements sont l’occasion pour les communistes locaux d’affûter leurs couteaux contre Ramadier, solidaire de ce gouvernement jugé anti-ouvrier.

114Et pourtant, aussi graves qu’ils furent, ces événements de l’automne 47 ne sont que le prélude à la bataille sociale de 1948, encore plus violente.

1151948 est réellement l’entrée du monde en Guerre froide : l’aide Marshall se concrétise enfin au début de l’année et amarre solidement les pays de l’Ouest européen au camp américain. Staline de son côté constitue le camp des Démocraties populaires, en dictant sa loi à la Tchécoslovaquie hésitante par le « coup de Prague » en février, en condamnant le titisme yougoslave, et domine fermement les partis communistes occidentaux, chargés de dénoncer sans relâche les méfaits du système capitaliste et de l’impéralisme américain.

116En Aveyron, tout au long de l’année 48, le journal communiste dénonce les répercussions négatives du plan Marshall sur l’économie française et accuse les socialistes et le gouvernement d’être les casseurs de l’industrie ; Ramadier est traité de « commis-voyageur du plan Marshall. »

  • 78 Voir le témoignage de D. Desanti dans « les Staliniens ».

117Le 4 octobre, en riposte aux « décrets Lacoste « concernant l’industrie charbonnière qui doit être réorganisée, la grève générale est décrétée dans tous les bassins miniers. Le gouvernement est prêt pour l’épreuve de force : 500 chevaux de mines sont évacués par l’armée dès les premiers jours ; Ramadier, ministre de la Défense, a mis l’armée en alerte en parallèle avec la police. Puis un fait nouveau, diversement interprété, contribue à durcir les camps : les piquets de grève s’opposent à la pénétration des équipes de sécurité dans les établissements industriels et les mines. Cela signifie que l’outil de production est désormais en danger par incendies ou noyades des galeries de mines, éclatement des fours à coke brutalement arrêtés. Le 16 octobre, la Fédération régionale des mineurs CGT a bien donné l’ordre dans le Nord et le Pas de Calais de suspendre pendant 24 heures les mesures de sécurité ; mais, répondent communistes et cégétistes, c’était pour s’opposer à la présence des forces de l’ordre sur les carreaux des mines ; le gouvernement, lui, mais aussi la SFIO l’interprètent comme une volonté de sabotage et d’insurrection78. Quoi qu’il en soit, les violences se déchaînent de part et d’autre ; de véritables batailles se déroulent dans les corons ; 40 000 soldats, CRS, gardes mobiles, gendarmes, avec chenillettes et chars, sont mobilisés, sièges syndicaux et réunions publiques surveillés, ouvriers réquisitionnés ou expulsés etc. ; trois mineurs sont tués (deux par balles, un à coup de crosse), deux mille emprisonnés, six mille licenciés. Les affrontements atteignent une violence inouïe, c’est une véritable guerre civile dans les grands bassins miniers. L’enjeu est considérable : pour la CGT, prendre la revanche de l’automne 47, pour le PC, montrer sa puissance de déstabilisation, pour le pouvoir et la Troisième force, faire régner l’ordre et la loi donc faire échec au PC et au-delà à Staline qui le manipule. Les puits de mine sont repris pied à pied, de jeunes mineurs réservistes se retrouvent face à leurs camarades de la veille ; à partir du 5 novembre, las, amers et hébétés, les mineurs reprennent peu à peu le travail ; le 20, la grève est partout terminée.

  • 79 Voir D. Desanti : « Les Staliniens » p 190-194. Confirmé par les témoignages aveyronnais.

118Le bilan est dramatique : sur le plan matériel, pertes de production et remise en état des lieux se chiffrent à plusieurs milliards. Mais c’est sur le plan humain que le bilan est le plus lourd et le plus durable : mobilisation ouvrière massive, violences puis échec final de la lutte syndicale, qui entraîneront une désyndicalisation et une méfiance à l’égard des mots d’ordre lancés par les dirigeants ; luttes fratricides entre grévistes et non grévistes, tellement passionnées que des haines durables empêcheront à jamais toutes relations amicales dans un même quartier ou sur un même lieu de travail ; enfin, méfiance et rancune de la classe ouvrière à l’égard des socialistes, dont R. Lacoste et J. Moch deviennent les symboles négatifs79. Socialistes et communistes sont irréconciliables pour longtemps. Bref le mouvement ouvrier tout entier sort brisé de ces épreuves. PC et SFIO ne vont cesser de reculer dans les consultations électorales. La responsabilité semble largement partagée. Et la République, pourtant triomphante en 1948, vient d’accuser un coup sournois...

119L’Aveyron a vécu les mêmes événements qui ont produit les mêmes effets.

120Le 29 septembre, les mineurs se prononcent massivement pour la grève nationale par un vote à bulletins secrets (à Decazeville, 2 431 voix pour sur 3 056 votants, 572 contre). Un comité de grève se constitue et la solidarité s’organise.

  • 80 Témoignage du sous-préfet ; Mr Mennecier (19 juillet 1984), les grévistes avaient coupé le courant, (...)
  • 81 D. Reid : « The miners of Decazeville »...

121A Decazeville, le 19 octobre, les CRS investissent les puits de mine et occupent la centrale électrique80. Le 20, des affrontements éclatent, la centrale est reprise par les ouvriers ; des grévistes sont arrêtés, des négociations s’ensuivent entre délégués syndicaux et autorité préfectorale. Le climat est empoisonné par la crainte de l’abandon de la sécurité dans les mines qui rend nerveuses les forces de l’ordre et hésitants les ouvriers les plus modérés. Le 30 octobre FO décide la reprise du travail par 135 voix contre 3. En effet, d’après D. Reid81, 85 % des mineurs étaient grévistes mais seulement 59 % des contre-maîtres et 38 % des ingénieurs ; le 31 octobre, les contre-maîtres de tous les syndicats acceptent de reprendre le travail là où il y a danger d’incendie dans les galeries. D. Reid estime que l’ensemble des mineurs étaient alors pour la reprise mais n’osaient le dire publiquement. C’est donc l’enjeu de la sécurité qui matérialise en somme, aux yeux des ouvriers, l’enjeu même des grèves et la limite à ne pas dépasser ; dans la tradition ouvrière il n’est pas d’usage de saccager l’outil de travail qui est certes la propriété du patron, ou ici de l’Etat-patron, mais qui reste le gagne-pain quotidien. D’où, le 1er novembre, un premier tract FO et CFTC qui invite fermement les ouvriers à reprendre le travail ; la reprise commence le 8 novembre ; et le 29, le Bureau national de la Fédération du sous-sol lance le mot d’ordre général de reprise.

