Wolowski Louis François Michel Raymond 1810-1876
p. 493-496
Texte intégral
1 Louis François Michel Raymond Wolowski est né à Varsovie le 13 août 1810. Son père, François Wolowski, était propriétaire terrien et avocat. Le jeune homme fit ses études à Paris (1812-1818) et retourna en Pologne pour suivre des cours de droit à l’Université de Varsovie (séjour entrecoupé de différents voyages à Paris). Lors des événements de 1830-1831, François Wolowski se rangea dans le camp des partisans de l’Indépendance et fut élu président de la Diète polonaise, son fils Louis prenant sa part de responsabilités dans l’œuvre d’émancipation nationale, au sein de l’armée tout d’abord, puis au sein de l’administration du Royaume (en qualité, successivement, de vice-maître des requêtes au Conseil d’État et de premier secrétaire de légation à Paris). Réfugié en France après l’écrasement de l’insurrection, Louis Wolowski obtint ses lettres de naturalisation et – par équivalence – le diplôme de licencié en droit. Il se maria avec une demoiselle Laure Guérin, elle-même de citoyenneté française.
2Inscrit au barreau de Paris en 1833, Louis Wolowski travaille d’abord, en qualité de secrétaire, auprès de Désiré Dalloz (1795-1869), avocat au Conseil d’État et à la cour de cassation, député, directeur-fondateur du Recueil périodique de jurisprudence générale. L’année suivante, au mois d’octobre 1834, il fonde lui-même une Revue de législation et de jurisprudence, connue très vite sous l’appellation de "Revue Wolowski" ; cette publication obtient la collaboration de nombreux avocats parisiens, professeurs dans les facultés et hommes politiques – Odilon Barrot, Cormenin, Isambert, Marie, Troplong, Vivien, etc. –, et fait aussitôt autorité, en particulier dans les disciplines naissantes du droit administratif et de ce que l’on désignera beaucoup plus tard par l’expression "droit des affaires". A titre personnel, Louis Wolowski s’intéresse de plus en plus aux questions économiques, publiant en ces matières, sous forme de brochures, plusieurs gros articles parus dans la Revue de législation et de jurisprudence. En 1839, sa réputation scientifique lui vaut d’être nommé à un poste de professeur d’"économie politique et de législation industrielle" au Conservatoire des arts et métiers, Hippolyte Passy (1793-1880), député, membre très influent de l’ancien Tiers Parti, grand spécialiste des problèmes financiers, ayant sans doute joué un rôle important dans cette désignation. L’ancien combattant des libertés polonaises de 1830 fréquente également les cercles politiques. Plusieurs années durant, Wolowski rédige un bulletin d’informations parlementaires pour le compte du quotidien libéral Le Siècle (le député Auguste Chambolle, principal rédacteur du journal, deviendra un ami très proche). Admis à la Conférence Molé dès 1838, il se distingue – comme dans les diverses sociétés savantes qui l’accueilleront successivement – par son zèle et son assiduité ; il a ainsi l’honneur de présider les délibérations de la Conférence au cours de la session du deuxième trimestre de l’année 1839. Sa sœur – Alexandrine Wolowska – a épousé en 1837 le publiciste-économiste Léon Faucher (1804-1854), rédacteur en chef du Courrier français (1839-1843), député de la Marne en 1846 (gauche constitutionnelle), fondateur (1846), avec Frédéric Bastiat, de l’Association centrale pour la liberté des échanges, et les deux beaux-frères travaillent volontiers de concert. En désaccord avec certains aspects de l’action menée par l’organisation, Léon Faucher et Louis Wolowski donneront tous deux leur démission du conseil d’administration de l’Association pour la liberté des échanges au printemps 1847.
3Familier des hommes et des réseaux de l’opposition dynastique, ayant pris conscience très tôt de l’ampleur du mécontentement populaire et de la fragilité du régime de Juillet, resté sensible au drame de la Patrie polonaise, Wolowski n’avait aucune raison particulière de bouder la République née des journées de février 1848. En réalité, le savant économiste a traversé la Seconde République en essayant de maintenir le cap du pur libéralisme, dans le domaine politique comme dans le domaine économique. Il s’efforce de combattre les idées socialistes – à l’occasion, notamment, des "conférences" organisées par la Commission du Luxembourg –, se fait élire représentant de la Seine à l’Assemblée constituante et fréquente la réunion parlementaire dite de l’Institut (correspondant à l’aile la plus modérée du parti républicain). Il soutient la candidature du général Cavaignac à la présidence de la République et retrouve son siège, en mai 1849, lors des élections à l’Assemblée législative. Méthodique, froid et précis, il prend souvent la parole, à propos des questions financières, dans le grand débat sur le "droit au travail" et sur différents problèmes touchant aux libertés publiques (assouplissement des dispositions concernant le délit de coalition, séjour et procédure de naturalisation des étrangers, etc.).
