Épilogue
p. 279-281
Texte intégral
1La Monarchie Censitaire eut de brillants penseurs politiques, de grands orateurs mais peu de bons ministres. Casimir Perier fut son meilleur Homme d’Etat, peut-être le seul. Ceci dit, ses mérites font-ils de lui l’homme providentiel dont la disparition fut fatale à la monarchie ?
2Dans sa résidence d’exilé à Prague, Charles X regrettait de ne pas l’avoir appelé à temps au pouvoir. Appréciant son dévouement à la monarchie, d’anciens Ultras comme Chateaubriand, partageaient les regrets du Roi. En 1832, à l’annonce de la mort de Casimir Perier, le Comte de Puymaigre lui rendit cet hommage : « C’était l’homme que Charles X aurait dû appeler au ministère, six mois avant la catastrophe ; Casimir Perier l’aurait sauvé, lui et son trône ».
3Sous la Restauration, il s’est efforcé de retenir le régime engagé sur une pente dangereuse. Son opposition au Comte de Villèle n’a pas d’autre signification. Il s’en est expliqué, après la chute du ministère :
« Eh bien oui, ils ont raison de croire utile mon concours et d’avoir confiance en ma loyauté, je suis l’adversaire de la périlleuse politique pratiquée depuis quelque temps, mais nullement l’ennemi du trône (...). Les Bourbons occupent le trône, il faut qu’ils y restent et ils y resteront s’ils ne livrent pas leur destinée à des hommes allant à l’encontre des légitimes aspirations de la France moderne ».
4Peut-on affirmer pour autant qu’un Cabinet de coalition, nouveau en France, eût assuré la pérennité de la Monarchie restaurée ? Inspirée de l’exemple britannique, l’expérience avait-elle quelque chance de succès avec Charles X qui détestait le régime parlementaire ? Casimir Perier aurait-il fait preuve de la souplesse indispensable à sa réussite ? Vainqueurs aux élections de 1827, les libéraux l’auraient-ils soutenu ? Autant de questions auxquelles l’historien ne saurait répondre. Mais l’expérience méritait d’être tentée et Casimir Perier aurait mis son talent et son dévouement à son service.
5Sous la Monarchie de Juillet, il gouverne et laisse un système qui, sous sa conduite, a obtenu d’incontestables résultats. Deux questions se posent alors : la monarchie du Roi-Citoyen eût-elle été sauvée si Perier avait vécu et accepté de rester au pouvoir ? Le système du 13 mars permettait-il de gouverner en tous temps ?
6 La politique du 13 mars a trouvé des admirateurs, Thiers et Guizot notamment, avec des réserves pour le second toutefois. Or, aucun des successeurs de Perier, hommes de la Résistance comme lui, n’est parvenu à l’imiter. Thiers a sacrifié les libertés à l’ordre et la paix à l’orgueil national en 1840. Quant à Guizot, il a été « la bouche du Roi » et il a cédé à l’Angleterre à l’extérieur. Très fortement personnalisé, le système du 13 mars représentait un héritage difficile à assumer. Sa force et sa faiblesse résidaient dans sa dépendance à l’égard d’un homme qui communiquait à tous sa passion, sa capacité de décision et d’action. Rémusat disait avec beaucoup de justesse du Ministère du 13 mars : « (Il) est peu capable, peu décidé. Tout ce qui se fait émane uniquement de la volonté du Président du Conseil ». C’était une politique d’action personnelle.
7Il portait aussi la marque des circonstances. « Si l’Histoire ne lui conserve pas (une place élevée), écrit Rémusat à propos de son ami, c’est qu’elle ne voudra pas comprendre les circonstances, les difficultés et les raisons de son entreprise ». Cette « dictature libérale » (Louis Vitet), respectueuse du Parlement et du Roi, répondait à une situation de crise qu’il fallait à tout prix conjurer. Louis-Philippe l’avait appelé pour cela.
8Perier fut l’homme d’une crise comme Clémenceau en 1917. Bien qu’ils n’aient pas la même sensibilité politique, on peut les comparer : même autorité, même volonté de vaincre, mêmes rigueur et clarté dans l’exposé des principes guidant leur politique. L’un doit endiguer le flot révolutionnaire et écarter la menace de guerre, l’autre, combattre le défaitisme ; le premier doit lutter contre les ennemis du régime de Juillet afin d’en consolider la marche, le second galvaniser les esprits afin d’emporter la victoire. Tous deux concentrent les responsabilités du pouvoir et imposent leurs exigences à ceux qui les ont appelés pour sauver le navire en détresse. Tous deux enfin furent des hommes de salut public.