122Le 8 janvier 1949, Edmond Ginestet devenu député (remplaçant Guy de Boysson en 1948) déclare à l’Assemblée nationale : « Les mineurs se sont repliés, ils ne sont pas battus ». L’honneur est donc sauf !

  • 82 A. Clot, M. Capus, H. Boyer, Mennecier, sous-préfet.
  • 83 J. Wolf dans Revue du Rouergue N° 123 : « Decazeville ; Expansion et déclin d’un pôle de croissance (...)
  • 84 D. Reid : « The miners of Decazeville ».

123Mais le fossé entre socialistes et communistes est devenu un abîme. Tous les témoignages confirment la violence des affrontements verbaux ou physiques82 et les haines tenaces qui empoisonneront le climat social jusqu’en 1961-62 où une autre grande grève ressoudera à l’inverse la communauté ouvrière du bassin. En outre, cette période reste dans l’esprit des mineurs comme le début du déclin : les crédits Marshall seront affectés dans l’immédiat à la modernisation des mines d’Aubin-Decazeville, particulièrement vétustes, ce qui se traduira par des baisses d’effectifs83. Enfin ces conflits mettent aussi fin à des illusions : celle de l’alliance entre la classe ouvrière et la maîtrise, observée dans le cadre de la CGT pendant la bataille de la production, et celle de l’ Etat-Providence, protecteur inconditionnel de l’avant-garde ouvrière : l’Etat a réagi en patron84. Pour les mineurs, les nationalisations ont ici trouvé leur limite ; songeons à leur désarroi, eux qui sont encore nourris de la culture syndicale des années 20 où les programmes de la veille CGT faisaient miroiter plans et nationalisations comme la panacée. Les rêves d’antan se révèlent des réalités décevantes en 1948.

124La déception est encore aggravée par les données politiques : les socialistes, qui ont largement combattu pour l’amélioration du sort des mineurs avant 1940, sont aujourd’hui au pouvoir. Ce sont eux les patrons en somme, et ils répriment. Le malaise est grand chez les ouvriers socialistes. En revanche, les communistes trouvent là pain béni pour fortifier leur cause ; depuis septembre 1947 nous savons qu’ils tirent à boulets rouges sur les gouvernements et surtout sur les socialistes. Si J. Moch est en première ligne, Ramadier n’est pas loin, derrière lui.

2) Une image ternie : Ramadier briseur de grèves

  • 85 Selon son témoignage.
  • 86 Dans L. Erignac… « De la révolte des croquants »...
  • 87 Voir Ière partie.
  • 88 Il s’est aussi rendu en Hollande à ce moment là.

125Les conséquences pour lui sont capitales comme responsable de l’armée et de la gendarmerie, donc de la répression comme ami de J. Moch, et comme maire de Decazeville c’est-à-dire en principe défenseur des intérêts de ses habitants. Il n’était pas sur place : il s’est rendu à New-York à la mi-octobre pour prononcer un discours aux Nations Unies sur le problème atomique et n’est venu à Decazeville que le 14 novembre. Ministre de la Défense, il fait front à Paris avec l’ensemble du gouvernement ; il se tient cependant en rapport constant avec le sous-préfet de l’arrondissement, Mr Mennecier, à qui incombait le maintien de l’ordre et qui s’est installé à Decazeville pendant quinze jours d’affilée85. Selon lui, les ordres officiels étaient la fermeté mais pas le carnage d’où plusieurs entrevues avec les délégués syndicaux et Edmond Ginestet, le leader communiste, pour calmer la fièvre, éviter le pire et aider à la reprise du travail début novembre. Ginestet souffle sur les braises mais ne va pas jusqu’au bout, suivant peut-être en cela les ordres reçus de Paris. Mais quel que soit son but, une cible immédiate est visée : le gouvernement et un de ses représentants, Ramadier. « Si la force armée se trouve à Decazeville et si des incidents se sont produits la responsabilité en incombe à Paul Ramadier, maire de Decazeville, ministre de la Défense nationale » déclare-t-il le 20 octobre86, au moment où les CRS investissent les puits (le 19) ; les heurts ont fait une quinzaine de blessés. Le 23, « la Voix du peuple » titre : « M. Ramadier a fait couler le sang des Français, à l’exemple de leurs aînés de 1886, les mineurs aveyronnais unis poursuivront la lutte jusqu’à la victoire » ; l’article fait un parallèle avec la grève de 1886 soutenue alors par les députés socialistes87 ; il est vrai, poursuit-on, que Ramadier est un « soi-disant socialiste », qui n’est venu que pour sa carrière politique ; comme ministre de la guerre, il aurait pu s’opposer à l’envoi des troupes mais il préfère les courbettes et les visites officielles88. Pour les communistes, Ramadier est aujourd’hui un briseur de grève alors qu’en 1919, il défendait les grévistes ; trahison donc...

126L. Erignac n’hésite pas à écrire que « Moch et Ramadier exercent, sur le Bassin houiller une terreur plus pesante et plus intolérable qu’au temps de l’occupation ». Cela nous paraît un peu excessif !

127L’interprétation communiste des événements sociaux de 1947 et 1948 est lourde de conséquences : pour Ramadier elle entraîne la perte totale et définitive de l’électorat communiste c’est à dire des voix d’une grande partie des mineurs qui votaient fidèlement pour lui avant 1940. Au conseil des Prud’hommes à Decazeville, les élections qui se déroulèrent fin novembre 1948 donnèrent la majorité à la CGT. La base prolétarienne de l’électorat se rétrécit. Ramadier et la SFIO ne sont plus aussi représentatifs de la classe ouvrière qu’ils l’étaient avant la guerre. Cependant il garde un électorat fidèle composé des classes moyennes indépendantes et salariées, effrayé par la violence communiste, l’ambiguïté et la tournure des grèves. De sorte que, sur le plan strictement urbain et cantonal, sa position ne semble pas menacée.

128Les responsabilités ministérielles de Ramadier ont fourni aux communistes locaux des armes efficaces pour lutter contre lui sur le terrain aveyronnais. Si dans la mémoire collective son nom reste surtout attaché au 4 mai 1947, dans le Bassin houiller, on tient le compte de tous ses actes ; et son passage au ministère de la Défense est fécond aux yeux des communistes d’actions anti-ouvrières et anti-soviétiques.

  • 89 « Aveyron libre » 6 janvier 1951.
  • 90 Voir G. Mollet : « Un camarade en République » actes du Colloque de Lille.

