Simon Jules Suisse François Jules 1814-1896
p. 471-474
Texte intégral
1Jules Simon de son vrai nom François Jules Suisse, porte dès l’enfance comme nom de famille le prénom sous lequel était désigné son père. Il est né à Lorient (Morbihan) au n° 7, rue du Port le 27 décembre 1814. Son père, Alexandre Simon Suisse, était d’origine lorraine. Marié une première fois dans son bourg natal de Londrefing (Meurthe), son père était resté veuf avec deux enfants après huit ans de ménage et était venu s’établir comme marchand de drap à Lorient. C’est là qu’il épousa, en seconde noces le 26 février 1802, Marguerite Vincent Fontaine, née à Lorient de parents bretons. Leur fils, après avoir commencé ses études au collège de Lorient, les achève au collège de Vannes où il donne des leçons d’écriture et d’orthographe pour payer sa pension et ses mois de collège. Jules Simon passe son baccalauréat à Rennes où il est reçu en 1833 à l’École normale supérieure. Agrégé de philosophie en 1835, il professe successivement aux lycées de Caen, de Versailles, et en décembre 1839, obtient en qualité de suppléant de Victor Cousin la chaire de philosophie de la Faculté des lettres de Paris. Jules Simon publie à cette période ses deux thèses : la première, Du commentaire de Proclus sur le Timon de Platon (1836) et la seconde Une Étude sur la théorie de Platon et d’Aristote (1840), toutes deux soutenues sous le nom de Jules Suisse. En 1845, Jules Simon est décoré de la Légion d’honneur. Un an plus tard, il se présente comme candidat à la députation dans la circonscription de Lannion (Côte-du-Nord) et échoue. Il y est élu en 1848 et fait partie comme républicain modéré du comité d’organisation du travail. Aux journées de Juin, il pénètre dans les quartiers insurgés et est nommé président de la commission chargée de visiter les blessés. Après le coup d’État, Jules Simon refuse de prêter serment à l’Empire ; pour ce professeur de morale, le droit vient d’être publiquement violé par celui qui avait la charge de le défendre. Son cours est suspendu le 16 décembre 1854. Il travaille alors pour la maison Hachette et publie successivement le plaidoyer du Devoir (1854) ; la Religion naturelle (1856) ; la Liberté commune (1859) ; enfin une enquête sur le sort de la femme, l’Ouvrière (1863).
2En 1857, Jules Simon, candidat au Corps législatif dans la huitième circonscription de Paris échoue, mais est élu en 1863 dans cette même circonscription par 17 803 voix. En 1866, il préside la commission chargée d’examiner le projet de loi sur la propriété littéraire. En 1867, il traite à la tribune la question romaine ; en avril 1869, il soutient les pétitions présentées par les habitants des colonies en vue d’être représentés au Corps législatif. En mai 1869, Jules Simon est réélu au Corps législatif dans la seconde circonscription de la Gironde et dans la huitième circonscription de Paris avec 38 701 voix et opte pour la Gironde. Il s’occupe des questions économiques et prononce le 20 janvier 1870 une conférence en faveur de la liberté commerciale en soutenant la cause du libre-échange. Pour Jules Simon, libertés civiles, libertés politiques, liberté de conscience, liberté religieuse, liberté de toutes les manifestations de la pensée fondent la liberté de la personne et ont une valeur morale. La liberté de penser, Le siècle, Le Gaulois, revues qu’il dirigera, exprimeront cette philosophie. Le libéralisme de Jules Simon est modulé par le rôle qu’il reconnaît à l’État. "Je ne connais qu’une liberté, c’est la liberté réglée. En dehors de la surveillance de l’État, il n’y a qu’anarchie." Cette rhétorique fonde sa philosophie ; il publie l’École en 1864, plaidoyer en faveur de l’instruction gratuite et obligatoire ; le Travail (1866) ; l’Ouvrier de huit ans (1867) ; La politique radicale (1868) ; la Peine de mort (1869). Ces travaux le font élire le 21 février 1863, membre de l’Académie des sciences morales et politiques. En 1868, il est élu à la Société des gens de lettres mais donne sa démission. Le 16 décembre 1875, Jules Simon, qui aspire à remplacer Charles de Rémusat à l’Académie française, est élu par quinze voix contre onze données à son concurrent Henri de Bornier, avec les voix de Victor Hugo, Thiers, Jules Favre, Littré, Claude Bernard. Le même jour, l’Assemblée nationale le fait sénateur inamovible et il représente en face de Gambetta l’aile modérée du parti républicain. Successeur de Dufaure à la présidence du Conseil (décembre 1876-mai 1877), il encourt l’hostilité de Mac-Mahon qui provoque la démission de son ministère.