9Casimir Perier fut l’homme providentiel d’une monarchie en danger. (Il) « était l’homme qu’il fallait, écrit un historien. A l’heure où tout s’abaissait, il avait l’âme haute (...). Il était l’action personnifiée, aussi énergique dans la résistance qu’il l’avait été dans l’attaque (...). On lui reconnaissait je ne sais quel don de faire obéir ses amis et reculer ses adversaires. C’était l’homme d’une crise plutôt que d’un système ».
10Le système du 13 mars pouvait-il assurer l’avenir du trône dont le Prince n’éveillait ni amour, ni dévouement ? Casimir Perier donna l’exemple du respect de la Charte et du régime parlementaire en s’inclinant devant la volonté exprimée par un vote des pairs et des députés. Par ailleurs, il définit les prérogatives du Roi, des ministres et des Chambres. Il établit un dialogue clair et permanent entre le gouvernement et les Assemblées. « Avec lui, le régime parlementaire est une vérité constate Thiers : le Roi règne et ne gouverne pas ». Casimir Perier fut le précepteur, le premier au niveau pratique, d’une classe politique encore inexpérimentée qui fit, dans des conditions difficiles, l’apprentissage d’un nouveau système. Toutefois, pour être durable, à défaut d’un fondement inattaquable au départ, la monarchie devait être capable d’épouser l’évolution des mentalités. Or, le système du 13 mars s’inspirait d’un libéralisme conservateur. L’élargissement du pays légal, l’assouplissement de la législation économique et le réformisme social étaient nécessaires. Casimir Perier aurait-il proposé ces réformes, en des temps plus sereins ?
11L’homme, on l’a vu, était capable de faire « les concessions qui sauvent » mais davantage par tactique que par conviction. Défenseur de la société issue de 1789 et de la Monarchie selon la Charte, il les sentait toutes deux menacées par les progrès de l’esprit démocratique.
12Par sa personnalité, sa réussite sociale et son action politique, il n’a laissé personne indifférent. Avant de conclure, élargissons le champ de comparaison pour mieux dégager la véritable dimension de Casimir Perier.
13Dans la galerie des hommes politiques français, il fut un rassembleur. Il avait « le commandement beau » (Rémusat). Rien ne lui était plus étranger que le sectarisme et l’esprit partisan. Il nourrissait toujours l’espoir d’unir tous les adeptes d’une politique nationale et royale, de « regagner les gens par l’évidence de la raison et de l’intérêt bien entendu » (Rémusat). Cette volonté de rassemblement, on la retrouve chez Poincaré qui dirigea un Cabinet d’Union Nationale et chez De Gaulle qui accepta dans son gouvernement, des gens venus de tous les horizons politiques. Comme lui, Casimir Perier qui avait « l’âme fière », préférait le retrait au désaveu, comme lui, il connut la solitude du pouvoir.
14Il mérita « le titre si beau et si noble de ministre patriote » (Baron Davillier). Sécurité, Indépendance et Honneur de la France sont naturellement associés dans ses discours comme dans ceux de De Gaulle, lorsqu’il s’adresse aux Français. La France, dont le crédit était si faible en 1830, est universellement respectée sous son gouvernement. Reconnaissons avec Victor Duruy que Casimir Perier donna à la France de Louis-Philippe, « un moment de grandeur ».
15Il mit au service de la patrie les qualités qui avaient bâti sa propre fortune : l’énergie du caractère, le réalisme, l’audace associée à la prudence, le courage et cette hauteur de vues indispensable à qui gouverne. Rares sont les hommes d’Etat capables d’œuvrer dans plusieurs domaines de la vie nationale, les finances et l’économie, la politique et la diplomatie, sans une vaste intelligence, un sens aigu des responsabilités et une exemplaire probité.
16Par son élan désintéressé et son noble dévouement à la chose publique, ce fils du Dauphiné qui tenait l’estime de ses concitoyens pour l’un des biens les plus précieux, mérite une place d’honneur dans l’Histoire nationale.
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