129Aussi est-ce avec délectation qu’un an plus tard on exploite « l’affaire des généraux » pour parfaire l’image de ce social-traître en y ajoutant celle d’un homme vénal, tare supposée toucher un grand nombre de parlementaires bourgeois. Le 18 janvier 1950, « le Patriote du Sud Ouest », organe communiste régional, dans sa rubrique locale, injurie Ramadier en ces termes : « les chéquards en prison... Bientôt nous verrons tous les compères essayer de rejeter la boue sur le plus compromis : attention à vous Mr Ramadier ! Que vous reste-t-il maintenant ? Quelques surnoms et beaucoup de honte. Votre « compétence » au ministère du Ravitaillement vous a valu le surnom de Ramadan. Votre « prestige » à la président du Conseil vous a valu celui de Ramabouc, votre « conscience » au ministère de la Défense nationale vous vaudra-t-il celui de Ramachèque ? Vous avez fait trop de mal à la classe ouvrière, vous avez trop nui à la France avec votre complaisance à l’égard de Truman et de sa guerre anti-soviétique, avec votre sale guerre d’Indochine pour que vous vous en tiriez avec simplement un peu plus de mépris autour de votre nom ». Ramadier a porté plainte pour injure et le journal a été condamné par le tribunal de première Instance de Villefranche, le 31 juillet 195089. Les communistes s’acharnent, ils font appel ; le tribunal de Montpellier confirme les peines (10 000 F d’amende, et 50 000 de dommages et intérêts) le 16 novembre, et le 4 janvier 1951, la Cour de Cassation rejette le pourvoi. La propagande communiste brossera désormais sans relâche ce portrait dont le souvenir est toujours vivant dans certaines mémoires. L’acharnement des communistes à l’égard de Ramadier, particulièrement haineux et vigoureux, tiendrait pour certains à la personnalité du leader local Edmond Ginestet ; en effet d’autres personnalités socialistes autant impliquées que lui dans la politique française n’ont pas provoqué autant de hargne ; G. Mollet, pourtant partisan de la Troisième force et du choix atlantique, a bénéficié à Arras jusqu’en 1953 de l’appui électoral du parti communiste90.

130Les communistes aveyronnais font de Ramadier leur unique cible, lui attribuent la responsabilité de toutes les difficultés locales, le mettent en accusation dans toutes les assemblées ; c’est un travail de sape à long terme.

3) La guerre d’usure au Conseil municipal et au Conseil général

131Elle commence dès le 21 décembre 1947 quand le Conseil municipal nouvellement élu, juste avant les grèves, doit procéder à la nomination des responsables de certains organismes municipaux. Comme délégués à la commission administrative du Bureau de bienfaisance, le maire propose Mr Vigroux (socialiste) et Melle Moncet (MRP), les communistes protestent car ils représentent, disent-ils, plus de voix que le MRP ; on passe alors au vote qui investit les deux candidats. En lot de consolation, Ramadier offre à De Boysson, qui s’en contente, la commission des statistiques agricoles ! Deux administrateurs de l’hôpital doivent être nommés : Arthémon Costes (socialiste) et Emile Mercadier (MRP) proposés par le maire sont élus, André Guibert, syndicaliste, écarté. Ainsi la Troisième force fonctionne harmonieusement, sauf en ce qui concerne la Caisse des écoles ; Ramadier reste sur ce point fidèle aux réflexes laïques, il se méfie des chrétiens populaires, d’où la liste anormalement « œcuménique » qu’il propose : Melle Lestang (socialiste), Me Nomblot (communiste), Mr Coret (socialiste) et M. Layrac (MRP) ; la majorité laïque sera préservée cependant le maire a fait une concession au MRP à laquelle s’est opposé le PC. En effet celui-ci a polémiqué avec V. Martinez qui soutient que les chrétiens font partie de la démocratie française et peuvent défendre l’école laïque. Mais le sujet est un véritable cactus pour les uns et les autres.

132Le Conseil n’est donc plus homogène et docile ; l’année 1948 voit se multiplier les escarmouches contre Ramadier, tout d’abord sur sa façon autoritaire de gérer les affaires, thème appelé à se développer. Le 25 janvier 1948 par exemple, G. de Boysson demande des modifications de procédure : les convocations aux séances doivent être envoyées plus tôt et l’ordre du jour doit comporter la rubrique « questions diverses » ce que Ramadier refuse, consentant seulement à autoriser la formulation éventuelle d’un vœu en fin de séance.

  • 91 Délibération du 14 juin 1948. Mme Poinso-Chapuis, ministre MRP de la Santé, a proposé d’habiliter l (...)
  • 92 Séance du 13 octobre 1948.
  • 93 Notons qu’en raison des événements certains élus sont troublés puisque 9 étaient pour et deux n’ont (...)
  • 94 Témoignage de V. Martinez.

133Cette guerre de procédure, classique, se poursuit au plan politique. Me Nomblot, institutrice communiste, demande dans un vœu l’abrogation du décret Poinso-Chapuis-Deixonne, l’adjoint Rouquette, embarrassé, se déclare d’accord sur le fond mais pour le renvoi en séance prochaine par respect de la procédure91. Il ne sera pas réévoqué avant le 13 janvier 1949, où il sera finalement refusé à cause de son caractère national. (Notons à l’évidence l’embarras de Ramadier sur ce sujet scolaire brûlant, mettant en péril l’alliance SFIO-MRP-radicaux). Le Conseil refuse de subventionner les Auberges de Jeunesse appartenant à l’Union des Jeunesses républicaines de France sous prétexte de couleur politique92. Le 13 octobre 1948, alors que la grève des mineurs dure déjà depuis deux semaines mais sans violence, G. de Boysson propose l’adoption de la résolution suivante : « Le Conseil municipal a pris connaissance avec indignation des allégations, largement reprises par la presse gouvernementale, du ministre de l’Intérieur prétendant que les mineurs et métallurgistes français se sont mis en grève sur l’ordre et grâce à des subventions reçues de l’étranger. Il s’élève contre de semblables calomnies qui cherchent à dresser contre la classe ouvrière de notre pays d’autres couches de la population peu informées du caractère des grèves en cours ». En l’absence de Ramadier, Rouquette juge que le Conseil n’a pas à se prononcer sur ce vœu de portée générale. Un vote à bulletins secrets repousse la résolution93. Mais le Conseil vote un crédit de 500 000 F d’aide aux grévistes ! Ainsi la plupart des conseillers ne peuvent se désolidariser des mineurs, ce qui confirme la complexité de la situation sociale à Decazeville et les contradictions politiques symbolisées par Ramadier lui-même. Notons que ce jour-là les auditeurs publics au Conseil étaient nombreux et pesants, toute la CGT était là94.

  • 95 Séance du 23/1/1949.
  • 96 Séance du 21/8/1949.

