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Les immortels du Sénat, 1875-1918

 | 
Alain Corbin
, 
Jean-Marie Mayeur

Les cent seize inamovibles de la Troisième République

Tocqueville François Hippolyte Clérel de 1797-1877

Jean Quellien

Texte intégral

1François Hippolyte Clérel de Tocqueville naît le 1er novembre 1797 à Paris. Il est issu d’une famille noble normande de très ancienne extraction. Son père, Hervé Louis François Bonaventure, exerça les fonctions de préfet pendant les Cent-jours, puis sous la Restauration avant d’être nommé pair de France en 1827. Sa mère, Louise Madeleine, était la fille de Louis le Pelletier, marquis de Rosanbo, président à mortier au Parlement de Paris et la petite-fille de Malesherbes, défenseur de Louis XVI. Hippolyte est l’aîné de trois garçons. Son cadet, Louis Edouard (1800-1874) épouse la fille d’Auguste Alexandre Ollivier, pair de France et régent de la Banque de France ; l’un de leurs enfants, René, neveu d’Hippolyte, sera député de la Manche (arrondissement de Cherbourg) de 1876 à 1877. Enfin son plus jeune frère n’est autre qu’Alexis de Tocqueville (1805-1859), l’auteur de De la Démocratie en Amérique et de L’Ancien régime et la Révolution, député de la Manche de 1839 à 1852, éphémère ministre des Affaires étrangères en 1849. Sa vie durant, Hippolyte ne cessa de se réclamer de son frère auquel il vouait une grande admiration. Celui-ci pourtant ne ménageait guère les critiques à son égard. Comme le prouve la correspondance entretenue par Alexis de Tocqueville et ses amis, il lui reproche un manque de fermeté dans les convictions et une attirance trop marquée pour la vie de société et les honneurs qui le conduiraient à des compromissions.

2Hippolyte de Tocqueville épousa Émilie Erard de Belisle de Saint-Rémy, issue d’une famille d’Alençon anoblie au XVIIème siècle, dont il n’eut pas de progéniture. Elle lui apporta en dot le château de Nacqueville (canton de Beaumont-Hague, Manche) qui devint la résidence provinciale du couple en dehors de ses séjours à Paris. Par la sœur de sa femme, Coralie, Hippolyte est le beau-frère du comte de Bricqueville (1785-1844), ancien colonel de l’armée impériale et député bonapartiste de Cherbourg entre 1827 et 1844.

3Fidèle à la tradition familiale, Hippolyte de Tocqueville embrasse d’abord la carrière des armes, aux débuts de la Restauration, et fait partie des Compagnies rouges. Il est capitaine au 7ème régiment de cuirassiers lorsque survient la révolution de Juillet 1830. Donnant alors sa démission, il se retire sur ses terres et se cantonne dans une hostilité résolue à Louis-Philippe. En 1843, il participe ainsi à Londres, aux côtés de Chateaubriand, à une manifestation en faveur du comte de Chambord qui provoque un certain émoi à la Chambre.

4L’opposition du comte de Tocqueville au Second Empire va être beaucoup moins intransigeante. Il évolue même vers un ralliement de fait qui manque en faire le candidat officiel aux élections législatives de 1857. En définitive le gouvernement préfère conserver sa confiance au député sortant, le général Meslin. Élu conseiller général du canton de Beaumont-Hague en 1848, Hippolyte de Tocqueville devait le rester jusqu’à sa mort. En 1870, le préfet le qualifiait "d’ancien légitimiste, dévoué au gouvernement impérial". Quelques mois après la chute de Napoléon III, il ne cache pas son hostilité aux tentatives de restauration monarchique et annonce son adhésion à la République dans une lettre adressée en juin 1871 à l’ancien député légitimiste de la Manche Ferré des Ferris : "L’établissement définitif de la République peut seul nous sauver de l’anarchie… Je ne puis oublier qu’Alexis de Tocqueville était mon frère et que cette ombre chère me désavouerait si, dans l’occasion présente, alors que la République existe, je ne concourais de tous mes efforts à affermir une institution qu’il nous apprit à regarder comme éminemment tutélaire et à laquelle se trouve, j’oserais le dire, indissolublement attaché le nom que je porte".