3Jules Simon est surtout connu pour son action en tant que ministre de l’Instruction publique, des Cultes et des Beaux-Arts dans le gouvernement de la Défense nationale, puis dans le gouvernement de Thiers (septembre 1870-mai 1871). Aussitôt entré en fonctions, il prépare un projet de loi sur l’instruction primaire, et, de concert avec Étienne Arago, le maire de Paris, prend les mesures d’éducation populaire. Il ouvre au public la bibliothèque du Sénat, attribue le Palais du Luxembourg aux réunions des sociétés savantes ; soumet au concours l’obtention des bourses, crée une Faculté de droit à Bordeaux, réorganise l’étude des langues vivantes, de la géographie et inaugure les exercices militaires dans les lycées. Aux élections de février 1871, Jules Simon n’est point élu représentant à Paris, mais dans le département de la Marne. Il présente en janvier 1872 un projet de loi sur l’instruction primaire stipulant que tout enfant de l’un et l’autre sexe, âgé de six ans à treize ans révolus, doit recevoir un minimum d’instruction, constaté par un certificat d’études. Cette loi porte obligation pour les enfants de fréquenter l’école. Nul ne peut être chargé de la direction d’une école s’il n’était pourvu du brevet de capacité. Le 27 octobre 1872, il publie une circulaire introduisant de nombreuses réformes dans l’instruction secondaire et, supprimant en partie les vers latins et les thèmes grecs, pour donner, en revanche, plus d’extension à l’étude des langues vivantes. En janvier 1873, il parvient à faire décider par l’Assemblée que les sept membres de la section permanente du conseil supérieur de l’Instruction publique, puisés dans le corps enseignant, soient nommés par le gouvernement. Jules Simon réclame l’obligation et la gratuité de l’école, mais il ne parle pas de laïcité. Dans l’école publique, il ne réclame pas la confessionnalité, mais juge nécessaire le Dieu de la religion naturelle parce qu’il est la source de la justice, du droit et de la loi. En 1880, au Sénat, Jules Simon, au nom de la liberté, se prononce contre l’article 7 de Jules Ferry qui veut interdire l’enseignement aux congréganistes non autorisés. Pour Jules Simon, une déchéance prononcée contre une catégorie d’individus est le renversement du droit, la négation de toute liberté.
4En matière sociale, Jules Simon fait de l’État la personnification de la morale pour traiter la question sociale. En 1890, il représente la France à la Conférence internationale du travail à Berlin et joue un rôle actif dans la discussion du projet de loi réglementant le travail des femmes et des enfants. En juillet 1891, il demande au Sénat qu’il soit interdit de faire travailler une femme venant d’accoucher pendant un délai de quatre semaines. Pour ce philanthrope, la loi n’est cependant point suffisante et il faut s’en remettre à l’initiative individuelle. Jules Simon travaille aux côtés de Jean Dollfus à l’Oeuvre des Habitations à bon marché à Mulhouse. A cette œuvre philanthropique, il joint la Société d’encouragement au Bien, l’Hospitalité de nuit, l’Office central des institutions charitables, l’Union des œuvres d’assistance par le travail, ou la Mutualité maternelle. Aux côtés de René Bérenger, père de la réforme pénitentiaire de la République, en particulier auteur de la loi de sursis (1891), il participe à l’apostolat des égarés de la République en fondant ligues et patronages : Patronage des libérés, Encouragement au Bien, Repos du Dimanche, Défense des enfants traduits en justice, Ligue contre l’athéisme et Ligue contre la licence des rues. Il répond aussi à l’appel du cardinal Lavigerie qui fonde la Société anti-esclavagiste. Ami de la paix internationale, il prend part aux côtés de Frédéric Passy à la création de la Société française pour l’arbitrage des nations qui jette les premières bases d’une union interparlementaire.
5Jules Simon décède le 8 juin 1896 en son domicile, 10 place de la Madeleine (VIIIème arrondissement) où il habita pendant quarante-deux ans. Ses obsèques eurent lieu le 13 juin en l’église de la Madeleine en présence du Président Émile Loubet.
Bibliographie
Sources et bibliographie :
A.N. F17 21731 (2), dossier personnel ; F17 21753 états de services ; C 1114 Corps législatif (1870) ; C 3129 Assemblée nationale : Instruction publique ; Archives privées : 87 AP 1-21 ; Institut de France MS 1577, dossier Jules Simon ; A.P.P. Ba 1270 ; Archives de la mairie du VIIIème arrondissement, Déclaration des mutations par décès, 5 août 1896 ;
Pierre Clarac, "Jules Simon en 1871", Institut de France. Académie des sciences morales et politiques, n° 30, 1971, p. 1-15 ; Ernest Daudet, Jules Simon, Paris, A. Quantin, 1883, 32 p. ; Armand Gasté, "Jules Simon, Maître d’études au collège royal de Rennes", Nouvelle revue, 51 : 4, 15 août 1896, p. 718-20 ; Charles Le Goffic, "Les débuts politiques de Jules Simon", Revue encyclopédique, 6, 1896, p. 421-425 ; Louis Liard, "Notice sur la vie et les oeuvres de M. Jules Simon", Mémoire de l’Académie des sciences morales et politiques, 21, 1898, p. 621-652 ; Louis Madelin, "Les Mémoires de Jules Simon", Revue des Deux Mondes, 1, janv. 1910, p. 216-228 ; Georges Picot, "Notice historique sur la vie et les travaux de Jules Simon", Journal de l’Académie des sciences morales et politiques, t. 146, 1896 ; Alfred Philibert-Soupé, "Portraits d’Académiciens. Jules Simon", Revue du siècle, 10 juillet 1896, p. 365-85 ; Léon Séché, Jules Simon, sa vie et son oeuvre, Paris, A. Dupret, 1887, 277 p. ; Gustave Simon, "Jules Simon : notes et souvenirs", La revue mondiale, 179, 4, 15 février 1926, p. 339-349 ; Philip Bertocci, Jules Simon. Republican anticlericalism and cultural politics in France. 1848-1886, Columbia, Missouri, University of Missouri Press, 1978, 247 p.
Auteur
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Annie Lamarre
Maître de conférences. Université de Besançon
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