134Chaque séance publique du Conseil municipal comporte des interventions à caractère politique. Ramadier qui n’est évidemment pas dupe de leur signification, déclare un jour que certains conseillers « se plaisent à formuler des vœux », pratique préjudiciable à la bonne marche administrative et qui entraîne des controverses nuisibles95. Il reste ferme et va même jusqu’à rompre avec la tradition d’avant-guerre d’accorder des subventions aux syndicats96. Plus aucun ne sera aidé autrement que par l’attribution des locaux.

  • 97 Séance du 11/8/1950.

135Cependant le Conseil municipal parfois unanime approuve certains vœux ; par exemple au moment des grèves, s’il a repoussé toute condamnation du gouvernement, il a accepté deux propositions communistes : l’une contre le licenciement des ouvriers grévistes, contraire au droit de grève et pour le réembauchage rapide des ouvriers licenciés (texte envoyé aux Houillères nationales) ; l’autre au sujet des droits des propriétaires sur les locataires (loi du 1er septembre 1948), transmise au gouvernement. Un vœu communiste en faveur de la paix présenté une première fois, le 23 janvier 1949, propose d’appuyer la proposition soviétique de Vychinski sur la destruction de l’armement atomique et de refuser de s’associer au bloc occidental qui prépare une guerre contre le socialisme. Ramadier n’est pas d’accord avec cette formulation mais suggère à la Commission de rédiger une motion pour la paix ; elle est votée à l’unanimité le 11 février 1949. Enfin, le 24 avril 1950, les conseillers sont tous d’accord pour protester contre le verdict rendu à Bordeaux condamnant un Allemand qui le 10 août 1944 a tué et torturé des maquisards. Après 1947, il est clair que Ramadier aimerait se contenter de gérer sa ville plutôt que de retrouver au Conseil municipal une arène politique, d’où le faible nombre de vœux politiques présentés par lui-même ou son équipe, contrairement à ce qui se passait au début de sa carrière municipale quand ils ne donnaient pas lieu à polémique. Cependant nous en relevons deux de cette nature : l’un concernant la destruction de la bombe atomique, d’ailleurs annulé ensuite par le préfet, l’autre proposé par la Commission municipale constatant que la situation des houillères s’améliore et que la municipalité fera tout son possible pour maintenir cette activité. Mais ici plus d’unanimité, les communistes estimant au contraire que tout va mal et que le plan Schuman conduit à la ruine97.

136Ainsi c’est bien la guérilla entre l’équipe ramadiériste et les communistes .

137Si l’affrontement est surtout bipolaire, il existe aussi des tensions marginales : entre le MRP et le PC (le MRP très agacé par les escarmouches communistes), également entre les communistes et leur « rénégat », Boyer qu’ils attaquent sans ménagement.

  • 98 Séance du 24 avril 1947 : échanges entre Maroger et Ginestet sur l’électrification des campagnes.
  • 99 Témoignage de Mme Capus, qui semble démenti par les comptes rendus des séances qui ne laissent rien (...)

138Cette guerre d’usure contre Ramadier est encore poursuivie au Conseil général par Edmond Ginestet, son contradicteur attitré de longue date. Il siège enfin à la Commission des finances. Jusqu’en août 1947, Ginestet défend le gouvernement, une fois ne sera pas coutume ! Et on assiste à des échanges inhabituels, voire incongrus, en Aveyron entre la droite exigeante et le conseiller communiste défendant l’œuvre gouvernementale98 ! Jusqu’au 25 août 1947, il soutient encore le président du Conseil, allant même jusqu’à parler de la sympathie qu’il éprouve pour l’homme ! On a un peu de mal à le croire sincère. Mais quelques mois plus tard, rien ne va plus, et le 30 septembre 1948, Ginestet est le seul à ne pas accorder sa voix pour la réélection de Ramadier à la présidence de l’Assemblée départementale car, ministre de la Défense nationale, il est « membre d’un gouvernement qui écrase les masses laborieuses de notre pays » et il a « signé un pacte qui crée une armée au service de généraux étrangers ». Ramadier, remerciant l’Assemblée pour le bon travail concret qu’elle fournit, assure Ginestet de son estime mais prévoit qu’ils auront encore tous deux à en découdre, ici ou à l’Assemblée nationale ! Et ainsi de suite, la guérilla continue. Sans importance aucune au sein même de l’Assemblée départementale, elle est exploitée par les communistes qui relatent dans leur presse toutes les interventions politiques de Ginestet et alimentent des bruits ravageurs : Ramadier est un hypocrite, un camériste et un traître ; au moment des votes gênants, il sort de la salle pour aller aux toilettes99… Ainsi les communistes façonnent peu à peu la contre image de l’élu decazevillois qui devient leur bouc émissaire. Mais alors que la grande majorité de l’électorat communiste lui voue une haine tenace, la politique de Troisième force lui assure-t-elle l’appui de l’électorat MRP ?

Une faible compensation : l’accord avec le MRP et ses limites

  • 100 Témoignage de V. Martinez, socialiste aujourd’hui. Voir J.M. Mayeur : « Démocratie chrétienne ».

139Au plan national, l’accord de gouvernement entre la SFIO et le MRP a bien fonctionné, notamment pendant la présidence Ramadier. Au plan local, c’est une donnée nouvelle qui défie la tradition : jamais les socialistes n’avaient pratiqué d’alliance avec des personnalités catholiques dans la mesure où elles font partie de la droite aux yeux de tous. Mais une nouvelle génération de chrétiens se veut démocrate et ne se reconnaît pas dans la droite classique100. Cependant si ces militants chrétiens souhaitent des avancées sociales, ils tiennent aussi à défendre l’existence d’une école qui parle de Dieu. Si bien qu’à Decazeville, la situation est relativement simple jusqu’en 1951. Les conseillers MRP votent avec l’équipe ramadiériste parce que l’accord national et la personne du maire y conduisent naturellement, et aussi par anti-communisme viscéral ; mais un désaccord incontournable s’exprime sur la question scolaire (gestion de la Caisse des écoles, crédits aux écoles libres). Le 23 janvier 1949, par exemple, ou le 6 janvier 1951, V. Martinez demande au nom du MRP le vote d’une aide pour les enfants nécessiteux des écoles privées, pour garantir en somme la liberté des familles et implore : « ne soyez pas des adversaires irréductibles ». Mais Ramadier sur ce point l’est, et répète sa position de principe : l’aide sociale ne se préoccupe pas des opinions mais l’aide scolaire serait une subvention déguisée à l’école privée ; autrement dit, on peut venir en aide aux nécessiteux par un autre canal que l’école ; le principe laïque doit être respecté.