5Aux élections générales de février 1871, les électeurs de la Manche, comme ceux de la Haute-Marne, avaient triomphalement porté à la députation le prince de Joinville, pourtant inéligible en vertu de la loi du 26 mai 1848. Après l’abrogation de celle-ci, le 8 juin suivant, le prince entra donc à la Chambre, mais en optant pour la Haute-Marne. Une élection partielle allait en conséquence être organisée dans la Manche pour le 9 juillet. Elle donna lieu à un chassé-croisé politique. En attendant que le sort de Joinville soit fixé, son siège avait été provisoirement dévolu à Charles Malicorne, premier des candidats battus en février. Bien qu’ayant figuré alors en tête de la liste républicaine, ce dernier se présenta cette fois en se réclamant de la majorité monarchiste. Hippolyte de Tocqueville fut candidat contre lui sous l’étiquette républicaine, avec le soutien bienveillant de Thiers et – en dépit de son passé – l’appui déterminé des comités et journaux républicains de la Manche. Il l’emporta aisément avec 37 909 suffrages contre 27 485 à son adversaire pour 67 216 votants et 142 202 inscrits.

6Hippolyte de Tocqueville siégea au Centre gauche, vota contre la chute de Thiers et joignit constamment sa voix à celles des républicains, en repoussant les critiques de l’Union qui lui reprochait son attitude : "J’honore mes ancêtres et j’en suis fier, mais vous ne sauriez exiger de moi que je pense et j’agisse comme on agissait et pensait sous Louis le Hutin. L’Empire est mort et Dieu en soit loué ! L’orléanisme, principe bâtard, le comte de Paris est allé de ses propres mains l’enterrer à Frohsdorf. Pour la royauté de droit divin, vous savez aussi bien que moi que son auguste représentant l’a rendue désormais impossible. Il ne reste plus que la République à prendre. Je suis allé à elle, non seulement sans regrets, mais avec la foi et l’espérance". Ces positions lui valurent d’être révoqué de ses fonctions de maire de Nacqueville en février 1874 par le gouvernement du duc de Broglie, mais à l’inverse d’être élu sénateur inamovible le 15 décembre 1875, le 58ème sur 75.

7Il succomba le 15 novembre 1877 des suites d’une attaque de paralysie. L’ouverture de son testament réserva une surprise. Sans descendance directe, il avait fait de son neveu René son légataire universel. Mais comme celui-ci avait été élu député de Cherbourg en mars 1876 en faisant campagne contre la République, il avait décidé de le déshériter au profit de son adversaire malheureux, le républicain François Lavieille qui fut du reste élu en octobre 1877. Il écrivait ainsi dans son testament révisé : " Ma famille m’a méconnu. A ses yeux, j’étais un utopiste et un révolutionnaire. Cependant, ma manière de voir et d’agir peut s’expliquer par un seul mot : j’aimais le peuple !"

8L’enterrement d’Hippolyte de Tocqueville dans le cimetière de Nacqueville fut l’occasion d’une manifestation des républicains cherbourgeois qui scandalisa les tenants de l’Ordre moral.

Écrits de l’intéressé :

9Lettres aux Normands, 2 fasc. en 1 vol. (1ère Lettre : La révolution de 1830, Cherbourg, Boulanger fils, 1832 ; 3ème Lettre : Des différents partis politiques, Paris, G.A. Dentu, 1833) ; Mémoire sur l’amélioration des chevaux normands, Cherbourg, imp. Beaufort et Lecauf, 1842, 84 p. ; Notes sur le budget de la Marine pour 1872, présentées à la commission du budget, Paris, Mercier, 1872, 31p. ; Quelques idées sur les moyens de remédier à la mendicité et au vagabondage, Cherbourg, imp. Beaufort et Lecauf, 1849, 32 p.

Bibliographie

Sources et bibliographie :

A.D. Manche 5E 18203 notariat de Sainte-Croix-Hague ;

Gilles Le Béguec, La vie politique dans le département de la Manche (1852-1877) – Elections et personnel politique, Université de Paris, D.E.S., 1964, dir. L. Girard, Chanoine G. A. Simon, Histoire généalogique des Clérel, seigneurs de Rampan et de Tocqueville, Caen, 1954 ; Yves Nédélec, "Le château de Nacqueville", Mélanges de la Société d’archéologie de la Manche, 1980, p. 113-130 ; Les Dictionnaires départementaux : Calvados et Manche, Paris, Wagner, 2e éd., 1911 ; Correspondance d’Alexis de Tocqueville et Gustave de Beaumont, Paris, Gallimard, 1967, 3 vol.

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