4Hostile au coup d’État du 2 décembre, Wolowski est bientôt contraint de rentrer dans la vie privée. Il reprend son enseignement au Conservatoire des arts et métiers (la chaire est transformée, au cours de l’année 1854, en chaire d’"économie politique" tout court). Il crée – avec l’aide de Léon Faucher, ancien ministre de l’Intérieur du Prince-Président – la Banque financière de Paris (mars 1852), vite rebaptisée Crédit foncier de France (décembre 1852) ; il en assure la direction jusqu’en 1854, année où un réaménagement des statuts permet sa mise à l’écart. Il écrit beaucoup, publie quelques gros ouvrages d’histoire et d’économie, et se mêle aux controverses du moment, à propos du libre-échange (dont il se fait l’avocat, en accord avec Michel Chevalier), à propos de l’affaire du privilège d’émission (dont il est un chaud partisan, contrairement, cette fois-ci, au même Michel Chevalier) ou à propos du choix de l’étalon monétaire (il se range dans le camp "bimétalliste"). Ces années de labeur intellectuel et de réserve politique sont également les années de la pleine consécration académique. Louis Wolowski s’impose comme l’une des figures éminentes du monde des sociétés savantes. Il participe de manière très active aux travaux de la jeune Société de statistique de Paris (membre correspondant de la société belge, il est un des fondateurs, en 1860, de la société parisienne et occupe les fonctions de vice-président, de 1860 à 1873, avant d’être porté à la présidence – en 1873 – à la fin de sa carrière) ; il est membre de la vénérable Société d’économie politique (cette docte compagnie le choisit comme vice-président en 1863 et en 1870). Il devient l’un des collaborateurs attitrés du Journal des économistes et signe quelques solides articles dans les livraisons bimensuelles de la Revue des Deux Mondes. Les membres de l’Académie des sciences morales et politiques l’élisent, en 1855, au fauteuil d’Adolphe Blanqui et le désignent pour président de l’année 1866-1867. En 1861, enfin, il est appelé à prendre place au sein de la Société impériale et centrale d’Agriculture (future Académie d’agriculture).
5Louis Wolowski n’avait pas renoncé à intervenir de manière plus directe dans les affaires publiques. Il fut un moment question d’une candidature au Corps législatif lors du renouvellement de 1869. Le projet fut abandonné. Mais la Troisième République allait accorder au vieux champion du libéralisme une superbe revanche.
6Candidat sur la liste libérale patronnée par l’Union parisienne de la Presse, Louis Wolowski est élu représentant de la Seine lors de la consultation complémentaire du 2 juillet 1871, obtenant la satisfaction d’avoir recueilli le nombre de suffrages le plus élevé. A l’Assemblée nationale, Wolowski siège au Centre gauche, tout en conservant de vieilles et précieuses amitiés dans les milieux du Centre droit. En séance publique ou à la commission du budget, qui en fait son rapporteur général en 1875, il intervient avec un zèle infatigable sur les questions qui lui tiennent à cœur : la législation du travail, les accords commerciaux, la monnaie, le crédit, le régime fiscal (il mène, en particulier, un long et vain combat en faveur de l’instauration d’un système d’imposition générale sur les revenus inspiré de l’"income-tax " britannique). Mais le savant académicien entend également rester fidèle à sa triple vocation d’administrateur, d’éducateur et de vulgarisateur. En 1872, il est nommé au conseil supérieur du Commerce, de l’Agriculture et de l’Industrie. Il siège au conseil d’administration du Crédit Foncier jusqu’en 1874. Il figure sur la liste des actionnaires-fondateurs de l’École libre des sciences politiques (janvier 1872) et aide Paul Leroy-Beaulieu à lancer l’Économiste français (printemps 1873).
7Le 10 décembre 1875, Louis Wolowski était élu sénateur inamovible, au second tour de scrutin, par 349 voix. Son état de santé, très délabré, et le chagrin consécutif à la mort de l’un de ses petits-fils lui interdirent de prendre part aux délibérations de la Haute Assemblée. Il mourut le 14 août 1876, muni des sacrements de l’Église, à Gisors, dans la maison de son gendre Louis Passy (1830-1913), député de l’Eure, ancien sous-secrétaire d’État aux finances. Il laissait trois enfants : une fille, Madame Louis Passy, et deux garçons, Casimir et Félix Wolowski.
Bibliographie
Bibliographie :
Almanach national ; Journal de la Société de statistique de Paris ; Journal des économistes, juil-sept. 1876 ; Le Libre-échange, organe de l’Association pour la liberté des échanges, 1846-1848 ; Revue critique de législation et de jurisprudence, 1876, p. 721-724 ; Revue de législation et de jurisprudence (Revue Wolowski) ; Travaux de la Conférence Molé ; Louis Blanc, Pages pour servir à l’histoire de la Révolution de février 1848, Paris, Bureau du "nouveau monde", 1850, 352 p. ; Auguste Chambolle, Retours sur la vie, Appréciations et confidences sur les hommes de mon temps, Paris, Plon, 1912, 544 p. ; Joseph Garnier, Le Droit au travail à l’Assemblée nationale, Paris, P. Guillaumin, 1848, 455 p. ; Jean-Baptiste Josseau, Traité du crédit foncier, 1824-1825, Paris, Cosse Marchai et Billard, 1872, 2 vol. ; Jules Rambaud, L’oeuvre économique de L. Wolowski, Paris, L. Larose et Forcel, 1882, 508 p. ; Charles de Rémusat, Mémoires de ma vie, Paris, Plon, 1962, t. 4.
Auteur
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Gilles Le Béguec
Professeur. Université de Nancy II
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