  • 101 Le long passé de lutte anticléricale y est sans doute pour quelque chose, de part et d’autre probab (...)

140Les relations entre Ramadier et les élus MRP sont courtoises bien que ceux-ci sentent chez lui une réticence envers ces catholiques ralliés à la République !101. Ramadier cependant écoute leurs suggestions mais ils jugeront bientôt la gestion de la ville un peu timorée et le maire un peu trop têtu ; nous verrons en fait que ce sont eux qui lui donneront en 1959 le coup de grâce.

141Jusqu’en 1951, l’appui du MRP ne peut exister qu’au plan municipal. Les communistes accusant facilement Ramadier de complaisance envers la droite et les militants socialistes étant viscéralement anti-cléricaux, la porte est donc étroite et l’entente tributaire du bon fonctionnement de la Troisième force au plan national. L’électorat MRP semble difficilement récupérable aux législatives dans le contexte aveyronnais.

142Ainsi, de 1947 à 1951, la conjoncture politique locale s’est considérablement modifiée du fait essentiellement de la personnalité et de la carrière même de Ramadier qui trouve sur sa route un concurrent sérieux et virulent, le parti communiste, dont l’influence ne peut être contrebalancée que par une alliance avec le MRP, mais tellement improbable ! Les forces ramadiéristes seront-elles suffisantes pour lui faire franchir les prochaines étapes électorales ? Dans quel état se trouve le principal relais, la SFIO aveyronnaise ?

Le délabrement du parti socialiste SFIO

  • 102 R. Quilliot : « La SFIO et l’exercice du pouvoir » p 291.

143En 1945-46, profitant comme le PCF du traumatisme de la guerre, la SFIO compte du monde dans ses rangs, entre 320 et 350 000 adhérents102, gonflés d’espoir et d’utopie. Mais l’exercice du pouvoir va encore une fois engendrer de bien cruels désenchantements, l’épreuve de vérité étant l’année 1947, lors de la présidence Ramadier.

144Le parti semble tiraillé entre deux pôles : parlementaire et gouvernemental, militant et idéologique ; l’aiguille de la boussole tangue de l’un à l’autre et le militant de base atteint du mal de mer est parfois tenté de quitter le navire. On a déjà vu que G. Mollet s’efforçait de sauvegarder la pureté doctrinale alors que Ramadier, J. Moch ou Léon Blum même cherchaient eux à donner longue vie à la Troisième force, seule planche de salut à leurs yeux pour la République, mais au prix de quelques concessions. Le problème de la participation ou du soutien au gouvernement se pose jusqu’en 1951, le parti optant alors pour le retrait après des élections législatives défavorables.

  • 103 Par exemple aux congrès de 1950 et 1951.

145Après 1947, Ramadier tient sa place à la SFIO ; bien que toujours en dehors des instances dirigeantes, il est désormais écouté et sollicité, prenant officiellement la parole au Conseil national et à tous les congrès où son entrée est saluée et sa montée à la tribune applaudie, tandis que sa photo figure avec d’autres leaders dans les comptes rendus103. Il est donc devenu une personnalité nationale dans le parti, ce qu’il n’était pas avant la guerre.

  • 104 Depuis le 4 février 1950, la SFIO soutient sans participer (cabinets Bidault et Pleven I).

146Fidèle à lui-même, Ramadier défend la participation ou le soutien : « En vérité nous sommes liés à la IVe République. C’est nous qui l’avons faite. Nous avons nécessairement une influence considérable sur elle et sur son destin et si nous l’abandonnons les périls qu’elle court et qui sont graves... croîtraient alors dans une proportion qui engagerait lourdement notre responsabilité de parti. Aussi bien je ne me fais aucune illusion : nous sommes liés au soutien... »104.

147Mais faut-il pour autant participer à n’importe quel prix ? Non. Il faut définir un petit nombre de positions intangibles qui se résument pour lui à : « pas d’atteinte aux nationalisations, pas d’atteinte à la sécurité sociale, pas d’atteinte à la laïcité ». Cela semble un bien petit commun dénominateur pour gouverner mais tradition et conquêtes récentes semblent sauvegardées.

  • 105 Compte rendu du congrès fédéral novembre 1949 – OURS. Voir aussi R. Quilliot… p 337.

148Ramadier se définit à l’évidence comme un socialiste de gouvernement ; il fait donc la différence entre le militant et l’élu, et les devoirs de chacun : « Que le parti propose, c’est son rôle mais c’est le suffrage universel qui est souverain. Aussi dans les rapports du Comité directeur et du groupe parlementaire, il ne faut pas oublier que les parlementaires investis par le suffrage universel sont élus par les électeurs, ont un mandat d’eux et non du parti. Les parlementaires ont le devoir d’écouter ce qu’il propose, mais ils ont le devoir de décider »105. On comprend facilement pourquoi Ramadier jouit du respect des parlementaires dont la plupart approuvent cette conception du mandat législatif. C’est pourquoi, en élu sage et pragmatique, il considère par exemple qu’il est inopportun de soulever la question religieuse . Pragmatique encore quand il estime que la politique économique doit se borner à introduire un peu plus de libéralisme pour faire démarrer la croissance qui semble poindre à l’horizon et construire l’Europe à partir du plan Schuman. Ces conceptions apparaissent aussi tout à fait d’actualité en 1988 !

149La Troisième force est donc la seule issue pour la République. C’est pourquoi au 43e congrès national (mai 1951), il intervient sur la nécessité des apparentements avec le MRP pour gagner les prochaines législatives : « Nous avons en face de nous la peste et le choléra. Eh bien, G. Mollet me le disait tout à l’heure, allons chercher le diable pour nous allier avec lui. Que le MRP m’excuse de l’appeler le diable (rires). Allons chercher le diable et puisque le diable ne veut pas plus que nous de la peste et du choléra, apparentons nous en disant : notre parenté se réduit simplement à ceci : c’est que nous jugeons les uns et les autres que l’ennemi de la République et de la France ce sont les partis hostiles à la République ». Ce n’est pas vraiment le socialiste qui parle mais le démocrate et le républicain qui pare au plus pressé. Cette stratégie électorale sera adoptée à l’unanimité, même si Ramadier sait en lui-même qu’elle ne fonctionnera pas pour lui.

150Cependant si la ligne participationniste l’a emporté jusqu’en 1951, beaucoup de militants ont cru y perdre leur âme. Dès octobre 1948, Paul Rivet écrit : « La participation ministérielle n’a rien apporté au parti socialiste et l’a conduit à abandonner progressivement toutes les positions sur les principaux problèmes de l’heure ».

151De plus, les empoignades entre Ramadier et G. Mollet en 1947, les conflits sociaux des automnes 47 et 48, la politique indochinoise ont désorienté nombre de militants. Le premier effet en est la crise des Jeunesses socialistes dont le bureau est dissous en juin 1947 en pleine « année terrible », entraînant la démission d’Yves Dechezelle, secrétaire général adjoint.

  • 106 Estimation de R. Quilliot (p 291).

152Mais c’est une véritable hémorragie qui touche l’ensemble du parti : la dégradation est manifeste au niveau des groupes d’entreprise, qui comptaient de 1945 à 1947 40 000 membres et en 1948, 11 000 seulement. Les grèves ont désorienté les ouvriers socialistes qui n’ont pas été dupes des manœuvres communistes mais qui ont eu du mal à accepter la répression policière. En 1947, on estime les adhérents de la SFIO à 300 000, en 1949, à 200 000106 ; le parti est ramené à ses forces des années 20.

  • 107 « Aveyron libre » 28/2/48.

153Ainsi l’exercice du pouvoir a bien eu raison de la santé du parti, souci essentiel de G. Mollet son secrétaire général. Mais de la République ou du parti, lequel est le plus important ? Pour Ramadier c’est la République. Le 28 février 1948, il intitule un article « La République des partis » en réponse à un livre de Roger Priouret qui dénonce comme une tare le fonctionnement de la IVe107. Ramadier estime les partis nécessaires à la démocratie car ils constituent des forces organisées qui combattent pour des idées. Mais tout le problème vient de l’idée qu’on se fait de la discipline à l’intérieur du parti et de la place qu’on lui accorde par rapport à la pensée : « Du jour où le parti repose sur ce vœu d’obéissance alors apparaît quelque chose d’inquiétant qui de tout temps a porté atteinte au libre jeu de la démocratie. Le citoyen est alors lié à son parti par un lien plus fort que celui qui le lie à la Nation... ». Ramadier formule sa conception du militantisme qui n’a du reste pas varié depuis sa jeunesse : le militant garde son libre arbitre et les intérêts supérieurs du pays passent avant ceux du parti ; d’où le refus du diktat communiste en 1920, l’adhésion au néosocialisme en 1933, l’opposition à G. Mollet en 1947. La fréquentation assidue de la pensée de St Augustin explique sans doute qu’il veuille avoir la foi sans abandonner la raison !

154Si donc la SFIO perd au plan national de sa cohésion et de sa force au contact du pouvoir, qu’en est-il au plan départemental où la Fédération aveyronnaise était le principal relais de son élu ?

  • 108 Archives de l’OURS – dossier Aveyron.
  • 109 Dans l’arrondissement de Villefranche, il s’agit de : Agen, Flavin, St Christophe, Compolibat et Mo (...)

155Une correspondance assez copieuse permet de faire le point de la situation à la fin de 1950108 ; il s’agit des lettres échangées entre G. Brutelle secrétaire général adjoint, René Albouy, secrétaire départemental et Ramadier. Le 7 novembre G. Brutelle alerte à la fois Ramadier et Albouy sur l’état de leur fédération qu’il juge inquiétant. Le nombre des cotisants a diminué de moitié depuis 1948 (de 1 600 à 700) et « le réseau des sections socialistes n’est pas tressé comme il devrait l’être : sur 306 communes, 46 sections socialistes soit un pourcentage de 15, l’un des plus mauvais... » ; 57 communes de plus de 1 000 habitants n’ont pas de section. Le 10 novembre René Albouy répond qu’il a conscience de la situation et que même la réalité est en deçà, car 16 sections n’existent plus109. Les cotisations ne rentrent pas et l’on ne voit pas de solution. Albouy énumère plusieurs causes :

  • les cadres manquent de dynamisme : une réunion de la Commission fédérale à Rodez avec Ramadier n’attire qu’une douzaine de responsables dont trois seulement de l’extérieur. Personne ne veut être responsable110.
  • les conditions matérielles sont précaires : Albouy est isolé à Millau, à 80 kms de Rodez, 130 de Decazeville, 160 de Capdenac ; il n’a pas de voiture et personne ne veut le remplacer.
  • l’intérêt politique est faible ; personne ne demande de réunions.
  • les membres ne veulent plus cotiser ; même après une réunion réussie avec Ramadier, les participants ne cotisent pas. Ce n’est pas une question d’argent, avant 1940, les militants n’étaient pas plus aisés . « Je crois que c’est plutôt parce que nous ne portons aucun espoir. Notre politique est négative : nous essayons d’arrêter le communisme, nous essayons de résister au patronat, nous défendons l’école laïque contre x ou y etc... mais un exposé de Ramadier par exemple, juste, instructif... jette dans tous les cœurs un peu d’angoisse », constat accablant mais révélateur du climat désenchanté qui a succédé aux espoirs fous de 1945-46. L’action des gouvernements à participation socialiste déconcerte, et Ramadier lui-même ne réconforte pas vraiment !

156Que pense-t-il, lui, de la situation aveyronnaise ? Le 15 novembre, il répond à Brutelle que « la Fédération malgré les apparences est en bon état. Mais le sentiment qu’ont les Aveyronnais de leur pauvreté freine les cotisations » ! Il estime que 70 à 80 sections fonctionnent localement mais beaucoup ne donnent pas signe de vie à la Fédération : en effet les socialistes sont groupés en quelques centres importants et forment des univers fermés, « ailleurs il y a des socialistes mais pas de militants ». Il est très diffile de se déplacer dans le département, très peu de camarades ayant des voitures.

157Les constats du député et du sécrétaire fédéral sont assez identiques mais l’appréciation générale de la situation diffère et reflète le statut de chacun des deux hommes : pour le secrétaire la situation est jugée catastrophique puisque le fonctionnement du parti n’est pas satisfaisant et qu’il a perdu des adhérents ; pour l’élu la mouvance socialiste se maintient, son électorat lui paraît encore fidèle, c’est l’essentiel. Ramadier connaît ses ouailles, près de leurs sous et réticentes à l’engagement actif. Il ne se trompe pas vraiment comme le montre l’évolution du nombre de ses voix lors des consultations électorales (voir graphique p 425).

158Notons qu’en Aveyron la situation est complexe puisqu’il y a délabrement du parti comme partout ailleurs mais résistance de l’électorat socialiste autour de Ramadier ce qui confirme l’existence d’un fief.

159Comme avant 1940, Ramadier reste en Aveyron un militant actif qui s’épuise à parcourir son département ; il est le seul à faire recette ; en dehors des périodes électorales, il est pratiquement le seul orateur disponible ; personne ne fait ce qu’il faisait avant 1914, c’est à dire tenir des réunions partout sans aucun autre titre que celui de socialiste ; aucun dauphin n’apparaît aux côtés du député. Ramadier conserve dans son fief son ancienne influence personnelle mais le parti socialiste aveyronnais n’est plus un relais aussi efficace, et à terme en sortira-t-il une personnalité capable d’assurer la relève ?

  • 111 RDR : Rassemblement démocratique révolutionnaire ; parti lancé par Sartre et Rousset pour rénover l (...)

160Puisque Ramadier est le seul à faire se déplacer les militants on peut supposer que la Fédération est ramadiériste. En 1948, la Commission administrative est formée de militants proches de lui : Vigroux son adjoint à Decazeville, Albouy de Millau, Germes de Decazeville, Maynadier et Pécourt de Rodez, Briançon de Saint Affrique, Grès de Capdenac et De Lestang de Villefranche. Espinasse, secrétaire jusqu’en septembre 1948, mollétiste, est plus critique à son égard. Cependant la Fédération est loin d’être inconditionnellement ramadiériste si l’on se réfère aux votes des motions générales qui préparent les congrès nationaux. Ces votes traduisent débats et hésitations. Donnons un exemple seulement : en 1948, le rapport moral présenté au 40e congrès a recueilli 11 voix, mais 10 contre et 13 abstentions (donc beaucoup d’interrogations), l’adhésion au RDR111 9 mais 25 contre (pas d’aventure) ; la motion Mollet d’orientation générale a fait l’unanimité. Si, depuis l’adoption du principe de la Troisième force fin 47, mollétistes et « gouvernementaux » sont plus proches les uns des autres, il reste cependant la lancinante question que nous avons évoquée : quels sont les bénéfices de la participation ?

161La correspondance entre R. Albouy, secrétaire fédéral depuis le 12 septembre 1948, et G. Brutelle ou G. Mollet révèle le malaise de la base et la mauvaise humeur des cadres ; les départs sont nombreux et concernent de vieux militants, les jeunes et les femmes sont difficiles à recruter. Avoir un député est certes un atout mais quand il est toujours ministre, c’est un handicap car il est moins libre (lettre du 18 octobre 1948).

  • 112 Lettre d’octobre 1948.

162Albouy remarquait avec amertume qu’en fait la SFIO ne faisait que se défendre contre les extrêmes, en Aveyron les communistes (puisque les gaullistes ont une très faible audience locale). Brutelle indiquait fermement : « Ne rien faire avec le PC ; RPF et PC ont perdu conscience des notions de libertés démocratiques que nous défendons »112.

  • 113 AD 52J21 – Cette question de l’alliance avec le MRP divise la plupart des fédérations – article de (...)

163En outre, les socialistes aveyronnais doivent se garder de leur ennemi historique : le parti clérical. Mais l’embarras est grand puisque, alliés au MRP, ils ne peuvent avoir les coudées franches. Cette alliance au sommet passe mal à la base comme en témoignage l’épineux problème posé par un événement somme toute secondaire : l’inauguration d’un monument dédié à un enfant du pays, le cardinal Verdier, à St Rome du Tarn. La Fédération en a discuté, s’est divisée sur l’opportunité de participer à la cérémonie et la section de Rodez a voté un blâme à l’encontre de Ramadier qui aurait fait l’éloge du cardinal !113.

164La morosité des responsables SFIO aveyronnais comme celle de l’ensemble de socialistes est-elle justifiée en 1950-51 ? Ou bien est-ce le relatif optimisme des hommes politiques, dont Ramadier, soucieux de défendre la République et comptant sur la sagesse des citoyens ? L’échéance électorale se présente en 1951 ; elle donnera raison aux uns ou aux autres. L’heure des bilans a sonné pour le parti socialiste et donc aussi pour Ramadier, incarnation des choix politiques faits depuis la Libération.

Notes

1 Voir Colloque Queuille. Ramadier et Queuille étaient très amis.

2 Ramadier était chargé d’assurer la liaison entre le gouvernement et les Assemblées et de présider les travaux du Commissariat au Plan. (Aveyron libre 21 août 1948).

3 Déclaration du 29 août. Année politique 1948.

4 8 socialistes – 9 MRP – 7 radicaux – 4 UDSR – 6 droite classique.

5 Voir R. Poidevin : « R. Schuman ; homme d’Etat » (a rendu visite à De Gaulle à Colombey le 4 avril 1948 alors qu’il était président du Conseil).

6 AD 52J69 et suivants...

7 Seuls Le Troquer dans le cabinet Blum de 1946 et J. Moch dans le cabinet Pleven de 1950 en sont avec Ramadier les détenteurs socialistes.

8 Voir p 38.

9 Pour ce chapitre se reporter aussi au colloque Ramadier. Maurice Vaisse : « Ramadier et les problèmes de la Défense nationale ». E. du Réau : « P. Ramadier et les prémisses du Pacte atlantique ».

10 AD 52J70.

11 Rapport de Ramadier au Conseil national socialiste de février 1949. Bulletin Intérieur – OURS.

12 Témoignage de Ph. Huet membre de son cabinet qui participera à l’élaboration des programmes et AD 52 J78 et 79.

13 Revue « Socialisme démocratique » Genève – Février 1953 « La guerre : mal absolu ».

14 Bulletin Intérieur, février 1949 – OURS.

15 Voir : colloque G. Mollet de Lille – Communication de Patrice Buffotot.

16 AD 52771.

17 AD 52J85. Compte rendu de l’entretien Forrestal – Ramadier.

18 AD 52J85. Conversation entre Ramadier et Alexander.

19 Voir l’analyse de Pierre Melandri : « 1948-1950. L’Europe et l’Amérique : une relation dissymétrique » dans Historiens-géographes N° 134 mai-juin 1987.

20 Melandri : « l’Europe et l’Amérique… » – Historiens-Géographes N° 134.

21 AD 52J70.

22 AD 52J84.

23 J. Dalloz : « La guerre d’Indochine ». Il estime que le rôle majeur est tenu par le MRP et Coste-Floret (voir p 119).

24 Composé de 3 Etats associés.

25 AD 52J70.

26 Voir p 405…

27 AD 52J85.

28 J . J. Becker : « Le Parti communiste veut-il prendre le pouvoir ? ».

29 Voir p 405..., l’attitude au moment des grèves.

30 AD 52J73.

31 Par exemple celle du général Préaud affecté en Algérie suscite l’émotion du MRP (Année Politique 1948 P 225).

32 « Aveyron libre », avril 1950 et 20 mai 1950, articles donnant la position officielle de Ramadier.

33 « Wybot et la bataille pour la DST » p 219-222.

34 G. Elgey : « La République des illusions » p 482.

35 Voir Wybot… p 227.

36 AD 52J73 et Dalloz : « La guerre d’Indochine » p 164-165.

37 AD 52J73.

38 Duroselle : « Histoire diplomatique et 1939 à nos jours » p 482.

39 « Aveyron Libre », 15 mai 1948 – Compte rendu des travaux et photographie de Ramadier aux côtés de Churchill ; Colloque Ramadier, J.C. Gegot : « La pensée européenne de P. Ramadier ». Pierre Guillen : « P. Ramadier et l’Europe ».

40 Aveyron libre.

41 Aveyron libre, janvier 1950.

42 Colloque Ramadier, P. Guillen « P. Ramadier et l’Europe ».

43 Rouergue Républicain – 6 février 1950.

44 Colloque Ramadier, communications de J.C. Gegot et P. Guillen.

45 Aveyron libre 2 décembre 1950.

46 Aveyron libre 23 octobre 1948.

47 Aveyron libre 20 novembre 1948.

48 ACR : quelques traces de leur correspondance.

49 ACR – dossier BIT.

50 Témoignage de R. Lhez (30 avril 1985).

51 Le Rouergue Républicain du 15 février 1947 rend compte de la manifestation, sous ce titre.

52 Danseuse de bourrée.

53 Voir l’histoire et l’importance de la colonie rouergate à Paris dans R. Béteille : « Les Aveyronnais ».

54 R. Lhez pense que ce fut sans doute un des rares films que dut voir Ramadier qui ne s’intéressait pas au cinéma mais préférait la lecture.

55 Rouergue Républicain 18 février 1947 ; La Dépêche du 20 octobre 1981 rappelle l’événement.

56 ACR dossier 1947.

57 Revue du Rouergue, juillet-septembre 1947.

58 Samedi soir, 20 septembre 1947 (AD 52J227).

59 Claude Ramadier doute de la chose !

60 Voir IIe partie.

61 Procès-verbal de séance. A.D.

62 Allusion au « plan bleu », complot de nostalgiques de Vichy dont les préparatifs ont été découverts pendant l’été.

63 Rouergue Républicain – 30 septembre 1947.

64 Idem – 8 octobre 1947.

65 « La Voix du peuple » 18 octobre 1947 (je n’ai pu recouper tout cet épisode par d’autres documents).

66 Témoignage de V. Martinez lui-même.

67 Voir IIe partie.

68 « La Voix du peuple » 25 octobre, 1er novembre 1947.

69 Témoignage d’H. Boyer, qui ne peut être vérifié mais qui semble vraisemblable.

70 2 institutrices (Mes Nomblot et Laurent) PC ; 1 assistante sociale (Melle Moncet) MRP ; 1 directrice d’école (Melle Lestang) SFIO en retraite.

71 L. Erignac : « De la révolte des croquants... ».

72 L. Erignac : « De la révolte des croquants... » p 215.

73 6 décembre 1947 – voir Ière partie.

74 D. Reid : « The miners of Decazeville »...

75 G. Elgey : « La République des illusions » p 365.

76 J.J. Becker : « Le PC veut-il prendre le pouvoir ? »... J.P. Rioux : « Nouvelle histoire de la France contemporaine ».

77 Dans R. Quilliot : « La SFIO et l’exercice du pouvoir ».

78 Voir le témoignage de D. Desanti dans « les Staliniens ».

79 Voir D. Desanti : « Les Staliniens » p 190-194. Confirmé par les témoignages aveyronnais.

80 Témoignage du sous-préfet ; Mr Mennecier (19 juillet 1984), les grévistes avaient coupé le courant, d’où un danger d’arrêt des pompes dans les mines.

81 D. Reid : « The miners of Decazeville »...

82 A. Clot, M. Capus, H. Boyer, Mennecier, sous-préfet.

83 J. Wolf dans Revue du Rouergue N° 123 : « Decazeville ; Expansion et déclin d’un pôle de croissance ».

84 D. Reid : « The miners of Decazeville ».

85 Selon son témoignage.

86 Dans L. Erignac… « De la révolte des croquants »...

87 Voir Ière partie.

88 Il s’est aussi rendu en Hollande à ce moment là.

89 « Aveyron libre » 6 janvier 1951.

90 Voir G. Mollet : « Un camarade en République » actes du Colloque de Lille.

91 Délibération du 14 juin 1948. Mme Poinso-Chapuis, ministre MRP de la Santé, a proposé d’habiliter les associations familiales à recevoir des subventions et de les répartir en aide scolaire. On crie au soutien déguisé à l’enseignement privé. La guerre scolaire repart..

92 Séance du 13 octobre 1948.

93 Notons qu’en raison des événements certains élus sont troublés puisque 9 étaient pour et deux n’ont pas pris position ; or il n’y a que 8 communistes, et il y avait 3 absents.

94 Témoignage de V. Martinez.

95 Séance du 23/1/1949.

96 Séance du 21/8/1949.

97 Séance du 11/8/1950.

98 Séance du 24 avril 1947 : échanges entre Maroger et Ginestet sur l’électrification des campagnes.

99 Témoignage de Mme Capus, qui semble démenti par les comptes rendus des séances qui ne laissent rien suggérer de tel.

100 Témoignage de V. Martinez, socialiste aujourd’hui. Voir J.M. Mayeur : « Démocratie chrétienne ».

101 Le long passé de lutte anticléricale y est sans doute pour quelque chose, de part et d’autre probablement.

102 R. Quilliot : « La SFIO et l’exercice du pouvoir » p 291.

103 Par exemple aux congrès de 1950 et 1951.

104 Depuis le 4 février 1950, la SFIO soutient sans participer (cabinets Bidault et Pleven I).

105 Compte rendu du congrès fédéral novembre 1949 – OURS. Voir aussi R. Quilliot… p 337.

106 Estimation de R. Quilliot (p 291).

107 « Aveyron libre » 28/2/48.

108 Archives de l’OURS – dossier Aveyron.

109 Dans l’arrondissement de Villefranche, il s’agit de : Agen, Flavin, St Christophe, Compolibat et Montbazens.

110 Lettre du 27 novembre 1950.

111 RDR : Rassemblement démocratique révolutionnaire ; parti lancé par Sartre et Rousset pour rénover la gauche qui déçoit certains.

112 Lettre d’octobre 1948.

113 AD 52J21 – Cette question de l’alliance avec le MRP divise la plupart des fédérations – article de J. Kergoat : « Il y a quarante ans la Troisième force », le Monde 11/5/1988.

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